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La Révolte... (43-46)
- Le 16/08/2025
"Je suis un être humain!"
Elephant man
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Elle trouve refuge dans un carré de verdure et c’est une nuit agitée, on s’en doute, après la perte de Bof ! Mais même la tristesse, dans le Cube, n’a pas lieu d’être, car dès l’aube des têtes de faucheuses électriques viennent débusquer la troupe !
« Mmmmmmm ! » meuglent-elles, comme si elles s’alertaient entre elles, sur la présence d’intrus ! « Mmmmmm ! Mmmmmm ! » Elles semblent vouloir attraper les pieds de ceux qui ont bien du mal à se réveiller ! « Mmmmm ! Mmmmm ! » Leur son quasi plaintif accompagne la danse de leur tête fouineuse !
La troupe se remet en marche, esclave du bruit ! « J’ai faim ! » gémit Mécano et comme tout le monde est du même avis, on entre dans une épicerie. Elle est tenue par une femme forte, qui s’approche des nouveaux arrivants, les dominant de toute sa hauteur ! « Alors pour eux, qu’est-ce que ce sera ? » demande-t-elle, avec une voix menaçante !
_ Ben, je sais pas ! fait timidement Marié, qui est déjà incapable de réfléchir, vu la pression qui s’exerce sur lui !
_ Mais on va pas y passer la journée !
_ Non, non, bien sûr ! Euh… Donnez-moi un peu de ce pâté…
_ Ce pâté-là ?
_ Oui, c’est ça, ce pâté !
_ Et combien je mets ? interroge l’épicière, en proposant une coupe avec son couteau.
_ Oui là, très bien ! approuve Marié, qui n’a plus qu’une seul hâte, celle de quitter l’épicerie, mais qui juge aussi qu’on lui met une part énorme et qu’il aura bien du mal à manger !
_ Voilà ! Et c’est tout ? demande encore l’épicière, qui a l’air de dire que si c’est tout, on lui a fait perdre son temps !
_ Non, non, répond Marié, qui ne veut fâcher personne. De la salade ! Un peu de macédoine… Non, non, plutôt du taboulé !
_ Faudrait savoir ! Macédoine ou taboulé !
_ Taboulé, taboulé !
_ Ouais… »
L’épicière souffle en versant la salade dans un récipient et la troupe s’en va, mécontente de ses achats, car elle n’a pas pu respirer ! « Qui es-tu ? demande Paschic à Marié.
_ Ben, Marié !
_ Combien de doigts j’ai là ?
_ Trois !
_ C’est bien, tu as encore toute ta tête ! J’avais l’impression que l’épicière t’avait décérébré !
_ C’est un peu le cas !
_ Oui… et après elle se plaindra de la fin du petit commerce ! Mais, dans le Cube, on est traité comme des chiens et on traite comme des chiens !
_ J’ai mal au ventre ! se plaint Mécano.
_ La macédoine n’était peut-être plus très fraîche… dit Marié. Eh ! Mais voilà une plaque de médecin ! Entrons ! »
Seuls Marié et Mécano franchissent la porte du médecin, mais dans le couloir ils buttent contre une longue file d’attente ! Il y a là toute la misère des Doms ! Visage crispés, égarés, méfiants, haineux, méprisants ! Corps cassés, souffrants, obèses, boiteux, tremblants ! La salle d’attente en est pleine, en regorge, de sorte que Mécano se trouve soudain beaucoup mieux ! Elle a l’impression que, si elle restait là, elle deviendrait comme ceux qui l’entourent : dolente, morne, sans espoir, toujours attachée à ses maux !
« Vite, partons ! Retrouvons l’air libre ! fait-elle à Marié.
_ Et ton ventre ?
_ Ça passera ! Mais tout sauf attendre ici ! »
Avec soulagement, le duo rejoint Paschic et Propre… « C’était rapide, dis donc ! s’exclame Propre.
_ Je suppose que vous n’avez pas pu voir le médecin, dit Paschic.
_ En effet ! Mais de toute façon Mécano n’a pas voulu rester… Une vraie cour des miracles là-dedans ! Je croyais que le Cube était la modernité même ! la solution à notre bien-être ! »
Marié n’a pas besoin de réponses et ce qui demeure de la troupe se remet en marche !
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Elle passe devant une poissonnerie, où un Dom a été jeté à terre ! Il tend vers le poissonnier un billet de banque et gémit : « Mais j’ai de quoi acheter mon poisson ! Regardez !
_ Trop tard ! répond le poissonnier. Quand on vient chez moi, il faut faire son choix rapidement ! Or, vous avez hésité une seconde entre le merlan et l’églefin ! Il y a du monde derrière vous qui n’a pas qu’ ça à faire !
_ Je vous en supplie ! »
Le Dom se met à pleurer, mais le poissonnier ne s’en occupe plus et il sert maintenant une bonne cliente : « Alors madame, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Un kilo de moules ? Tout d’ suite, tout d’ suite ! Monsieur va bien ? Le chien aussi ? Et ce départ en vacances, ça se prépare ? Dis donc, j’ai vu le plus grand hier, il était tout heureux !
_ Bien sûr, il va devenir étudiant…
_ Ah ! Une autre vie commence ! Mais c’est aussi bien des frais ! etc., etc. ! »
La troupe ne s’attarde pas, mais très vite elle est surprise par un bruit assourdissant ! Bang ! Bang ! Inquiète, elle en cherche la source ! Bang ! Bang ! Finalement, la troupe découvre un Dom qui fait claquer les ouvertures de sa camionnette !
« Bonjour ! dit Mécano. Serait-ce indiscret de vous demander pourquoi vous faites autant de bruit ?
_ Pourquoi je fais autant de bruit ? répond ironiquement le Dom. T’en as d’ bonnes, toi ! Ah ! Ah ! Mais si j’ fais claquer mes portes… Bang ! C’est parce que je suis en colère !
_ Ah ?
_ Eh ouais ! Y en a marre ! Bang !
_ Euh… Vous voulez attirer l’attention sur votre colère, en faisant du bruit, c’est ça ?
_ Disons que je tiens à la manifester… Bang !
_ Et vous pensez qu’on va s’y intéresser, alors que vous agressez ?
_ J’ m’en fous de c’ qu’on pense ! J’ suis en colère, c’est tout ! Bang !
_ Pour moi, vous êtes en colère, parce qu’on ne s’occupe pas d’ vous, pas vrai ?
_ Allez tire-toi ! Tire-toi, tu piges ? Bang ! Bang ! »
« Le Dom dans toute sa bêtise ! lâche Marié un peu plus loin…
_ Eh ! Psst ! Psst ! Par ici... »
La troupe tourne la tête, vers un individu louche, dans un coin sombre… « Eh, approchez-vous, discrètement ! » reprend le Dom étrange, que la troupe rejoint dans une venelle… « On m’a dit que vous vouliez quitter le Cube… C’est vrai ? fait le Dom, qui porte une balafre sur la joue.
_ Hein ? Mais qui t’a dit ça ? demande Marié soudain inquiet.
_ Y a des rumeurs…
_ Des rumeurs ? Des rumeurs sur nous ?
_ Faut croire ! Dans l’ Cube, tout finit par se savoir !
_ Admettons, enchaîne Paschic, mais c’est quoi ton plan ?
_ Ben, j’ connais l’ Cube comme ma poche ! J’ connais les passages, pour rejoindre la Chose !
_ Quoi ? Tu connais la Chose ? s’écrie Marié, brusquement envahi par l’espoir. Tu sais comment rejoindre la nature ?
_ N’est-ce pas ce que j’ai dit ? Mais, évidemment, c’est pas gratuit !
_ Qui nous dit que tu nous mènes pas en bateau ? demande Paschic.
_ Euh… J’ suis passeur !
_ Passeur ?
_ Ouais, j’ fais passer des riches dans la Chose, pour… pour qu’il la pollue !
_ Quoi ? Mais c’est illégal !
_ Chais bien, mais les riches sont prêts à payer le prix fort pour ça !
_ J’ comprends pas ! coupe Marié.
_ C’est pourtant simple… Le riche est avide de sensations fortes… Je l’amène jusqu’à la Chose et là il déverse son sac de déchets ! Il a l’impression d’avoir fait quelque chose d’interdit… et il est heureux !
_ Espèce de salopard ! crie Marié, qui se saisit du passeur.
_ Mais il faut bien qu’ je fasse vivre ma famille ! réplique d’une voix vacillante le passeur.
_ Laisse-le ! dit Paschic à Marié. La violence ne sert à rien, surtout avec ce genre d’individus !
_ Mais tu n’ vas quand même pas marcher dans sa combine ! s’insurge Marié.
_ Je sais pas… Il sait comment sortir du Cube… et on a déjà perdu pas mal des nôtres…
_ Si ça s’ trouve, coupe Mécano, il va nous abandonner à un échangeur !
_ Je vous assure que non, répond le passeur. Ma parole est sacrée !
_ Comment peux-tu parler d’ sacré, alors que tu saccages la Chose ? intervient Marié.
_ Pas moi ! Mes clients !
_ C’est pareil !
_ Et c’est combien la sortie du Cube ? demande Paschic.
_ 500 par personne !
_ Salopard ! s’insurge de nouveau Marié.
_ On a juste de quoi tenter le coup, fait Paschic. Qu’est-ce que vous en pensez ?
_ Moi, j’ suis assez pour, dit Propre. Si on reste ici, le Cube aura not’ peau de toute façon !
_ Elle n’a pas tout à fait tort, approuve Mécano. On ne respire pas ici !
_ Bon, passe devant passeur ! conclut Marié. Mais, à la moindre entourloupe, j’ t’assomme !
_ La moitié des biftons maintenant ! » lâche le passeur.
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La troupe suit le passeur, qui dit : « Il faut d’abord qu’on aille voir mon associé ! Une expé de ce genre, ça ne se fait pas à la va-vite !
_ Très bien, on te lâche pas des yeux ! » répond Marié.
La troupe finit par pénétrer dans un hangar, où se trouvent maints appareils de musculation et un Dom baraqué vient d’ailleurs à sa rencontre… « Je vous présente Léo, fait le passeur, mon bras droit… Léo était autrefois dompteur de cubes roulants !
_ Dompteur de cubes roulants ? s’étonne Mécano.
_ Oui, ma p’tite dame ! Ah ! C’était une autre époque ! explique Léo. Fallait m’ voir au centre du cirque, avec toute cette foule qui criait : « Léo ! Léo ! » Puis, on faisait entrer le cube roulant, le plus méchant qu’on ait pu trouver !
_ Vous vous battiez contre un cube roulant ?
_ Me battre ? Non, ça, tout l’ monde peut l’ faire ! Non, moi, je domptais le cube ! C’était d’ l’art ! Le cube faisait d’abord rugir son moteur, pour impressionner… et ça marchait, la foule était soudain silencieuse… Puis, il fonçait, de toute sa vitesse et j’ l’attendais !
_ Bon sang !
_ Ah ! Ah ! Oui ! Mais au dernier moment, quand il ouvrait sa gueule béante, pour me dévorer, j’esquivais ! Un formidable bond sur le côté ! Et il n’était pas rare que le « monstre » en perdît déjà son embrayage ! C’est qu’il était dans une rage folle ! Puis, il remettait ça ! Vraoum ! Vraoum !
_ Et Léo le fatiguait, coupe le passeur, jusqu’à…
_ Jusqu’à ce que le cube ne bouge plus, épuisé ! reprend Léo. A cet instant, on est tout proche de la fin ! La foule le sent et se tait… et effectivement, la portière du cube s’ouvre et le Dom conducteur en sort ! C’est généralement un type quelconque, voire malingre, et il se laisse tomber sur le sol ! Là, j’ai gagné et de nouveau la foule scande mon nom : « Léo ! Léo ! »
_ Vous parlez au passé… fait remarquer Propre.
_ Oui, ma p’tite dame… Un jour, un cube roulant m’a surpris par derrière et pan, il m’a bousillé la hanche ! Ça a été fini pour moi !
_ Dis donc Léo, on part en expé avec ce petit groupe ! On prépare le matériel et on n’oublie pas les cordes, comme la dernière fois !
_ Les cordes ? s’étonne Marié.
_ Oui, il peut y avoir des passages difficiles ! »
On attend jusqu’au soir et la troupe, encadrée par le passeur et Léo, commence à marcher entre les bâtiments… C’est déjà la nuit et on ne rencontre que peu de gens… Puis, les habitations s’espacent et on pénètre dans une zone vague, qui ne ressemble plus vraiment au Cube, mais qui lui appartient bien pourtant !
« Couchez-vous ! » crie d’une voix étouffée le passeur et la troupe se jette sur le sol. « Qu’est-ce qui s’ passe ? demande Paschic au passeur.
_ Les camions bosseurs !
_ Les camions bosseurs ?
_ Oui, ils patrouillent et ils ramassent tous ceux qui ont l’air de ne pas bosser ! On dit qu’ils sont conduits à un camp… En tout cas, on n’ les revoit plus ! Attention ! »
La troupe se tapit encore plus, car des phares balaient l’obscurité juste au-dessus de leur tête ! « Si vous sortez pas d’ là, on ouvre le feu ! jette une voix.
_ Ils nous ont repérés ! explique le passeur à la troupe. Laissez-moi faire, j’en connais quelques uns... »
Le passeur se lève en plein dans les phares et dit en riant : « C’est moi Karl, ne tire pas !
_ Ah ! C’est toi, passeur ! lâche le dénommé Karl. Baissez un peu les phares, les gars ! Alors, passeur, toujours avec tes clients ?
_ Eh ! Faut bien mettre du beurre dans les épinards, pas vrai Karl ? surtout par les temps qui courent ! répond le passeur, qui est maintenant tout proche de Karl. Tiens, voilà un billet d’ cent, pour le dérangement !
_ Merci, passeur ! Ça va faire du bien à ma femme ! Et puis les gars seront contents d’ boire un coup !
_ J’ pense bien ! Heureux d’ t’avoir revu, Karl !
_ Moi aussi, passeur ! Allez, les gars, on reprend la route ! »
Les camions bosseurs s’en vont et la troupe se retrouve de nouveau dans le silence de la nuit, où l’on perçoit tout de même l’immense rumeur des cubes roulants !
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Un peu plus loin, il y a une petite colline désertique, sur laquelle se détachent, vision d’horreur, des crucifiés ! « Bon sang ! s’écrie Marié. Qu’est-ce que c’est qu’ ça ?
_ La colline aux crucifiés, répond dans un murmure le passeur. Va falloir qu’on passe par là… Alors regardez pas trop ces pauvres bougres !
_ Mais pourquoi sont-ils là ?
_ Ben, ils ont tous été pris parce qu’ils bossaient pas ! Et on a voulu faire un exemple ! Tenez, le plus proche à droite, j’ le connais bien ! Enfin, façon de parler ! Mais ça fait longtemps qu’il est là et j’ai pris l’habitude de lui causer en passant… Lui, a été crucifié les mains dans les poches, comme on l’a arrêté ! C’est pourquoi sa vilaine tête me demeure sympathique !
_ Mais…, mais c’est affreux ! s’insurge Propre.
_ Vous avez raison… et d’ailleurs les autorités elles-mêmes ont cessé ses exécutions… Il y avait trop de plaintes ! »
Le groupe traverse ce champ de mort, alors que les squelettes suppliciés ont l’air de gémir encore, sous l’effet du vent ! « On doit joindre une éclaireuse, précise le passeur. Ne vous étonnez pas de la trouver un peu bizarre ! »
Le passeur allume sa lampe torche suivant un code et une autre lumière lui répond ! On arrive devant une femme vieillie prématurément ! Elle est de petite taille, les cheveux blancs, avec de grosses lunettes ! « C’est moi, l’inspectrice ! dit-elle. C’est moi qui surveille !
_ Bonjour, l’inspectrice, fait le passeur. Alors, rien à signaler ?
_ Non, RAS ! C’est moi, l’inspectrice !
_ Vous êtes inspectrice de quoi, si c’est pas indiscret ? interroge Propre.
_ De tout ! Je suis l’inspectrice de tout ! C’est moi qui corrige, qui surveille !
_ Je vois…
_ Vous aussi, vous perdrez votre beauté ! Vous deviendrez comme moi ! Car c’est moi l’inspectrice et je sais ce que je dis !
_ Lâchez-moi, s’il vous plaît !
_ Je vois tout ! Je surveille tout ! C’est moi l’inspectrice ! »
Propre ne peut réprimer un frisson de dégoût et elle s’éloigne, comme tout le groupe à présent, observé comme il se doit par la frêle silhouette de l’inspectrice, qui finit par disparaître !
L’aube pointe… « On arrive à la terrasse mécanique ! jette derrière lui le passeur. Là encore restez calmes !
_ La terrasse mécanique ? s’étonne Mécano, qui s’est mise à la hauteur du passeur.
_ Oui, c’est une vieille invention du Cube… Ils ont reconstitué toute une terrasse de café, mais avec des automates ! Tout y est ! La gars qui s’esclaffe, les filles qui se font des confidences, le type qui s’ennuie, etc. ! On voit même le mouvement des lèvres, c’est bluffant !
_ Mais pourquoi une telle invention ?
_ C’est un piège ! Vous voyez les deux boules sur le banc, là-bas ?
_ Les deux Doms, un peu gros… ?
_ Oui, ce sont des espions du Cube ! Dès que vous montrez que vous savez que la terrasse est artificielle, ils font un rapport aux autorités… et il est généralement salé !
_ C’est pas vrai ?
_ Si, alors faites comme si la terrasse était bien réelle ! comme si tout le monde ici avait trouvé le bonheur ! Vous pouvez saluer quelqu’un en souriant, si ça vous chante ! Ce sera du plus bel effet ! Mince, voilà la Mouche !
_ Hello Passeur ! fait un Dom avec de grosses lunettes noires sur le nez.
_ Hello la Mouche ! Beau temps c’ matin !
_ On peut pas s’ plaindre !
_ Encore un espion ? demande Mécano, alors que la Mouche s’éloigne.
_ Chais pas ! Personne n’a jamais vu ses yeux ! Mais, attention, voilà le Donneur de notes ! »
Un autre Dom, un peu rondouillard, est assis sur une chaise figée dans le sol et à la vue du groupe, il lève un sourcil, l’air songeur ! Le Passeur s’avance et dit : « Salut Donneur ! Alors combien tu nous mets ? »
Le Donneur ne répond pas tout de suite, il se gratte le menton et finit par répondre : « Ben, c’est difficile : je vois beaucoup de gens nouveaux… et des gens intéressants ! J’ peux pas noter chacun, comme ça, mais j’ dirais quinze de moyenne !
_ Vache, c’est beaucoup ! Qu’est-ce qui nous vaut ta générosité ?
_ Y a les filles déjà ! A mes yeux, elles valent plus que les garçons ! Mais y a l’ type pas banal là, avec un grand front (il montre Paschic) : il fait monter la moyenne !
_ Bon, OK, on y va ! A une autre fois !
_ Bon sang ! Mais pourquoi il donne des notes comme ça ? demande Mécano, quand le groupe ne peut plus être entendu.
_ J’en suis venu à m’ dire que c’est pour s’ croire intéressant ! répond le Passeur. Il doit être bien seul…, mais attention, il est un peu comme un passage obligé, car lui aussi, si on l’ignore, pourrait nous causer des ennuis !
_ Dieu ! » lâche encore Mécano.
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La Révolte... (39-42)
- Le 09/08/2025
"C'est toujours les bourgeois qui trinquent!"
Le Sang à la tête
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« Il faut retrouver Côlon ! supplie Propre.
_ Suivons le cours des cubes roulants… », suggère Paschic.
La troupe se met en marche et ferme son esprit, pour ne pas être abrutie par le vacarme et la pollution ! Puis, elle découvre l’impensable ! Devant elle s’étend à perte de vue l’océan des cubes roulants ! des toits de carrosseries à l’infini ! Cela monte, descend, accélère, se retire, glisse, tout en fumant !
« Comment sauver Côlon là dedans ? » demande Marié. Propre et Mécano longent le bord, essayant d’apercevoir un signe de leur ami, mais brusquement un cube roulant sort du flot et tente de dévorer Propre ! Mécano la tire en arrière, mais elle-même est la proie d’un autre cube roulant, qui rugit et ouvre une gueule béante ! Marié, Paschic et Bof se portent au secours des filles et la troupe parvient à se retirer, abasourdie par tant de voracité !
« Il vaut mieux s’éloigner ! fait Paschic. C’est trop dangereux !
_ Et Côlon ? gémit Propre.
_ Il a peut-être réussi à s’en tirer… lâche Marié.
_ Ou pas ! réagit Propre. D’abord Santé et maintenant Côlon ! Nous ne sortirons jamais du Cube ! Nous allons tous y mourir !
_ Mais non ! jette Bof. On est les plus forts et… Mais qu’est-ce que… ? »
Bof lève la tête inquiet, car il a senti qu’on le menaçait et il voit un géant qui le fixe méchamment et qui brusquement essaie de l’écraser ! Bof se met à crier et s’efforce de s’échapper, en allant d’un côté à un autre !
Cela agace le géant, dont la main à chaque fois se referme sur du vide ! Son énorme visage ne reflète que du dégoût et du mécontentement ! Il tape à présent avec le pied ! « Au secours, Paschic ! s’écrie Bof. Il me prend pour une araignée ! »
Paschic lance sur la tête de Bof un peu d’Infini ! C’est une poudre qui permet d’échapper à toute domination, telle une gaine protectrice et voilà Bof tout heureux, comme s’il était devenu invisible ! Le géant se voit impuissant et finalement s’en va, se demandant encore, sous son air globuleux, comment on a pu lui résister !
« Place ! Place ! fait un Dom en trottinette à la troupe, avant d’en descendre. Bonjour, je suis le roi Paudicar, de la planète Macano ! Ne suis-je pas magnifiquement beau ! Bonjour les filles ! Sur ma planète, j’ai dix mille sujets, qui veillent à mes plaisirs ! Le saviez-vous ?
_ Ça ne nous intéresse pas beaucoup…, répond Propre.
_ Je comprends, mon éclat vous fait mal aux yeux ! Eh ! Eh ! C’est l’effet que je produis un peu partout ! grâce à mon rayon Fragta 200 ! Il m’auréole d’une lumière d’or, afin de rehausser mon aspect divin !
_ C’est artificiel alors ! jette Mécano.
_ Disons que cela correspond à mon statut, à mon standing ! Quand j’arrive à trottinette, j’aime que les gens aient l’impression que je suis un prince en visite chez eux ! Je pourrais leur jeter des pièces, afin qu’ils louent mon nom, mais l’amour de la vitesse et de la liberté prend le dessus !
_ C’est plutôt à votre honneur !
_ Je sens qu’on pourrait s’entendre tous les deux ! Tu pourrais m’admirer, car je le mérite !
_ Bon, tu es un des clowns du Cube ! Autre chose ?
_ Mais tu me fâches ! Moi et ma majesté !
_ Mais non, reprends ta trottinette… Nous te regarderons avec envie et tristesse, car tu nous auras accorder que peu de temps !
_ En effet ! Combien d’autres ne vont pas être soufflés par ma venue !
_ Adieu donc !
_ Séchez vos larmes : je reviendrai ! »
Le Dom à trottinette s’en va… « Tu y crois ? demande incrédule Propre à Mécano.
_ T’as bien vu et bien entendu comme moi, non ? »
La troupe est de nouveau en chemin, mais elle ne va pas bien loin, à cause d’un barrage ! Des Doms en uniforme lui font signe de s’arrêter, puis l’un d’entre eux demande à Marié : « Permis d’exister, s’il vous plaît ! »
Marié ne sait que faire… C’est la première fois qu’on lui parle d’un tel permis… Il fouille vaguement ses poches, avant de consulter en coin Paschic, qui lui aussi hausse les épaules, parce qu’il ne comprend pas ! « Le permis d’exister, hein ? répète Marié impuissant.
_ C’est cela, répond le Dom, pour exister, il faut un permis : le permis d’exister !
_ Bien sûr ! Mais…, mais j’existe de toute façon !
_ Ah non ! Faut l’ permis, monsieur ! Et apparemment vous n’ l’avez pas ! Donc, vous et vos amis, vous allez nous suivre !
_ Mais... »
Les Doms en uniforme se montrent maintenant pressants et voilà la troupe qui entre dans un poste de douane !
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Elle y est accueillie par un petit homme sec, apparemment le chef ! « Alors comme ça, on s’ balade sans permis ? fait-il.
_ Mais c’est quoi c’ permis ? demande Marié agacé.
_ Un comble ! Tout l’ monde sait ce qu’est c’ permis !
_ Nous sommes étrangers…
_ Pfff ! Le permis d’exister doit clairement stipuler qui vous domine ! Il y a forcément quelqu’un qui vous dit que faire et qui vous bousille, si vous bronchez !
_ Ben…
_ C’est cette personne-là qui valide, authentifie le permis ! Remarquez, plus elle vous empoisonne la vie et plus le permis a de la valeur, car plus la personne vous donne le droit d’exister !
_ Dingue !
_ J’ai connu certains cas extrêmes, où la personne accorde le permis juste avant que sa victime ne meure ! Évidemment, on pourrait alors dire que le permis ne sert à rien, mais pour les collectionneurs, il n’a pas de prix, car la valeur du permis est absolue ! On est quasiment dans le domaine de l’art !
_ J’imagine…
_ Pour moi, un bon permis, c’est la destruction psychologique ! Celui qui la subit possède bien l’ permis, mais doit en souffrir toute sa vie ! Nul doute que le permis reste valable, même si le bourreau disparaît entre-temps !
_ L’argument est intéressant…
_ Mais foin de ces considérations ! Alors, c’ permis, vous l’avez ou vous l’avez pas ?
_ On pourrait peut-être l’avoir par votre intermédiaire, vu que vous nous oppressez !
_ Vous n’êtes pas sérieux ! Ce que je vous demande n’est que broutilles ! Rien qui ne soit pas réglementaire ! Non, il faudrait que moi et mes gars, on vous casse la gueule dans la cave, pendant une semaine, pour avoir l’autorité nécessaire ! Et encore ! »
Voyant que la discussion est dans l’impasse, Paschic remarque que le chef est un DTN, un Dom trou noir, et qu’il diffuse des ondes psychiques insupportables ! Il a un rayonnement dominateur dont il est quasiment impossible d’échapper ! Il va falloir avoir recours à la magie !
Paschic se concentre et une étrange patte se glisse dans le poste de douane ! C’est une patte extrêmement fine, pareille à un fil et pourtant rigide ! Son segment ultime interroge d’ailleurs en ce moment le chef, en le tâtant, pour l’identifier ! Le chef en est apeuré et il danse sur ses jambes arquées, qui font penser à une figurine de cow-boy !
Puis, une tête, pas plus grosse qu’une graine, passe la porte du poste et s’adresse à Paschic : « Désolé, Paschic, mais y a qu’une de mes pattes qui entre ! C’est trop étroit pour les autres !
_ Pas grave, Faucheux ! C’est suffisant ! J’ crois qu’ le monsieur a compris ! Pas vrai ?
_ Mais qu’est-ce qu’il y a ? fait le chef. Qui vous êtes ? Des terroristes ?
_ Je vous présente Faucheux ! répond Paschic. Un bon ami à moi ! Est-ce qu’il peut signer pour vous un permis d’exister, car vous n’avez pas l’air très à l’aise ! Vous transpirez et vous êtes tout pâle !
_ Dites à cette… cette créature de s’en aller !
_ Bien sûr ! Mais on va partir avec elle, si vous n’y voyez pas d’inconvénients ! Vous ne dites rien ? Je dois prendre ça pour un consentement ! C’est bon d’avoir peur, n’est-ce pas ? Allez, la troupe, on en a assez vu comme ça ! »
La troupe se retrouve à l’air libre, où Faucheux est visible en entier ! Son corps est extraordinaire, car ses pattes sont aussi fines qu’elles semblent démesurées ! Et au centre se trouve cette petite boule, qui tient pourtant tout ça ! « Oh ! Je sens un autre mâle pas loin, Paschic ! Je vais devoir défendre mon territoire !
_ Bien sûr, faucheux ! Chacun ses affaires ! Je te remercie pour ton aide !
_ A bientôt les amis !
_ Incroyable ! fait Propre en regardant partir Faucheux.
_ Le permis d’exister ! lâche plein d’amertume Marié. Non, mais où on est ici ?
_ Dans le Cube ! répond Paschic. Et on n’est pas près d’en sortir ! »
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« Oh ! Regardez ! s’écrie Mécano. Une jeune fille en difficultés ! » En effet, un peu plus loin, une jeune fille blonde est pressée par deux Doms, comme si elle était prise en sandwich et elle étouffe visiblement ! « Ce sont deux Domubiks qui l’écrasent ! explique Paschic. Ils sont tellement pleins d’eux-mêmes, qu’ils ne la voient même pas ! Vite, allons la délivrer ! »
La troupe court vers les Domubiks, une femme et un homme doms, et les détache de la jeune fille ! Mais les Domubiks ne se sentent pas coupables : ils sont juste dans leur monde et trouvent leur égoïsme parfaitement naturel ! Il faut refaire leur éducation, ce à quoi s’emploie Paschic, qui leur dit : « Vous voyez la jeune fille ? C’est une personne tout comme vous ! Vous devez la respecter !
_ Ouais, ouais ! fait le Dom, légèrement abasourdi, qu’on puisse le reprendre.
_ Mais on ne fait rien de mal ! répond la Dom. Faut bien qu’on vive nous aussi !
_ Mais pas au détriment des autres ! Il n’y a pas que vous dans le Cube !
_ Ouais, ouais !
_ J’ai des besoins, moi ! C’est pas ma faute, si cette jeune fille est éteinte !
_ Elle est éteinte, parce que vous la dévorez ! Allez, filez ! »
Les Domubiks sont fâchés, mais néanmoins ils s’en vont ! « Ne vous laissez pas faire ! dit Paschic à la jeune fille. Vous valez mieux qu’eux ! Si vous êtes fragile, c’est que vous avez des doutes et que vous êtes sensible ! Si vous souffrez, c’est parce que vous ne piétinez pas! »
La jeune fille hoche la tête, même si elle ne comprend pas vraiment les propos de Paschic. La troupe s’éloigne et Paschic rajoute : « Elle va méditer sur ce que je lui ai dit… La route sera longue pour elle, mais c’est la seule intéressante !
_ Pourvu que les p’tits cochons ne la mangent pas ! » renchérit Marié.
Bof, qui marche devant, s’arrête brusquement ! Il est figé par une colonne de pigeons, portant des valises et qui avance la tête basse ! « Qu’est-ce qui se passe ? demande Paschic. Où vous allez, les pigeons ?
_ Où on va ? répond l’un des pigeons. Mais on a détruit not’ maison, Paschic ! Vingt ans qu’on habitait là ! Oh ! C’était pas très beau ! Un immeuble abandonné et que la ruine menaçait ! Mais c’était chez nous et plusieurs générations y sont nées ! Mais nous voilà sur la route, déboussolés, sans abri !
_ Mais vous allez bien trouver quelque chose ! s’écrie Propre. Il doit y avoir d’autres bâtiments vides…
_ Pas à cette hauteur, avec ce point de vue ! Ah ! Il fallait nous voir voler le matin, dorés par le soleil levant ! Quelle ordonnance ! Une flotte unique ! On était paré pour la journée ! Mais on se moque de nous ! Il faut boboïser le quartier, le rentabiliser et nous ? On ne compte pas ? »
La troupe se tait et regarde la colonne continuer son exode ! Mais déjà des paroles étranges lui arrivent aux oreilles… « On est extra ! dit une Dom au Dom qui l’accompagne.
_ Oui, on est au-dessus du lot ! approuve le Dom.
_ Nous sommes tellement beaux !
_ Et intelligents !
_ C’est clair ! Nous sommes largement supérieurs ! Il est normal que les autres nous admirent !
_ Nous sommes des dominants !
_ Je me demande quel hommage je vais mépriser !
_ Gourmande ! »
La troupe n’en revient pas et a même envie de vomir, mais le soir tombe et on n’y voit plus trop… Il faut chercher un coin où dormir, quant tout à coup une torche éclaire le visage de Marié, avec une voix qui murmure : « Traqueur de gens heureux ! J’ suis l’ traqueur ! N’êtes pas heureux, vous ?
_ Non pas trop, répond Marié tétanisé.
_ Bien, bien ! J’ déteste les gens heureux ! De toute mon âme ! J’ les hais !
_ C’est vrai qu’ils ont l’air... suffisant ! approuve hypocritement Marié.
_ Xactement ! Moi, j’assombris l’ monde, parce qu’il pense pas à moi !
_ Faut bien faire quelque chose...
_ Eh ! Une p’tite minute ! M’avez l’air bien serein, tout de même ! J’ me demande, j’ me demande, si votre joie s’rait pas sur le point d’éclater ! Riez pour voir !
_ Ah ! Ah ! Voyez, c’est un rire pauvre ! D’ailleurs, je pleure déjà !
_ Ah bon ? La perte d’un parent proche ?
_ Non, la bêtise du Cube ! »
42
C’est le soir, mais la journée n’est pas finie pour autant ! D’ailleurs, le temps reste magnifique ! « Ouch ! s’écrie Bof.
_ Qu’est-ce qu’il y a ? demande attentionnée Mécano.
_ J’ai pris un coup d’ seins, dis donc ! J’étais là, à regarder les nuages roses, quand pan ! deux seins m’ont donné un coup !
_ Montre ! Bon, c’est pas trop grave… Tu auras une petite rougeur, pendant un certain temps…
_ Elles pourraient faire attention tout de même, avec leurs seins !
_ A mon avis, c’était voulu ! » rajoute Propre, avec un sourire…
On passe à côté d’un Dom effrayant ! Il est assis, sans rien faire… Il regarde seulement, mais son corps massif trahit un désir malsain ! « Un pervers ! » fait Mécano et la troupe s’éloigne pour croiser un autre Dom très étrange !
Il avance vers la troupe dans une combinaison qui semble protéger des radiations nucléaires ! « Est-ce qu’il y a eu une catastrophe dans l’ coin ? demande Bof. Ça fait vraiment peur! » Le Dom passe devant la troupe, en ayant l’air de vivre dans un cauchemar permanent !
Puis, c’est le tour d’un autre Dom, qui regarde par dessus toutes les têtes, ainsi qu’il aurait perdu quelque chose et qu’il serait toujours sur le point de le retrouver ! Ses cheveux semblent rabattus par un irrépressible courant d’air, reflet de la hauteur où il se situe et de son éternelle recherche ! Bien sûr, apparemment, il ne distingue rien de la troupe, tellement il est occupé !
« C’est une technique pour paraître à l’aise ! explique Paschic. Il y en a autant qu’il y a d’individus ! » La troupe n’a pas le temps de méditer là dessus, car dans une ruelle sombre elle est figée par un bruit inquiétant ! C’est un grincement humide, un grouillement à glacer le sang ! Puis, sous une lumière, l’horreur devient visible ! Des milliers de crabes, pinces dressées, se répandent en un flux monstrueux ! Leurs mandibules baveuses expriment pourtant des choses : « Nous sommes prioritaires ! crient-elles. Les magasins sont à nous ! Servez-nous tout de suite, sinon on vous déchire ! »
« Vite, par là ! » fait Marié et la troupe se jette dans un bâtiment, qui a soudain l’air très curieux ! « Nous sommes dans un musée... murmure Propre, le Musée du Cube et du patrimoine !
_ Vous là-bas ! crie un Dom en uniforme. Z’avez vos billets ? La visite va commencer !
_ Ben…, non… répond Bof.
_ Et alors ? Vous attendez quoi ? Vous croyez peut-être que la visite est gratuite ? »
La troupe paie ses tickets, car elle ne veut pas retrouver les crabes dehors et sous la houlette du guide, on commence à pénétrer dans une vaste salle, avec des scènes éclairées, des images, des textes, etc. « Toute l’histoire du Cube a été reconstituée ici ! explique le guide de sa voix sévère. Il faut savoir qu’en ce moment même le Cube se développe à la vitesse de deux kilomètres par seconde ! Il n’en a pas toujours été ainsi, bien entendu ! Par exemple, à votre droite, vous pouvez voir le Cube a ses débuts, encore balbutiant ! Il n’est pas encore formé ! Il sort du nid pour ainsi dire ! »
Sous les yeux stupéfaits de la troupe, le guide écrase une larme ! Mais Paschic est préoccupé par autre chose, son voisin, un Dom assez jeune, qui a l’air de se transformer ! Il y a comme une sorte de toile qui le recouvre et sa peau se flétrit, comme si elle vieillissait d’un coup !
« Psst ! Psst ! » fait doucement Paschic à Marié, qui lève les sourcils pour demander ce qui se passe. Paschic montre de la tête son voisin, qui a encore changé ! Non seulement la toile autour de lui est plus épaisse, évoquant un cocon, mais le Dom lui-même a maintenant des pattes rappelant celles des araignées ! Marié avale sa salive !
« Alors, sur ce grand tableau, poursuit le guide, l’artiste a représenté le Cube tel un grand cœur, alimenté par les artères et les routes qu’empruntent chaque jour les habitants ! Nous serions ainsi, nous les Doms, le sang du Cube ! Évidemment, c’est une vision d’artiste qu’on peut ne pas aimer, mais moi, je dois vous dire qu’elle me touche particulièrement ! »
A cet instant, on entend un grand cri, puisqu’une jeune Dom est attaquée et engloutie par le voisin de Paschic, dont la métamorphose est terminée, car il n’est plus qu’un Dom araignée, à la tête hideuse ! « Bon sang ! fait Marié.
_ Il faut partir ! lance Paschic. Mais attention, ne marchez pas dans la toile ! »
En effet, le Dom araignée, a eu le temps d’étendre un véritable piège, dans lequel Propre se prend ! « Au secours, Paschic ! crie-t-elle.
_ J’arrive ! lui répond Paschic, alors que Marié et Mécano se protègent mutuellement. Ne te débats pas, Propre ! Reste calme ! Sinon, ce sera pire !
Voyant la panique de Propre, Bof, toujours chevaleresque et sans doute amoureux, s’élance pour la sauver, mais il est encore sans expérience et le Dom araignée s’en saisit et le roule dans un cocon ! Cependant, Paschic a réussi à libérer Propre et ils s’éloignent ! « Bof ! Bof est pris ! gémit Propre, qui se met à pleurer.
_ Je sais, répond Paschic, mais hélas, il est trop tard pour lui ! »
Comme pour confirmer son avis, le Dom araignée vide Bof de sa substance, ce qui le fait hurler affreusement ! La troupe baisse la tête, comme pour ne plus rien entendre et s’enfuit !
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La Révolte... (36-38)
- Le 02/08/2025
"Je veux défendre mon pays, parce que c'est le plus beau du monde!"
American sniper
36
Un ado Dom passe et crache… Une ado Dom demande à ce qu’on regarde ses seins et ses fesses ! « C’est la vie... » fait Marié.
_ Tenez ! dit Mécano, j’ai inventé un gadget pour apaiser les Doms !
_ Fais voir, demande Côlon.
_ C’est un petit appareil, comme les boîtes qu’on retourne, pour reproduire le cri de la vache ou de la chèvre ! Mais ici, tu entends : « T’as raison ! T’as raison ! »
_ Ah ouais, d’accord ! C’est drôle !
_ Et tu vois, avec ça, le Dom se calme progressivement ! C’est tout ce qu’il demande !
_ Mais on va pouvoir vendre ce petit appareil, un peu partout ! Nous voilà riches, Mécano !
_ Tu t’occupes de la distribution, c’est ça ? »
Un peu plus loin, la troupe croise les « pauvres » Doms ! Ils sont là avec de beaux habits, des bijoux et leurs belles voitures derrière eux ! Et pourtant ils ont la « manche » ! « Je vous en prie, disent-ils, donnez-nous de l’importance ! Montrez-nous comme nous sommes admirables, combien nous avons du pouvoir ! Sinon c’est l’angoisse ! Nous sommes perdus ! Un peu de soumission, s’il vous plaît ! Reconnaissez notre mépris ! Soyez sensibles à notre égoïsme ! »
_ Les pauvres Doms ! fait Propre.
_ Ouais ! Faut pas exagérer non plus ! s’insurge Côlon. Ils en prennent à leurs aises ! Et ils sont en sécurité, avec leur argent !
_ Mais ils sont incapables d’être en paix ! réplique Propre. Leur équilibre ne repose que sur leur domination… et ils sont là, toujours en train de quêter une supériorité ! Tiens, ils n’acceptent jamais leurs torts ! Pour eux, c’est une catastrophe !
_ Tu oublies qu’ils vivent au détriment des autres !
_ Tout de même, ils sont bien à plaindre ! Toujours tourmentés ! Toujours à mordre, à écraser ! »
A cet instant, Bof court vers la troupe : « Eh ! Eh ! crie-t-il. Je suis en train de disparaître ! Regardez, regardez, je ne vois déjà plus mes mains !
_ Oui, cela arrive, explique Paschic. A force de côtoyer les Doms, tu te sens minable, inexistant, et tu finis pas disparaître !
_ C’est…, c’est une blague !
_ Malheureusement non ! Tu ne trouves nulle part l’écho de tes préoccupations… et tu en arrives à croire que tu es mauvais ou fou ! A partir de là, l’invisibilité te gagne… et même les oiseaux ne te voient plus ! J’ai été percuté par un moineau comme ça !
_ Le problème avec toi Paschic, c’est qu’on sait jamais si tu es sérieux ou non !
_ Rassure-toi, Bof, intervient Mécano, tant que tu restes avec nous, tu compteras ! Nous t’aimons et tu dois en déduire que tu as une existence réelle !
_ Mer…, merci Mécano !
_ Faut pas que tu t’éloignes trop de la troupe, c’est tout !
_ Mais, mais est-ce que la troupe entière ne pourrait pas disparaître ? »
Personne ne répond à Bof, car on croise un grand blessé ! On le voit venir de loin ! Il tient à peine sur ses cannes et sa côte semble recouverte d’un large corset ! Il faut rajouter à cela quelques pansements sur le visage, de sorte que Propre s’écrie : « Mon Dieu, le malheureux !
_ Ne vous intéressez pas à lui, dit Paschic. C’est ce qu’il veut ! Il se sert de son état, pour être le centre d’intérêt, qu’on parle de lui, ce qui alimente sa domination ! Bref, un Dom de chez Dom !
_ Mais tu es sans cœur ! s’écrie Côlon.
_ Mais vas-y, Côlon, si ça te chante ! Tu vas voir que ton intérêt sera mal payé ! Il va te boire comme du petit lait ! Tant que tu seras « pendu » à ses blessures, il sera tout sourire et volubile ! Mais dès que tu feras mine de penser à autre chose, au temps qu’il fait ou au malheur en général, il se fermera et et te méprisera ! Il passera à un autre et ainsi de suite ! Ceux qui se servent de leur maladie, pour leur domination, sont stériles !
_ Tu parles d’expérience sans doute ! dit Marié.
_ Exact ! Ne perdez pas vot’ temps avec des gaziers pareils ! Ils montrent une fausse image de la vie, centrée sur leur malheur ! Au contraire, votre indifférence les fera réfléchir !
_ Tout de même il me fend l’âme ! »
Le Dom en effet semble les attendre, quêtant une attention, pendant que son équilibre est mal assuré ! « Il ne vaut pas mieux que les autres ! réaffirme Paschic. Soyez forts, ignorez-le ! Ne tombez pas dans le piège et rendez-lui service, en lui résistant ! »
La troupe ne se le fait pas dire deux fois et passe outre. Elle entre dans un nouveau champ d’expériences et il est vrai que le « grand blessé » est maintenant stupéfié par son air indifférent !
37
Soudain, la troupe est assaillie par un rire ! Il devrait être communicatif, témoigner du plaisir de vivre, mais nullement, c’est un rire qui provoque de la gêne, qui fait peur ! Il attaque la troupe sous la forme d’une rangée de dents éclatantes ! « Tenez lui tête ! crie Paschic. Ne soyez pas dupes ! Son propriétaire n’est pas honnête ! Il n’est pas détendu lui-même ! C’est encore une domination qui s’affirme, même par le rire ! Montrez que vous êtes solides ! Restez droits devant lui ! »
La troupe, sous les exhortations de Paschic, s’arrête, alors qu’elle s’apprêtait à fuir ! Chacun fait face au rire, qui ne peut plus rien devant une telle fermeté, car après tout ce n’est qu’un rire ! Enfin, il disparaît, ce qui entraîne Paschic à « enfoncer le clou » : « Ce genre de rires, dit-il, qui vous tend, vous met mal à l’aise, comme si vous étiez un minable dans la société, doit au contraire vous servir de baromètre ! Si vous êtes capable d’en être indifférents, si secrètement il vous amuse, car il témoigne d’une fausseté, alors soyez fiers, heureux : vous gagnez en force et en équilibre ! Tout ce qui émane des Doms est trompeur et destiné à faire croire qu’ils savent vivre, ce qui n’est pas le cas !
_ T’es remonté, on dirait ! dit Marié.
_ Ah ! Si tu savais comme il y en a à dire ! »
La troupe va un peu plus loin, mais deux yeux haineux lui font barrière ! « Halte ! disent-ils. On ne passe pas !
_ Et pourquoi ça ? demande Côlon.
_ Eh bien, il est onze heures du matin et nous buvons notre apéro, comme tous les jours ! Or, que voyons-nous ? Des étrangers qui se présentent, qui troublent notre quotidien, nos habitudes !
_ Mais faut bien qu’on aille de c’ côté tout de même ! réplique Côlon.
_ Je ne comprend pas pourquoi on vous dérange ! rajoute Mécano.
_ Mais notre arrivée inopinée inquiète la domination de ce regard ! explique Paschic. Le sentiment de sa supériorité lui est donné par sa routine même, par le contrôle qu’il exerce ici chaque jour ! Or, voici de la nouveauté, de l’imprévu et le regard n’est plus le maître ! Cela suffit à le rendre haineux, bilieux !
_ Ce n’est pas vrai ! s’indigne Propre.
_ Mais bien sûr que j’ai juste ! Hein, le regard ? poursuit Paschic. Oh ! Mais attendez, je suis sûr aussi que nous avons affaire à un regard épris de justice sociale, qui chante sur tous les tons l’égalité ! Car il est contre tous les pouvoirs, puisqu’il ne les contrôle pas ! Le petit égoïsme, incapable de supporter la moindre surprise et qui pourtant fustige le mépris des riches ! Peuh !
_ Il va te dévorer ! s’écrie Propre.
_ Il vaut mieux nous en aller, dit Marié à Paschic. Tu n’arriveras pas à te faire comprendre de toute façon ! »
La troupe repart, bien décidée à quitter le Cube ! Mais Paschic reprend : « Ne soyez pas dupes, dit-il, les Doms n’ont aucune solution pour vivre, si ce n’est leur domination ! Ne perdez jamais de vue qu’ils la recherchent de toutes les manières possibles, par le rapport de force ou la séduction ! Cela signifie encore que plus les Doms ont peur et plus ils veulent dominer et que si vous leur résistez, ils n’auront aucun scrupule à vous mépriser, avec l’envie de vous détruire ! C’est pour cela que les Doms se piétinent les uns les autres, ce qui rend la vie dans le Cube impossible ! »
Deux Doms filles sont sur le passage de Paschic et se moquent de lui, car il les ignore et un Dom jeune homme côtoie un instant la troupe, en étant monté sur des échasses et en fixant les lointains, ainsi qu’il serait quelque dieu, bien au-dessus de ceux qui l’entourent !
Marié, légèrement énervé, par cette suffisance et cette somme toute agressivité, entreprend de taper dans les échasses, pour ramener le jeune Dom à plus de réalité, mais alors celui-ci consulte son portable, comme si de rien n’était ! C’est le monde hypocrite des Doms et donc sans solutions, puisque les choses ne sont pas dites !
« Venez essayer votre force ! crie un bonimenteur, car on est toujours dans la fête foraine. Venez chevaucher le cheval fou de l’angoisse ! Si vous tenez dessus plus de cinq minutes, vous partez avec le gros lot ! Vous, le Dom costaud, allons essayer ! Une belle peluche fera plaisir à votre fille !
_ D’accord », fait le Dom large d’épaules et qui porte un chapeau de cow-boy.
On place le Dom sur le cheval de l’angoisse, comme au rodéo, et soudain le cheval se met à sauter dans tous les sens, à ruer et à se cabrer ! Le Dom costaud ne tient pas cinq secondes ! « Ah ! Ah ! fait le bonimenteur. L’angoisse, c’est pas trop ton truc, hein ?
_ Ben, sans ma femme, je suis un peu perdu, c’est vrai ! répond le Dom costaud.
_ Bien sûr, la famille y a qu’ ça d’ vrai ! Allez, mesdames, messieurs, qui veut essayer de dompter le cheval de l’angoisse ?
_ Tu pourrais tenter le coup, Paschic, s’exclame Mécano. J’ai envie de la grosse peluche, en forme de singe !
_ C’est vrai ça, Paschic, rajoute Propre, montre à tous ces Doms que t’as pas perdu ton temps ! »
38
Paschic s’approche du cheval de l’angoisse et lui dit : « Tout doux, tout doux ! » Paschic le connaît par cœur ! Il sait que c’est un cheval effrayant, délirant même ! Il peut se transformer en dragon destructeur, par exemple ! Mais, à la surprise générale, Paschic se met en selle, sans que le cheval ne s’agite et voilà que tous les deux trottinent tranquillement ! « Ce… Ce n’est pas possible ! » s’écrie le bonimenteur.
_ Vous ne connaissez pas Paschic ! » fait Marié.
Paschic décide de passer à la vitesse supérieure et il lance le cheval au galop ! En pleine course, il le fait s’envoler vers le ciel, de sorte qu’un instant le duo disparaît même aux yeux des spectateurs ! « Ce n’est pas possible ! lâche encore le bonimenteur.
_ Vous l’avez déjà dit ! rectifie Marié.
_ A moi la grosse peluche ! » exulte Mécano.
Paschic atterrit soudain, le cheval docile sous lui ! Il rit en offrant son lot à Mécano ! « Je savais que t’allais le mâter ! assure celle-ci.
_ Oui, mais ce n’est possible que si on se débarrasse de sa domination ! Sinon, on utilise toujours les autres pour calmer son angoisse ! C’est-à-dire qu’on écrase un plus petit, ou on le méprise, ce qui fait qu’on ne comprend pas les choses ! »
Derrière la troupe qui s’en va, le bonimenteur jette son cigare et donne un coup de pied au cheval, qui le mord sévèrement ! Il ne fait pas le poids !
La troupe est enchantée de cette petite victoire, mais elle est suivie par une ombre ! « On dirait que qu’un Dom nous a pris en chasse ! fait remarquer Côlon.
_ Oui, approuve Paschic, c’est un Domubik !
_ Un quoi ? s’écrie Bof.
_ Un Domubik ! De Dom et d’ubiquité ! C’est un Dom qui croit qu’on s’adresse toujours à lui, même quand on veut parler à une autre personne ! Il est si plein de lui-même qu’il est difficile de s’en débarrasser !
_ Il va débarquer parmi nous, comme ça ? continue Bof.
_ Non, il faut l’enclencher, en lui adressant une première fois la parole, mais après, comme je vous l’ai dit, il sera impossible de nous parler les uns aux autres, sans qu’il intervienne ! Il a bien sûr un avis sur tout ! Il connaît tout et se sent indispensable !
_ Hum ! fait Propre. Il vaut mieux le laisser tranquille alors !
_ Tant qu’on n’a pas besoin de lui, c’est ce qui est le mieux ! opine Paschic. Mais il est lui-même un grand destructeur de ses semblables, comme tous ceux qui croient que le monde tourne autour d’eux !
_ Encore un qui n’a pas la clé de son repos ! » avance Marié.
La troupe est maintenant arrêtée par la chaîne des cubes roulants ! C’est un flux continu, bruyant, polluant, rageur et abrutissant ! Pourtant, la chaîne se met à chanter : « Il est 17 heures ! Il est 17 heures ! C’est nous la chaîne des cubes roulants ! Colorée et vrombissante ! Il est 17 heures, c’est la fin du travail et nous voilà solidaires ! 17 heures sur Terre ! 17 heures, à nos maisons ! Nous sommes les travailleurs, nous formons une équipe, même si on s’ connaît pas ! Attention le piéton, t’es pas dans la chaîne ! Nous te regardons ! Attention piéton, t’es suspect ! T’es pas dans la chaîne ! T’es pas solidaire ! C’est la chaîne de 17 heurs ! La bonne chaîne ! Celle qui bosse ! »
A ce moment, Côlon, bouleversé, s’élance : « Mais vous ne comprenez rien ! crie-t-il à la chaîne. Pourquoi vivez-vous ? Vous n’êtes même pas heureux ! Et votre haine, qu’est-ce que j’en ai à faire ? Encore si vous cherchiez ! Vous dites que vous travaillez, mais vous ne faites rien en réalité !
_ Reviens Côlon ! lance Paschic. Vite Marié, va le chercher ! On ne peut pas attaquer les Doms de front comme ça ! C’est du suicide ! »
Marié se précipite, mais c’est trop tard : Côlon a disparu dans le vacarme et les fumées ! La chaîne l’a comme englouti ! La troupe est sous le choc, mais elle n’a pas le temps de penser, car elle est interpelée : « Oh là ! lui fait un Dom, je suis le contrôleur de la rue !
_ Et alors ? répond Bof.
_ Ben, la rue m’appartient ! J’ai à l’œil tous ceux qui ne me plaisent pas !
_ On vient de perdre un ami ! jette Propre.
_ M’étonne pas ! Vous avez une drôle d’allure !
_ Crétin ! » lâche Mécano.
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La Révolte... (33-35)
- Le 26/07/2025
" A trois, j'avoine!"
Il faut pas prendre les enfants du bon Dieu....
33
La troupe arrive dans ce qui ressemble à une fête foraine… « Chic ! On va bien s’amuser ! » s’exclame Côlon. Paschic, avec Mécano derrière lui, s’arrête devant une tête souriante, en carton-pâte… « Il y a une fente pour mettre de l’argent, mais on ne dit pas à quoi ça sert ! dit Paschic.
_ Il faut sans doute en mettre un peu, pour le savoir, répond Mécano.
_ Bon, fait Paschic, qui lâche une pièce, mais il ne se passe rien !
_ Une seule ne suffit peut-être pas...
_ Pfff ! soupire Paschic, qui pourtant rajoute une pièce, mais la tête continue de sourire comme avant.
_ Et si c’était ça le truc…, suggère Mécano.
_ Quoi ?
_ Mais on continue à mettre de l’argent et la tête sourit toujours, pour nous montrer combien elle nous méprise, tellement nous sommes idiots !
_ Mais ce serait affreux !
_ Tu vois autre chose ? »
On s’arrête plus loin devant un autre jeu, intitulé Dis bonjour ! Là encore, on ne comprend pas de quoi il retourne, mais on met quand même une pièce et une tête artificielle apparaît sur le côté de la machine ! Elle a l’air souriante, sympathique et ses lèvres s’entrouvrent, comme pour dire naturellement bonjour ! « Bonjour ! » répond Côlon, mais alors le mot Perdu clignote dans la machine !
« Perdu ? Et pourquoi j’ai perdu ? s’indigne Côlon.
_ Mmm, répond Marié, il est possible que c’est parce que t’as dit bonjour…, alors que la tête ne l’a pas fait !
_ Mais elle a dit bonjour !
_ Non, dit Propre, elle n’a pas dit bonjour !
_ Mais elle allait le faire ! J’ai agi par politesse !
_ Et c’est pourquoi t’as perdu, rajoute Marié. Vas-y recommence, mais retiens-toi de dire bonjour ! On va voir ce qui se passe !
_ Pfff ! » soupire Côlon, qui comme Paschic remet une pièce.
La tête glisse de nouveau sur le côté de la machine, tel un serpent, et elle semble encore plus affable. Elle regarde droit dans les yeux Côlon et montre tout le respect possible ! Sa bouche s’ouvre et il paraît inévitable qu’elle dise bonjour et il faut à Côlon toute sa force pour rester muet ! Il en transpire même, mais il tient bon et soudain la tête change de physionomie : elle perd son sourire, qui se transforme en une grimace affreuse ! « Gagné, Gagné ! « fait la machine.
« Tu vois ? On a pigé le truc ! se félicite Marié.
_ Mais alors…, ce serait une machine pour apprendre à être impoli !
_ Disons qu’elle favorise le pouvoir, au détriment du plus faible !
_ Le faible est poli ?
_ Et le fort méprise ! Ou plutôt le mépris ne donne-t-il pas le sentiment d’être supérieur !
_ Mais c’est vache ! insensé même !
_ Bienvenue dans le cube ! »
On poursuit la visite, quand Mécano appelle : « Venez voir, j’ai trouvé un jeu hyper rigolo ! » On s’approche et Mécano met une pièce, en disant : « Attention... » Une camionnette arrive à toute bringue, sur des rails ! Dans un nuage de poussière, elle s’arrête ! Un Dom robot en sort, hors de lui, et il fonce vers la troupe : « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? braille-t-il.
_ Ben rien…, fait Mécano avec un sourire.
_ Merde de merde ! crie le robot en jetant sa casquette par terre. Je boooooosse, moi !
_ Nous aussi… répond Mécano, en gardant son sourire.
_ Tas d’ beatniks ! Qui va payer les factures ?
_ Ben, pas nous… rajoute Mécano provocatrice.
_ Bande de fumiers ! Tas d’ordures ! continue le robot, qui s’assoit et qui se met à pleureur.
_ Là, là, apaise Mécano, qui caresse la tête du robot. On va remonter tranquillement dans sa camionnette et reprendre la route, ainsi que ses esprits ! »
Le robot opine et effectivement repart sur ses rails ! La partie est terminée ! « Moi aussi, je veux jouer ! s’exclame Propre enthousiasmée.
_ Moi aussi ! » fait chacun et c’est une petite cohue devant le jeu !
34
« J’en ai marre ! » crie Bof, un autre de la troupe des Doms émeraude ! Il est appelé Bof, parce qu’il paraît toujours désabusé ! « J’en ai marre ! » répète-t-il et la troupe s’arrête ! « Qu’est-ce qu’il y a, Bof ? demande Marié.
_ Y a, y a qu’ tout ça, ça sert à rien ! Tout c’ qu’on fait ça mène nulle part !
_ Pourquoi tu dis ça ?
_ Non mais, regardez les Doms ! Est-ce qu’ils cherchent ? Est-ce qu’ils se remettent en question ? Non, ils sont figés dans leurs haines et leurs préjugés ! Ils ne sortent pas de là ! Et c’est pourquoi il faut leur répéter mille fois les mêmes choses ! Toute la base, il faut la reprendre à chaque fois ! Alors, moi, j’ suis fatigué ! J’ veux plus aller plus loin !
_ Et tu vas faire quoi ?
_ Chais pas ! Fonder une famille…, ou vendre des confitures ! J’ sais faire des confitures… et j’ les vendrai ! Au moins j’aurais un p’tit pécule ! J’ s’rais là au marché, devant ma dizaine de pots et j’ dormirais !
_ Mais not’ job, fait Paschic, c’est d’ réveiller les consciences, au nom de l’amour ! Si tu t’ sens pas plus heureux, en étant éclairé, effectivement, tu es plus à plaindre que celui qui gagne un salaire ! Aimer n’est pas un travail qui devrait rebuter, mais nourrir, apaiser ! C’est justement cela le scandale : que la sagesse soit un plaisir !
_ Sans doute, mais j’ suis fatigué, c’est tout ! Quand je vois tant de bêtises, je respire plus ! »
A ce moment, une superbe Dom avance vers Bof, qui en reste bouche bée et qui suit la moindre ondulation de la créature ! Il sourit et veut dire bonjour, mais la Dom de rêve passe à travers lui !
« Mais qu’est-ce que... ? fait-il.
_ C’est sans doute un hologramme… répond Marié.
_ Un holo… mais j’ai vraiment cru qu’elle était vraie ! Et même si c’était un hologramme, pourquoi venir vers moi avec un tel rayonnement, si c’est pour m’ignorer ?
_ Une manière de t’humilier ? Ne te sens-tu pas minable ?
_ Voilà pourquoi j’en ai marre ! »
« Tac, tac ! » Bof s’interrompt une nouvelle fois et comme tout le groupe, il cherche d’où vient ce nouveau bruit ! « Tac, tac ! » C’est encore une attraction de la foire ! Un ouvrier artificiel tape sa pelle sur le sol, en regardant la troupe ! « Qu’est-ce qu’il a celui-là ? » demande Marié, qui s’approche, les autres derrière lui. « C’est pour nous que vous faites ce bruit ? demande-t-il à l’ouvrier.
_ Ben, p’têt ben qu’oui, p’têt’ ben qu’ non !
_ Vous essayez bien d’attirer notre attention, non ?
_ Ouais, si on veut…
_ C’est pas si on veut ! C’est oui ou c’est non ?
_ Ben, moi j’ bosse… et vous non apparemment !
_ Qu’est-ce que vous en savez ?
_ Vous avez plutôt l’air de vous promener…
_ Donc, si je comprends, bien, vous n’êtes pas content de travailler... et vous tenez à ce qu’on le sache !
_ Ben, faut d’ la justice !
_ Donc, si j’avais une jambe en moins, j’ s’rais en droit de vous reprocher d’être valide ?
_ Hein ? Trop compliqué pour moi, m’sieur !
_ Vous croyez que transmettre votre haine va arranger les choses ?
_ Ben, y a encore aut’ chose…
_ Ah bon ? Et quoi ?
_ Ben, le garçon là, il me plaît bien… Je peux le soulager, s’il est d’accord !
_ Quoi ? Quoi ? fait Bof, qui a été désigné. Mais ça m’intéresse pas du tout !
_ Ouais, on dit ça…
_ Vous méprisez vot’ monde, pas vrai ? reprend Marié. Un p’tit caïd !
_ Ben, vous devriez pas l’ouvrir autant ! Eh ! Les gars ! Y a du bourgeois qui nous insulte ! »
D’autres ouvriers se tournent vers la troupe, avec leurs outils ! « Bon, ben, Marié, intervient Côlon, ça sert à rien d’ rester ici ! Y sont tarés de toute façon !
_ Oui, on s’en va ! C’est la sagesse même !
_ C’est une honte, oui ! jette Propre.
_ Voilà comment on est traité ! rajoute Bof. Voilà pourquoi j’en ai marre ! »
35
« Il faut faire quelque chose pour Bof ! fait Marié à Paschic. Il est à bout… et je t’avoue que j’ le comprends !
_ Et qu’est-ce que tu veux qu’ je fasse ? demande Paschic.
_ Ben, y a toujours ta magie... »
Paschic arrête la troupe et, grâce à une formule, la conduit dans un chemin creux, sous l’ombrage ! Le feuillage est tellement épais qu’il y fait presque nuit, mais la lumière y perce de sorte qu’elle a l’air de semer des diamants ! « On est bien ici ! dit Propre.
_ Pourquoi tu murmures ? lui demande Côlon.
_ Chais pas ! J’ai l’impression que de parler fort ici serait indécent !
_ En tout cas, c’est reposant ! rajoute Mécano.
_ On n’entend rien…, lâche Bof.
_ On pourrait dormir ici… », convient Marié.
La troupe, par ce chemin, arrive à une grande prairie bordée d’arbres, où coule au centre un ruisseau, parmi les joncs et sous le vol des insectes ! Là encore, il n’y a que le silence pour accueillir nos amis ! « Pourquoi on est là ? interroge Bof. Il n’y a rien ici ! Allez, moi, je m’en vais ! » Et il s’en va sous les yeux désemparés des autres, mais une forme sort de terre, celle d’une femme, qui s’élance derrière Bof et qui parvient à l’enlacer !
« Je suis l’Attente, explique-t-elle à Bof.
_ Et alors, que me veux-tu ? Tu es plutôt la mort !
_ Ah ! Tu veux du combat avec les Doms ! Ta domination a soif, comme la leur ! Tout plutôt que mon silence et mon néant apparent !
_ Exactement, j’en ai marre des échecs et de l’abandon !
_ Laisse-moi vider ton cœur, pour mieux le remplir ! Tu verras mieux ! »
Bof pousse un gros soupir et tout le monde se retrouve à nouveau dans la fête foraine : la magie de Paschic a cessé ! Et à quoi assiste-t-on ? Il y a là une attraction qui s’appelle : « Grandissez-vous ! » Il s’agit de se sentir supérieur, en montant sur une pyramide de Doms, des salariés sans doute ! On prend un ticket et l’animateur crie : « Allez, montez sur le dos de ces vauriens ! Ouais ! Ah ! Ah ! C’est ça ! Ah ! Ah ! N’hésitez pas à les salir avec vos chaussures ! Vous pouvez leur cracher d’ssus ! Ouais, on nettoiera plus tard ! Bon sang, ressentez tout votre mépris ! C’est vous le meilleur ! De toute façon, c’est vous ou eux… et il vaut mieux que ce soit vous ! Votre égoïsme vous rend vot’ jeunesse ! Ah ! Ah ! »
« Alors, Bof, qu’est-ce t’en penses ? demande Paschic.
_ Je me demande si c’est pas un coup monté, pour me dire qu’il n’y a pas d’échappatoire !
_ Un coup monté par qui ?
_ Par toi ou ta magie ! On est prisonnier de la façon dont tu penses ! »
Ils sont interrompus par un Dom, qui leur lance : « Vous savez où j’étais ce week-end ?
_ Euh… Ben non, répond Bof, soudain dérangé.
_ J’étais au festival du Grand champ ! On s’est pris une saucée, je vous dis que ça !
_ Non, mais attendez… C’est ça qui vous intéresse, qu’on sache que vous êtes allé à tel festival ? Comme c’est petit !
_ Doucement, Bof, fait Paschic.
_ Tu t’ crois meilleur p’têt ! jette le Dom. Pauvre taré, va !
_ Non mais dis donc ! s’emporte Bof, mais il est retenu par Paschic.
_ Eh ! Venez voir ! s’exclame Marié. On a là un drôle de spectacle ! »
Une Dom femme est collée à un mannequin, qui lui débite un discours pointu : « Certains médicaments sont peu remboursées ! explique-t-il. Et encore je dois les commander avec des années d’avance ! Mais même dans ce cas, il est nécessaire d’effectuer quelques préparations !
_ Mais qu’est-ce qu’il raconte ? fait Propre.
_ C’est bien barbant ! » reconnaît Mécano, étonnée que la Dom ne bouge pas ! Mais soudain celle-ci panique : elle fouille dans ses poches et ne trouve pas de monnaie ! Le mannequin finit par s’arrêter et sous les yeux médusés de la troupe, la Dom s’envole en tourbillonnant, tel un ballon de baudruche qui se dégonfle !
-
La Révolte... (28-32)
- Le 19/07/2025
"Bloooondin!"
Le Bon, la brute et le truand
28
On continue dans le cube et on voit arriver, dans une zone d’ombre, deux Doms qui ont l’air de souffrir beaucoup ! Vient d’abord une femme, qui tire avec effort un gros sac ! Derrière un jeune garçon en fait autant, avec un deuxième sac et c’est sans doute le fils de la Dom !
« Ah ! C’est pas facile ! fait celle-ci à la troupe. C’est que j’ suis plus toute jeune ! Vous vous demandez peut-être ce que je traîne comme ça, hein ?
_ Euh… répond Paschic.
_ Eh bien, je vais vous le dire, puisque vous me le demandez aussi gentiment ! Tout ça là, les deux sacs, ce sont mes courses !
_ Ah !
_ Oui… et lui, c’est mon fils qui m’aide, moi, sa pauvre mère ! Maintenant, vous vous dites peut-être pourquoi tant d’ courses ? Eh bien, je vais vous répondre, puisque vous me le demandez si gentiment ! C’est que j’ai peur ! Eh oui, la compagnie, j’ai toujours peur d’oublier quelque chose ! Hi ! Hi ! C’est bête, hein ?
_ Oui ! jette Côlon, qui reçoit le coude de Propre dans les côtes !
_ De sorte que vous prenez tout ce que vous pouvez ! fait Marié conciliant.
_ C’est cela ! C’est cela ! Imaginez que j’arrive à la maison… et que je m’aperçoive que j’ai oublié le sel, ou le café ! L’angoisse ! La terrible angoisse ! Mais, oh ! Eh ! Fils ! Les saucisses, elles sont bien là au moins ?
_ Euh…
_ Stop ! Stop ! On déballe tout ! »
La mère et le fils étalent sur le sol leurs courses et se mettent à les fouiller, à la recherche des saucisses ! La mère est de plus en plus fébrile : « C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! J’ai oublié les saucisses ! gémit-elle.
_ J’ les ai, man ! crie soudain le fils. J’ les ai !
_ Ouf ! Brave petit ! Bon, va falloir remballer tout ça ! »
Propre veut aider, mais la Dom intervient : « Tu touches à mes courses, t’es morte ! » Propre ne se le fait pas dire deux fois et recule ! La Dom et le fils sont de nouveau en sueur ! « Dites-donc, y en a des emballages plastiques dans vos courses ! jette Côlon. Pas bon pour la planète, ça !
_ Ah ! Je vois ! réponds la Dom. On vient me faire la leçon, alors que je peine et que je ne suis qu’une pauvre femme !
_ Une pauvre femme, qui peut se payer une petite fortune de courses ! réplique Côlon. Mon Dieu, combien ça peut coûter tout ça ?
_ Mais je n’ai de comptes à rendre à personne ! Je fais ce que je veux de mon argent ! Quant à la planète, après moi le déluge ! Viens, mon fils, ne restons pas avec ces gens-là ! Ils sont haineux et sales ! »
La troupe regarde s’éloigner la paire, qui courbe le dos, esclave de sa peur ! « Bon, ben, on va pas rester là ! » lâche Marié et la troupe repart de son côté ! Elle ne va pas très loin, car elle est abordée par un personnage souriant, bien en chair, bien habillé ! « Savez-vous, dit-il, que le trafic ferroviaire de la région a augmenté de 60 %, grâce à nos soins ?
_ Non, je l’ignorais…, répond Marié, qui tente de passer outre.
_ Et on peut noter la création de 50 nouvelles crèches ! continue le personnage, qui toujours affable se met devant Marié. Évidemment, c’est un effort de notre budget…
_ Évidemment… fait Marié, qui maintenant essaie d’esquiver par le côté.
_ L’activité portuaire n’est pas en reste, puisqu’elle aussi a augmenté de 30 %!
_ Je croyais que c’était 20 %!
_ Vous plaisantez évidemment ! Dix mille logements ont été trouvés et assainis ! Finies les passoires thermiques !
_ Je préfère la nature... coupe Côlon.
_ Mais nous avons encore un vaste programme de reforestation, nommé Arbo ! 150 hectares ont déjà été replantés… et on en prévoit 250 pour l’année prochaine !
_ Excusez-moi, monsieur, intervient Mécano, mais à vous entendre, je suis pris d’une fatigue subite, d’une sorte de désespoir et je ne sais même pas pourquoi !
_ Besoin de vacances ? Je vais vous donner un conseil : profitez à 100 % de nos infrastructures ! de notre eau saine, régulièrement contrôlée par l’Imfra ! Tous nos professionnels du tourisme sont à votre disposition ! Partout, nous avons veillé à ce que nos agences reçoivent le label du Sourire ! Ce sont encore plus de 150 bénévoles qui forment la chaîne d’accueil ! On ne peut pas être déçu !
_ Si ! Moi, je suis déçu ! dit Paschic. Je voudrais de l’espoir et de la vérité ! A vrai dire, je crève de soif !
_ Vous ne réussirez pas à m’ébranler ! Car vous êtes là sur mon terrain de prédilection : la culture ! Cela fait des années que je clame à chaque conseil : « La culture est vivante, aidons-la ! » et c’est ce que nous avons fait ! Vingt troupes de théâtre bénéficient de nos subventions...
_ C’est vrai ? fait Propre, soudain intéressée.
_ Bien sûr ! Que serait la région sans la culture ? Nous soutenons chaque festival ! Nous aussi, nous pensons que la liberté est dans la création, que le débat est nécessaire à la démocratie ! Dès le début de l’été, la saison est lancée ! On peut passer d’un spectacle à un autre sans temps mort ! C’est une explosion d’art ! Là encore, la région s’est montrée à la hauteur des enjeux !
_ Je voudrais dormir, dit Paschic, me reposer !
_ Un stage de yoga ? d’aromathérapie, avec une réduction pour les vélos ? Un pass été pour personne à handicap ? Une consultation psy remboursée ? Il va falloir attendre la rentrée pour ça ! Mais, après avoir fait le plein d’énergie sur la côte, ou en visitant les nombreux musées de la Route verte, nous serons prêts quand nos enfants retrouveront le chemin de l’école !
_ La troupe, moi, j’avance ! annonce Paschic.
_ Vous n’avez rien sur la mort ? demande Marié. Non, parce que vous me la rendez sympathique !
_ Ah ! Ah ! Vous plaisantez encore !
_ Mais pourquoi vous nous racontez tout ça ? interroge Côlon.
_ Mais parce que je vous dois des comptes ! Vous m’avez élu… et il est normal que vous sachiez quel travail j’accomplis ! Pas seul évidemment ! Y a toute une équipe derrière moi !
_ Sûr ! fait Mécano. Y a sûrement beaucoup de monde ! Grosse machine ! Beaucoup d’argent !
_ Mais on ne se développe pas sans investissements ! Le cube avance, le cube fonctionne !
_ Le cube avance, le cube fonctionne ! répète Mécano.
_ Le cube avance, le cube fonctionne ! » dit maintenant toute la troupe, qui s’éloigne, laissant l’élu se demander à qui il a eu affaire !
29
« Je n’arrive pas à comprendre ce monde ! fait Mécano. Depuis que nous sommes dans le cube…
_ Alors les lopettes, on s’ balade ! crie quelqu’un, à bord d’un des cubes roulants.
_ Oui, c’est plein de haine ! approuve Côlon, qui regarde s’éloigner le cube roulant.
_ Eh ! Mais c’est Santé là-bas ! » lâche Propre.
La troupe se fige et observe dans la direction indiquée par Propre. « C’est bien Santé, effectivement ! » fait Marié. Santé est devant une boulangerie, tout en blanc et il discute apparemment avec un collègue ! « Eh ! Santé ! » appelle Propre, suivie par toute la troupe, mais Santé ne semble pas heureux de les voir…
_ Eh bien, Santé, comment tu vas ? continue Propre. On était inquiet pour toi !
_ Ça va, ça va ! répond Santé, avec un ton embarrassé.
_ Qu’est-ce qu’on est content de te voir, vieux ! enchaîne Marié. Mais qu’est-ce tu fais ? Tu bosses ici ?
_ Oui, oui, je bosse ici…
_ Dans cette boulangerie minable ? demande Côlon. Le pain n’y est même pas bon !
_ Et puis, cette odeur écœurante, pouah ! renchérit Propre.
_ Cette odeur… écœurante, comme tu dis, moi, je l’aime bien ! répond Santé, maintenant hors de lui-même.
_ Qu’est-ce qui t’arrive, Santé ? Tu vas pas bien ? »
Toute la troupe est stupéfaite par l’accueil que lui fait Santé, par sa froideur ! « Pardon Santé, dit Mécano, on voulait pas te blesser ! Mais tu ne veux pas revenir avec nous ? On cherche toujours à quitter le cube !
_ Non, je veux rester ici !
_ C’est pas vrai ! jette Côlon.
_ Vous ne comprenez pas, hein ? fait méprisant Santé. Ici, je suis en sécurité ! En sécurité, vous entendez ?
_ T’étais pas bien avec nous ? demande Propre.
_ Oui et non ! J’avais toujours peur du lendemain ! Et puis, changer le monde, le porter chaque jour sur ses épaules, se mettre les gens à dos, ça va un moment ! Ici, on me demande juste de faire mon travail et je le fais ! J’ai des collègues, on discute, je suis apprécié...
_ Mais nous aussi on t’aime !
_ Vous êtes des perturbateurs, vous inquiétez ! Il faut que je vous dise : j’ai commencé à cotiser… J’ai pleuré en voyant mon premier bulletin de paye ! Je suis rentré dans le rang et j’en suis fier ! Me voilà enfin utile ! Cette odeur, mais je l’aime, je l’adore, je la sniffe ! Elle est pour moi comme un miel de sécurité ! Je ne la quitterai plus !
_ Allons, Santé, tu n’es pas sérieux ! coupe Côlon, qui veut prendre par le bras son ami.
_ Lâche-moi, ou j’appelle la police et mes collègues ! Lâche-moi !
_ Laissez-le, ils lui ont fait peur ! explique Paschic. Vous ne le voyez pas ! Il a perdu son amour et sa foi ! Il ne veut plus penser ! »
La troupe s’écarte lentement de Santé, qui reste menaçant et qu’elle ne reconnaît plus ! C’est l’incompréhension totale et des questions apparaissent : « Comment peut-on changer à ce point et est-ce que chacun peut être brisé de cette manière ? »
Mais la troupe n’a pas le temps de trop cogiter : elle est prise dans un mouvement de foule ! Les Doms convergent en un large flux, vers des immeubles ! Ce sont des tours avec plein de petites fenêtres ! Les Doms y sont progressivement répartis et devant la troupe, il y en a un très agité, qui s’essuie le front de son mouchoir !
On arrive devant les responsables qui attribuent chaque immeuble et le Dom anxieux demande : « Je ne peux pas entrer dans celui-là ?
_ Quel nom ? fait le responsable.
_ Dupuis…, avec un s !
_ Dupuis, Dupuis, avec un s, continue le responsable, en consultant une liste. Non, vous c’est le bâtiment 95 B, alors qu’ici on est au 92 F !
_ Mais… mais il est où le 95 B ?
_ De l’autre côté de la rue !
_ Vous êtes sûr que je ne peux pas entrer dans celui-ci ? L’autre me paraît loin !
_ Non, faut d’ l’ordre, sinon on ne s’y retrouve pas !
_ Bien sûr ! Mais ni vu, ni connu, j’entre dans celui-ci et…
_ Ne m’obligez pas à appeler la Sécurité…
_ De l’autre côté de la rue ? demande encore le Dom. Il faut que je traverse la rue, alors ?
_ C’est ça !
_ C’est ce que je ne peux pas beaucoup m’éloigner des murs ! C’est médical !
_ Quelqu’un peut vous accompagner, si vous voulez…
_ Je veux bien…, car tant que je suis de ce côté, je vois bien comment longer les murs…, mais après ?
_ Suivant ! crie le responsable.
_ Ben nous, on n’est pas là pour ça ! dit Marié.
_ Ah oui ? Vous voulez pas de logement ?
_ Pas ici, en tout cas !
_ Pourquoi pas ici ? Ça vous plaît pas ? C’est moi, l’architecte !
_ Bravo, bravo ! Mais on a été pris dans la foule… et on va continuer not’ chemin !
_ C’est comment vot ‘nom ?
_ Euh… Marié ! Mais je ne vois pas…
_ Marié, Marié… Tiens, j’ai justement un Marié au 92 F !
_ C’est impossible ! C’est une blague ?
_ Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? »
A cet instant, un étrange Dom à la tête cubique s’approche et dit : « Je suis le délégué du bâtiment ! J’habite ici et je suis chargé de la bonne entente entre habitants… Y a un souci ?
_ Il ne veut pas de son logement ! explique l’ingénieur.
_ Et pourquoi ça ? demande le délégué.
_ Vot’ tête là ? dit Marié.
_ Ben quoi, ma tête là ? Oh ! Elle est cubique… et c’est ça qui vous gêne ? Sachez au contraire que j’en suis fier ! Elle signale que j’habite ces immeubles modernes et sains ! On me regarde avec respect… et c’est une transformation dont vous bénéficierez, dès que vous aurez rejoint votre appartement !
_ Mais nous, on n’en veut pas !
_ Votre nom est sur la liste ! Vous allez entrer de gré ou de force !
_ Non, je ne crois pas…
_ Vous déshonorez la ville ! Des milliers de gens voudraient être à votre place !
_ Justement ! Y en a qui attendent ! crie-t-on derrière la troupe. Virez ces guignols ! »
Un bébé commence à pleurer et les regards deviennent de plus en plus lourds ! « On se reverra ! » fait le délégué, approuvé par d’autres Doms à la tête cubique, qui sont maintenant tout près ! La troupe se dégage lentement, puis elle atteint un square, où elle se détend : « On a eu chaud ! fait Côlon. Regarder dans les coins chaque jour ! »
30
« Achève-moi ! fait un buisson du square, à Paschic. Je sais que tu es un magicien et que tu peux me comprendre !
_ Mais je ne peux pas faire ça ! répond Paschic.
_ Achève-moi, je t’en prie ! Aie pitié ! Regarde-moi comme je suis ! »
Paschic examine l’arbuste et en effet, il est dans piteux état : il est couvert de poussière et son pied encombré de déchets ! « Mais je ne peux pas te tuer ! implore Paschic.
_ Si ! Il te suffit de me couper… et ma souffrance cessera !
_ Eh ! C’est vrai qu’il existe un monde, où on profite de la fraîcheur de l’eau ! où on est parmi les fleurs, avec de jolis insectes dessus ! demande un buisson plus jeune.
_ C’est vrai, mais… répond Paschic.
_ Lui, c’est un jeune ! coupe le vieil arbuste. Il croit encore à ses illusions ! Mais, moi, j’en ai fait le tour ! Je sais que je bougerais pas d’ici… et que ce sera de pis en pis ! Alors, fais ce que je te dis, achève-moi !
_ La seule chose en mon pouvoir, grâce à la magie, réplique Paschic, c’est de te faire entendre la chanson du ruisseau ! Cela te soulagera, pour un temps du moins…
_ Chic ! jette le jeune arbuste.
_ Oui, fais ça… » dit le vieux.
Paschic se concentre et on se retrouve au bord d’un ruisseau d’eau fraîche ! Au milieu, une herbe y est posée, comme le bras d’un tourne-disque et lentement le ruisseau entonne sa chanson : « Je suis le ruisseau de cristal !
Aux mille couleurs !
Aux mille enchantements !
Aux mille remous qui murmurent !
Je suis la chanson douce et fraîche !
La chanson de la vie !
Vois comme j’abreuve,
Comme je plais et nourris !
Comme je serpente
Parmi les plantes !
Écoute comme je rigole !
Comme je suis sage !
C’est mon secret !
A la fois fort et faible !
A la fois limpide ou fou ! »
« C’est fini ! fait Marié à Paschic, en montrant le vieux buisson. Il est mort, ses feuilles ont subitement noircis !
_ Au moins, il sera parti en paix…
_ Emmène-nous avec toi ! crie le jeune buisson. Nous laisse pas ici, le magicien !
_ Je ne peux pas… Je n’en ai pas les moyens, mais je lutte pour sortir d’ici et défendre votre cause !
_ Nous laisse pas, je t’en prie ! »
Paschic et Marié font signe au reste de la troupe de quitter le square, mais les appels déchirants du buisson ne laissent pas insensibles Propre et Mécano, qui versent une larme. « C’est vrai qu’on ne peut rien faire pour eux ? demande Mécano à Paschic.
_ Bien sûr ! Comment veux-tu les porter ? Et pour les mettre où ? répond Marié.
_ Vous savez comme moi, renchérit Paschic, que le cube est en train de tout absorber dehors ! Vous vouliez lui dire ça, au buisson ? »
Personne ne dit rien pendant un moment et le soir tombe, car même dans le cube il y a des jours et des nuits ! Soudain, on entend quelqu’un courir et un visage sort de l’obscurité ! « Au secours ! Au secours ! crie-t-il.
_ Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui s’ passe ? demande Marié, qui s’empresse auprès du Dom inconnu.
_ Il est là derrière moi ! répond le Dom essoufflé. Il me poursuit pour me tuer !
_ Mais qui ? Qui veut vous tuer ? fait Marié, qui scrute l’obscurité, ainsi que le reste de la troupe, sans rien voir !
_ Mais… mais le Bonjour dans le dos !
_ Le Bonjour dans le dos ?
_ Mais oui ! Mais je ne peux pas vous en parler ! Il va surgir !
_ Allons, allons, vous divaguez…, lâche Côlon.
_ Mais non, si je parle, il va me frapper !
_ Bonjour ! entend-on dans le dos du Dom.
_ Bonjour ! répond machinalement Marié.
_ Aaaargh ! fait plaintivement le Dom inconnu, avant de s’écrouler.
_ Il… il est mort ! s’étonne Paschic, penché sur le corps et qui le retourne, pour voir qu’une flèche y est planté, qui dit par sa forme : « Le Bonjour dans le dos ! »
_ Bon sang ! Il ne mentait pas ! fait Marié.
_ C’est de ta faute ! dit Côlon à Marié. Tu as répondu au bonjour !
_ Mais, mais j’ai répondu au bonjour par politesse ! D’ailleurs il est où celui qui a dit bonjour ? »
Les yeux fouillent de nouveau l’obscurité, mais il n’y a personne ! « Il a un message dans sa poche…, indique Paschic, qui commence à lire : « Si vous lisez ceci, c’est que le Bonjour dans le dos m’aura eu ! Depuis toujours, il essaie de me faire croire que je n’existe pas, que je ne suis rien, méprisable ! A chaque fois que je parle à quelqu’un, il surgit et on lui répond, comme si j’étais transparent ! Je lègue mon gramophone à mon cousin, Albert… Il habite, etc., etc. ! »
_ Pauvre type ! lâche Colon.
_ Mais qui est derrière tout ça ? demande Marié. Qui lance le Bonjour dans le dos ?
_ Sans doute des Doms qui veulent écraser, dominer encore davantage ! explique Paschic. Venez, ne restons pas ici…, sinon nous aurons nous-mêmes des ennuis ! »
La troupe repart…
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« Je ne sais pas si tu as remarqué, dit Marié à Paschic, mais il y a de plus en plus d’écrans dans l’ coin !
_ Oui, on doit approcher du centre... »
Sur les écrans, on voit toujours le même Dom, qui serre des mains, qui pose pour le photographe, lors d’inaugurations ! Le son des images devient soudainement audible pour la troupe, qui presque malgré elle entend l’interview du Dom ! « Je rappelle que vous êtes président de région, dit la journaliste.
_ Ah ! Ah ! Non, je suis président du département !
_ Ah ! Ah ! Mais il est vrai qu’on vous voit souvent au conseil de la région !
_ Oui, parce que j’ai aussi des amis conseillers de région !
_ Et la région travaille avec le département...
_ Bien sûr…, avec les conseillers du département !
_ Et vous étiez vice-président chargé des territoires, il y a peu !
_ Oui, attaché au deuxième canton !
_ On peut dire que votre ascension est fulgurante !
_ Peut-être… Mais pourquoi l’est-elle ? Parce qu’il y a des défis à relever !
_ C’est pourquoi vous êtes encore président du CNJI et du BROG ?
_ Je suis là où il faut que je sois ! pour mieux agir !
_ D’aucuns vous suspectent de vouloir devenir ministre !
_ « D’aucuns » ne sera jamais content, de toute façon ! Nous faisons des promesses et nous les tenons ! Nous aidons tous les projets, destinés au développement du cube !
_ Alors, vous avez une cause qui vous tient particulièrement à cœur…
_ Oui, c’est la santé mentale des jeunes ! Nous voulons investir massivement, pour créer des infrastructures, capables d’accueillir les jeunes en difficultés ! Il faut que chaque commune puisse disposer d’un centre d’aides ! Il est nécessaire que des spécialistes soient à l’écoute, que les études sur le sujet aboutissent, qu’on ait accès au meilleur matériel ! C’est le nouveau cap du département, de sorte qu’il soit un exemple pour l’ensemble du cube !
_ On parle beaucoup de la machine CRT 67, qui donne de l’espoir et du rêve ! Vous en pensez quoi ?
_ Oui, nous en avons déjà commandé deux… et nous verrons les résultats ! Encore une fois, nous voulons être sur tous les fronts ! Il ne sera pas dit que j’aie été un mauvais président !
_ Vous parlez de votre poste au passé ! Vous avez bien des ambitions cachées !
_ Chut ! Pour l’instant, je dois ramener du poulet à la maison, pour obéir à ma femme ! C’est là ma mission !
_ Ah ! Ah ! Merci. »
« Ben, faudrait pas moisir ici ! dit Marié à la troupe. Car c’est ma santé mentale qui va être en péril ! » Chacun acquiesce, mais subitement un Dom percute Marié, en se parlant à lui-même : « Ah ! Les salauds ! Les fumiers ! fait-il.
_ Eh ! » crie Marié, encore choqué, mais le Dom a déjà disparu !
Puis, c’est au tour de Côlon d’être bousculé, par un autre Dom, qui lui aussi ne fait pas attention, tout en jetant : « De toute façon, on n’y arrivera pas ! »
Côlon regarde ce Dom bizarre, quand Propre et Mécano sont également heurtées et elles entendent : « Toujours les mêmes qui s’empiffrent ! », « Des incapables ! Rien que des incapables ! »
Maintenant, des centaines de Doms arrivent, avec tous la même attitude : ils sont bourrus, en colère, indifférents à ceux qui sont sur leur chemin ! C’est un concert de plaintes : « Ils prennent dix pour cent ! 10 %! », « On les aura ! », « Injustice, parle-moi de ton nom ! », « Des crevures ! », « Le gouvernement va tomber, Hi ! Hi ! », « Il faut supprimer les taxes ! », etc. !
Les Doms jurant et grondant sont de plus en plus nombreux, de sorte que la troupe doit trouver refuge sur un bord, où elle avance avec précautions ! « On a failli être emporté ! dit Paschic.
_ Un vrai torrent ! approuve Marié.
_ Je me demande d’où ça vient ! »
La troupe arrive au pied d’un cube gigantesque, qui forme un site extraordinaire ! La chute est là ! Des milliers de Doms jaillissent du haut de la paroi et le débit est tellement fort que la sueur monte iridescente, à travers la lumière ! « Fantastique ! s’écrie Marié.
_ Comme j’aimerais prendre une photo ! dit Propre.
_ Faudrait pas tomber d’ d’ans ! fait Côlon. Ce s’rait la mort assurée !
_ Chute de… l’Ego ! C’est écrit ici ! précise Mécano.
_ Hein ? Tu es sûre ? demande Paschic, qui rejoint Mécano devant une pancarte. J’en avais entendu parler, mais je pensais que c’était une légende.
_ Ben non, tu vois ! répond Mécano.
_ Allons, les enfants ! reprend Paschic. Il y a un sentier qui mène au sommet ! On ne va pas rester ici ! »
La troupe commence son ascension, non sans recevoir de la vapeur et des échos, qui chantent encore : « Faut réduire les aides ! », « Diminuer les gros salaires ! », « Cubxit ! »
32
Plus tard, la troupe dépasse le sommet de la chute et se retrouve devant un cours de mécontents plus calme ! Des bras parfois émergent cependant du flux ou une camionnette en saute rageusement, comme un poisson qui goberait un insecte ! Un Dom sur le bord mange un sandwich et en voyant passer la troupe, il jette : « Alors, les jeunes, on s’ balade ! C’est bien : faut profiter ! »
La troupe est un peu interloquée, vu qu’elle n’est plus aussi jeune que ça ! Mais c’est dans l’esprit des Doms : si on est calme et souriant, on est forcément un rêveur, un idéaliste, quelqu’un qui n’est pas encore aux prises avec les vraies réalités de la vie, qui sont bien entendu les factures et le travail !
Paschic ne se laisse pas démonter, tant il sait combien l’attitude des Doms peut avoir d’absurde ! « Excusez-moi, dit-il au Dom, mais nous cherchons à quitter le cube ! Peut-être pouvez-vous nous donner une indication ?
_ Oh la ! Mais je n’ai pas le temps pour ce genre d’histoires !
_ Vous avez le temps pour quoi ?
_ Pour une chose que tu connais pas : le travail ! C’est bien gentil de buller, mais y a les traites à payer !
_ Le but de la vie n’est-il pas d’être heureux ? demande encore Marié. On pourrait vous aider de ce côté-là…
_ Sûrement, mon garçon, mais je n’ai pas le temps ! »
Et le Dom, qui a fini son sandwich, fait rugir son moteur, avant de se précipiter dans le fleuve qui mène à la chute ! « Il y va tout droit ! dit Côlon.
_ Oui, le monsieur est pressé !
_ A propos de sandwich, moi, j’ai faim ! dit Propre.
_ Il y a justement une boulangerie là ! », précise Mécano et chacun s’y dirige !
A l’intérieur quel ravissement ! Il y a des dizaines de petits gâteaux, tous plus appétissants les uns que les autres ! « Miam ! dit Propre.
_ Tu parles ! » renchérit Mécano.
Toute la troupe a des yeux d’enfants ! Pourtant, l’ambiance est très différente chez les Doms qui font la queue ! On y sent une tension extraordinaire ! Que se passe-t-il donc ? Est-ce une distribution pour les seuls premiers ? Ne vend-on en définitive qu’un unique gâteau ? Le pain vaut-il cent mille euros ?
Personne n’est content ! Nul ne se réjouit dans ce temple des merveilles, mais au contraire chacun y semble exaspéré, se demande combien de temps il va attendre, si on ne va pas abuser de lui, le faire patienter plus que de raison, ou pire prendre son tour !
L’incident peut éclater à tout moment ! La crispation est palpable, puis le drame arrive : Côlon marche imprudemment sur le pied d’un Dom ! Celui-ci tire de son pantalon un fusil à canon scié ! Le voyant, le boulanger se tourne vers Côlon et lui jette : « T’as de quoi payer ? » Il sort en même temps un P 38 ! On entend une Dom dire : « Penses-tu des étrangers ! »
Quelqu’un ouvre le feu et on riposte ! La vitrine éclate en morceaux ! Les gâteaux sautent sous les balles ! La troupe se couche, rampe et au-dessus ça canarde sec, comme si on avait des siècles de frustrations ! D’autres Doms entrent, à cran eux aussi et la fusillade reprend de plus belle !
Paschic a réussi à se saisir d’un chou à la crème et il s’en régale, en atteignant la sortie ! Côlon bénit un cake, Propre une tartelette à la fraise ! Mécano protège un chausson aux pommes ! La troupe réussit enfin à se retrouver dehors et respire l’air frais ! A l’intérieur, l’odeur de la poudre a tout envahi et des cadavres jonchent le sol !
« Complètement tarés ! fait Marié, les joues pleines d’un éclair.
_ Hum ! Parfait ! s’exclame Propre, gourmande.
_ Qu’est-ce qui s’est passé dans la boulangerie ? demande Mécano, qui fait tomber de la compote.
_ Aucune idée ! répond Paschic. Venez, par ici il y a de l’ombrage ! »
On se met au frais et on finit de manger. « On a beaucoup de chances ! dit Marié, c’était super bon !
_ Oui, y en a qui souffrent de la faim ! approuve Propre.
_ C’est pas le cas des Doms, malheureusement ! rajoute Côlon.
_ Non, leur problème est ailleurs ! renchérit Paschic. Je me demande si ça pas à voir avec la spiritualité…
_ Probab ! jette Marié, avant de se désaltérer.
_ Hypothèse : moins on a de spiritualité et plus on a de besoins et plus on est inquiet et envieux !
_ T’as encore de la crème, Paschic ! » fait en souriant Mécano.
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La Révolte... (23-27)
- Le 12/07/2025
" J'étais sûr que vous viendriez!"
Une Aventure inattendue, Le Hobbit
23
Paschic et « ses » Doms émeraude vont sur les routes, autour des Monts Bleus, présenter leur pièce, s’arrêtant dans les villages, où on leur fait bon accueil ! Les villageois ne comprennent pas toute la pièce, car son univers est bien trop nouveau pour eux, mais ils sentent qu’elle répond à certaines de leurs préoccupations ! Ils ont « soif » d’espoir eux aussi et voilà que ce spectacle leur donne une eau fraîche ! Les comédiens sont donc bien applaudis, même si la haine n’est jamais loin, car il y a des réactions hostiles, épidermiques ! Certains voient leur monde attaqué et même s’ils ne sont pas heureux, ils crient au scandale et lèvent le poing !
Cependant, la troupe voyage avec deux charrettes, tirées par des chevaux ; l’une servant au matériel et l’autre au logement ! Inutile de dire que l’ambiance est bonne, car l’aventure est complète et chacun est complètement engagé ! Il s’agit d’exprimer tout ce qu’on a sur le cœur et qui pourrit l’individu, si c’est muselé ! On a bien conscience de proposer un tout autre monde, que celui qui est en place et qui est malade !
Ce jour-là, on arrive dans un village étrange, abandonné… Les maisons sont vides et reprises par la végétation… et elles ont l’air d’avoir été quittées brusquement ! Le mobilier est encore là et sur les tables, il y a des assiettes, quoique recouvertes de poussière ! La troupe ne comprend pas et suppose une catastrophe, une épidémie qui aurait poussé les gens à fuir...
Soudain, il y a un fracas épouvantable à l’extérieur et chacun s’y précipite ! Que voit-on ? Un nuage de poussière qui aveugle et des roues immenses, qui pourraient broyer n’importe quoi ! La troupe se jette sur le côté, pour ne pas être écrasée et « l’engin » poursuit sa course, toujours dans le même vacarme !
On s’époussette, encore abruti, on s’étonne, mais on décide de reprendre la route et bientôt les charrettes retrouvent la paix des arbres ! Pas pour longtemps malheureusement, car voilà qu’une surprenante « rivière » arrête les voyageurs ! Elle est faite d’un métal miroitant et va très vite et il semble impossible de la traverser ! On y laisserait la vie apparemment ! Qu’est-ce que c’est ? Cela produit aussi du bruit et le débit est incessant ! Il en émane une sort ede rage ou de folie ! D’où cela peut-il provenir ?
En tout cas, la troupe doit faire demi-tour, mais dans quelle direction ? Existe-t-il un passage plus loin ? Un sentiment d’angoisse étreint soudain les cœurs, car qu’est-ce que tout cela veut dire ? Le monde est-il envahi par une espèce mutante ? Mais alors il faudrait combattre, repousser l’ennemi ! Mais peut-on déjà l’identifier ? Que voit-on à part des objets qui vont très vite et qui effraient par leur vacarme ?
La troupe est désarçonnée et ne sait quel parti prendre ! Mais elle n’a pas le temps de réfléchir : elle est surprise par un cube blanc, qui violemment écrase les arbres ! Le cube se multiplie, à mesure qu’il avance ! Il est là, puis là et déjà encore là ! A chaque fois, il secoue le sol et fait place nette ! C’est comme s’il avait une tête, qui cherchait à happer le plus d’espace possible !
La troupe essaie de calmer les chevaux, qui paniquent ! Peine perdue ! Ils s’emballent, fracassant les charrettes derrière eux ! Libres enfin, ils disparaissent et la troupe en reste médusée ! Puis, le cube vient la recouvrir, alors que les visages sont en sueur, sans points de repères !
Paschic et les Doms émeraude se retrouvent dans une vaste salle refroidie et pleine de blancheurs ! Des Doms, à l’air sévère, y circulent silencieusement… La troupe ne sait que faire… Elle paraît brusquement sale et en haillons ! Elle est gênée… Un Dom émeraude, nommé Santé, car il s’inquiète souvent de la sienne, est interpellé par une Dom, de derrière un guichet : « Nom, prénom, adresse et numéro social !
_ Hein ?
_ Dépêchez-vous ! Je n’ai pas que ça à faire !
_ Mais… , mais je viens des Monts Bleus… et on a vu un cube… et...
_ Si je comprends bien, vous n’avez pas de numéro ?
_ De numéro ? Oh, eh bien, dans la troupe, si, j’ai un numéro !
_ Eh bien, donnez-le-moi !
_ Vous voulez que je fasse ma petite danse, là, devant vous ?
_ Écoutez, si vous n’avez pas de numéro, retirez-vous !
_ Mais…
_ Oh ! Et puis, ça suffit ! Ici, le guichet 4 ! Ici, le guichet 4 ! Nous sommes en face d’un individu qui n’a pas de numéro ! Ah ! Ah ! Regardez-le tous ! Il n’a pas de numéro ! Quelle honte ! »
A la grande surprise de la troupe, tout le monde se met à rire dans la salle ! Santé est montré du doigt, moqué, car il n’a pas de numéro ! Des visages haineux et méprisants se tournent vers lui et il sent ses jambes se dérober ! Il a peur devant toutes ces faces hostiles ! Puis un géant s’approche, en tenant dans la main une noix ! « Alors comme ça, tu n’as pas de numéro ? fait-il à Santé et sa main écrase la noix, qui tombe en poudre.
_ Non, m’sieur ! répond plaintivement Santé.
_ Tu te fous de not’ gueule, hein ? »
Santé transpire abondamment et il cherche quoi dire, mais il n’en pas le temps ! Une lumière s’allume, un chiffre apparaît quelque part et une trappe s’ouvre sous Santé, qui n’est plus là ! Le géant se tourne vers les gens et en particulier il parle à la troupe : « Voilà ce qui arrive quand on n’a pas de numéro ! dit-il. On n’a rien à faire ici !
_ Il faut être un peu sérieux ! » renchérit la Dom du guichet.
La troupe est interloquée et elle se demande ce qui va lui arriver !
24
« Tu pourrais essayer la magie ! » fait Marié à Paschic. Marié est un Dom émeraude, qui a reçu ce nom, car il se demande chaque jour si sa vie ne serait pas plus facile, s’il était marié ! C’est un anxieux chronique ! « En effet, répète-t-il à qui veut l’entendre, si j’étais marié, je m’interrogerais moins sur ce que je dois faire ! Ma femme me dirait : « Fais ceci, fais cela ! » et je le ferais !
_ Tu as raison, Marié, lui répond-on. C’est toi qui vois ! La solitude, ce n’est peut-être pas très bon pour toi !
_ D’un autre côté, serais-je encore moi-même ? Est-ce que je ne risque pas de devenir esclave ? Eh ! Eh ! »
Marié ne sait à quoi se résoudre et ses interlocuteurs finissent par se lasser ! « De la magie, de la magie ? dit Paschic. T’en as de bonnes, toi ! On ne fait pas de la magie, comme on sort son mouchoir !
_ Mais dis donc ! La reine Beauté t’a bien enseigné la magie, oui ou non ?
_ Oui, oui, mais on ne sait même pas où on est !
_ Santé vient de disparaître dans une trappe… et ça va être notre tour ! »
Effectivement, le géant leur fait face et il a l’air menaçant ! Paschic décide donc d’avoir recours à la magie ! Il prononce une formule et ouvre subitement les bras ! Un chêne, un vieux chêne est maintenant devant le géant ! Il bâille, s’étire et ouvre des yeux encore ensommeillés ! Visiblement, il faisait une sieste quelque part… « Ouwaaa ! lâche-t-il, sous les yeux ronds du géant. C’est toi le costaud qui fait peur à mes amis ? »
L’arbre se penche, pour mieux voir à qui il a affaire, et il serre les poings, des nœuds qu’il a bout de ses branches ! Ses muscles alors se gonflent, de sorte que son écorce se dilate et c’est impressionnant ! Le géant avale difficilement sa salive : il ne fait pas le poids ! « C’est que… bafouille-t-il.
_ C’est que quoi ? demande le chêne.
_ Ben, ils n’ont pas de numéros !
_ Et alors ? hurle le chêne. »
L’arbre, qui a résisté à maintes tempêtes, vient de crier si fortement que le géant s’est recroquevillé ! « Est-ce un crime de ne pas avoir de numéro ? poursuit-il.
_ Non, non, évidemment !
_ Donc, mes amis vont pouvoir repartir tranquillement ?
_ Oui, oui !
_ Je ne serai pas obligé de te donner des baffes ?
_ Non, non !
_ Bien, l’incident est clos ! Sais-tu que j’ai un nid sur la troisième branche et que la femelle pigeon est en train de couver ses œufs ?
_ Non, non, je ne le savais pas ! répond le géant, à présent en sueur.
_ Je te préviens : si elle a eu peur, à cause du dérangement, je vais te botter les fesses avec mes racines !
_ Euh…
_ Vérifie !
_ Hein ?
_ Vérifie ! Monte doucement sur la troisième branche… et vérifie que la pigeonne est toujours là, bien tranquille !
_ Mais…
_ Vas-y ! Il t’arrivera rien ! »
Le géant, en tremblant, touche l’arbre et commence à grimper ! Il fait attention à ne pas faire de bruit ! Puis, dans le feuillage, il regarde et aperçoit la femelle pigeon bien installée sur le nid ! L’oiseau a tout de même un œil méfiant sur l’intrus ! Mais le géant est soulagé et il descend au pied du chêne ! « La femelle est toujours là ! dit-il avec un sourire.
_ Bien ! fait le chêne. Tu as découvert un spectacle charmant, n’est-ce pas ?
_ Oui, c’est beau à voir !
_ Eh ben, voilà ! Tu n’es pas un monstre après tout !
_ Non, non…
_ Tu es maintenant un nouvel homme, ouvert à tous, respectueux des autres !
_ Oui, oui !
_ Retourne donc à ton travail… et je vais pouvoir m’en aller ! »
Le géant fait demi-tour et rejoint les guichets, droit comme un i ! Le chêne a un clin d’œil pour Paschic et il disparaît ! « Bon sang ! Comme il l’a remis à sa place ! s’enthousiasme Marié. Ta magie, Paschic, elle a marché super bien !
_ Oui, mais ce n’est pas toujours le cas ! Allons, on doit sortir d’ici !
_ Et Santé ? demande Marié.
_ Il faut le récupérer…, mais on n’y arrivera pas, sans comprendre où on est ! »
25
La troupe sort de la salle et découvre ce qui doit être l’extérieur, dans le cube, puisque la circulation y apparaît libre ! Mais cela ne veut pas dire qu’on voit le ciel, ni qu’on entend les oiseaux, loin s’en faut !
Les amis avancent donc, entre des cubes, prudemment, mais soudain il y a un tremblement, avec un bruit aigu ! Le mur à côté vole en éclats et un Dom en sort, muni d’une perceuse géante ! Il a un habit jaune et un casque ! Il crie, il appelle et dans le mur d’en face apparaît une scie, qui découpe en hurlant ! Puis, un autre Dom, vêtu comme le premier, devient visible quand le mur s’écroule !
Les deux Doms se sourient, se tapent dans les mains et se remettent à gesticuler ! Une pelleteuse dans les airs leur répond ! Elle arrache un cube et le dévore ! Les restes du cube veulent s’enfuir, mais ils sont ramassés par un autre engin, pour être jetés dans un camion !
La troupe est dans la poussière ! « Faut s’en aller d’ici ! dit Marié.
_ Qu’est-ce que tu dis ? crie à son tour Paschic.
_ Je dis qu’il faut s’en aller ! hurle Marié.
_ A cause du bruit ? » sourit Paschic.
Puis, les deux imitent les Doms ouvriers : Marié tient une perceuse imaginaire et tout son visage est hors de lui ! Paschic a la scie, grimace et zèbre l’air ! Les autres Doms émeraude imitent la pelleteuse ou le bulldozer, la main en crochet ou les joues gonflées ! Il y en a même un, le dos cassé, qui joue le camion ! C’est plus fort qu’eux, chez ces acteurs de théâtre : il faut qu’ils reproduisent ce qui les perturbe, pour mieux s’en distancier !
« Eh ! Vous là-bas ! crie un Dom. Vous vous moquez de ceux qui bossent ? » La troupe s’arrête immédiatement et disparaît dans le nuage de poussière !
Elle retrouve le silence, enfin pour une seconde, car un étrange Dom vient à leur rencontre ! C’est un Dom radio ! Apparemment, dans le cube, on greffe des radios sur certains individus ! Partout où ils vont, on entend leurs musiques, leurs émissions ! Si on débranche leur radio, meurent-ils ? Ont-ils déjà écouté le vent, les oiseaux ? Recherchent-ils d’autres Doms radio, pour s’accoupler ?
En tout cas, l’étrange personnage passe devant la troupe, alors qu’elle est encore sous l’effet de la poussière, et elle a l’impression de croiser une créature venue de l’espace ! Mais dans le cube, qu’est-ce qui est normal ?
« Eh ! Mais c’est ici qu’aboutit la rivière argentée ! » s’écrie Marié et en effet, le cours que n’avait pu traverser la troupe, hors du cube, montre ici de quoi il est constitué ! Jamais peut-être la troupe n’a vu spectacle aussi incroyable ! Des cubes de métal, déguisés en rois ou en reines, s’exhibent au bord de la rivière ! Ils ont cessé d’aller vite et regardent le monde d’un air hautain ! « C’est moi le plus beau ! dit un cube de métal.
_ Non, c’est moi ! C’est évident ! Je suis plus rapide, plus puissant ! fait un autre.
_ Bande de va-nu-pieds ! jette un troisième. Non, mais regardez-moi ! Ça, c’est de la finition, de la belle peinture ! Ça, c’est du moteur !
_ Hi ! Hi ! Rattrapez-moi, si vous le pouvez, s’écrie une reine. Je suis fine, rapide et élégante ! Allez, vous en mourrez d’envie ! »
La troupe croit rêver ! « Qui sont ces gens… ou ces choses ? se demande-t-elle. A quoi ça sert ? Au transport ? » La troupe se gratte la tête : elle ne voit pas ! Mais elle ne peut pas réfléchir longtemps, car voilà Marié qui bute dans une Dom allongée à même le sol ! « Oh ! Pardon ! fait-il.
_ Mais ça va pas ! s’écrie la Dom. Vous pouvez pas faire attention ?
_ Excusez-moi, répète Marié. Mais quelle idée aussi de se coucher sous le pas des gens !
_ Mais monsieur me fait la morale ! J’adoooore ! Monsieur est sans doute de droite, bien-pensant, mainstream !
_ Euh…
_ Le bourgeois parfait ! Mais j’ai pas le choix, moi ! J’ suis écrasée par le système ! sans un rond, obligée de me nourrir dans les poubelles !
_ Pouah ! fait la Dom émeraude nommée Propre, parce qu’elle ne se calme qu’en faisant le ménage.
_ Qu’est-ce qu’il y a, la princesse ? T’as jamais vu une SDF, une mendiante ? Eh ! C’est qu’ y a d’ la misère, en ce bas-monde ! »
Chacun dans la troupe commence à mesurer la détresse et l’absurdité du cube, puisque à côté des cubes métalliques, déguisés en rois, existent des gens aussi pauvres et malheureux ! « N’aurez pas une petite pièce par hasard ? demande la Dom mendiante.
_ Euh…, fait Marié qui se fouille, sans succès, ainsi que le reste de la troupe. Eh ! Mais Paschic, ta magie est là, non ? Tu peux faire apparaître de l’or, pour la dame !
_ Non, la magie ne peut pas permettre de s’enrichir ! sinon elle ne serait pas magique !
_ Hein ?
_ Cherche pas, Marié ! Y a des choses qui t’échappent, c’est tout !
_ Mais on va pas laisser cette femme comme ça, dans sa crasse !
_ Eh ! oh ! Dites donc ! fait la SDF. Droitard ! Conservateur ! Néolibéral ! »
_ Qu’est-ce qu’elle dit ? » lâche Propre.
Paschic soupire, marmonne une formule et étend les bras ! Un ruisseau vient couler aux pieds de la mendiante, dont les yeux s’éclairent, car le fond est pailleté ! « De l’or ! De l’or ! » s’écrie-t-elle et elle se met à creuser la vase frénétiquement ! « Ça va l’occuper ! dit Paschic. L’important, c’est de rêver, non ? « La troupe ne répond rien et on s’en va…
26
Est-on toujours dans le nuage de poussière… ou bien la brume s’est-elle levée ? En tout cas, on marche dans un univers vaporeux, trouble, aux contours incertains ! « Là ! s’écrie Marié.
_ Quoi là ? fait Paschic.
_ Y avait une tête ! Et elle nous regardait méchamment !
_ T’as dû rêver ! Continuons !
_ Là ! s’écrie Propre.
_ Quoi là ? fait Paschic, de plus en plus nerveux.
_ Y avait une tête ! Et elle nous regardait méchamment !
_ C’est pas vrai ! Vous perdez la boule ou quoi ! »
Mais Paschic se tait brusquement, car il voit aussi une tête dans la brume, qui le fixe avec une haine mauvaise ! Maintenant, toute la troupe ne peut plus ignorer le phénomène, car autour des visages pleins de mépris, masculins ou féminins, sont de plus en plus nombreux ! « Apparemment, on nous en veut ! lâche Marié.
_ Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Propre.
_ Je ne sais pas ! répond Paschic.
_ M’est avis que vous leur avez fait une crasse ! réplique le Dom émeraude appelé Côlon, car il souffre de là, de sorte qu’il a souvent la main sur le bas-ventre, pour calmer la douleur ou se protéger des émotions !
_ Moi ? jette Paschic. Mais j’ suis comme vous : c’est la première fois que je viens ici !
_ Chef, on ne hait pas sans raison ! rajoute sentencieusement Côlon.
_ Je t’assure que je connais pas ces gens ! Et ne m’appelle pas chef !
_ Si je le fais, c’est parce que vous avez l’air de penser plus que les autres ! Je dis bien : vous avez l’air !
_ Trop aimable, Côlon. Mais il vaut mieux s’en aller… et rester indifférent à ces êtres malveillants !
_ Bravo chef, ça, c’est parler ! »
La troupe se tient raide parmi les faces haineuses et arrive dans un conduit sale et chaud ! « Beurk ! fait Propre. Où est-ce qu’on est ?
_ L’important, c’est de sortir du cube ! lâche Marié.
_ Mais j’y pense… coupe Côlon, si le cube se développe, à mesure qu’on y progresse, comment on pourrait en sortir ?
_ Là, c’est du pur Côlon ! réplique Marié. Inquiéter, sans donner de solutions !
_ Eh, mais dis donc... »
Côlon n’a pas le temps de terminer sa phrase, car un bruit assourdissant fait sursauter tout le monde ! Puis, le bruit s’amplifie, se répète, semble pris d’une sorte de rage ! Chacun étouffe, est en sueur, au bord de la panique, tandis que Mécano, une autre Dom émeraude, reste calme et inspecte le conduit ! Profitant d’une baisse du bruit, elle déclare : « On est à l’intérieur d’un moteur !
_ Tu es sûre ? » demande Marié.
Pour toute réponse, Mécano montre ses doigts noirs et elle ajoute : « On est à l’intérieur d’un moteur… et quelqu’un s’amuse avec l’accélérateur !
_ Drôle de façon de s’amuser ! réplique Marié.
_ On dirait plutôt qu’on appuie sur la pédale avec colère ! réussit à dire Côlon. Remarque, je comprends !
_ C’est intenable ! s’écrie Propre, les mains sur les oreilles. En plus, ça pue !
_ Les gaz… explique Mécano.
_ On fout le camp ! » jette Paschic.
De nouveau la troupe fuit et bientôt le bruit n’est plus qu’une rumeur ! Toutefois, on se retrouve devant un croisement, où chaque tunnel est pareil à l’autre ! « Bon, on fait quoi maintenant ? demande Marié.
_ Chais pas ! répond Paschic.
_ Et ça se dit chef ! lâche Côlon.
_ Quelqu’un a une idée ? » se contente de répondre Paschic.
Chacun se gratte la tête et fait un signe d’impuissance ! « C’est bizarre, enchaîne Marié, j’ai l’impression de ne plus me connaître !
_ Moi aussi, j’ai cette impression ! s’écrie Propre. C’est pénible ! Et même angoissant !
_ Une seconde, une seconde ! fait Côlon. D’abord qui sommes-nous et qu’est-ce que nous faisons ici ?
_ Eh bien… Il ne faut pas perdre de vue tout de même que nous sommes des êtres humains !
_ Juste ! approuve Côlon. Mais qu’est-ce que va veut dire au fond ?
_ Zut ! lâche Propre. J’allais te répondre, mais j’ai oublié !
_ T’en pense quoi, Paschic ? demande Marié.
_ J’ pense pas, parce que ça me fatigue ! »
De son côté, Mécano a encore repéré un truc, sur le mur, et elle fait signe aux autres d’approcher ! Ils lisent sur une plaque : « Aspirateur de pensées 456 » ! « Bon sang ! Un aspirateur de pensées ! s’écrie Marié. On aurait dû y penser ! » Chacun lève la tête et découvre une bouche, par où donc s’échappent leurs pensées ! « J’ai quand même l’idée qu’il ne faut pas rester là ! » dit Paschic et la troupe se remet en mouvement, prudemment, s’efforçant de reprendre conscience d’elle-même !
« La vache ! Un sacré piège ! » lance Côlon, mais personne ne lui répond, tant on est maussade ! Cependant, une certaine obscurité se fait, tandis qu’on perçoit des voix !
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La troupe approche silencieusement et entend maintenant ce qui se dit : « Non mais attends, j’étais là avant que Lucien n’arrive ! J’ai plus d’ancienneté que lui ! lance quelqu’un.
_ Et ? réplique un autre.
_ Et c’est donc à moi de commander !
_ Minute ! fait un troisième. Michel m’a dit que tu allais être muter !
_ Hein ? Quand il t’a dit ça ?
_ J’ sais plus ! De toute façon, ils vont réformer tout le service !
_ Comment ça ?
_ Ben, déjà, tu pourras plus manger avec un seul ticket !
_ Qu’est-ce que tu racontes ? coupe un quatrième.
_ La vérité ! Il faudra maintenant deux tickets !
_ Les salauds ! fait le premier.
_ Pfffouuui ! crache le second.
_ On s’est quand même bien amusé hier soir ! dit le troisième.
_ Oh ouais ! Hi ! Hi ! approuve le quatrième. Oh ! Il était plein l’Antoine !
_ Il sort toujours avec la petite du troisième ! demande le premier.
_ Non, j’ crois qu’il a changé ! marmonne le second.
_ C’est pourtant un sacré morceau ! objecte le troisième.
_ Je lui raconterais bien une histoire cochonne à celle-là ! ajoute le quatrième.
_ Rêve pas !
_ N’empêche ! C’est moi le plus ancien, reprend le premier, et c’est moi qui devrais commander ! »
Rassurée sur ce qu’elle entend, la troupe se décide à se mettre à découvert et elle surprend quatre Doms, en tenue de travail, chacun portant des outils ! Les Doms ont le visage inquiet, puis ils deviennent hautains, jusqu’à ce que l’un d’eux demande à la troupe : « Qu’est-ce vous faites là ? C’est pas encore ouvert au public !
_ Ben, on fait qu’ passer ! répond Paschic. Mais c’est quoi ici ? Enfin, j’ veux dire, vous faites quoi ici ?
_ Mais ça se voit pas ? On bosse, nous !
_ Ça t’ défrise ? rajoute le Dom le plus petit et qui roule sa clope.
_ Hein ? Non, pas du tout ! réplique Paschic. Comme je l’ai dit, nous, on fait qu’ passer ! Je voulais juste savoir où on est, c’est tout !
_ Attends, laisse-moi deviner ! fait le plus costaud des Doms. Toi et tes p’tits copains, vous vous promenez, les mains dans les poches, pour rire du travailleur, pas vrai ?
_ Ouais, on a là une belle brochette d’allocataires ! renchérit un autre Dom.
_ Voilà où passent nos impôts ! jette le plus costaud.
_ On nourrit des fainéants !
_ Des invertis, probab !
_ Faut s’ barrer ! murmure Marié à Paschic, en lui touchant la manche. Ça va dégénérer !
_ Vous vous trompez, messieurs, coupe brusquement Côlon. Nous aussi, on bosse !
_ Seigneur ! lâche Marié.
_ Ouaf ! Ouaf ! fait le premier Dom. Montre tes mains, un peu pour voir ! »
Mécano se déplace et présente ses paumes durcies par l’installation des décors de théâtre ! La mine du Dom est déconfite. « Je propose de montrer ici même en quoi consiste notre travail ! s’écrie Propre.
_ Propre, je ne crois pas que le moment soit bien choi… tempère Paschic.
_ Propre a raison ! coupe Côlon. Montrons ce que nous savons faire !
_ C’est ça ! approuve un Dom, qui sort d’une boîte des verres et une bouteille. Que les filles dansent ! Ça nous réjouira la vue ! Pas vrai, les gars ? »
Sous les yeux ébahis de Paschic et de Marié eux-mêmes, le reste de la troupe s’assemble comme les Doms et commence à jouer : « C’est moi le plus ancien et c’est donc moi qui dois commander ! fait Propre.
_ Minute ! réplique Côlon. De toute façon, tu vas être muté !
_ T’as gagné au tiercé ? demande Mécano à un autre Dom émeraude.
_ Et tu sais pas ce qu’il m’a dit ? interroge Propre.
_ Bernard ? Bernard ? fait Côlon. Mais c’est le gars du quatrième ! Sa mère est poissonnière…
_ Il avait mis des boulons de trente, alors qu’il fallait du dix ! rajoute Mécano. J’ te dis pas le résultat !
_ Mais bon sang, qu’est-ce qui s’ passe ici ? rugit une voix inconnue, celle d’un Dom qui vient de sortir d’un cube de métal tout jaune.
_ Mais ça n’ se voit pas ? réplique Propre. Nous, on bosse !
_ Mais vous êtes qui vous, d’abord ? C’est qui ces gens, les gars ? demande indigné le nouvel arrivant aux Doms. Eh ! Mais vous n’avez pas même pas fini la petite haie ? Vous vous foutez de ma gueule ! »
Pendant ce temps-là, Marié et Paschic tire toute la petite troupe, pour la mettre hors de vue. « Doucement avec ceux qui bossent ! » murmure encore Propre.
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La Révolte (la pièce, suite et fin)
- Le 05/07/2025
"Certains vomissent en transplanant!
_ On se demande pourquoi!"
Harry Potter V
ACTE IV, SCENE IV : les mêmes, Paschic
Paschic : Bonjour, on parle de moi, on dirait !
Lapsie : On est au courant, pour toutes les horreurs que vous avez dites sur La Machine, au sujet de Tautonus !
Paschic : Mince, me voilà pris la main dans le sac !
Le duc : Exactement, vous êtes ce qu’on appelle un fils indigne !
Monsieur Nuit : Ouais, j’aimerais pas être à votre place !
Dominator : Votre père apparemment aurait dû être plus sévère ! Manquer de respect à ses parents, c’est l’une des pires choses qui soient !
Ratamor : Oui, c’est le fruit d’un bel égoïsme !
Lapsie : Ou celui du narcissisme ! Quelques tests psy et votre perversité éclaterait au grand jour !
Paschic : Eh bien, je vois que vous êtes tous d’accord ! Cela tombe bien, parce que je suis venu vous dire au revoir !
Le duc : Comment ça ?
Monsieur Nuit : Et où comptez-vous aller, par cette chaleur ?
La Machine : Encore un de ses pièges ! pour faire l’intéressant !
Dominator : Jeune homme, nous avons certes des différents, mais il faut savoir raison garder ! Vous ne pourrez même pas marcher une heure, sous ce soleil de plomb !
Ratamor : Je peux vous le confirmer, Paschic, mais peut-être songez-vous au suicide, un suicide philosophique ?
Lapsie : Cela n’existe pas ! Ne pas aimer la vie cache toujours la dépression…
Paschic : Que de sollicitudes, tout d’un coup ! Mais, rassurez-vous, j’ai trouvé une oasis verdoyante ! où je pourrais me rafraîchir et me baigner !
Le duc : Ce n’est pas possible ! Arrêtez ce fou !
Monsieur Nuit : Alors là, attention mon petit ! Car faut pas jouer avec l’espoir des grandes personnes !
Dominator : Il se moque de nous !
Ratamor : Je ne vous crois pas, Paschic ! C’est scientifiquement impossible !
Lapsie : Typique du pervers ! Manipuler les gens !
La Machine : Mon sucre, mon fils adoré ! (Elle prend les mains de Paschic.) Si tu as effectivement trouvé une oasis, ce dont je ne doute pas, car tu as toujours été très doué, il faut nous le dire, afin que chacun en profite ! C’est une question d’humanité !
Paschic : Malheureusement, de l’eau qui arrose cette oasis, tu n’en as pas voulue, ma chère mère, et tu n’en veux toujours pas ! Comme vous tous d’ailleurs ! Et c’est pourquoi elle ne vous acceptera pas, car elle ne vous reconnaîtra pas !
La Machine : Mais qu’est-ce que tu racontes, mon chéri ?
Paschic : Vous voyez le désert dehors ? C’est ma vie depuis que je suis né ! C’est le vide que vous créez tous ! Oh ! Je sais que les choses sont complexes ! Nous sommes nombreux et chacun a ses besoins ! Il ne s’agit pas de détruire ceux qui ne sont pas d’accord avec nous ! Mais que faites-vous au juste ? Vous n’avez recours qu’à votre domination !
La Machine : Comment peux-tu dire ça, mon garçon ?
Paschic : Mais il y a d’abord toi, ma chère mère ! Tu m’as vu doux, faible, d’où ton mépris ! Tu m’as utilisé comme un paillasson, pour flatter ton autorité ! Quand tu t’es aperçu de ma résistance, tu as voulu me détruire par tous les moyens ! Pourquoi ? Mais parce que ton orgueil est le seul sens de ta vie ! C’est lui qui te mène ! C’est ton pouvoir, le sentiment de ton importance qui te maintient en équilibre ! qui te garantit de la peur ! Il est donc impossible de te faire obstacle, surtout dans ta propre maison !
La Machine : Tu me juges, c’est ça ?
Paschic : Nullement, ce n’est pas mon affaire ! Mais il faut bien que tu comprennes ce que tu m’as fait subir ! Tu m’as piétiné encore et encore ! Tu m’as laminé au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ! Tu m’as pulvérisé, jusqu’à ce que mon cerveau ne soit plus que poussière ! Le pire, c’est que plus tard, j’ai continué ton travail de destruction, puisque je croyais que j’étais mauvais ! Ce que j’ai enduré, vous n’en avez absolument aucune idée (il s’adresse à tous) et ce n’est d’ailleurs même pas racontable ! Et tout ça pourquoi, encore une fois ? Mais parce que tu as choisi (il se retourne vers La Machine) la sécurité, la notoriété, ta supériorité !
La Machine : Tu exagères, j’ai fait de mon mieux !
Paschic : Tu n’as pas cherché à t’ouvrir, à comprendre, à te rabaisser, à laisser là tes haines et ta fierté ! Au contraire, chaque pas en dehors de toi, tu l’as considéré comme une insulte, un scandale ! Tout devait te revenir ! Comme si toi seule existais ! Tout ce qui t’échappait devait être détruit ! Comme tu symbolisais pour moi l’injustice et l’hypocrisie, j’ai voulu ma liberté… et j’en ai payé le prix ! La solitude, l’angoisse, la maladie, l’incompréhension, le désespoir ont été mon lot ! Pendant ce temps-là, ma chère mère, tu continuais tes fêtes ! Tu assouvissais tes appétits ! Tu tenais ton clan et tant pis pour ceux qui éprouvaient le froid du dehors ! Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est toi qui ne peux pas entrer et qui est exclue ! A toi ce que ne tu n’as jamais voulu porter : la nuit et la détresse !
Dominator : Mais en quoi ça nous concerne, nous ? Indiquez-nous la direction de l’oasis, si tant est qu’il existe !
Paschic : Quand j’étais plus jeune, je ne supportais pas les voitures…
Monsieur Nuit : Ce n’est pas vrai ! Ah ! Ah !
Paschic : Si, si ! Je me plongeais dans la nature, en espérant ne plus voir la civilisation ! Pourquoi ? Mais parce que toute votre agitation et votre destruction ne sont pas légitimes ! Bien sûr, il faut travailler pour vivre… et même je serais incapable de séjourner dans les bois… Il me faut le confort de la ville, pour la nuit, etc. ! Mais, en même temps, vous ne faites pas seulement que gagner votre croûte, mais ce qui vous anime, comme La Machine, c’est dominer l’autre, pour qu’il ait les yeux braqués sur vous ! C’est vous le point de mire et non l’ensemble de la création ! Et c’est pourquoi vous n’en connaissez pas la valeur ! Et c’est pourquoi vous « bousillez », vous méprisez la beauté sans vergogne, sans limites ! Et c’est aussi valable pour vous Ratamor, le scientifique !
Ratamor : Je sens que je vais passer sur le grill !
Lapsie : Que « nous » allons passer…
Paschic : En effet, la science a cherché et cherche l’objectivité, ce qui est un gage de notre liberté ! Mais que d’idées fausses sur la beauté ! Vous l’avez traînée dans la boue, sous prétexte qu’elle vous apparaît subjective ! Vous en avez fait le fruit des névroses, une « chose » auxiliaire et somme toute vous avez rendu nos existences incompréhensibles ! Nous sommes devenus des étrangers en ce monde, alors que la beauté nous enseigne tout le contraire ! Elle seule témoigne d’un don infini, gratuit et donc elle seule peut guérir nos peurs et nous donner la sécurité, de sorte que nous ne voulons plus dominer ! Et pour quelle raison toute cette indifférence de la science, à l’égard de la beauté ? Mais parce que vous n’y êtes pas sensibles, qu’elle ne constitue pas votre champ d’étude et surtout vous ne voulez pas vous faire avoir ! Finies les croyances ! Votre orgueil, lui aussi règne en maître !
Ratamor : Nous avons été les premiers à alerter sur le réchauffement climatique !
Paschic : C’est vrai, mais avec quel effet ! Il est nécessaire d’expliquer pourquoi nous ne devons plus dominer et comment y arriver ! Mais notre fonctionnement le plus simple et le plus profond vous échappe, par manque de simplicité et même d’humilité ! Il ne s’agit pas seulement de comprendre, mais aussi d’aimer et d’admirer ! L’enfant qui est en nous ne doit pas être perdu !
Le duc : Allez, avouez-le, cette histoire d’oasis, c’est du pipeau !
Paschic : Duc, vous ne pouvez concevoir combien son eau est rafraîchissante et son ombrage reposant !
ACTE IV, SCENE V : Les mêmes, la reine Beauté
Le DTN : Là ! (Il montre la reine Beauté, qui vient d’entrer.)
Dominator : Quoi là ?
Le DTN : Mais là ! Vous ne voyez pas cette femme magnifique !
Le duc : Je ne vois rien !
Monsieur Nuit : Ce sont déjà les mirages de l’oasis ! Ah ! Ah !
Ratamor, au DTN : Vous êtes sérieux ? Vous voyez vraiment quelque chose ?
Lapsie : Il est possible que des troubles psychiques entraînent des hallucinations !
La Machine : Encore un tour de Paschic !
Paschic, au DTN : Tu vois vraiment la reine Beauté ?
DTN : Mais oui, comme je te vois !
Paschic : Alors tu peux venir avec moi !
DTN : Super !
Dominator : Attention vous deux : il fait plus de 50 ° degrés dehors !
Le duc ! Mais enfin, arrêtez vos bêtises ! Paschic, si vous avez vraiment trouvé une oasis, il est normal que vous nous y conduisiez, pour que nous quittions ce trou à rat !
Paschic : Désolé duc, mais elle est réservée à ceux qui ont vraiment travaillé !
Le duc : Co… comment ? Je vous rappelle qui je suis : le duc de l’Emploi !
Monsieur Nuit : Et moi, moi… (Il suffoque.) Trente ans de boîte ! Faites mieux, jeune homme !
Dominator : Paschic, j’ai bien des défauts, c’est entendu ! Mais gérer une ville, c’est un taf dont vous n’avez même pas idée !
Ratamor : A la limite Paschic, je vous comprends, le scientifique est aussi un marginal… Mais il en faut des efforts, pour faire aboutir une recherche !
Lapsie : Et moi, je dois écouter mes patients !
La Machine : Et moi, je me suis sacrifiée pour ma famille !
Paschic : Certes, vous avez tous donné de vous-mêmes… et effectué des choses qui vous rebutaient… et vous avez votre rétribution, dans votre retraite… Mais qu’est-ce qu’il y a de plus difficile, qu’est-ce qui engage le plus, qu’est-ce qui demande le plus de courage, le plus de fermeté ? Aller pointer, faire ses heures, cotiser… ou bien aimer, croire malgré la peur, l’insécurité, la haine, l’indifférence ? Qui ici a fait preuve de patience ? Qui ici a rentré sa colère par amour ? Qui ici a confiance, sans les chiffres, sans reconnaissance, sans étiquette sociale ? Qui ici est dévoué, fidèle ?
La reine Beauté : Bravo Paschic ! Vas-y ! Gauche droite ! Gauche droite ! (Elle mime un boxeur.)
Le DTN : Ah ! Ah ! Mais vous êtes drôle reine Beauté !
La reine Beauté : Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? L’humour, c’est un signe de force ! Tiens, tu peux faire tinter la cloche des rounds !
Le DTN : Chouette ! Attention : ding !
Le duc : Mais bon sang ! A qui il parle celui-là ?
Dominator : En admettant que vous ayez raison Paschic, au sujet de l’engagement et du courage, est-ce que ce vrai travail, selon vous, permet de vivre ?
La reine Beauté : Fais gaffe, Paschic ! Ça, c’est du lourd ! C’est le crochet classique ! Celui qui doit mettre KO !
Paschic : Mieux que ça , Dominator ! Car que faisons-nous dans la rue habituellement ? Nous avons tout, nous ne souffrons pas de la faim et nous bénéficions d’un confort que l’autre moitié de la planète nous envie ! Bien sûr, nous pouvons souhaiter avoir plus, mais notre système de santé est encore unique ! Nous devrions alors être heureux, nous montrer agréables les uns envers les autres, mais ce n’est pas du tout ce qui se passe !
La reine Beauté, qui semble parler dans un micro : Beau jeu de jambes de Paschic ! Belle fluidité ! Il a bien esquivé le coup fatal de Dominator !
Paschic : Au contraire, nous sommes fermés, malheureux, agressifs ! Car ce que nous recherchons, ce n’est pas de nous montrer curieux de l’autre ! Ce n’est pas de nous enchanter de la diversité du monde, de saluer la beauté en chacun de nous…
La reine Beauté : Eh ! Mais on parle de !
Paschic : Non, ce qui nous préoccupe, c’est de tirer la couverture à nous ! C’est de triompher de l’autre, de se sentir plus fort que lui… ou plus séduisant ! Nous sommes comme de petites toiles d’araignées, qui attendent une proie ! Et tout ça pour satisfaire notre petite vanité, autrement dit notre domination ! Voilà pourquoi la vie est dure, à cause de notre égoïsme ! Nous sommes incapables d’être disponibles ! de nous relâcher ! de laisser au fil de l’eau notre ego ! de plaindre même celui qui nous mord !
La reine Beauté : Quelle série de Paschic ! Dominator est dans les cordes ! Il vacille sur ses jambes ! Mais c’est la fin du round !
Le DTN : Ding !
Le duc : Mais il est taré celui-là !
La reine Beauté : Les deux champions peuvent souffler ! C’est une rencontre de haut niveau, mais il y a maintenant un net avantage pour Paschic ! Dominator va-t-il réagir ?
Monsieur Nuit : Je ne vois pas du tout quelle solution vous proposez, Paschic !
La reine beauté : C’est finalement monsieur Nuit, qui prend le relais ! Il est plus frais, quoiqu’un tantinet plus grassouillet ! Début du nouveau round !
Le DTN : Ding !
Paschic : Mais, monsieur Nuit, imaginez un individu confiant dans la Chose, dans la beauté ! éclairé sur notre fonctionnement et ne cherchant plus à dominer ! indifférent quant à la victoire de son ego ! Cet individu-là ferait en sorte qu’on vive en paix ! Il serait plein de compassion, nullement agressif ! Ses besoins seraient forcément limités, car le souci de paraître lui serait étranger ! La peur de manquer ne l’atteindrait plus ! Il laisserait tranquille la planète et réparerait à sa manière l’injustice, en donnant de l’espoir ! Il serait mille fois plus utile que tous ceux qui gagnent certes leur vie, mais qui laissent libre cours à leur haine et à leur mépris !
La reine Beauté, qui s’excite : Monsieur Nuit est au tapis ! L’arbitre commence à compter ! (Elle fait signe au DTN.)
Le DTN : Un, deux, trois, quatre…
Monsieur Nuit : Je ne vous kiffe pas, Paschic ! D’ailleurs, j’ai jamais pu vous encaisser ! Pour moi, vous bossez pas et vous profitez des autres ! Vous êtes dégoulinant de bonté ! Pouah !
Le DTN : Huit, neuf, dix !
La reine Beauté : KO !
Le duc : C’est moi… ou le débile vient de compter jusqu’à dix ?
Lapsie : C’est pas vous… Il parle bien tout seul ! Étrange !
Ratamor : Bon, pour résumer Paschic, vous avez trouvé une oasis et nul, à part vous et... votre petit copain, peut en profiter, c’est ça ?
La Machine : Il n’en a toujours fait qu’à sa tête, de toute façon ! Oh ! Je suis bien à plaindre !
Paschic : Mais Ratamor, vous pouvez tout de suite essayer… Il suffit de se tourner contre sa domination et de commencer à faire confiance… La beauté est là partout… Regardez-la et aimez-la ! Vous verrez : plus vous lâcherez votre orgueil et plus vous serez heureux ! Pour l’instant, vous en êtes tous esclaves !
Le duc : Un idéaliste, voilà ce que vous êtes ! Un affreux idéaliste !
Lapsie : C’est tout de même très patriarcal tout ça…
Ratamor : Et loin de toute objectivité !
Dominator : Paschic, si j’avais suivi vos idées, jamais je n’aurais pu gérer ma ville !
Paschic : Et on voit où ça nous a menés !
La Machine, à Paschic : Au fond, je ne comprends toujours pas ce que tu me reproches !
Paschic : Bon, en route alors ! (Il se tourne vers la reine Beauté et le DTN.)
La reine Beauté : Tu as été formidable, Paschic, comme d’habitude ! Tu es mon champion !
Paschic : Mais ils ne comprennent pas ce que je dis !
La reine Beauté : Non, ils préfèrent leur haine et leurs peurs ! C’est ce qu’ils connaissent ! Bon, oh ! On va pas s’éterniser ! Toi, mon p’tit DTN, tu ramasses les serviettes et la pharmacie !
Le DTN, qui fait semblant : A vos ordres, m’dame !
La reine Beauté, qui tapote l’épaule de Paschic : Non, c’était un beau combat, pach… (Elle crache.) Tu mérites pleinement la ceinture ! Ah ! Le deuxième round, quant t’as paré Dominator...(Elle mime les coups et elle sort, en compagnie de Paschic et du DTN.)
ACTE IV, SCENE VI : Dominator, Lapsie, Ratamor, le duc, monsieur Nuit, La Machine
Le duc : Au fond, bon débarras !
Ratamor, songeur : Tout de même, s’il a trouvé de l’eau fraîche…
Dominator : Pensez-vous ! Qu’est-ce qu’il a pu voir qu’on n’aurait pas vu ! Cette ville, je le connais par cœur ! Enfin…, je la connaissais...
Lapsie : Moi, je pense que ce garçon souffre d’un profond trouble affectif…
La Machine : Qu’est-ce que vous insinuez, qu’il n’a pas été assez aimé ?
Lapsie : Non, évidemment…, mais je…
La Machine : Mais je quoi ? La vache, Paschic a encore réussi son coup ! (Elle tape sur la table.)
Ratamor : Qu’est-ce que vous voulez dire ?
La Machine : Mais déjà, quand il était petit, il semait la division ! C’est un sournois !
Monsieur Nuit : Et quelle arrogance ! Vous avez vu comment il m’a pris de haut ? J’ai eu l’impression d’être un enfant ! Moi, le roi du béton !
Lapsie : On ne m’enlèvera pas l’idée qu’il y a du pervers narcissique chez Paschic…
La Machine : Mais bien sûr qu’il y en a... et à foison !
Dominator : Tiens, le gamin a laissé sa plante…
Ratamor : Et il y a une lettre dessus…
Le duc : Voyons ça… (Il se saisit de la lettre.) Elle est destinée à Lapsie !
Lapsie : Donnez-la-moi !
La Machine : Qui peut encore écrire des lettres ?
Monsieur Nuit : C’est bon pour les retardés !
Lapsie, qui déchire l’enveloppe et qui déplie la lettre : C’est une lettre de Paschic !
Monsieur Nuit : Enfin le monsieur se déclare ! Remarquez, je le comprends… (Il a un regard lourd vers Lapsie.)
La Machine : Qu’est-ce qu’il dit, mon fils ? J’ parie qu’il me débine encore !
Le duc, à la Machine : Voyons, madame, c’est sans doute personnel !
Ratamor : C’est personnel, Lapsie ?
Lapsie, après un bref examen : Apparemment non… Cela concerne... le patriarcat !
Le duc : Ah ! On va encore en prendre pour notre grade !
Dominator : Hum ! S’il n’y a rien de personnel, vous pouvez peut-être nous lire cette lettre, Lapsie… Ça nous fera passer le temps !
Monsieur Nuit : Ah ! Chic ! Je suis prêt, moi !
La Machine : C’est quand même curieux que cette lettre ne me soit pas adressée !
Lapsie : Alors, je commence ?
Le duc : Mais on n’attend plus que vous, ma belle !
Ratamor : Rappelons que le sujet est le patriarcat… Hein, hum ! (Il regarde le duc.)
Le duc : Pourquoi me regardez-vous comme ça ? J’ai toujours respecté les femmes !
La Machine : Ouais, on dit ça !
Dominator, apaisant : Allez-y, Lapsie, sinon on y sera encore demain !
Lapsie : Très bien, je commence : « Chère Lapsie…
Monsieur Nuit : Eh ! Eh !
Le duc : Oh ! Oh !
La Machine : Peuh…
Ratamor : On va pas y arriver…
Lapsie : « Chère Lapsie…, vous montrez beaucoup d’intérêt au sujet du pervers narcissique et donc à ce qu’on appelle le patriarcat, car les deux choses sont forcément liées ! Laissez-moi vous dire ce que j’ai compris sur la question…
Le duc : Mais… mais c’est une sorte de conférence !
Monsieur Nuit : Il n’y a pas de sexe !
La Machine : Et je ne suis pas dedans ?
Lapsie : J’arrête alors ?
Ratamor, moqueur : Bien sûr, puisqu’il y a trois mots !
Dominator : Continuez, Lapsie, je vous en prie ! Crevons l’abcès !
Lapsie : « Tout a commencé en observant un couple de pies, que je nourrissais sur mon balcon… Le mâle mange les meilleurs morceaux et chasse la femelle, quand elle essaie de les prendre ! J’étais désolé pour elle, mais on comprend pourquoi quelques instants plus tard, car le mâle, en compagnie de la femelle, est déjà sur l’arbre voisin, à combattre une autre couple de pies concurrent ! Le mâle, pour défendre le territoire, doit donc être dans la plus grande forme possible et c’est pourquoi il se nourrit en premier et empêche la femelle d’en faire autant ! Et ainsi, Lapsie, tant que les nations ont été à construire, à travers les guerres, la domination masculine a été nécessaire ! L’homme s’est imposé pour la survie du groupe !
Par contre, quand les pies construisent leur nid, c’est la femelle qui domine, qui demande au mâle d’aller chercher des brindilles, qu’elle seule met en place ! Le rôle du mâle est alors secondaire et mettre un enfant au monde reste toujours pour la femme l’occasion d’avoir tout le pouvoir !
Ce qu’il y a de curieux, chère Lapsie, c’est que plus la civilisation avance et plus la domination masculine diminue, recule, puisque normalement les pays sont de plus en plus en paix et qu’on a de moins en moins besoin de les défendre ! On voit ainsi la femme réclamer les mêmes droits, ne plus comprendre pourquoi elle est traitée et a été traitée comme une inférieure et ce d’autant qu’elle a la même origine que l’homme, c’est-à-dire qu’elle a autant le désir de faire triompher son individualité, un égoïsme égal ! »
Le duc : Eh ! Eh !
La Machine : Le salaud !
Monsieur Nuit : Pas mal, ce Paschic ! Ah ! Ah !
Ratamor, à monsieur Nuit : C’est tout ce que vous retenez ?
Lapsie : Je reprends ! « Le problème, chère Lapsie, c’est quand l’homme ne comprend pas que les époques évoluent et qu’ils croient notamment que les textes religieux, écrits à un moment où la domination masculine était une priorité, ont énoncé des vérités définitives ! Les êtres humains, par leur raison, ont quitté la chaîne animale et le rôle de la femme est désormais peut-être unique dans tout l’Univers ! »
La Machine : C’est joliment dit ça !
Monsieur Nuit : Bof !
Lapsie : « Mais un jour on se rendra compte, chère Lapsie, que ce n’est pas le patriarcat qu’il faut combattre, mais la domination elle-même, qu’elle soit féminine ou masculine ! Sans doute faudra-t-il que le temps de la colère et de la vengeance soit révolu ! En espérant vous avoir un tant soit peu intéressée, chère Lapsie, je vous assure de mon respect et vous souhaite le meilleur… Signé Paschic. »
Le duc ; Quel phraseur !
Monsieur Nuit : Il m’a déçu somme toute !
Ratamor : Qu’en pensez-vous, Lapsie ?
Lapsie : Ça mérite réflexion !
Dominator : Certes et c’est pourquoi je vais faire un petit somme, moi !
Monsieur Nuit : Et le serpent, on le mange pas !
Dominator : Mais si, monsieur Nuit, faites comme vous l’entendez ! Gardez-moi un morceau, c’est tout !
Le duc : Pour défendre le territoire ?
Ratamor, au duc : Vous apprenez vite !
Dominator : Pour ce qui reste à défendre de Domopolis...
La Machine : Et pas un mot pour sa mère dans la lettre ! Quelle honte !
RIDEAU
ACTE V, SCENE I : Paschic
La scène est nue, mais Paschic va décrire un sous-bois… Il est à genoux au centre la scène.
Paschic : Je suis l’enfant magique ! l’enfant enchanté, ravi ! Je suis au cœur de la reine Beauté ! Tout y est couleurs, lumières ! scintillements, merveilles ! Le ruisseau murmure doucement à mon oreille ! Le caillou poli sourit ! Dans l’écume jouent des chevelures ! Le feuillage émeraude est comme un vitrail et le fût des troncs tel un pilier ! Ici, rien n’est laid ! L’herbe est bercée, la vase ondule ! L’oiseau triomphe, l’insecte danse !
Je suis l’enfant ravi ! L’enfant confiant ! L’enfant heureux ! Je suis chez moi ! dans le sein de la reine Beauté ! Je suis l’enfant patient, qui écoute ! qui aime ! Je suis l’enfant simple, qui croit, qui a confiance ! Je suis l’enfant doux, sans haine, sans ressentiments, en paix ! Je suis enchanté par tant de merveilles ! Et je ne comprends pas les Doms !
Ici, je me sens aimé, car tout y est don ! Tout y est lumière, scintillements, couleurs, majesté !
ACTE V, SCENE II : Paschic et les autres
Les Doms arrivent à la queue-leu-leu… et ils viennent devant Paschic, qu’on ne voit plus. Ils chantent d’abord ensemble le refrain, puis chacun à leur tour.
Les Doms : Nous sommes les Doms ! Dom, dom, dom ! C’est tout pour not’ pomme ! Ou c’est tout comme ! Dom, dom, dom !Nous voulons dominer, miner, miner ! triompher de la fée, fée, fée !Nous sommes sérieux et vieux ! Nous sommes sévères, loin du vert ! Nous bombons le torse, c’est là not’ morse ! Eh ! Là-bas le rieur, nous sommes supérieurs !
Nous sommes les Doms ! Dom, dom, dom ! C’est tout pour not’ pomme ! Ou c’est tout comme ! Dom, dom, dom !
Le duc, qui est en tête : L’emploi, c’est la loi ! Cotise, mais bon sang cotise ! Que veux-tu que je te dise ? La retraite, si t’arrêtes, c’est l’arête !
Monsieur Nuit : J’ bétonne et ça tonne ! Et ça t’étonne ? J’ fais du bruit ! Tout j’ détruis ! Tout est gris, tout aigrit ! Le silence, c’est d’ la mort la lance ! J’ bétonne et ça tonne ! Et ça t’étonne ? Perceuse, à mon secours ! Le ciel bleu veut me donner un cours !
Dominator : La ville s’étend tel un serpent ! Nécessité, nécessité ! Je ne suis pas ambitieux, ni vicieux ! La ville s’étend tel un serpent ! Pan ! Pan ! Je mords, sans remords ! Nécessité, nécessité ! Je t’aveugle de mon poison, te voilà en zonzon !
Lapsie : J’ suis la sœur Pouvoir ! Mais chut ! Défense d’y voir ! Objective, très active ! Rose devant la névrose ! Pleine de fiel, pleine de miel ! Objective, très active ! Je tue, c’est l’actu ! C’est moi, Lapsie ! C’est moi qui scie !
Ratamor : Sombre avec mes calculs ! Mais jamais je ne recule ! La vérité, c’est ma tasse de thé ! Je me dresse, dieu logique ! Ceci progresse, ceci j’explique ! J’ suis pas divin, juste vain ! Eh ! Mais notoire qu’ j’veux pas d’histoires ! J’ fais qu’ passer ! C’est mon courage ressassé !
La Machine ! Qu’est-ce que je fais ici ? J’ dévore ! Qu’est-ce que tu fais ici ? T’es pas mort ? Groumph, groumph ! (Elle mange.) A moi, tout ça ! A moi ! Quoi ? On existe ? J’existe, nuance ! Pas d’autres panses ! J’écrase, j’ piétine ! J’ suis La Machine ! J’ai tous les droits ! C’est moi qui broie !
Les Doms : Nous sommes les Doms, dom, dom, dom… (suite du refrain).
ACTE V, SCENE III, les mêmes, la reine BeautéLa reine beauté apparaît dans tout son éclat, ce qui fait reculer tous les Doms !
La reine Beauté : Je suis la reine Beauté, je suis le mystère ! Car je suis amour ! Je suis la foi, la confiance ! A travers moi, tu vois comme je t’aime ! Car je suis infinie ! Tu ne pourras jamais faire le tour de mes merveilles et de mes sortilèges ! Je suis le marchepied de la confiance, le don sans limites, la force aussi inouïe que paisible !
Viens mon enfant ! Viens m’admirer ! Viens te réjouir ! Je t’enseignerai et tu sécheras tes larmes ! Je t’expliquerai le Dom, je te montrerai le vrai travail et ta valeur ! Je te dévoilerai la vraie richesse, qui est patience et paix ! Tu aimeras pour toujours ! Tu riras du Dom ! Tu danseras dans ma lumière ! Tu seras d’un espoir sans bornes ! Tu éclaireras le monde !
RIDEAU ET FIN
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La Révolte (la pièce)
- Le 28/06/2025
"Tu es même restée mieux que je l'espérais!"
Un Singe en hiver
ACTE III, SCENE VI : Les mêmes, plus le DTN
Le Dom trou noir est jeune et muni d’une arme. Dès son entrée, il crie.
Le DTN : Haut les mains tous ! Allez, les mains en l’air ! Le premier qui bouge, j’ le descends !
Dominator : Mais qu’est-ce que… ?
Le DTN : Ta gueule, papa ! Tu fais comme les autres : tu lèves les mains bien haut !
Le duc : Qu’est-ce que vous voulez ?
Le DTN : Mais déjà regarder vos sales trombines ! Alors, voilà l’élite de Domopolis ! Ah ! Ah !
Monsieur Nuit : C’est un jouet cette arme, non ?
Le DTN : Tu veux que je te prouve le contraire ? Attention, t’es prêt ? (Il pointe son arme.)
Monsieur Nuit : Ça va, ça va , je vous crois !
Le DTN : J’en étais sûr ! Pour la gloriole, vous êtes au top ! Mais dès qu’il s’agit de mettre les mains dans le cambouis, y a plus personne !
Lapsie : Écoutez, je suis psychologue ! On peut parler, avant qu’un drame n’arrive !
Ratamor : Lapsie a raison ! Discutons… Rien d’irréparable n’a encore été commis !
La Machine : Peuh ! Vous voyez pas qu’ c’est un branleur ?
Le DTN, à la Machine : Mais la bourgeoise nous tient tête, car y a du mâle pour la protéger !
La Machine : Pose ton arme et t’auras droit à une bonne fessée ! Je ne sais pas qui est ta mère, mais ça doit être une molle !
Le DTN : Mais on t’a jamais appris la politesse, la vioque ! Tiens ! (Il lui donne un coup avec son arme.) Ça va mieux ! T’atterris enfin ? Ce que c’est que de vivre dans les privilèges... On y perd tout sens des réalités !
La Machine, qui pleure : Mais venge-moi, Tautonus ! Tu ne vois pas ce qu’il fait à ta femme ?
Tautonus : Jeune homme, je jure que…
Le DTN : Tu jures quoi, le bourgeois ? Tu devrais plutôt me remercier : j’ai remis ta femme à sa place ! Ça fait combien de temps qu’elle se croit la reine sur terre ?
Monsieur Nuit : C’est la fille de Ptolémée II !
Le DTN : Quoi ? La fille de mémé II ? Ah ! Ah !
Dominator : Ça ne nous dit toujours pas ce que vous voulez…
Le DTN : Ah ! C’est toi, le chef ! Je m’en serais douté, figure-toi ! T’es là comme si les autres devaient te servir ! Tu dégoulines d’autorité !
Ratamor, bas : Lapsie ! Le domomètre indique 20 doms, quand il s’approche ! C’est un DTN ! Un véritable Dom trou noir !
Le DTN, à Ratamor : Qu’est-ce que tu baragouines, le singe ? Tu veux du plomb dans l’aile ?
Ratamor : Hein ? Non, évidemment ! Je disais seulement que j’aimerais bien un café noir !
La Machine, se tenant encore le visage : Encore ? C’est une manie chez vous ! Il ne faudra pas vous étonner d’avoir un jour des problèmes cardiaques !
Le DTN : Mais fermez-la, bon sang ! Vous n’êtes pas au courant que vos vies viennent de changer !
Lapsie : Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu plus…
Le DTN : J’ viens d’en bas, ma belle ! de la masse grouillante et anonyme ! de ceux que vous voyez comme des caves ! Vous n’avez pas tout à fait tort d’ailleurs ! Nous sommes bêtes à vomir !
Monsieur Nuit : Je vous assure, jeune homme, que nous respectons tout le monde !
Lapsie, au DTN : Attendez, vous êtes en train de nous dire que vous souffrez d’anonymat ! Vous vous sentez perdu dans la foule, c’est bien ça ?
Le DTN : Je sens, doc, que vous allez m’éclairer…
Lapsie : Mais oui, le sentiment d’être seul ne dépend pas du rang social, mais des relations personnelles que vous créez ! Mettez-vous déjà en couple… et vous compterez pour quelqu’un !
Le DTN : Cela ne me suffit pas ! Je rêve de plus grand !
Le duc : Mais le « monsieur » veut pas bosser, c’est tout ! Nous sommes tous ici grâce à notre travail !
Le DTN : Mais bien sûr, avec les meilleures intentions du monde ! Sauf que moi, je ne vous supporte pas ! J’ai en horreur vos règles et vos mimiques ! Je n’ai pas à vous obéir ! C’est moi qui commande !
Dominator : Mais où ça va vous mener tout ça ? Nulle part ! La police doit être déjà en route !
Le DTN : Possible ! Mais j’étouffe ! Vous ne connaissez pas ma solitude… Elle est atroce ! J’ai besoin de dominer, vous entendez ! C’est vital ! Sinon le vide m’angoisse, m’écrase ! Aujourd’hui, j’ai l’élite de la ville sous mon commandement ! J’existe ! Je ne ressens nulle anxiété ! Et puis, je vois que vous êtes des minables (Il les regarde tout à tour et ils baissent les yeux.) Vous avez peur ! Bien entendu que vous avez peur ! Car vous êtes des hypocrites ! Vous êtes comme moi, mais vous n’osez pas ! Vous aussi, vous voulez le pouvoir, n’est-ce pas la bourgeoise ? (Il s’adresse à La Machine.) Mais il faut y mettre les formes ! Il faut enrober tout ça ! Tiens, toi, tu es différent ! (Il parle à Paschic.) Tu n’as pas peur, on dirait !
Paschic : Dans le fond, non…
Le DTN : Comment tu fais ?
Paschic : J’aime la reine Beauté… et je lui fais confiance !
Le DTN : La reine Beauté ?
Paschic : Oui, la beauté de la Chose, ou plus exactement de la nature…
Le DTN : Les petites fleurs et les papillons, ça t’aide ?
Paschic : Oui, la beauté du monde est infinie et me fait comprendre que je ne suis pas seul et que je suis ici chez moi !
Le DTN : Eh bien, t’en as de la chance !
Paschic : Ce n’est pas seulement une question de chance… C’est le désir de dominer qui empêche de voir la reine Beauté ! Comment pourrait-on la comprendre, quand on se soucie de son nombril ? Le résultat, c’est que, face à l’inconnu, nous avons recours à la domination animale qui est en nous ! Pour fuir l’angoisse, nous voulons commander à tout prix, nous sentir toujours supérieurs, ce qui fait que nous détruisons la planète et que tu nous tiens en joue ici !
Le DTN : Tu es bien savant pour ton âge !
Paschic : Sur ce terrain oui… et je le suis par la forces des choses, car j’ai dû trouver des réponses moi-même !
Le DTN : Je te crois… Tu es vrai… Il émane de toi une paix que je n’ai jamais connue ailleurs ! Si tu savais comme je suis fatigué ! Comme je voudrais me reposer un instant !
Paschic : Cela ne m’étonne pas ! Tu domines tout le temps, car tu as peur tout le temps ! Ce n’est pas vivable !
Le DTN : Laisse-moi dormir contre ton épaule… Tu m’aideras ? Eux (il montre les autres.), de toute façon… (Il baisse son arme et ferme les yeux, contre l’épaule de Paschic.)
Le duc, après un instant : Il dort ? Il dort vraiment ?
Monsieur Nuit : Mais non, il fait semblant…
Tautonus intervient et se saisit de l’arme ! Le DTN ne bouge pas…
Le Duc : Bon sang, cet imbécile dort vraiment !
Monsieur Nuit : Un vrai bébé !
Dominator : Tant mieux ! On a évité le pire !
La Machine : Vous avez vu mon fils, Paschic ! (Elle caresse la tête de Paschic) Un vrai héros ! Ah ! C’est bien de mes entrailles qu’il est sorti ! Je suis fière de toi, mon garçon !
RIDEAU
ACTE IV, SCENE I : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, le DTN
Le décor est une cave, avec des débris et un mobilier grossier… Le duc et monsieur Nuit sont en train de manger, silencieusement, autour d’une table… Entre eux, le DTN reste immobile, face au public…
Monsieur Nuit : Pas mauvais ce rat ! Je le trouve plus dodu que celui d’hier !
Le duc, occupé : Mmmm…
Monsieur Nuit : J’ai bien fait de le griller ! Cuit à l’eau, ils gonflent et ils perdent toute leur graisse !
Le duc : Ouais, mais grillés, ils dégagent plus d’odeur ! Déjà qu’on étouffe ici ! Combien il fait à la surface ?
Monsieur Nuit, qui se lève et va consulter un appareil : 50 degrés ! Tout brûle là-haut ! Tout de même hier, c’était 52 ! (Il se rassoit.) Y a une baisse !
Le duc : Tu veux que je te dise, c’est nous les rats ! On est pris au piège dans cette cave !
Monsieur Nuit : Heureusement qu’on l’a trouvée ! La plupart n’ont pas eu cette chance… et ils sont morts à présent ! Domopolis n’est plus que ruines !
Le duc : Oui, le désert a tout enseveli ! Ah ! Quand je pense que j’étais en train de vaincre les chômeurs ! Je les tenais dans ma main !
Monsieur Nuit : Et moi, je bétonnais à tout va ! Je n’ai rien vu venir ! La canicule s’est installée d’un coup… et puis, elle est restée ! Tout a crevé ! Les chantiers, bien sûr, se sont arrêtés ! Y avait même plus d’eau pour faire le béton ! Ma femme et mes enfants sont partis, je ne sais où ! Ils m’ont traité de démon ! Va savoir pourquoi ?
Le duc : Ah ! Les fainéants ont gagné ! Tous les oiseaux de mauvaise augure jubilent à présent ! Ils l’ont, leur réchauffement climatique ! (Il se met à pleurer.)
Monsieur Nuit : Allons, allons duc ! Nous sommes toujours vivants ! Il faut voir les choses du bon côté !
Le duc : Et l’autre là ! (Il montre le DTN.) Il dit rien, il fait rien, il est comme une statue !
Monsieur Nuit : Il paraît que notre DTN est devenu un Dom émeraude, d’après Lapsie ! Il ne veut plus nous tuer, mais il serait plongé dans un rêve de verdure ! ce qui n’est pas étonnant, vu qu’il n’y en a plus !
Le duc : Quoi ? Vous pensez qu’il est nostalgique du monde d’avant ? Pour moi, c’est encore un prétexte pour pas bosser ! J’ t’en foutrais, moi, des hypersensibles ! Et comment il va faire plus tard, puisqu’il cotise pas ?
Monsieur Nuit : Sauf vot’ respect, duc, cotiser n’est plus à l’ordre du jour ! Il s’agit seulement de survivre, ici et maintenant ! Il faut faire une croix définitive sur l’ancien système !
Le duc : A qui la faute ? A tous ceux qui n’ont fait que profiter ! Auparavant, on avait un certain sens du devoir ! Tenez, quand je voyais ces immenses files de voitures, le matin, dont les pots fumaient à qui mieux mieux, eh bien, j’inspirais profondément ! J’avais le cœur léger ! Je me disais : « Voilà le vrai pays, celui qui travaille ! »
Monsieur Nuit : Ah ! C’est sûr, c’était la belle époque ! Chacun savait ce qu’il faisait ! Je revois ces visages graves au volant ! Ces rages sur l’accélérateur ! Quel sérieux, quelle dignité !
Le duc : Exactement ! Le sens de la vie ? Mais il était là, noir sur blanc ! On travaille, on cotise et on est tranquille, pour ses vieux jours !
Monsieur Nuit : Je me rappelle… Le béton coulait à flots ! On gagnait sur la Chose ! On abattait les arbres ! On rasait les talus ! Eh ! Eh ! Le monde était à nous !
Le duc : Et ces cultures intensives ! Quel ordre, grâce aux pesticides ! Il n’y avait pas un épi qui mouftait !
Monsieur Nuit : Et... et de l’eau, on en avait ! Ces jets qui arrosaient les champs, ça avait un petit côté Versailles ! Tandis que que maintenant…
Le duc : Chaque goutte compte ! Quand je pense que ce grand dadais (il montre le DTN) en consomme pour sa plante !
Monsieur Nuit, qui consulte sa montre : C’est l’heure d’ailleurs ! Il va se lever et humidifier sa petite verdure !
(Le DTN se lève et va arroser une petite plante, suivi des yeux par le duc et monsieur Nuit…)
Monsieur Nuit : Savez-vous ce qu’il m’a dit un jour ?
Le duc : Ah ? Parce qu’il vous a parlé ?
Monsieur Nuit : Une fois ! Il m’a dit : « Si l’un de vous touche à ma plante, je le tue ! » Voilà ce qu’il a dit !
Le duc : Il serait capable de le faire ! Il a toujours son pistolet ?
Monsieur Nuit : Je l’ignore, mais je préfère ne pas le lui demander…
(Le DTN revient s’asseoir, sans un mot…)
Le duc : Il y a tout de même une chose qui me manque plus que tout !
Monsieur Nuit : Ah ?
Le duc : Oui, c’est le bruit ! le vacarme des chantiers, du trafic, des avions ! Même les débiles, qui passaient avec leur musique plein pot, je les regrette ! J’aimais cette ébullition constante, qui m’abrutissait !
Monsieur Nuit : Je vous comprends : tout plutôt que ce silence épais, qui pèse aujourd’hui sur nous !
Le duc : C’est ça ! Pour moi, ce silence est synonyme de mort !
Monsieur Nuit : Il n’y a plus non plus de cris d’oiseaux !
Le duc : Écoutez, j’entends Dominator et Ratamor rentrer !
ACTE IV, SCENE II : Le duc, monsieur Nuit, le DTN, Dominator, Ratamor
Dominator et Ratamor font leur apparition et ils se débarrassent de turbans et de robes de fortunes, destinés à protéger de la chaleur.
Le duc : Alors, vous étiez en expédition, ce matin ?
Dominator : Oui, on est parti un peu avant l’aube, à cause de la chaleur ! Mais, même à cette heure, c’était déjà difficilement supportable ! Enfin, on ne rentre pas bredouille ! Regardez-moi ça, les enfants, un beau serpent ! (Il le tire de son sac.) Hein ? On va s’ régaler !
Monsieur Nuit : Et comment, Dominator ! On va le faire mariner, il aura encore plus de goût !
Le duc : Dans quoi ?
Monsieur Nuit : Ch’ais pas ! On trouvera !
Dominator : On a encore attrapé deux lézards ! Ah ! Faut s’battre ! Mais le professeur Ratamor a aussi une bonne nouvelle ! (Il continue à se déshabiller…)
Ratamor : En effet, j’ai repéré un lichen comestible ! Et il a l’énorme avantage de capturer l’humidité ! En le mâchant, on pourrait ainsi éviter la déshydratation !
Le duc : Vous voulez dire qu’on va sucer de la mousse ?
Ratamor : On s’adapte, mon cher duc, on s’adapte !
Le duc : Et si on n’en a pas envie ?
Ratamor : Alors, on meurt !
Dominator, qui a pris place sur un tabouret : Mes enfants, vous auriez vu la tour du Pouvoir ! Le haut s’est écroulé, avec mon bureau ! Et le bas est envahi par le désert ! J’avais les larmes aux yeux ! Je me suis revu au sommet, commander la ville ! J’avais dix mille secrétaires ! vingt mille adjoints ! Ah ! C’était une ruche bourdonnante ! Et des projets ? J’en avais à foison ! Je rêvais d’une ville immense, immaculée, moderne et… (Il s’effondre et gémit.) Oh ! Mon Dieu !
Le DTN : Quelle mauviette !
Dominator, relevant la tête : Hein ?
Ratamor, au DTN : Mais tu parles ?
Le DTN : Rappelez-vous vos discours ! Vous n’étiez guidé que par sœur Nécessité ! La sœur au regard sévère ! Et maintenant, vous pleurez votre rêve de grandeur, qui ne sera pas réalisé ! Ah ! Elle est belle la nécessité !
Dominator, qui se lève : Petit morveux, comment oses-tu ? Tu sais à qui tu parles ? A Dominator, le maire de Domopolis !
Le DTN : Qui n’existe plus ! Pas d’ bol !
Dominator : Tu vas t’en prendre une !
Monsieur Nuit : Allons, allons, messieurs ! Il est inutile et même néfaste de se fâcher dans un espace aussi exigu !
Dominator : C’est sa faute aussi ! Il me cherche !
Le duc : Moi, ce que je trouve incroyable, c’est qu’un ancien petit voyou (il désigne le DTN) vienne nous faire la leçon !
Le DTN : J’ai été éclairé par Paschic ! Il m’a ouvert les yeux !
Ratamor, goguenard : Heureux homme !
Le DTN : Nous avons tous soif de vivre ! Nous voulons tous nous développer et nous épanouir ! Mais cela ne doit pas être aux dépens des autres ! Or, Domopolis détruisait la Chose, écrasait même ses habitants !
Dominator, qui tape sur la table : Mais bon sang, il faut bien loger les gens, les nourrir, leur donner du travail !
Le DTN : Mais vous venez de le dire ! Domopolis était votre œuvre, votre fierté ! C’est votre ego qui souffre !
Le duc, au DTN : Je me demande si vous n’êtes pas un de ces gauchistes, en guerre contre les méchants capitalistes !
Le DTN : Les capitalistes ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Nous sommes tous pareils ! Nous voulons tous a priori dominer et posséder plus ! Toute action violente témoigne d’un besoin de pouvoir ! La lutte contre les capitalistes, c’est encore l’ego qui réclame son dû !
Le duc : Vous avez raison... Rien ne vaut une société bien en ordre, avec la famille respectée ! un pays bien propre, souverain…
Le DTN : Mais la vie, c’est la différence ! Ce n’est pas être étouffé par l’autorité et des préjugés ! C’est un risque !
Le duc : Décidément, vous m’énervez !
Ratamor, au DTN : Vous ne l’ouvrez pas souvent, mais subitement, là, c’est un fleuve !
Monsieur Nuit : On oublie tous que c’est l’économie qui commande !
Le DTN : Ah bon ? Nos sociétés avaient tout et pourtant elles étaient toujours en crise ! Nous étions dans une impasse, avec nos idées économiques !
Monsieur Nuit : Bon, alors que préconisez-vous ?
Le DTN : Mais que chacun se change d’abord soi-même ! qu’il trouve un équilibre autre que celui de la domination ! qu’elle ne soit plus notre boussole ! notre remède à la peur ! Riez de votre ego, messieurs, et vous serez libres !
Monsieur Nuit : Comprends pas ! En quoi croire alors ?
Le DTN, à monsieur Nuit : Cherchez pas, c’est un exalté !
Dominator : D’entendre autant de bêtises, ça m’a donné soif ! Mais plus question de whisky, maintenant !
Ratamor, songeur : Pas sûr ! En faisant chauffer mon lichen…
Le duc : Tiens, voilà ces dames !
ACTE IV, SCENE III : les mêmes, Lapsie, La Machine
Lapsie : Bonjour… Hélas, nous avons une bien triste nouvelle à vous annoncer !
Dominator : Diable !
Lapsie : Le mari de madame (elle désigne La Machine) vient de mourir !
Dominator : Comment ? Tautonus ?
La Machine : Oui, mon mari Tautonus vient de s’éteindre dans mes bras, à l’instant même !
Dominateur : Quelle perte ! Un collaborateur aussi précieux ! Veuillez, madame, recevoir toutes mes condoléances !
La Machine : Merci.
Le duc : Et les miennes !
Monsieur Nuit : Et les miennes aussi !
Ratamor : Les miennes également !
Dominator : Mais comment est-il mort ?
La Machine : Je ne saurais le dire exactement… Il avait l’air épuisé depuis quelque temps…
Lapsie : Apparemment, Tautonus souffrait de troubles nerveux assez graves...
Le DTN : Dites plutôt qu’il est mort de peur !
Dominator : Hein ?
Le duc : Quoi ?
Monsieur Nuit : Comment osez-vous ?
Ratamor : Vous n’avez donc aucun respect pour les morts ?
La Machine : En effet, jeune homme, vous offensez la mémoire de ce brave Tautonus !
Lapsie : Quelle honte !
Le DTN : Au contraire, je lui donne toute son individualité ! Votre hypocrisie le noie sous les lieux communs !
Monsieur Nuit : Mais vous parlez comme si vous le connaissiez !
Le DTN : Paschic m’a un peu expliqué son cas, si je puis dire…
La Machine : Encore ce minable de Paschic ! Décidément, il aura été ma croix jusqu’au bout !
Lapsie : Mais qu’est-ce que Paschic vous a raconté au sujet de Tautonus, pour que vous disiez que celui-ci est mort de peur ?
Le DTN : Mais que c’est la faute de madame ! (Il désigne La Machine.) C’est elle qui a « crevé » son mari !
Dominator : Oh ! Quel langage !
Le duc : Quel scandale !
Monsieur Nuit : Ca dépasse les bornes !
Ratamor : Jeune homme, je crois que vous devriez vous taire !
La Machine : Laissez, laissez ! Je voudrais bien savoir ce que vous a dit cette vermine de Paschic !
Lapsie : Je vous en prie, madame, ne vous infligez pas cette épreuve ! Le moment est assez dur comme ça !
La Machine : Ah ! Mais vous ne me connaissez pas ! J’ai toujours fait face, moi ! Ce n’est pas comme certains ! Même mon défunt mari, Dieu ait son âme ! était rarement à la hauteur !
Le DTN : Et pan ! Nous y sommes ! L’épouse jamais satisfaite par son entourage et qui ne cesse de le harceler ! Et pourquoi ? Mais tout simplement parce que l’intérêt que l’on veut pour soi est sans issue ! Les autres n’ont-ils pas leur propre vie, ne demandent-ils pas aussi qu’on les aime ? Pourquoi alors s’imposer à eux, leur demander une attention constante ? Madame, vous êtes ce que j’étais naguère, une DTN, une Dom trou noir !
Dominator : Oh !
Le duc : Insulte gratuite !
Monsieur Nuit : Attaquer une veuve !
Ratamor, qui tousse : Hum ! Hum !
Lapsie : Ne vous en faites pas, madame, je connais ce genre d’individus ! (Elle parle du DTN.) Ce joli coco est un pervers narcissique ! Il est en train de vous reprocher ce dont lui-même se rend coupable ! Ah ! C’est qu’ils sont retors, vous savez !
La Machine, à Lapsie : Permettez, madame, je vais moi-même répondre à cet accusateur ! Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le bien de ma famille ! Il a fallu tirer tout le monde vers le haut, pour qu’on ait le confort ! Sinon les hommes resteraient en bas, dans leur saleté !
Le DTN : Effectivement, madame, vos ambitions passaient apparemment en premier ! Et chacun devait suivre, votre mari devant ! Tous menés à la baguette, pour masquer votre peur, grâce au rang social ! Ce n’était donc jamais assez ! le pouvoir étant une sorte d’ivresse ! Tautonus était un bon « cheval », remarquez ! Lui aussi aimait la notoriété, mais vous vous posiez toujours comme une victime, comme si c’était seulement votre mari qui profitait des « honneurs » ! A partir de là, vos demandes étaient sans limites !
Le duc : Arrêtez ce tissu d’horreurs, je vous en prie !
Le DTN : La véritable humanité vous fait peur, duc ? Je vais vous présenter un Tautonus, comme vous ne l’avez jamais vu ! Il était fier de sa réussite, il en jouissait et reconnaissait sincèrement en La Machine sa locomotive ! Il savait qu’il lui devait beaucoup ! Mais, contrairement à elle, il n’essayait pas de se guérir de ses angoisses, en dominant toujours plus, en prenant le contrôle des autres ! Non, il était plus complexe, plus doux, plus nuancé ! Il voulait la paix, mais pas La Machine ! Et il a fini par céder sous le poids de l’effort !
Monsieur Nuit : Quelle honte !
Lapsie : En somme, vous rendez La Machine responsable de la mort de son mari !
Le DTN : En grande partie, oui ! Sa petite personne a toujours compté avant tout !
Dominator : Espèce de rat puant !
Le DTN : Mais Tautonus a aussi été victime de notre hypocrisie générale ! Il a été emporté par le torrent de notre peur ! Nous la nions, en jouant les gros bras, mais nous ne lui donnons aucun remède ! Et c’est à moitié hébétés que nous rejoignons le gouffre du temps !
La Machine : Et moi, je connais encore l’injustice ! N’ai-je pas tout donné à mes enfants, à mon mari ! Je me suis sacrifiée pour eux ! Oh ! Bien entendu, mon travail était dans l’ombre ! Il fallait préparer les repas, faire le ménage, nettoyer le linge ! Qui m’a remercié ? Personne ! Et que de soucis, dès qu’il y avait un malade ! Aujourd’hui, je fais de nouveau face à la sombre ingratitude !
Le DTN : Ne vous inquiétez pas, madame, la morale sera sauve ! Votre responsabilité, votre égoïsme ne seront plus évoqués ! On en restera aux convenances ! On fera comme avant ! D’ailleurs, Tautonus n’est déjà plus qu’un souvenir !
Dominator, qui empoigne le DTN : Mais tu vas la fermer, salopard !
Le DTN, qui crie : Mais qu’est-ce qu’il te faut, pour que ça change ? Tu vois pas où on en est ? Tu veux encore parier sur l’hypocrisie ? Qu’est-ce qu’il vous faut à tous, pour crever l’abcès ?
Lapsie : Voilà Paschic ! Le principal coupable de tout cela !