La Nuit des Doms (49-53)

  • Le 06/12/2025

R112

 

            "On ne salue plus, on méprise!"

                              Un Singe en hiver

 

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     Au matin, Paschic se demande s’il a rêvé ou non ! Il regarde avec méfiance le goémon sur les rochers, mais il lui faut s’organiser, car il ne peut pas rejoindre le continent pour l’instant ! Il part donc à la pêche et c’est ainsi qu’il rencontre un étrange coquillage ! Celui-ci ressemble à une coquille Saint-Jacques et il a la particularité de parler ! Oui, il parle et s’ouvre à mesure, ce qui est bien sympathique pour Paschic, qui a trouvé là un nouveau compagnon, mais dès que Paschic évoque sa propre expérience et qu’il apprend quelque chose de nouveau au coquillage, celui-ci se ferme et devient muet, comme si son interlocuteur avait dit une grossièreté !

Tant qu’on parle du coquillage ou qu’on l’écoute, il est intarissable et Paschic doit convenir de ces paramètres, ce qui limite franchement la conversation, mais il ne perd pas espoir : il est possible que le coquillage accepte peu à peu le monde extérieur et qu’il ignore bien des choses ! Cela implique qu’il dépasse sa peur et qu’il ne se voit plus comme le seul but de sa vie ! « Il peut évoluer ! » se dit Paschic, qui continue à pêcher et à se remplir les narines des odeurs marines !

Dans l’après-midi, cependant, un bateau à moteur fonce vers la plage et en descendent plusieurs hommes ! « Il est là ! Je l’ai vu dans mes jumelles ! Amenez-moi c’ fumier ! » crie celui qui doit être le chef. « Oh ! Oh ! se dit Paschic caché par la dune. C’est sans doute de moi dont il s’agit ! Il est possible que cet îlot soit privé… Dans ce cas, je vais m’expliquer... »

Paschic se lève et immédiatement les hommes courent vers lui et s’en saisissent ! « Mais lâchez-moi ! s’écrie Paschic indigné. Je vais vous expliquer… Je suis un naufragé et... » Paschic ne peut rien dire de plus, car il est poussé devant le chef, qui lui dit : « Ah ! Te voilà, mon gaillard ! Écoute, j’ai rien contre toi, mais il faut que je te cogne, pour avoir le sentiment que j’existe ! Tu le vois, je suis aveugle et je ne sais pas trop bien où sont mes limites !

_ Mais…

_ Encore une fois, rien d’ personnel ! Tenez le bien, les gars ! »

Le chef commence à frapper méthodiquement Paschic et c’est d’abord le ventre qui encaisse ! Puis, les coups remontent progressivement jusqu’au visage, comme si le chef aveugle cherchait à déterminer les contours de Paschic, qui finit par s’évanouir !

Quand il se réveille, il fait déjà nuit… La bande festoie autour d’un feu et tout en restant immobile, Paschic pense au chef : « C’est un mutant, se dit Paschic, qui ne vit que pour sa domination ! Mais il a besoin de la violence, pour la sentir… Il tâtonne dans le monde réel à coups de poing… Sans doute est-il intéressé par les régimes fascistes… »

« Mes amis ! Mes amis ! fait le chef. Écoutons ce soir, sur cet îlot perdu, la symphonie des Cubes roulants ! Rassasions-nous de civilisation ! » Le chef appuie sur un bouton et des enceintes frémissent ! C’est d’abord un mouvement lent, un moteur qui ronronne et qui fait chantonner la bande, en la berçant ! Puis, soudain tout s’accélère, avec des coups de klaxon et des motos fusantes ! Derrière, on entend le son grave des poids-lourds ! La bande lève son verre, enivrée par la musique aussi bien que par l’alcool !

Paschic ferme les yeux : « La domination complètement coupée de la nature, se dit-il, devenue absolument étrangère à la Chose ! Le monde des Doms écrasant tout ! Et pourtant, le chef est paumé ! »

«  Je vois un monde nouveau ! dit celui-ci. Enfin façon de parler… Où nous serions les maîtres ! Où la supériorité de notre race serait reconnue ! Où l’État ne serait plus, car régnerait la force animale ! »

La symphonie bat son plein et Paschic a l’impression d’être couché sur une autoroute ! Le trafic incessant le traverse et semble porter aux nues le message du chef ! Mais dans l’ombre il se passe quelque chose…, que seul Paschic remarque… Là-bas, dans la clarté lunaire, près du flot qui sourit, avec ses vaguelettes argentées, des têtes de goémon se meuvent et montent vers la dune ! Ce sont les sorcières, les forces psychiques et leurs sœurs !

Voilà qu’elles arrivent, alors que la bande est dans son ivresse braillarde ! Il faut voir ces créatures des premiers âges se mêler à la fête ! Il faut voir leur tête gluante, dégoulinante apparaître à la lumière du foyer ! Il faut voir la stupeur et l’horreur se peindre sur les visages de la bande ! Et elle se met à hurler et à courir, tandis que des bras recouverts de berniques essaient de la retenir !

« Attendez-moi ! Attendez-moi ! » crie le chef aveugle, qui ne sait plus où aller. Tous les autres en effet sont déjà en train d’embarquer, mais enfin on charge le chef ! La bande met le moteur et n’entend certainement pas ces rires de vieilles, qui grincent et qui soulagent pourtant Paschic au plus profond !

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     Le lendemain, le temps est calme et sous le ciel gris, l’océan déroule lentement ses vagues ! Les goélands planent, toujours superbes, ne semblant jamais impressionnés par les caprices de l’écume ! Paschic est couché dans l’herbe, pleine de rosée, et un rayon de soleil lui fait prendre conscience du royaume des perles ! Car tout s’illumine ! Et partout les perles se réveillent et s’écrient : « Mais c’est Paschic qui nous regarde ! C’est Paschic notre admirateur ! » Et elles se passent le mot, de sorte qu’elles sourient toutes, qu’elles font des signes de leur brin d’herbe, en disant : « Eh ! Paschic ! On est là ! » Et elles éclatent de rire, les coquines !

De son côté Paschic est ravi, bouleversé ! Il court d’une perle à l’autre, trouvant chacune encore plus belle ! ne sachant plus où donner de la tête ! en répétant : « Mademoiselle ! Mademoiselle ! Que vous êtes jolie !

_ Vraiment ? Hi ! Hi !

_ Oh oui ! Jamais je n’ai vu de perles aussi magnifiques !

_ Flatteur !

_ Eh ! Paschic ! Et moi ?

_ Mon Dieu, vous êtes toute aussi belle ! Incroyable !

_ Hi ! Hi !

_ Et moi, Paschic ?

_ Et moi, Paschic ? »

Paschic va encore répondre qu’il est ébloui, qu’elles sont extraordinaires, que les mots lui manquent, qu’un tel spectacle l’abasourdit, quand une ombre gigantesque vient couvrir le royaume enchanté ! « Qu’est-ce que… ? fait Paschic qui se retourne.

_ Je suis monsieur Nuit ! Faut pas rester là, mon vieux ! Car une nouvelle résidence va être construite ici ! Quelque chose de sensass, avec vue sur la mer !

_ Mais…

_ Mêêê ! Mêêê ! Une vraie chèvre ! Faut calter l’ancêtre ! Ici, chantier à monsieur Nuit ! Streng verboten, pour les va-nu-pieds !

_ Qu’est-ce qui s’ passe ? demande irrité le duc de l’Emploi derrière.

_ Un marginal couché dans l’herbe ! explique monsieur Nuit.

_ Dis donc, il faudrait que tes engins se magnent, rapport à la marée ! Le gué n’ sera pas éternel !

_ J’ m’en vais chapeauter tout ça !

_ Quant à vous, l’ marginal, faut bouffer et donc de l’emploi ! Allez, on veut plus vous voir !

_ Qu’est-ce qu’il y a ? demande à son tour le maire Chenu, qui arrive.

_ Rien, un loqueteux qui occupe les lieux !

_ Un zadiste ?

_ Même pas ! Un paumé, j’ pense !

_ Mais c’est Paschic ! J’ le connais ! dit le maire. J’ te croyais mort, Paschic ?

_ Faut croire que non ! Si je comprends bien, Chenu, vous v’nez ici tout détruire !

_ Mais le Cube avance ! parce que c’est nécessaire ! Rien n’arrête le Cube ! Même pas toi, Paschic ! »

Paschic regarde la plage, où les engins de monsieur Nuit écrasent le sable, avant de monter sur la dune ! Il y en a toute une colonne comme ça, qui profite de la marée basse, entre le continent et l’îlot ! Pour une fois, les goélands crient paniqués ! « On va monter notre grue c’ matin, Paschic ! rajoute le maire. Et hop, le béton coulera à flots ! Ah ! Ah !

_ Vous ne toucherez pas au Royaume des perles, à moins de me passer sur le corps !

_ Le royaume des perles, Qu’est que c’est qu’ ça ? s’écrie le duc.

_ Ah ! Mon garçon, va falloir être raisonnable ! répond le maire ! Nous, on a toutes les autorisations ! »

Paschic grimace : que peut-il faire contre ces aveugles ? Ce ne sont pas les perles non plus qui vont pouvoir se défendre ! Mais Paschic a tort, car très vite un crachin extrêmement dense commence à tomber ! C’est si épais qu’on n’y voit plus rien ! Le maire et le duc crache véritablement de l’eau ! Les engins s’enlisent rapidement, ce qui fait craindre le pire ! En effet, la marée remonte et noie le convoi ! Beaucoup sont emportés par les flots ! C’est une catastrophe, d’autant que le vent se lève en tempête !

Au milieu du chaos, une femme se présente devant monsieur Nuit et lui tend une carte, en disant : « Lapsie ! Brigade de santé mentale ! Est-ce que vous auriez vu cet individu ?

_ Quoi ? Pouah ! Même à l’abri, on en prend plein la figure !

_ Je répète, avez-vous vu cet homme ?

_ Ouais, c’est à cause de lui tout ça ! Qu’est-ce que vous lui voulez ?

_ Le supprimer !

_ Ah bon ? Vous pouviez pas l’ dire tout d’suite ? Il est allé par là-bas !

_ Merci ! »

Mais les perles restent en colère !

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     Paschic semble s’oublier lui-même dans le crachin, comme si l’eau pouvait guérir ses blessures et toute la folie alentour ! S’abîmer à jamais dans le rêve et le silence, la tentation est grande ! Trouver le baume du néant…, mais Paschic est réveillé par les perles ! « Tu n’ peux pas rester ici, Paschic, tu vas prendre froid ! On va te prendre avec nous et te conduire en sécurité ! » Paschic se laisse faire et le voilà emporté par les perles, à travers les airs ! « Hou ! C’ qu’il est lourd ! » dit une perle de temps en temps !

Paschic est déposé sur un autre rivage, mais il est toujours entouré par l’épaisse bruine ! Où est-il ? Il croise cependant des gens qui tiennent des pancartes et qui défilent ! Une personne d’ailleurs répond à une journaliste et Paschic s’approche, pour savoir de quoi il est question ! L’homme interviewé est plutôt rondouillard, mais paraît fortement décidé ! « Y en a marre ! dit-il. Le gouvernement ne nous écoute pas !

_ Que demandez-vous exactement ? questionne la journaliste.

_ Mais nous revendiquons le droit de ne pas changer ! Nous sommes égoïstes et nous voulons le rester ! Nous méprisons les autres et nous en sommes fiers !

_ Vous pensez que le gouvernement voudrait porter atteinte à ce droit ?

_ Tout laisse à penser que oui… Comprenez bien : mes parents étaient égoïstes ! J’ai été élevé avec leurs valeurs et il n’est pas du tout question que je m’améliore !

_ Si vous pouviez parler directement au gouvernement, que lui diriez-vous ?

_ « Touche pas à ma domination ! », « Laisse mon orgueil tranquille ! » S’il y a quelqu’un qui doit changer, ce n’est pas nous, Dieu merci ! mais le gouvernement !

_ Comment voyez-vous le futur ?

_ Mais que je puisse continuer à mépriser les autres ! On voudrait nous voir plus patients, plus matures, mais à quel titre je vous prie ? Nos pancartes sont assez explicites : « Non à l’évolution ! Vive l’égoïsme ! Oui au mépris ! Bonjour à la haine ! » Nous sommes des Doms et nous demeurons des Doms !

_ Je vous remercie ! »

Paschic a des sueurs froides ! Où sont les perles ? Où est partie la beauté ? Où est l’intelligence, la sagesse ? Nulle part ! Là-bas, il y a une cabane de pêcheur apparemment et Paschic se dirige vers elle... La porte en bois grince et à l’intérieur, ça sent la poussière, mais on y est au sec ! De nouveau, c’est le silence, juste ponctué par les assauts du vent ! Paschic allume une lampe à huile, puis s’assoit à une table grossière… Encore une fois, il plonge dans sa rêverie…

Mais la porte s’ouvre brusquement et un Dom très énervé entre ! « Où est l’argent ? crie-t-il.

_ Hein ? Quel argent ?

_ Mais l’argent imbécile ! réplique le Dom qui saisit Paschic à la gorge. Tu va m’ dire où t’as mis l’argent, salopard !

_ Je ne sais pas où est votre argent ! » jette Paschic, qui repousse son agresseur.

Le Dom est rejeté contre un évier, mais il est tout aussi frénétique et il commence à fouiller le placard, à ouvrir des boîtes, en gémissant ! « Il faut que j’ trouve de l’argent, c’est vital ! dit-il. On n’a jamais assez d’argent, vous n’ le saviez pas ?

_ Non pas vraiment, répond Paschic.

_ Et le sentiment qu’on s’ développe, que quelque chose bouge, vous l’avez comment ?

_ Je…

_ Il a raison, dit une voix nouvelle et un grand échalas se présente à la porte. Je suis monsieur Prix et si vous avez l’argent, donnez-le-lui !

_ Mais je l’ai pas !

_ Voyez-vous, monsieur….

_ Monsieur Paschic…

_ Monsieur Paschic, j’ai un gros problème ! Je grandis à mesure que je suis inquiet ! Et là, franchement, j’ai la trouille ! »

Le nouveau venu dit vrai, car sa tête touche déjà le toit de la cabane ! « En arrière tout le monde ! » fait cependant une femme derrière. Chacun se tourne vers elle et Paschic s’écrie : « Lapsie ! Quelle surprise !

_ Pas pour longtemps, Paschic ! Je suis là pour mettre fin à la triste carrière du plus grand pervers narcissique qui m’a été donné de voir ! Ecartez-vous, vous autres ! Ne restez pas dans ma ligne de mire ! Adieu, monstre ! »

On entend un gros Pan !, mais le coup est raté ! C’est Chenu qui en est responsable : il est arrivé et a poussé dans le dos Lapsie, en ouvrant la porte ! Cependant, il crie : « Lapsie vite ! On est attaqué par des mutants !

_ Hein ?

_ Ils ont pris des otages, qu’ils abattent un à un ! C’est bien toi l’agent de la BSM, la Brigade de santé mentale ?

_ Oui, mais…

_ Il nous faut un spécialiste, pour leur parler…

_ Bonne chance, Lapsie ! fait ironiquement Paschic.

_ Toi… ! Toi… ! bredouille Lapsie, la bave aux lèvres.

_ Allons, allons, dépêchons ! coupe le maire. Y a pas d’ temps à perdre !

_ Nous venons avec vous ! jette Monsieur prix. Si j’arrive à sortir d’ici…

_ Oui, on vous accompagne ! renchérit le Dom. Là où y a du grabuge, y a souvent d’ l’argent ! »

Paschic est laissé seul et il soupire… « Pas d’ quoi être triste ! corrige une petite voix. J’ suis là, moi ! » Paschic regarde autour de lui et voit une araignée, à l’angle d’une fenêtre. « C’est les perles qui m’envoient ! précise l’animal. Tu sais comme ma toile est jolie, quand elle est emperlée !

_ C’est vrai ! » répond Paschic, des étoiles de nouveau dans les yeux.

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      La pluie continue de tomber et Paschic a quand même trouvé de quoi faire un bon café ! Il le boit lentement, en se réchauffant, mais la porte s’ouvre une nouvelle fois brusquement, produisant un pénible courant d’air ! Mais ce sont des militaires qui font leur apparition et Paschic se tait devant leur attitude menaçante !

Les militaires sont accompagnés par un petit homme sec, dont la casquette et l’imperméable sont tout mouillés ! Il s’en débarrasse et montre un uniforme couvert de décorations ! « Ah ! Du café ! dit-il à Paschic. Faites-en donc pour moi et mes hommes, voulez-vous ? » Paschic s’exécute, car à vrai dire, il n’a pas le choix ! « Foutu temps, hein ? reprend le petit officier. Vous vous demandez peut-être d’où je viens et qui je suis ?

_ P’têt, ouais, répond négligemment Paschic, absorbé par la préparation du café.

_ Je suis le général Lézard, spécialiste du contre-espionnage, au service de la grande Mussie !

_ La grande Mussie ?

_ Oui, vous connaissez sûrement ! Naguère les deux tiers de la planète était à nous !

_ Ah ?

_ Mais, bon sang, vous ne me croyez pas !

_ Si, si…

_ Non, vous ne me croyez pas ! Tenez ! Tenez ! Regardez-moi cette carte ! ordonne le petit général, en déroulant le document sur la table. Là, là, tout ça nous appartenait ! Ah ! On était les plus puissants ! Tout le monde nous considérait, nous craignait même ! Mais il est arrivé quelque chose…

_ Ah bon ?

_ Oui, not’ système était à bout d’ souffle… On n’y arrivait plus économiquement ! Et puis ceux qui nous jalousaient ont continué à vouloir not’ perte ! Tout s’est écroulé ! Tout a été balayé ! »

Le petit général s’arrête de parler et se met à pleurer, de sorte que de grosses gouttes tombent sur la carte. « Allez, allez, général, faut pas vous biler comme ça ! dit Paschic. Prenez un peu de café, ça va vous faire du bien !

_ Mer… merci ! Snif ! Vous savez ce qui m’a fait le plus mal ? Nous avons été… humiliés ! Houuuuuuh !

_ Et voilà que vous recommencez à pleurer ! Vous vous faites du mal, croyez-moi !

_ Humiliés ! Voilà ce que nous avons été ! Nous, la crème de la crème de la grande Mussie ! Humiliés ! Ratatinés ! Raillés ! Et pas seulement par l’ennemi, mais par la population même de la grande Mussie !

_ Ah bon ?

_ Oui ! Vous auriez vu cette plèbe affreuse, ces bons à rien, ces paysans à peine dégrossis venir déboulonner la statue de notre père à tous ! Le grand Varan ! Le créateur de l’espionnage de la grande Mussie !

_ Un policier ?

_ Oui, un d’ ces policiers rusés, sournois, implacables ! connaissant la torture sur le bout des doigts ! une étoile dans le ciel de la manipulation ! un véritable serpent au service de l’État !

_ Je vois…

_ Mais nous sommes un certain nombre à lui être resté fidèles ! Et nous allons restaurer son ancienne gloire !

_ Avec ses méthodes ?

_ Oui, pour lui faire honneur et redonner tout son lustre, sa puissance à la grande Mussie ! Et là, j’ s’rai implacable ! J’écraserai tous ces fumiers ! toutes ces fourmis qui ont osé se moquer d’ nous !

_ Attention, général, vous renversez vot’ café !

_ Hein ? De toute façon, il était infect !

_ Je vous remercie ! J’ai fait avec ce que j’avais !

_ Qu’est-ce que c’est ce sourire en coin que vous avez ?

_ Quel sourire en coin ? J’ai un sourire en coin, moi ?

_ Oui, depuis l’ début, vous semblez vous foutre de moi !

_ Pas du tout ! Je suis au contraire suspendu à vos lèvres, car jamais je n’ai entendu histoire plus passionnante !

_ Vous voyez, vous continuez à faire le malin ! Je connais mille manières d’effacer ce sourire !

_ Mais vous auriez tort de le faire, car tout comme vous, je pense que l’orgueil est essentiel ! Peu importe que des gens meurent de faim et que le vieillard ou l’enfant soient écrasés dans la boue ! Rien ne compte auprès de la grandeur et de la superbe ! Il faut mettre la planète à feu et à sang, général, si vous pouvez être consolé !

_ Gardes, saisissez-vous de cet imbécile ! »

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      Paschic est maintenu, tandis que le général Lézard lui fait sentir sa mauvaise haleine, en lui martelant : « La grande Mussie n’aime pas les rigolos dans ton genre ! Tu fais partie de cet Occident décadent, arrogant, dégueulasse ! Pouah ! J’en ai la nausée ! La grande Mussie est une patrie sérieuse, droite, avec un destin unique : celui de sauver le monde ! Et elle est guidée en cela par Notre Seigneur Jésus Christ !

_ Celui qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres » ?

_ Exactement ! Mais il a dit aussi que le vers est dans le fruit et que celui qui n’est pas avec nous est contre nous !

_ Mais la foi n’a rien à voir avec la puissance ! Le pouvoir est justement une preuve qu’on n’a pas confiance !

_ Il faut bien protéger le nom du Seigneur des racailles de ton genre !

_ Ah bon ? Vous croyez Dieu impotent ?

_ Tu vois, tu blasphèmes !

_ Contre la bêtise, oui ! En fait, votre violence vient de votre peur et donc de votre manque de foi ! Être confiant, c’est être serein !

_ C’est toi le serin de l’histoire, Paschic ! Adieu ! »

Lézard sort un pistolet et va tirer, quand de nouveau la porte de la cabane s’ouvre à toute volée, permettant à un souffle glacial de s’engouffrer ! Sur le seuil se tient un grand type chauve, avec un drôle de costume et des chaussures de clown ! Il secoue son parapluie trempé… « Mais qu’est-ce que… ?, s’indigne le général.

_ Web, vous tombez bien ! s’écrie Paschic. Ils veulent me faire la peau !

_ Vraiment ? répond Web. Et pourquoi vouloir supprimer quelqu’un d’aussi insignifiant que vous ?

_ Mais vous êtes qui ? fulmine le général.

_ Je suis le docteur Web ! Toujours là pour rendre service !

_ Attendez, vous êtes une de ces inventions de l’Occident décadent ?

_ Et vous-même, vous êtes…

_ Le général Lézard, au service de la grande Mussie ! Et avant votre arrivée, nous allions supprimer un traître !

_ Vous savez, plus je vous regarde et plus j’ai l’impression d’être dans un de ces vieux films de guerre, en noir et blanc, avec plein de nazis idiots ! Un film revanchard, si vous voyez ce que je veux dire !

_ Quoi ? Mais… Espèce de saligaud !

_ Le problème, messieurs, c’est que j’ai besoin de Paschic, pour lutter contre les mutants ! Il est l’un des seuls à les comprendre !

_ Ah ! Ah ! Des mutants ! Ah ! Ah ! Des mutants ! Voilà à quoi aboutit la décadence de l’Occident ! Chez nous, tout est clean, propre ! Nous sommes comme un seul homme, face à nos ennemis et à la boue qui nous entoure ! La grande Mussie d’ailleurs à une destinée unique, au nom de Notre Seigneur Jé….

_ Y a pas d’ mutants dans la grande Mussie ?

_ Non m’sieur ! Y pas ça chez nous ! »

Web fait un grand cercle avec ses bras et le général et ses hommes disparaissent, pour se retrouver dans la nuit ! « Bon sang ! s’écrie le général. Où sommes-nous ? Qu’est-ce que nous a fait ce vieux singe ? » Il fait noir et on n’entend rien ! Les soldats allument leur lampe et fouillent les ténèbres… Un petit visage blanc surgit une seconde, puis un autre, avec des bruits furtifs, pareils à des glissements !

« Hep ! Vous là-bas ! Montrez-vous, sinon nous tirons ! fait le général.

_ Sommes les enfants de la grand Mussie ! dit un murmure.

_ Sommes les enfants de la peur, dressés par la peur ! continue une autre petite voix.

_ Sommes les petits chiens de la Mussie !

_ Sommes les chiens enragés !

_ Miam ! Miam !

_ Sommes les chiens enchaînés !

_ Sommes les chiens de la peur !

_ Sommes les chiens du désespoir !

_ Miam ! Miam !

_ Eh ! Déconnez pas ! crie le général ! Nous sommes du même bord ! A nous le grand destin de la grande Mussie !

_ Sommes les chiens de la haine ! Les chiens dévorants ! Sans pitié !

_ Sans âme ! Dressés pour tuer !

_ Eh ! Déconnez pas ! »

On entend des coups de feu et des cris d’horreur, sous les dents qui déchirent la chair !

 
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