La Nuit des Doms (18-21)
- Le 18/10/2025
" Ma femme est dans le coffre de la voiture..."
The Guilty
18
Peu après, Paschic et Web s’apprêtent à visiter une autre cellule, quand de l’obscurité surgit un bébé mutant ! Tout de suite, il attaque Paschic, en se collant à son visage ! De ses yeux métalliques sortent deux perceuses, qui tentent de percer le cerveau de sa proie !
Paschic résiste, car il n’a rien à cacher, mais Web donne de petits coups au bébé, pour lui faire lâcher prise ! Les Apparences interviennent scandalisées ! « A un bébé il faut sourire ! crient-elles. C’est l’usage !
_ Mais c’est une saleté de bébé mutant ! réplique Web. Il est en train de détruire mon ami !
_ Laissez Web, coupe Paschic, elles ne comprennent pas ! Et puis, j’ai l’habitude… Ce n’est pas le premier que j’affronte, même si c’est moche de les voir comme ça à cet âge ! »
Mais, tandis que Paschic tient tête au bébé mutant et qu’il s’efforce de rester calme et que les Apparences sont toujours alarmées, une Dom goule quitte subitement sa cellule, avec des lunettes noires, et pousse Paschic, l’air de dire : « Mais qu’est-ce que tu fais sur mon chemin ! Allez, on avance ! »
La situation devient difficile et Paschic déséquilibré en perd son porte-monnaie, qui est ramassé par un Dom ivrogne, lui aussi sorti de sa prison !
« Mais qu’est-ce que vous foutez les Apparences ? hurle Web. Vous voyez pas que vos détenus s’ font la malle ?
_ On s’en occupera quand vous f’ rez risette au bébé ! C’est l’usage !
_ Mais bon sang, puisqu’on vous dit que c’est pas un bébé normal, mais un mutant ! Y a deux perceuses qui sortent de ses yeux !
_ Hips ! fait le Dom ivrogne à Paschic. Z’ auriez pas perdu vot’ porte-monnaie, par hasard ? Hips !
_ Oui, c’est bien le mien, répond Paschic. Vous n’ pourriez pas l’ remettre dans ma poche ? J’ suis assez occupé là…
_ Hips ! Avec le bébé ? Hips ! Mais peut-être que j’aurais droit à un ou deux euros pour ma peine ?
_ Non mais écoutez celui-là ! crie de nouveau Web, en désignant l’ivrogne. Il veut profiter d’ la situation ! Remettez le porte-monnaie dans sa poche ! On a la tête sous l’eau !
_ Sauf vot ‘ respect, hips ! N’êtes pas le propriétaire du susdit porte-monnaie, hips !
_ Mais c’est pas vrai ! C’est pas vrai !
_ On sourit à un bébé ! Tout autre comportement est scandaleux ! »
Soudain, la mère du bébé mutant apparaît et le replace dans sa poussette… C’est une femme sombre, à l’air abattu…. Elle semble commandée par le bébé lui-même… « Ouf ! fait Web. Il a quand même une mère ! Ça va Paschic ?
_ Oui, il n’y avait pas trop d’ dangers… C’est surtout triste !
_ J’ comprends… Dans quel monde étrange vivons-nous ! Eh ! Mais vous n’avez pas encore rendu le porte-monnaie ?
_ Rendrais le porte-monnaie à son po… priétaire ! répond l’ivrogne. Contre un ou deux euros ! J’ le mérite ! J’ai gardé l’ob… ject en sécurité, hips !
_ D’accord, concède Paschic. Donnez-moi le porte-monnaie, pour que je puisse vous donner quelque chose…
_ Voi… voilà ! Hips !
_ C’est de l’extorsion ! crache Web.
_ Oh ! Comment ils se sont comportés avec le bébé ! jettent encore les Apparences. Il faut lui faire : « A guili ! Guili ! »
_ Idiotes, les mutants n’ont que faire de vous ! Essayez au moins de garder correctement vot’ prison ! Ce sera déjà ça !
_ Honte à Web ! Ce sera rapporté à la reine !
_ Merci, m’sieur ! Hips ! J’ sais reconnaître un grand seigneur ! Hips ! M’dame, m’ssieurs ! Hips !
_ Dingue !
_ Vous savez, Web, enchaîne Paschic, j’ai aussi rencontré des bébés de Lumière !
_ Comment ça ?
_ J’ m’en rappelle d’un qui a éclaté d’ rire, en m’ voyant !
_ Vous trouvez ça agréable ?
_ Vous savez de quoi il riait, Web ? de ma peur… et de la force de la création !
_ J’ comprends pas !
_ C’est plutôt revigorant, non ? »
19
« Alerte ! Alerte ! dans le secteur B ! Alerte ! Alerte, dans le secteur B ! crie un haut-parleur.
_ Pas bon ça ! fait Web. Venez Paschic, on va voir c’ qui s’ passe ! »
Par les couloirs numériques, en compagnie de Web, on a vite fait de se rendre sur le lieu de l’alerte, où on découvre des militaires, avec du matériel lourd et des armes ! Un grand type à cheveux blancs se distingue du reste, en donnant des ordres !
« Général, fait Web, on peut savoir c’ qui s’ passe ?
_ Z’êtes habilité à recevoir les infos, fiston ? »
Web montre son passe numérique ! « C’est bien mon gars ! enchaîne le militaire. J’ suis l’ général Farci ! Alors voilà c’ qui s’ passe ! Y s’ trouve que la Chose, autrement dit la nature, a remis ça ! Elle nous refait une incursion dans l’ Cube ! Comme vous pouvez l’ constater derrière moi ! »
Web et Paschic tendent le cou et se rendent compte en effet que le Chose recouvre l’une des parois du Cube ! Mais il y a là surtout des ronces et ce qu’on appelle des mauvaises herbes ! « Qu’est-ce que vous allez faire, général ? demande Web.
_ Comment ça, qu’est-ce que je vais faire ? Mais je vais raser tout ça, fiston ! La Chose va être pelé jusqu’aux racines ! Du vert on va passer à un terrain grisâtre ! Eh, les gars ! On met la faucheuse de Dieu en route !
_ La faucheuse de Dieu ?
_ Ouais, on l’appelle comme ça, parce qu’elle laisse rien traîner ! En avant la musique ! »
Des militaires installent une énorme machine, qui colle à la paroi et qui commence à broyer et avaler toute végétation ! On entend alors un affreux hurlement !
« Bon sang ! Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? s’écrie Web.
_ Ça ? Répond le général. Mais c’est la terre qui gueule de douleur ! Eh ! Dame ! C’est qu’ la Chose est vivante, sensible, d’où sa haine à notre égard ! C’est vot’ première fois, on dirait ! On s’habitue, vous savez !
_ C’est… affreux ! lâche Web, qui s’éponge le front.
_ Général ! s’écrie un militaire. Y a un arbuste qui s’échappe !
_ Et alors, tu vas l’ laisser s’enfuir ? Mais bon sang, passe-moi ton arme soldat ! »
Le soldat désemparé tend son fusil au général, qui arme, épaule et vise ! L’arbuste court à toute vitesse vers un bosquet lointain, à moins que ce ne soit une publicité ! Mais, de toute façon , il ne le saura jamais, il est fauché par une balle dans le dos ! Il s’écroule, ses petites branches remuant encore lentement sur le sol !
« Tiens, la bleusaille, reprends ton fusil ! dit le général. Faut jamais s’ laisser surprendre ! Jamais !
_ Joli coup de fusil, général ! répond le soldat.
_ Ouais ! Voilà comment j’ traite la Chose !
_ Vous avez un compte à régler avec elle, on dirait ! jette Web.
_ Et comment ! J’ vais vous dire, machin Web, l’année dernière, ici même, un môme est mort ! écrasé par une branche ! lâchement tué par la Chose ! Alors, oui, pas d’ pitié !
_ Général, fait un autre soldat, le serpent des Cubes roulant demande s’il peut de nouveau passer !
_ Eh bien, soldat qu’en penses-tu ? J’ crois qu’on a fait du bon boulot, pas vrai ? »
Web et Paschic regardent la paroi du Cube et tout a été coupé par la faucheuse de Dieu ! On ne voit plus qu’une terre brunâtre, d’où émerge un flot de petites racines ! « La Chose a dû bien morfler ! dit le général derrière. Et c’est pas pour m’ déplaire !
_ Alors ? On peut y aller ? crient des Doms dans leur cube roulant. C’est pas trop tôt ! Tout le temps à emmerder l’ peuple !
_ Bon sang ! s’emporte le général. C’est pour vous qu’on s’casse l’ cul ! C’est pour vous qu’on mène cette guerre ! Bande de salopards !
_ Salopard, toi-même ! »
Le serpent des cubes roulants se dresse, siffle, puis déroule ses anneaux, sur la route enfin libérée ! Le trafic reprend ! « Ici, c’est chacun pour sa gueule ! regrette le général. Foutu pays ! » A cet instant hurle une ambulance, qui demande la priorité ! « Ah ! Ah ! fait le général. Un d’ ces foutus cubes roulants sur l’ toit, j’ parie ! Bien sûr, c’est triste, mais j’ suis pas mécontent non plus ! Chacun pour soi, j’ vous dis ! Allez, les enfants on remballe ! »
Paschic et Web se taisent, atterrés !
20
« Je n’en peux plus, Web ! fait Paschic. Aidez-moi à sortir d’ici ! Il faut que je retrouve la Chose !
_ La Chose ? Qu’est-ce qu’elle peut vous apporter ? Nous avons tout dans l’ Cube !
_ J’ai besoin de la paix de la nature, de sa beauté infinie ! Elle seule peut me calmer, me redonner de l’espoir !
_ Je ne comprends pas trop…, mais il est vrai que je ne suis pas tout à fait humain… Cependant, vous êtes bien le seul Dom qui ait autant besoin d’ la Chose ! Regardez les autres, ils s’en moquent complètement, d’où le développement incessant du Cube !
_ Je ne suis pas un Dom, Web ! Je n’ai pas besoin de dominer, pour me sentir quelqu’un ! Les Doms sont perdus et font le mal, c’est pourquoi je ne les supporte qu’à condition de me ressourcer dans la Chose !
_ Curieux ! Vous en avez parlé à vot’ médecin !
_ C’est un Dom ! Bon sang, aidez-moi à sortir du Cube ! Je n’aurais besoin que de quelques heures !
_ Autrement dit, vous êtes en manque !
_ En manque de sagesse, oui ! Pour moi, la vie du Cube est complètement absurde !
_ Admettons ! Mais il n’y a pas trente-six moyens pour s’extraire du Cube… Le plus simple, bien entendu, c’est le cube roulant !
_ J’ n’en ai pas ! J’ suis pas assez intégré pour ça !
_ Eh ! Eh ! On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre ! On ne peut pas en même temps critiquer le Cube et vouloir ses bienfaits ! Il faut lui faire allégeance !
_ Ah bon ? Vous croyez que le Cube vous laisse libre de choisir ! N’est-il pas en train d’envahir complètement la Chose, au point de se mettre en péril lui-même ! On vit forcément avec le Cube, puisqu’il est partout !
_ D’accord, d’accord ! Ne montez pas sur vos grands ch’vaux, à la moindre pique ! Bon, si vous n’avez pas de cube roulant, il faut prendre un cube collectif ! Mais…
_ Mais ?
_ Combien de mutants dans le cube collectif ? Combien de bizarreries, de gênes, de pressions ? Vous voulez connaître le Cube ? Prenez un cube collectif ! C’est là qu’on voit vraiment comment sont les Doms, toute leur misère, leur haine !
_ J’ résisterai… J’irai jusqu’à la Chose, en serrant les dents ! J’ s’rai même encore curieux des Doms, vous savez ! Leurs comportements ne font que confirmer mon raisonnement, leur peur surtout !
_ Bon, vous voilà ethnologue ! Mais quand vous descendrez du cube collectif, comment pourrez-vous êtes sûr de trouver la Chose ?
_ C’est à mon tour de ne pas comprendre… Elle sera là, je verrai ses arbres, je me dirigerai vers eux !
_ Et vous tomberez sur le Serpent des cubes, qui a mille tours dans son sac ! Après un bosquet, houps ! Il est là ! sifflant, grondant à cent à l’heure ! Impossible de l’enjamber ! Vous aurez cru toucher le paradis et vous serez en enfer ! Et je ne vous parle pas des chantiers !
_ Les chantiers ? Quels chantiers ?
_ Mais ceux du Cube évidemment ! Vous voilà bien naïf tout d’un coup ! Vous savez comme moi que le Cube ne cesse de progresser et de détruire la Chose ! Un chantier sera là où naguère vous admiriez des feuillages d’automne ou un ravissant petit ruisseau ! Tout cela recouvert sous les remblais ! avec les panneaux habituels, vous informant qu’on installe le siège d’une entreprise ou une résidence de rêve !
_ J’éviterai tous les pièges, Web ! Je m’obstinerai ! J’irai encore plus loin trouver la beauté et le rêve ! J’oublierai l’ Cube ! une heure, deux heures !
_ Ah ! Ah ! Vous êtes assez courageux pour ça ! J’ n’en doute pas ! Mais, imaginons que vous réussissez et après…
_ Après, j’ s’rai en paix !
_ Tsss, tsss, vous ne réfléchissez pas assez, mon ami ! Bon, vous êtes reposé, regonflé, mais vous n’allez pas rester dans la Chose, pour la nuit, j’imagine ?
_ Non, en effet…
_ Il va falloir retrouver le Cube, le Serpent roulant, le cube collectif, les chantiers…
_ Les mutants, la folie des Doms…
_ Exactement ! Le contraste sera encore plus saisissant ! Vous allez en être encore plus malade ! L’absurdité du Cube vous sautera encore plus fort au visage ! A vot’ place, j’resterai bien peinard dans l’ Cube… Un ch’wing ? »
21
« Alerte ! Alerte dans le secteur E ! Alerte ! Alerte dans le secteur E ! » « Bon sang ! fait Web. Une nouvelle alerte ! Est-ce que la Chose aurait encore réussi à percer ? Allons voir ! » Par les couloirs numériques, on arrive en un éclair sur le site et de nouveau Web et Paschic se retrouvent devant le général Farci !
« Général, qu’est-ce qui s’ passe ? demande Web.
_ Encore vous ? Vous êtes pires que les mouches ! Enfin, on a une attaque de mutants ! Ils sont venus mettre le feu à des voitures et à l’usine qui est derrière moi ! On a été obligé d’ouvrir le feu, puisqu’ils avaient eux-mêmes des armes et qu’ils nous ont canardés ! Vous vous rendez compte ? Trois ont été abattus… et le quatrième a pris une famille en otage… Il menace maintenant de tuer tout le monde !
_ J’imagine que vous négociez avec lui ?
_ Ouais, on peut dire ça… Z’avez déjà négocié avec des mutants ?
_ Pas qu’ je sache, non…
_ Ils sont dans leur monde… Ils fonctionnent pas pareil que nous… La dialogue semble impossible… Faudrait parler mutant !
_ J’ai justement un traducteur sous la main !
_ Ah ouais ? Qui ça ?
_ Mon ami Paschic, ici présent !
_ Vous parlez mutant ? demande le général.
_ Disons que je comprends leur origine et leur langage !
_ Bah ça, vous devez être fort alors ! Vous pouvez m’en dire plus ?
_ Les mutants se retrouvent face à un monde vide, sans repères et qu’ils méprisent, car il est incapable de les protéger ! Pour ne pas céder à la peur, voire à la panique, ils ont recours à une domination anormalement intense, de sorte qu’il contrôle tout ce qui les entoure, ce qui rend forcément l’existence des autres floue, inférieure ! Ils sont alors capables d’actes criminels !
_ Tout cela me paraît un peu compliqué… Concrètement, vous proposez quoi ?
_ D’agir sur la peur… Si on peut faire cesser la peur du mutant, on le rend réceptif… Il sera disposé à l’écoute !
_ Très bien ! Et comment on arrête sa peur ?
_ Sûrement pas la menace, évidemment ! Il faut déjà ne plus avoir peur soi-même… En fait, on arrête la peur avec la Chose !
_ La Chose ! Ah ! Ah ! C’est une blague ?
_ Non, la Chose n’est pas seulement la nature qu’on exploite… C’est aussi le temple de la beauté, dont nous sommes issus ! Le Cube, en se coupant de la Chose, perd cette vérité fondamentale et se condamne lui-même !
_ Bon sang ! Ça chauffe dur sous vot’ crâne ! Vous croyez qu’on va régler le problème avec la beauté ? Vous rigolez ?
_ Évidemment, quand le mutant en est à l’attaque, il est déjà un peu tard pour lui transmettre le message de la beauté ! Mais la beauté nous dit que nous ne sommes pas des étrangers dans l’univers et que même nous sommes aimés infiniment, ce qui fait cesser la peur !
_ Vous savez c’ que j’ crois ? C’est que vous êtes vous-même un d’ ces putains d’ mutants ! C’est pour ça que vous les comprenez ! Ne dit-on pas que seul un fou peut en reconnaître un autre ? »
A cet instant, un coup de feu retentit ! « Général ! crie un soldat. Ça tire !
_ A l’assaut ! A l’assaut tout le monde ! Il est en train de tuer les otages ! »
Quelques minutes passent et le général revient : « Il s’est suicidé ! dit-il. Fin du problème ! » Le militaire s’en va et Web lâche : « C’est triste tout d’ même ! C’est not’ jeunesse !
_ Oui, c’est plein de désespoir ! Mais nous nous méprisons, nous nous broyons les uns les autres ! Nous n’avons même pas d’ respect pour nous-mêmes !
_ Le général ne voit pas de relations de causes à effets entre les mutants et la Chose…
_ Non, il est pris dans la frénésie ambiante ! Le Cube est à la dérive, d’où les mutants ! Plus le Cube se ferme lui-même et plus il y aura de mutants, qui attaqueront !
_ Vous croyez vraiment que la beauté peut sauver l’ monde ?
_ Nous crevons d’ soif, Web ! Nous sommes dans un désert sans amour ! »