La Nuit des Doms (9-12)

  • Le 04/10/2025

R 105

 

 

               "On va l'enterrer là et si jamais il remonte, on sera loin!"

                                                         Délivrance

 

                                         9

     A la demande de Web, Paschic est retourné dans sa loge, où il sent tout de même toute l’agitation du Cube… On frappe à la porte : c’est Jobard ! Il entre et s’assoit devant une petite table, tandis que Paschic le rejoint… Jobard semble nerveux et dit : « Vous voulez toujours sortir du Cube, j’imagine ? Je peux vous y aider... » Il place sur la table une valise et l’ouvre : elle est pleine d’argent ! « Avec ça, rajoute Jobard, vous pourrez vous payer une habitation hors du Cube et couler des jours heureux ! »

Paschic considère pensivement Jobard, puis il lui demande : « Qu’est-ce qui ne va pas Jobard ? Pourquoi tenez-vous tant à me voir partir ?

_ Depuis que vous êtes là, Web n’est plus le même ! Il vous voit comme un champion ! Il n’y en a plus que pour vous !

_ Ah ! Je vous fais de l’ombre… Croyez-moi, ce n’était pas du tout mon intention…

_ Je vous crois, mais les faits sont là ! C’est vous la star ! Alors, que pensez-vous de ma proposition ?

_ Pour l’instant, je me demande ce que deviennent mes amis…

_ N’y pensez plus : ils sont foutus !

_ Vraiment ? »

Comme l’a fait Web, Jobard claque deux fois dans ses mains et un écran apparaît sur le mur ! « Voilà Marié, dit-il, Cristal s’en est occupé ! Regardez bien ! » A l’image, on voit Marié ramper devant Cristal… « Baise-moi les pieds, dit-elle, si tu veux avoir le reste !

_ Oui, je ferai tout ce que tu voudras ! C’est toi, ma reine, ma maîtresse !

_ Bien sûr que c’est moi qui commande, pauvre minable ! Ah ! Ah ! »

« Vous voyez, reprend Jobard, Marié n’est plus qu’une loque ! Apparemment, la vie dans laquelle vous l’entraîniez était trop pour lui… et il a les nerfs abîmés…

_ Et Mécano ?

_ Ce n’est pas mieux… Elle est devenu influenceuse sur les réseaux… Elle vante des produits cosmétiques, contre des rémunérations ! Elle s’achète mille fringues et ne décolle plus de son image ! Elle aussi avait besoin de souffler ! »

Paschic garde le silence un moment, puis il répond à Jobard : « L’argent est important, évidemment… Il rassure et donne un sentiment de liberté, ne serait-ce que parce qu’il permet d’échapper à bien des nuisances ! Mais il est quelque chose qu’il est incapable de donner et c’est pourtant la clé de tout !

_ De quoi voulez-vous parler ?

_ De la paix intérieure ! Toute nos inquiétudes peuvent se résoudre dans la paix intérieure et cela n’a pas de prix ! Je vais vous en donner un exemple... »

Grâce à sa magie, Paschic transporte Jobard au bord une étendue d’eau parfaitement calme et qui reflète le ciel gris… « Vous voyez ce jonc courbé ? dit Paschic. Avec son reflet, il forme comme un œil…

_ Et alors ?

_ Rien… Mais, si vous vouliez bien considérer cette perfection dans les lignes et y voir de la fantaisie, cela pourrait vous reposer…

_ J’ comprends pas ! »

Paschic et Jobard sont de retour dans la loge et c’est le second qui reprend la parole : « Donc, vous ne voulez pas de cet argent, mais rester ici, dans les mains de Web ?

_ Ce que je voulais vous expliquer, c’est que ce n’est pas l’argent qui me rendra libre !

_ Bien sûr, vous êtes un grand seigneur ! Mais vous savez ce qui va vous arriver ? Web va continuer à vous faire combattre et tôt ou tard, vous tomberez sur un plus fort que vous…. et il vous brisera !

_ Les mutants ont surtout besoin d’aide...

_ Allez leur dire ça, quand ils vous broieront !

_ Vous savez, les Doms se montrent violents, par peur du réel ! Derrière tous les régimes totalitaires, il y a de l’angoisse ! La haine à l’égard de la faiblesse vient de là ! On a peur que celle-ci ne soit pas un rempart suffisant, face au danger !

_ Tout ça, c’est de la théorie, Paschic ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que vous allez sauver le monde, par votre sacrifice ?

_ Comme je l’ai dit, le bien le plus précieux, c’est la paix intérieure ! Méditez là-dessus ! »

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     Web a rejoint Paschic dans sa loge, où il fume l’un de ses cigares coutumiers… « J’ suis embêté, Paschic, dit-il. J’ dirais même que j’ai peur !

_ Allons donc ! fait en souriant Paschic.

_ Pourquoi ne me prenez-vous pas au sérieux ? J’ai des sentiments, moi aussi !

_ Admettons…

_ Un type étrange est venu me voir… Grand de taille, un vrai mur ! J’en ai frémi rien qu’en l’ regardant ! Il m’a dit : « Je veux combattre vot’ champion, dans la cage ! » Il semblait menaçant, ce qui fait que je n’ai pas pu refuser !

_ Vous étiez plutôt trop content, à l’idée d’un nouveau spectacle !

_ Admettons… J’ai tout d’ même répondu qu’il me fallait votre accord !

_ Vous l’avez !

_ Co… comment ? lâche Web, qui en oublie de fumer.

_ J’ai dit : vous avez mon accord ! Voyez-vous, Web, j’ai changé de point de vue ! Il ne me servirait à rien de m’enfuir et de rejoindre la Chose… Le Cube finira par m’y retrouver, avec en avant-garde des Doms qui feront n’importe quoi ! Non, pour protéger la nature et me protéger par le fait même, il faut changer le Cube, le travailler de l’intérieur !

_ Voilà qui est parler ! J’étais sûr que vous en aviez dans l’ citron !

_ C’est plutôt moi qui ai besoin de vous… Je ne sais pas encore comment vous pourriez m’être le plus utile, mais si les combats peuvent m’amener à avoir droit au chapitre, ce sera déjà une première étape !

_ Tout à fait ! Votre nouvel adversaire est un mutant de l’ancienne génération : un gars intégré et qui bosse et tout ! Je crains tout d’ même qu’il n’ait quelque coup vachard dans la manche, Paschic ! Je n’ voudrais pas devoir vous ramasser en morceaux !

_ Vous savez, un telle sollicitude me touche et je ne crois pas au fond avoir mérité votre amitié !

_ Oh !

_ Jusqu’ici, je n’ai vu en vous qu’un gredin, alors que vous pourriez en remontrer à n’importe quelle sœur de charité !

_ Si je peux quitter cette planète, en ayant le sentiment que j’ai pu soulager ici et là quelque douleur, je serai satisfait ! Alors, à ce soir ?

_ A ce soir ! »

Autour de la cage, l’ambiance est toujours la même, mais curieusement le public montre de l’hostilité à l’égard de Paschic, qui a pourtant le statut de champion de Web ! « Il vous aime pas, on dirait ! fait celui-ci.

_ C’est normal, je ne flatte pas leur soif de vaincre ! J’ suis un éteignoir pour eux !

_ Ils peuvent quand même pas nier vot’ talent ! Vous voulez que je vous chauffe la nuque ?

_ Non merci, ça ira !

_ Ah oui ! Terminé les électrodes ! J’ai amélioré l’ système ! Vos cerveaux seront scannés en permanence et ce que vous pensez prendra corps directement dans la cage, sous une forme holographique ! Ce sera comme au cinéma ! Bon, voilà votre adversaire ! Brrr ! Y m’ donne toujours froid dans l’ dos !

_ Ne vous inquiétez pas pour moi, j’en ai pour une seconde !

_ Ah ! Ah ! »

Paschic entre dans la cage et regarde son adversaire… Il a la cinquantaine, un corps droit et sec, mais surtout son visage est inexpressif et sévère ! Paschic le voit soudain petit garçon, malheureux, isolé, prisonnier déjà de son orgueil, s’attendant à être admiré, mais ne faisant aucun effort pour aller vers les autres ! « Il n’a nulle simplicité, se dit Paschic. Voyons voir quelle horreur il a dans l’ ventre ! »

Le type s’approche de Paschic, comme si celui-ci était un avorton malade, puis ce qu’il imagine devient réel et face à Paschic se dresse soudain un géant d’argent, soulevant une clameur dans le public ! Le géant dit à Paschic : « Misérable créature, contemple la perfection même ! Prosterne-toi devant ton dieu ! »

Les spectateurs exultent : Paschic, qui avale sa salive, va enfin en prendre pour son grade !

                                                                                                               11

     Paschic, face à son adversaire, revient à la base… Qu’est-ce qu’il y a de commun entre les Doms ? C’est la peur ! Le monde nous fait tous peur ! ce qui conduit à un domination graduée selon les individus ! Ceux qui sont les plus agressifs et les plus violents sont ceux qui ont le plus peur, car c’est justement l’intensité de leur réaction qui leur fait oublier la peur !

Si on est fort et paisible, on n’a aucun besoin de la haine et on peut comprendre, on est assez disponible pour cela ! Aimer la différence est une force !

Ici, est-il possible pour Paschic de rassurer son adversaire, qui depuis l’enfance, afin de lutter contre la peur, s’est muré dans la tour d’ivoire de son orgueil ? Peut-on briser cet état d’autosatisfaction, principalement constitué de mépris, pour ramener l’individu à ses peurs enfantines, primordiales ? Paschic, devant la cinquantaine de son adversaire, n’a pas envie de creuser la question et il fait appel à la magie !

Un lierre subitement s’enroule autour des pieds du géant d’argent, qui ne masque pas sa surprise ! « Qu’est-ce que…, » s’écrie-t-il. Mais il n’a pas le temps d’en demander plus, car le lierre étant en fleurs, il est butiné par des abeilles, qui maintenant dérangent le géant ! Celui-ci fait des gestes assez grossiers, voire ridicules, raidi qu’il est par l’orgueil !

Le lierre progresse rapidement et à mesure qu’il s’élève, il transforme le corps du dieu d’argent en pierre, ce qui n’échappe pas au public, qui passe de la stupéfaction à la moquerie ! « Eh ! C’est ton cœur de pierre qui veut ça ! » entend-on des tribunes et cela montre que le géant avait mis mal à l’aise tout le monde, même les spectateurs les plus hostiles à Paschic !

Maintenant, il n’est plus qu’une tête de pierre, qui émerge d’un mur recouvert de lierre ; les abeilles survolant « joyeusement » son cri de désespoir ! L’adversaire de Paschic ne sait plus que faire et il reste là, comme un élève pris en faute peut haïr tout le monde, non parce que c’est injuste, mais à cause de la blessure faite à son ego ! Le personnel est contraint de conduire hors de la cage cet être figé par la rage et l’indécision ! C’est le résultat d’un isolement qui ne guérit pas les peurs, où la force n’est qu’une illusion !

« Bravo Paschic ! dit Web dans le dos de celui-ci. Vous n’en avez fait qu’une bouchée ! J’ suis déçu ! Quel pauvr’ type !

_ A propos de pauvres types, Web, j’aimerais visiter vos prisons…

_ Hein ? Comment savez-vous cela ? C’est top secret !

_ Disons que j’en suis arrivé là par la logique…

_ Ouais, mais j’ peux pas vous les faire visiter ! C’est ce qu’il y a de plus intime ! On aurait des plaintes, si on vous voyait mettre le nez là-dedans !

_ Voyons, Web, vous pouvez faire ça pour moi, non ? J’assure le spectacle !

_ Mais que cherchez-vous au juste ? Ce qui est dans l’ombre doit rester dans l’ombre !

_ Mais c’est aussi une réalité, non ? Officiellement ces prisons n’existent pas… et pourtant leurs prisonniers ne cessent d’agir à la surface, dans nos vies quotidiennes ! Comment espérer améliorer la situation, si on ne visite jamais vos geôles, si on nie leurs captifs ?

_ Mais moi-même, j’aime pas cet endroit… Il faut descendre des tas d’ tunnels… et puis les types sont dangereux ! On touche à leurs secrets et ils ne le pardonnent pas !

_ Mon adversaire du jour venait bien d’ là, non ? Quand ça vous arrange, vous n’hésitez pas à puiser dans l’ vivier !

_ Mais y a plein de pare-feus, d’antivirus, pour arriver là-d’ssous !

_ Web qui joue les vieillards rhumatisants !

_ Ah ! Ah ! Vous ne me reconnaissez aucune dignité, hein ?

_ Pourquoi le ferai-je ? Vous l’avez dit vous-même : vous êtes immatériel !

_ Vous savez, Paschic, rajoute Web en roulant un de ses cigares, tout l’ monde est inquiet, tendu… Je n’ sais pas si c’est bon de remuer la boue !

_ Tout ça restera entre nous, promis !

_ C’est humide et plein d’ rats !

_ Eh bien, vous m’ racont’rez tout ça, sur le chemin !

_ Et l’Arcom ? Les médias ? J’ai besoin d’une bonne presse, pour mes combats !

_ Plus vous apparaîtrez comme un dévergondé et plus vous aurez du public !

_ Bon, c’est quatre mille étages plus bas ! »

                                                                                                                12

      L’ascenseur descend silencieusement dans les ténèbres… Il glisse le long d’une paroi étrange, aux reliefs technologiques et sans âme ! Puis, brusquement il s’arrête et un groupe de droïdes y entre, avec des reflets métalliques et des yeux vides ! Il scanne Web et Paschic, à la recherche de virus, d’une menace terroriste ! « Il y a bien longtemps qu’on ne vous avait vu dans l’ secteur ! dit celui qui semble être le chef à Web.

_ Ouais, toujours la routine ?

_ Toujours ! Quelques attaques ici et là, mais rien de bien méchant !

_ On s’ demande pourquoi on vous paye !

_ Mais pour que la Porte de l’Est ne cède pas ! Venez voir... »

On sort de l’ascenseur, sur un éperon : « Regardez ! » fait le droïde et il montre une immense porte, entre deux parois d’ombre. Au-delà on voit le reflet d’une lave qui bouillonne ! « Ils sont derrière la porte et ne demandent qu’à se ruer jusqu’ici… et ce sera la catastrophe ! 

_ Qui ça « ils » ? demande Paschic.

_ Toutes sortes de gens, répond le droïde, des vendeurs, des politiques enragés, des services secrets, des sectes… Toute la folie du monde, toute sa voracité est là-bas ! »

On regagne l’ascenseur et la descente reprend, tout aussi silencieuse, mais Web finit par parler : « Ce contrôle n’est rien par rapport à celui qui nous attend à l’arrivée !

_ Ah bon ?

_ Oui, nous entrons dans le royaume du Non-dit, qui est gardée par les Apparences ! Ce sont des amazones qui ont toujours été là et qui n’ rigolent pas ! Alors rectifiez vot’ cravate et...

_ J’ n’en ai pas !

_ Je sais et c’est pourquoi ça m’ coûte de vous trimballer ! Et surtout évitez ce petite sourire suffisant ! Les Apparences ne le supporteront pas !

_ Elles sont si sévères que ça ?

_ Piouh ! fait Web dans un sifflement. Ce sont elles qui soutiennent tout l’ système, alors…

_ Vous parlez du système qui est toujours en crise ? »

Web ne répond rien et se contente de lever les yeux au ciel, mais l’ascenseur s’arrête, à sa destination et en effet, des femmes guerrières, avec des plumes et des lances, accueillent les visiteurs, ce qui pourrait prêter à sourire, n’eût été leur regard glacial !

Paschic et Web sont aussitôt conduits devant la reine des Apparences, qui marque sa surprise : « Tiens Web, avec un étranger, ce qui est formellement interdit ! Mais Web est Web et peut tout se permettre, n’est-ce pas ?

_ Ma Reine, je vous présente Paschic, qui est chargé de vérifier la salubrité des prisons…

_ La salubrité ? Mais pour qui nous prend-on ? Elles sont parfaites, nos prisons ! Elles sont des modèles de prisons !

_ Je n’en doute pas, ô ma Reine ! Mais il est parfois bon qu’un œil neuf vienne s’en assurer, ne serait-ce que pour faire taire toute rumeur à la surface !

_ Web, Web, tu sais comme tout désordre m’agace ! Je ne tolérerai pas le moindre écart dans le service !

_ Je connais votre devise : « Il faut que les Apparences soient sauves !’

_ Exactement ! Et il en a toujours été ainsi, ce dont je suis fière !

_ Et l’Autorité centrale y est sensible, figurez-vous ! C’est pourquoi elle m’a chargé de vous remettre ceci…

_ Tiens, qu’est-ce que c’est ?

_ Un parfum capable de rehausser votre beauté, si c’est possible !

_ Oh ! Ah ! Et tu dis que ça vient de l’Autorité centrale ? pour me récompenser de mon gouvernement ? Gardiennes, accompagnez Web et son ami vers les cellules ! Et veillez à ce qu’il n’y ait aucun accroc, sinon vous le paierez tous très cher ! »

Web et Paschic saluent la reine et suivent leur escorte… « Évidemment, dit Web à Paschic, on va pouvoir visiter toutes les taules : y en a des millions ! Mais je connais deux ou trois cas, qui pourront t’intéresser !

Malgré la beauté des Apparences, les couloirs sont sinistres et on entend des gémissements, des râles, des plaintes ! « Brrr ! fait Paschic.

_ Eh ! Oh ! réplique Web. C’est bien à cause de toi qu’on est ici, non ? Alors de la tenue ! de la correction ! Prends exemple sur nos accompagnatrices ! »

 
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