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  • La Révolte des Doms émeraude

    R79

     

     

                  "Nous sommes les chevaliers du Ni!"

                                      Sacré Graal

     

                                                      1

                         (Suite de L’attaque des Doms)

          Lapsie et Ratamor essaie de changer de tactique ! Ils ont convoqué la Machine, pour une formation ! Celle-ci s’est d’abord sentie outrée qu’on puisse lui donner des leçons et la considérer comme ignorante ! C’était oublier toute sa lignée ! En effet, d’où vient la Machine ? Son père n’était pas n’importe qui ! Il régnait sur l’Abakazie ! Il disait à sa fille : « Tu vois l’orage à l’horizon ? Eh bien, multiplie par dix la distance qui nous en sépare et tu auras une faible idée de mon royaume ! »

    L’une des distractions préférées du père était de couper la tête de ses esclaves ! « Il faut qu’ils comprennent que nous sommes supérieurs ! expliquait-il. Et rien ne vaut la terreur pour ça ! Nous écrasons le faible, pour qu’il sache qui est le fort ! Nous avons été choisis par Dieu, pour l’ordre, pour défendre les valeurs divines, contre l’ordure de la plèbe et du vulgaire ! C’est l’héritage de la chevalerie, de la noblesse ! C’est notre héritage ! A nous le fief et le rôle de veiller à l’honneur du pays ! C’est la mission qui nous a été confiée et malheur aux révoltés, aux insurgés, aux fauteurs de trouble ! Car nous abattrons tous ceux qui nous font obstacle et qui salissent le nom du Seigneur ! 

    _ Gloire au roi ! Gloire à l’Abakazie ! criait alors la foule. »

    La Machine a été élevée dans cette idée qu’elle est elle-même une élue, promise à une haute destinée, que sa place est celle du pouvoir et que les autres ne sont qu’une masse grouillante d’esclaves et d’admirateurs ! Mille princes ont demandé la main de la Machine, selon elle, et ils ont tous échoué ! Tautonus a été choisi, car il était simple et travailleur ! La Machine a entretenu son rang et la voilà de nouveau à l’école ? Pour qui la prend-on ?

    Mais Lapsie et Ratamor ont su faire preuve de diplomatie… « Une femme aussi éminente que vous est une chance pour la science ! ont-ils dit à la Machine. Ce que vous pouvez nous apprendre est unique !

    _ Mais c’est vous qui avez l’air de me donner une leçon !

    _ Apparences ! Fumées ! Méthodologie ! Quand vous répondrez à nos questions, nous noterons tout, nous n’en perdrons pas une miette ! Pensez à tous ceux qui récolteront bientôt le fruit de votre expérience, tel un élixir de vie !

    _ Hi ! Hi ! Vous exagérez ! Je n’ai fait que mon devoir ! Au fond, je ne suis qu’une faible femme !

    _ Quelle modestie ! Tout à fait dans l’esprit du Seigneur ! Mais je ne vous cache pas non plus que Dominator lui-même…

    _ Quoi Dominator ? Il me connaît ?

    _ Mais bien sûr ! Il n’est pas sans connaître votre père, votre fameuse lignée ! Dès qu’on lui a parlé de vous, pour notre expérience, il nous a répondu : « Vous ne pouviez faire meilleur choix ! C’est une famille dont les hautes qualités ne peuvent être mises en doute ! »

    _ Hi ! Hi ! Qu’attendons-nous pour commencer ?

    _ Eh bien, madame, nous allons débuter par quelque chose de simple…, car vos futurs auditeurs auront besoin d’un échauffement ! Ils ne peuvent pas toute suite avoir votre excellence !

    _ Ça va de soi !

    _ Vous voyez ce tableau… Nous y avons dessiné un cercle et un carré…, pour montrer combien ces deux figures s’opposent ! L’une, le carré est la Domination, appelée D ! L’autre est l’Amour, appelé A ! Tout va bien ?

    _ Oui, mais je vous avoue que je ne vois pas très bien où vous voulez en venir !

    _ Eh bien, c’est assez simple… Question : peut-on aimer l’autre sans le respecter ?

    _ Euh, je suppose que non…

    _ C’est tout à fait exact et c’est pourquoi nous opposons Domination et Amour ! On ne peut pas vouloir les autres inférieurs et les respecter !

    _ Mais en quoi, ça me concerne, moi ?

    _ Eh bien, nous nous demandons si vous respectez suffisamment Paschic ?

    _ J’en étais sûre ! Vous me donnez une leçon ! Vous êtes en train de me dire comment je dois être ! Comment osez-vous ?

    _ Mais… mais il s’agit de vivre ensemble ! de comprendre ce qu’est l’amour !

    _ A moi maintenant de vous éclairer ! Savez-vous ce que c’est qu’ ça ?

    _ Houps !

    _ C’est un MPH 90, 200 coups à la seconde, pour sulfater les rats comme vous !

    _ Vous n’allez quand même pas…

    _ J’ vais m’ gêner ! »

    La classe numérique vole en éclats ! Les murs sont troués, le tableau tombe, les cahiers sont plumés ! Bien qu’immatériels, Lapsie et Ratamor se jettent sur le sol ! « Comment ? A moi, la reine d’Abakazie, on manque de respect ! » entendent-ils encore.

                                                                                                                      2

          Le Dom émeraude 367 B met dans un sac quelques affaires, car il a décidé de s’enfuir de la maison familiale ! Ce n’est encore qu’un enfant, mais déjà il est malheureux et se dit que quelque chose cloche ! Il ne se sent pas chez lui ici ! Il a l’impression d’être différent, alors que les autres sont soudés ! Il subit encore mille avanies et des punitions, qu’il juge excessives, injustifiées, ce qui cause son chagrin !

    Et puis, il y a eu ce changement…, à peine perceptible au début… Mais ses yeux sont devenus verts ! Sa famille ne s’en est même pas aperçu ! Depuis quand ? 367 B était dans un bois, ça, il s’en souvient… Il y en a encore quelques uns autour de Domopolis ! Ils ne sont pas très grands, entre deux lotissements ou deux routes, et pourtant cela a suffi ! 367 B regardait une feuillage et il a été frappé par un éclair... émeraude ! A partir de là, il n’a plus été le même !

    Que s’est-il passé exactement ? Ce que les Doms appellent la Chose a-t-elle d’une manière quelconque « empoisonné » 367 B ? Continue-t-elle à le manipuler ? Celui qui est devenu un Dom émeraude l’ignore ! Tout ce qu’il comprend, c’est que son existence est maintenant insupportable, dans sa propre maison ! Alors, il faut partir, c’est une question de survie !

    Bien sûr que 367 B a essayé de discuter, de s’expliquer ! Mais à quoi bon ? Il a été remis sèchement à sa place ! On l’a même raillé ! On s’est moqué de son égoïsme et de son inexpérience ! On lui a dit et répété que c’était lui le problème ! Que faire face au nombre ? Mais même si celui-ci a raison, 367 B a décidé de s’enfuir : il souffre trop ! D’ailleurs, il n’a pas les mots pour combattre les adultes et l’émotion vient le submerger trop vite !

    Voilà, son petit sac est plein et il faut à présent quitter la ville ! Ce n’est pas une mince affaire, car depuis que la Chose menace Domopolis, la surveillance a été renforcée ! Des patrouilles veillent à ce que personne ne franchisse le mur d’enceinte sans autorisation ! 367 B veut profiter de la nuit et il se glisse telle une ombre, dans les rues silencieuses ! Il ne croise que quelques rats, qui le regardent avec méfiance !

    Enfin c’est le mur, là où il comporte une brèche, selon des camarades d’école ! C’est au bout d’un terrain vague, sous la nuit étoilée ! Effectivement, une mince fissure laisse rentrer l’air extérieur à la ville et un enfant peut l’emprunter ! 367 B se retrouve hors de Domopolis, dont il voit les lumières en se retournant ! Il a réussi et à lui l’inconnu ! Il en frémit, mais rester n’était plus possible !

    367 B est sur un plateau rocheux, sans végétation… C’est assez hostile et très silencieux… Où aller ? Le plan s’arrêtait avec la sortie de la ville ! Maintenant… Mais quelque chose bouge là-bas…, très rapidement même ! C’est un robot araignée ! Son acier est parfaitement clair sous la lune et il fait de gigantesques bonds ! 367 B en avait entendu parler, mais il avait cru à des histoires, pour faire peur ! La peur ? 367 B est réellement terrifié ! L’araignée en un saut est devant lui, avec des yeux rouges, des rayons lasers qui encadrent la frêle silhouette de l’enfant ! Puis elle crache sa toile et 367 B ne peut plus se débattre ! Il est prisonnier et ramassé par le robot !

    Un peu plus tard, il est dans un bureau face à un Dom massif ! La pièce est éblouissante et l’ambiance oppressante ! Inutile de dire que l’aventure est terminée ! 367 B regarde inquiet le Dom massif, qui lui dit : « Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais c’est très grave pour ton avenir !

    _ Je…

    _ La ferme ! Tu ne fais plus partie des nôtres à présent ! Tu as trahi !

    _ Je… je n’étais pas heureux !

    _ Pas heureux ? Tu crois que la vie, c’est fait pour être heureux ? Moi, j’ai un job et c’est assez dur comme ça ! Mais toi, tu t’en fous ! Et il faut qu’on s’occupe de toi à toute heure !

    _ Excusez-moi !

    _ Mais tes excuses ne suffiront pas ! On t’enlève toutes tes cartes et tes avantages ! Sur ton dossier, tu auras des points de cotisations en moins ! Tu es devenu un paria dans le système, une brebis galeuse ! T’avais tout, t’avais juste à faire comme les autres ! Mais non, monsieur a trouvé que c’était encore trop lui demander !

    _ Pas du tout ! Je…

    _ Je quoi ? Tu veux pas bosser ? Tu bosseras pas ! Mais à toi le déclassement, car tu seras marqué ! Mais dis donc, t’as les yeux tout verts !

    _ Non, non !

    _ Oh ! Mais si ! Alors, tu es un Doms émeraude ! Tu sais ce qui t’attend ? Le camp n° 5, tu connais ? Là-bas, on s’occupe des débiles dans ton genre !

    _ Laissez-moi retourner dans ma famille !

    _ Trop tard ! Et puis, tu veux mon avis ? Les tiens vont sûrement être heureux d’être débarrassés de toi ! »

                                                                                                                        3

          Au camp n° 5, Paschic reste le cobaye des expériences de Lapsie et de Ratamor, mais, quand on n’a pas besoin de lui, il est libre d’aller prendre l’air et le voilà croisant un jeune balayeur ! Celui-ci doit nettoyer une large dalle de béton, en plein soleil ! « Bonjour, c’est pas trop pénible ? demande Paschic.

    _ Comment ça ? répond le jeune balayeur.

    _ Ben, vous êtes là sous le soleil qui tape bien ! Et puis, vous soulevez de la poussière de béton, qui vous rentre dans le nez, non ?

    _ Non, ça va… et puis, on s’habitue, monsieur !

    _ Tu t’habitues ? Je me permets de te tutoyer, car tu es bien plus jeune que moi… Mais, justement, tu parles d’habitude et tu commences à peine ta vie ! Tu es un Dom émeraude, pas vrai ?

    _ Oui, monsieur ! C’est pour ça que je suis ici… et que je balaie, car j’ vaux pas beaucoup mieux, m’sieur !

    _ Ah bon ? Tu vaux pas grand-chose ?

    _ Non, m’sieur ! comme tous les Doms émeraude d’ailleurs ! On est des inutiles et des parasites ! On est des menteurs et des paresseux ! des gens pas fréquentables ! quasiment nauséabonds, m’ sieur !

    _ Ils t’ont bien bousillé, pas vrai ?

    _ Je comprends pas, m’sieur !

    _ Les Doms ! Ils t’ont fait croire que c’était toi, le mauvais…, parce que tu les dérangeais ! Ils ont eu peur de toi et ils ont cherché à t’écraser !

    _ Ils ont eu peur de moi ?

    _ Bien sûr ! Car tu es différent ! Tu es un Dom émeraude et ils ne comprennent pas ce que c’est ! Eux, c’ qui les intéresse, c’est leur plaisir, leur pouvoir, c’est leur bizness !

    _ C’est moi, l’égoïste, m’sieur ! C’est moi qui ne pense qu’à moi ! C’est pour ça que j’ dois balayer, pour rendre service…

    _ Pauvre gars ! Et si je te disais que c’est les Doms qui sont vraiment égoïstes et qui ne pensent qu’ à eux ! Crois-moi, ce sont des hypocrites ! Ils ne reconnaissent jamais qu’ils s’empiffrent et qu’ils se font la belle vie !

    _ Hep ! Vous là-bas ! crie un gardien Dom à Paschic. Il est interdit de parler aux Doms émeraude !

    _ Ah bon ?

    _ Ouais ! répond le gardien, qui est maintenant tout près de Paschic. C’est le règlement ! Alors, circulez ! »

    Le Dom gardien essaie sa domination sur Paschic, mais celle-ci glisse comme l’eau sur un rocher ! Le Dom est surpris et sent une puissance qui le dépasse et qui lui est inconnue ! Il a soudain peur et s’en va ! « Ouah ! fait le Dom émeraude. Comment vous avez fait ça, m’sieur ? Il est parti comme une flèche !

    _ Je t’apprendrai à lutter contre eux, si tu le désires ! Comment tu t’appelles ?

    _ 367 B…

    _ Depuis combien de temps tu es là ?

    _ Deux ans !

    _ Je vois que tu es brisé à l’intérieur…

    _ Vous devriez pas m’ parler comme ça, m’sieur !

    _ Ah bon ? Pourquoi ?

    _ Parce que j’ai envie de pleurer !

    _ C’est bon de pleurer, ça soulage ! Mais je sens que tu es plein de sang et de morceaux tout au fond… Je peux restaurer tout ça… Je peux te faire comprendre combien tu es aimable et que ce sont les Doms qui sont injustes ! Comme je te l’ai dit, ils ont intérêt à détruire les Doms émeraude !

    _ Vous pourriez me redonner espoir, m’sieur ?

    _ Oui, je pourrais, car je suis passé par ton état ! Je connais la solution et les remèdes ! Je sais vaincre les Doms, car je suis plus fort qu’eux ! Tu l’as vu, non ?

    _ Oh oui ! Je l’ai vu ! Et je vais aller raconter ça aux autres ! Ah ! Ah ! Comment vous vous appelez, m’sieur ?

    _ Paschic, car je ne suis pas chic pour les Doms ! »

                                                                                                                          4

          Toujours au camp n° 5, Le duc de l’Emploi et le colonel Retraite continue à s’énerver contre l’inertie des Doms émeraude !

    « Non mais regardez-moi ça ! s’écrie le duc de l’Emploi. Ils sont là une dizaine totalement demeurés ! On dirait des vaches !

    _ Et ils ne cotisent pas ! Plus dure sera la chute !

    _ Exactement ! Alors mes gaillards, pourquoi vous bossez pas ? Et même, pourquoi vous ne consommez pas ? Les spécialistes parlent de dépressions et d’éco-anxiété, mais on ne me la fait pas ! Vous êtes surtout des paresseux et des rigolos !

    _ Vous n’avez aucun point de retraite ! rajoute le colonel Retraite. Plus dure sera la chute !

    _ Vous ne savez pas leur parler, c’est tout ! coupe Paschic qui arrive.

    _ Quoi ? Qui êtes-vous d’abord ? fait le duc.

    _ Je suis Paschic… et je vous connais duc…

    _ Fort bien ! Vous allez donc expliquer à ces va-nu-pieds, tout l’intérêt de bosser !

    _ Je vous connais duc… et donc je connais votre hypocrisie et comme dans votre sillage, vous ne laissez que destruction !

    _ Comment osez-vous ? Je représente le travail, sans lequel la société n’est rien !

    _ Bien sûr ! C’est toujours le même discours, comme s’il n’y avait qu’une seule manière d’être utile à la société !

    _ Exactement ! appuie le colonel. Tu bosses, tu cotises et t’as droit à la sécu et à la retraite ! C’est le deal ! Sinon…

    _ Plus dure sera la chute ! Bien sûr, colonel, je connais aussi cette chanson… et elle est tellement claire que nos sociétés sont paisibles, de moins en moins violents et toujours plus saines mentalement !

    _ Et qu’est-ce que monsieur Paschic propose ? fait ironiquement le duc. Puisqu’il semble tout savoir !

    _ Mais je peux parler aux Doms émeraude, pour qu’ils se réveillent ! Vous permettez ? »

    Paschic étend la main et grâce ses pouvoirs, ils placent les Doms émeraude sous un feuillage ensoleillé, de sorte qu’ils aient l’impression d’être éclairés par un grand vitrail émeraude ! Des troncs à côté font office de piliers, car le but de Paschic est de prendre la parole comme en un temple, mais sans l’austérité des édifices religieux. Ici, c’est la nature, avec ses merveilles, qui est la maison !

    « Compagnons ! dit-il aux Doms émeraude. Voulez-vous servir la reine Beauté et défendre son royaume ?

    _ Nous le voulons !

    _ Compagnons, voulez-vous connaître la vérité et la paix, et donner ainsi un véritable sens à votre vie ?

    _ Nous le voulons !

    _ Compagnons, voulez-vous lutter contre l’hypocrisie et le mépris des Doms ?

    _ Nous le voulons !

    _ Compagnons, la route que vous allez prendre fera de vous des parias, des sans-grades, des déclassés ! Mais la lumière vous habitera ! Voulez-vous toujours cette route ?

    _ Nous le voulons !

    _ Compagnons, bientôt, nous partirons de ce camp et je vous demande d’attendre mon signal !

    _ Hourra ! Hourra !

    _ Non, mais je rêve ! s’écrie le duc. Vous leur avez parlé d’évasion !

    _ Ah bon ? Mais vous avez vu leur enthousiasme et même leur détermination ! Vous qui vouliez les sortir de leur torpeur, vous devriez être content !

    _ Mais…, mais, moi, ce que je voudrais, c’est qu’ils bossent ! qu’ils ne vivent pas aux crochets des autres ! C’est ça leur devoir !

    _ Exactement ! renchérit le colonel. S’ils ne cotisent pas, plus dure sera la chute !

    _ Et qu’est-ce qu’il y a de plus important ? répond Paschic. Ce n’est pas que nous vivions heureux, en respectant les autres et la planète ? Si votre devoir vous conduit à la haine, il ne sert à rien !

    _ Ah ! Pour causer vous êtres très fort…, mais les chiffres sont les chiffres et l’économie ne se nourrit pas de sentiments !

    _ Oh ! Mais si ! Et le mal que vous commettez, duc, est incommensurable ! » 

  • L' attaque des Doms (144-148)

    R78

     

     

                 "No more, no less!"

                           Fortress

     

     

     

                                                144

         « Mesdames, Messieurs, je crois que nous allons vaincre la Chose ! déclare Dominator.

    _ Aaaah ! fait l’assemblée venue l’écouter, dans la Tour du Pouvoir.

    _ Oui, c’est une idée de Monsieur Nuit, qui, vous le savez, est notre spécialiste béton ! Hum !Vous ne le verrez pas malheureusement, car il est modeste, mais surtout il a été transformé en escargot, par cette infâme Chose et donc il a préféré rester en retrait, le nez dans quelque salade ! Ah ! Ah ! Hum ! Mais le projet de monsieur Nuit est le suivant : bombarder la Chose de kits industriels !

    _ Ooooh !

    _ Oui, les kits sont parachutés sur la Chose et dès qu’ils touchent le sol, ils se développent eux-mêmes ! Les uns construisent un hangar, les autres une petite usine, etc. ! Le but est de poser les bases de multiples zones industrielles ! tels des postes avancés de Domopolis ! La Chose devient alors marginale, comme si le mouvement naturel était de relier ces nouvelles installations à la ville ! Il ne s’agit plus d’attaquer de front la Chose, mais de la miner, de la parasiter, afin de mieux la phagocyter !

    _ Hourra ! Hourra !

    _ Oui, mes amis, nous voyons le bout du tunnel ! Nous allons vaincre la Chose ! Chaque arbre, chaque ruisseau, chaque fleur sera traqué et exterminé ! Pourquoi ? Mais parce que nous nous foutons de la beauté, comme de l’an 40 ! Est-ce qu’elle donne du pain, des emplois ? Non, elle n’est qu’un agrément ! D’ailleurs, la science est formelle : la beauté n’est qu’une invention de l’homme ! On pourrait rajouter que seuls les lavettes et les assistés, tous les perdants de la vie en somme, lui accordent de l’attention ! Nous, les forts, nous réagissons autrement ! Nous savons où est l’essentiel et quels sont nos devoirs ! La beauté a voulu la guerre et elle l’aura !

    _ Hourra pour Dominator ! Hourra !

    _ Je vous pose la question ! Sommes-nous restés cet enfant admiratif devant la sauterelle ou le nuage ? Avons-nous gardé son sentiment de confiance, dans le monde merveilleux qui était le sien ? Nous sommes-nous réfugiés en sa sainte simplicité, afin d’échapper aux aspérités de la vie ? Non, bien entendu, nous avons grandi et ouvert les yeux ! Nous avons appris la valeur de l’argent et du travail ! Nous sommes devenus des gens sérieux, avec des responsabilités et des problèmes sérieux ! Le rêve revient à nos portes, sous la forme de la Chose, pour nous demander des comptes ? Eh bien, moi, je vous dis : « A bas le rêve ! parce qu’il est stérile ! Le rêve ne passera pas par moi ! »

    _ Bravo ! Vive Dominator ! A bas le rêve !

    _ Merci ! Merci ! Nous, nous connaissons la vérité, la dure vérité ! Le monde appartient aux forts ! à ceux qui dominent ! Le monde appartient aux Doms !

    _ Bravo ! Bravo ! Encore !

    _ La beauté veut notre peau… et elle ne l’aura pas, c’est moi qui vous le dis ! Quoi ? On voudrait qu’on se mette à regarder les choses, sans agir ? qu’on soit là devant la Chose, sans l’exploiter, sans y construire ? Quoi ? Il faudrait se réfréner et apprendre la patience ? Quoi ? Il faudrait que je n’aie plus peur, devant le vide de la vie ? que j’accepte des trous dans mon agenda ? Quoi ? Que je me calme, que je veuille savoir ce que je fais là et quel sens a tout ça ? alors, alors que ma population est assoiffée de besoins, de nouveaux logements ! On voudrait que je reste les bras croisés, alors que tant de gens me demandent du bruit, de l’agitation, du développement, pour apaiser leurs propres angoisses ? On voudrait que je dise oui, d’accord à l’apparente inertie de la Chose, à sa mollesse ? Non, merci, je ne suis pas de ceux qui abdiquent et qui évoluent ! Je suis fier de ma bêtise, puisqu’elle sauve !

    _ Hourra ! Hourra : Voilà qui est parlé !

    _ Je suis fier de mon hypocrisie, puisqu’elle s’appelle nécessité !

    _ A mort la Chose ! A mort la beauté !

    _ Bientôt, Domopolis s’étendra au-delà de la Chose ! Elle sera une ville admirée par tous ! Peu importe qu’elle devienne de plus en plus violente, ou polluante ! Peu importe que les jeunes aient de plus en plus de problèmes mentaux ! Le tout, c’est qu’on dise devant Domopolis : « Ça, c’est de la ville et de la belle ville ! Le Dom triomphe encore ! »

    _ Ouais ! Ouais ! Vive le Dom !

    _ Assez de discours ! Champagne pour tous ! »

                                                                                                                   145

         Plus tard dans la soirée, Dominator se met à chanter « sa » chanson, que tous les Doms présents connaissent bien, ce qui les fait participer à ce « magnifique » spectacle ! Dominator apparaît en effet dans un smoking éclatant et sous une lumière qui le fait briller !

    « Moi, j’ suis Dominator ! commence-t-il.

    Et c’est moi, le plus fort !

    Je ne connais pas l’angoisse !

    Car ça porte la poisse !

    Tu veux mon secret ?

    Que j’écrive quelque décret ?

    Ah ! Parce que toi, tu pleures ?

    Ah ! Parce que toi, t’as peur ?

    Attends, je vais t’ donner un bon tuyau !

    De quoi mouiller l’ maillot !

    Commande le monde !

    Sois immonde !

    C’est toi le seul !

    Les autres sont des linceuls !

    Écrase tout !

    C’est toi partout !

    Le chœur des Doms : « Eh ! C’est Dominator !

    C’est lui le plus fort !

    Il connaît pas l’angoisse !

    Ça porte la poisse !

    Tu veux son secret ?

    Tu veux son décret ?

    Ah ! Parce que toi, tu pleures ?

    Ah ! Parce que toi, t’ as peur ?

    Mais commande le monde !

    Sois immonde !

    Écrase tout !

    C’est toi partout !

    Dominator reprend : « Le début des ennuis !

    Le début de la nuit !

    Mais c’est le respect !

    Mais c’est la paix !

    Sois hypocrite !

    Fais-toi guérite

    De l’honnêteté,

    De la vérité !

    Fais-toi le chien

    Du bien !

    Défends les valeurs

    Du riche et de la pâleur !

    C’est le cheval de Troie

    De Dominator roi !

    Pourchasse, martyrise !

    Rien de pire que la nuance grise !

    Tous au billot !

    C’est toi le plus haut !

    Eh ! J’ suis dominator !

    Le choeur : C’est lui le plus fort !

    Dominator : Ah ! Parce que toi, tu pleures ?

    LC : Ah ! Parce que toi, t’as peur ?

    D : Mais écrase tout !

    LC : C’est toi partout !

    D : J’ connais pas l’angoisse !

    LC : Ça porte la poisse !

    D : Sois immonde !

    LC : Commande le monde !

    D : Sois hypocrite !

    LC : Fais-toi guérite !

    D : Fais-toi le chien !

    LC : Du bien !

    D : C’est le cheval de Troie !

    LC : De Dominator roi !

    D : Ah ! Ah ! Mes amis, mes amis, comme je vous aime !

    LC : Ah ! Ah ! La haine il sème ! »

                                                                                                                146

         L’Escamoteur, un des plus fidèles agents de Dominator, est dans son château, qu’il a pu se payer grâce à ses nombreuses missions au service du pouvoir ! Il est entouré de ses amis Mensonge et Hypocrisie et il exulte ! « Mes amis, mes amis ! dit-il. C’est un grand jour, car voici l’antidote à la Chose (il montre un écran d’ordi) ! L’IA, mes amis ! L’IA qui va nous débarrasser de la Chose ! De cette immonde Chose, qui est là dehors ! à nous guetter, à nous vouloir du mal ! Brrr !

    _ L’IA ? Mais comment ? demande Mensonge.

    _ Mais tout simplement ! répond l’Escamoteur. Vous voulez des fleurs ? Attendez, je vais demander à l’IA ! De petites fleurs bleues, en forêt, sous le soleil brumeux du matin ? Hein ? C’est ça que vous voulez ? Une image bien romantique, bien poétique, balaise pour un photographe simplet ? Voilà, j’appuie sur ce bouton et… l’image apparaît, créée par l’IA ! encore mieux qu’au naturel, dans cette affreuse Chose !

    _ Évidemment, c’est pas mal ! fait Hypocrisie.

    _ Pas mal ? Mais c’est superbe, oui ! C’est qu’ j’ suis un artiste, moi ! un dieu ! Ah ! Ah ! Et je peux tout faire ! Il suffit d’ demander ! Vous voulez de la peinture, de la grande peinture, infiniment créatrice, bien que mieux que ces patachons de Corot et de Cézanne ! Attention, je pianote, j’informe l’IA de ce que je veux ! Je me sens comme un peintre inspiré, sans les souffrances imbéciles de la vie de bohème, évidemment !

    _ Évidemment !

    _ Attention, un, deux, trois ! Matez les gueux ! Matez la populace ! Ça, c’est du travail ! L’art n’est plus le privilège d’un illuminé ! Quel talent j’ai ! Et la Chose là dehors, enfoncée ! La beauté, on en fait maintenant ce que l’on veut ! Elle est scientifique ! Elle n’est plus qu’une affaire mathématique ! La technique est créatrice ! Bon sang ! Finis les artistes pompeux et névrosés ! Et adieu la Chose ! Ah ! Ah !

    _ Vous avez entendu, demande Mensonge.

    _ Non quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? répond l’Escamoteur.

    A cet instant, on entend des coups sourds contre la porte du château. « Qui ça peut être ? à cette heure-ci ! fait l’Escamoteur. Il fait nuit et…

    _ Et dehors c’est la tempête ! rajoute l’Hypocrisie, alors qu’une éclair illumine la pièce lugubrement.

    _ Il faut aller voir ce que c’est ! coupe l’Escamoteur. Mensonge, t’ y vas !

    _ Moi ? (le grondement du tonnerre éclate tout près!)

    _ Mais oui, toi ! T’es pas plus bête qu’un autre, non ? « 

    Mensonge se rend à la porte et revient avec un étrange vieillard tout mouillé. « Excusez-moi, dit celui-ci. Je crains d’abîmer vos tapis avec toute cette eau qui dégouline de mon manteau !

    _ Hein ? Euh ! Ça ne fait rien ! répond l’Escamoteur contrarié. Qu’est-ce que vous voulez ?

    _ Permettez-moi d’abord de m’asseoir… Voilà, je suis la Tempête !

    _ Ah ! Ah ! La Tempête ? Elle est bien bonne !

    _ Pas tellement! En fait, je suis envoyé par la Chose !

    _ Comment ? La Chose a des émissaires ?

    _ Faut croire ! Cependant, la Chose s’est dite vexée, de ce que vous pensez vivre sans elle !

    _ Voyez-vous ça ! Mais on fait ce qu’on veut, monsieur… monsieur Tempête !

    _ Eh bien, pas exactement ! C’est une question d’équilibre, de pollution, de réchauffement, etc. ! C’est un peu trop compliqué pour vous et c’est pourquoi on m’a envoyé ici !

    _ Non mais, pour qui vous vous prenez ? Tenez, vous savez quoi ? Je peux vous reproduire à loisir grâce à l’IA et même en mieux ! Regardez, monsieur Tempête, je vais vous en faire voir de la tempête, moi et de la balaise ! Une tempête en mer et voilà, admirez le travail ! Ça, c’est de la tempête, très loin de votre imper mouillé et de votre air décati ! La Chose c’est fini, monsieur Tempête ! On passe à autre chose, ah ! ah ! »

    A cet instant, on entend un vacarme épouvantable et la Tempête explique : « Ça, ce sont mes amis et je crains qu ils aient pris ombrage de ne pas avoir été invités !

    _ Vos amis ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

    _ Que votre cave et donc votre chaudière sont noyées ! J’ai jamais pu calmer vraiment mes amis !

    _ Espèce d’enfoiré ! Sortez d’ici immédiatement ! Vous entendez ?

    _ Comme vous voudrez ! Ah ! J’ai un message de la beauté pour vous ! Elle ne se donne qu’aux saints !

    _ Allez vous faire foutre ! »

    Tempête s’en va, mais pas ses amis et les fenêtres éclatent ! « Patron, fait Mensonge, on appelle les vrais pompiers ou ceux de l’IA ? »

                                                                                                                   147

          Paschic se réveille dans une chambre étrange, qui n’est pas la sienne ! Où est-il ? Il se souvient vaguement d’individus qui l’ont maintenu dans la rue, puis plus rien… Encore faible, il se lève et s’approche de la fenêtre : dehors, il y a des bâtiments, comme ceux d’un camp et la chambre elle-même pourrait être celle d’un hôpital ! « Oh ! Mais je vois que vous êtes réveillé ! fait une voix derrière Paschic. Laissez-moi me présenter : je suis le professeur Ratamor… et voici ma collaboratrice, la psychologue Lapsie !

    _ Oui suis-je ? Et qu’est-ce que je fais ici ?

    _ Vous êtes au camp n° 5, où nous soignons les Doms émeraude… et si on vous a « amené » ici, c’est pour que vous contribuiez à une vaste campagne contre la dépression !

    _ Je ne comprends pas…

    _ D’après nos informations, vous êtes dépressif depuis longtemps, comme les Doms émeraude d’ailleurs ! Nous allons tenter de comprendre pourquoi, afin de vous guérir !

    _ Et si je ne veux pas ?

    _ Mais c’est dans votre intérêt ? Ne voulez-vous pas aller mieux et même participer à notre lutte ? Votre guérison pourrait servir d’exemple !

    _ Vous m’avez conduit ici de force ! Vous continuez donc à abîmer la confiance que je peux avoir en moi, confiance qui est primordiale, si on veut soigner la dépression !

    _ Eh bien, je vois que nous avons en vous un merveilleux sujet d’étude ! Votre intelligence va nous être précieuse ! Mais venez, ma collègue Lapsie va vous préparer, pour le premier traitement !

    _ Et mes vêtements ?

    _ Ici, vous n’en aurez pas besoin ! Tous nos patients sont en robe de chambre, sur leur pyjama ! »

    Paschic suit ses « hôtes » en blouse blanche et pénètre dans une vaste pièce, au centre de laquelle il y a une table d’examen ! Autour se trouvent des appareils tous plus compliqués les uns que les autres, alors que le plafond est en forme de dôme ! Le plus surprenant est peut-être un bras mécanique, terminé par ce qui pourrait être un œil !

    « Bienvenu dans notre repère, si je puis dire, hi, hi ! fait Ratamor. Lapsie, à toi de jouer !

    _ Enlevez votre robe de chambre et asseyez-vous sur la table d’examen ! dit Lapsie à Paschic. Je vais vous expliquer ce qui va suivre… D’après votre dossier, vous accusez la Machine de vous avoir écrasé ! À la suite de quoi vous avez bâti toute une théorie de la domination sur les Doms ! Or, nous, nous allons vous prouver que vous faites fausse route, que l’intégration et même l’harmonie entre les Doms est possible ! Il faut dialoguer, travailler avec la raison ! Nous ne sommes plus des enfants !

    _ Notre méthode, rajoute Ratamor, va vous permettre de revivre le passé, d’une manière plus objective, débarrassée de votre paranoïa, si je puis dire ! Vous allez convenir, comme nous, que vous avez exagéré la nuisance de la Machine et vos souffrances ! Vous allez vous rendre compte que la tâche d’une mère est loin d’être simple ! Autrement dit, Paschic, en route vers la sagesse… et votre bonheur ! »

    Lapsie finit d’installer des électrodes sur la tête de Paschic, qui doit s’allonger… Puis, les appareils vrombissent et l’« œil » mécanique se penche sur Paschic, comme s’il commençait à le regarder ! Paschic essaie de résister, mais il est bientôt entraîné dans un tourbillon, un abîme, d’où il émerge subitement dans une scène de repas dominical !

    Paschic reconnaît la Machine, Tautonus et ses frères et sœurs ! Il ressent une puissante émotion, car, pour lui, il est devant l’image même du bonheur et de la sécurité ! Tout est propre, la cuisine est merveilleuse et il y a cette chaleur dont seules les familles sont capables !

    Pourtant, la Machine est nerveuse… C’est d’autant plus surprenant que Tautonus s’amuse avec sa fille et son fils aîné ! Paschic ne quitte plus des yeux la Machine et il semble être le seul à percevoir le problème… Puis, soudain, la Machine tire de dessous la table un fusil à canon scié ! Elle le pointe sur Paschic, qui sent la sueur lui dégouliner dans le dos !

    « Non ! Non ! » crie-t-il, mais il prend la décharge en pleine poitrine, ce qui le projette en arrière et le renverse sur le sol ! Il est plein de sang ! Il n’en revient pas ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Adieu la sécurité, l’amour, la famille, l’innocence ! Il est où ? Il n’y a pas de paix ! Les Doms s’entre-tuent et voilà Paschic qui doit maintenant comprendre pourquoi !

    « Paschic ! Paschic ! hurle Lapsie. Calmez-vous, voyons ! Vous êtes de retour parmi nous !

    _ Je crois que cette première expérience est un échec, dit Ratamor. Il vaut mieux que vous regagniez votre chambre, Paschic ! Des infirmiers vont vous raccompagner !

    _ Bon sang ! s’écrie Lapsie, une fois que Paschic a quitté la pièce. Vous avez vu, la Machine lui a tiré dessus !

    _ C’est peut-être la névrose de Paschic , qui nous a fait voir ça ! Elle est tellement incrustée qu’elle rabâche ce scénario ! J’ai déjà vu ce genre de cas ! Mais je mâterai Paschic comme les autres ! »

                                                                                                                     148

         Paschic se retrouve de nouveau attaché à la table d’examen, Lapsie s’affairant autour de lui ! « Oui, Paschic, explique Ratamor. La science est en marche et rien ne l’arrêtera ! Tous vos a priori seront balayés ! Nous allons vous redonner foi dans le Dom ! Vous verrez qu’il est aussi capable d’amour et que le progrès est contenu dans la raison ! La dialogue, Paschic ! On expose les problèmes et on avance ! Il est prêt, Lapsie ?

    _ Parfaitement oui, nous pouvons débuter !

    _ Bien ! Paschic, vous allez revoir la Machine et voir que son amour existe bien ! Il y a eu méprise de votre part et sans doute aussi du narcissisme !

    _ Certainement ! rajoute Lapsie. Vous êtes proche du PN, du pervers narcissique, Paschic et n’étaient ces expériences, je…

    _ Allons, ma chère, corrige Ratamor. N’avons-nous pas décidé de redonner confiance à Paschic ? Montrons-nous aussi que nous savons faire la part des choses et que nous ne condamnons pas !

    _ Oui, mais je...

    _ Très bien ! Démarrage des appareils ! A tout à l’heure, Paschic ! Vous allez nous revenir transformé, j’en suis sûr ! Vous nous direz, rayonnant : « Vous aviez raison ! Je me suis trompé ! L’amour du Dom existe ! » Ah ! Ah ! Tu parles d’un veinard ! »

    Paschic revoit en frémissant l’œil hypnotique s’approcher de lui et il replonge dans l’abîme ! Mais voilà qu’il se réveille avec la forme d’un disque, au bout d’un fil, que la Machine allonge et reprend ! Paschic se rend compte avec horreur qu’il n’est qu’un yo-yo dans les mains de la Machine ! Mais écoutons celle-ci : « Oh ! Si vous saviez comme je l’aime, ce Paschic ! D’ailleurs, j’aime tous mes enfants et j’aime Dieu aussi ! Je ne fais pas le mal ! J’en serais incapable ! (Elle joue avec son yo-yo!)

    _ Hum ! Excusez-moi…, dit Ratamor, qui intervient dans l’illusion, mais Paschic est au bout de votre yo-yo ! Il ne doit pas trouver ça vraiment agréable !

    _ Hein ? Paschic au bout de mon yo-yo ? Tiens, c’est vrai ! Mais c’est aussi normal ! Paschic doit faire ce que je dis, sinon où on irait ?

    _ Mais… là, il sert votre plaisir et…

    _ Du plaisir, moi ? Sachez que je ne prends jamais de plaisir ! Je n’ai que des responsabilités et des devoirs ! Si vous saviez comme c’est dur d’être mère de famille et à quelle ingratitude on doit faire face ! Moi, prendre du plaisir, mais je ne suis qu’une victime transparente, mon cher monsieur !

    _ Bien sûr, mais…

    _ Tenez, si j’ai envie de balancer mon yo-yo contre le mur, je peux le faire ! Vlan ! Voyez, Paschic n’a rien dit, parce qu’il n’a pas eu mal ! Il sait comme je l’aime et que je ferais tout pour lui ! Moi, seul le connaît ! C’est moi qui l’ai fait, après tout ! Vlan ! Prends encore ça, Paschic !

    _ Mais arrêtez ! Vous lui faites du mal !

    _ Impossible ! Pour que Paschic ressente du mal, il faudrait qu’il existe, ce qui n’est pas le cas ! Il n’est qu’une partie de moi-même, que je commande à ma guise ! Et vlan ! Voyez, il dit toujours rien ! Oh ! Si vous saviez comme je l’aime ! comme j’aime les autres ! La bonté même, je suis !

    _ Il doit souffrir horriblement !

    _ Vous parlez encore de Paschic ? Pensez, il simule ! C’est un simulateur ! un menteur et un paresseux ! Si on l’écoutait, il faudrait ne penser qu’à lui ! Or, moi, j’existe aussi ! Je ne suis pas seulement là pour jouer les bonniches !

    _ Certainement ! Mais si vous demandez du respect, vous devez en avoir aussi pour les autres !

    _ Vraiment ? Vous savez que vous m’ouvrez un monde complètement nouveau ! Vous pensez donc que je dois avoir du respect pour Paschic ?

    _ Absolument !

    _ Il faut aussi qu’il soit une personne, c’est ça ? Mais…, mais qui pensera à moi alors ? Tout ce temps consacré à Paschic, c’est encore moins pour moi !

    _ Mais...

    _ Ecoute-moi bien ! (La Machine a rangé le yo-yo dans sa poche et sorti un gros couteau, qu’elle met sous la gorge de Ratamor!) C’est chez moi ici ! C’est moi qui commande ! Et c’est moi qui compte, pigé ?

    _ Oui.. oui…

    _ Paschic, j’en fais ce que je veux ! Il m’appartient ! Regarde-moi ! Voilà, c’est bien ! Je vois que tu m’ comprends ! Et ne dis plus que je ne l’aime pas ! L’amour, c’est mon rayon ! »

  • L' attaque des Doms (140-143)

    R77

     

     

                       "C'est beau comme une crèche!"

                         Il faut pas prendre les enfats du bon Dieu pour.... 

     

     

                                        140

          Le jeune Paschic a un entretien avec un conseiller d’orientation… « Alors, Paschic, ça boume ?

    _ Ça va… On fait aller, comme on dit !

    _ Hein ? Ah ! Ah ! C’est une expression d’adulte, ça, Paschic ! A ton âge, on doit avoir la pêche ! On a toute la vie devant soi, miam, miam ! On est d’ailleurs là pour parler de tes choix ! On va un petit peu cerner tes goûts, pour mieux te diriger vers la filière qui te conviendrait le mieux ! D’accord ?

    _ Ouais, ouais..

    _ Bon ! Ce n’est pas le choix qui manque ! Ce serait bien le diable, si on ne trouvait rien à te plaire ! Évidemment, tu ne pourras pas tout faire ! Il y a tes aptitudes et la réalité ! J’ dirais que le choix d’une filière, c’est une médiation, entre tes envies et ce qui est possible ! Mais n’allons pas trop vite ! Comme ça, de but en blanc, Paschic, quel métier tu voudrais exercer !

    _ Chais pas !

    _ Mais tu as bien une petite idée, non ? Tu as des centres d’intérêts ! des hobbies ! Qu’est-ce que tu fais le week-end ?

    _ Je pleure !

    _ Ah ! Ah ! C’est pas vrai, Paschic ! Tu pleures le week-end ? C’est pas possible ! Dis plutôt que tu vas t’amuser avec les copains ! A ton âge, on n’a pas de soucis à se faire ! Pas vrai ?

    _ Si vous le dites…

    _ Bon, je vois que tu as des aptitudes littéraires… C’est intéressant, ça ! Alors là, un large panel t’est ouvert ! Journalisme, relations publiques… et prof, pourquoi pas ? L’enseignement, Paschic, c’est une voix plus que honorable… et très demandeuse ! Hein ? Qu’est-ce que t’en dis ?

    _ Pas grand-chose… J’ai dû mal à m’intéresser à l’avenir !

    _ C’est normal, tu as encore le temps… Mais, attention, il ne faut pas trop traîner non plus ! C’est pas au dernier moment qu’il faut choisir…, car ça, c’est la voie qui mène à un métier qu’on n’aime pas ! Plus tu t’y prendras tôt et plus tu feras ce que tu veux ! Tu comprends ça ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Bien, alors j’ t’écoute !

    _ Ben, il faut déjà que je survive et ça me prend tout mon temps !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ? T’as des problèmes à la maison ?

    _ C’est ça…

    _ Tu sais, la vie des parents, c’est pas toujours facile ! Ils doivent travailler pour te donner à manger et payer tes études ! Je suis sûr que ça s’arranger entre eux et toi, avec le temps ! Tu vas mieux les comprendre !

    _ Ouais, ouais…

    _ Dis donc, c’est pas facile de parler avec toi…

    _ C’est parce que je suis pas chic !

    _ Allons, allons, revenons à nos moutons ! Tiens, plus vite tu gagneras ta vie et plus vite tu seras indépendant ! Tu pourras faire ce que tu veux !

    _ Ouais, ouais… Mais pourquoi vivre ?

    _ Mais parce qu’il faut manger, se vêtir, se loger, fonder une famille ! Tu ne veux pas fonder une famille ?

    _ J’ai déjà assez avec la mienne !

    _ Quel humour ! Brrr ! Mais, attention, quand tu seras plus grand, tu pourras faire ce que tu veux, à condition de travailler, car il faut aussi cotiser pour la sécurité sociale, ta retraite, etc ! C’est ça être responsable ! Tu ne voudrais pas être un assisté toute ta vie, Paschic, hein ? Tu as du cœur et du courage !

    _ Du cœur et du courage ? Oui, sans doute, mais surtout je suis triste, horriblement triste ! Je suis assoiffé d’amour et de justice ! Est-ce que vous pouvez me donner ça ?

    _ Tu me fais peur, Paschic !

    _ Moi aussi, j’ai peur, tellement que j’en ai mal au ventre !

    _ Mais tes parents sont de braves gens, je les connais ! T’as une famille formidable !

    _ Je sais, c’est moi qui ne suis pas chic !

    _ Ah ! Tu commences à m’énerver à la fin ! Il faut un petit peu se ressaisir et ne pas toujours se pencher sur soi !

    _ Quel sens vous donnez à la vie ? Comment arrivez-vous à être hypocrite, comme les autres ? Vous aimez parader, c’est ça ?

    _ Mais je ne te permets pas de me juger ! T’es encore un branleur !

    _ J’ m’en fous, je suis juste triste ! »

                                                                                                                 141

         Paschic remet son bulletin de notes à ses parents… C’est Tautonus qui le lit en premier et qui le commente : « Douze en géographie ! Bof ! C’est moyen, quoi ! Onze en physique ! Treize en maths ! Ouais, ouais ! Dix en anglais ! Eh ben ! C’était bien la peine de te payer un séjour en Angleterre ! Et douze en français ! C’est très moyen tout ça !

    _ Mais monsieur a un poil dans la main ! renchérit la Machine.

    _ Certainement ! reprend Tautonus. Il se la coule douce !

    _ Va falloir serrer la vis ! Plus de télé le soir !

    _ Non, je vous en prie ! s’alarme Paschic.

    _ Ben écoute ! continue la Machine. Comment on fait, nous ? Tu veux pas travailler, tu veux pas ! C’est ton choix, mais alors pas d’ télé l’ soir !

    _ Exactement ! approuve Tautonus. Au pain sec et à l’eau ! Et pas d’histoires !

    _ Tu verras, Paschic, dans la vie, le plaisir, ça se mérite ! Quand tu travailleras et que tu seras indépendant, tu pourras faire ce que tu veux ! Mais tant que t’es sous notre toit, tu feras c’ qu’on t’ dira !

    _ Mais pourquoi tu continues à discuter, chou ! Il veut pas comprendre ! Il est sourd comme un pot !

    _ Chais bien ! Mais il faut aussi qu’il sache qu’il y a des règles, qu’on fait pas ce qu’on veut ! C’est comme ton copain là… Comment il s’appelle déjà ?

    _ Gon… Gontrand !

    _ Voilà, Gontrand ! C’est de la graine de paresseux ! Et je trouve qu’il a une mauvaise influence sur toi !

    _ Oui, approuve Tautonus. Il est toujours là, à ne rien faire… et il t’entraîne !

    _ Dieu sait ce qu’ils font, quand ils sont ensemble !

    _ Pas le bien, certainement ! Pourtant, j’ connais bien l’ père et il est travailleur ! Il serait bon de lui ouvrir les yeux sur son fils !

    _ Bon ça, c’est autre chose ! objecte la Machine. Chacun éduque ses enfants, comme il croit que c’est bon ! Mais tant que tu seras ici, mon cher Paschic, tu nous obéiras !

    _ Tu pourrais te donner un peu de peine… souligne Tautonus.

    _ Penses-tu, chou, il s’en fout ! Lui, c’ qui l’intéresse, c’est de galvauder ! Monsieur se croit supérieur et que tout le monde est sa bonniche !

    _ C’est pas vrai !

    _ Non, c’est pas vrai ? Alors pourquoi tu travailles pas plus ! Tous tes professeurs sont unanimes : tu t’en moques ! T’es un dilettante ! Faut s’accrocher dans la vie !

    _ Ce que vous me dites, c’est qu’il faut que je fasse plus d’efforts ! C’est ça ?

    _ Exactement ! Les plaisirs, ça se mérite !

    _ Alors, pourquoi vous vous servez de moi, pour vous faire plaisir ?

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

    _ La vérité !

    _ Quoi ? Quelle vérité ? demande la Machine.

    _ Attention, mon garçon, prévient, Tautonus. Tu es sur une pente dangereuse ! Si tu nous manques de respect, tu vas avoir affaire à moi !

    _ Mais ce que je dis est vrai ! La Machine me méprise, pour se donner de l’importance ! pour reprendre confiance en elle ! Elle se sert donc de moi, pour ses plaisirs ! Cela n’a rien à voir avec le mérite !

    _ Mais t’es complètement givré, mon pauvre garçon !

    _ Moi, je te méprise ? demande suffoquée la Machine. Mais parce que tu ne fais pas ce que je dis ! parce que tu ne travailles pas !

    _ Ce n’est pas vrai ! Tu me méprises par sadisme ! Tu me tends des pièges, pour m’humilier ! Tu profites justement que je sois doux et obéissant !

    _ Tu entends ça, chou ! Tu entends comment cette petite ordure nous fait la leçon !

    _ Oui, c’est beaucoup trop ! C’est hallucinant !

    _ J’essaie seulement de dire la vérité ! réplique en tremblant Paschic.

    _ Mais ça suffit à la fin ! »

    Tautonus se lève, en renversant sa chaise, et se jette sur Paschic, qui essaie de s’échapper ! Finalement, le garçon s’écroule un peu plus loin sur le carrelage, où le bat Tautonus ! Puis, le silence retombe… Tautonus a regagné sa place, mais Paschic, lui, est encore sonné !

    Ainsi réagit la société, quand on menace et dénonce sa domination !

                                                                                                                        142

         Celui qui se sépare de sa domination voit bientôt les choses autrement, à un tel point qu’il a l’impression que les gens ou les Doms autour sont plus lents, comme s’ils étaient dans une autre dimension ! Cet effet s’explique par l’attention des Doms pour celui qui leur paraît dominant, justement parce que celui-ci est indépendant ! Les Doms abandonnent leurs activités, pour se concentrer sur « l’enfant Lumière », ce qui fait qu’il y a comme un voile qui tombe, laissant voir que ce n’est pas notre travail qui est le plus important, mais nos sentiments, notre domination !

    C’est cette réaction et cette attention dont il est l’objet qui donnent à « l’enfant Lumière » l’impression que le temps s’arrête, avec l’apparition de la vérité, car les Doms ne font pas semblant ! Les Doms masculins, croyant voir dans « l’enfant Lumière » un rival, l’engage aussitôt dans un rapport de force, le défiant volontiers avec toute leur haine ! C’est le résultat quand la domination est tout le sens de la vie ! Mais les femmes aussi essaient d’imposer leur séduction et cela peut être très brutale, jusqu’à ce que « l’enfant Lumière » soit choqué et déboussolé ! Car il ne faut pas perdre de vue que si nos sociétés sont si agressives, ce n’est pas à cause d’une conjoncture économique incertaine ou d’une partie de la population (les profiteurs ou les étrangers), pas plus que ce n’est une fatalité, mais c’est bien parce que le Dom ne change pas lui-même et que chacun ne se met pas en demeure de lutter contre sa propre domination !

    Nous continuons donc à nous mépriser les uns les autres et à nous piétiner, pour nous sentir importants et supérieurs, la domination restant notre guide ! Comment les choses pourraient aller mieux dans ce cas ?

    Il est nécessaire de comprendre que notre quotidien est très codifié à la surface, marqué par le travail, mais qu’en réalité c’est la vie psychique qui fait nos attitudes ! Notre posture est en fonction de nos émotions et de notre état d’esprit ! Nous sommes d’ailleurs très intéressants à regarder, car nous pouvons voir en chacun tous nos sentiments, de la peur à la paix, en passant par la vanité, etc. ! Nos vêtements et nos gestes montrent ce que nous sommes et comment nous nous voyons ! Un peu de confiance en moins et nous voilà timides, quasiment couleur muraille, afin de passer inaperçus et d’éviter les chocs !

    Cette vie psychique, a priori invisible, puisqu’elle est intime, est malheureusement restreinte, comme nous l’avons dit, à la domination ! C’est l’animal qui est en nous qui naturellement s’exprime et la plupart des gens ignorent totalement qu’on puisse vivre autrement ! Ils n’ont aucune idée de la vie spirituelle ! Ils se bornent à donner des coups de dents, quand ils sont supérieurs, et à se coucher, devant un supérieur ! Et pourtant, ils ont soif d’autres choses, ils se disent plus ou moins consciemment que nous ne sommes pas destinés uniquement à cette existence si dure et si vide ! Aussi, quand « l’enfant Lumière » surgit, sont-ils bouleversés, comme s’ils rencontraient enfin ce qu’ils avaient toujours attendu !

    Toutefois, ils ne sont pas prêts à recevoir le message de « l’enfant Lumière », car ils croient qu’il est « venu » pour eux, qu’il va se concentrer uniquement sur leur personne et c’est leur domination assoiffée qui parle ! Mais « l’enfant Lumière » n’est pas là pour un seul ! Il n’est pas là pour satisfaire une domination plus qu’une autre ! Il est justement là pour témoigner qu’il existe autre chose que la domination ! qu’on peut vivre sans elle et que la paix est possible ! « L’enfant Lumière » n’est pas là pour écraser, vaincre ! S’il attire le regard, c’est justement parce qu’il est différent, alors que tout le monde autour cherche à supplanter ! Il est le calme, au milieu de l’agressivité ! Il est l’eau fraîche, quand les Doms se déchirent ! Et les pires Doms sont ceux qui veulent détruire « l’enfant Lumière », alors que tant d’autres en ont besoin !

    Nous utilisons l’expression d’enfant Lumière, pour désigner celui ou celle qui s’est affranchi de sa domination, grâce à la foi ! Mais nous avons vu aussi que différents facteurs influent sur la domination, comme le soleil par exemple ! Il apaise la domination, car il enlève aux Doms, ainsi qu’aux animaux et aux plantes, le besoin de se chauffer et il est encore synonyme d’un retour à la nourriture abondante ! Mais une situation économique incertaine, une guerre, de l’inflation ou un environnement de plus en plus agressif, ont eux l’effet inverse, en renforçant la domination, à cause de la peur qu’ils suscitent ! Inutile de dire que c’est un cercle vicieux, car plus la domination est forte et plus elle produit de l’inquiétude et donc de la domination !

    Comment échapper à cet « enfer » ? La religion s’est déconsidérée, mais il reste la beauté de la nature, pour être touché par le génie et la bonté illimités de Dieu ! C’est un amour qui naît et qui permet de lutter contre sa propre domination ! C’est le chemin de la confiance, quoique le béton et la pollution ne cessent de progresser ! Voilà pourquoi notre situation est délicate !

                                                                                                                143

          Au camp n°5, on essaie de soigner les Doms émeraude, mais y parvient-on ? Les Doms émeraude sont inquiétants, car ils ont l’air abouliques, sans vie, avec de grands yeux verts, dirigés vers un lointain seulement visible pour eux !

    Le duc de l’Emploi, en compagnie de Lapsie, sont toujours à la recherche d’un traitement, qui ferait revenir les Doms émeraude dans la vie active, où, pense-t-on, ils seraient mille fois plus utiles qu’ici ! « Tout ça, c’est de la paresse ! s’écrie le duc. Pff ! Pff ! (Il crache toujours des pâquerettes!) Quand je pense qu’ils cotisent pas ! que le temps file ! Oh ! Mais, c’est au moment de la retraite que je les baise ! Là, qu’est-ce que je leur dis : « T’as cotisé, oui ou non ? » Non ! Eh ben, voilà, les comptes sont bons ! Adios amigo ! Serre-toi la ceinture maintenant ! Ah ! Ah ! Pff ! Pff !

    _ Tss, tss, duc, répond Lapsie. Vous voilà peu charitable ! Ces Doms sont malades et…

    _ Malades ? Des tire-au-flanc, oui ! Des profiteurs ! Avec de la volonté, on peut tout ! Vous entendez ? Pff ! Pff !

    _ Même arrêter de semer des pâquerettes partout ? Vous voyez, ce n’est pas aussi simple ! Non, moi, je suspecte ces Doms émeraudes de se gaver en cachette d’anxiolytiques, sinon comment expliquer leur état ? Et pourtant, on a fouillé et refouillé leurs chambres, rien ! Pas un seul médoc !

    _ Laissez-moi leur donner quelques baffes et ils vont parler !

    _ J’en doute, surtout s’ils sont effectivement drogués ! Non, le mystère reste entier ! Voyons voir, je vais palper le gros là… »

    Lapsie s’approche d’un Dom émeraude imposant, qui est assis apparemment morne… « Alors, mon gros, fait Lapsie, tu veux pas raconter à ta psy préférée les dessous de l’affaire, comment vous vous procurez les petits comprimés si reposants ? C’est pour votre bien que je vous demande ça, pour vous sortir de votre dépendance ! Hein ? Tu n’as pas confiance en moi ? »

    Elle touche le Dom émeraude et soudain, elle a comme un choc électrique ! Elle est sur un sentier boisé… Son pas est silencieux et tout autour, il y a une multitude de petites fleurs blanches ! Le lieu a quelque chose de féerique ! C’est frais ! C’est vert ! Les oiseaux gazouillent mélodieusement, comme s’ils étaient heureux !

    « Quel monde enchanteur ! » se dit Lapsie. Plus loin, des buissons d’aubépines éclatent comme des vagues sur les rochers ! Ailleurs, des fûts blanchâtres de peupliers montent fièrement vers le ciel bleu, où leur feuillages bruissent lentement, rappelant la rumeur de la mer ! « Tiens ! reprend Lapsie, là-bas, derrière le talus, il y a des buissons d’aubépines qui bougent… Mais non, suis-je bête, ces sont des jeunes filles qui reviennent de l’école… Je les ai confondues à cause de l’éclat de leur tenue… Mais… mais alors, nous sommes nous aussi d’une beauté inouïe ! Ces jeunes femmes, quelle espérance ! Peut-on parler de don… ?

    _ Mais qu’est-ce que vous foutez ? lui crie soudainement le duc de l’Emploi.

    _ Duc ? Vous êtes ici aussi ?

    _ Mais oui, ma chère, je vous voyais comme en transe ! Alors, moi aussi, j’ai touché le gros Dom émeraude !

    _ Non, mais regardez autour de vous, n’est-ce pas magnifique ?

    _ Moi, tout ce vert, cette solitude, ce silence, ça me fait flipper !

    _ Comment pouvez-vous dire ça ?

    _ Je ne sais pas ! Je me sens à l’aise seulement quand il est question de moi ! Eh ! Mais qu’est-ce qui se passe ? »

    Lapsie et le duc se retrouvent brusquement au sol, rejetés par le Dom émeraude ! Ils sont de retour au camp n° 5, car le Dom émeraude a sauté par la fenêtre, qui était ouverte ! « Mais il est en train de s’évader, ce con ! s’écrie le duc, qui appuie sur une alarme et aussitôt une sirène retentit fortement !

    De son côté, le Dom émeraude court vers la Chose ! Il en a faim et soif ! Il veut retrouver la beauté et sa paix ! C’est viscéral ! Il ne peut plus supporter l’univers et l’agressivité des Doms ! Il court éperdu, mais le béton est partout ! Les maisons et les routes n’en finissent pas ! Des travaux perturbent le Dom ! Il ne sait quelle direction prendre, à cause du bruit et des barrières !

    Il faut tenir, supporter toutes ces files de voitures, qui circulent sans fin, quasiment sans but ! Derrière, la meute est lâchée ! Des Jeeps et des chiens se lancent à la poursuite du Dom émeraude !

    Finalement, celui-ci, à bout de souffle, s’écroule dans un ruisseau noirâtre, qui pue l’égout, entre des pneus ! Le Dom émeraude a échoué et les gardiens le reprennent là ! Pour retrouver son rêve, il eût fallu aller encore bien plus loin, courir encore et encore, alors que la ville s’étend comme une toile d’araignée !

  • L' attaque des Doms (135-139)

    R75

     

     

                          "A poil, j'ai dit!

                            _ Bon, bon!"

                                           Flic ou voyou

     

                                             135

         Ce qu’a dû comprendre Paschic assez tôt, c’est qu’il est impossible de faire reconnaître au Dom ses « erreurs », son égoïsme, sa méchanceté, sa sournoiserie, son plaisir et donc son hypocrisie ! puisqu’il entre dans une colère folle, par le simple fait qu’on puisse « traiter d’égal à égal » avec lui, car cela lui donne une « matérialité », produit une différentiation, alors que le Dom n’existe que s’il commande les autres, en ayant du pouvoir sur eux ! Le Dom ne peut pas se voir seul, tel qu’il est, séparé de sa position dominante !

    A chaque fois que Paschic a essayé de montrer à la Machine combien elle pouvait être injuste et comment lui en souffrait, à chaque fois la Machine en a été outrée et a déchaîné toute sa violence ! Selon elle, Paschic ne cherchait pas à lui expliquer quelque chose, mais il lui faisait injure ! Dans ces conditions, il était inévitable que Paschic se refermât sur lui-même, refoulant son chagrin et sa notion de la vérité, jugeant le monde autour foncièrement hostile et s’enfonçant dans une dépression précoce ! Dès l’enfance, l’incompréhension a miné Paschic, l’a rongé comme la rouille le fer, jusqu’à en faire un être à part, dolent, très fragile sur sa base, car il a été impossible de se débarrasser du doute !

    Mais, obligé de dissimuler, se refusant à parler, contraint au mutisme, Paschic est devenu pour la Machine un être fourbe, menteur et véritablement méchant ! C’est lui qui a été accusé de sournoiserie et la Machine s’est mise à le suspecter, à le surveiller tout le temps ! Cette attitude n’a pas pu ne pas laisser de traces chez Paschic, qui, en plus de souffrir d’incompréhension, a dû s’interroger sur le bien-fondé des griefs de la Machine ! Etait-il lui-même un menteur, un paresseux, un mauvais ? Le Dom est extraordinaire à se voir telle une victime, quand c’est bien lui qui est coupable ! C’est quelque chose que l’on voit aujourd’hui chaque jour, au niveau international, jusqu’à ce que la vérité devienne totalement relative !

    Mais il faut encore rappeler qu’il est impossible au Dom de se regarder en face, dans le cas où le monde qui l’entoure le lui demanderait et donc ne serait plus le sien ! La réaction du Dom, dans cette situation, est toujours violente, irraisonnée, produite par une quasi panique ! Toujours est-il qu’on a voulu ouvrir Paschic comme une huître, au lieu de se remettre en question ! On l’a condamné à se tenir toujours sur la défensive et à une vigilance constante, ce qui est éminemment destructeur chez un enfant ! C’est une tension permanente, qui abîme des nerfs encore immatures, d’où une dépression chronique et un chagrin inconsolable !

    Cependant, plus la Machine se montrait redoutable et injuste et plus Paschic retrouvait avec plaisir la Chose, autrement dit la beauté de la nature ! C’était et c’est une véritable histoire d’amour ! Le génie de la Chose éclatait pour Paschic ! Comment les Doms, à côté des merveilles que découvrait Paschic, pouvaient-ils être aussi agités et haineux ? Voilà la question qui finissait toujours par remplir Paschic ! Qu’est-ce qui faisait le tourment des Doms ? Pourquoi ne trouvaient-ils pas un apaisement dans la Chose, comme Paschic ? Qu’est-ce qu’il leur manquait ? Que cherchait la Machine, pour ne pas se réjouir de la beauté de la Chose ?

    Mais la réponse est évidente ! La Machine voulait satisfaire son orgueil, sa domination, son ego ! La Machine visait son pouvoir, son influence sur les autres, l’importance de sa position sociale ! Sa préoccupation, c’était elle-même, sa grandeur, sa réussite ! Sa prison, sa fermeture, c’était sa petite personne et non la nécessité de trouver à manger et le paiement des factures ! Certes, cela existe, mais le grand travail de la Machine, c’était de se sentir importante, le centre d’intérêt ! C’était d’être admirée et vénérée ! Elle désirait être au-dessus des autres, triompher parmi eux et ainsi il était toujours question d’elle et ses enfants devaient suivre, sans avoir droit au chapitre ! Ils n’étaient aimés qu’à condition d’enjoliver la vitrine ! Pour résumer, la Machine était totalement à ses plaisirs, elle qui aurait juré n’être qu’une victime du devoir ! Comment peut-on être aussi hypocrite, sinon parce qu’on croit que le monde tourne naturellement autour de soi ?

    Mais voilà pourquoi la Machine ne pouvait comprendre la Chose ! Pour elle, la beauté de la nature est un accessoire parmi d’autres et elle est donc impuissante à apaiser la Machine ! Voilà pourquoi les Doms sont malheureux et détruisent la planète ! Ils veulent la réussite de leur domination et pourtant, ils vous diront, les yeux dans les yeux, qu’ils ne travaillent que pour la nécessité ! qu’ils ne prennent pas de plaisir, qu’ils ne sont pas égoïstes, qu’ils ne font que remplir leurs devoirs ! Ils ont le même discours et donc la même hypocrisie que la Machine ! Et comme elle ils font leur propre malheur, car la domination ne peut être satisfaite ! C’est un puits sans fond, qui ne guérit pas la peur !

    Celui qui renonce à sa domination, au nom de son amour pour Dieu, trouve alors dans la beauté de la Chose l’émerveillement et la paix !

                                                                                                                        136

          Longtemps, Paschic a cru que c’était la Machine le problème et que s’il pouvait quitter la maison familiale, il trouverait la justice et le bonheur ! Il s’est donc empressé de conquérir son indépendance et quittant les études, il s’est mis à travailler très tôt ! Mais ce n’était que le début du cauchemar ! Nulle part Paschic ne trouvait une réponse à ses questions ! Il se sentait bientôt mal à l’aise où il était, comme un étranger ! Mais que voulait-il ? Une explication, une justification ! Il voulait qu’on lui dise que ce n’était pas lui le coupable, mais la Machine ! Il voulait qu’on reconnaisse ses blessures, leur véritable existence, qu’elles n’étaient pas vaines, ni dépourvues de sens !

    Pourtant, Paschic s’adressait à un monde de sourds ! Il avait bien des relations amoureuses, des amitiés, mais il finissait toujours par se retrouver dans la beauté de la Chose, à attendre, seul ! Il n’y a que là qu’il avait l’impression d’être chez lui ! Cependant, le stress ne le quittait pas non plus, car il fallait toujours penser au lendemain, à la sécurité et c’était une drôle de vie, erratique, instable, tourmenté ! Pourtant, autour, le monde semblait très bien aller, avec des comportements comme celui la Machine et donc il fallut en convenir, c’était Paschic qui « déraillait » ! Sans doute se donnait-il une importance exagérée, qu’il était excessif, égoïste lui-même ! Peut-être était-il malade psychiquement ! En tout cas, il devait être bien ce dont l’accusait la Machine, puisqu’apparemment ce n’était pas elle qui avait tort !

    Paschic essaya donc de changer ! Autrement dit, il fit ce que ne font jamais ou presque les Doms ! Il devint contraire à lui-même ! Il se chargea des efforts dont les Doms se gardent bien ! Avec toute la bonne volonté qu’il sentait en lui, il se mit à se dépasser, à se demander toujours plus, à la recherche de l’erreur qui était en lui ! Il ne prit plus au sérieux ses blessures et s’enfonça sur le chemin sombre de sa destruction ! Il fallait trouver une vérité et que faisait la Machine pendant ce temps-là ? Elle s’absolvait et continuait de parader ! Elle n’évoluait même pas, ne se sentant nullement en faute !

    Entre-temps, Paschic s’était découvert poète ! Il avait absolument besoin d’exprimer ce qu’il ressentait et le « chant » des mots le comblait pleinement ! Écrire lui donnait une plaisir ineffable et lui paraissait aussi naturel que s’il avait été lui-même une fontaine, qui au lieu d’eau laissait écouler des rimes ! Ce n’était pas dépassé, car la rime est comme une note, qui a un effet sur le cerveau et la mémoire ! On peut la comparer au piton de l’alpiniste : celui qu’il enfonce en appelle un autre et ainsi progresse l’ascension, mais dans les souvenirs, la beauté ou la plainte !

    Mais de quoi parlaient les poèmes de Paschic ? Mais bien entendu de ses relations avec la Chose, de sa solitude, de son incompréhension, de son désarroi, etc ! Il s’y mêlait son admiration pour la nature et la haine, la volonté de détruire des Doms ! Bref, Paschic ne quittait pas ses sentiments, mais il était toujours incapable de les expliquer, de leur donner une origine, car il aurait alors fallu comprendre la logique des Doms, leur fonctionnement ! Mais Paschic n’était pas mûr pour cela : il en était encore à un stade « dolent », pour ainsi dire, tout habité par sa sensualité, qui allait avec le temps se transformer en raison !

    Néanmoins, Paschic était persuadé que son premier recueil de poème lui apporterait la reconnaissance de son travail, qu’on verrait alors sa valeur, ce qui serait une sorte de justice ! Sitôt qu’il serait édité, il trouverait sa place et on saluerait son courage, on le plaindrait pour toutes ses souffrances ! Il aurait dans ce cas comme une nouvelle famille, celle des hommes ! Le sens aurait été rétabli !

    Quelle naïveté ! Paschic n’avait-il pas déjà vu que la plupart des Doms se comportent comme la Machine ? Comment l’un d’entre eux aurait pu comprendre la poésie de Paschic, s’y intéresser, se dire : « Mais… mais c’est ce que j’attendais ! » Paschic espérait, il est vrai, qu’on saluât son art, puisque c’était la transformation de sa pensée, suivant des « codes », mais même ainsi l’esprit qui ne cherche pas, qui vit pour sa domination, est incapable de trouver de l’intérêt à un message qui semble aux antipodes de ses préoccupations, même si c’est une peinture ou une photo ! Tant qu’il n’y a pas d’attente, l’individu passe à côté, à moins peut-être qu’on lui mette le doigt dessus et qu’on lui demande d’épeler !

    Le fiasco fut complet pour Paschic ! Pas un éditeur ne lui accorda de l’attention ! Tout le monde s’en moquait ! Ce fut un coup dur ! Ce que Paschic avait de meilleur en lui ne valait rien ! La justice qu’il avait espérée n’était pas venue ! La Machine et les autres avaient raison ! Il s’était monté le bourrichon ! Ce à quoi il croyait, c’était du vent ! Sa base en était encore plus fragile et il s’assombrissait ! Il n’était pas au bout de sa destruction, semble-t-il ! Il devait davantage se corriger, faire plus d’efforts et sa dépression, devenue depuis longtemps chronique, le conduisit à l’abîme !

                                                                                                                  137

          Il est inutile d’entrer dans les détails des souffrances de Paschic… D’abord, parce que c’est très intime et ensuite, c’est impossible ! Il faut vivre ses choses avec la chair, pour s’en faire une idée ! Toujours est-il que Paschic se perdit absolument lui-même ! A force de batailler contre sa propre personne, il devint un étranger à son être ! Il lui était par exemple désormais impossible de caresser un animal sans avoir peur ! Et il transmettait cette peur, mettant en fuite l’animal ou le rendant agressif !

    Paschic avançait dans la rue tel un vieillard et il ne pouvait plus rien supporter ! Toute l’agitation autour lui donnait le vertige, le remplissait d’angoisse ! Pour résumer, il s’était brisé en deux et cela avait été possible, parce que ses bases avaient été fragilisées par la Machine et qu’aucune justice ne les avait réparées ! Il est extraordinaire de voir comme nous pouvons souffrir ! Mais tout le temps il y a des gens qui sont écrasés, blessés, tués ! C’est aussi cela notre quotidien et c’est dire comme les Doms sont responsables !

    Certes, ils ne se connaissent pas entre eux, mais ils ont pourtant un point en commun et c’est la peur, la peur de chercher et de s’offrir ! Les Doms sont coincés dans leurs haines et leurs ambitions, ce qui fait le monde si terrible ! Et non seulement ils ne « bougent » pas, mais en plus ils sont tout prêts à détruire ceux qui ont justement le courage de se libérer ! C’est dire leur petitesse et leur inconséquence !

    Mais Paschic, ayant atteint ses limites, commençait à faire la paix avec lui-même ! S’il n’arrêtait pas ses tourments, il allait mourir ! Il ne pouvait aller plus loin ! Ce « voyage » peut paraître ridicule, insensé à un Dom, mais il était nécessaire à Paschic, qui ne trouvait pas de réponses et qui progressait dans l’inconnu ! Comme il était loin le temps où il avait cru obtenir justice des Doms !

    Mais la paix venait sur Paschic, par force pourrait-on dire, et elle avait encore une conséquence extrême : aucun Dom désormais ne serait capable de troubler Paschic ! Car il faudrait, à ce Dom, aller aussi loin que Paschic et connaître les mêmes souffrances, ce qui est impossible ! En effet, si Paschic s’était obstiné, c’était d’abord par amour pour la Chose, c’était à cause de sa foi ! Le Dom qui suivrait cette route devrait donc avoir la même foi et il comprendrait alors Paschic !

    Cependant, avec ce nouvel équilibre, Paschic se rétablissait lentement et il reprenait des forces ! La compréhension de ce qui l’entourait y gagnait et Paschic distinguait la logique de la domination chez les Doms, leur rapport avec les animaux et leurs propres peurs ! Il était éclairé, car lui-même s’était différencié davantage ! Il semble que nous restons aveugles, tant que nous restons esclaves de notre ego, car c’est la soumission des autres qui nous rassurent, quand ce n’est pas carrément leur destruction ! Comment pourrait-on respecter autrui, s’il nous sert de faire-valoir ? Celui qui tient sur ses jambes, sans vouloir dominer, est à même de reconnaître la différence et de l’aimer !

    Paschic avançait dans sa vision, car il en avait des preuves chaque jour ! Il la vérifiait au quotidien, jusqu’à prévoir tel comportement, attendre telle haine, etc. ! Le monde entier changea pour Paschic, ainsi qu’il serait passé dans une autre dimension, mais bien plus réelle que celle des Doms ! Ceux-ci se déchirent et détruisent la planète ! Ils sont dans la nuit ! Mais Paschic n’avait donc pas perdu son temps ! Il était sorti des griffes de la Machine, avait beaucoup souffert pour trouver la lumière, mais enfin les fruits étaient venus ! Il est inévitable que le « croyant » perde ses repères, car nous sommes nombreux et donc nous nous « heurtons » à ce qui n’est pas nous ! Mais la pire réaction alors est la haine et le rejet ! La foi, c’est la confiance, la paix et la tranquillité ! C’est ce qu’a appris Paschic au bout de son long chemin douloureux !

    Paschic au fond a retrouvé la simplicité évangélique, celle qui faisait dire au saint d’Assise : « Merci Seigneur, pour frère Soleil et sœur Eau ! » C’est bien par la beauté de la nature que Paschic arrive au don de Dieu, mais cette reconnaissance n’est possible que par la simplicité ! Tant qu’on est « empêtré » par son ego, l’image que l’on se fait de soi, sa domination, son pouvoir, on ne peut y accéder ! Au contraire, cette simplicité est qualifiée de naïveté, quand ce qui paraît sérieux est de gagner de l’argent et de triompher sur les autres ! Et pourtant, aujourd’hui, les Doms ne peuvent que constater leur impasse !

    Il est toujours possible de réveiller le bien chez les individus ! Il est toujours là en sommeil et même aux aguets ! Mais, pour cela, il faut être soi-même en paix et porteur d’espoir ! On ne réanime pas la douceur, par la force ! « Sous » la Machine, Paschic a dû absorber toutes les peurs du monde ! Tout ce que les Doms n’arrivent pas à gérer, toutes leurs inquiétudes, toute leur méchanceté ont été versés dans Paschic, car il constituait une étrangeté, une énigme ! Il a servi de rocher, sur lequel on frappe, pour savoir si c’est bien dur ! Et c’est un affrontement inévitable, pour ceux qui recherchent la vérité !

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          Les Doms se moquent volontiers des enfants de Lumière ! Ceux-ci paraissent trop mous, trop empotés, pas assez agressifs et dominateurs ! C’est le mouvement naturel de l’animal qui est en nous qui s’exprime ! Pour les femmes, l’homme doit être volontaire, sportif, plein de force, car ce n’est que comme cela qu’il peut les protéger et assurer leur sécurité ! Pour les hommes, la femme doit d’abord être séduisante et organisée, afin de tenir une « maison » et d’espérer des enfants ! Chaque sexe constitue une émulation pour l’autre, pousse à une sélection naturelle, à un dépassement de soi et c’est un très bon moteur, mais la conscience fait aussi voir que ce n’est pas suffisant !

    La souffrance humaine interroge, la différence aussi ! Il y a les malades, les pauvres, les affamés, les handicapés, ceux qui sont écrasés, les alcooliques, etc. ! N’importe qui peut voir que le monde est plus vaste que son égoïsme ! L’expérience fait comprendre que nous ne sommes pas toujours gagnants et que même nous pouvons ne pas trouver de place ! au contraire de ce qui se passe chez les animaux, qui eux parviennent à un équilibre ! Car les Doms mettent leur intelligence au service de leur domination, en fabriquant des armes par exemple ! Ils peuvent alors croire que la planète leur appartient !

    Plus généralement, le Dom ne s’attend pas à ce qu’on lui résiste : les choses doivent se dérouler selon ses désirs ! Il vit dans sa bulle, à un certain degré, et cette bulle s’étend plus ou moins loin, mais tout ce qui se trouve dedans est contraint d’obéir au Dom ! Malheur à celui qui marche de travers, car on sait qu’il constitue une brèche dans la bulle, par là où peuvent entrer les peurs ! La réaction du Dom est alors le plus souvent violente et sans mesure ! Mais tout ça fait que la société n’aime pas la faiblesse, la lenteur, qu’elle associe très vite à de la paresse !

    Les maladies nerveuses sont une conséquence du stress entretenu par les Doms ! Les choses ne vont jamais assez vite pour leurs ambitions, qu’ils voilent sous la nécessité ! Au fond, tant que le Dom n’a pas été brisé lui-même, il garde l’illusion que la volonté peut tout, que seul son chemin est valable et que s’il n’y arrive pas, c’est qu’on lui a mis des bâtons dans les roues ! Le Dom a des ennemis, ce qui lui évite de se remettre en question !

    Cependant, plus la civilisation avance et plus la société se féminise et nous avons vu pourquoi ! D’abord, les femmes sont aussi égoïstes que les hommes et c’est une condition nécessaire à leur développement ! Elles poussent à être et à prendre toute leur place ! Ensuite, moins la sécurité du pays est nécessaire et plus le rôle de l’homme diminue et donc ses privilèges aussi ! Mais la féminisation de la société entraîne un respect croissant pour la fragilité, la différence, la santé nerveuse, toutes choses que les hommes dominateurs méprisent, car impropres au combat !

    Les femmes font valoir justement aujourd’hui les maux dont elles souffrent (endométriose, S II etc.), mais aussi leurs conditions de vie, ce qui profite à ceux qui sont d’habitude rejetés, comme les homosexuels ! La femme a forcément plus de tolérance envers la faiblesse, puisque naturellement elle s’occupe des enfants, qui sont sans défense ! Mais cela ne veut pas dire non plus qu’elle ne continue pas à pousser l’homme à la virilité, doutant de ses performances sexuelles, etc. ! Le Dom reste le Dom ! Il faut que la femme soit fière de son mari, de leur réussite sociale et les enfants jouent un rôle dans la vitrine, comme nous l’avons vu avec la Machine !

    Ainsi, malgré son évolution, la société demeure persuadé de sa cohérence et de sa viabilité, en cloisonnant dans le domaine du privé les croyances les plus intimes de chacun ! Ainsi encore la foi est facultative, d’autant qu’on ne l’imagine pas sans la religion, qui est à même de menacer le libre-arbitre ! Ainsi toujours la Chose ou la beauté de la nature est secondaire et n’est vue que sous l’angle du réchauffement climatique et de la transition écologique ! alors que la beauté est au contraire la clé de notre avenir, dans le sens où elle nous permet d’avoir la foi et de lutter contre notre domination !

    Ainsi enfin on continue à se moquer de l’enfant de Lumière, qui même aux yeux des femmes manque de mordant et de combativité ! C’est que le Dom se trompe sur lui-même ! Il croit faire le bien, quand il écrase quelqu’un d’autre ! Il croit que triompher le mène dans la bonne voie ! Mais, si l’enfant de Lumière paraît aussi inapte à la vie, c’est que lui voit la souffrance avec plus de discernement ! Il n’est pas dans sa bulle ! Il n’est pas esclave de ses ambitions, d’où son atermoiement, son hésitation devant la complexité du monde ! d’où ses questions et son air absent ! On pourrait même dire que l’enfant de Lumière est en avance sur son temps ! Mais, en butte à la violence et au mépris des Doms, il n’est pas rare qu’il soit broyé ! Les Doms ne l’ont pas vu, ni écouté, tellement ils étaient à se marcher dessus !

                                                                                                                      139

           Le soleil se lève ronchon ce matin ! Il étire ses bras, bâille et dit : « Qu’est-ce que ça caille ici ! Bouh ! Qu’est-ce qu’il fait, le soleil ? Mais j’suis bête : c’est moi, le soleil ! C’est moi qui réchauffe ! Ouais, mais qui me réchauffe, moi, hein ? C’est toujours à moi de bosser ! Ouais, ouais, d’accord, on sort de l’hiver, où j’étais en vacances, en veilleuse ! Eh ! Mais c’est que j’ai droit moi aussi d’ souffler ! J’ai droit moi aussi à la « grasse » ! à des dimanches tranquilles, paresseux, peinards !

    Bon, mais voilà l’ printemps ! Et allez donc, faut qu’ ça chauffe ! On a besoin de moi ! Les petites fleurs tremblantes dans l’ vent, elles crient : « Eh ! Soleil, on est là ! Verse ta lumière dans not’ calice ! Qu’on se gorge d’elle ! Qu’on fabrique du sucre ! 

    _ Voilà ! Voilà ! Que j’ dis ! Et hop, j’ fais mon service ! Dès sept heurs, j’ suis sur le pont, jusqu’à huit, neuf heures ! J’ bosse, moi ! Et que j’envoie mes rayons ! J’ tends les bras toute la journée ! Tu parles d’une suée ! Mais bon, les petites fleurs, j adore ça ! C’est plein de couleurs et c’est si fragile ! Et puis, oh ! belle reconnaissance du ventre ! Les pétales grands ouverts ! On sent qu’on leur rend service ! 

    Les p’tits oiseaux aussi, j’aime bien ! Avec le retour de la chaleur, ça pépie joyeusement ! Leur entrain fait plaisir à voir ! Tout ça pour s’accoupler et faire des petits ! J’adore visiter les nids, dire bonjour aux oisillons, en train de gueuler pour en avoir plus ! Quelle marmaille ! Quel boulot pour les parents ! Eh ! J’ai mon rôle à jouer ! Qui fait pulluler les insectes ? C’est bibi !

    Mais y en a quand même qui s’en foutent ! qui m’ méprisent ! Qui ? Qui ? Attention, moi, j’ cafte pas ! J’ suis pour la paix des ménages ! Y s’ra pas dit que l’ soleil l’a ouverte ! Humm ! L’ soleil, il a une fermeture éclair sur la bouche ! Et là elle est fermée, close !

    L’ soleil, il est pas du genre à médire ! Ça non ! Ceux qui veulent des ragots, des critiques à tout va, passez vot’ chemin ! L’ soleil bosse et s’occupe pas des autres ! C’pendant…, c’pendant, y a quand même de l’ingratitude en c’ monde ! Oh oui ! Mais bon, on passe là-d’ssus, non ? On est entre grandes personnes !

    Tout d’ même, j’en ai un peu gros sur la patate ! Y a des choses qui m’ gênent, voilà ! J’éclaire tout ce qui existe…, mais tout ce qui existe dit pas merci ! Eh ! Eh ! Voilà la situation ! Des noms ? Vous voulez des noms ? Je parle sans rien dire ? Je me plains pour me faire plaisir ? C’est ça que vous suggérez ? Bon, alors, je vide mon sac ! Vous l’aurez voulu ! Les Doms ! Les Doms, voilà le problème !

    Comment ? J’exagère ? Je suis d’un parti pris ? Qu’est-ce qu’il faut pas entendre ! Des exemples, vous voulez des exemples, des preuves ? J’ vais vous en donner, moi ! Comme vous le savez, la lumière est bienfaisante ! Elle est indispensable à la vie ! Bon ! J’ réchauffe les Doms, je leur redonne de la force, je fais monter en eux la sève, les hormones ! Ils sont plus beaux, ils veulent s’accoupler, ils sont plus tranquilles, plus heureux même ! J’ fais tout ça ! Les légumes, les fruits reviennent en force, etc.! Que de réjouissances !

    Mais qu’est-ce qui arrive ? Est-ce que les Doms me remercient ? Est-ce qu’ils reprennent le sentiment de mon importance ? Est-ce qu’ils me louent ! Est-ce qu’ils sont plus doux entre eux ? Est-ce qu’ils polluent moins ? J’ t’en foutrais ! Y pensent qu’à eux ! Ils considèrent ma lumière comme un dû ! Y voient pas le miracle ! Y s’émerveillent pas d’ mon don ! Y voient pas l’ progrès qu’apporte le printemps ! Ils ont toujours l’nez dans l’ guidon, dans leurs problèmes, dans leur comptes et attention à ceux qui sont pas dans les règles, qui cotisent pas, qui s’amusent, qui apparemment ne travaillent pas ! Le Dom comptable est là ! Il note tout ! Sa haine est prête à bondir ! Car lui, il est exemplaire ! Il obéit aux lois ! Ce n’est pas un assisté ! Mais où est le cœur ? Où est mon exemple, ma gratuité, ma force, ma gentillesse, mon infinie bonté ?

    Dans l’esprit du comptable ? dans son mépris pour le voisin ? dans son envie, sa lâcheté ? Diminue-ton ses ambitions, au profit de la patience ou de l’écoute ? Moi, j’ donne sans calculer et que fait le Dom : il mesure avec des yeux froids ! Merci, c’était l’ soleil, qui n’aurait pas dû s’ lever !

    Ma pipe, elle est où ma pipe ? Marre ! Je bronze des Jean-foutre ! Ah ! L’odeur des géraniums, doucement caressés par ma chaleur ! Bande de gnomes, de blaireaux ! Calme-toi, soleil ! Manquerait plus que tu deviennes un Dom !

    Dimanche prochain, ciel gris ! J’ veux voir les mômes doms pleurer ! Bah, j’ suis content quand les enfants rient ! Bon, bon, la prochaine fois j’ vous raconterai comment il m’est impossible de me faire une tartine au beurre ! »

  • L' attaque des Doms (130-134)

    R74

     

     

                    "Simon est de retour à la maison!"

                                          Code Mercury

     

                                    130

         Paschic arrive dans un territoire psychique bien inquiétant… Cela commence par des squelettes, qui émergent du sable et qui semblent toujours crier, avec leur bouche ouverte ! Puis, viennent des monceaux de cadavres, les un sur les autres, comme épuisés, anéantis ! Enfin, ce sont des gémissements, des pleurs de gens accablés, désespérés ! Paschic se gratte la tête : où est-il ? Pourquoi cette vision de cauchemar ?

    Il lève alors les yeux et découvre un mur gigantesque, qui s’élève jusqu’aux nuages ! C’est donc au pied de ce mur que tant viennent échouer et mourir ! Ils ne peuvent aller de l’autre côté, pour trouver de l’eau et de la nourriture ! Et ils sont dans l’impossibilité de faire demi-tour, car ils n’ont plus de force ! Leur errance, avant d’arriver là, a déjà été sans doute sans fin et torturante ! Certains montrent de vieilles blessures, des infirmités et restent prostrés, devant la masse du mur !

    Paschic a l’air en forme, par rapport à tous ceux qui l’entourent, et il décide d’attaquer le mur, d’en faire l’ascension ! Bientôt, il trouve du matériel : pitons, cordes, chaussures et il s’approche de la paroi... « Beaucoup d’autres ont essayé et ils ne sont jamais revenus ! lui fait un vieillard à côté.

    _ Je sais, répond Paschic. Mais moi, c’est différent ! Je suis un agent de la Chose et rien ne peut m’arrêter !

    _ Un agent de la Chose ?

    _ Ce serait trop long à t’expliquer, l’ami ! Souhaite-moi seulement bonne chance ! »

    Paschic commence son escalade, sans peine, car il a l’habitude de ce genre d’obstacles, mais à la fin de la journée, il est plus soucieux : « C’est comme si le mur s’élevait, à mesure que je grimpe ! se dit-il. Si c’est vraiment le cas, je vais avoir un problème! »

    A la nuit, il s’installe dans son hamac et il regarde les étoiles, que le mur ne parvient pas à cacher ! Pourtant, son regard revient toujours au faîte du mur, apparemment glacé et même menaçant! A l’aube, il reprend son ascension, mais il est soudain attaqué par des femmes à demi-folles, qui sortent du mur ! Elles sont en furie, hors d’elles, se prenant les cheveux dans les mains ! Elles insultent Paschic, tout en essayant de lui donner des coups de pieds ou de le griffer ! Elles sont odieuses et crachent du poison : un liquide noirâtre et nauséabond !

    Paschic est obligé de se défendre et il attrape une des femmes, en lui serrant le cou, jusqu’à l’évanouissement ! Puis, il la lâche et elle tombe, vertigineusement, au pied du mur, qui est si bas qu’on le distingue à peine ! A cette vue, les autres femmes s’arrêtent, grondent, murmurent et finalement, elles poussent une longue plainte, lugubre, sinistre, qui a l’air d’un appel !

    A côté de Paschic, le mur se descelle et un guerrier gigantesque s’en extrait ! On l’a dérangé ! On le lit sur son visage et on comprend qu’il sera sans pitié ! Il donne des coups, destinés à écraser Paschic, qui se balance de droite à gauche ! Il n’est pas possible de continuer une telle lutte et Paschic se laisse glisser sur sa corde, pour redescendre ! Dix fois, il manque de finir sous le poing d’acier ! Il ne fallait pas importuner le guerrier et là-bas, les femmes harpies regardent la scène, avec satisfaction, comme si elles étaient vengées de quelque affront insupportable !

    Jamais Paschic n’est allé aussi vite ! La corde lui brûle les doigts, les jambes ! Le mur résonne des coups sourds et tremble ! Enfin, Paschic se laisse tomber sur le sol, alors que plus haut enfin le calme revient ! Paschic n’est-il pas en effet vaincu ? Il a osé se croire meilleur que le mur, il s’est imaginé pouvoir le dépasser, et le voilà roulant dans la poussière, comme tous les autres ! Il n’a plus qu’à assimiler son échec maintenant !

    «  Je te l’avais dit ! lui jette le vieillard. Nul ne peut vaincre le mur !

    _ Tu as raison l’ancien : le mur est vivant et il se défend ! En fait, j’ai l’impression que s’il se laissait vaincre, il s’écroulerait immédiatement !

    _ Il n’y a pas d’espoir !

    _ Pourquoi dis-tu ça ? Le mur est le mur, c’est entendu, mais qu’est-ce qui nous empêche de l’ignorer ? Le mur a besoin de nous, mais pas l’inverse !

    _ Et qui va nous nourrir, nous rendre justice, veiller sur nous ?

    _ Mais moi ! ou plutôt la Chose que je sers ! Venez avec moi, je vous parlerai et vous apprendrez à vous moquer du mur ! »

    Des gens autour, malgré leurs blessures et leur affaiblissement, tendent l’oreille et se mettent sur leurs jambes, avant de suivre Paschic ! « Je vous apprendrai à rire du mur ! continue à crier Paschic. Je vous apprendrai à le voir ridicule et malheureux, car c’est ce qu’il est ! »

                                                                                                                   131

          Paschic souffre toujours de son passé ! Il a beau être plus sûr de lui, il a des douleurs qui témoignent de ses combats précédents et de la destruction qu’il a subi ! Notamment, la peur chez lui a causé une inflammation chronique du côlon, appelé intestin irritable ! A force de stress, les contractions coliques sont devenues trop fortes ou mal synchronisées et si les examens ne révèlent rien d’alarmant, les effets de cette affection n’en sont pas moins sérieux, voire redoutables ! Ce sont des insomnies, une fatigue chronique, de la dépression, des problèmes pour se nourrir et même l’obésité peut paraître une manière de soulager les maux, car la nourriture semble calmer le désordre nerveux de l’intestin !

    C’est pourquoi Paschic, comme tant d’autres Doms, a gonflé jusqu’à faire le double de son poids et que le chemin, pour retrouver la ligne, est long et dur ! Il n’est pas possible sans faire la paix avec soi-même ! On ne peut pas vraiment maigrir, si on continue d’avoir peur, car les maux du côlon restent tout aussi vifs ! Le stress est éminemment destructeur et l’intestin irritable, comme d’autres « maladies », ne peut que se répandre, touchant de plus en plus d’individus, puisque l’anxiété est le lot de notre époque sans repères !

    Mais ce n’est pas seulement une affaire personnelle ! Ce n’est pas seulement à l’individu de reprendre confiance en lui-même et de s’apaiser, mais c’est le fonctionnement général des Doms qui est à considérer, à comprendre et à changer ! Car tant que nous nous « nourrissons » de la domination, il nous faut des victimes, qui nous rassurent sur notre valeur et notre supériorité ! C’est-à-dire que nous broyons et méprisons des gens, pour échapper à nos propres peurs ! Nous nous servons des autres, pour nous faire croire que nous arrivons parfaitement à vivre et en tout cas mieux que les autres !

    Que se passe-t-il alors pour ceux qui sont blessés, détruits, écrasés, pour les faibles ou les doux ? Mais à eux la peur et les chagrins bien entendu ! à eux les désordres nerveux, les inflammations, les douleurs ! pendant que les plus forts paradent et triomphent ! Mais pas pour longtemps ! Eux également finissent par succomber sous la botte d’un plus fort, etc. ! On est dans une impasse, car nous nous méprisons et nous nous piétinons les uns les autres ! C’est une chaîne sans fin ! Ainsi, pour calmer ses angoisses, la Machine a anéanti Paschic, l’a traqué dans les moindres recoins, parce qu’il s’est retrouvé malgré lui, encore enfant, tel un obstacle sur sa route ! Notre logique nous condamne, puisque plus nous sommes inquiets et plus nous voulons vaincre l’autre ! Nous sommes nous-mêmes à l’origine des maladies nerveuses, qui nous accablent ! Elles viennent de notre mépris !

    C’est donc la domination qui est à bannir ! Il nous faut une autre raison de vivre que celle de nous sentir supérieurs au voisin ! C’est tout le sentiment de notre réussite qui est à remettre en question ! Car, rappelons-le, dominer ne guérit pas les peurs ! d’autant que ceux qui sont dominés ont droit eux aussi à une vie propre et qu’ils cherchent leur totale indépendance ! C’est pourquoi encore le Dom, qui voit qu’on lui échappe, devient monstrueux, car la liberté du dominé le renvoie à ses peurs, qu’il juge insupportables, terrifiantes ! Le Dom peut alors essayer de détruire de toutes ses forces, voire de tuer !

    Mais comment arrêter de vouloir dominer ? Comment se sentir en sécurité, sans pouvoir, ni domination ? Car ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons regarder sereinement les choses ! Encore nous faut-il un peu de sécurité, avant de respecter les autres, de voir leurs différences ! Sinon c’est l’égoïsme qui nous conduit aveuglément ! Mais où puiser la force de ne plus dominer ? de nous regarder en face, sans nous croire le chef ou le caïd de l’endroit ? Comment nous tenir sur nos jambes, en prenant conscience que nous ne sommes pas le centre du monde, ni que nous avons le droit de mépriser notre prochain ?

    Ce sont ces questions que nous devrions nous poser, mais au contraire nous nous enfonçons dans notre domination ! Nous ne faisons que suivre notre instinct animal, sans soucis de l’histoire ou de l’expérience ! Nous avons recours aux nationalismes, au repli sur soi et au rejet de la différence, ce qui crée une situation favorable à la guerre ! Nous nous fermons sur nous-mêmes, construisons des murs, persuadés que nous serons protégés ! Nous nous confions naïvement à des dictateurs, comme s’ils étaient des parapluies chaleureux et altruistes ! Nous misons sur l’égoïsme et cultivons nos haines ! Nous continuons à vouloir être les plus forts et méprisons les plus faibles !

    Pire, nous ne cessons de détruire la nature et sa beauté, qui est pourtant le seul marchepied permettant d’échapper à la domination ! Nous mettons une sorte de rage à clouer notre cercueil, car rien que le fait de rester tranquilles nous angoisse ! Les maladies nerveuses nous rongent, bien plus que nous l’estimons, et réduit à néant le confort de notre civilisation ! Nous souffrons sans vouloir les remèdes !

                                                                                                                     132

          Les Doms ne sont pas tendres avec les jeunes, car leurs peurs les guident ! On presse l’enfant, on lui fait craindre l’avenir et l’échec ! Les résultats doivent suivre et l’enfant est contraint très vite de choisir sa filière, un métier, etc. ! Tout le poids du monde moderne, son stress, son asphyxie même, car nous sommes incapables de nous regarder en face, ni de nous parler normalement, lui pèsent sur les épaules ! Il sue déjà et ne semble heureux qu’avec son téléphone ! Par bien des côtés, il ressemble à un esclave, qui paye la lâcheté de son maître et son ambition ! Comme la domination ne permet pas de comprendre la vie, le Dom attire l’enfant dans sa frénésie, son flot d’inquiétudes, sa peur du monde extérieur !

    Plus le parent Dom est attaché à l’effet qu’il a sur les autres, à sa position sociale et à son sentiment de supériorité et plus l’enfant est discipliné, corrigé, surveillé, étouffé ! Il est comme dans une caserne, avec un entraînement militaire, le reste du monde constituant une menace ! C’est ce qui est arrivé à Paschic, sous l’autorité de la Machine ! Mais qu’est-ce qui a fait qu’il s’est opposé à la Machine ? Pourquoi n’a-t-il pas été soumis et cédé complètement à la peur ?

    C’est une individualisation particulière, qui a permis à Paschic d’avoir une notion précoce du bien et du mal, du mensonge et de la vérité ! Car le Dom vit non seulement dans l’ignorance, mais encore grâce à l’hypocrisie ! Il nie absolument ses plaisirs, ce qui lui donne la possibilité de se voir comme bon, remplissant ses obligations et à même d’en demander autant aux autres ! La réalité est pourtant toute autre ! Le Dom satisfait en premier lieu son orgueil et son égoïsme, quitte à mépriser tout le monde !

    Toujours est-il que Paschic très tôt a trouvé une forte opposition entre la beauté, le calme de la nature et l’agitation et la méchanceté des Doms ! C’est la nature qui a conforté Paschic dans sa position, son combat ! C’est la beauté qui lui a fait comprendre qu’il existe autre chose que la malhonnêteté, l’aveuglement et la folie des Doms ! Elle a été et reste son guide, tandis que le Dom se raccroche désespérément à sa domination ! Car le Dom ne supporte pas qu’on s’affranchisse de la condition d’esclave, qui est la sienne ! Le Dom est soumis et il veut que tout le monde le soit ! Il y a une hiérarchie et le Dom veut que chacun y trouve sa place, parce qu’ainsi il peut exercer sa domination sur un certain nombre, même si lui-même courbe l’échine devant ceux qui sont au-dessus ! Le Dom est un raté, qui demande à ne voir que des ratés !

    Le Dom, qu’il soit un homme ou une femme d’ailleurs, exècre la Lumière et la liberté qu’elle permet ! La femme Dom rappelle impérieusement à Paschic combien elle est séduisante et combien donc elle compte ! Elle attire le regard de Paschic, quoi qu’il fasse ! Il doit obéir et la regarder ! C’est une domination ! C’est comme si la femme Dom déchirait l’espace, en disant : « Je suis là ! » Elle s’impose comme centre d’intérêt ! C’est vital pour elle ! C’est un mini trou noir !

    Le Dom masculin a la même action : lui aussi commande une soumission et qui est aussi de caractère sexuel ! On domine l’autre, si on le trouble dans sa virilité ! C’est la « queue » qui sert de bâton, pour humilier ! On veut des esclaves sexuels, pour réaffirmer sa valeur sociale ! On n’a que ça ! Il n’y a pas eu de recherche, ni de révolte ! On a eu peur et on a épousé le « carton-pâte » de la société ! Et on fait payer cette soumission, en la voulant pour tous ! On a été lâche et il n’est pas question qu’il y en ait un de courageux ! On s’est couché et personne ne doit se tenir droit ! On n’espère plus et le désespoir doit régner ! C’est la seule consolation qui reste, la dernière illusion ! C’est la domination à bout de souffle et qui trouve ses ultimes bulles d’air dans la boue qu’elle répand !

    Comment alors les jeunes pourraient ne pas avoir peur ? Comment pourraient-ils croire au bonheur ? Les villes s’étendant toujours plus, elles privent les jeunes d’un accès à la beauté, comme si la « liberté » même de la nature n’existait plus ou était répréhensible ! Le fossé est comme consommé, entre le béton et l’arbre, entre la ligne droite et la fantaisie ! Les villes constituent un monde dur, peuplé de Doms tout aussi rigides et piégeux ! Les règles des Doms s’abattent sur les jeunes, qui n’ont qu’un recours : les « likes » de leurs réseaux sociaux !

    Personne d’autre apparemment ne leur parle ! alors que Paschic vivait dans la lumière du feuillage, entouré de papillons ! alors que la truite venait lui dire « bonjour » ! La beauté parle incessamment ! Elle explique le sens de la vie, par son opposition au « grand n’importe quoi » des Doms ! Celui qui s’en nourrit garde le courage et se préserve du mensonge ! Il acquiert la paix ! Le Dom est perdu, mais cela ne l’excuse pas ! Le Dom est méprisé, mais ce n’est pas une raison pour qu’il méprise à son tour !

                                                                                                                  133

          Dès le départ, Paschic et la Machine se sont affrontés ! L’argument de la Machine est connu de tous : « Il faut travailler, pour gagner sa vie ! C’est une nécessité ! La vie n’est pas faite pour rigoler ! Personne ne fera de cadeau ! Un euro, c’est un euro ! Pas de place pour les rêveurs ! Il y a les factures à payer ! Les études, ça coûte cher ! Etc. »

    Tout le monde est en effet confronté à cette réalité ! A part les millionnaires, chacun connaît la peur du lendemain ! C’est le prolongement naturel des besoins de l’animal, qui lui aussi chaque jour doit lutter pour se nourrir, défendre son territoire et se reproduire ! Étrangement, nos sociétés modernes devraient nous soulager au quotidien, mais au contraire assurer notre survie est devenu quelque chose d’obscur, de fortement angoissant, une source intarissable de tourments ! Les loyers, les factures, toutes les taxes, tous les événements nous enchaînent et nous minent, à un tel point qu’ils nous arrivent d’envier la simplicité des animaux, quoiqu’ils s’entre-tuent et qu’aucune loi ne les protège !

    Mais, toujours est-il que la Machine, dans son discours, avait de quoi désarçonner Paschic et le faire rentrer dans le rang ! Le problème, c’est que Paschic s’est rendu compte que la Machine se servait de lui, le méprisait pour se donner de l’importance, se sentir supérieure ! Qu’est-ce que cela avait à voir avec le « contrat social », avec la nécessité du travail, le devoir ? On était là apparemment dans une dimension qui ne concernait pas les nécessités de la vie, le besoin de se nourrir ou de se loger ! Où le mépris qu’on fait subir aux autres apparaît sur la fiche de paye ? Quand la CAF prend-elle en compte le fait qu’on s’essuie les pieds, sur le dos de son voisin ? Si la société est juste, elle doit non seulement compter les cotisations pour la retraite, mais encore toute la méchanceté dont nous sommes capables tous les jours !

    Pour Paschic, le discours de la Machine n’était pas cohérent ! Elle parlait incessamment de nécessités, de devoirs et en même temps, elle méprisait, utilisait Paschic, pour ses plaisirs, pour la satisfaction de son égoïsme ou de son orgueil ! Pour Paschic, elle n’était pas crédible, d’où l’affrontement ! L’enfant voulait dénoncer le mensonge de sa mère ! Mais, comme s’en est aperçu bientôt Paschic, le problème s’étend à toute la société ! Le conflit qui l’opposait à la Machine n’a fait que continuer face au monde des adultes, car le comportement de la Machine n’a rien d’unique et il pose une question de fond, qui peut s’exprimer ainsi : qu’est-ce que le mal, d’où vient-il ?

    Car il s’agit bien du mal ! Mépriser un enfant, se servir de lui, lui mentir, c’est mal ! En fait, c’est comme si le mal n’existait pas dans nos sociétés (à part dans les faits divers) et pourtant il nous frappe incessamment ! Il sévit et nous détruit ! Mais il n’est inscrit nulle part ! Il n’a pas d’existence officielle ! Il est là sans être là ! Mais pour Paschic, il était le gros point d’interrogation, puisqu’il en était victime ! Il lui fallait expliquer sa souffrance, afin d’en être soulagé ! Paschic voulait bien être le petit soldat, réussir ses études, avoir un métier, ne plus dépendre de la Machine, à condition que le terrain soit clair, qu’on ne reçoive pas une balle dans le dos, que le plaisir soit reconnu, que l’ambition dise son nom, que le mépris ait sa place ! Il n’est pas possible de rêver du bonheur ou de la paix, si les choses ne sont pas franches, si les fondations sont meubles, changeantes, fausses !

    Donc, voilà Paschic au travail (sans salaire malheureusement !) et se demandant ce qu’est le mal et d’où il vient et ne rencontrant aucune réponse ! Mais n’est-ce pas là le seul vrai travail, le seul qui devrait nous intéresser ? Pourquoi nous broyons-nous, nous méprisons-nous ? Pourquoi nous haïssons-nous ? Paschic a les manches retroussées et ne compte pas ses heures ! Il est à la tâche du matin au soir, sans cotiser ! avec toujours le souci de trouver de quoi vivre !

    Dans le même temps, son affrontement avec la Machine atteint des sommets ! Il n’est pas question pour celle-ci de lâcher du pouvoir, ni encore moins de reconnaître son mépris ; comme la société elle-même reste aveugle, alors qu’elle croule sous les problèmes et semble se cogner la tête contre les murs ! Pour Paschic, ce sont des coups de boutoir interminables, un broiement quasi complet de son cerveau, car la Machine cherche, piétine, écrase jusqu’à plus soif !

    Paschic, dans sa quête de la vérité, doit rompre tout lien avec la Machine, pour ne plus en souffrir et avoir du recul ! Il est comme l’animal, qui pour survivre dévore son membre pris au piège ! Inutile de dire que la route de Paschic est extrêmement douloureuse, que son enfance a été abrégée précocement, qu’il est définitivement différent parmi les Doms et qu’il n’a plus depuis longtemps leurs illusions !

    Mais c’est la beauté de la Chose qui l’a rendu ferme ! qui lui a montré qu’il y a une harmonie supérieure et infinie ! Cette assurance a permis à Paschic de tenir debout, malgré la destruction de la Machine et des Doms, malgré les inquiétudes de la vie… et les fruits sont venus ! Paschic sait aujourd’hui d’où vient le mal et comment le combattre ! C’est là son salaire !

                                                                                                                  134

         Inutile de dire que si on ne connaît pas la nature du mal, on continue à le faire et on sème la souffrance et la haine ! Et c’est là que les choses se corsent, car la Machine a quasiment détruit Paschic, en se croyant dans son bon droit, comme s’il était injuste de s’élever contre elle et de contester son autorité ! D’ailleurs, à chaque fois que Paschic arrivait à placer la Machine devant son injustice et ses contradictions, elle faisait appel à Tautonus, pour qu’avec sa force physique il réduise au silence Paschic et lui inspire de la peur ! Dans ces conditions, la Machine s’est évitée la connaissance, la remise en question et elle n’a pas évolué, mais au contraire elle a même cherché à blesser Paschic, à lui nuire bien après son départ de la maison familiale et ce jusqu’à un âge mûr !

    Pour comprendre cet acharnement, il est nécessaire de se mettre dans la tête du Dom ! Sa préoccupation, c’est lui ! Il s’aime et s’admire ! Pour cela, il a besoin de repères, comme sa position sociale, mais aussi de toutes les personnes qu’il contrôle ! Plus le Dom a du pouvoir et plus il a d’« esclaves » ! Le mot est à peine trop fort, même dans le cas de Paschic et de la Machine ! Paschic a toujours été là pour « servir » la Machine, pour être son faire-valoir si besoin était et il est vrai que l’enfant reflète la réussite de la famille et c’est pourquoi il doit être exemplaire ! Il fait partie de la vitrine ! Plus le Dom est dominateur et moins l’enfant a son mot à dire et s’il se rebelle, s’il s’obstine, il devient l’« esclave » en fuite, l’esclave marron ! Il faut à tout prix le rattraper, le mâter, le punir, mais aussi le dénigrer, afin que tout l’édifice familiale n’en soit pas ébranlé et que des idées de révolte ne se propagent pas chez les frères et les sœurs !

    Pourtant, c’est moins la cohérence du groupe que l’orgueil du Dom qui est le souci ! On a fait injure à ce dernier ! Paschic a, semble-t-il, personnellement attaqué la Machine ! Il a le « diable » au corps ! Il n’a pas la reconnaissance du ventre ! On est scandalisé, car on ne voit pas le mal de la Machine, et on ne veut pas le voir, parce qu’il permet les autres ambitions de la famille ! Les Doms se serrent les coudes !

    Mais le message de la Machine est clair ! Elle répète à Paschic : « Je vais te dresser, moi ! » L’idée même qu’on puisse s’opposer à elle fait suffoquer la Machine ! Elle n’en revient pas ! Il faut rappeler que derrière la domination du Dom, il y a une peur viscérale du réel (il ne saurait en être autrement!) et que la menace réveille celle-ci, provoquant une haine aveugle, démesurée ! Paschic a représenté pour la Machine toute l’épouvante du dehors, ce qui est extérieur à la famille ! Il a ouvert une brèche, que la Machine a essayé de refermer, en détruisant Paschic !

    Toute cette colère prouve bien que l’équilibre des Doms est faux ! S’il était solide, il ne craindrait pas la différence, l’opposition ! Mais on comprend aussi que, dans ces conditions, l’Autre demeure indistinct et qu’il n’est pas considéré comme une personne ! Il garde le statut d’esclave ou de monstre !

    En fait, la « perte » de la domination amène un état de conscience plus élevé ! Mais ce n’est pas seulement une pensée nouvelle, c’est une transformation totale, de tout l’être ! C’est un rapport au monde absolument différent ! Il n’y a plus d’assurance, en comptant ses « esclaves », mais, au contraire, on se tient debout sans dominer personne ! C’est une mue entière ! Et on ne peut y arriver qu’en s’engageant à lutter contre sa propre domination, grâce à la foi et à l’Évangile notamment !

    En effet, comment prétendre avoir confiance, si on veille à sa sécurité et à sa notoriété ? Qu’est-ce qui nous manque dans ce cas, sinon un peu plus de pouvoir et d’argent ? On ne connaît pas Dieu, en restant un Dom ! C’est impossible ! On ne peut pas aimer les autres, si on continue à les voir comme ses esclaves ! La connaissance de Dieu vient quand on accepte de « perdre », de ne pas se voir important parmi les hommes ! Ce n’est pas qu’on veuille se faire du mal, mais on cherche avant tout la vérité, la lumière ! On exerce son amour, sa confiance !

    Mais voilà encore pourquoi le Dom tient tant aux règles et aux dogmes religieux ! Ceux-ci lui donnent l’impression qu’il « croit » ! En respectant les rites, le Dom s’évite de douter et de « s’anéantir » lui-même ! Il garantit son pouvoir, en se donnant bonne conscience, puisqu’il obéit au texte, à la tradition ! Pire, il est capable de haïr s’il voit son ordre religieux menacé, méprisé ! Où est alors sa confiance en Dieu ? Nulle part ! La foi véritable enlève toute crainte et donc toute haine ! C’est la confiance qui permet au Dom de se séparer de sa domination et d’atteindre une individualisation complète ! Moins nous dominons et plus nous avons conscience de nous-mêmes ! Moins nous traitons les autres comme des esclaves et plus nous sommes distincts nous-mêmes ! Tant que nous dominons, nous restons dans le brouillard de nos peurs et de nos haines !

    Inutile de dire que la Machine a échoué sur ce chemin-là, mais c’est le cas de la plupart des Doms ! Certes, tout le monde n’est pas Paschic ! Chacun a son destin, son caractère, ses possibilités et il ne s’agit pas d’imposer une voie, ni de juger ! Mais on ne peut pas non plus ignorer la domination et la « prison » qu’elle constitue ! On doit enfin se rendre compte, à la lumière de ce qui a été dit, combien il est difficile de faire reconnaître ses erreurs au Dom et d’en obtenir justice, puisque la domination est comme une seconde peau ! Paschic s’est donc résolu à rester le paria de sa famille, avec la « solitude » que cela implique !

  • L' attaque des Doms (125-129)

    R72

     

     

                    "Vous voyez cette pièce d'or? Elle sera pour le premier qui voit Moby Dick!"

                                                                                     Moby Dick

     

     

                                              125

         Domopolis n’est que le reflet de la domination des Doms ! Plus nous voulons dominer et plus Domopolis s’étend, en écrasant la Chose, et plus celle-ci nous menace et plus nous sommes violents et dominateurs ! C’est une impasse et les Doms prennent peu à peu conscience qu’ils ne peuvent plus vivre comme avant !

    Mais nous sommes nombreux et la situation est complexe ! Il ne s’agit pas de s’opposer radicalement, frontalement à la domination, ni aux Doms, même si le danger apparaît urgent ! Il faut que les Doms puissent se nourrir, travailler, avoir le sentiment de la sécurité et de se développer, de s’épanouir, et pour cela ils vont dans des directions très différentes, qui sont celles qui leur conviennent !

    Si on veut le monde selon ses goûts, ses priorités, surtout quand on est sûr d’avoir raison, alors on se met à détruire ceux qui font obstacle et on répand la haine ! On sème le chaos et on fait que les Doms se dressent les uns contre les autres ! On arrive à un résultat inverse de celui qu’on espérait ! Des gens notamment polluent par haine, pour bien montrer combien ils méprisent ceux qui veulent sauver la planète !

    Il est donc nécessaire de se pacifier soi-même, pour accepter la complexité du monde ! Il s’agit de savoir à quoi on est bon, qu’est-ce qu’on aime et ne pas dépasser ses propres limites ! Dans ce cas, on ne ne perd pas de forces, on continue d’aimer la vie et de se montrer patient et compréhensif, à l’égard de la différence ! Cette connaissance vient essentiellement du renoncement ! Celui qui veut à tout prix satisfaire son amour-propre, en voulant triompher du mal ou de la bêtise, celui-là est comme monté sur un cheval fou, et il s’épuise rongé par la haine ! Il faut savoir renoncer, car c’est grandir !

    Ce n’est pas qu’on doive abandonner la bonne cause, laisser faire l’injustice, mais on doit être à même de rigoler de son amour-propre, de pouvoir mépriser sa domination, de n’être pas dupe du pouvoir et de sa séduction ! Or, c’est sur ce point qu’achoppent la plupart des Doms, alors qu’ils semblent animés des meilleurs sentiments ! Certains travaillent à la justice sociale et d’autres prônent le respect pour le pays, mais ils restent haineux et aveugles, puisqu’ils sont menés avant tout par leur domination, leur orgueil ! Propres à s’enflammer et ne renonçant jamais, ils ont bientôt du venin plein la bouche et se révèlent incapables d’évoluer, figés dans le même discours !

    Il faut savoir perdre, pour être intelligent ! Mais comment renoncer, tester sa confiance, guérir de ses peurs sans amour, sans attachement, sans persévérance ! Le chemin de la foi permet la compréhension, mais celui de la domination, qui chante le triomphe de la force et la mort des faibles, est une illusion ! Heureux celui qui voit Dieu s’occuper du monde, et qui est confiant, celui-là s’est débarrassé de son ego, qui est parti au fil de l’eau ! Celui-là ou celle-là se rit de ses inquiétudes, dues à l’ego, et s’enchante de la puissance de Dieu ! Il est dans l’étonnement d’un « gouvernement » aussi vaste, aussi profond !

    Heureux celui qui se réjouit simplement de la lumière, qui fait le jour et réchauffe le monde ! Le tyran, lui, chaque jour, cherche à s’enivrer de sa puissance et il s’agite constamment ! La domination est comme de l’eau dans les mains : elle ne cesse de fuir, et il faut instamment la « réveiller », sinon les peurs reviennent ! Cela conduit à l’ivresse de la haine et du mépris ! La domination s’aveugle par le spectacle, puise dans l’écrasement de l’autre sa satisfaction ! « Mort à la faiblesse ! » crie-t-elle, pour échapper à l’angoisse qui la talonne ! Heureux celui qui n’est pas dupe et qui voit la vanité des efforts de la domination, sa stérilité !

    La véritable force n’est-elle pas la sagesse ? Celui qui sourit et qui reste serein n’est-il pas plus solide que celui qui hurle et qui gesticule ! Celui qui sait se taire et attendre ne rassure-t-il pas plus que celui qui veut être le centre de tout ? Que de turpitudes dans ce cas ! Celui qui est patient et qui a confiance en Dieu qu’a-t-il à prouver ? Quelles sont les inquiétudes de son ego, puisque son amour, c’est Dieu ?

    Tout le monde connaît l’angoisse, mais le tyran dit que non, que c’est pour les faibles, car c’est son orgueil qui le fait parler ! Le tyran sent sa force, assis sur les faibles, en se moquant d’eux ! Le sage sent sa force, en riant de la haine et des plaintes de son ego ! Jamais la domination ne guérit de sa peur et la mort ne lui apporte qu’amertume et regrets ! Le sage chante Dieu en mourant, stupéfié par la puissance divine !

                                                                                                                          126

          La Chose purifie ! Certes, les animaux et les plantes s’entre-tuent et il est difficile de travailler la terre, pour s’en nourrir, mais la Chose purifie ! Les fleurs et les feuilles « boivent » le soleil et les oiseaux chantent à tue-tête, pour fêter le retour de la lumière et de la chaleur ! C’est le retour de la procréation et du renouvellement ! C’est la « joie » de la vie, toujours impatiente de repartir ! C’est une force qui ne se commande pas et que chacun peut ressentir ! Heureux celui qui en est le spectateur, l’admirateur : celui-là a déjà quitté son ego !

    Que nous apprennent les animaux ? Mais que nous sommes comme eux, « embarqués » dans la vie, sur une toute petite planète perdue dans l’espace (mais ça ils ne le savent pas!) ! Ils sont nos frères et quand il se réjouissent de la lumière, nous aussi ! Sans les animaux, nous ressentirions une solitude atroce, qui nous anéantirait et c’est pourquoi leur présence est si précieuse dans les villes ! Sans les animaux, nous serions comme des damnés attachés à notre nombril !

    Heureux celui qui est attentif à la Chose ! Il s’arrête, s’assoit et regarde ! Il « prend » le temps de la Chose ! Il s’en pénètre… Muettes deviennent ses questions, ses troubles, ses ressentiments ! Peu à peu, il n’y a plus qu’une contemplation, qui ne demande rien ! La beauté captive, distrait, enchante, console… et purifie, en emportant tout ce qui n’est pas elle ! La lumière est souveraine : son éclat fait fermer les yeux, mais ses jeux dans l’ombre sont merveilleux, infinis ! Le vent anime le tout ! Ici, tout n’est que secrets, attention, amour, confidences pour celui qui sait et qui veut voir ! L’agitation de la ville n’existe plus !

    C’est entendu : nous ne pouvons nous fondre dans la Chose et ce n’est d’ailleurs pas notre destin ! Nous vivons parmi les hommes, avec nos besoins d’hommes, mais il nous est toujours possible de rejoindre la Chose et de l’admirer ! Moins l’ego est fort, plus il est confiant et plus la Chose le comble de sa beauté ! Plus le cœur est simple et plus la Chose l’enseigne !

    La Chose purifie ! à sa manière, avec sa paix sereine ! Dieu n’est ni pressé, ni endormi ! Dieu rit et l’enfant aussi ! La Chose est absolument gratuite ! Certes, si la Chose était totalement sauvage, nous y serions des étrangers aujourd’hui, mais la Chose évolue tout comme nous ! Elle subit notre influence, mais nous ne la domptons pas ! Nous n’en sommes pas les maîtres, car elle a sa vie propre et elle peut redevenir sauvage, dès qu’elle a le champ libre ! Sa force nous dépasse et ainsi sa beauté aussi ! Nous avons tout à apprendre d’elle ! Elle a la clé de notre paix ! Elle témoigne de la bienveillance divine ! Perdu est celui qui l’ignore, la méprise et qui l’écrase ! Triste et sombre est le Dom ! Malade est-il bientôt ! En guerre croit-il trouver la solution !

    La Chose purifie, en enseignant la sagesse ! Plus les épaules sont larges et plus la lucidité vient ! Il n’est pas question pour ceux qui sont tourmentés par eux-mêmes de porter ! Le jeune est sans force, tant il est préoccupé par lui-même ! Il est « vert » comme un jeune plant ! Il se cherche, se découvre et cela lui prend tout son temps ! C’est la maturation qui donne des réponses ! Et quand les fruits viennent, ils viennent en abondance ! Le sage ne se fatigue plus, car bien souvent il s’est déjà bien « usé », en se souciant de bien faire, de plaire ! Il a eu peur de Dieu, de ne pas être à la hauteur ! Mais le voilà calme, tranquille, se réjouissant de vivre, comprenant les inquiétudes des autres et sachant les apaiser !

    Le sage comprend, mais les autres continuent de s’agiter ! Quand il regarde le chemin parcouru, le sage repense à ses efforts en souriant et même en ayant le vertige : comment a-t-il pu se dépenser autant ? C’est un miracle qu’il soit encore en un seul morceau ! Le monde est si troublant, si effrayant ! Que de tâtonnements pour trouver la voie juste ! Que de pleurs, de larmes suite aux injustices et aux souffrances ! Pourtant, le sens est là ! La connaissance attend, vaste et simple ! Plus on se confie à la Chose et plus le monde des Doms rétrécit !

    Mais Domopolis « enfume », épuise ! Celui qui ne se confie qu’à la ville n’en finit plus d’être perturbé ! Il ne se connaît pas ! Il enchaîne les haines et les amours sans les comprendre ! Il est plein de frustrations et de tristesse ! Rien n’est clair où règne la domination, ni les envies, ni les ennuis ! On se lève chaque matin dans un tunnel et on se dilue dans d’interminables histoires !

    C’est le que la voie de la Chose ou de l’esprit paraît trop haute, trop froide, trop exigeante ! On préfère ses appétits, ses petites joies d’avoir triomphé sur l’autre et on reste dans la nuit ! C’est pourtant Domopolis qui lasse, qui trouble et qui vide ! Le chemin de la Chose n’est nullement amer ! Le renoncement n’est nullement déchirant ! S’il le paraît, c’est qu’on a encore abusé de soi, qu’on s’est troublé à cause de l’effort, du souci de bien faire !

    Mais la Chose enlève tout souci, sinon elle ne serait pas la Chose ! Elle est la paix !

                                                                                                                        127

         Des sirènes retentissent au camp n°5 ! là où sont enfermés les Doms émeraude et qu’on essaie toujours de soigner ! Une évasion ! On signale que 4 Doms émeraude ont « fait le mur », mais ce n’est pas tout à fait exact : on est plutôt venu les chercher ! Un commando s’est introduit dans le camp et a quasiment forcé des Doms émeraude à quitter leur couchette et à les suivre !

    Rappelons que les Doms émeraude sont remarquables par leur apathie et qu’on soupçonne la Chose de les avoir transformés, ce que leurs yeux d’un grand vert luminescent semblent attester ! Pour l’instant, ils ont été poussés dans une camionnette et ne disent rien, quand un membre du commando, le visage encore noirci, s’adresse à eux : « Alors, les gars, heureux d’avoir retrouvé la liberté ? » Mais le silence est la seule réponse !

    « Eh ! Les gars, reprend le soldat, faudrait voir à nous remercier ! On a quand même risqué gros, pour que de nouveau vous respiriez l’air du dehors ! » Malheureusement, les Doms émeraude gardent cet air absent qui les caractérise, comme s’ils étaient perdus dans un rêve infini ! « Tu parles d’une bande d’emmanchés ! fait en colère le soldat. Ils ont même pas la reconnaissance du ventre ! Qu’est-ce qui nous a pris de les sauver ?

    _ Laisse-les tranquille ! intervient un collègue. Ils sont traumatisés ! La prison, ça détruit son homme ! Il leur faut du temps ! Ils se dégèleront quand on arrivera !

    _ Ouais…, mais tout de même ! »

    La camionnette poursuit sa route dans la nuit et enfin se gare devant une ferme. On descend et on marche vers une lumière, qu’un grand gaillard, en treillis et sur un seuil, obscurcit de sa silhouette ! L’homme fume un cigare et s’écrie joyeusement : « Bienvenue aux victimes du capitalisme ! Maria, veille à ce qu’ils ne manquent de rien, tu veux ? Entrez, mes amis ! Par ici, les camarades ! Venez vous restaurer ! Maria a préparé ses spécialités ! Bande de veinards ! »

    Les Doms émeraude pénètrent lourdement dans la maison et s’assoit autour d’une table, ne témoignant aucune émotion ! « J’ vous préviens, chef, y sont pas bavards ! dit le soldat qui leur a parlé durant le voyage.

    _ C’est normal, Rodrigo ! répond le chef. Ils se méfient ! J’en ferais autant à leur place…, mais c’est parce qu’ils ne nous connaissent pas ! Une fois qu’ils sauront qui nous sommes, quel est notre but, ils changeront du tout au tout ! Mangez camarades, réjouissez-vous ! Vous êtes ici dans le berceau de la future révolution ! Ah ! Ah ! Je vous la coupe, pas vrai ! Mais c’est que nous sommes des gens sérieux, nous visons loin ! C’est tout le système qu’il faut changer… et qui le sait mieux que vous ! vous qui avez été enfermés pour vos idées réfractaires ! »

    Le chef s’attend à une réaction, voire à de l’enthousiasme, mais les Doms émeraudes ne touchent même pas les plats, se contentant de fixer droit devant eux ! « Hum ! fait le chef, soudain décontenancé.

    _ J’ vous l’avais bien dit, chef ! reprend le soldat. On a affaire à des ingrats !

    _ Camarades ! s’écrie le chef. Qui vous a emprisonnés, humiliés, tourmentés ? Qui sont vos bourreaux, vos oppresseurs ? Mais les profiteurs, les supers riches, la finance internationale ! Ceux qui se gavent et exploitent ! Ce sont vos ennemis et ce sont les nôtres aussi ! Notre combat est le vôtre ! Et demain nous renverserons ce système , nous installerons une société juste et il n’y aura plus de Doms émeraudes, en train de souffrir dans le camp n° 5 ! Comment pourriez-vous ne pas partager notre cause ? »

    Mais les Doms émeraudes semblent toujours être ailleurs… « Chef ! On s’est trompé ! jette le soldat. On a sorti des petits bourgeois, des nantis ! Peut-être même des espions du grand capital ! Aïe ! Aïe !

    _ La ferme ! Je crois que je percute… Ces gaillards, c’est pas la lutte sociale qui les intéresse ! Non, c’est le vert, l’écologie, la protection de l’environnement ! sinon pourquoi ils auraient les yeux émeraude, hein ? Camarades, laissons pour le moment la justice sociale, d’accord ? On y reviendra, mais concentrons-nous sur la défense de la nature, de la Chose, hein ? Car je crois que c’est là ce qui vous préoccupe ! Mais justement ! Qui pollue, qui détruit, qui exploite, qui se gave sur le dos de la Chose, qui met en péril notre planète ? Mais ce sont les supers riches, les profiteurs, le grand capital, la finance internationale ! C’est le patron méprisant ! Alors, alors, on est ensemble, pas vrai ? Allez, faut boire un coup, entre frères ! Maria, ressers-les, tu veux ? 

    _ Mais ils ont pas bu ! fait Maria mécontente.

    _ Eh ! Les Doms émeraude, je vous PAAARLE ! Moi, le chef de la future révolution ! Vous êtes bouchés ou quoi ! Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, suppôts du capitalisme ! Je vais vous faire ramper, moi, mes salauds ! Je vais vous en faire baver ! Y a pas place pour les traîtres, ici, bande de fumiers ! Les traîtres , ils terminent le dos au mur, avec douze balles dans la peau !

    _ Bravo chef ! lance le soldat. Ça, c’est de la justice sociale ! »

                                                                                                                    128

         « Tu es de Domopolis ? Tention à la police ! » Le Dom qui chante est un grand gars en baskets et survêtement ! Il a encore des chaînes en or et un micro à la main ! Il fait son show dans un de ces palais pleins de blancheurs, dédiés à la consommation, là où règnent la chaleur et l’image ! Ici, le Dom se sent comme chez lui, sa vie a enfin un sens, quoiqu’il existe un envers au décor ! Des Doms en effet travaillent, dans des conditions épouvantables ! Ils sont comme « exhibés », au milieu d’un passage, sans cachettes, pour vendre du nougat ou servir des boissons chaudes ! Ces personnes en deviennent transparentes, serviles au sein d’une ambiance étouffante ! Ce sont les victimes du Rêve blanc, alors que les autres Doms y avancent tel un troupeau grimaçant, quand les achats ne vont pas assez vite !

    Mais peu importe ! Cet univers convient bien à un besoin ! On le trouve dans la chanson du grand gars en baskets : envie de puissance, triomphe de soi, ce qui nécessite un ennemi extérieur, un monde contraire qu’il faut vaincre ! La domination nécessite un affrontement, quitte à imaginer un adversaire ! L’animal, chaque jour, exerce sa force, en rejetant de son territoire tous les intrus, même s’ils ne sont pas menaçants ! Ainsi, il reste performant et garde le sentiment de son pouvoir ! Le Dom ne fait pas autre chose : il cherche continuellement la victoire, la réussite !

    C’est un combat, qu’exprime le grand gars en baskets, avec son micro : « Tension Police, Domopolis !

    Tension aux bourgeois sournois !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime !

    Ils veulent ta peau !

    Ils te veulent en copeaux !

    Puise dans ta force, puise sous l’écorce !

    Toi, le résistant, tu n’as plus le temps !

    Tu es au bout du tunnel et tu n’as plus qu’elle !

    Liberté ! Hanté par elle !

    Tension Police, Domopolis !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime ! 

    Tension bourgeois sournois !

    Mais toi tu sais, décès !

    Mais toi tu pièges, le siège

    Du patron pas rond !

    Mais toi, tu niques le baron

    Pas chic ! Citron,

    T’en as dans le citron !

    Mais toi, tu laisses pas faire

    Quand on te met des fers !

    Tension police, Domopolis !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime !

    Tension bourgeois sournois !

    Tension sensuelle :

    La liberté, c’est elle !

    Hanté par elle,

    Car tous pareils, mon frère,

    Sur Terre !

    Tension bourgeois rogues !

    Tension bourgeois dogues !

    Tension drogue !

    Tension came, clame

    Trop calme !

    Tension police, Domopolis ! 

    Tension système, qui dit qu’il t’aime… ! »

    Pendant ce temps-là, le « palais blanc » vend la tenue du « rebelle » : baskets immaculées, survêtements, bijoux, coiffure ! Le « résistant » devient une créature du Rêve blanc ! Il croit s’en évader, mais en devient un stéréotype ! l’un de ses meilleurs porte-drapeaux ! Le culte de soi triomphe, en s’alliant à la révolte ! Le règne des « cosmonautes » en baskets a commencé, dans l’espace du nombril !

    « Tension trop lisse, Domopolis ! Tension manipulation ! »

                                                                                                                         129

         Que fait le Dom quand il est mécontent, insatisfait ? Va-t-il dans la Chose, pour obtenir des réponses ? Se remet-il en question ? Nullement ! Le Dom croit qu’on lui doit quelque chose et comme il se nourrit de domination, il affiche volontiers une tête méprisante, boudeuse, qui demande des comptes ! C’est ce qui s’appelle œuvrer pour le bien de tous !

    Le Dom attend, ou tend des pièges, pour montrer sa supériorité ! Sa proie n’a pas vu venir le coup ! Elle est blessée et le Dom s’en réjouit ! Au moins la journée n’aura pas été perdue ! Tout ce qui paraît indifférent au Dom, qui ne le considère pas comme une idole, est impitoyablement rejeté ! Le Dom est telle une araignée, au centre de sa toile et ses victimes peuvent être sexuelles ! Certains Doms ne vivent que pour le sexe et si quelqu’un passe angoissé, affaibli, perdu, il est à même de devenir un esclave sexuel du Dom, jusqu’à l’avilissement le plus complet ! On parle bien d’araignées dans leur toile ! Et l’on sait combien un psychisme épuisé peut vouloir disparaître dans la chair !

    Il y a bien une lutte de la conscience pour se développer, s’épanouir et si l’individu est en paix, il n’a aucune difficulté pour contrôler ses sens ! C’est l’angoisse, le tourment qui poussent à se perdre dans une relation, mais le sexe n’apporte aucune réponse, quant à la peur du quotidien ! Certes, le bien-être du corps apaise l’esprit, mais il ne fait pas de raisonnements, ni réfléchir ! En définitive, c’est bien l’esprit qui donne des solutions !

    Mais le Dom ne va pas jusque-là ! Il se ressert toujours la « même soupe » ! Il est figé dans son discours, il tourne en rond ! Même s’il sent des satisfactions, il finit par retrouver le même marasme et en accuse les autres, la situation ! Le Dom fatigue, tellement il est prévisible ! On connaît ses limites, qu’il ne faut pas lui parler de telle ou telle chose, car immédiatement son disque rayé revient, se remet à chanter ! C’est comme une seconde peau, au propre comme au figuré, parce que le Dom n’est pas bien individualisé : il croit bêtement être le centre d’intérêt des autres, comme si le monde tournait autour de lui ! Le Dom accepte la vie, à condition qu’il ne voit les choses que dans son sens ! Si on essaie de le faire grandir, il est tout de suite dépassé et c’est sa pensée figée qui lui tient lieu de maison, pareille à la coquille d’un escargot !

    On voit souvent le Dom se jeter sur la personne qu’il impressionne et qui le flatte ! Commence alors un dialogue hypocrite, qui arrange « tout le monde » ! On se caresse, on se ménage, pour se tenir chaud ! C’est un échange sans dangers ! où chacun trouve son compte ! Parfois, le dégoût affleure, mais il est vite réprimé ! On est en terrain connu, rabâché, on joue un rôle, bientôt stérile et qui fait bâiller ! Mais on adore la sécurité, quoiqu’on ne supporte pas la routine, d’où la « gueule » ! Ainsi le monde en carton-pâte des Doms continue et semble suffire ! Qu’il y ait des guerres, de la violence, des crimes, des viols fait qu’on tombe des nues, consterne absolument, puisqu’on nie son propre mal-être et sa haine, qui pourtant détruit !

    La Chose, elle aussi, attend ! Elle est toujours prête à accueillir le Dom, à lui montrer ses secrets, à répondre à ses questions, encore faut-il que le Dom soit demandeur et on a vu combien il peut passer dans la Chose, sans cesser d’être un Dom, parlant incessamment de lui ! L’effet dans ce cas est nul ! Le Dom doit se dépouiller de lui-même, de son égo, pour entrer dans la Chose et la comprendre ! Il faut donc qu’il accepte son individualité et une sorte de solitude ! C’est bien lui qui est concerné et pas un autre ! Alors, la Chose parle, enseigne, avec son temps à elle ! Elle n’écrit pas des trucs sur les troncs, mais elle pénètre, à mesure qu’on se pénètre aussi de soi-même ! C’est un travail de maturité !

    Généralement, celui qui sort de la Chose revient vers le monde des Doms, en étant apaisé, avec le sourire et plein de compréhension ! C’est le signe qu’il a évolué et il voit les Doms avec indulgence, comme s’ils n’étaient que de grands enfants perdus ! La destruction de la Chose, par les Doms, peut aussi susciter la révolte, le chagrin et la haine, mais même ces sentiments sont appelés à disparaître, au profit d’une sérénité heureuse ! La Chose rassure et donne du bonheur, sinon elle ne serait pas la Chose !

    La Chose fait danser et enchante et on est bien loin là des joies forcées et bruyantes des Doms ! La Chose ne procure pas une ivresse passagère, elle n’est pas un rêve, ni un mirage ! Elle n’est pas un leurre ! On doit pouvoir s’appuyer sur elle, sans qu’elle cède ! Elle est un rocher, au milieu de la tempête ! Celui qui fait confiance à la Chose voit qu’il grandit, qu’il est plus heureux, que les Doms fonctionnent comme ceci ou cela ! La Chose n’enferme pas dans un monde artificiel, bien au contraire ! Elle donne le sentiment de l’infini et cela n’a pas de prix !

  • L' attaque des Doms (120-124)

     

     

     

     

                                                                                                                         120

          Des hordes de motards et de quads dévastent la Chose, pour s’amuser, se détendre, sentir la vitesse ! Cela peut paraître légitime, anodin et on peut dire à chacun ses plaisirs, et il en va également ainsi, au sujet des teufeurs, mais alors on ne retient rien de la Chose ! Elle est juste utilisée comme un vieux sac ! C’est encore la domination qui veut s’imposer ! C’est encore le Dom qui se plaît dans son miroir ! C’est encore Domopolis qui s’étend et qui écrase la Chose !

    Cela ne résout rien pour le Dom ! Il ne touche pas à sa puissance, même s’il se croit en marge et révolté ! Mais que fait Paschic, pendant ce temps-là, sur sa planète inconnue ? On sait que Paschic a été écrasé par la Machine, mais pourquoi ? Paschic, grâce à une sensibilité particulière, a pu se rendre compte de l’égoïsme de la Machine et d’abord parce qu’il en a été affecté ! Il est donc entré en lutte contre la Machine, pour se préserver, mais aussi au nom de ce qu'il pensait juste, autrement dit au nom d’une vérité, d’une connaissance !

    Que la Machine vive dans l’hypocrisie, aveuglée par son amour-propre ou son orgueil, lui est devenu une évidence ! Il a contesté son pouvoir, son autorité, car elle était fausse, ce qui a entraîné chez la Machine des colères violentes, incontrôlées, un désir de détruire, de soumettre coûte que coûte, puisque sous la domination il y a la peur, une peur infantile, qui peut aller jusqu’à la panique ! La réaction est d’autant plus destructrice que la peur est grande ! Et rappelons que la société des Doms se tient par la domination : c’est naturellement le sentiment de notre valeur, de notre importance et de notre réussite sociale, qui fait que nous restons debout !

    Mais, inquiétée sous son propre toit, dans sa propre famille, par l’un de ses enfants, la Machine n’a eu de cesse de vouloir anéantir toute rébellion chez Paschic, avec l’aide de Tautonus, quand la force physique s’avérait nécessaire ! Le résultat, on s’en doute, a été effroyable ! Aujourd’hui encore, Paschic mesure l’ampleur de ses blessures ! Il peut mettre la main dedans, tellement elles sont béantes ! Il peut toucher le tuf, il a été cassé en deux ! Il faut chaque jour les raccommoder avec du gros fil et c’est comme un miracle que Paschic soit toujours en vie !

    Mais justement qu’est-ce qui a fait qu’il n’ait pas été dissous par la folie ? On rajoute qu’il est impossible pour Paschic d’expliquer ses souffrances, car ce n’est pas un trauma particulier, mais un broiement complet et quotidien ! De même ceux qui sont revenus des camps de concentration restent des étrangers, incapables qu’ils sont de faire partager leur expérience, tant elle a été totale, dans les moindres recoins de leur chair, dans leurs moindres faits et gestes ! Paschic a donc dû convenir de sa solitude, de sa séparation, de son étrangeté et comment a-t-il fait pour continuer d’espérer, mieux pour ne pas haïr et comprendre ?

    C’est que la Chose a toujours été son refuge et sa maîtresse ! C’est elle qui a tout appris à Paschic, grâce à la contemplation et au temps, à la mesure que celle-ci demande, jusqu’à la maturation ! C’est par elle que Paschic a pu voir comment la domination animale qui est en nous fonctionne ! Ainsi aussi le comportement de la Machine a été expliqué ! Mais cela veut encore dire que Paschic renonce à la justice, car toute domination menacée, comme l’a montré le cas de la Machine, conduit à une défense violente, qui équivaut bien sûr à une fermeture, à un refus d’admettre les faits ! C’est une peur quasi incontrôlable, qui prend en cette occasion les commandes du Dom ! Toute discussion devient vaine, face à cette terreur enfouie !

    Ce qui a réparé Paschic et qui continue de le réparer, ce n’est donc pas la reconnaissance de la Machine, quant à ses fautes, mais c’est le sens et par là la foi, la confiance de Paschic, grâce à la connaissance ! Sans cette dernière, on voit mal comment Paschic pourrait toujours survivre parmi les Doms !

    Ainsi Paschic poursuit son apaisement, commencé au sein de la Chose ! Peu à peu, il vit mieux que les Doms ! Il vieillit moins vite, il garde ses forces, il est un sujet d’étonnement ! Il ne se blesse pratiquement plus et paraît de plus en plus énergique, souple, à l’aise !

    Le Dom, qui n’a fait confiance qu’à sa domination, qui n’a recherché la sécurité qu’en elle, lui, n’a pas guéri de ses peurs et est rattrapé par elles ! La maladie, la haine, le désespoir en sont les symptômes ! Le Dom qui n’a pas cherché, qui s’est confié à son ego, en paie le prix, même si lui-même est souvent la victime d’autres Doms !

    L’enchantement est un cadeau de la vie, que connaît même l’animal à sa façon ! Pourquoi l’homme en serait-il dépourvu ? Serait-il plus pauvre et misérable que l’animal ? A quoi alors servirait la conscience ? Heureux celui ou celle qui saluent le jour, comme une nouveauté ! Ceux-là n’ont pas perdu leur temps !

                                                                                                                     121

          L’Inquiétude et la Bêtise sont sur le bord de la route et s’ennuient… « Fais pas chaud ! fait l’Inquiétude.

    _ Non…

    _ Et pas une voiture ! Bon Dieu, qu’est-ce qu’on s’emmerde ici !

    _ Ouais…

    _ Y a pas quelque chose qui bouge là-bas, dans le bois ?

    _ J’ vois pas…

    _ Pourquoi y a des arbres, hein ? Tu t’es jamais demandé ça ?

    _ Non… Mais y aurait des hôtels et des supermarchés, là-bas, ce serait beaucoup mieux ! Comment on dit ? Ah ouais, ce serait plus civilisé !

    _ Moi, j’ suis sûr qu’on nous surveille ! On doit s’ fout’ de nous quelque part !

    _ Tu crois ?

    _ Bien sûr ! On montre pas assez qu’on est fort ! Faut s’imposer, faire comprendre qui est le maître ! Sinon…, on t’ bouffe ! C’est la loi de la nature ! Soit tu manges, soit tu es mangé !

    _ Alors faut pas hésiter ! C’est la guerre, l’ennemi tué, les viols, les rapts d’enfants, les villes détruites ! Eh, eh ! Là, t’es compris ! Là, on te donne du monsieur !

    _ Pfff ! Tu retardes grave ! Tout s’achète maintenant ! Toi, moi, la vérité, tout ! Combien tu vaux ? T’as pas d’âme, n’est-ce pas ?

    _ Une âme ?

    _ Oui, à part toi, rien ne compte ! Les autres doivent t’obéir, pas vrai ?

    _ Ben…

    _ De toute façon, à quoi sert la vérité ? Toi, la Bêtise, t’existes et tu t’aimes ! Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?

    _ Les proches..

    _ Les proches ! Les proches ! Tu les aimes, parce qu’ils te servent ! Et qu’ils représentent ta réussite, ta puissance ! Toi, toi et encore toi, j’ te dis !

    _ Tout de même… La science, c’est la vérité… et donc la vérité peut servir à guérir… d’un cancer par exemple ! Sans vérité, pas de connaissances !

    _ J’y crois pas ! Mais j’y crois pas ! La Bétise, qui fume, qui raisonne, qui donne des leçons !

    _ Mais…

    _ Tu sais quoi ? Je vais te faire obèse ! Moi, l’Inquiétude, je vais te faire grossir comme un bœuf ! Tu vas suer par tous tes pores ! Je vais te dévorer de l’intérieur, jusqu’à te rendre boulimique !

    _ Ben, si tu fais ça, l’Inquiétude, je vais te taper d’ssus ! Tu connais le précepte : c’est en cognant dans les gens qu’ils comprennent quelque chose !

    _ Bon, admettons que je n’ai rien dit ! Mais le coin est toujours aussi désert ! Mais qu’est-ce que tu as ? Tu pleures ?

    _ Je pleure sur la bêtise de ce monde, sans coeur et sans pitié ! J’en ai le droit, non ? Toute cette bêtise, cet égoïsme de bas étage, toute cette fumisterie, cette violence !

    _ La Bêtise qui pleure sur elle-même ! T’as bien mérité ton nom !

    _ Salaud !

    _ Tu contrôles pas assez les choses ! T’es pas assez fort ! Quand tu commandes, ta plus d’ doutes, t’es le chef ! Tu brilles ! Même la mort te salue !

    _ J’ voudrais d’ l’espérance, d’ la beauté, na ! Oh ! J’ai soif ! J’ai si soif !

    _ Fais comme moi : sois dur !

    _ Comme si je te connaissais pas ! On est ensemble depuis la maternelle, pas vrai ? Tu veux que j’ te la dise la vérité, hein ?

    _ Vas-y, j’ai rien à cacher !

    _ Toute ta puissance, tout ton discours sur la force, c’est du pipeau ! Au fond d’ toi, t’as la trouille ! T’es paumée ! Et c’est pour ça qu’ tu fais des moulinets avec tes bras, qu’ tu joues au caïd ! Tu crânes, la voilà la vérité !

    _ Combien pour qu’ tu la fermes ?

    _ J’ suis pas à vendre !

    _ De toute façon, qui voudrait acheter un minable ?

    _ J’ suis peut-être bête, mais tu vaux pas mieux !

    _ Eh ben, si on nous observe, ils pourront bien s’ marrer ! De vraies tartes ! »

                                                                                                                          122

         Paschic arrive dans un nouveau territoire psychique et il voit des dizaines de Doms qui tirent un char énorme et très lourd ! Ils s’arc-boutent et grimacent, chacun à sa corde et sur le char, au contraire, un Dom couronné se pavane, crâne effrontément ! « Halte ! crie-t-il. J’aimerais discuter avec ce passant ! Il m’a l’air sympathique ! » Aussitôt, les Doms arrêtent leur effort, soufflent, pendant que le Dom couronné descend sur le sol, par un petit escalier d’or !

    «  Je suis le Mensonge ! » dit-il à Paschic, en lui donnant sa main à baiser. Mais Paschic refuse ce geste et le Mensonge reprend, légèrement embarrassé : « Et toi, qui es-tu ?

    _ Paschic !

    _ Et tu sembles ne pas m’aimer ! Pourtant, tu vois comme je suis puissant !

    _ Tu es surtout compliqué et lourd à transporter !

    _ C’est que les choses ne sont pas simples ! En plus, j’ai plein d’ennemis !

    _ Ah bon ?

    _ Mais oui, il y en a beaucoup qui voudraient ma place ! On me dit méchant, mauvais, mais, au contraire, je suis bon et gentil ! Je fais le bien !

    _ Tu es une victime, c’est ça ?

    _ Hélas oui ! Mais j’ai l’habitude de supporter l’injustice ! Ce que je voudrais, c’est qu’on me voit sous mon vrai jour ! Le gars léger, innocent, naïf même, mais bien disposé, lent à la colère et sans avidité ! Mesuré et nullement ambitieux ! Tu vois ?

    _ Et les autres gobent ça ?

    _ Les autres ? Quels autres ?

    _ Mais les autres…

    _ Mais c’est de moi dont il est question ! Les autres, les autres ! On dirait que tu en parles, comme s’ils existaient vraiment ! Je commande les autres et je leur dis ce qu’il faut qu’ils pensent !

    _ Par exemple, que tu es bon ?

    _ Mais tu m’énerves à la fin ! Oui, je suis bon ! Oui, je suis fort, parce que je le dis !

    _ Et si on n’est pas d’accord ?

    _ On me fâche… et c’est la prison ou pire le billot ! Je ne supporte pas la contradiction !

    _ Alors, tu ne veux pas de la vérité !

    _ La vérité, c’est ce que je pense, non ?

    _ Bien sûr, et c’est pourquoi tu es si lourd à transporter ! C’est ton monde que tu portes avec toi ! Enfin, ce sont tes serviteurs qui suent haut et fort, pour ça !

    _ Grrr ! Tu vois une autre solution ?

    _ Pour que tu sois vraiment le gars léger et innocent ?

    _ Oui…

    _ Pour que tu arrêtes d’avoir peur et que tu sois heureux ?

    _ Oui ! Écoute, j’ai rarement été aussi patient !

    _ Eh bien, il faut d’abord que tu abandonnes le pouvoir !

    _ Hein ?

    _ Dame ! Comment pourrais-tu voir la vérité, si le monde est le tien ! Tu ne fais que te regarder dans un miroir ! Tu sais bien que le monde n’est pas le tien et que nous sommes nombreux !

    _ Tu voudrais que je redevienne anonyme, tout petit dans la foule !

    _ C’est ça ! Anodin ! Anodin et curieux !

    _ Mais qui va diriger le monde ?

    _ T’inquiètes pas ! Dès que tu auras cédé la place, un autre imbécile la prendra ! Tu ne veux pas être heureux ?

    _ C’est que… t’es en train de m’embobiner ! Ah ! Ah ! Et dire que je me suis fait presque avoir ! T’as l’air tellement sincère ! Mais tu travailles pour mes ennemis, c’est ça ? Gardes, conduisez ce cuistre aux fourmis !

    _ Je vais te montrer un tour... »

    Paschic étend un bras et le Mensonge se retrouve nu et seul dans la nuit… « Mais qu’est-ce que… s’écrie-t-il. Eh ! Oh ! Y a quelqu’un ? Mes hommes, où sont mes hommes ? Mon ministre, il est où ?  » Alors devant le Mensonge commencent à défiler, lentement et muets, tous ceux qu’il a tués !

                                                                                                                     123

          Domopolis continue à combattre la Chose, à sa manière ! Elle construit des maisons au sein de la Chose et quand elles sont assez nombreuses, il n’y a plus qu’à les relier à ville, qui ainsi progresse ! La Chose en fin de compte paraît toujours aussi inutile aux Doms, qui ne se doutent pas qu’ils piétinent un trésor, capables de les sauver !

    Inlassablement, les Doms passent à toute allure dans la Chose, avec leur voiture, le visage fermé ! Ils travaillent ! Pourquoi ? Mais…, mais pour être heureux ! En ignorant la Chose ? Impossible ! On ne peut atteindre la paix sans la Chose ! Alors pourquoi travaillent-ils ? Par peur essentiellement ! Ils ont peur de manquer, de ne pas respecter les convenances, pour leur retraite… et ils traversent la Chose sans la voir, d’une manière absurde !

    Les ors sont là pourtant ! Les mauves de l’hiver aussi ! La lumière fait tout d’une beauté incroyable ! Les mésanges sont déjà heureuses et préparent le printemps ! Des bourgeons s’illuminent, l’herbe est d’émeraude et les nuages étalent leur tache blanche en toute fantaisie ! Dix mille peintres, cent mille photographes n’en saisiraient qu’une partie ridiculement infime, mais l’homme ne fait que côtoyer l’infini ! Heureux celui qui perçoit la Chose dans sa force et sa grâce sans limites ! Celui-là est l’enfant qui chante, dans le giron de Dieu !

    Mais revenons aux Doms qui méprisent la Chose et qui ne la voient même pas ! L’un d’eux s’appelle Van Der Saar (VDS) et il est cycliste sur route ! Il ne rigole pas ! Il fait corps avec sa machine ! Il a des roulements à billes dans la tête ! Ce qu’il préfère, c’est passer à côté de vous comme un souffle, une lame de rasoir ! Eh ! C’est que la route est un esclavage pareil à un autre ! C’est pourquoi VDS a la visage sombre et ne rêve que de vous écraser de toute sa puissance ! Car VDS n’est pas heureux bien sûr et il a de la haine, comme tous les prisonniers ! Un damné de la route !

    Comment pourrait-il considérer la Chose, l’aimer, en voir toute la valeur ? Qu’il aime la vitesse, l’effort, c’est entendu ! Mais il est fermé et il faut laisser VDS s’en aller ! C’est un métronome perdu dans la nuit !

    Mais prenons un autre cas ! Vois ce couple de retraités, qui se promènent dans la Chose… Ils ont des cheveux blancs, des vêtements austères et ils cheminent lentement… A priori, ils ne posent pas de problèmes, alors pourquoi cette tension quand on les approche ? C’est que l’homme est un juge ! Voici ce que dit toute son attitude : « Regarde mes cheveux blancs, mon visage buriné et mon corps fatigué ! Moi, j’ai bossé toute ma vie ! Et toi, qui passes ici léger, peux-tu en dire autant ? Je suis la borne, le contrôle ! J’ai beau être vieux, on me doit des comptes ! Si tu es joyeux, il faut que tu le mérites ! Ma femme est là pour en témoigner : je suis important, incontournable et je ne laisserai rien passer ! D’ailleurs, je suis prêt à mordre, à anéantir ! »

    On doit se faire tout petit, quand on croise cet homme, mais alors où est la Chose, sa magie, sa générosité ! Nulle part ! Elle a disparu ! Elle revient dès qu’on a contourné l’obstacle ! Et comme il est haineux cet obstacle, car on ne l’a pas salué, reconnu son importance ! Eh ! C’est qu’on ne voulait pas se gâcher la fête ! On ne doit rien à personne, comme la Chose ! Elle est gratuite et nous aussi !

    On met quand même un certain temps, à se remettre de ce genre de rencontres, alors qu’elles sont très communes ! La mésange est plus intelligente ! Comment peut-on être juge dans la Chose ? La seule attitude est d’y être heureux, comme l’oiseau et même l’escargot ! Les animaux fêtent la lumière, la vie, les arbres, la nourriture ! Ils saluent leur force ! Ils chantent et s’épanouissent ! Mais pas le « Juge », qui est tel un puits sec ! A quoi lui sert sa retraite ? Il a bien la sécurité et encore la santé, mais à quoi bon ? Il souffre et fait souffrir ! Il est passé à côté de l’essentiel ! Il est un poids pour lui-même et les autres ! Il n’est pas victorieux et aimant ! Il n’a pas capturé le soleil, pour le distribuer ! Il n’a pas connu la vérité ! Que ne s’associe-t-il pas au rayonnement de la verdure et des animaux ? Quelle triste vie !

    Mais regardons maintenant cette fille qui arrive ! Elle n’est pas vraiment séduisante et n’a rien d’exceptionnel… Mais, quand on la croise, elle nous sourit subitement, comme si on n’avait attendu que ça et qu’on s’était préoccupé d’elle ! Encore une qui est dans une illusion ! La Chose tout autour flamboie, magnifique, mais cette fille ne s’en rend pas compte et croit qu’elle peut être le centre d’intérêt ! Elle va donc au devant de bien de déceptions ! Elle se blesse elle-même, face à l’indifférence ! Si elle s’intéressait à la Chose, si elle en goûtait tout le plaisir, elle serait légère quant à son ego, son pouvoir de séduction et même sur sa solitude ! Dans quel rêve vit-elle, pour se croire attirante, quasi irrésistible ?

    Évidemment, chacun mérite de l’attention, mais pas au détriment de la Chose ! Il ne s’agit pas de se figer dans un égoïsme et de concevoir de la haine, si celui-ci n’est pas satisfait !

                                                                                                                       124

          Dès qu’on a affaire aux Doms, c’est la catastrophe ! Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est que chez le Dom rien n’est réglé ! Il n’a pas suivi le chemin du renoncement et de la foi ! Il ne se rend pas compte de la magnificence de la Chose ! Son équilibre ne repose sur rien de sûr, car le Dom n’a pas cherché le « rocher », la « vérité » ! Il est un mélange de peurs non guéries et de fausses certitudes ! La vitrine, l’apparence se veut bien entendu rassurante, ferme, l’image de la réussite, mais le tout ne tient que sur une pointe, celle de l’autorité, de la domination ! C’est le poste qu’occupe le Dom qui lui donne une contenance, un semblant de solidité ! C’est la « farce » de la société, qui ne résout rien !

    Ainsi, aujourd’hui, Paschic a rendez-vous avec un conseiller juridique, pour s’informer d’un point de droit. C’est nécessaire pour Paschic et il s’y prépare, mais il ne se fait aucune illusion : ce sera une épreuve, car le Dom se nourrit de sa domination, c’est son oxygène et il va donc falloir faire croire au conseiller qu’il est éminemment supérieur, qu’il domine la discussion, qu’il connaît parfaitement la vie ! Il faut ne pas interrompre son illusion, même si Paschic ne veut qu’un renseignement ! Sinon le conseiller inquiet, désarçonné, peut devenir hostile, agressif, méprisant !

    De toute façon, Paschic devra se plier en quatre, entrer dans une boîte d’allumettes, tel un contorsionniste ! Il devra garder le contrôle, rester prudent, flatter mais pas trop, pour ne pas prendre l’autre pour un idiot ! C’est un dosage éprouvant, à force d’être précis et même qui peut être mal récompensé ! La suffisance du conseiller, une remarque blessante de sa part peuvent assommer Paschic, qui déjà fait des efforts, pour la paix de l’entretien ! Mais il en est ainsi à chaque fois que l’on parle à un Dom qui a du pouvoir et qui est habitué à être écouté ! Dans cette catégorie entrent volontiers les médecins, les psys, les conseillers de toutes sortes, tous ceux qu’on sollicite un jour ou l’autre ! Ils ne savent pas, mais on doit supporter leur ignorance, voire leur mépris ! Encore une fois, dans leur domaine, ils ont une compétence, mais dans leur vie propre ils sont, comme la plupart des Doms, à la dérive ! L’illusion, c’est la domination ! le pouvoir donc !

    Le conseiller est plus avenant que ce à quoi Paschic s’attendait ! Il a des manières simples, un air près du terroir, mais très vite on s’aperçoit des choses qui clochent ! Notamment les cheveux sont précocement blanchis, ce qui indique un stress, une frayeur qui a été ravageuse ! Le visage est buriné et trop rouge, laissant deviner l’alcoolisme du personnage ! En fait, il y a trois étages : les cheveux blancs, le visage rouge et le reste du corps, qui reste assez vigoureux ! Le Dom se veut encore alerte, dans la force de l’âge, efficace, ce qui doit symboliser la réussite, la maîtrise de soi, le savoir, mais il est en pièces détachées, et chacune d’entre elles révèle une lutte, un manque d’harmonie ! Bref, l’homme est faux, perdu, malheureux, mais ce n’est pas par vice, c’est plutôt qu’il est toujours tiraillé entre la peur et l’orgueil, entre le cri et le paraître ! Il n’y a là rien d’exceptionnel, au contraire !

    Pendant que Paschic explique son problème, le visage du conseiller demeure incroyablement fermé ! Car il a beau essayer de situer Paschic, il n’y arrive pas ! Et pour cause : Paschic a la Chose en lui, à des années-lumière de la vie du conseiller ! Celui-ci a pour l’instant un engrenage dans la tête, ce qui est plutôt en sa faveur, car cela veut dire qu’il n’est pas figé dans sa domination, mais qu’il se pose encore des questions ! En fait, au fond, il ne perd pas de vue qu’il n’a pas les solutions à ses propres problèmes… et il se demande même si ce ne serait pas Paschic qui les a ! La simplicité du personnage est bien réelle ! D’autres auraient déjà conçu de la haine, à l’égard de Paschic, en voyant leur pouvoir inutile devant lui !

    Bon, Paschic à l’information juridique qu’il était venu chercher et la discussion se poursuit encore un brin…, faite d’amabilités, de « petits jeux », qui maintiennent la domination du conseiller ! Tout paraît civilisé, comme il faut et pourtant le travail intérieur du conseiller ne cesse pas ! Qui est Paschic ? Comment fait-il pour avoir autant d’aisance ? Que sait-il ? « Qu’est-ce que j’ai manqué ? se demande le conseiller. Pourquoi n’a-t-il pas mes angoisses ? Est-ce que je vais me mettre à crier ? »

    Cette réflexion se poursuit sous l’échange et finit par miner complètement le conseiller ! Il est vidé ! Il n’en peut plus ! A la grande surprise de Paschic, c’est le conseiller en premier qui ne dit plus un mot, qui semble mettre un terme à l’entretien ! D’habitude, Paschic est mis dehors comme un papier sale, avec tout le mépris possible et ainsi est sauve la domination de son interlocuteur ! Mais cette fois-ci le conseiller ne cache même plus son désarroi, qui est trop vif ! On vient de le mettre devant une chose si grande qu’il en est épuisé ! Le chagrin et des regrets et beaucoup d’incompréhension l’envahissent ! Paschic se retire quasiment sur la pointe des pieds et on ne le salue que vaguement !

    Nul doute que le conseiller va mettre des jours à s’en remettre ! Qu’a-t-il raté ?

  • L' attaque des Doms (115-119)

    R71

     

     

                                  "Indy! Indy!"

                                          Indiana Jones, le Temple maudit

     

     

                                              115

         Il y a beaucoup de monde aujourd’hui, sur la place principale de Domopolis et sous la Tour du Pouvoir ! On s’agglutine autour d’un Dom, en présence des médias, qui l’interrogent ! « Oui, répond le Dom, qui n’est autre que le professeur Ratamor, j’ai inventé la cloche qui permet de circuler dans la Chose, sans être affecté par elle !

    _ On dirait que vous vous êtes inspiré des anciennes cloches à plongeur…, fait remarquer une journaliste.

    _ C’est exact ! Elle est toutefois tout en carbone, pour être plus légère ! Et, comme vous pouvez le voir, elle est équipée d’une visière et elle couvre le corps, jusqu’à la taille, ce qui laisse à l’usager la pleine liberté de se mouvoir !

    _ Mais comment fonctionne-t-elle concrètement ? Qu’est-ce qui fait qu’elle protège de la Chose ?

    _ Mesdames, messieurs, rien ne vaut l’expérience ! Je vous présente mon assistant Günther ! C’est lui qui, munie de ma cloche, va pénétrer sous vos yeux dans la Chose et en ressortir indemne ! Je vous prie donc de m’accompagner, jusqu’aux abords de la Chose, afin que la science triomphe ! »

    La foule se meut, à la suite de Ratamor, portant fièrement sa cloche, et de Günther, qui se cambre devant les dames, en lissant sa moustache ! Évidemment, on filme ces instants, destinés à devenir immortels !

    « Nous y voici ! fait Ratamor, alors qu’on atteint les limites de la ville. C’est ici que la Chose nous est la plus proche ! Elle nous envahit pour ainsi dire ! Mais nous avons trouvé le moyen de la rendre inoffensive, avant de la vaincre totalement demain ! Mesdames et messieurs, vous allez être les témoins de l’efficacité de ma cloche… Günther ! »

    L’assistant se présente devant Ratamor, qui lui installe la cloche ! On serre quelques sangles, pour maintenir le tout, et le brave Günther, ainsi équipé, se dirige d’un pas lent vers ce rideau si spécial, connu maintenant de tous les Doms ! C’est une sorte de frontière scintillante et émeraude, qui paraît vivante et qui trouble par son éclat !

    Günther, sous sa cloche, la tâtonne un peu avec ses bras, puis, enfin il pénètre dans la Chose ! La foule retient son souffle ! Des femmes s’évanouissent ! Des enfants médusés en lâchent leur ballon de baudruche ! Mais la majorité a pris cet air grave, qui signale que l’histoire, avec un grand H, est en marche !

    Cependant, Günther a complètement disparu et il faut attendre ! Ratamor consulte son chronomètre, puis informe : « Günther doit rester cinq minutes dans la Chose, ce qui sera amplement suffisant, pour juger la valeur de la Cloche… » Le professeur a à peine terminé que Günther ressort de la Chose ! « Le voilà ! » crie-t-on et Ratamor et d’autres courent vers Günther. On lui enlève la cloche, avec des gestes fébriles et en essayant de se calmer les uns les autres, puis la tête de Günther surgit, souriante, victorieuse ! Des femmes se pâment et un orchestre démarre ! C’est un succès et on porte en triomphe Günther !

    « Mais comment avez-vous fait ? demande un journaliste à Ratamor.

    _ Eh bien, d’abord, j’ai choisi Günther parce qu’il ne parle que de lui ! Le tout a été de lui donner l’impression qu’il était avec quelqu’un sous la cloche, une amie par exemple ! Celle-ci écoute Günther, semble suspendue à ses lèvres, mais essaie de l’interrompre parfois… ou bien elle le flatte ! En tout cas, Günther continue inlassablement son quasi monologue ! D’ailleurs, la conversation a été enregistrée… Je vais vous la faire écouter ! »

    Ratamor démarre l’enregistrement, au milieu du cercle des journalistes, qui tendent une oreille attentive : « Alors, tu comprends, dit Günther, des fois je pars trop tôt, en randonnée, et je ne parviens pas à me réchauffer !

    _ C’est comme moi, je… répond l’amie fictive.

    _ A cet instant, j’ai quand même un truc…, coupe Günther. Je prends mon café en survêtement… et je mange du pain suédois, tu vois ?

    _ Très bien, celui avec des raisins secs…

    _ Non, le mien n’a pas de raisins secs… Mais alors, tiens-toi bien, en dessous du pull, il y a… double tricot !

    _ C’est pas vrai !

    _ Mais si ! Eh, mais qu’est-ce que tu crois ? Derrière, c’est plein d’expérience ! J’ai marché un peu partout ! Les chemins les plus durs, je les ai empruntés !

    _ Tu as fait le GR 90, celui qui passe par la Montagne bleue !

    _ Non, mais il est moins difficile que celui de la Montagne noire ! Etc, etc. ! »

    Ratamor coupe l’enregistrement et dit aux journalistes : « Vous voyez, Günther, à aucun moment, ne s’intéresse à autre chose qu'à lui-même ! La Chose là…, qu’on dit mystérieuse, envoûtante, à cause d’une soi-disant beauté, est absolument sans prises sur lui ! Il reste dans son monde, en l’occurrence ma cloche !

    _ C’est le même Dom avant et après !

    _ Exactement ! »

                                                                                                                              116

          Après le succès de la cloche, les médias prennent conscience que bien des Doms peuvent traverser la Chose en n’étant point affectés, comme s’ils y étaient totalement insensibles ! Les interviews, les portraits se multiplient ! On découvre un monde insoupçonné, une quasi nouvelle génération, des Doms qui ont tous un truc, pour ignorer la Chose !

    Ainsi Schmell ! un grand gars élancé ! un sportif visiblement ! en tout cas, quelqu’un qui se maintient en forme et qui court régulièrement ! Mais laissons-le s’exprimer : « Moi, il m’arrive de faire dix, quinze bornes dans la Chose, sans même la voir ! dit-il. C’est pas mon truc ! » Schmell donne toujours l’impression de « bouger » sur place et il regarde fréquemment sur les côtés ou derrière, ce qui fait penser qu’il est très nerveux !

    Il est en tenue de jogging et on se demande s’il en a une autre… « Mais attention, précise-t-il, je vais pas dans la Chose sans biscuits ! J’ suis un semi-pro ! Je sais ce que je fais, je vise la perf. ! Vous voyez ça ? Ma montre connectée ! J’ai tout avec elle ! Ma cardio, ma sudation, ma perte anhydrique, la longueur de ma foulée, bien entendu le nombre de kilomètres, les conseils d’ami : où je dois faire une pause, à quel moment boire, taux de vitamines, etc. Le satellite me suit et ma montre me renseigne ! J’ suis pas tout seul… et j’évolue au fil des diagrammes !

    _ De sorte que vous avez le nez sur votre montre et que la Chose, elle, elle ne peut rien contre vous !

    _ Voilà ! Elle a beau faire de grands signes, j’ la laisse derrière ! Elle tient pas la route, de toute façon ! Elle a pas le niveau ! » Ici, Schmell renifle, avant de reprendre : « Mais bon, j’ai encore un autre truc ! C’est pas un mystère, tout le monde peut faire pareil ! » Schmell tapote ses deux écouteurs ! « C’est mon monde, man ! Ma musique, mes tubes, sans stops ! J’ suis sur des rails avec ça ! C’est moi, le héros d’ l’histoire ! Le seul gagnant ! Je plane ! La Chose n’est plus qu’un vague décor ! C’est moi qui resplendit ! Le rêve est complet ! C’est magique !

    _ On imagine que la musique favorise la perf. !

    _ T’as mis « le doigt d’ssus, Jean » ! J’ m’éclate ! Et la Chose, elle ahane, elle souffre ! Elle est dépassée ! C’était bon dans les années 80 ! Mais aujourd’hui, hein ? Qui s’en préoccupe ? »

    On remercie Schmell et on passe à Hernoc ! C’est un personnage qui n’a pas l’air commode ! Il regarde les autres, comme s’il était outré de leur présence et qu’on lui devait des comptes ! Il est une sorte de gendarme sur Terre ! Mais Hernoc est en réalité agriculteur et donc face à des difficultés sans bornes ! Il faut se faire tout petit devant Hernoc, car c’est un martyr de la civilisation ! Mais il ne faut pas généraliser, bien entendu : Hernoc représente un type d’agriculteurs et il y en a d’autres, qui ne sont pas comme lui !

    Alors Hernoc, comment tu gères la Chose ? « La Chose ? Quelle chose ? demande Hernoc. Moi, j’ m’en fous d’ la Chose ! J’ fais mon boulot, c’est tout ! Si tout le monde faisait le sien, ben, y aurait deux fois moins d’problèmes !

    _ D’accord, mais vous travaillez dans la Chose… Vous travaillez même la Chose… et donc vous devez avoir des relations particulières avec elle ?

    _ Moi, la Chose, j’en fais ce que j’ veux ! Elle résiste pas à mon tracteur ! C’est d’ la pâte à modeler, la Chose ! J’ la coupe, j’ l’écrase, j’ la pulvérise ! J’ai des quotas à respecter, moi ! Y a un rendement à tenir ! Autrement, comment on nourrit les bêtes ? Vous êtes marrant, vous, les gens d’ la ville ! La Chose, quelle Chose ? Moi, j’ l’emmerde, la Chose ! Snif !

    _ Certains disent que vous l’empoisonnez…

    _ J’ l’empoisonne pas, j’ la traite ! J’ veux du travail impeccable ! A part mes plants, ça doit être lunaire ! Non, mais vous croyez que j’ai l’ temps de papillonner ? Faut que j’ m’en sorte, oui ou non ?

    _ Bien sûr !

    _ Voilà ! J’ vais vous dire la Chose, elle est à mon service, point barre ! J’ veux du grand, du complet ! Tout doit être nickel !

    _ Vous vous arrêtez jamais ?

    _ Pour que vous veniez piquer mes bottes ? Vous rigolez ! Vous n’aurez pas ma ferme ! Faut faire une croix d’ ssus ! J’ suis prêt à prendre le fusil !

    _ On dit que la Chose peut apporter la paix ?

    _ Et vous mangez d’ la paix ? Pfff !

    _ Mais vous n’avez pas l’air heureux…

    _ J’ s’rai heureux quand tu t s’ras barré ! Il est où mon chien ? Rex ! Viens, nom de Dieu ! Qu’est-ce tu fous avec les gens d’ la ville ? La Chose ? Mais c’est une carne de toute façon ! »

                                                                                                                       117 

          Je te parlerai du génie de la Chose ! comment le moindre fossé, le moindre buisson, le moindre « foutoir » d’arbres, le terrain le plus abandonné, le plus méprisé, le fourré inextricable, ignoré par les Doms, car absolument pas rentable, comment il peut être génial !

    Il suffit que la lumière vienne le « fouiller » un peu, surtout la lumière dorée du soir, en hiver ! Les branches nues montrent alors toute leur élégance, leur magie ! Certaines sont humides, avec des bourgeons blancs, et on dirait des fouets de diamants, avec des couleurs roses ! Peux-tu imaginer ça ? Il y a encore des bouquets de lumière, dans des zones d’ombre légèrement mauves, comme si elles étaient un peu glacées !

    Le Dom ne voit là qu’un fatras, alors qu’il n’y a pas plus fin, de plus délicat, de plus serti ! L’enfant bat des mains devant le génie, il chante sa gloire ! C’est plus fort que lui, comme l’oiseau gonflé par sa force ! Le Dom, lui est toujours mécontent, méfiant, en colère, plein de projets et de soucis ! Le Dom construit et envahit ! Il ne sait pas voir, ni se reposer, ni aimer, ni s’enchanter ! Et il se croit responsable, adulte !

    Il est dans une frénésie sans fin et il dévore sa planète ! Les maisons et le béton écrasent les pierreries, les fêtes de la lumière, les dialogues entre les buissons, leur enlacements intimes, leur lutte à mort aussi ! Le béton, c’est les problèmes des Doms, qui ne savent pas vivre en paix ! C’est la laideur en marche ! Ce n’est pas au génie de la Chose de disparaître ou de changer, c’est au Dom d’ouvrir les yeux, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas heureux, qu’il est violent et dans une impasse !

    Le génie de la chose est gratuit ! Chacun peut en profiter ! Il est dans un brin d’herbe et même dans une flaque entourée de boue ! Le génie de la Chose apporte la sécurité et la joie, l’espérance ! Nul ne peut le voir, s’il est concentré sur lui-même et son égoïsme ! Nul Dom ne peut le comprendre et s’en régaler ! Les fêtes de la lumière sont ineffables ! L’infini est dans le fossé, dans la moindre parcelle de la Chose ! L’enfant s’en illumine, en découvrant tous ces trésors ! Il est subjugué ! Le monde des Doms lui paraît loin… et si prévisible, et si chaotique et si malheureux, car les Doms écrasent les Doms ! Et si envahissant ! Et si bête aussi ! Les merveilles sont là et les Doms s’en moquent ! Eh ! Ils ont de sacrés problèmes ! Ont-ils faim ? Sont-ils malades ? Non, ils ont une sorte de damnation qui pèse sur leurs épaules ! Ils ont le visage fermé par la souffrance ! Quel est leur problème ? Mystère ! A moins que ce ne soit la soif de leur ego ?

    Le Dom traîne sa misère et méprise la Chose, comme s’il la connaissait ! Le Dom est parfaitement ignorant au sujet de la Chose ! Par contre, la Chose, elle, connaît par cœur le Dom ! L’enfant, qui a de l’expérience, lit à travers le Dom, comme par une fenêtre ! L’enfant rit parfois du Dom, ce lourd prisonnier sans prison ! Le Dom détruit, la Chose rayonne ! Le Dom prend, la Chose donne ! Le Dom grimace, la Chose sourit ! Heureux l’enfant qui voit la merveille qu’est la Chose, le monde des Doms, à jamais, n’est plus le sien !

    Je te parlerai de la beauté ineffable, infinie ! Heureux celui qui la voit, car il est sauvé ! Son cœur est celui de l’enfant qui admire ! Ses yeux voient ! Il est dans le monde de Dieu ! Il rayonne dans la Chose ! Il est enfant de la création, il est enfant de Dieu ! Il sait des secrets ! que tout est magie, enchantement, génie et rêves ! Il n’est plus en face du vide des Doms ! La femme est belle, mais heureux celui qui se réjouit de la lumière !

    Je te parlerai de la beauté inouïe, géniale et infinie, mais les mots sont faibles ! Les mots sont les mots ! Il faut travailler avec eux et la pensée, mais la beauté pénètre l’enfant comme un rayon ! Je te parlerai aussi du monde des Doms et de sa laideur, car il naît de la peur, de la fermeture et de l’ignorance ! Il est obscurci par la lâcheté et l’égoïsme, qui est de la peur ! Je te parlerai des fausses fêtes des Doms, de leurs coups de dents sous les sourires, de leur folie !

    Le monde des Doms attaque la beauté et la détruit ! Ainsi, il se condamne à la nuit ! à la mort et aux larmes ! Le monde des Doms n’a pas d’issue ! Plus il dévore la beauté et plus il devient malade et ignorant ! N’écoute pas le Dom ! Il se croit sérieux et il ne l’est pas ! C’est un enfant perdu ! Il croit savoir et il ne sait pas !

    Va dans la Chose ! Elle t’expliquera ! Tu l’écouteras et elle te racontera ! Elle te dira combien elle t’aime ! Et ton cœur sera gonflé ! Tu chanteras alors la beauté, car tu seras sauvé ! Tu auras pitié du Dom, mais le chemin est long, car le Dom est dur ! Tu seras consolé et tu chanteras la gloire de la beauté et la puissance de Dieu, qui est ineffable, infini et qui t’aime tant !

                                                                                                                   118

          « Combien tu vends ton pays ? Hein ? Dis ton prix ! Je veux acheter ton pays ! Je le veux, c’est tout ! Ce serait génial, si tu vendais ton pays ! Pourquoi tu ne veux pas le vendre ? Je le veux ! Allez, donne-moi un prix ! On peut s’arranger ! Si tu ne veux pas, je vais te faire des crasses ! Je peux te faire des crasses, comme tu peux même pas imaginer ! Hein ? Alors, tu le vends ton pays ? Allez ! Tout est à vendre de toute façon ! Tout a un prix ! C’est moi qui commande et je veux acheter ton pays ! C’est pas plus compliqué que ça ! »

    « Pourquoi j’aiderais les autres ? Si j’aide, faut me donner aussi ! C’est le deal ! Ce que je supporte pas, c’est qu’on profite de moi ! Il y a des gens qui pleurent et qui sont pauvres, ils n’ont qu’à travailler ! Si on veut, on peut ! Y en a marre d’assister ! Moi, je dépends de personne ! Je me suis fait tout seul ! Et il y a les chiffres ! On est en déficit et on ne peut plus donner ! Cela fait des années qu’on nous prend pour des poires et on donne, on donne ! Ça suffit ! On ferme le robinet ! J’ comprends pas pourquoi il faudrait aider les autres, ça me dépasse ! »

    « J’ vais montrer au monde ce qu’est d’être efficace ! Je vais me débarrasser de tous les parasites ! Les faibles aux oubliettes ! Seuls survivront les plus forts ! Moi et quelques autres ! On a déjà trop aidé les faibles ! Allez, ouste dehors ! Je suis arrivé en haut, parce que je suis fort, alors pourquoi pas eux ? Je n’ai plus peur depuis que je commande ! On guérit de sa peur par la puissance, en faisant le monde à son image, en le contrôlant ! Que le plus faible soit écrasé, qu’est-ce que ça peut faire ? »

    « Mon ego partout et toujours ! Il faut qu’on parle de moi encore et encore ! Je suis le centre de tout, l’intérêt de tous ! Tout le monde est suspendu à mes lèvres, à mes décisions ! Seul moi existe, comme Dieu ! Je dirige le monde ! Je dis à celui-ci : « Va ! » et il va ! Je dis à cet autre : « Arrête ! » et il arrête ! Alors pourquoi ne veux-tu pas me vendre ton pays ! Parce que tu as une âme ? Ah ! Ah ! Qu’est-ce que c’est ? Tout se vend et tout s’achète ! Je ne comprends ni la culture, ni l’histoire ! Cela ne m’intéresse pas ! Seul je compte et si tu veux mon aide, il va falloir payer ! »

    Ainsi parle le vent… et le Dom ! Ainsi va la poussière… et le vide ! Ainsi est la superficialité, qui a aussi son rôle ! Ainsi est rendue ridicule la guerre, par l’argent et le commerce ! Tuer est ringard, puisque tout est disponible sur le Net ! Pourquoi envahir, quand on peut acheter ? Ainsi la bêtise et la cupidité servent la sagesse, ce vieux diamant, caché dans la terre ! Ainsi évoluent les Doms malgré eux ! Ainsi la planète est plus petite, à cause de la soif de puissance ! Ainsi on se regarde dans les yeux, parce que l’ego est énorme ! Ainsi le mensonge paraît anodin, tant l’ego submerge ! Ainsi le secret paraît dépassé, puisque l’ego rayonne ! Ainsi la paix avance malgré tout, puisque les armes sont vieilles, par rapport à l’argent !

    Mais la sagesse, ce n’est pas l’ego bien entendu ! L’ego écrase et ne résout rien ! L’ego gonfle comme un ballon et s’en va, de sorte qu’on l’oublie ! L’ego, c’est du bruit, tandis que la sagesse est silencieuse ! Ainsi est la Chose ! Elle ne dit rien apparemment ! Elle paraît vide, inerte, avec son train-train : les oiseaux chantent, le ruisseau coule et les fleurs fleurissent ! A quoi bon ? L’ego hausse les épaules ! Il a mieux à faire ! Il dirige le monde ! Et il fait des déclarations et il signe des décrets et il s’use, se vide et s’en va !

    La Chose parle pourtant… Elle crée ce vieux diamant, caché dans la terre, appelé Sagesse ! Celle-ci est très curieuse… Elle est là où on ne l’espérait pas ! On est surpris de la trouver, chez un Dom ou un autre ! Elle est comme un vieux soldat debout, à cause d’une alchimie assez mystérieuse ! Car la sagesse est un désir de vérité, de paix ! On sent qu’elle est nécessaire pour évoluer, au contraire du mensonge, qui ne permet rien de durable ! La sagesse repousse comme la mauvaise herbe…, malgré la puissance, le pouvoir, le bruit de l’ego ! C’est comme un petit ruisseau, qui ne tarit pas, et que chacun connaît plus ou moins, où on peut toujours boire, qui n’est jamais vraiment inconnu ! qui repose, qui donne de l’espoir, qui fait qu’on se tient soi-même sur ses jambes, qui offre de la dignité !

    Heureux celui qui aime la sagesse, qui a ce diamant dans le cœur ! C’est le don de la Chose, pour l’enfant qui l’aime, c’est son trésor, pour son amoureux ou amoureuse ! C’est le diamant de la beauté ! son cadeau ! L’enfant va sur le chemin, libre et léger, sous les yeux doux de la beauté ! Il chante la sagesse, car il est en elle ! Il est comme l’oiseau, mais sans ses inquiétudes et sa domination ! Il peut même apaiser l’oiseau ! L’enfant rit plein de sagesse ! C’est le cadeau de la beauté ! Alors que l’ego écrase le monde des Doms, tant il est stupide !

                                                                                                                       119

          Dieu rit dans l’enfant sage ! Dieu montre à l’enfant sage son génie et l’enfant sage s’en émerveille ! Car ce génie est fait d’amour ! L’infini est fait d’amour ! Heureux celui qui voit le génie de Dieu ! Il a le cœur de l’enfant, sa confiance, sa candeur !

    Dieu n’est pas avare, il est infini ! Peut-on se représenter une beauté infinie ? L’art ne saisit qu’une infime partie de cette beauté, une minuscule partie, une partie même dérisoire et qui pourtant témoigne de cet infini et qui pourtant fait que l’artiste s’enchante de son travail : il n’est pas en effet Dieu et il ne possède pas la lumière du soleil ! Il a un média, l’écriture, la peinture, la musique, etc. et c’est déjà magnifique, mais ce n’est pas la lumière, ni l’amour ! C’est moins souple, moins puissant, mais l’artiste n’est qu’un homme et il doit le comprendre !

    Il est des artiste qui ne sont pas des enfants et qui ne s’enchantent pas du monde ! Ils peuvent être des artistes de très grandes valeurs, sans louer Dieu ! Pourquoi pas ? L’amour n’est pas une loi ! Mais Dieu rit dans l’enfant sage ! Il lui montre tous ses trésors, tout son génie et Dieu et l’enfant sage se réjouissent ! Celui qui voit le génie de Dieu ressent un bonheur ineffable ! Son cœur s’envole et se met à chanter !

    Alors pourquoi tant de Doms et tant de souffrances ? A cause de la peur essentiellement ! L’égoïsme au fond n’est rien d’autre que de la peur ! On méprise par crainte ! On se ferme par peur ! On se barricade et on frappe pour la même raison ! On triomphe même, pour faire taire absolument la peur, comme si on pouvait s’asseoir dessus, avant qu’elle ne disparaisse ! Ainsi le Dom reste Dom, par peur ! En cela il est condamnable ! Car on lui demande seulement un peu de courage, ne serait-ce que pour son bien ! La haine empêche ce petit regard de côté, ce petit effort de jugement ! Elle aveugle et entraîne au pire !

    Paschic souffre toujours, de toutes ces années de stress et de chagrins, à cause de la Machine ! Ce qui est terrorisant, c’est de ne voir nulle part une main amie, de se sentir toujours un étranger, d’être rongé par l’incompréhension ! Alors, le simple fait de tenir debout est une épreuve ! L’injustice aussi détruit, mais comment raisonner des Doms qui ont peur ? Paschic souffre depuis des années de digestions difficiles ! La peur a rendu son intestin hypersensible ! Cela peut paraître anodin, mais ce sont des insomnies, des fatigues sans fin, de la dépression, des douleurs insondables ! Ainsi Paschic est aussi la victime de la peur des Doms et il pourrait dire qu’il n’y a pas de Dieu, puisqu’il souffre, que son chagrin lui aussi est infini !

    Ainsi l’hiver est difficile ! Car l’effort physique, le fait de se sentir en forme et d’être capable de lutter, donnent le sentiment d’avancer, rassurent ! Mais l’hiver enferme, cloître et inquiète ! Beaucoup de Doms vont à la catastrophe, par angoisse et impatience ! Ils se blessent, sont victimes d’un accident ou mettent le feu à leur logement ! C’est la catastrophe de l’hiver ! C’est la peur qui ne trouve pas de remèdes ! Car l’hiver dépouille et oblige à faire les comptes ! Qu’est-ce qui nous tient, nous ancre, nous console ? Quel est notre repère ?

    Au-delà de ses souffrances, Paschic garde les yeux sur son trésor ! C’est sa foi, sa confiance, qui le fait résistant à la peur, qui lui conserve sa paix ! Ainsi il ne chavire pas dans la haine, le ressentiment ! Car Paschic pourrait en vouloir aux Doms, aveugles et qui piétinent et qui détruisent ! Mais il garde sa force et reste lucide, compréhensif !

    A priori, la force semble la domination et le monde aujourd’hui en est la surenchère ! C’est à qui dominera l’autre ! Mais la domination ne guérit pas la peur et c’est pourquoi elle est sans fin et destructrice ! Le Dom a toujours besoin de dominer, pour échapper à sa peur et même la nier ! C’est dire s’il fait des victimes ! Car beaucoup sont méprisés et jugés inférieurs, pour satisfaire le Dom et qu’il sente son pouvoir !

    Au contraire, l’enfant sage ou de lumière n’a pas besoin de dominer ! Il se rappelle les merveilles de la Chose et de l’enseignement de la beauté ! C’est la foi, la véritable force ! C’est elle le remède à la peur, mais dès que la foi conduit à la haine, alors elle n’est plus la foi ! Aucune haine dans la foi !

    Le Dom se moque de l’enfant de lumière, qui s’enchante de la beauté ! Cela lui paraît puéril et naïf et comment pourrait-il en être autrement ! C’est encore la peur qui produit le mépris du Dom ! L’enfant de lumière ne peut espérer la justice, car il ne peut pas guérir la peur du Dom comme ça, d’un coup de baguette magique ! C’est au Dom de s’apaiser, de guérir lui-même ! L’enfant de lumière doit accepter d’être incompris, mais que lui importe puisqu’il est compris et aimé de Dieu ! N’est-ce pas suffisant, n’est-ce pas là son immense chance ?

    Et au printemps, il rira avec Dieu de la fête de la Chose, de ses splendeurs infinies, car ils s’aiment tous les deux et se comprennent !