La Nuit des Doms (54-56)
- Le 14/12/2025

"Vous ne croyez pas que vous pourriez penser à la comtesse plutôt qu'à la passée du soir?
Maigret et l'affaire Saint-Fiacre.
54
Dans une salle d’interrogatoire, Lapsie est face à un mutant, qui a été capturé ! Le maire Chenu l’assiste derrière… « Bien, fait Lapsie au mutant, tu as été conduit ici par la police et les accusations qui pèsent sur toi sont graves ! Mais ce n’est pas mon travail… Mon rôle est d’essayer de comprendre comment tu as été amené à commettre cette prise d’otages… Tu veux nous en parler ? »
Le mutant ne répond rien et se contente de fixer Lapsie… Il paraît même ailleurs, comme si tout ça l’ennuyait ! « Je suis une psychologue, reprend Lapsie, je suis neutre et je suis là pour que la parole se libère, que les sentiments cachés puissent s’exprimer, car tu n’as pas agi sans raison ! Tu as sans doute de la haine à l’égard des autres, de la société, et cette haine doit avoir ses origines dans tes rapports avec tes parents ! Je me trompe ?
_ Est-ce que je peux avoir mon téléphone ?
_ Plus tard… Nous devons d’abord nous entretenir… Alors, as-tu des problèmes dans ta famille… ou à l’école ? Subis-tu des harcèlement de la part d’autres élèves ? Tu as des camarades, une petite amie ? »
Le mutant se mure de nouveau dans le silence, pire, il regarde ailleurs et bâille, ce qui fait réagir Chenu : « Attention, mon garçon ! dit-il. Si tu fais l’insolent, tu aggraves ton cas ! Est-ce que tu prends conscience dans quelle situation tu mets tes parents ? Ce sont eux qui vont devoir répondre de tes actes devant la justice, car tu es mineur… Est-ce que tu penses à ta mère ? Ne la crois-tu pas à présent folle d’inquiétude ?
_ Est-ce que je peux avoir mon téléphone ?
_ On t’a dit plus tard ! Tu sais c’ que j pense ? Je pense que ce qui t’a manqué, c’est une bonne correction de temps en temps ! T’as été trop gâté et tu fais maintenant n’importe quoi ! Mais le monde, mon garçon, n’est pas comme on veut ! La vie est dure, il faut travailler et cotiser, sinon on s’retrouve à la retraite sans un sou ! Et là, on n’a plus que ses yeux pour pleurer !
_ Monsieur le maire…, intervient Lapsie.
_ Je sais, je sais ! C’est lui qui doit parler, pour que vous le compreniez ! Mais regardez-le ! Il se moque de nous, il s’ fout d’ tout ! J’ai bien envie de lui donner une bonne claque !
_ Et ça arrangerait les choses ! Monsieur le maire, laissez-moi faire, voulez-vous ? Très bien, mon garçon, tu ne veux pas parler de tes parents, ni de tes camarades, alors de quoi nous allons parler ? »
Le mutant ne répond toujours rien, mais il fixe à nouveau Lapsie, intensément ! Celle-ci ressent une certain gêne, des picotements dans la nuque et une légère suée vient l’envahir ! A sa grande surprise, les murs de la salle d’interrogatoire deviennent troubles, ainsi qu’ils seraient liquides ! Lapsie se retrouve ailleurs, dans une salle plus vaste, plus humide aussi, sur un sol de larges pierres et entre des piliers anciens ! Que fait-elle là ?
Elle s’aperçoit encore qu’elle est nue et qu’une force irrépressible la pousse à se mettre à quatre pattes ! Elle essaie de lutter, mais en vain : il faut qu’elle avance, comme un chien ! A quelques mètres devant elle se dresse un trône, dans la clarté lunaire ! Elle s’en rapproche, toujours dans la même position, et elle distingue maintenant le mutant assis en érection ! Il a un léger sourire et ce qu’il veut de Lapsie devient évident !
Frappée par le dégoût et la peur, elle se rebelle et dans un ultime effort, elle refait jaillir devant ses yeux la lumière de la salle d’interrogatoire ! En face, le mutant ne cesse pas de la fixer et comprenant son pouvoir, elle entre dans une colère terrible ! Elle saute par-dessus la table, pour enfoncer ses ongles dans le visage de l’ado ! Elle entend à peine le maire, qui essaie de la faire reculer ! Elle crie seulement : « Espèce de salopard ! Raclure ! »
« Qu’est-ce qui s’ passe ici ? fait le père du mutant, qui vient d’entrer, accompagné par son avocat. Mais vous êtes folle ! » Il balance en arrière Lapsie ! « Papa ! Papa ! fait le mutant. La dame, elle est méchante ! Elle a sauté soudain sur moi !
_ Je vois ça, mon garçon ! Tu n’as rien ?
_ Ce comportement est indigne d’une professionnelle ! jette l’avocat. Pour l’instant, nous allons récupéré ce garçon, et croyez-moi, madame Lapsie, une plainte va être déposée auprès de vos supérieurs ! C’est une honte ! »
Le mutant part, la main dans celle de son père et après leur départ, le maire s’emporte contre Lapsie : « Mais bon sang ! Qu’est-ce qui vous a pris ?
_ Je… s’interrompt Lapsie, soudain gênée de raconter ce qu’elle a ressenti !
_ Le voilà libre en attendant ! Bravo, vous avez gagné le pompon ! »
55
Paschic et Web sont toujours dans la cabane, alors qu’il continue à pleuvoir des cordes dehors… « Mais où avez-vous pu faire disparaître le général Lézard et sa p’tite troupe ? demande Paschic.
_ Mais, mon cher, il n’y a pas que vous qui avez le don de la magie ! Moi, aussi, j’ai mes petits tours ! Enfin, disons que Lézard est allé rejoindre le darknet, là où les mutants discutent du bout d’gras !
_ En tout cas, vous êtes arrivé à point nommé ! Mais vous disiez que vous avez besoin de moi ?
_ Oui et non… A la vérité, il n’y a qu’auprès de vous que je me sens en paix, tranquille, que j’ peux me reposer ! Je sais pas pourquoi, mais c’est comme ça ! Cela vient peut-être de la clarté de votre esprit ! Et je vais en profiter pour faire une petite sieste !
_ Je vous en prie... »
Paschic regarde par la fenêtre les voiles de la pluie et soudain il se fige : là-bas, sur la dune, il y a une forme sombre qui s’agite, crie, gesticule ! Puis, l’individu en question se rapproche de la cabane… « Au secours ! Au secours ! » fait-il entendre, avant de frapper brutalement à la porte !
_ Qu’est-ce qui s’ passe ? demande Paschic, qui a ouvert.
_ Ils sont là ! Ils arrivent ! Ils veulent ma peau ! Je vous en prie : aidez-moi ! »
_ Entrez ! »
L’homme est tout mouillé et grelotte… « Il faut m’ cacher ! reprend-il. S’ils me trouvent, ils m’ tueront ! » Web du lit lorgne le nouvel arrivant… « Mais enfin, calmez-vous, fait Paschic. Et si vous nous expliquiez un peu…
_ Je suis un ancien elfe des forêts… »
Paschic et Web regardent le personnage et en effet, ils se rendent compte qu’il est habillé d’une drôle de façon : ce sont des feuilles tissées entre elles, qui lui servent de tenue ! « D’accord, vous êtes un elfe, dit Web, mais qui vous menace, qui vous fuyez ?
_ Mais les BB !
_ Vous avez peur des bébés ? Une phobie particulière sans doute…
_ Mais non, les BB sont ceux de la BB, la Brigade du Béton ! Ils sont décidés à exterminer la Chose ! Vous ne le saviez pas ? Tout ce qui représente la nature est pour eux odieux, méprisable et doit disparaître ! Mais les voilà, bon sang ! Les voilà ! »
Paschic jette un coup d’œil par la fenêtre et voit effectivement des types arriver ! Ils portent des casques et des gilets fluo ! « Web, laisse l’elfe glisser sous ton lit ! Y a bien du monde dehors ! »
A peine Web a-t-il caché le fuyard que des coups brutaux sont donnés à la porte ! Paschic se retrouve devant des gars massifs, qui entrent sans permission ! « Que le béton soit sur cette maison ! fait le chef.
_ Honneur au béton ! font les autres.
_ Nous recherchons un individu, reprend le chef, un d’ ces sous-hommes de la nature, habillé de feuilles mortes ! Voyez l’ genre ! Ah ! Ah !
_ Honte à la Chose ! font les autres.
_ Personne n’est entré ici depuis c’ matin, à part vous, bien entendu ! répond Paschic.
_ J’ sais pas pourquoi, mais j’ vous crois pas ! Il flotte dans cette pièce, comme une odeur de trahison !
_ Vous voyez bien qu’on n’ peut pas cacher quelqu’un ici ! »
Le chef regarde Web sur le lit et pèse le pour et le contre… Ses hommes sont prêts à réagir… « J’ connais personnellement le maire Chenu et monsieur Nuit ! jette Web. Je les informerai de vot’ conduite !
_ Nous, on fait qu’ suivre les ordres ! Les elfes n’ont plus leur place dans c’ monde ! Ils abêtissent la population ! Nous, on est l’homme supérieur de demain ! La race élue !
_ Gloire aux BB ! font les autres.
_ D’accord ! D’accord ! C’est bien, vous avez vos idées ! Mais y a rien pour vous ici ! Alors, il s’rait d’temps partir ! »
Pour toute réponse, le chef prend son talkie : « Ouais, Roger, tu m’entends ? Y a des clients pour toi ici ! Amène-toi, tu veux !
_ Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Web.
_ Ça veut dire que toute cette baraque va disparaître sous l’ béton ! Le camion arrive ! »
La stupeur se peint sur les visages de Paschic et Web, puis on entend un grondement, celui du camion qui manœuvre, pour faire couler son béton ! « Allez, les gars, on dégage ! » fait le chef. Paschic et Web relèvent l’elfe et ils ouvrent un trou dans le côté opposé, avant de se jeter derrière un pli de la dune !
Pendant ce temps-là, le flot gris gicle du camion et finit par noyer la cabane, qui s’effondre !
56
Dans le Tribunal de Domopolis la tension est extrême, à cause de la gravité des faits ! Sur le banc des accusés se trouvent trois jeunes arbres, qui se sont opposés à un projet du Cube, qui les excluait ! A présent, ils sont vus comme des ennemis du Cube et particulièrement des BB, qui eux deviennent de plus en plus puissants, ce qui fait que les trois arbres sont accusés de haute trahison !
Le juge dit : « Nous allons maintenant écouter votre témoin, monsieur le Procureur…
_ Oui, j’appelle à la barre le général Farci, qui commande les BB dans le secteur ouest ! »
Un grand type sec dit : « Je le jure ! » et attend les questions du procureur, qui commence toutefois par flatter son interlocuteur : « Général Farci, vous avez été promu dernièrement par le maire Chenu, je crois…
_ C’est exact, le maire Chenu a reconnu mes mérites et a étendu mon champ de compétences !
_ De sorte que vous n’êtes plus qu’un simple exécutant, mais vous participez pleinement aux projets de notre chère ville !
_ J’ai cet honneur en effet…
_ Pouvez-vous nous décrire la scène du crime…
_ Objection votre Honneur ! fait l’avocat des arbres. La qualification de crime reste encore à prouver !
_ Accordé !
_ Soit, reprend le procureur. Général Farci, vous qui êtes une personnalité importante, au sein des BB, expliquez-nous le cadre du litige…
_ Ben voilà… Y a un projet… Pour l’instant, l’endroit est quasiment à l’abandon…
_ Oh ! fait outré l’avocat des arbres.
_ Maître, vous n’avez pas la parole ! réplique le juge. Témoin, reprenez…
_ Nous, c’ qu’on veut, c’est l’ progrès ! C’est que tout soit propre ! Un monde meilleur ! bétonn… Enfin, clair et lumineux, où les familles se sentiront heureuses... »
Dans la salle, quelques femmes étouffent un sanglot… « Là où ces arbres, poursuit le général, en désignant les accusés, ne servent à rien, on veut une belle pelouse, bien rase, pour que les chiens y déposent leurs crottes et que les gens piétineraient, puisqu’il n’y aurait pas d’accès direct au passage piéton ! Mais ce n’est pas tout ! De petites allées bétonnées, mesquines, avec des flèches indiquant le sens de la marche, traverseront la pelouse, produisant un contraste du plus belle effet ! Et tout cela dans quel but ? C’est là que vous allez voir qu’on en a du chou ! Car au milieu, il y aura un petit cube de béton, mignon tout plein, qui servira à la location de vélos, pour découvrir notre superbe région ! Un havre pour les touristes, quoi ! qu’un sapin n’ombragera jamais, puisqu’il est situé plein nord ! L’été, le bâtiment sera tellement surchauffé, qu’on l’ fuira volontiers ! Et en route pour la visite !
_ Général, coupe le procureur, personne ne reste insensible à votre enthousiasme, qui est évident ! Mais en quoi les accusés vous gênent-ils ?
_ Ben, ils sont plantés là…
_ Ils ont grandi là, plus précisément ! objecte l’avocat.
_ Enfin, tant qu’ils sont là, on pourra rien faire, conclut le général en haussant les épaules.
_ La parole est maintenant à la défense ! dit le juge.
_ Quelle ironie, mesdames et messieurs ! commence l’avocat. Pour les touristes, pour qu’ils découvrent notre « superbe région », on débute par couper des arbres, par détruire la Chose !
_ Mais ces arbres-là ne servent à rien ! crie le procureur.
_ Maître, vous n’avez pas la parole ! corrige le juge.
_ Comment ça, ils ne servent à rien ? reprend l’avocat. Pour ma part, je m’enchante de leurs belles feuilles en automne ! Leur couleur saumonée m’a toujours ravi !
_ Ciel un idéaliste !
_ Évidemment, monsieur le procureur, vous me manquez de respect, car vous ne savez pas voir ! regarder la beauté ! Vous ne voyez que vos œuvres et celles du Cube ! Notre société est malade, mais peu importe, ce qui compte c’est que le maire Chenu et les BB soient satisfaits de leur journée !
_ Votre Honneur, coupe le procureur, nous ne sommes pas ici pour faire le procès du Cube, mais celui de dangereux criminels, qui s’obstinent à défier le progrès !
_ Accordé ! Maître, veuillez ramener votre défense à l’essentiel !
_ Mais la question est celle-ci : « Pourquoi ne pas commencer à considérer la beauté et la nature déjà présente, si le but est de la faire découvrir un peu plus loin ? » Montrons que nous sommes des gens sérieux et non des hypocrites !
_ Hum ! fait le juge. Merci maître, nous nous retirons pour le verdict ! »
Le juge et les jurés s’en vont, mais ils reviennent rapidement… « A la question : les arbres sont-ils coupables ou non, demande le juge, les jurés ont-ils répondu à l’unanimité ?
_ Oui, fait le juré principal, les arbres ont été jugés coupables !
_ Bien ! La sentence prend effet immédiat ! Les arbres seront coupés dans la matinée ! »
Les accusés s’effondrent sur leur banc ! Des feuilles colorées, venues les soutenir, poussent des cris déchirants ! C’est la stupéfaction face à la bêtise du Cube ! Mais le général Farci et le procureur jubilent ! Les BB triomphent !