La Nuit des Doms (13-17)
- Le 11/10/2025
"Vous ne me demandez pas comment va la fille?"
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Cependant, on doit laisser passer un bus, sur le trajet… Il amène des prisonniers et a un aspect inquiétant… Les passagers y sont tous silencieux, plongés dans leur téléphone, ou ont des gestes mécaniques et des attitudes accablées… « On l’appelle le Bus des damnés, précise Web, car les passagers y paraissent en route vers l’enfer ! Mais on arrive à la première cellule que je voulais te montrer... »
Une Apparence ouvre la porte de la cellule et Web et Paschic y pénètrent... De l’ombre vient laborieusement un Dom sur ses béquilles… « On le surnomme La Mouche, à cause de ses éternelles lunettes de soleil, explique bas Web. Alors, La Mouche, comment ça va c’ matin ?
_ Et comment voudrais-tu qu’ j’ aille ? J’ sors de six mois d’hosto, moi !
_ Ah bon ? Et qu’est-ce qui t’est arrivé ?
_ Ben, j’ suis tombé tout seul ! Ça arrive ! La prothèse que j’avais dans la hanche a brisé mon fémur !
_ Ouille !
_ Ouais, six mois d’hosto ! Le chirurgien ma dit : « C’ a été long ! »
_ En effet…
_ J’ai connu un ami dans la même situation… commence Paschic.
_ Et comme si ça ne suffisait pas, coupe La Mouche indifférente à l’intervention de Paschic, maintenant une infection due aux staphylocoques !
_ Mon pauvr’ garçon ! fait Web.
_ Et comment ça vous est arrivé ? demande Paschic.
_ Ben, je jouais à la pétanque et j’ai pas fait attention aux petites bordures du terrain… et crac ! J’ suis tombé ! Ça a fait un drôle de bruit ! »
A cet instant, Paschic éclate de rire et s’exclame : « La pétanque, sport dangereux ! Ah ! Ah ! » Mais la réaction de La Mouche est glaciale, haineuse même : « Dis donc, Web, dit-il, qui c’est ce zigoto ? Si vous êtes venu vous foutr’ de ma gueule, vous pouvez repartir aussi sec !
_ Mais on s’en va La Mouche, répond Web. On s’en va… Content d’ t’avoir revu !
_ Ouais ! C’est facile pour vous de rire, vous êtes en bonne santé ! »
Hors de la cellule, Web laisse aller son irritation : « Mais qu’est-ce qui vous a pris de vous moquer d’ lui ! C’est triste ce qui lui arrive !
_ Mais enfin, Web, vous avez bien vu : La Mouche est incapable de s’intéresser à un autre que lui-même ! Et c’est bien là sa prison, d’autant qu’il se sert de ses problèmes pour attirer l’attention ! Il doit bien fatiguer son entourage, allez, comme il a dû bien épuiser le personnel médical ! Rien de pire que quelqu’un qui ramène tout à lui-même ! Si seulement ce type pouvait s’ouvrir un tant soit peu, il souffrirait déjà deux fois moins !
_ Et vous avez compris ça rien qu’en l’ regardant ?
_ Mais non, quand j’ai parlé d’un ami qui avait eu le même accident, ce qui pouvait peut-être aider La Mouche, elle n’a rien voulu savoir ! Irrespirable !
_ Bon, admettons… Allons voir un autre détenu…
_ Mais qu’est-ce qu’on entend ? C’est quoi ce vacarme ?
_ Mais c’est les cubes roulants ! Ils passent aussi par la prison… en fait, ils n’en sont qu’une extension !
_ C’est hallucinant ! Et ils ne cessent donc jamais de rouler !
_ Jamais ! Même le dimanche, ils roulent, pour aller chercher le calme !
_ Je vois… J’en ai la nausée, Web !
_ Ouais, bon, retenez-vous, sinon les Apparences vont nous tomber d’ssus !
_ Et les prisonniers ne se plaignent pas du bruit ?
_ Pensez-vous, la plupart ne le remarque même pas ! J’ai même l’impression que ça les rassure ! C’est plutôt le silence qui les inquiéterait !
A cet instant, on croise d’autres prisonniers, emmenés par les Apparences, et ils ont l’air de poser pour une caméra ! Ils ont des discussions et des sourires factices, pour ne pas voir le monde qui les entoure… Sidéré, Paschic les regarde passer…
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« Le suivant est l’Épicier, dit Web, parce qu’il vend toutes sortes de choses aux autres prisonniers ! Ça marche bien en plus ! » Une Apparence ouvre de nouveau une cellule et Paschic et Web se retrouvent devant un étal plein de légumes et derrière lequel les accueille un Dom assez jovial !
« Web ! fait l’Épicier. Comment allez-vous ? Bien ? Bon ! J’ai ici de magnifiques salades… et les tomates viennent d’arriver ! Très bonnes ! Il y encore du raisin, par contre je n’ai plus d’endives, mais je les attends !
_ Eh bien, eh bien, ah ! ah ! Tout à l’air de marcher pour vous !
_ Je ne peux pas m’ plaindre… Après un début difficile, c’est un peu mieux…
_ J’ vois que vous avez aussi des kiwis, coupe Paschic, c’est très bon en confitures…
_ J’ ne sais pas, j’ suis allergique aux kiwis !
_ Ah bon ? Tiens du sucre complet, reprend Paschic. Il paraît que c’est le moins nocif, à cause de la mélasse…
_ S’il est meilleur que les autres, c’est parce qu’il contient des fibres...
_ C’est ça, c’est la mélasse… Il n’est pas raffiné…
_ C’est à cause des fibres…
_ Mélasse…
_ Fibres !
_ Dites donc l’Épicier, fait soudain Web, vous êtes tout pâle !
_ Hein ? »
L’Épicier rejette la tête en arrière et son visage s’allonge ! Il transpire et semble se contraindre formidablement ! Il agrippe une cagette, ouvre la bouche pour crier, puis se reprend de justesse ! D’une voix venue d’ailleurs, il dit : « Je vous écoute », comme s’il sortait d’un rêve, alors que des veines saillent sur son front, ainsi que des fissures !
« Mais, mais on va pas vous déranger plus longtemps, l’Épicier ! enchaîne Web qui se veut léger, pour masquer son inquiétude. Hein, Paschic ? On y va ? On est parti ! »
Web et Paschic sortent et dès qu’ils ne sont plus à portée de voix, Web s’exclame : « Bon sang de bonsoir, j’ai bien cru qu’il allait nous exploser sous l’ nez ! ou s’ transformer en loup-garou ! J’ai eu les j’tons, Paschic ! J’avais le trouillomètre à zéro !
_ Affreux, en effet !
_ Bon sang, mais qu’est-ce qui s’est passé ?
_ C’est assez simple, si vous voulez mon avis… Je lui ai appris quelque chose de nouveau et son monde est tellement fermé que ça lui est une épreuve quasi insurmontable !
_ Vous rigolez !
_ Vous avez une meilleure explication ? L’Epicier veut être un maître absolu chez lui et tout ce qui vient de l’extérieur est dérangeant et le déstabilise ! La voilà sa prison et il est plutôt à plaindre, car le monde est vaste ! Notez que cela demande un orgueil phénoménal ! Vous vous rendez compte : ne pas être heureux d’apprendre quelque chose ! Mais subir cela comme une humiliation ! J’ vous dis pas non plus les angoisses qui parcourent sa bulle et qui le font esclave ! Il a des yeux cernés sous le masque, signe de fatigue et même de harassement ! Eh, mais on n’ guérit pas d’ ses peurs, en voulant être le chef et tout contrôler ! Il faut être assez humble, pour accepter de découvrir !
_ Ouais et vous avez encore vu tout ça en cinq minutes ?
_ J’ m’excuse, Web, mais j’ bosse, moi ! Ah ! Ah !
_ C’ qui m’ennuie avec vous, c’est que je n’ sais pas quand vous parlez sérieusement… ou quand vous plaisantez !
_ C’est l’âge, ça Web ! Vous avez pensé à faire des examens ?
_ Espèce de salopard ! »
Il y a un moment de silence, alors que, toujours sous la garde des Apparences, on avance le long des cellules… « Vous fanfaronnez, Paschic, mais je vous ai quand même réservé une sacrée surprise !
_ Là, Web, j’ crains l’ pire !
_ Vous pouvez, car il y a pire que le pire ! On arrive ! »
Les Apparences ont déjà ouvert la prochaine cellule et invité par Web à y entrer le premier, Paschic ne peut réprimer un cri de surprise ! « La Machine ! » s’exclame-t-il.
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« Eh oui, la Machine ! répond-elle. La taule doit être impeccable ! Je ne veux pas voir une seule toile d’araignée ! Faut bosser dans la vie ! Y a pas d’ place pour les faibles ! Sinon les monstres de l’extérieur vont venir !
_ Les monstres de l’extérieur ? demande Web. Mais de quels monstres parlez-vous ?
_ Mais de ceux qui voudraient profiter d’une faible femme comme moi ! Y en a toujours, allez ! Et puis l’indigence peut frapper ! Vous avez laissé ouvert, car il fait froid ici !
_ Hein ? Euh, j’ crois qu’oui…
_ Vous croyez, mais vous n’êtes pas sûr ! Les hommes sont tous les mêmes, des incapables ! Mais enfin, c’est quand même pas compliqué : la porte, elle est fermée ou ouverte ?
_ Elle est… fermée…, répond Web qui s’est retourné et qui commence à suer.
_ Bon ! Dehors, c’est toujours pareil ?
_ Ben…
_ De toute façon, ça ne m’intéresse pas… Il y a longtemps que je n’espère plus rien de ce côté-là !
_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?
_ Vous croyez peut-être que j’ai été payée pour tous mes sacrifices ? qu’on a enfin reconnu tout mon mérite ? Je n’ai rencontré qu’ingratitude ! On peut toujours crever ! Moi, la Machine, on m’oublie, on m’ néglige, j’ suis laissée sans soins !
_ Mais enfin…
_ Qu’est-ce qui s’ passe ici ? »
C’est Lapsie, la psychologue de la prison, qui fait son entrée et qui est scandalisée de voir la Machine pleurer ! « Qu’est-ce que vous faites à cette pauvre femme, pour la mettre dans cet état ?
_ Mais rien ! s’insurge Web. On est juste venu prendre des nouvelles !
_ Et le fils est encore là pour distiller son venin ! reprend Lapsie. Hein, Paschic ? Je sais que vous êtes le fils de la Machine et combien elle a souffert à cause de vous ! Vous devriez avoir honte ! Un fils qui n’a même pas cotisé pour sa retraite ! Un faible, un lâche, un assisté ! Combien de fois la Machine n’a-t-elle pas dû vous aider financièrement, pour que vous lui crachiez au visage !
_ C’est vrai ça, approuve la Machine. Regardez-le, il a toujours ce petit sourire en coin, car, figurez-vous, le bonhomme se croit supérieur, que tout le monde est à son service ! Moi, je ne suis bonne qu’à laver l’ linge, à préparer l’ repas ou à donner des sous ! J’ suis la bonne poire ! celle qui vit sous les quolibets et le mépris de ces messieurs !
_ Allons, mon ange, calmez-vous, Lapsie est là maintenant pour vous protéger ! Vous avez tout ce qu’il vous faut ! Votre literie est bonne ? Tiens, qu’est-ce que c’est qu’ ça ? »
Lapsie sent quelque chose de dur dans le matelas… Elle fouille et bientôt elle sort deux pistolets, trois grenades, quatre couteaux et… un bazooka ! « Eh ben, dites donc, ouf ! fait-elle sous l’effort. Hum ! C’est pas très réglementaire, tout ça !
_ Si vous saviez comme le monde est méchant ! explique la Machine. On m’en veut, c’est sûr ! On est toujours prêt à m’ dénigrer ! On m’ jalouse ! Il faut bien que je m’ défende ! Le faible disparaît ! Moi, j’ tiens ! On m’aura pas comme ça ! Et puis, y a le dénuement ! Il vient m’ voir le soir, vous savez…
_ Ah bon ?
_ Oui, à l’heure où les murs suintent et quand le silence règne sur la prison, il sort de l’obscurité sous la forme d’une grosse araignée velue !
_ Allons, allons, vous avez pris vos cachets ?
_ Quels cachets ? Tout l’ monde me néglige ! Personne ne pense à moi !
_ Les hommes sont narcissiques, que voulez-vous ! Votre fils en est un bon exemple !
_ Un bon à rien ! un véritable poison ! Mais vous-même, ma chère, vous n’êtes pas tellement bien habillée… A bien des égards, vous avez l’air d’une souillon !
_ Je vous demande pardon…
_ Oh ! J’ dis pas ça pour vous blesser ! Mais faut bosser dans la vie ! Y a pas d’ pitié pour les faibles ! Vous ne devez pas gagner beaucoup, je me trompe ? Tenez, je peux vous offrir une bonne paire de chaussures, plutôt que celles bon marché que vous avez aux pieds !
_ Mais je ne vous permets pas ! Je me trouve très bien comme ça !
_ Bon, bon, je voulais juste vous aider ! Vous, les jeunes, vous croyez que tout tombe dans l’ bec, comme ça ! Vous êtes habitués à vos aises ! Tandis que moi, j’ai pas arrêté du matin au soir ! Z’avez des enfants ?
_ Pas encore…, mais j’espère en avoir…
_ Vous verrez à c’ moment là ce qu’est la vie ! Combien on peut travailler pour les autres, sans récompenses ! Ici, qu’est-ce qui m’ reste ? Rien ou presque ! Ah ! J’ suis bien malheureuse !
_ Bon, j’ vais vous laisser, dit Lapsie. J’ reviendrai plus tard !
_ Nous aussi, on s’en va ! » jette Web, qui rajoute une fois dehors : « Dites donc, Paschic, vous n’avez rien dit !
_ Non, ça m’ repose... »
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« Bon, allons voir un autre détenu ! rajoute Web, qui reprend le pas des Apparences.
_ Dites donc, Web, c’est encore les cubes roulants qu’on entend ?
_ Bien sûr, le trafic s’étend sur plusieurs niveaux ! C’est comme les anneaux d’une planète !
_ Jolie formule ! Mais il n’y a pas que le vacarme des cubes roulants… On bétonne quelque part !
_ Et comment ! Le Cube ne cesse de se développer ! Le béton avance et la Chose recule !
_ Effectivement, le massacre des arbres continue…
_ Eh ! C’est que nous sommes de plus en plus nombreux !
_ Je croyais nos populations vieillissantes ! De toute façon, nous détruisons notre monde surtout par peur…
_ Ah ! Nous arrivons ! Vous allez voir, c’est un prisonnier modèle, tout ce qu’il y a de plus tranquille, de plus respectable... »
Les Apparences ouvrent la porte de la cellule et Web et Paschic s’y glissent devant un petit homme à lunettes, qui écrit sur une table. En reconnaissant le compagnon de Paschic, il s’écrie : « Ah ! Web ! J’ suis bien content de vous voir… Je suis en train de remplir ma dixième demande d’explication et vous pourrez peut-être m’aider !
_ Volontiers…, si c’est dans mes compétences !
_ C’est que je ne comprends toujours pas ce que je fais ici…
_ Racontez une nouvelle fois votre histoire, car mon ami Paschic, ici présent, peut nous apporter ses lumières…
_ Ah ? Très bien ! Si vous voulez vous asseoir... »
Web prend la deuxième chaise, tandis que Paschic tâte la souplesse du lit… « Alors voilà, reprend le petit homme, je m’appelle Kurtz, Gabriel Kurtz, et j’ai eu une existence, j’ose le dire, modèle, très comme il faut, parfaitement en règle ! J’ai trouvé un travail chez les visseries Affner, où je suis resté plus de trente ans ! Une belle preuve de stabilité ! Je me suis naturellement marié et j’ai eu des enfants ! Ils sont grands maintenant et ont réussi, notamment grâce à l’éducation que moi et ma femme, nous leur avons donnée, sans compter notre aide financière…
_ Bien sûr, dit Web…
_ J’ai une maison dans un quartier résidentiel, avec un jardin que j’entretiens au point de faire envie à mes voisins ! Ma femme participe à des œuvres de charité, elle est très bien intégrée et nous avons chacun notre voiture, ce qui nous permet une complète autonomie… Aujourd’hui, je suis à la retraite, avec une pension, disons, confortable, mais ce n’est là qu’un juste retour de choses, puisque j’ai travaillé toute ma vie ! Alors qu’est-ce que je fais là ? Où est la faille ? J’écris demande sur demande, pour comprendre, mais on ne me répond pas !
_ Il est possible que des jaloux vous aient dénoncé faussement… dit Web, en se grattant la tête. Qu’est-ce que vous en pensez, Paschic ?
_ Eh bien, je trouve monsieur bien nerveux...
_ Nerveux, moi ? s’écrie Kurtz. Ah ! Ah !
_ Si vous n’étiez pas nerveux, vous ne seriez pas ici…
_ Bon, très bien ! Je suis nerveux, mais comment ne pas l’être ? Vous avez vu ce monde ? Il est absolument inquiétant ! On y fait n’importe quoi ! On jette l’argent par les fenêtres ! On s’ préoccupe de choses qui ne nous concernent pas ! Et puis…, et puis on invite les étrangers… et ils envahissent le pays ! Non, j’ ne reconnais plus rien ! Alors, oui, j’ suis nerveux ! Hein ? Y a d’ quoi !
_ Bien sûr ! fait Web conciliant.
_ Ah ! Mais j’ai réagi ! Quand Van Spielt s’est présenté pour les présidentielles, j’ai voté pour lui ! Il disait : « Nous d’abord, les autres après ! » Ça m’a séduit ! C’est le simple bon sens ! Et puis, il parlait des valeurs morales et elles me sont chères, car j’ai essayé de bâtir ma vie sur elles ! Je me suis reconnu dans c’ qu’il proposait ! Il voulait redonner au pays toute sa grandeur, toute sa force ! J’étais d’accord !
_ Il a quand même changer les lois…, dit Web, qui sort un cigare. Il a même touché à la constitution, pour renforcer son pouvoir ! La démocratie en a pris un coup !
_ Et alors ? Il fallait lutter contre ces parasites de gauche, ces fauteurs de troubles ! On ne peut pas thésauriser sans ordre ! Mais ils s’en foutent, ce qu’ils veulent, tous ces gauchos, c’est le chaos, incapables qu’ils sont de gagner honnêtement leur vie ! Un poil dans la main qu’ils ont !
_ Admettons, mais Van Spielt a tout de même supprimé la liberté de la presse et toute opposition ! Et puis il a créé ses milices, qui ont commis des violences… Des étrangers ont été battus, tués…
_ Je ne suis pas vraiment au courant… Mais bien sûr que je désapprouve toutes ces violences… Il y a eu des abus ! Mais est-ce pour cela que je suis ici ? Je n’ai frappé personne ! J’ai juste désiré…
_ Ne plus avoir peur ! coupe Paschic. Et vous pensez qu’il a existé une époque où la société était stable, nullement inquiétante, où tout le monde était d’accord ? Mais, si cet état existe, il ne peut être que dans la mort ! Là, oui, tout est stable !
_ Mais…
_ Savez-vous pourquoi nous avons peur ? poursuit Paschic. Pour savoir justement ce qui est solide en nous, au point de nous guérir de la peur ! La vie est ainsi : elle n’est pas naturellement stable ! Être vivant, c’est être en recherche ! Le doute nous est constructif ! Si vous êtes ici, c’est par manque de courage ! Vous voulez la sécurité, pour caresser votre égoïsme ! C’est de l’enfantillage ! »
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« Qu’est-ce que vous pensez d’ tout ça ? demande Web dans le couloir et en soufflant la fumée de son cigare. Pas jojo, hein ? Mais vous pleurez, mon vieux !
_ Oui, je pleure sur ces milliards de cellules ! sur tous ces gens qui ont soif et qui ne savent pas boire ! qui méprisent le puits ou qui l’ignorent ! Je pleure sur notre misère, Web ! sur notre lâcheté et notre aveuglement ! bien sûr, sur notre cruauté aussi ! et notre petitesse !
_ Remettez-vous, mon vieux, vous prenez trop les choses à cœur ! Tiens, il pleut… des feuilles ! »
Sur la prison noire et sous les yeux incrédules des Apparences tombent effectivement des feuilles aux couleurs automnales, oranges, rouges, amarantes…
« Vous ne pouvez pas bien comprendre ce qui s’ passe, Web, reprend Paschic, car nous n’êtes pas complètement humain ! Mais ces feuilles, avec le retour de l’hiver, signalent que le rendez-vous ou la fête sont terminés ! C’est une simulation de la mort à venir ! Les forces que nous donnaient le soleil se retirent ! Nous voilà de nouveaux faibles et inquiets, alors que le « grand chalut » de la mort fait ses comptes ! Qui aura cru ? Qui aura aimé la vie ? Qui se sera ouvert ? Et au prochain été : la découverte, le plein épanouissement nous seront de nouveau proposés !
_ Vous voulez dire que la vraie mort sera comme un fin de saison…
_ Oui, ce sera l’heure du bilan, comme au lendemain de chaque été… Il y aura ceux qui seront sortis de la prison et ceux qui y seront restés !
_ Mais… mais vous brûlez !
_ C’est plus fort que moi, Web ! »
En effet, Paschic semble en feu et ses bras deviennent des flammes qui s’étendent démesurément, qui se mettent à ouvrir les portes de chaque cellule et les prisonniers un à un sont pris dans le feu et montent vers leur liberté ! « C’est pas beau ça, Web ? s’écrie Paschic.
_ Ça a d’ la gueule ! C’est indéniable !
_ Un peu ouais ! Car chacun est invité ! Y a pas d’entourloupes ! Chacun peut découvrir le mystère et l’aimer ! C’est pas réservé aux élus ! C’est ce que je montre, en donnant mon feu !
_ Brûlez pas la tapisserie tout d’ même !
_ Ah ! Ah ! Tout est possible, Web ! Il suffit d’y croire, de se tourner vers la Lumière ! Il faut avoir cette simplicité, cette délicatesse ! Le monde est d’une ineffable beauté… et on le méprise ! On l’ détruit ! Le mystère est infini et on l’ piétine, on lui crache dessus ! Si on voulait bien l’ voir, on danserait d’ joie !
_ Mais apparemment, on préfère la prison ! C’est plus sûr ! Au moins on peut compter les murs !
_ Oui, un plus un, ça fait deux ! Et comme on est sérieux ! Et comme on est terrible avec notre raison ! Pas un pas sans un sol ferme ! Pas un pas qui ne soit sûr ! Pas de fantaisie, nulle gratuité ! Nulle rêverie ! Nulle grandeur, nul infini ! La peur, Web, la peur !
_ Si vous croyez que j’aie pas peur, à vous voir au-dessus du vide comme ça ! les détenus montant dans vos bras en flammes ! Y vont pas tomber au moins ?
_ Web ! Web ! Je n’ai vu qu’un minuscule éclat de sa grandeur ! qu’une écaille de sa Lumière ! Et j’en ai été bouleversé ! frappé jusqu’au tréfonds ! J’ai tressailli Web ! Car ce n’était rien qu’une ombre, qu’un battement de cils ! Et pourtant c’était déjà vertigineux ! Et nous avons peur, Web ! Ah ! Ah ! Mais nous devrions rire ! Nous devrions faire des sauts de géants sur les nuages ! Nous devrions resplendir comme jamais, aussi fortement que les étoiles !
_ Mais c’est dur…
_ Oui, mais de toute façon nous serions incapables de porter une miette de Lui ou d’Elle ! Nous serions incapables de supporter son éclat ! La beauté du monde nous donne tout d’ même une petite idée ! Mais nous n’ la voyons même pas !
_ Bon, redescendez maintenant ! Vous alarmez les Apparences ! On pourrait finir par nous tirer dessus !
_ Ne vous inquiétez pas ! Je n’ suis pas un exalté ! J’ connais trop bien l’ prix du pas ! J’ voulais juste donner un coup d’ chiffon ! remettre un peu les pendules à l’heure ! Ça fait du bien ! Voilà, c’est fini, j’ pleure plus !
_ Même à Vegas, vot’ numéro s’rait trop fort !
_ Ou incompréhensible ! Voilà, je me coince, me raccourcis, redeviens citoyen, comptable, poli, soucieux...
_ Honnête quoi !
_ Tout c’ qui faut !
_ Allons les Apparences, faites pas cette gueule-là ! Il est d’ retour, le bonhomme ! Hein, il n’est plus en flammes et les prisons sont toujours pleines ! »