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  • L' attaque des Doms (78-82)

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         "C'est le bout de la route, pour toi ou moi, ou pour tous les deux!"

                                Classe tous risques

     

     

     

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          Qu’est-ce qui se passe ? Sur Domopolis, le jour ne s’est pas levé ! Il continue à y faire nuit ! Enfin, pas tout à fait, le ciel n’est pas d’encre, mais à peine éclairé ! Il n’est constitué que d’une immense chape de plomb, ainsi qu’il aurait été cimenté ! Des volutes grisâtres ne cessent d’y défiler et on a l’impression que la lumière ne reviendra plus ! Chacun se regarde étonné, stupéfié, en proie à la peur ! On se tâte, en disant à un proche : « C’est bien toi ? » L’artiste peintre se désespère et s’écrie : « On n’y voit rien ! » Son cri fait écho à des milliers d’autres ! Des bébés pleurent, à cause de la nervosité de leurs parents ! Des chiens gémissent et la colère et la panique se disputent la première place !

    Au troisième jour (mais ce terme n’est-il pas devenu impropre ?), de grands mouvements de protestation prennent d’assaut la rue et les cortèges hérissent leurs pancartes : « Touche pas à mon jour ! », « Rendez-nous nos jours ! », « La nuit ne passera pas ! » Des manifestants interrogés déclarent catégoriquement : « Ça suffit, l’État nous a assez volés ! », « On sait tous d’où vient le problème ! C’est le résultat d’une politique laxiste, favorisant les plus riches ! », « Voilà où mène la délinquance ! » On entend aussi, quoique plus rarement : « Ainsi est la punition de Dieu ! Prions pour qu’Il nous pardonne nos péchés ! »

    Des émeutes éclatent ! Certains montrent du doigt le « Deep State », qui aurait réussi à nous priver du soleil, pour favoriser l’industrie de nuit ! On ne dit pas ce que c’est, mais sur les réseaux sociaux, les théories les plus folles explosent ! Du ciment aurait été répandu dans l’atmosphère, à la suite d’expériences interdites ! La Lune ne serait plus à la même place, à cause d’extraterrestres, décidés à nous exterminer ! La fatalité, le sentiment d’être des victimes, la tristesse la plus noire s’emparent des internautes et en conduisent au suicide !

    Puis, soudain, l’info circule : le Nouveau Jour, responsable du jour tout court, NJ pour les intimes, est reçu par Dominator ! Ils seraient en pourparlers ! Les journaux titrent : « Après la nuit, la lumière ? », « Dominator vs NJ », « Le Nouveau Jour prêt à traiter ! », etc. 

    «  Mais enfin, pourquoi ne voulez-vous plus faire vot’ boulot ? » demande Dominator à NJ. Celui-ci est un type à l’allure pleurarde, qu’on classerait volontiers dans les mous et même les lâches ! D’ailleurs, c’est en grimaçant et en gémissant qu’il répond à Dominator : « Mais c’est facile pour vous ! dit-il. On parle de vous ! Vous êtes connu ! Vous avez du pouvoir... et les moyens ! tandis que moi…

    _ Je ne comprends pas où est vot’ problème ? renchérit Dominator, en soufflant la fumée de son cigare. Vous avez tout ! Personne ne vient vous déranger ! Vous êtes indépendant ! Vous obéissez à des lois célestes ! Vous avez la sécurité, etc. Alors qu’est-ce qui va pas ?

    _ Mais peut-être que monsieur est un brin égoïste… suggère Lapsie, également présente.

    _ Non, j’ suis tout le contraire d’un égoïste ! s’indigne en pleurnichant NJ. J’ai toujours pensé aux gens, depuis toujours !

    _ Mais peut-être que monsieur ne sait pas ce qu’il en coûte, de ne plus obéir aux lois cosmiques ! souligne le professeur Ratamor.

    _ De toute façon, la situation ne peut pas être pire, de ce qu’elle est maintenant ! lâche le Nouveau Jour.

    _ Est-ce que vous ne pourriez pas être plus précis ? fait Dominator.

    _ Personne ne pense à moi l’ matin ! Tout le monde me considère comme une chose due ! Comme si je n’existais pas ! Personne ne me loue, ni ne me remercie ! Je me sens désormais inutile ! Je fais de la dépression ! Là, vous êtes contents ! Les certificats médicaux sont là ! Je ne plaisante pas !

    _ Il est vrai que nous sommes un peu stressés, le matin ! surtout en ce moment !

    _ Ce n’est pas seulement en c’ moment, mais c’est TOUJOURS comme ça ! On m’ignore, on m’ méprise ! Personne ne me dit : « Bonjour, Nouveau Jour ! C’est bien qu’ tu sois là ! »

    _ Mais chacun doit faire un effort ! explique Lapsie.

    _ C’est justement ce que j’ demande ! que vous fassiez un effort sur vos peurs, votre égoïsme !

    _ Vous voulez peut-être qu’on vous apporte le café au lit et que ce soit bibi qui le fasse ! Sale machiste, va !

    _ On s’égare les enfants ! jette Dominator.

    _ Oh mais, j’ vois que j’ suis d’ trop ! réplique NJ. Alors, voilà j’ m’en vais ! Puisqu’on veut pas m’ comprendre, on m’verra plus !

    _ Eh ! Une petite minute ! s’écrie Dominator. On vient à peine de commencer à discuter ! Et Lapsie s’est un peu emportée ! Hein ? Pas vrai Lapsie ?

    _ C’est vrai ! Je suis toujours un peu soupe au lait, eu égard à mon enfance ! J’ m’excuse !

    _ C’est pas parce que vous avez eu une enfance difficile, que vous pouvez être insupportable ! rétorque le Nouveau Jour.

    _ Grrr ! J’ me suis excusée, ça suffit pas ?

    _ Mais vous avez l’air de vous excuser vous-même, à cause de votre enfance…

    _ Nous regrettons tous sincèrement notre indifférence, coupe Dominator. Nous allons tous faire un effort, et tous les Doms aussi !

    _ Bon, bon, j’ vais voir... »

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          Paschic marche dans Domopolis et se demande s’il ne tourne pas en rond ! Depuis combien de temps défend-il la Chose, essaie de faire comprendre quelle est sa richesse, son secret ? Depuis combien de temps n’est-il pas considéré comme un agent de la Chose et donc comme un ennemi des Doms ? D’ailleurs, il a un Dom spécial aux fesses !

    Les Doms spéciaux se distinguent par leur virulence, leur haine ! Ils ont tôt fait de repérer ceux qui semblent libres, hors du pouvoir de leur domination ! Cela leur coupe le souffle qu’on ne les remarque pas, qu’on soit indifférent à leur présence, comme si leur pouvoir n’existait pas ! Cela les panique au fond et provoque leur envie de détruire ! Ils sont les gardiens des Doms et ont voulu plusieurs fois tuer Paschic !

    Ce jour-là, Paschic n’a pas la force pour se défendre… et il garde le même rythme, dans sa marche… Tant pis, le Dom spécial fera ce qu’il veut, mais peut-être ou plutôt sans doute que Paschic se contentera d’éviter son tir au dernier moment ! C’est déjà arrivé !

    Le Dom spécial se rapproche… Il peut grandir d’un coup et écraser Paschic, sous son immense chaussure ! Le plus souvent, il envoie une boule de haine noire, qui s’enfonce dans le cœur de Paschic, en lui coupant la respiration ! C’est quasiment telle une morsure de serpent, puisque le poison de la haine se diffuse et fait son effet ! Paschic est censé devenir lui aussi haineux, avec une envie irrépressible de hurler et d’anéantir le Dom spécial ! A ce moment-là, celui-ci a gagné, car il est devenu le centre d’intérêt de Paschic !

    Paschic a rarement été aussi inerte, car la longueur de son combat, son peu d’efficacité lui pèsent ! Derrière, le Dom spécial dégaine et il va tirer, alors que Paschic ne réagit toujours pas ! Soudain il se passe une chose imprévue ! Un filet de lumière tombe sur le Dom spécial, en même temps que deux feuilles mortes et mouillées viennent lui couvrir les yeux ! Le Dom spécial s’écroule et se débat sous le filet de lumière ! Puis, il se met à crier et finalement disparaît dans la lumière !

    « Eh ! Paschic ! » fait-on autour de lui, sans qu’il puisse voir qui l’appelle ainsi ! Il se tourne, scrute et entend encore : « Mais on est ici, dans la lumière ! » Paschic regarde plus attentivement le trottoir mouillé, qui resplendit effectivement sous un rayon de soleil ! Enfin, Paschic distingue des êtres, dans de petites bulles, qui ont l’air d’être leurs vaisseaux ! « Ah ! Quand même tu nous vois ! » s’écrie un homme barbu.

    _ Mais… mais qui êtes-vous ?

    _ Nous sommes les gardiens de la lumière, pardi ! Nous veillons sur toi depuis toujours… et heureusement, car autrement tu serais passé à la casserole depuis belle lurette !

    _ C’est que…

    _ Alors comme ça, monsieur fait le nonchalant, le désespéré ! Qu’il advienne ce que pourra !

    _ Je suis fatigué…

    _ Bah, t’affole pas ! On en a vu bien d’autres ! La lumière est vieille comme le monde, ah ! ah !

    _ C’est la reine Beauté qui vous envoie ?

    _ Exact !

    _ Les Doms sont si loin d’elle… »

    A cet instant, Paschic est frappé violemment à la tête et perd conscience ! Il se réveille avec un affreux mal au crâne, sur une chaise inconfortable ! « Eh ! Mais c’est notre rêveur national qui émerge ! » dit joyeusement quelqu’un en face de lui. Il est dans une salle d’interrogatoire toute blanche et le type qui le regarde, avec un sourire sardonique, a l’air d’un fou. « J’ suis l’Embrouilleur ! T’as sûrement entendu parler d’ moi…, reprend l’individu. J’ suis célèbre, même pour les gars comme toi !

    _ Les gars comme moi ?

    _ Oui, les va-nu-pieds, les marginaux, les anti-système ! Les rêveurs et les paresseux ! Tiens, est-ce que t’as cotisé pour ta retraite ? Non ? Tu vois, t’es pas dans la normalité ! T’as un plan B, pour ta vieillesse ?

    _ Non, pas vraiment…

    _ Alors qu’est-ce que tu vas faire ? Oh ! Je sais ! Tu attends qu’on vienne te sauver ! ce qui demande que les autres bossent pour toi, évidemment !

    _ Où suis-je ? Et qu’est-ce que je fais ici ?

    _ T’es là pour rentrer dans ma bande ! Je te promets un bon salaire, la sécurité et le pouvoir ! T’en as pas marre de galérer, tout seul ! Tu seras respecté, reconnu ! Tu auras beaucoup de succès !

    _ Et qu’est-ce qu’il faudra que je fasse ?

    _ Simple, tu ne penseras qu’à toi… et tu haïras dès que d’autres t’ignor’ont ! Je veux que tu voues un culte à ton égoïsme ! Tu seras nationaliste, tu prôneras le repli sur soi, tu voudras retrouver la puissance et la gloire de ton pays !

    _ Et la lumière ?

    _ Quoi, la lumière ? Je me fous de la lumière, car elle n’existe pas, t’entends ! Il n’y a que toi et moi !

    _ Comme vous devez être malheureux ! »

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         « Moi, malheureux ? répond l’Embrouilleur. Pourquoi est-ce que je serais malheureux ? J’ai tout ce qu’il me faut ! Je suis bien occupé, j’ai du pouvoir, mon poste est important, on me considère ! J’ai des vacances quand il le faut et je surveille ma santé !

    _ Et quand la mort se présentera, vous lui direz : « C’est dans l’ordre des choses… Je te suis ! »

    _ Pourquoi pas ? J’aurais alors bien vécu et eu tout ce que j’aurais pu désirer !

    _ Quelle foutaise !

    _ Pourquoi tu dis ça ?

    _ Parce que t’as de la haine, que tu veux encore plus de pouvoir et que tu te crois entouré d’ennemis ! Autrement dit, tu ne connais même pas la paix et tu rêvasses sur ta soi-disant sagesse !

    _ Il faut bien lutter contre ceux qui nous menacent !

    _ Encore de la foutaise ! La vérité, c’est que tu as besoin d’ennemis, pour étancher ta soif de combattre, ce qui est une forme pauvre et dangereuse de soif d’être ! Crois-tu vraiment que les hommes puissent accepter de faire le même travail toute une vie, pour avoir une retraite et mourir tranquillement ? Comme nous nous connaissons mal ! Pourquoi à ton avis Domopolis est-elle toujours en crise ?

    _ Mais il y a encore bien des injustices ! Les choix politiques peuvent être différents, etc. !

    _ Ce que nous voulons, c’est vivre, nous sentir vivre ! Notre esprit nous fait entrevoir l’infini et il nous faudrait une existence de vaches ? Non, notre soif nous dévore et au fond, nous ne savons qu’en faire ! d’où nos révoltes aveugles ! Or, il existe une chemin, pour exister sans bornes, mais aussi sans haine !

    _ Oh ! Et quel est-il ce chemin ?

    _ Le chemin de la lumière… et de la beauté !

    _ Je vois…

    _ Non, tu ne vois pas ! Regarde bien ce qui va arriver ! »

    A cet instant, un rayon de soleil tombe dans la pièce et comme Paschic est un agent de la Chose, il s’en sert immédiatement ! Il trouble d’abord le ballet étoilé de la poussière, visible dans le rayon de soleil, puis, lui-même monte sur une de ces petites étoiles et se met à remonter le rayon ! Cela n’est possible que si on connaît la Chose, que si on l’aime et qu’on a compris son pouvoir !

    Evidemment, cette disparition soudaine stupéfie l’Embrouilleur ! Il n’en revient pas ! Paschic était assis en face de lui et subitement il n’est plus là ! L’Embrouilleur se frotte les yeux, doute de ses sens, inspecte la pièce et finalement appelle deux de ses hommes !

    « On a la video de l’interrogatoire ? leur demande-t-il.

    _ Affirmatif !

    _ Très bien, allons la voir ! »

    Sur la video, la disparition de Paschic est parfaitement visible ! Elle s’effectue comme par enchantement ! « Mais où est-il passé ? s’interroge l’Embrouilleur.

    _ C’est de la sorcellerie ! s’écrie un des hommes.

    _ Pas forcément… Il est peut-être passé dans un autre monde, en prenant une autre dimension ! Je me demande… Je me demande s’il n’a pas le pouvoir de ne faire qu’un avec la Chose !

    _ Avec la Chose ? Alors il n’y a qu’une solution : il a utilisé le rayon de soleil, pour s’enfuir ! Car rien d’autre ne pourrait appartenir à la Chose !

    _ C’est exact ! En tout cas, je veux la peau de ce type ! Il est bien plus dangereux que ce qu’on pense… et il finira par réapparaître, sous sa forme humaine ! Il faut bien qu’il mange ou qu’il ait des relations sociales ! Il faut surveiller son logement, ses amis, etc. !

    _ Entendu !

    _ Maintenant, s’il peut s’enfuir grâce à la Chose, il faut qu’il soit emprisonné sans aucun contact avec elle ! Pensez-y ! »

    Les deux hommes partent, mais l’Embrouilleur continue à réfléchir… « Tout de même, comment peut-on réussir un tel tour de passe-passe ? Cela me serait bien utile, me donnerait un pouvoir sans limites ! Ce Paschic ne sait pas ce qu’il a entre les mains ! C’est un loser né ! tandis que moi, avec son don, je ferais des merveilles, comme par exemple prendre la succession de Dominator ! Dès qu’il sera repris, Paschic parlera ! J’y veillerai personnellement ! Il m’expliquera comment me servir de la Chose ! La beauté, puisqu’elle paraît essentielle, sera mon esclave ! »

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          « Résumons-nous, fait Dominator à l’Embrouilleur, en soufflant la fumée de son cigare. Vous avez identifié un type, qui s’appelle Paschic… Ce type est capable de ne faire qu’un avec la Chose, ce qui veut dire qu’il utilise la Chose à son gré, pour notamment s’échapper de n’importe où… C’est bien ça ?

    _ Exactement !

    _ N’importe quoi ! coupe le professeur Ratamor. Comment pouvez-vous croire de telles bêtises ?

    _ Professeur, reprend Dominator, vous aurez votre mot à dire, croyez-moi ! Mais, pour l’instant, c’est à l’Embrouilleur que je m’adresse ! Bien ! L’Embrouilleur, vous avez mené votre propre enquête et là, vous vous êtes aperçu que ce Paschic avait différentes identités…

    _ Oui, il s’appelle encore Zorm ou Piccolo !

    _ Piccolo ? s’écrie Ratamor.

    _ Oui, au fait, Piccolo était bien sous votre garde, si je me souviens bien ! coupe Dominator.

    _ Oui, euh, enfin…, après qu’il m’a conduit dans la Chose, je lui ai rendu sa liberté !

    _ Vous aviez sous la main un agent de la Chose, un personnage dangereux, mais vous l’avez gentiment laissé partir !

    _ Mais je ne savais pas qui il était à ce moment-là !

    _ Votre métier, c’est de savoir, non ? Mais passons… Voyons, l’Embrouilleur où tout cela nous mène-t-il ?

    _ Eh bien, je ne comprends pas trop le pouvoir de ce Paschic, je vous l’avoue… Comment peut-on utiliser la Chose, pour disparaître ? A priori, cela ressemble à une fuite, à un refus de voir la réalité ! La beauté serait un refuge, en ce sens…

    _ Je suis tout à fait d’accord avec vous ! intervient Lapsie. Votre Paschic se glisse dans un monde merveilleux, car il est incapable de s’adapter, sans doute à cause de son narcissisme ! J’en fais mon affaire !

    _ Du calme, Lapsie ! lâche Dominator, dans un nuage de fumée. S’il ne s’agissait que d’une de vos proies favorites, je vous encouragerais sans retenue ! Mais ce n’est pas le cas ! D’abord, nous ne contrôlons plus la Chose… et nous avons besoin de plus d’informations sur elle… Nous sommes nous-mêmes dans une impasse ! Ensuite, si ce Paschic fuyait juste la réalité, il serait facile de l’appréhender et son moyen d’évasion ne fonctionnerait pas ! Ce n’est pas seulement un névrosé… Il sait quelque chose que nous ignorons…

    _ A son contact, fait l’Embrouilleur, c’est moi qui paraissait immatériel ! Il m’a parlé de paix, grâce à la beauté, figurez-vous !

    _ Mais la beauté est une invention de l’homme ! coupe Ratamor. Elle n’a pas de réalité physique ! Comment alors pourrait-elle offrir une stabilité ? Et même croire à un message de sa part est une totale folie !

    _ Ce que je sais, par contre, reprend l’Embrouilleur, c’est que ce Paschic est dangereux pour nous, les Doms !

    _ Je le savais ! s’exclame Lapsie. Tous les mêmes ! Je…

    _ Sur quoi vous basez-vous, coupe Dominator, pour croire ce Paschic dangereux ?

    _ Il m’a parlé de notre hypocrisie ! Il m’a dit qu’il était impossible, à nous les Doms, de travailler toute notre vie, en cotisant, juste pour notre retraite, avant d’accepter d’être réduit à néant par la mort ! Il a rajouté que nous avions tous soif d’exister et même d’absolu, d’où nos révoltes, nos crises, nos frustrations, notre instabilité en un mot !

    _ Hum… Il n’a pas tout à fait tort, mais il menace également notre fonctionnement, notre système ! lâche Dominator.

    _ Laissez-moi le descendre alors ! jette Lapsie. On en sera débarrassé !

    _ D’après mon enquête, reprend l’Embrouilleur, Paschic aurait aussi une relation conflictuelle avec la Machine, votre fidèle servante !

    _ Décidément, ce Paschic les collectionne ! répond Dominator. Diable, avoir des histoires avec la Machine, c’est vouloir se faire du mal, car elle ne lâche jamais rien ! Est-ce qu’on connaît le rapport qu’il y a entre les deux ?

    _ Paschic serait son fils…

    _ De mieux en mieux… Mais qu’est-ce… ? »

    Dominator est saisi, car une large fissure apparaît sur l’un des murs de son bureau, puis elle s’étend, s’élargit, avec des craquements sinistres ! Tous sont stupéfiés par le phénomène, d’autant que maintenant une lumière verte, incandescente, semble battre, tel un poumon, dans une ouverture ! Une femme y brille, en pleurs, près d’une fontaine… On entend ses sanglots !

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          Dominator ne peut quitter des yeux cette femme en pleurs, c’est plus fort que lui et il s’approche de cette lumière émeraude si resplendissante ! Il fait un ou deux pas et pose la main sur la femme : « Allons, allons, pourquoi pleurez-vous ? demande-t-il. Qu’est-ce qui ne va pas ?

    _ Pourquoi me fais-tu tant de mal ? répond la femme.

    _ Moi ? Mais je ne te connais même pas !

    _ Je suis la reine Beauté ! »

    A cet instant, Dominator voit la nature écrasée, balayée, souillée par les villes ! Il contemple les décharges qui se déversent, l’agriculture intensive, les routes qui éventrent les paysages, l’urbanisation incessante ! « Mais… Mais c’est par nécessité que nous agissons ainsi ! se défend Dominator. Nous sommes toujours plus nombreux à Domopolis ! Il nous faut des logements, des emplois ! C’est notre développement qui a des besoins !

    _ Vraiment ? Nous n’agissons que par la seule nécessité, hein ? »

    Une autre vision s’impose à Dominator, c’est la saleté des villes, l’égoïsme de leurs habitants ! C’est leur mépris à l’égard des autres, leur haine quand leur amour-propre est contrarié, leur soif de se sentir supérieurs, leur quête incessante pour soumettre tout ce qui les entoure, leur domination inextinguible, leur peurs qui ne guérissent pas, leurs angoisses qui les rendent agressifs ! Et leur folie, car maintenant Dominator voit ceux qui souffrent de la faim, de la solitude, ceux qui gémissent dans la plus parfaite indifférence, des enfants qui crient parmi les ruines, à cause des bombes, tous les opprimés qui rejoignent la mort, oubliés ! des jeunes qui se suicident, qui se harcèlent, qui se moquent, qui en battent d’autres ! Et tout cela pour vaincre son prochain, le mettre sous la botte de la domination !

    « C’est cela que tu appelles la nécessité ? fait la reine Beauté.

    _ Mais… Mais je...

    _ Tu vois, j’ai le pouvoir de t’ouvrir les yeux ! Tu me détruis pour les mêmes raisons qui font que les Doms se détruisent entre eux ! Tu veux soumettre la nature, pour te sentir important, utile, pour calmer tes angoisses, pour flatter ton égo, par haine du silence et de la patience ! Tu es une sauterelle avide, par peur du vide ! parce que tu n’es que le jouet de ta domination ! Où vois-tu la nécessité ?

    _ Mais… Mais il faut des emplois !

    _ Si on travaillait juste pour vivre, juste par nécessité, comme tu le dis, ne crois-tu pas que le monde serait complètement différent ? Pourquoi les Doms ne se respectent-ils pas entre eux ?

    _ Je croyais… Enfin, j’étais persuadé…

    _ Regarde encore ! Prends à satiété, car je te montre ! J’ai ce pouvoir ! J’éclaire le monde ! Aucune zone d’ombre ne me résiste ! Je suis tout sauf un mirage ! Tant que la domination te ferme les yeux, tu feras n’importe quoi ! »

    Dominator veut encore répondre, mais il est tiré vers l’arrière ! « Oh là ! Dominator, vous êtes avec nous ? demande l’Embrouilleur.

    _ Allez, revenez ! appuie Lapsie.

    _ Mais… qu’est-ce qui s’est passé ? interroge Dominator, qui retrouve le visage de ses associés.

    _ Vous vous êtes engouffré dans la brèche du mur ! Vous ne vous souvenez pas ? Un moment, j’ai cru qu’on allait vous perdre ! »

    Dominator se retourne et ne voit plus qu’une fissure dans le mur ! « Mais… la femme qui pleurait, où est-elle ?

    _ Quelle femme ?

    _ Mais la reine Beauté ! »

    Chacun se regarde devant Dominator et craint le pire : le chef est-il en train de perdre la raison ? « Je vais vous examiner, fait Ratamor, qui sort son dominomètre, un appareil mesurant le degré de domination de chaque individu ! « 35 ° ! s’écrie-t-il. Votre taux d’égoïsme n’a jamais été aussi bas ! Mauvais ça ! »

     

  • L' attaque des Doms (73-77)

    R60

     

     

                 "Il y a bien la voiture du jardinier, mais..."

                                                    Rio ne répond plus

     

                                            73

    Il y a de l’agitation dans Domopolis, un mouvement de foule ! La cause ? Un Dom transformé par la Chose ! On le regarde avec crainte et horreur et il est vrai que le bonhomme a une drôle d’allure ! C’est au vrai un arbre vivant ! Son corps est devenu un tronc et ses bras des branches ! C’est un arbre sans feuilles, un arbre d’hiver ! D’ailleurs, il s’essuie le nez souvent, comme s’il était enrhumé !

    « Oui, dit-il, j’ai été dans la Chose et j’en reviens !

    _ Dans quel état tu es ! s’exclame une Dom.

    _ Quoi ? Tu n’aimes pas ma nouvelle apparence ? Moi, je la trouve très seyante !

    _ Pouf ! Tu te moques de moi !

    _ Non, regarde mes lichens… Ne sont-ils pas d’un beau vert ? Ils sont presque bleus ! Et mes rides ? N’indiquent-elles pas un passé vigoureux ?

    _ Comment peux-tu dire de telles bêtises ? s’indigne un Dom. Tu es maintenant un monstre !

    _ Comme tu me juges mal ! La Chose m’a ouvert les yeux ! Elle m’a montré les prairies gonflées d’eau et ses perles blanches ! J’ai suivi le lit marron de la rivière et ses glouglous, tels des yeux étonnés ! J’ai aimé le tapis amarante du chemin creux, dont seul le merle trouble le silence ! J’ai vu le houx s’illuminer pareil aux cierges ! Je connais la bruyère craquante !

    _ Suffit ! Tu es fou !

    _ Tu effraies les enfants en plus ! renchérit la Dom.

    _ L’abandon, l’attente, le vide m’ont rempli et je reviens vous parler !

    _ De quoi ? De la crise actuelle ? Tu es venu nous expliquer comment finir les mois ?

    _ Non, j’ai bien plus à donner ! Un véritable trésor !

    _ Donne ! Envoie la monnaie !

    _ Il ne s’agit pas d’argent, mais de la beauté ! C’est elle le trésor !

    _ Tu continues à te moquer de nous !

    _ C’est la beauté qui va mettre des légumes dans la soupe ? coupe un autre Dom.

    _ Exactement !

    _ Pfff !

    _ Sortez le clown !

    _ La beauté a un secret ! Je suis le Dom hiver et je connais maintenant ce secret !

    _ Et comment la beauté pourrait-elle nous aider ?

    _ Son secret, c’est qu’elle est infinie en tout point ! Regardez les trous dans mon tronc… Ils sont noirs d’ombre, mais même cette nuit est belle ! Regardez cette ombre, comme elle est traversée par le voile bleu de la toile d’araignée ! Un souffle et la voilà qui frissonne !

    _ Sornettes !

    _ C’est nous que tu gonfles !

    _ Si vous comprenez que la beauté est infinie, alors vous pouvez croire et vous pouvez aimer, au-delà de vos haines et de vos peurs ! Vous pouvez avoir confiance ! C’est la joie que je vous apporte, le pain de vie !

    _ Mais qu’est-ce que tu veux à la fin ?

    _ Vous ne vous rendez pas compte ? Le Dom hiver est là pour saper nos institutions ! C’est notre ennemi, un ennemi de l’ordre ! Il veut nous distraire de nos souffrances, alors que nous savons pertinemment qui sont les responsables !

    _ Ouais, ouais, c’est le gouvernement

    _ Et les étrangers !

    _ Et les riches !

    _ Ouais !

    _ C’est là notre malheur !

    _ T’es encore là, le Dom hiver ?

    _ Qu’on le brûle ! Qu’on le coupe et qu’on le brûle !

    _ Ouais, ouais, tous des salauds !

    _ Je pourrais vous apaiser, vous aider ! Je vous demande d’abord de contempler… et d’aimer ! Vous aurez la source de vie !

    _ Haine aux exaltés, aux faux prophètes !

    _ Haine à ceux qui ne nous respectent pas ! aux profiteurs !

    _ Une hache ! Une hache pour découper le Dom hiver ! »

                                                                                                                     74

    Il crachine sur Domopolis et c’est comme un brouillard apaisant ! La fraîcheur se mêle au rêve… Là-bas, dans la Chose, les rubis et les émeraudes des feuillages se sont tus… La veille, des rayons les faisaient étinceler, dernière fête avant l’hiver ! Les candélabres s’éteignent les uns après les autres ! Et que dire encore des grands pins, dont la cime produit le bruit de la mer et de leur tapis d’aiguilles rouges ? Que leurs longs tronc gris ont des coulures de sève, comme les cierges ? Et que dire de la terre sombre, qui attire les oiseaux au blanc bleuâtre ?

    Il y a des lumières dans le ciel qui sont incomparables ! C’est un jeu entre le mauve des nuages et le jaune des rayons ! C’est un spectacle envoûtant, d’une incroyable gratuité ! C’est un don d’une infinie richesse, qu’il y ait des yeux pour le voir ou non ! C’est là, irrépressible ! La beauté pousse incessamment !

    Mais que font les Doms ? Ils s’inquiètent bien entendu ! Ils se mettent colère, s’impatientent, cherchent à mordre ! Ils haïssent ou désirent violemment, tellement c’est en désordre chez eux ! L’oubli du crachin est pourtant là ! Le manteau de la pluie suggère le sommeil, le repos : ça tombe doucement…, sans fin ! Les cyprès ont une odeur à eux, très forte, résineuse et leur fruit est une petite balle à écailles, presque carrée ! Il y a bien sûr le travail, les horaires, mais écoute-t-on la Chose ? Essaie-t-on de la comprendre ? Veut-on s’en nourrir ? Mettons-nous à profit notre temps libre, pour aimer la Chose et même lui demander des comptes ?

    Non, tout cela n’intéresse pas le Dom ! Parce que cela ne concerne pas sa domination ! C’est son ego qui lui donne chaud et le rassure ! Est-il aimé par ses proches ? Est-il supérieur à un tel ? Qu’est-ce qu’il a dit à machin ? Il l’a mouché ? Parfait ! Le Dom parle du Dom et s’il va dans la Chose, c’est encore pour parler du Dom ! A peine regarde-t-il autour de lui ! La chose lui demeure étrangère ! Elle parle aussi pourtant…

    Qu’est-ce qu’il y a de plus doux que certaines herbes ? Les flaques sont des morceaux du ciel ! Cependant, sur la place de Domopolis, le Dom hiver continue de discuter avec ses concitoyens… Il interpelle un enfant : « Eh, toi, tu as déjà vu un merle ?

    _ Oui…

    _ Tu as vu comme il est tout noir… Il est invisible parmi les feuilles ! Tu as vu comme il gratte les feuilles, pour trouver sa nourriture ? Tu as vu avec quel plaisir il mange les petits fruits rouges ? Tu as vu comment il a toujours l’air fâché ?

    _ Oui, c’est rigolo !

    _ Eh là, s’écrie une Dom, tu n’ s’rais pas en train de pervertir notre jeunesse, par hasard ?

    _ Mais non ! réplique le Dom hiver. Les enfants comprennent ce que je dis, mais pas vous !

    _ Eh, c’est qu’on n’est plus des enfants nous ! rétorque un Dom. On a des responsabilités, des traites à payer !

    _ Oui, pour votre plaisir…

    _ Hein ?

    _ Oui, la grosse voiture, c’est pour votre plaisir !

    _ Mais c’est aussi par né… !

    _ Eh ! s’exclame un autre Dom. Le crachin est empoisonné ! Regardez ce qu’il a fait à mes vêtements, ils sont troués !

    _ C’est un piège de la Chose ! Elle essaie de nous avoir avec une pluie acide !

    _ Mais non, fait le Dom hiver. Tendez plutôt vos visages vers la fraîcheur !

    _ Sauve qui peut !

    _ Au secours ! »

    En un rien de temps, la place est abandonnée… Le Dom hiver reste seul sous la pluie fine…, qui blanchit les environs… Là-bas, sans doute, il y a le fantôme de l’espoir…, qui attend…, avec la clé d’une sagesse perdue ! Une vieille Dom est toujours là aussi, infirme… Elle a du mal à marcher et le Dom hiver s’en approche : « Attendez, je vais vous aider ! » Il soutient la vieille, qui balbutie, puis qui finalement se calme… « Ils sont tous partis ! dit-elle.

    _ Oui.

    _ La pluie n’est pas acide...

    _ Non.

    _ Nous sommes bien fous !

    _ Oui. »

                                                                                                                   75

    La tempête fait rage dans Domopolis ! Le vent hurle dans les rues, que noient des trombes de pluie ! Les lampadaires tremblent, grincent, des fenêtres claquent, des choses s’envolent ! « Tu entends ? fait une Dom à son mari, alors que le couple est couché.

    _ Ben, j’entends le vent ! Ça souffle, quoi !

    _ Non, on dirait que quelqu’un crie dans la rue ! »

    Le mari tend l’oreille et effectivement, il perçoit une voix qui dit : « Je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis le vent et la nuée ! Je suis la fureur et l’oiseau qui plane triomphant !

    _ Un fou sans doute ! fait le mari.

    _ J’ai peur tu sais ! J’ai l’impression que c’est la fin du monde !

    _ Mais non, rendors-toi !

    _ je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis la nuit et la sauvagerie ! Ah ! Ah ! J’ai été dans la Chose et j’ai vu la vague immense ! Je hurle comme le vent ! Je file comme la nuée ! Je suis le temps gris et bouché ! Je suis la dent blanche de l’écume, la dent dévorante ! Ah ! Ah !

    _ Monsieur, monsieur, on peut parler ? »

    C’est Lapsie, en compagnie de Ratamor, qui intervient. Ils ont été envoyés en mission par Dominator, qui leur a dit : « Il paraît que des Doms reviennent de la Chose… et qu’ils ont été transformés par elle ! Je crains qu’ils ne soient devenus fous ! Je voudrais que vous enquêtiez là-dessus et que vous preniez les mesures nécessaires ! »

    Ainsi, Ratamor et Lapsie sont partis en chasse, même en cette nuit affreuse ! Et ils ont trouvé un Dom qui apparemment revient de la Chose et qui en plus se nomme lui-même le Dom tempête ! « Je peux vous aider, assure Lapsie. Je suis psychologue ! Je peux soulager votre souffrance ! Vous pouvez tout me dire !

    _ Hein ? Je suis le Dom tempête ! C’est moi qui oublie dans la fureur de la mer ! C’est moi qui me régénère dans la puissance du vent ! Ah ! Ah ! C’est moi qui commande les anneaux de sable, qui fuient comme des cheveux ! C’est moi encore le silence, à l’abri du buisson !

    _ Bien sûr ! Écoutez, ce qu’on va faire, c’est qu’on va trouver un café ouvert ! Hein ? Et là, au chaud, on va prendre une boisson réconfortante ! Et on pourra parler tranquillement ! Parce qu’ici ça mouille… et il fait froid !

    _ Parler tranquillement ? Bavasser, vous voulez dire ! Vous ne savez faire que ça ! Bavasser !

    _ S’expliquer alors ! Vous ne pouvez pas continuer à crier comme ça dans la rue, la nuit ! Vous effrayez les gens !

    _ J’aimerais vous embrasser, vous serrer dans mes bras !

    _ Je ne pense que cela soit nécessaire… D’après le code 4B Orimop de la psychologie, il est dit que… »

    Mais Lapsie n’a pas le temps de finir ! Le Dom l’entoure de ses bras et c’est comme si elle était aspirée ! Elle sent d’abord une forte odeur de varech, puis des vagues viennent sauter devant ses yeux, comme des dents qui tremblotent ! Elle veut retrouver sa respiration, mais là voilà dans le ciel en train de jouer avec les rafales du vent ! Elle monte, monte, puis chute, en cassant ses ailes ! Elle est pleine de la puissance des éléments ! Surprise, elle se laisse prendre, puis elle se met à rire… à rire !

    « Ah ! Ah ! fait -elle.

    _ Ah ! Ah ! » l’imite le Dom.

    Ils rient tous les deux et se mettent à danser ! « Mais vous êtes dingues ! s’écrie Ratamor. Lapsie, voyons, revenez parmi nous ! Soyez raisonnable !

    _ Y a encore plus fort ! » lance le Dom tempête à Lapsie et il lui montre comment on peut sauter sur les crêtes du clapot ! « C’est comme des aiguilles ! s’exclame Lapsie. Ça picote ! Qu’est-ce c’est rigolo !

    _ Hi ! Hi !

    _ Bon sang, mais arrêtez tous les deux ! réplique Ratamor. Je vais être obligé d’appeler une ambulance.

    _ On est les Doms tempêtes ! chantent maintenant en chœur Lapsie et le Dom. On revient de la Chose ! On est transformé ! Nous sommes des laminaires qui se tordent ! Hi ! Hi !

    _ Tant pis ! Vous l’aurez voulu ! J’appelle les secours ! »

                                                                                                                       76

    Un vieux plant de maïs desséché soupire… Il est dans la Zone… La Zone, c’est la partie entre Domopolis et la Chose, la partie cultivée ! cultivée par les Doms ! De temps en temps, ils passent au-dessus des champs avec leur vaisseau et pulvérisent des produits… On les appelle les Doms agris ! Autrefois, ils étaient plus heureux, plus respectés aussi ! Le travail était dur, mais ils comprenaient encore le Chose, l’admiraient, discutaient avec elle ; ils connaissaient sa valeur ! Mais le temps passant, ils ont fini par subir le changement de Domopolis, qui s’est complètement détachée de la Chose, dont les Doms se sont de plus en plus concentrés sur eux-mêmes et leur domination !

    Les Doms agris eux aussi ne respectent plus la Chose, ne la voient plus que comme une source de profit, sous l’angle du rendement ! Ils n’ont même plus de contact avec la terre, à bord de leur vaisseau ! Ils ont oublié combien la Chose est simple et généreuse, à force de la manipuler et de la traiter de toutes les façons ! Maintenant, ils effectuent mornes leurs récoltes, comme si leur vie n’avait plus de sens ou que Domopolis les avait trahis, après leur avoir commandé tant de changements ! En fait, leur mal-être reflète celui des Doms ! Plus près de la Chose, ils montrent toute l’ambiguïté de Domopolis, qui doit bien sûr se nourrir, mais qui en même temps ne veut plus entendre parler de la nature ! Les Doms en effet croient en leur autarcie, qu’ils n’ont plus besoin de la Chose ou qu’elle est juste là pour les servir, tellement ils trouvent normal désormais d’avoir leurs assiettes pleines ! Les Doms agris paient cette indifférence et cette illusion !

    Le vieux plant de maïs est pris d’une toux, puis, pour se calmer, il prend sa bouffarde… et d’autres plants l’imitent à côté ! On fume calmement, sous la lune… et le vieux plant commence à parler : « Je me souviens d’une autre époque… Alors, on n’avait pas les pieds nus ! On poussait avec d’autres herbes et elles nous tenaient chaud ! Aujourd’hui, regardez, le sol est vide ! Pas une herbe n’y pousse, car il est traité au maximum ! Quelle tristesse, car avec les herbes, il y avait des tas d’insectes colorés, qui nous amusaient !

    _ Tu as raison ! fait un autre plant. J’ai connu cette époque moi aussi ! Et c’était le bon temps ! Il y avait encore des talus, de la fraîcheur en été et de la douceur en hiver, puisque les talus arrêtaient le vent ! Ah ! Comme on était fier, jeune et fort ! »

    Une brise passe, faisant bruire tous les vieux bras des maïs ! « On pourrait retrouver notre gloire d’antan ! reprend le plus âgé des plants.

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ? demande un autre.

    _ Je parle d’un baroud d’honneur…, d’une dernière attaque, d’un dernier assaut ! pour retrouver notre vigueur perdue !

    _ Eh ! Eh !

    _ Mais tu songes à quoi exactement ?

    _ Mais à nous venger de ceux qui nous ont tués ! qui nous ignorent aujourd’hui totalement ! de ceux qui n’ont pas cessé de nous dire : « Poussez comme ça ! Non, soyez plus nombreux, plus grands, plus épais ! », qui ont ordonné de nous faire boire plein de cochonneries et qui à présent se moquent de ce que nous devenons, de ceux qui nous exploitent comme des esclaves !

    _ Eh ben, dis donc l’ancien, je ne savais pas que tu en couvais autant ! Mais je suis d’accord avec toi !

    _ Moi aussi !

    _ Moi aussi ! entend-on dans tout le champ.

    _ Bien ! Alors, c’est pour cette nuit ! Je propose de marcher vers Domopolis et de montrer aux Doms qui nous sommes !

    _ Ouais, ouais !

    _ Ouais, il a raison le vieux ! »

    Les plants de maïs se mettent alors à sortir leurs pieds de la terre et font apparaître leurs racines ! Oh ! Il faut voir cette troupe, cette armée même qui s’ébranle ! On dirait de vieux squelettes jaunis, tremblants et secs, mais c’est la dernière charge et tout le monde en sera ! On prend la route de Domopolis, le royaume méprisant de la domination ! Les premiers Doms, qui voient ces silhouettes, ses épis dressés, aux feuilles grinçantes et blanchies, prennent peur évidemment et l’alerte est donnée ! Bientôt, c’est l’affrontement, avec les forces de l’ordre ! Des policiers sont saisis et jetés par ces tiges encore solides, mais les Doms possèdent des armes et le feu !

    Au matin, on découvre le carnage ! Tous les plants ont été tués et jonchent le « champ de bataille » ! Mais qu’importe ! C’était la dernière charge et ils sont morts en héros !

                                                                                                                    77

    Domopolis fume, s’inquiète, s’agite, pense et pense, débat, s’énerve, se révolte, se met en colère, saigne, hurle ! Voyant cela, le soleil en a pitié ! Il décide de se rendre à Domopolis, pour rassurer ses habitants ! Il met dans sa valise quelques joyaux, comme des feuilles émeraude ou des perles de rosée ! Puis il part et se déplace avec beaucoup de couleurs, puisqu’il commence par peindre les nuages de tons oranges ! Mais Domopolis ne semble pas y faire attention et il est vrai qu’il faut courir, pour gagner sa vie ! C’est le travail, qui est représenté par le trafic, qui s’allonge comme une chenille agressive !

    Mais ce n’est pas le plus grave : l’actualité est brûlante ! Combien n’ont pas le couteau sous la gorge ? Combien n’ont pas faim ou meurent sous les bombes ? Les Doms sont en colère : ils crient à la trahison ! Ils font des barrages dans la ville, saccagent des magasins, parlent et parlent encore, crient ! On leur a pris leur pieds, l’enfant qu’ils tenaient chaudement dans les bras ! Certains poursuivent même leur tête que l’État a tenté de voler ! Le soleil ne sait pas quoi faire ! Il est là, avec sa petite valise, mais tout le monde s’en moque et a bien d’autres problèmes ! Le soleil sort quand même ses merveilles et fait briller ses feuilles, ses nuages et sa rosée, mais le résultat est le même : il a l’impression de se retrouver en plein sur un champ de bataille !

    Un poète, qui passe par là, le reconnaît, mais tout de suite l’invective ! « Tu n’as pas honte ? crie le poète.

    _ Hein ? Quoi ? fait le soleil interloqué.

    _ N’essaies-tu pas de nous faire croire au bonheur ? N’essaies-tu pas de nous faire croire que le Ciel n’est pas vide, que nous ne sommes pas seuls et que la vie ne se termine pas par la mort ?

    _ Ma foi, loin de moi de vous vouloir du mal ! Tiens, par exemple, je fais mûrir les épis, pour que vous ayez du bon pain chaud ! Hein ?

    _ Encore un de tes tours ! Encore une de tes illusions ! Nous pourrions effectivement nous réjouir de tes bienfaits, mais ce serait nous tromper ! Ton éclat est faux et n’effacera pas la mort, ni notre solitude, ni notre malheur ! Car nous en bavons, crois-moi !

    _ Tu veux dire que tu as peur d’être pris pour un gogo, c’est ça ? Regarde, j’ai apporté des feuilles émeraude, des perles de rosée et mes nuages orangés ! Hein ? La classe, non ?

    _ Supercheries, mirages, impostures ! L’ombre est l’ombre ! Nous sommes seuls, mais nous serons d’airain ! Nous aurons le courage d’affronter la mort, sans l’aide de Dieu, sans ce rêve trompeur !

    _ Faut que je remballe tout, c’est ça ? Mais la situation ne serait-elle pas pire ? Un peu de chaleur, ça fait du bien ! Je réjouis les enfants, n’est-ce pas ! Laisse-moi les faire rire et les enchanter ?

    _ Il faudra bien qu’ils pleurent eux aussi ! Un jour ils seront grands !

    _ Et ils s’agiteront en vain, comme tous les Doms ici ! Que cherchez-vous ? Que voulez-vous ? Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer ? Pourquoi ne m’aimes-tu pas plus ? Si tu me regardais avec simplicité, avec amour, tu serais plus tranquille… et les Doms aussi !

    _ Excuse-moi, mais j’ai à faire…, une élection à l’Académie, un discours…

    _ Ah ! Nous y voilà ! Le sentiment de ton importance ! Voilà ta chaleur, ton moyen de chauffage ! Ton amour-propre ! Ton esprit ! Et c’est bien naturel, vous, les Doms, avez été dotés d’une pensée… et il vous faut donc l’exercer ! Ceci explique toute votre agitation et votre énervement, car vous avez soif de reconnaissance ! tandis que que moi apparemment, sur ce plan-là, je suis vide et ne vous apporte rien ! Ce n’est pas vrai ?

    _ Hum ! Tu n’as pas tort : la nature nous paraît vide !

    _ Et ma beauté aussi ? Je ne suis pas seulement utile, pour faire pousser les plants, mais j’embellis tout ce que je touche ! Ma beauté devrait aussi vous rassurer, elle devrait vous faire sentir combien vous m’êtes chers et importants !

    _ Je ne comprends pas…

    _ Non, tu préfères ce qui est immédiat, l’avis de tes confrères, un bon déjeuner, etc. ! La patience et la simplicité, ça demande des efforts ! ça demande de grandir, de la confiance et de calmer son ego ! Et là, plus personne !

    _ Bon, ben, c’est pas que tu m’ennuies, mais faut qu’ je file !

    _ Va, va, je vais rester là, car sans moi, ce serait la nuit et la mort ! »

    Le soleil en effet reste là, dans le bruit et le vacarme ! Il est là devant ses valises ouvertes et présente ses feuilles émeraude, ses perles de rosée et ses nuages oranges ! Seul un oiseau furtif en profite ! Mais le soleil est patient, il a tout son temps… et il se met à siffloter une vieille chanson !

  • L' attaque des Doms (68-72)

    R59

     

              "Evidemment, monsieur Cerruti, si vous aviez quelque créance...

                _ J'ai ça: 357 Magnum! Mais est-ce suffisant?

                _ Tout à fait, monsieur Cerruti."

                                                            Flic ou voyou

     

                                              68

    Il se passe quelque chose d’étrange dans Domopolis : les rues sont envahies par des feuilles ! Des feuilles mortes, oranges, jaunes, rouges ! Il y en a des millions et c’est un enchantement pour les yeux, mais pas pour les Doms ! Eux ne voient que la gêne, car la circulation n’est même plus possible… et puis ils sont profondément troublés, par la nouveauté du phénomène ! Qu’est-ce que ça veut dire ? D’où viennent toutes ces feuilles ? Est-ce encore un « coup tordu » de la Chose ?

    Qu’à cela ne tienne, les services de Dominator vont nettoyer la ville et les souffleurs et les balayeuses entrent en action ! Mais c’est peine perdue ! Il y a trop de feuilles ! Sitôt qu’on a dégagé une rue et qu’on s’attaque à une autre, les feuilles reviennent en une pluie d’or et elles forment de nouveau un tapis épais, inextricable, dans lequel on s’enfonce ! Les nettoyeurs s’acharnent, mais bientôt des balayeuses, des employés disparaissent sous l’étrange marée ! On voit leurs véhicules être comme mangés, digérés par les feuilles et on se dit que certainement c’est l’action de la Chose !

    La colère monte ! On accuse l’incompétence des pouvoirs publics ! On parle de corruption à un haut niveau ! Certains habitants paniquent… Des motards notamment s’élancent, avec un bruit d’enfer, contre des paquets de feuilles déjà brunies ! Il s’agit de passer, d’échapper à cette « prison », mais le résultat est toujours le même : le motard glisse, chute et est avalé, sous les yeux remplis d’horreur ! On n’ose plus sortir de chez soi ! On regarde par la fenêtre ce flot feuillu, qui rend impuissant ! Pour faire ses courses, on se déplace avec précaution, en tentant « de ne pas mettre en colère » le phénomène ! C’est que le désespoir fait craintif et superstitieux !

    « Vous allez me trouver une solution et fissa ! crie Dominator à Ratamor et Lapsie ! C’est vous les scientifiques, les spécialistes !

    _ On peut émettre l’hypothèse d’un vent venu de la Chose et qui transporte les feuilles… répond timidement Ratamor.

    _ Ouais, ouais, fait Dominator, en rallumant son cigare. La sainte logique ! Mais vous foncez sur le terrain, car je veux une solution pratique, pas de théories ! La Chose se fout de nous !

    _ La Chose n’a pas d’âme et...

    _ Vous êtes encore là ? »

    Ratamor et Lapsie se retrouvent dans la rue, face aux feuilles… « Bon, par quel côté prendre le problème ? » se demande Ratamor. Mais il y a un drôle de type qui se dirige vers eux… C’est un personnage qui paraît flou, même de près et effectivement, sa peau est toujours en mouvement, comme si elle n’était pas homogène, mais constituée de milliers de particules ! On ne peut pas ne pas avoir un léger haut-le-corps, devant un tel « spectacle » ! « Salut ! fait l’homme, avec une bouche grouillante. Bon, vous pouvez partir ! Il faut laisser faire les pros !

    _ Hein ? Comment ? s’étonne Lapsie piquée. C’est nous qui avons été chargés de… Mais vous êtes qui, vous d’abord ?

    _ J’ suis Microbiote ! Autant dire le personnage principal ! Mon rôle a enfin été reconnu ! A moins que vous ne sortiez du coma ? Donc, on cède la place !

    _ Quoi ? C’est toi, les matières fécales ? Et il faudrait t’obéir ?

    _ Sûr ! C’est moi qui commande le cerveau ! Quand j’ vais pas bien, il va pas bien non plus ! T’as pas encore pigé, Lapsie ?

    _ J’ai rien pigé du tout ! Ah ! Ah ! Parce que tu crois que tu peux régler les angoisses existentielles ? Non, mais regarde-toi !

    _ Toi et tes collègues, il fut un temps, vous avez bien cru que c’était la baise, le problème ! avec tonton Freud, dont le cigare était un TOC, non ?

    _ D’accord, d’accord ! Mais c’est complexe tout ça !

    _ Moi, tout ce que je sais, c’est que la constipation empoisonne le corps et le cerveau ! Bien s’ vider garantit un bon équilibre !

    _ Peut-être, mais la réflexion, la recherche de sens, t’en fais quoi ?

    _ Et l’inflammation du côlon ? C’est pas le fléau des femmes d’aujourd’hui ?

    _ Ça suffit vous deux ! fait Ratamor. On a besoin de tout le monde, pour lutter contre les feuilles, vous ne croyez pas ?

    _ Bien parlé, old chap ! approuve Microbiote.

    _ Très bien, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? » demande Lapsie.

    Les trois regardent le tapis qui s’étend devant eux… « Mince, qu’est-ce qui arrive là-bas ? demande Microbiote.

    _ On dirait des bogues… rajoute Lapsie.

    _ Des bogues géantes… et elles roulent vers nous ! précise Ratamor. 

    _ Faudrait songer à s’ barrer, non ? Ça pique, ces machins-là ! jette Microbiote.

    _ J’ suis assez d’accord avec lui ! lâche dépitée Lapsie.

    _ Sauve qui peut ! »

                                                                                                                        69

    Dans le vaisseau Dom 45TY550°, le Général rêve : il se voit dans la toute nouvelle voiture Dom GTH 7 K ! Ah là, il serait arrivé ! Il caresserait du regard l’intérieur ! Il s’enchanterait du luxe et du confort ! Il ferait parler la puissance, il en jouirait ! Il ferait envie aux autres, le rêve de toute une vie ! Il pourrait alors mourir, car il aurait réussi !

    « Général ! fait la voix du Dom passerelle dans l’interphone.

    _ Quoi ?

    _ Un autre vaisseau Dom demande à accoster !

    _ M’en fous !

    _ Hem, il s’agit de l’Embrouilleur, le propagandiste !

    _ L’Emmerdeur, vous voulez dire !

    _ Général, l’Embrouilleur est dans les petits papiers de Dominator ! Il faut le recevoir !

    _ Ça va, ça va ! Accueillez-le, j’arrive…. »

    L’Embrouilleur a fait du chemin, depuis qu’il appelait à la révolte dans un garage… Il s’est approché de Dominator, il lui a montré tout l’intérêt d’une propagande forte, basée sur le mensonge ! Il lui a exposé toutes les techniques, pour perturber ses adversaires, notamment comment oser dire que blanc c’est noir, ce qui abreuve de désespoir tous les opposants ! L’Embrouilleur est devenu un personnage puissant, vêtu d’une cape et toujours accompagné par des hyènes tenues en laisse ! Plus elles sont cruelles et mieux elles sont nourries, récompensées !

    A bord du vaisseau 45TY550°, on s’écarte devant le visiteur, on frémit de dégoût, en le cachant évidemment, car on craint l’Embrouilleur et surtout ses hyènes ! « L’Embrouilleur ! fait le Général faussement jovial. Sois le bienvenu !

    _ Je viens de la part de Dominator…, pour améliorer le rendement de nos troupes !

    _ Bien sûr, je t’aiderai au mieux dans ta mission ! Comment va Domopolis ?

    _ Mal, nous sommes attaqués par des feuilles !

    _ Voyez-vous ça !

    _ C’est cette infâme Chose ! Elle met le chaos !

    _ Elle embrouille tout le monde ! Euh… Ça m’a échappé !

    _ J’ai lu tes rapports... et il y a certaines choses qui ne vont pas du tout !

    _ Diable ! Installons-nous dans le poste de commandement… Le Dom passerelle va nous apporter du café ! »

    Une minute plus tard, l’Embrouilleur, parmi ses hyènes, reprend la conversation : « J’ai constaté que votre équipage a un rendement de 50 %! Or, il serait facile de l’augmenter à 70 %!

    _ Ah bon ? s’étonne le Général.

    _ Oui, il suffit de baisser la température du vaisseau !

    _ Je te demande pardon ?

    _ On laisse le froid cosmique agir dans le vaisseau… Plus il fait froid et plus le Dom s’inquiète et donc devient actif et égoïste ! C’est un mouvement naturel !

    _ Tu n’es pas sérieux !

    _ Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? »

    A cet instant, le vaisseau est ébranlé, à un tel point que l’Embrouilleur est jeté de son siège et que les hyènes hurlent à la mort ! « Mais qu’est-ce qui se passe ? s’écrie paniqué l’Embrouilleur.

    _ Hum, d’après ce que je vois, répond le Général, ce sont les nuages rouges de la planète Camandria… Nous en sommes très proches et ces nuages sont souvent accompagnés de vents gigantesques, ce qui explique cette perturbation…

    _ Tu… Tu en es sûr ?

    _ Allô, Dom passerelle ? C’est Camandria qui fait des siennes ?

    _ Affirmatif, Général, ça se calme déjà !

    _ Tu vois, reprend le Général, un incident, rien de plus !

    _ Excuse-moi, dit l’Embrouilleur, qui se remet maladroitement sur son siège, je… je suis un peu fatigué en ce moment !

    _ Hum, mentir tout le temps, ça doit être fatigant, non ? Toujours manipuler, toujours être sur ses gardes ! Pour ma part, je n’y résisterai pas !

    _ Mais je le fais pour la bonne cause ! Nos ennemis sont nombreux et ont juré notre perte ! La grandeur des Doms passe avant tout ! Il en va de notre survie !

    _ Ah bon ? Ce n’est pas une question d’orgueil ? »

                                                                                                                              70

    Domopolis est toujours en danger ! Les feuilles se sont transformées en petites scies circulaires ! Elles roulent avec le vent et leurs pointes acérées découpent les corps ! C’est affreux évidemment, car il y a du sang partout et on entend des cris horribles, mais les feuilles semblent choisir leurs cibles ! Par exemple, elles se jettent sur le Dom qui laisse tomber négligemment un papier par terre ! Le Dom, qui quelques secondes auparavant se moquait éperdument du monde, se met soudain à appeler au secours, à demander la solidarité des autres ! Comme ce revirement est étrange… et inutile, car l’attaque va très vite : le Dom est taillé en pièces en un éclair ! C’est incroyable ce que ces feuilles peuvent avoir d’énergie !

    Mais il y a aussi le Dom qui ne trie pas ses déchets, qui bourre sa poubelle n’importe comment, qui est pris à partie ! A peine laisse-t-il sa poubelle déborder de sacs que les feuilles arrivent sur lui ! Elles font de petits bruits secs sur le trottoir, puis un courant d’air et hop, elles sautent sur l’individu, en lacérant ses chairs ! La surprise est totale, l’épouvante aussi ! On est égoïste jusqu’au fond de l’âme, on ne se préoccupe que de soi, on méprise absolument son prochain… et voilà qu’il faut se réveiller, prendre conscience à mesure qu’on ressent la douleur ! La leçon est aussi amère que funeste ! Le sang ruisselle dans les caniveaux et on se demande si la Chose n’a pas perdu patience, si son action n’est pas contre-productive, à force d’être radicale ! Où est le doux temps de la pédagogie ?

    Évidemment, les Doms qui effectuent des dépôts sauvages, qui sèment dans un coin leurs ordures, comme les chiens pissent en tel endroit, ceux-là sont particulièrement assaillis, suscitant parmi les feuilles un véritable petit tsunami ! Tous les membres de ces « cochons » volent en éclats ! On a l’impression que les feuilles sont brusquement ivres, tant leur ardeur est visible, et à la place d’un tas de vieux meubles ou d’habits, on trouve des têtes, des bras, des jambes, dans un ordre si bizarre qu’un léger sourire paraît affleurer dans les yeux des morts ! Sentent-ils tout le sel de la situation ? La Chose ne les traite pas elle-même comme des ordures ?

    Mais les feuilles ne s’arrêtent pas là ! Elles veulent les vrais responsables, les champions de la nécessité, ceux qui se masquent obstinément leurs ambitions, qui ne réfléchissent jamais à ce qu’ils sont, qui n’avouent jamais leurs peurs, qui font croire que leur vie a un sens ou n’en a pas besoin ! ceux qui détruisent la nature sans sourciller ! ceux qui sont malades sans chantiers ! ceux qui bétonnent à tout va ! qui ne recueillent jamais la beauté dans la main ! qui n’ont aucune humilité ! qui ne savent pas s’arrêter ! qui sont aveugles, pleins d’intrigues, qui boivent le pouvoir à grandes gorgées, qui se droguent avec leur ego ! ceux qui ne savent pas ce qu’errer veut dire ! qui ignorent tout de la nuit et de la souffrance !

    Vite, les feuilles se ruent sur la tour du Pouvoir ! Elles veulent la peau de Dominator et de ses sbires ! Elles créent une vague monstrueuse, effrayante, haute comme un immeuble ! C’est un déferlement mordoré, un horizon couleur sang, qui fait tressaillir Dominator, alors qu’il se croyait à l’abri ! « Mais ça va pas quand même pas nous atteindre ? » s’écrie-t-il, tout en sentant ses cheveux se dresser sur la tête. Derrière lui, Ratamor et Lapsie ne disent rien, figés par l’horreur que produit cette masse immense et qui fonce vers eux ! « Eh prof ! jette encore Dominator. Réveillez-vous ! C’est vous le matheux ici ! On est assez haut, hein ?

    _ Je… Je ne sais pas ! » balbutie Ratamor.

    La vague s’écrase et la tour du Pouvoir en est ébranlée ! On y sent une secousse ! Puis, la crête monte face à l’obstacle ! Les fenêtres sont obscurcies par les feuilles, même à la hauteur du bureau de Dominator ! On est comme enterré sous les feuilles et une angoisse saisit chacun ! On se met à courir éperdu, on crie, on se percute ! Monsieur Nuit, toujours transformé en escargot, entreprend d’escalader un mur, vaste projet, mais la peur lui donne du courage, tout en excitant ses antennes ! Dominator ne bouge plus, oubliant son cigare éteint dans la bouche ! Lapsie, malgré sa répugnance à l’égard de Ratamor, son ancien ennemi, l’a tout de même pris par le bras, afin sans doute de mieux résister au choc ! « Et dire que je suis en détox! » se dit-elle.

    Des feuilles ont réussi à pénétrer la ventilation et des gardes sont découpés, dans des couloirs sombres ! On entend comme des couteaux se planter derrière les portes, qui résistent ! Puis, c’est l’incroyable reflux, telle une respiration géante ! Les feuilles se retirent ! Elles ne sont plus soutenues par leur élan ! Elles repartent ! Pourtant, la stupeur dans la tour du Pouvoir ne retombe pas ! On y reste muet, assommé, tandis que là-bas les feuilles n’en finissent plus de s’écouler hors de la ville, dévoilant des « noyés » !

                                                                                                                        71

    Il existe dans la Chose un endroit magique ! On y descend dans l’ombre, par un petit escalier… C’est un lavoir, à côté de sa fontaine ! L’eau murmure doucement et diffuse sa paix… Apparemment le lieu est banal : des dalles de pierre entourent le bassin, sous les feuillages, mais si on y regarde de plus près, si on se concentre, un charme peu à peu envahit le visiteur, car là, à la surface, le reflet du ciel et des arbres est tellement clair qu’on a le sentiment qu’un autre monde commence, parallèle à au nôtre ! L’idée que l’eau en aurait une vertu particulière, qu’elle pourrait donner une connaissance supérieure, extraite d’un univers plus pur, vient naturellement !

    Une légende est donc née : si on boit un peu de cette eau, on est transformé, on devient meilleur, on a un pouvoir inconnu, peut-être même le don de guérir ! à condition toutefois de puiser le liquide au bon endroit, juste avant qu’il ne reprenne sa course, justement quand il est illuminé par des éclats de soleil, qu’on aura soin de recueillir entre ses mains ! Alors, dit-on, le charme opère, on revient vers Domopolis et les Doms, en étant différent, avec un regard qui a changé !

    D’abord, on est écœuré par la saleté de la ville ! Car les déchets que l’on voit ne sont pas dus à la fatalité, mais à l’indifférence, à l’égoïsme ! Force est de constater que les Doms vivent dans une porcherie ! Mais ce n’est pas là le pire, on s’en doute ! Il y a encore l’incessant trafic, qui abrutit, vide et rend esclave, mais ce qui désespère le plus est plus loin, dans le centre, au sein même des rapports entre les Doms ! Celui qui a bu l’eau du lavoir est sidéré, abasourdi par la manière dont nous nous comportons ! Ce sont d’abord des regards de haine, de gens que nous ne connaissons pas et qu’on découvre subitement et donc qu’on n’a pas pu blesser ! Alors pourquoi cette haine, ce mépris ? Ce n’est pas une illusion, ce dégoût est bien là, car on tient à nous le montrer, de sorte qu’il nous pénètre, qu’il nous fasse mal !

    Tout simplement, la domination s’offusque que vous lui échappiez, que vous soyez heureux sans elle, que vous ayez l’air libre et non soumis ! Quel étrange message ! Il faudrait donc être malheureux ou avoir peur, pour satisfaire ces Doms ? Ce sont eux les maîtres et il faut que vous le sachiez ! Mais pourquoi les suivre, alors qu’ils ne sont pas heureux, car leur haine témoigne de leur malheur, de leur peur et de leur ignorance ? Pourquoi, s’ils sont gênés par votre joie et votre liberté, n’essaient-ils pas de comprendre d’où elles viennent, afin qu’ils en profitent eux aussi ! Non, il faut qu’ils vous détruisent ! S’ils ne peuvent vous commander, vous devez disparaître ! Cela veut aussi dire que c’est la domination qui mène le monde, que c’est le poison de Domopolis !

    Mais vous n’êtes au bout de vos peines ! Dès que vous entrez dans un magasin, un Dom ou une Dom vient vous presser par derrière ! On pèse sur vous, comme si vous étiez du bétail, car là encore c’est le Dom qui compte, c’est son monde, pas le vôtre ! Dans ces conditions, comment pourrions vivre en paix et aimablement ! Il faut se défendre, résister, faire comprendre au Dom que les autres sont ses égaux ! Pourquoi se sent-il supérieur ? Pourquoi ne respecte-t-il pas l’autre, n’en est-il pas curieux ? Pourquoi n’est-il pas humble ? Celui qui a bu l’eau du lavoir prend conscience d’une chose gigantesque : c’est que les Doms vivent dans leurs plaisirs ! Ils se gavent de leur égoïsme, au-delà des apparences ! Ils se roulent dedans, comme les hippopotames dans la boue !

    Et pourtant le Dom se plaint ! Il se croit victime du devoir, plein de respectabilité et de responsabilités ! Il ne s’en rend pas compte ! Il est aveugle telle une taupe ! Il n’a aucune idée de la souffrance et il vit dans un luxe incroyable ! Voilà ce que voient les yeux nouvellement ouverts ! Et c’est sidérant ! Tout pourrait être différent, si chacun luttait contre sa domination, son égoïsme ! Ce n’est pas une question de politique ou d’économie, c’est juste en nous, à la portée de tous ! Mais on le sait, se remettre en question pour le Dom est ce qui lui est le plus pénible, tant il est attaché à sa domination, pour se protéger de la peur !

    Car le fond du Dom, c’est la peur ! Tant qu’il domine et que c’est son monde qui triomphe ou s’impose, il ne s’en aperçoit pas ! Au contraire, il se croit très malin et courageux ! C’est ce qu’il appelle sa réussite, quand il se sent un gagnant, qui devient haineux et hostile, dès qu’on paraît différent, plus libre ! Cette réaction haineuse, ce désir de détruire montre toute la fragilité et l’hypocrisie du Dom, montre comment toute sa soi-disant sûreté est bâtie sur du sable ! Car c’est la peur qui n’est pas guérie, qui reste un abîme sous les pieds ! Les tyrans sont forcément peureux !

    Voilà le pouvoir de ce fameux lavoir enchanté, qui dort quelque part dans la Chose ! qui ne fait pas de bruit et qui reste caché des Doms, tant ils sont agités et même violents ! Dans le lavoir, il y a encore des feuilles qui tournent lentement, qui ondulent parmi les bulles, qui forment un tapis d’or…, qui tombent en créant un œil qui s’ouvre de plus en plus largement sur l’eau ! C’est l’onde du rêve !

                                                                                                                             72

    Les scientifiques, les philosophes, les penseurs, se trompent sur la Chose ! Ils disent notamment qu’elle est une fuite, un mirage, que le merveilleux est une illusion ! Car eux savent ce qu’est l’homme ou le Dom ! Ils savent et comprennent… et ils font confiance au rationnel, car ils ne sont pas dupes : les hommes sont durs et égoïstes et deux plus deux font quatre, et la mort est la fin, etc. !

    Mais l’art, qui représente la beauté, arrive à comprendre le réel, justement là où la science se révèle impuissante ! Un beau portrait laisse voir toute la personnalité d’un individu bien mieux que n’importe quel traité de psychologie ! C’est une image d’ensemble qui capte ce qui est indicible et échappe à l’analyse ! Science et art sont complémentaires, car la beauté nous enseigne quelque chose ! Par son rythme, son temps déjà, elle nous forge ! Notre domination nous quitte peu à peu, à son contact, comme une mue ! Cela ne se fait pas sans douleurs, car nos blessures peuvent être nombreuses, ce qui nous conduit à un ardent désir de justice ! Mais notre amertume et nos frustrations ne sont pas causées par la beauté, mais bien par les Doms !

    La beauté, la nature ou la Chose ne font que nous accueillir et… nous consoler ! De quelle manière ? Mais, en suscitant notre admiration, elle attache notre regard et fait pénétrer en nous son message ! Quel est-il ? Mais que l’infini existe, puisque cette beauté se révèle sans limites ! La beauté nous dit qu’elle est extraordinaire, en produisant notre enchantement ! Elle nous rassure, en nous faisant comprendre que nous ne sommes pas des étrangers dans le monde, mais qu’au contraire il est notre maison ! Nous ne sommes pas seuls, malgré notre désarroi et nos blessures, mais nous sommes aimés, d’où notre réflexion sur cette ambiguïté, car comment pourrions-nous être aimés, alors que nous souffrons ?

    La boîte qui nous sert de cerveau, se met alors en action, pour résoudre cette énigme ! provoquée par la beauté ! On le voit, nous sommes ici très loin déjà de toute naïveté ! Le merveilleux, loin de nous séparer du réel, nous en rapproche au contraire au plus près ! Naïfs sont plutôt les scientifiques et les philosophes, les matérialistes, car de tout temps l’homme a compris le réel grâce à l’art ou à la beauté ! La spiritualité naît de l’imagination et de l’admiration ! Elle nous est aussi indispensable que la science, mais en plus elle nous apporte la sécurité et le levier de l’amour ! Car la beauté peu à peu résout notre énigme : comment Dieu pourrait exister, alors que nous souffrons ?

    Peu à peu, la beauté nous enlève notre domination, c’est un travail de patience, permis par l’enchantement ! La compréhension s’éveille… D’abord, le Dom a peur… et plus il est violent et plus il a peur et est perdu, malgré ses airs bravaches et victorieux ! Comme nous nous sentons aimés et comme nous sommes rassurés, nous sommes à même de comprendre ! C’est notre égoïsme qui empêche notre réflexion, notre lucidité ! Par l’amour, notre vision s’élargit ! Elle devient elle-même sans limites, bien au-delà de la simple logique ou de la seule raison, qui sont toujours asséchantes ! L’« eau de vie » jaillit de l’amour et donc de la beauté ! Le merveilleux est la connaissance « suprême » ! C’est la « science » de l’enfant !

    Mais voyons maintenant nos vies actuelles… Notre environnement est éminemment agressif : saleté, pollution, trafic incessant, travaux partout, laideur des bâtiments, colère, haine, violence, guerre, incertitude, manifestations, destructions, racisme, intolérance, etc. Où est la beauté ? La paix ? Comment pourrions-nous ne pas être perdus, malheureux et malades ? Nous sommes de plus en plus nombreux certes et les villes ne cessent de s’étendre, mais nous avons vu que c’est surtout à cause de la domination ! Rien que le fait de ne rien faire, de rester tranquilles, nous angoisse ! Nous sommes à des années-lumières de l’enseignement de la beauté ! Nous en sommes aux antipodes et nous nous analysons et nous nous dévorons et nous nous rendons suspects à nous-mêmes : qu’est-ce que notre nourriture, comment marchent nos digestions ? Ce qui devrait être le plus simple devient un abîme de réflexion !

    Bien sûr, le premier réflexe est le rejet, la fermeture sur soi, le phantasme d’une autre époque, où la société était plus ordonnée, plus « pure » ! Mais ce chemin est celui de la haine et du mépris ! Or, la beauté est toujours parmi nous, malgré nous a-t-on envie de dire ! Le ciel est toujours au-dessus de nos têtes, la végétation n’a de cesse de toujours repousser, même à travers le béton, etc. ! Son message nous attend donc toujours ! Il suffit de s’arrêter et de l’écouter ! Mais il est vrai aussi que l’art s’est perdu lui-même, qu’il s’est dépourvu de toute admiration et de spiritualité et que c’est en partie la faute de la science, qui croit même toujours être supérieure à l’art, pour l’avoir circonscrit ! C’est la domination scientifique !

  • L' attaque des Doms (64-67)

    R58

     

     

                      "Nous sommes les chevaliers du Ni!"

                                                         Sacré Graal

     

                                           64

    La Peur n’est pas seulement une vieille dame, qui rend visite à Dominator, c’est une femme bien plus puissante, qui a son propre château, non loin de Domopolis ! Il existe même entre la ville et le château un réseau de tuyaux, par lequel la Peur envoie ses philtres jusqu’à l’eau potable des habitants, qui en sont empoisonnés ! La Peur transmet ainsi ce qu’elle est, contrôle chacun suivant le degré de ses préparations et au fond, c’est elle qui a le véritable pouvoir sur Domopolis et non Dominator !

    La peur souffre-t-elle de cette situation fausse ? Voudrait-elle être reconnue à sa juste valeur et apparaître en tête d’affiche ? Souhaiterait-elle que son nom soit sur toutes les lèvres ? Il semble que cela soit impossible, car jamais un Dom ne reconnaîtra sa peur ! C’est là heurter son orgueil et donc sa domination ! Plutôt que d’avouer sa peur, le Dom préfère mille fois trouver des coupables à son mal-être ! Il désigne des ennemis, se met en colère et ainsi l’action de la Peur reste enfouie, dans l’ombre, ignorée ! C’est un avantage pour la Peur, car elle n’est combattue que d’une manière détournée et inefficace  ! Elle peut donc continuer sa longue carrière, sans être dérangée, et de son anonymat, elle a fini par en prendre parti, puisqu’il lui permet de vivre librement !

    Mais cela ne veut pas dire non plus que la Peur s’endort sur ses lauriers, qu’elle se contente d’un quotidien qui a fait ses preuves, non, elle cherche toujours à augmenter sa puissance, son emprise et pour cela elle est toujours à l’écoute de son temps, à analyser son époque ! Elle a été le témoin de la fin des idéologies et de l’influence des religions ! Le Dom, toujours à la conquête de sa liberté, pour mieux assurer son développement, son épanouissement, s’est débarrassé de toutes les croyances, qui servaient de garde-fous, avec l’aide la science, qui a fait triompher le fait et la raison ! Le résultat, c’est que le Dom se retrouve face à un vide, que seul l’argent semble en mesure de remplir, mais dans lequel la Peur s’est vite engouffrée, voyant là une occasion unique d’étendre à l’infini son pouvoir !

    Dans son laboratoire, devant ses cornues, elle est partie d’un principe : le Dom, qui ne sait plus en quoi croire, se retrouve en proie à une angoisse de taille cosmique, d’autant qu’on lui dit que ses activités condamnent sa planète ! Cette angoisse est telle qu’elle devrait anéantir le Dom, s’il ne possédait pas un « réflexe » animal de défense : sa domination ! L’animal, en effet, n’a pas de peur existentielle, puisqu’il s’occupe essentiellement de la défense de son territoire ! Ceci explique pourquoi le Dom moderne accuse tant d’autres d’être à l’origine de ses maux (les étrangers, les riches, etc.) De cette manière, il revient au stade animal et retrouve dans sa lutte un sentiment de sécurité, même si le territoire qu’il défend est devenu principalement psychique !

    La Peur, avec ses philtres, ses vieux grimoires, au fil des expériences, a abouti au Dom ultime, celui qui n’est qu’un concentré de domination pure ! Celui-ci est dans son monde, bien entendu ! Tout ce qui ne constitue pas son territoire psychique et qui serait capable de le mettre en échec est rejeté, voué à la destruction ! Le Dom ultime est dans une bulle de domination et il se déplace avec elle, exigeant sur son passage une totale soumission des autres ! Ce n’est qu’à ce prix que le Dom ultime échappe à son angoisse, quand l’univers qu’il découvre devient « automatiquement » le sien !

    Cela ne doit pas être une surprise, mais c’est chez l’enfant que la Peur a le mieux réussi ! En effet, face à l’incertitude du monde moderne, les parents se retrouvent eux-mêmes perdus et incapables de rassurer leurs enfants ! Ceux-ci se voient alors comme contraints de prendre le contrôle, de prendre la place des parents, qui ne sont plus traités que comme des « vaches à lait », des esclaves nécessaires, qu’on apprend à manœuvrer, en utilisant tous les codes entre parents et enfants ! La Peur a créé ce qu’elle appelle un enfant bulle, qui n’est plus un enfant véritablement, mais plutôt une « pile » de domination ! L’enfant bulle est en réalité plus vieux que ses parents, qu’il considère comme naïfs ! Il domine tout et tout le temps, d’une manière psychique, puisqu’il n’a pas le muscle et c’est ce qui fait sa difformité, sa dangerosité également, car son pouvoir est aussi insidieux qu’invisible !

    L’attribut essentiel de l’enfant bulle, c’est évidemment le Smartphone, l’accès au Web ! C’est là son territoire psychique de prédilection, la communication où il se sent le plus à l’aise ! Sur les réseaux sociaux, le corps de l’enfant bulle est quasi inutile et son pouvoir s’exerce librement ! Cela ne veut pas dire que l’enfant bulle ne « fasse pas ses gammes », dans Domopolis même ! Il n’est pas rare qu’il s’installe sur un lieu de passage et qu’il y fasse valoir sa Domination ! Les Doms s’écoulent alors devant ses yeux et il juge qui fait partie du troupeau et qui lui est soumis ! Il est renseigné par des signes imperceptibles, comme le baissement de tête, mais il est très surpris quand il rencontre une résistance, puisqu’il contrôle déjà ses parents ! Dans ce cas, sa haine est immédiate et sa domination redouble, car il sent quelque chose de nouveau : la formidable angoisse qui ne cesse de faire pression sur sa bulle !

                                                                                                                           65

    Les enfants bulles, encore appelés enfants Doms ou enfants Trous noirs, puisqu’ils veulent soumettre le monde autour de leur personne, ne sont pas en bonne santé et c’est le prix à payer pour une domination excessive ! Comme ils n’ont pas confiance dans les adultes et qu’ils se voient supérieurs à eux, les enfants bulles n’ont aucun moyen pour se relâcher ou se détendre ! Normalement, les parents sont là pour apporter un sentiment de sécurité, mais ce n’est plus le cas et l’enfant ne peut que se rassurer par sa domination ! Partout, il doit sentir la puissance de son cerveau, alors que celui-ci n’a même pas atteint sa pleine maturité ! La dépression, due au surmenage, est quasiment inévitable, outre l’utilisation abusive du Smartphone ! Un épuisement nerveux, des accès de colère, un profond désespoir, des troubles de l’humeur apparaissent tôt chez l’enfant bulle !

    Cela n’empêche pas à bien des égards sa monstruosité ! Certains enfants bulles n’hésitent pas à tuer d’autres enfants, si ceux-ci les gênent, se retrouvent sur leur route ! L’enfant bulle, comme son nom l’indique, ne voit pas l’autre comme son égal, mais tel un esclave, qui n’a donc pas la même valeur, dont la vie reste abstraite, secondaire ! Seul compte l’enfant bulle ! De même, l’autorité n’est que tolérée par l’enfant bulle ! Dès qu’elle le dérange vraiment dans son quotidien, par exemple par des mesures sanitaires, elle est contestée, vue comme une ennemie, à laquelle on ne va pas obéir ! La police ou les institutions peuvent devenir des cibles ! L’enfant bulle peut très bien détruire un camion de pompiers, s’il s’ennuie, car ce véhicule représente l’ordre, une contrainte, un obstacle pour l’extension de sa bulle ! Le sentiment d’utilité générale, le respect de l’autre n’existent pas chez l’enfant bulle ! C’est l’égoïsme et le nombril d’abord !

    Quelle relation l’enfant bulle a avec la Chose ? Dans Domopolis, l’enfant bulle se déplace grâce à sa petite bulle transparente… Il glisse entre les bâtiments et on ne le voit presque pas, car il se confond avec le ciel… Il n’en demeure pas moins qu’il se sent un maître au-dessus des gens, mais, comme il ne se nourrit que de sa domination, il est mal à l’aise avec la Chose, il la trouve même insupportable, puisqu’on ne peut a priori rien y dominer ! On parle d’arbres dans la Chose et peut-on avoir un quelconque rapport avec eux ? A quoi servent-ils, si on ne les coupe pas ? L’enfant bulle reste concentré sur lui-même, parmi d’autres enfants, et il évite la Chose, qui ne lui dit rien ! Pourtant, la Chose est justement ce qu’il faut à l’enfant bulle ! C’est elle qui permet de l’apaiser et elle l’attend, pour ainsi dire, car elle a un message, une leçon ! C’est au fond une mère, qui enseigne et murmure !

    Mais comment les enfants bulles pourraient-ils aller vers la Chose, être tentés de l’explorer, oser lui « demander des comptes », une explication, une raison d’être ? Ne sont-ils pas chevillés à leur peur ? Ne sont-ils pas hostiles à tout ce qui leur paraît étranger, incontrôlable ? Ne sont-ils pas comme sous perfusion, avec leur domination, et comment alors se sentiraient-ils assez libres, pour une découverte ? Où est leur courage ?

    Ils sont pourtant de plus en plus dangereux et de plus en plus jeunes ! Il y a même des bébés inquiétants, qui diffusent déjà le poison de leur domination, dans leur poussette ! La mère n’est déjà plus qu’un fantôme ! Il semble que l’enfant bulle n’ait aucune grandeur ! aucune force d’âme ! Il croit qu’on lui doit tout ! Il ne cherche pas une explication universelle, un sens plus grand que lui ! Il est vissé à son petit univers ! Il n’en a aucune honte ! La justice pour lui, c’est qu’il soit satisfait ! Ce n’est pas quelque chose qui s’argumente, qui appartient à la raison ! La peur enlève tout jugement à l’enfant bulle, d’où ses idées complotistes ! Une force obscure est à l’œuvre contre lui, car c’est encore une manière pour lui de se croire important, un centre d’intérêt ! Et on ne peut pas changer un complotiste, car ce serait lui arracher sa bulle, le mettre dehors, dans le froid du cosmos !

    L’enfant bulle est sidéré par celui qui connaît la Chose, qui en vient, qui a été son élève ! Celui-là a un pouvoir psychique infini, mais qui n’est pas dominateur ! C’est une énigme pour l’enfant bulle, qui montre d’abord les crocs, avant de se rendre compte de son impuissance ! Car l’élève de la Chose est puissant et serein, sans la domination ! Il a passé ce cap ! Il est indestructible et aucune domination ne peut l’entamer ! Pourtant, l’enfant lumière, appelons-le ainsi, n’a fait qu’écouter la Chose, l’aimer, l’admirer ! Il n’a rien demandé d’autre ! Et la Chose l’a comblé et lui a répondu !

                                                                                                                       66

    Qu’il y a-t-il dans la Chose ? Un scientifique répondrait une « émergence » ! Tous les atomes, toutes les molécules, tout ce qui constitue l’univers, à l’échelle quantique ou du cosmos, y agit d’une certaine manière, mais c’est à la science de répondre comment précisément ! Une chose est sûre : dans la Chose, la domination ne sert à rien ! Au contraire, elle nuit à l’écoute et à la compréhension ! L’orgueil, l’amour-propre doivent être laissés à l’entrée de la Chose, qui est là justement pour enseigner comment s’en débarrasser et surtout pourquoi !

    La Chose a priori ne dit rien et paraît vide, insensible, quasiment morte et indifférente ! C’est que celui qui vient de Domopolis est plein de bruit et de fureur ! Il est rongé par l’inquiétude et veut des réponses immédiates ! Mais la Chose se moque du temps et sa paix est infinie ! C’est son premier enseignement, c’est que son temps n’est pas celui de notre impatience et même celui de notre douleur ! Mais c’est justement cette paix de la Chose qui est un baume pour les blessures ! L’apaisement qu’elle produit fait aimer la Chose, rend fidèle à ce qu’elle est ! Comment s’effectue cette transformation ? Prenons l’exemple de Paschic !

    Paschic est un enfant lumière, par opposition aux enfants Doms ou bulles ! Dès le départ, Paschic a été confronté à un problème : il voyait les Doms faire le mal ! « Pourquoi font-ils le mal et comment peuvent-ils le faire ? », voilà les questions de Paschic ! Mais personne ne pouvait lui répondre, car les Doms font le mal sans vraiment s’en rendre compte ! Là où Paschic était heurté et blessé, les Doms eux ne voyaient rien et ne trouvaient donc rien à se reprocher ! Comme Paschic l’a compris bien plus tard, cet aveuglement vient de la bulle de domination ! En ne donnant pas à l’autre toute sa réalité, c’est elle qui permet justement d’écraser celui-ci en toute impunité, en trouvant même ça naturel, car l’autre est un esclave ! C’est si fort que c’en est maladif ! Si le Dom est acculé, confronté radicalement à sa méchanceté, il a une réaction de panique, pleine de fureur, ce qui fait qu’il devient sourd à tout argument ! C’est un rejet irraisonné, car la bulle de domination protège contre le monde extérieur ! Elle est un état d’immaturité, où le Dom « se blottit », comme un animal prêt à mordre dans son terrier !

    Paschic, à son grand désespoir, va constater cette impossibilité à se faire comprendre, à faire valoir les preuves, la raison ! Plus la bulle de domination est forte et plus la réaction est hostile et dangereuse, dès que cette bulle est menacée ! Puisque les Doms ne pouvaient pas aider Paschic, il s’est naturellement tourné vers la Chose… et il a finalement été éduqué par elle, plutôt que par ses parents ou la société ! De quelle manière ? Le processus était toujours le même… Paschic, plein de blessures, gémissant, sanglant, quittait Domopolis, pour rejoindre la Chose et s’y enfoncer ! Durant tout le trajet, Paschic essayait de se rendre justice, essentiellement à cause de la Machine (celle qui a un vaisseau de cinquante kilomètres de long!), qui venait de le piétiner ! La méchanceté de la Machine, sa fourberie, son mensonge, son sadisme même étaient évidents pour Paschic, qui s’en sentait la principale victime, alors que les autres autour ne semblaient pas en être gênés !

    C’était une situation très pénible pour Paschic, car n’exagérait-il pas son importance, n’était-ce pas lui le Dom ou l’orgueilleux, l’égoïste, le malade, le méchant ? Pourtant, sa souffrance était bien là, il ne rêvait pas ! Alors, l’un des deux, lui ou la Machine, faisait le mal… et ce n’était pas Paschic ! Mais cette vérité était trop lourde pour les fragiles épaules de Paschic, qui restait dans le doute, ce qui n’empêchait pas la Chose de commencer à opérer ! Peu à peu, les douleurs de Paschic s’éteignaient… Il se taisait et le spectacle débutait… La beauté captivait bientôt Paschic ! L’eau du ruisseau, par exemple, enchantait par son murmure, ses remous, ses éclats de lumière, sa mousse, sa fraîcheur, sa limpidité, sa pureté, sa faune, ses fleurs qui dansaient, etc. ! Il en était de même pour les feuillages, tels des vitraux ensoleillés, les troncs aussi graves que des piliers ! Rien n’était inintéressant, mais au contraire tout pouvait devenir un trésor !

    Paschic avait peu à peu le sentiment que si une telle beauté existait, il devait exister une vérité absolue, unique, qui était présente et qui le consolait ! Ainsi, il reprenait des forces, loin des Doms, dans la Chose ! Leur folie d’ailleurs lui apparaissait d’autant plus clairement, ce qui lui prouvait qu’il avait fait un pas vers la lucidité ! Cependant, il était encore très éloigné de comprendre le rôle de la domination et comment elle construit une bulle psychique, qui enferme le Dom !

    Ce que Paschic laissait dans la Chose, au contact de la beauté et sans en prendre vraiment conscience, c’était toute sa haine, son impatience, sa colère ! C’était toute sa domination, qui se dissolvait dans le temps de la beauté ! C’était son amour-propre qui disparaissait, dans l’ombre de la terre ! En fait, il a mûri dans la Chose, comme les arbres rayonnant autour !

                                                                                                                             67

    Les Doms vivent dans un mirage ! Ce n’est pas la Chose et comment l’interpréter qui sont une illusion, c’est l’existence des Doms, qui est un phantasme ! La bulle de domination empêche la lucidité et les Doms accusent, menacent, se battent, vont d’un amour à un autre, puis meurent avec de l’amertume, des regrets, de l’égoïsme, de la peur, etc. ! Dans certains cas, ils se font philosophes stoïques et ils acceptent leur mort et l’injustice par dégoût, nihilisme, fatalisme, mais ils passent là encore à côté de l’espoir, de la vérité simple, du magnifique cadeau que contient la Chose !

    Le message de la Chose est si ahurissant que les Doms ne veulent pas y croire ! Il est si simple, si grand que les Doms en ont peur ! Ils craignent d’être trompés et bien entendu de perdre leur bulle de domination, celle-là même qui leur donne un sentiment de sécurité ! Le prix à payer, quand on ne s’ouvre pas à la Chose, est le mépris que l’on voue à l’autre et le besoin de l’écraser, pour apparaître comme supérieurs, ce qui renforce la bulle de domination, d’où les guerres, la lutte économique, la destruction de la nature, le suicide de l’humanité ! Plus on supprime la Chose et plus on s’enlève des chances de paix et plus les Doms deviennent agressifs et perdus !

    La Chose est d’abord une école de patience ! L’enfant lumière sait où il est, pas l’enfant bulle ! Le Dom rêve d’un âge d’or…, il y croit ! Il croit qu’il y avait un bonheur passé, où son pays était contrôlable, où il n’y avait pas d’étrangers, où la morale régnait, où les traditions étaient respectées ! Cet âge d’or n’a jamais existé, sauf dans l’imagination du Dom, dans son hypocrisie exactement ! Comme le Dom vient du règne animal, la domination a toujours été son lot, d’où une lutte incessante pour le territoire, posséder plus ! De tout temps, les Doms se sont combattus et l’injustice était parmi eux ! Le bonheur est un état à venir, nullement un passé ! Le bonheur se trouve dans la disparition de la bulle de domination, grâce à la beauté de la Chose !

    Cependant, plus le Dom a peur et plus il augmente sa domination et plus les nationalismes sont exacerbés et plus on se ferme à l’autre et plus on se prépare au conflit ! Tout repli sur soi est contre le progrès et sème la terreur de demain ! L’échange, la connaissance de l’autre sont le mouvement naturel de la civilisation ! Pour éviter les guerres, il est nécessaire de se débarrasser de sa bulle de domination ! Moins on respecte l’autre et plus les haines et les mépris s’accumulent ! La domination produit la frustration et la colère ! La beauté de la Chose permet de lutter contre sa propre peur ! Incroyablement, c’est par l’amour que la civilisation avance, cet amour que le Dom raille volontiers, en le trouvant naïf ! Mais c’est le Dom qui se fait des illusions ! Ainsi parle la Chose !

    La Chose apprend à être courageux, vaillant, à se tenir droit devant la peur et l’adversité ! Celui qui est le maître de sa domination est inspiré, nourri par la force de la Chose ! Le Dom n’est en aucun cas lucide, d’où sa peur ! Le secret de la beauté… est le secret de la Chose ! Celui qui domine ne voit pas la beauté et méprise la Chose ! L’enfant lumière n’a pas peur de perdre, l’enfant Dom est enfermé dans sa bulle et craint chaque pas ! La Chose libère, la domination rend esclave !

    Mais le Dom vit dans l’hypocrisie ! La vitrine est pour lui un attribut ! « Voyez ma réussite ! » dit sa richesse. Et pour protéger ce bonheur faux, ce paraître, le Dom est prêt à toutes les lâchetés et tous les mensonges ! Que ne cherche-t-il pas la lumière ? Pourquoi ramener tout à soi et tout le temps ? C’est peine perdue, car on ne guérit pas de ses peurs de cette manière ! On se ferme, alors qu’on devrait s’ouvrir ! Il est normal d’être inquiet, quand l’environnement change (cela aussi est animal), mais la solution n’est pas de rejeter, ni de haïr !

    L’enfant lumière demande des comptes à la vie même, il n’accuse pas les autres ! L’enfant Dom, lui, parle de morale et de devoirs ! Il veut régler le monde, il s’en croit même le gardien, tandis que sa vraie nature se déploie dans la corruption ! On fait le mal et on veut faire croire que c’est au nom du bien !

    Cependant, un vieil ami vient voir Paschic… Il frappe à la porte et entre… C’est un gros arbre humide et maintenant dépourvu de feuilles ! « Salut Hiver ! fait Paschic. Ça va ?

    _ Ben non, pas trop ! Les rhumatismes, tu comprends ?

    _ Bien sûr ! Viens près du feu te réchauffer !

    _ Pas d’refus ! C’est mes potes qui crament là-d’dans ! Oh ! T’inquiète pas, c’est dans l’ordre des choses… C’est calme chez toi, c’est bien ! 

    _ Oui, c’est silencieux...

    _ C’est ce dont j’ai besoin, de paix… »

  • L' attaque des Doms (61-63)

    R57

     

                      "Oui, j'ai eu très peur!"

                                 La Fille de Brest

                                            61

    « Bienvenue au grand Salon de l’égoïsme ! Comme chaque année nous vous offrons ce qu’il y a de meilleur ! Rien n’est trop beau pour vous, les Doms ! Il doit y avoir une solution pour chacun d’entre vous ! Chaque Dom a le droit à son bonheur, à son plaisir ! N’écoutez pas ceux qui vous disent qu’il faut faire des efforts, qui essaient de vous remettre en question, au nom d’une morale universelle, qui n’existe pas et que d’ailleurs ils ne suivent pas ! N’écoutez pas les éteignoirs, les tristes sires, les soi-disant redresseurs de torts ! Ils veulent votre perte ! Ils veulent vous contrôler, vous dire comment penser !

    Moi, je vous dis, cultivez plutôt votre égoïsme ! Car seul vous compte ! Pensez à vous ! Caressez-vous ! Admirez-vous et comme je suis heureux, quand je vous vois si nombreux dans nos allées ! A voir cette foule parcourir notre salon, je me dis « Voilà, y a encore des gens raisonnables et qui aiment la vie ! Il y a encore des gens qui travaillent dur et il est normal qu’ils profitent de leur argent ! » Au diable, tous ceux qui vous culpabilisent, qui vous appellent à dépasser vos haines, qui vous conduisent à l’humilité et à la modestie ! Vous valez mieux que ça ! Le monde vous appartient et l’injustice ici ne frappera plus vos oreilles ! Enfin, vous serez aimés… Alors profitez-en !

    Bien sûr, vous allez retrouver nos produits phares ! Par exemple, les chaussures Place-Place…, pour vous, mesdames ! Tout le monde connaît ses chaussures et comment elles font de l’effet au quotidien ! Quelles que soient leur couleur ou leur forme, elles font toujours : « Place ! Place ! », en martelant le sol ! Grâce à elles, mesdames, on vous entend arriver à des kilomètres et on comprend combien vous devez être impérieuse, dominatrice ! Beaucoup d’hommes, dès cet instant, deviennent nerveux, se mettent à gémir, demandent maman, car ils savent que leur maîtresse arrive et qu’elle n’est pas contente !

    Quel vêtement, pour accompagner les chaussures Place-Place ? Pour les petits budgets, nous recommandons la tenue Léopard, car c’est prolonger naturellement l’allure dominatrice, d’autant que notre choix mettra en valeur vos courbes parfaites, mesdames ! Cependant, le sac-à-mains sera alors sobre, strict, avec l’idée qu’il cache la cravache, que la sévérité n’est pas feinte, sous l’exotisme ! Mais, si vous avez les moyens, alors allez-y à fond ! Plus vous montrerez de luxe et plus les chaussures Place-Place auront leur place ! L’argent symbolise le pouvoir et il est normal que vous considériez les autres, moins riches, comme vos esclaves ! C’est la règle et vous la rappellerez si magnifiquement, mesdames ! On ne saurait trop vous conseiller un joli petit foulard, signe distinctif de votre caste et d’une santé sophistiquée ! L’élite ne peut pas non plus ne pas propager un parfum subtil et coûteux ! Pensez-y, quand vous passerez devant notre rayon parfumerie !

    Un mot sur les hommes maintenant, car ils sont aussi nos amis ! Messieurs, vous trouvez que vos parties ne sont pas assez volumineuses ? Nous avons la solution : la coquille Lavasse ! Elle remplit tout le pantalon, en formant un sac lourd ! Elle s’adapte à toutes les formes de testicules et on la trouve en des dizaines de coloris ! Elle vous ira comme un gant ! Dès que vous l’essaierez, messieurs, vous allez susciter bien des convoitises ! C’est bien simple, on vous suppliera d’exposer votre sexe, de le laisser couler là sur la table, comme un foie de veau ! « On en mangerait ! » vous dira-t-on ! Ce sera vous le maître assurément ! L’effet est garanti douze mois ! Avec la coquille, quel assortiment ? Ma foi, il y a toujours le jean crasseux et puant ! Indémodable ! Un classique, qui dépanne toujours autant ! Mais on peut viser plus haut, style banquier et responsable, par exemple ! Ici, le sexe est porté comme un gourdin sage ! C’est plus raffiné…, il n’y a plus l’effet sac !

    A vous de choisir, il y en a pour tous les goûts ! L’essentiel et j’y tiens beaucoup, c’est que vous ne pensiez qu’à vous ! L’idée est de faire croire que vos vies ont toujours un sens, ne serait-ce que pour ne pas être gagné par la panique ! Tout repose sur votre petit ego !

    Entrez, entrez mes amis ! Venez lutter contre la grisaille ! Certains se moquent de vous… et moi, je vous dis : « Ne changez pas ! Ne cherchez pas ! Gardez vos peurs ! Niez-les ! Restez dans vos rêves et vos illusions ! Accroissez vos haines ! N’essayez pas d’aimer l’autre, c’est moins pour vous même ! N’essayez pas de comprendre ! Soyez plus fort que votre adversaire ! Triomphez de lui, sinon il vous détruira ! Vous croyez quand même pas que quelqu’un vous attend par-delà la mort, dans le noir du cosmos ? C’est fini tout ça ! Les dieux, c’est vous ! Comme vous êtes beaux ! Vous rayonnez dans les lumières de ce salon ! Comme je vous envie ! Je vous considère comme mes propres enfants ! Soyez vains ! Merci ! » »

                                                                                                                          62

    « Le colonel Svenz voudrait vous voir, dit D 4 à Dominator.

    _ Le colonel Svenz ? Je ne le connais pas !

    _ Il dit qu’il peut nous aider…, au sujet de la Chose !

    _ Pfff ! Bon, faites entrer ! »

    Peu après, le colonel Svenz se présente en effet… et on sent le militaire blanchi sous le harnais ! Il est en treillis, avec un corps mince et un visage taillé à coups de serpe ! « Colonel Svenz, dit-il, alors que Dominator l’invite à s’asseoir, en face de lui, sur un canapé.

    _ Alors colonel, qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

    _ Eh bien, Dominator, je suis un militaire à la retraite, mais je ne suis pas inactif pour autant ! J’ai fondé une firme et j’offre mes services à des gens qui en ont besoin !

    _ Quel genre de services ?

    _ Eh bien, disons que j’assure la sécurité de gens importants ! Je contribue à la stabilité de certains régimes ! La guerre est mon métier…

    _ Moyennant finances, je suppose ?

    _ Cela va de soi !

    _ Autrement dit, vous êtes à la tête d’un groupe de mercenaires !

    _ C’est exact ! C’est le mot !

    _ Un verre ?

    _ Volontiers ! Mais j’ai appris que vous aviez des ennuis, avec une certaine Chose !

    _ C’est exact ! C’est le mot ! Votre verre…

    _ Merci ! Que diriez-vous, si je vous en débarrassais ?

    _ D’abord, merci, car la situation est bien gênante ! Nous ne savons toujours pas ce qu’est la Chose !

    _ Laissez-nous nous en occuper ! Tous mes hommes sont des professionnels !

    _ Et quelle serait la facture…

    _ Disons une part de 10 % sur vos gisements de pétrole, pendant un an !

    _ Fichtre !

    _ Vous voulez des résultats et nous risquons nos vies !

    _ Entendu ! »

    Quelques jours plus tard, les hommes de Svenz pénètrent dans la Chose… Ils portent l’écusson qui symbolise leur groupe : un renard qui se lèche les babines, avec la devise « Nous sommes la mort rusée ! » Svenz marche à leur tête et pour l’instant ils sont entourés de brume… « Quand même, ce silence, Svenz ! fait l’un des gars. C’est encore plus oppressant que des tirs d’armes à feu !

    _ C’est vrai, ça, Svenz, approuve un autre. Quand ça pète, au moins on sait où est l’ennemi ! Mais là…

    _ Fermez vos gueules et écoutez ! répond Svenz. Il ne s’agit pas qu’on nous tombe dessus, parce qu’on aura l’air de prendre le thé ! »

    Le groupe continue d’avancer, mais, gagné par la fatigue, il finit par s’arrêter… « Toujours ces mottes gonflées d’eau et cette brume ! lâche un des mercenaires. Qu’est-ce qu’on fout ici ? » Personne ne lui répond, car tous sont épuisés ! « Bon, on va faire une pause, dit Svenz. On se met en cercle et on reprend des forces ! » Chacun s’assoit et sort de son sac quelque provision… On mange en se fixant d’une drôle de manière, car maintenant qu’on ne marche plus, le silence est encore plus impressionnant !

    « Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande l’un.

    _ Moi, mais je te regarde pas ! répond l’autre.

    _ Mais si ! Tu me regardes avec un p’tit sourire, comme si tu te moquais…

    _ Tu t’ fais des idées ! Moi, j’ suis tranquille !

    _ T’es tranquille et pourtant t’es sournois !

    _ Doucement les gars, intervient Svenz.

    _ C’est tout de même pas ma faute si t’as les foies !

    _ Qui ça qui a les foies ? Tout le monde sait qu’il y a un lâche ici et c’est bien toi !

    _ Ben voyons, comme si c’était moi qui avais une petite bite !

    _ Les gars, dou... »

    Tout va soudain très vite ! Une arme aboie, une autre réplique, puis d’un coup c’est un carnage ! On tire pour se protéger sur n’importe qui ! Encore quelques coups, puis le silence revient… Un formidable silence, sur la brume qui danse un peu !

                                                                                                                       63

    « Dominator, dit D 4, une vieille dame voudrait vous voir…

    _ Non mais à quoi tu sers, D 4, tu me prends pour un centre social ?

    _ Elle dit qu’elle vous connaît très bien… et qu’elle sait des choses… au sujet de la Chose !

    _ Décidément, tout le monde veut m’aider, mais personne n’y parvient ! Des nouvelles des mercenaires ?

    _ Aucune !

    _ Bon, fais entrer la vieille dame, mais c’est la dernière fois !

    _ Entendu... »

    La vieille dame entre dans le bureau et se précipite vers Dominator, pour lui faire la bise : «Dominator, mon garçon !

    _ On se connaît ? fait Dominator, en essuyant ses joues, avec un certain dégoût. 

    _ Oh ! Quel vilain petit garçon ingrat tu fais ! Tu n’invites pas ta maman à s’asseoir ?

    _ Ma maman ?

    _ Oh, bien sûr, je ne suis pas ta mère officielle, ça va de soi ! Et pourtant je t’accompagne depuis ton enfance et maintenant que tu es devenu Dominator, c’est encore moi qui te donne toutes tes idées ! Je peux donc prétendre être ta mère, tellement je ne fais qu’un avec toi ! Dis donc, il est très confortable ce canapé ! Je vois que tu te soignes ! C’est bien, je n’ai rien contre ça ! Au contraire, comme je dirais pas non, non plus à un verre !

    _ Je vous trouve un drôle de toupet ! Mais vous allez m’expliquer tout ça, n’est-pas ?

    _ Mais bien sûr, mon grand ! Maman t’a t’elle déjà laissé tomber ? Allez, viens t’asseoir près de moi ! Comme il fait bon ! C’est bien chauffé ! T’as raison, c’est pas quand on tombe malade que les choses s’arrangent !

    _ Alors comme ça, toutes mes idées, c’est vous ?

    _ Mais bien sûr, mon chou ! Hmmm, pas mauvaise ta gnôle, mon garçon ! Ah ! Maman en avait bien besoin ! Mais oui, tous tes projets, c’est moi ! Par exemple, l’extension de Domopolis, c’est d’ mon cru ! J’adore parler d’ cru ! Hi ! Hi !

    _ L’extension… de Domopolis ? Ben voyons !

    _ Mais si ! Une ville toujours plus grande, jusqu’à ce qu’elle empiète sur la Chose et que celle-ci réagisse, c’est bibi ! Tes idées conservatrices, pareil ! La fermeture des frontières, ta haine à l’égard des étrangers, j’en passe et des meilleurs, toujours maman ! Tu me ressers un verre ? J’ai soif !

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes impayable ! Je ne vous connais même pas, et vous êtes en train de me dire que vous me commandez entièrement ! comme si je n’avais aucun libre-arbitre, ni de personnalité !

    _ Mais bien sûr que si, tu es libre ! Et t’as ton caractère bien à toi ! Ne t’inquiète pas ! Je t’aime comme tu es ! Car sous mon influence, tu aurais pu te comporter très différemment, par exemple en creusant un trou dans le sol… Certains le font… Ou bien tu aurais pu devenir alcoolique ! Hips ! Mais toi, non, tu as beaucoup plus d’envergure ! Avec moi, tu développes toute une politique ! Tu parles de la grandeur des Doms ! comme quoi ils doivent retrouver une puissance perdue ! T’arrêtes pas ! Des projets pharaoniques, t’en as plein ! Des discours, t’en regorges ! Tu écrases même tes adversaires ! Tu les injuries ! Tu appelles l’enfer sur eux ! Tu rêves même de conquêtes guerrières ! Si bien que tu finis par oublier maman ! Snif !

    _ Et comment ! puisque c’est la première fois que je te vois ! Je te tutoies maintenant, vu que tu bois toute ma bouteille !

    _ Tu vois, je te l’ai dit ! Tu m’oublies complètement ! Snif ! Tu brises le coeur d’une mère ! Mais j’en ai vu bien d’autres, tu sais ! Vous me niez tous dans le fond ! Je ne suis pas un atout, ni présentable ! On m’ignore volontiers… et pourtant je réapparais comme je veux ! Hi ! Hi ! Vous ne pouvez pas vous débarrasser de moi !

    _ Je pense que tu as assez bu… et que D 4 va te raccompagner !

    _ D 4 ? Le singe de l’entrée ? Mais, baste, je suis venu te parler de la Chose !

    _ Ah ! Bien, j’ t’écoute et après…

    _ Laisse tomber… Elle est plus forte que toi ! Ce n’est pas toi qui vas dominer la Chose ! Ceux qui la fréquentent sont d’une autre trempe que toi !

    _ Mon Dieu, ça fait dix minutes que je te supporte… et c’est dix minutes de trop !

    _ Mais c’est pour ton bien que j’ dis ça ! La Chose, va falloir que tu t’en accommodes ! C’est pas une mauvaise... chose ! Ouf ! Ouf ! Et comme tu te surmènes, tu s’ras pas complètement perdant ! Faut qu’ t’apprennes à lever le pied ! Hips !

    _ Mais t’es complètement saoule, ma parole ! Allez hop, dehors !

    _ Laisse-moi te dire mon nom, dans ton oreille ! Voilà mon chou, je suis ta peur ! »

  • L' attaque des Doms (56-60)

    R56

     

                 " C'est vous l'architecte? Je suis le capitaine des pompiers!"

                                                          La Tour infernale

     

     

                                        56

         Ratamor et Lapsie sont dans la Chose… Après le rideau miroitant et opaque, ils se sont retrouvés dans un bois aux couleurs automnales… Tout est d’or au-dessus de leur tête, soutenu par des troncs noirs et humides ! Ils marchent sur un épais tapis de feuilles mordorées et amarantes ! « N’était notre mission, fait Lapsie, je trouverais ça merveilleusement beau !

    _ Évidemment, ça tranche avec votre arme !

    _ Vous parlez de ce fusil ? C’est un KK 34 ! Une arme spécialement conçue pour la chasse aux PN ! Elle possède un détecteur d’égoïsme ! Le PN est fixé par un rayon laser et pan ! Il s’écroule ! Il n’y a plus de PN !

    _ Toujours cette obsession ! Vous devriez consulter !

    _ Merci ! Mais la psy, c’est moi ici ! Je sais ce que je fais ! Des siècles de domination masculine, ça s’enlève pas comme ça ! Faut du bon matériel !

    _ Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il y a eu une telle domination masculine… et même pourquoi aujourd’hui elle vous paraît scandaleuse !

    _ Ben, l’homme est un PN, c’est tout ! C’est dans sa nature !

    _ Et l’histoire ? La construction des nations ? Le rôle naturel de l’homme n’est-il pas la défense du territoire ? Les cimetières sont pleins de jeunes hommes, qui sont morts pour que vous puissiez les mépriser à présent !

    _ Qu’est-ce que vous racontez ? La civilisation était déjà bien trop avancée, pour considérer ce rôle animal !

    _ Ah bon ? Vous n’avez pas faim, ni une pulsion sexuelle ou de colère ! L’animal qui est en nous continue de vivre, comme la femme continue d’enfanter ! Par contre, les guerres, pour établir les nations, ne sont plus vraiment nécessaires… Nous sommes à l’ère de la mondialisation et de la communication… et les nouveaux conflits apparaissent désormais tels des anachronismes ! Et c’est pourquoi la domination masculine, ayant apparemment perdu toute utilité, vous semble absurde et injuste !

    _ La femme est l’égale de l’homme ! Elle doit retrouver une place qui lui rend une totale justice !

    _ Mais elle l’a toujours eue ! L’homme obéit quand la femme attend un enfant ! Il n’est plus le maître ! Alors la femme domine entièrement ! Mais il est vrai que la domination masculine a conduit à bien des abus et à des normes qui ne sont plus nécessaires…

    _ Vous voyez, il faut que les choses changent !

    _ Mais comment pourriez-vous être satisfaite, si vous méprisez votre propre rôle ! celui qui vous donne la domination !

    _ Être une femme est plutôt un désavantage, au niveau des salaires, de l’emploi, justement à cause du risque de tomber enceinte !

    _ D’accord, mais le changement ne doit pas passer par le rejet ou la négation du rôle de l’homme ! Votre fusil est de trop !

    _ Alors qu’est-ce que nous faisons là ? Je lutte d’abord contre les violences faites aux femmes ! Voilà pourquoi je chasse le PN ! La Chose n’en contient-elle pas ?

    _ Je ne saurais le dire, mais je suis venu ici avec une autre arme !

    _ Vous voyez, il en faut bien une !

    _ La mienne est très particulière… Il s’agit du Rayon blanc !

    _ C’est quoi ?

    _ C’est un simulateur de grandes surface, de galeries marchandes !

    _ Je comprends pas…

    _ Avez-vous remarqué comme les magasins tendent vers la perfection ! un espace immaculé où le produit est roi ! sans aspérités, sans microbes même !

    _ Un peu comme un hôpital ?

    _ Exactement, le côté morbide en moins ! Le rêve en plus ! En fait, je suis parti de l’idée que chaque particule a son antiparticule…, c’est ce qui fait l’antimatière de la matière ! Or, qu’est-ce qui est le plus opposé à l’univers des magasins que… la Chose ! Regardez autour de vous !

    _ Je vois… La nature contre la civilisation !

    _ Attention, je vais envoyer le Rayon blanc… C’est un concentré de supermarchés, si vous voulez ! »

    Ratamor sort un boîtier et l’actionne… Il y a un éclair et un souffle ! Ratamor et Lapsie sont projetés en arrière, les fesses dans les feuilles morts ! « Whaouh ! s’écrie Ratamor. Fantastique ! Vous avez vu ça ?

    _ Quoi ? qu’on vient de se faire éjectés ?

    _ Oui, car cela veut dire que la Chose contient une énergie qui lui est propre !

    _ Où ça ? Vous voulez dire que là, entre ces arbres, il y aurait quelque chose ! C’est vide pourtant !

    _ Oui, une énergie du vide, une tension, une attente...

    _ Complètement siphonné ! »

                                                                                                      57

    Un homme en a réuni plusieurs autres dans un garage… Comme celui-ci est grand, il y a bien là une quinzaine de personnes ! « Hum, fait l’homme, je vous remercie d’être venus ! Sans doute avez-vous connu mon père l’Escamoteur ! Hélas, il est parti dans la Chose et n’en est pas revenu ! Mais il y est allé en héros, pour combattre la Chose !

    _ Certains disent qu’il s’est marié avec une fleur… Ah ! Ah !

    _ Mais t’es qui, toi ? T’es qui pour critiquer mon père ?

    _ Ah ! Euh ! Excuse, je voulais pas te blesser ! Je fais que rapporter ce qu’on dit, c’est tout !

    _ Ouais, ben, sache que je prends la succession de mon père, par hommage pour lui et que je vais m’appeler l’Embrouilleur ! T’y vois quelque chose à redire ?

    _ Non, non, l’Embrouilleur, c’est bien !

    _ Et qu’est-ce que tu vas faire ? demande un autre.

    _ Je vais remettre les points sur les i, si vous voulez être avec moi ! On se fout de nous et on nous manipule ! Ils prennent des décisions à notre place et ils nous méprisent et ça, nous ne pouvons plus le supporter !

    _ Ouais, ouais, ça, c’est vrai ! font certains.

    _ Ils ? Qui ça : ils ? interroge le même.

    _ Mais ceux qui nous manipulent ! Ceux qui sont aux commandes ! Ceux qui s’ foutent de nous ! Ceux qui sont dans l’ombre et qui tirent les ficelles ! Moi je dis, ça suffit ! Nous ne sommes pas des moutons… ou des paquets de lessive ! Je vaux autant qu’un autre !

    _ Ouais, ouais, ça, c’est vrai ! On n’est pas des moutons ! Faut qu’ ça change ! On va leur en faire voir aux donneurs de leçons !

    _ D’accord l’Embrouilleur, mais on n’est qu’une quinzaine ici ! Comment veux-tu qu’on y arrive ?

    _ Eh ! Eh ! C’est pas pour rien que je m’appelle l’Embrouilleur ! Sachez que j’ai hésité entre l’Embrouilleur et Soleil noir, car je suis le désespoir, la mélancolie, le mépris incarné, le mensonge éhonté, la fissure, la fin des temps !

    _ Tout ça ? Ah ! Ah !

    _ Mais t’es qui toi ? Hein ? T’es qui ? Hein ? Je vais te dire qui tu es ! Je vais te dire qui nous sommes ! Nous ne sommes… rien ! Rien t’entends ! Nous sommes en dessous du microbe sur cette tâche de boue, dans l’espace ! Et non seulement nous sommes en dessous du microbe, mais en plus nous nous complaisons à nous détruire, pour mieux précipiter notre fin ! Il n’y a plus qu’à tirer la chasse d’eau et… à cracher d’ssus ! Voilà ce que tu es ! Moins qu’un étron fugitif !

    _ Ouais, ouais, bien vu l’Embrouilleur ! Il va moins la ramener maintenant !

    _ Il n’y a pas d’ vérités ! Il n’y a pas de camp du bien ou du mal ! Il n’y a que des faits qui se mélangent et qu’on interprète différemment ! La liberté, la justice, la souffrance sont des termes relatifs, qui dépendant des conditions dans lesquelles ils sont énoncés ! Le mensonge n’existe pas ! Il dépend du but !

    _ Ouais, ouais, c’est bon ça !

    _ Je veux casser la bien-pensance ! Je veux briser le pouvoir profond, je veux lui tordre le cou, au nom de la famille et de l’ordre ! Car vous, comme moi, vous voulez la tranquillité dans vos maisons… et que vos femmes y soient heureuses !

    _ Ouais, ouais, on veut plus de pervers ! Ils doivent pas rester chez nous !

    _ Comme je vous comprends ! Et quand on aura fait place nette, que se passera-t-il ? Hein ?

    _ Ben…

    _ Mais on s’installera au pouvoir, bande d’imbéciles ! C’est nous qui tirerons les ficelles ! Il faut saper chaque conscience ! amplifier toutes les fractures ! flatter tous les égoïsmes ! noircir tous les lumières ! allumer tous les abîmes ! enlever tout espoir ! créer le plus grand chaos psychologique jamais connu ! Nous allons surfer sur le plus grand désarroi ! ruiner tout effort de raison ! La vérité, c’est nous, car il n’y en a pas !

    _ Ah ! Ah ! Bravo, l’Embrouilleur ! Un peu qu’on est avec toi !

    _ J’ai pas tout compris, fait quelqu’un. Tu veux de l’ordre et les valeurs familiales, avec le mensonge ?

    _ Le chaos psychologique pour nos ennemis ! La tranquillité et la force pour nous ! Le brouillard sur les faits pour les autres ! La clarté pour nous ! Tous ceux qui nous font obstacle seront brisés, vidés, quand nous nous réjouirons avec nos enfants ! Le rire et le sourire pour nous ; la nuit et la peine pour les autres !

    _ Ah ouais, comme ça c’est clair !

    _ N’est-ce pas ? Et maintenant notre chant ! Je vous passe les paroles et nous allons l’apprendre, car ce sera notre hymne ! Je commence : « Dom, sois fier de toi, car les autres sont nos ennemis ! Vois ta femme et l’enfant et sois heureux, car la vérité est en toi, quand les loups hurlent dehors ! Mensonge, mensonge n’est point Dom ! La lie, la lie est chez les autres ! » Maintenant, tous ensemble : « Dom, Dom, sois… » »

                                                                                                           58

    Ratamor et Lapsie sortent de la Chose et se retrouvent dans un des nombreux quartiers résidentiels de Domopolis… « Je ne comprends pas très bien à quoi a servi notre petite expédition, dans la Chose, fait Lapsie.

    _ Hum, que la Chose possède une énergie du vide ouvre peut-être des perspectives vertigineuses…

    _ Pfff… Mais attendez ! Qu’est-ce que… ? Le détecteur de mon fusil signale un égoïsme anormalement élevé ! Autrement dit, il y a un PN dans le coin !

    _ Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ?

    _ Voyez vous-même ! Le voyant de mon KK 34 clignote ! Bon sang, professeur, il y a un fumier tout près !

    _ Et qu’est-ce que vous allez faire ? L’abattre ?

    _ Je vais me gêner ! J’ai un permis spécial pour ça, vous savez !

    _ Oui, bon, mais tant que je serai avec vous, pas de massacre !

    _ Il approche ! Il approche ! On va le croiser ! Il doit être dans la rue transversale ! Attention, professeur, ça va dégommer !

    _ Bon sang ! Baisser ce fusil ! Il y a des gens qui nous regardent !

    _ Il est là ! Il arrive ! »

    Un adolescent apparaît au coin de la rue… Ratamor dans un réflexe détourne le fusil de Lapsie et le coup part en l’air ! « M… ! crie Lapsie. Vous êtes dingue, le prof ! Il nous échappe maintenant ! » En effet, l’ado n’est plus là… « Et c’est tant mieux ! rétorque Ratamor. Vous alliez tuer un enfant ! Un enfant Dom de surcroît ! Je vous ai évité le pire !

    _ Mon fusil ne me trompe jamais ! »

    Soudain l’ado se dresse devant eux et il mesure bien dix mètres de haut ! « Mais qu’est-ce… ? s’écrie Ratamor.

    _ Le PN dans toute sa splendeur ! répond Lapise. Si vous m’aviez laissé tirer, on n’en serait pas là ! Maintenant, il est dans toute sa force ! »

    L’ado les regarde avec mépris et comble de l’horreur, à cette hauteur, il semble en érection, ce qui amplifie sa puissance, la soumission qu’il a l’air d’exiger ! Ratamor est en sueur, à cause de la pression qu’il subit, de son angoisse ! Il est oppressé comme jamais et quand l’ado lève le pied, visiblement pour l’écraser, il crie à Lapsie : « Mais bon Dieu, tirez ! Qu’est-ce que vous attendez ! Tuez-moi ce monstre !

    _ On tâche, professeur, on tâche ! »

    Lapsie presse en effet la gâchette de son KK 34 et l’arme envoie son petit obus ! L’ado est touché, mais sa fureur n’en est que plus grande ! Il serre le poing et va frapper Lapsie ! La haine brûle ses yeux, mais des gens subitement sortent du Tube, le transport en commun de Domopolis, et se dispersent dans la rue, jusqu’à passer entre l’ado et Lapsie, ce qui fige la situation !

    « Mais… mais il ne le voit pas ! marmonne Ratamor surpris.

    _ Faut croire que non…

    _ Comment est-ce possible ? »

    Entre-temps, l’ado se « dégonfle », il retrouve sa taille normale et finalement s’en va, non sans montrer le poing, pour signifier qu’il y aura une suite ! Sa blessure apparemment ne le gêne nullement, à croire qu’il a seulement été touché dans son amour-propre !

    « Vous êtes sûre de votre arme ? interroge Ratamor.

    _ Tout a fait sûre ! Mais, évidemment, elle est surtout efficace quand le PN n’a pas encore effectué sa transformation ! Dès qu’il est alerté, il augmente de volume, comme vous avez pu le voir !

    _ Et son érection, mon Dieu !

    _ C’est parce qu’il veut une totale soumission ! Pourquoi croyez-vous qu’il soit narcissique ?

    _ Mais… mais pourquoi avons-nous été les seuls à le voir ?

    _ Je pense que l’ont peut mettre ça sur le compte du fait qu’on est un PN ou pas !

    _ Attendez… Vous êtes en train de me dire que si on est un PN, on ne voit pas les autres PN !

    _ Oui, c’est mon hypothèse ! Même si on est un petit PN et qu’on ne fait pas vraiment réagir mon fusil, on ne voit pas les autres PN ! On a suffisamment d’égoïsme, pour être aveugle !

    _ En effet, ce serait une explication…

    _ Donc, pour mieux voir les PN, il faut s’affranchir de son narcissisme ! »

                                                                                                             59

    Les Doms, qui jamais ne manquent d’idées, ont installé dans Domopolis des robots Doms, qui servent de bornes de renseignement ! « Bonjour robot Dom, dit Piccolo.

    _ Bonjour, posez votre question ! »

    Ce robot Dom est un pharmacien… Il est bien dégarni, mince et dégageant un air de propreté, qui sied à sa spécialité ! « Si j’utilise le médicament Rax, il est meilleur que le médicament Pox ?

    _ Ah ouais ! Comme j’ suis content que tu m’ poses cette question ! Car j’ connais le sujet sur le bout des doigts ! Attends, c’est trop de plaisir de te répondre ! »

    Le robot prend un air avantageux ! Il remonte ses manches, sur des bras velus, ce qui augmente son allure sportive ! Il a l’air tout à son affaire ! « Eh ! Mais faut que j’ te raconte toute l’histoire ! Car c’est tout un ensemble auquel tu t’attaques ! T’as pas une réponse ! Mais des dizaines ! Y a plein de domaines qui sont concernés ! Voyons voir… T’as d’abord l’environnement ! On pense jamais assez à l’environnement, alors que c’est super important ! L’hygiène de vie… L’alimentation ! Est-ce qu’on utilise un masque pour passer l’aspirateur ? Faut filtrer son eau ! Et bien sûr, faire de l’exercice ! No sédentarité ! Ah ! Ah !

    _ J’ai entendu parler d’une loi…

    _ Il n’y a pas de lois ! Y a qu’une réponse globale !

    _ Mais Rax est différent de Pox...

    _ C’est plutôt l’inverse !

    _ Quand tu parles, on dirait que tu lis un dépliant !

    _ Attention, attention, degré malsain de communication ! Ma domination est menacée ! Veuillez écouter, s’il vous plaît ! J’essaie seulement d’aider !

    _ Ok ! J’ t’écoute !

    _ Comme je le disais, il y a peu, avant d’être interrompu, et j’ai pris sur moi, c’est tout un ensemble ! Bien sûr, il y a l’environnement…, les habitudes alimentaires, les exercices… et après, alors, on peut considérer Rax ou Pox, qui ont des effets différents !

    _ Il y a quand même la règle des trois jours !

    _ Tut ! Tut ! Ne me contrariez, s’il vous plaît ! Tut ! Tut ! Température en hausse ! Tut ! Tut ! Circuit 78 YH àà I défectueux ! Risque de panne !

    _ OK ! OK ! Du calme !

    _ Réponse globale !

    _ Oui, oui… Bien sûr !

    _ Il n’y a pas de règles !

    _ Non, non, je voulais te donner une info ! On a tous à apprendre...

    _ Trop tard ! Tut ! Tut ! »

    Soudain le visage du robot s’ouvre et laisse voir un véritable Dom, qui se précipite contre les barreaux le maintenant prisonnier ! « Bon sang ! crie-t-il. Sortez-moi de là ! Je suis enfermé ici !

    _ Aouh ! Euh..., je veux bien vous aider, mais je n’ai pas la clé !

    _ Ils vont revenir ! Ils sont déjà alertés ! Je vous en supplie, trouvez une solution !

    _ Mais qui sont-ils ? Ce sont eux qui ont la clé…

    _ Mais eux, c’est tout le monde ! Moi, y compris !

    _ Vous vous êtes mis vous-même en prison ?

    _ Oui, non ! Enfin, c’est compliqué ! Ne me laissez pas ! Je vous en prie ! »

    A cet instant, un jet désintégrant est projeté sur l’individu et il disparaît progressivement ! « Non, non! », son cri résonne encore à l’oreille de Piccolo, mais le visage du robot s’est refermé ! Piccolo aurait-il rêvé ? Le robot reprend : « Où en étais-je ? Ah oui ! C’est tout un ensemble ! Voilà, il y a plusieurs domaines, qu’il faut traiter en parallèle !

    _ Bien sûr !

    _ Content d’avoir pu vous donner satisfaction ! On aura peut-être même un peu de beau temps aujourd’hui !

    _ Oui, oui, en tout cas, je vous remercie !

    _ C’est tout naturel je suis là pour ça ! Madame, bonjour ! »

    Une autre personne prend la place de Piccolo, qui s’éloigne… Il a eu chaud : à un moment il a cru que le robot allait exploser ! Et le pauvre type à l’intérieur ? Bah, maintenant, il est désintégré ! Piccolo commence à siffloter : « Il a raison le robot, voilà l’ soleil ! »

                                                                                                                   60

    Paschic est dans un drôle de pétrin ! Il voulait rejoindre le secteur C, troisième quadrant de Cassiopée, quand le vaisseau a fait escale sur la planète de la reine Divnia ! Jusque-là rien d’anormal, mais Paschic a profité de son temps libre pour visiter le marché et c’est là que les problèmes ont commencé !

    En effet, la reine Divnia s’adonne à une étrange pratique, car pour trouver des amants, elle se déguise en commerçante et tient une échoppe ! Ainsi, les hommes qu’elles arrivent à séduire ne sont pas impressionnés par son statut et se montrent d’autant plus fougueux ! Lorsqu’elle voit arriver Paschic, la reine est saisie par sa prestance, cet air dégagé, qui semble se moquer de tout ! « En voilà un qui est au-dessus du lot ! se dit-elle. Je le veux ! Il est pour moi ! »

    Derrière son comptoir, elle fait des mines… Elle met en valeur ses courbes, la grosseur de ses seins, bien galbés, son épaisse chevelure couleur fauve, cette expression quelque peu sauvage de femme en détresse et qui demande de l’attention ! Évidemment, Paschic n’y reste pas insensible et il se rapproche, sourit, examine les produits… et joue avec le feu ! A cet instant, la reine lui découche un regard à percer un mur, qui promet des plaisirs sans fin et il en a la gorge sèche ! Il se dégage de la reine une sensualité puissante, qui rend vain et même horrible toute solitude ! Pourquoi y résister ?

    Mais Paschic connaît la Chose et l’aime plus que tout ! Grâce à elle, il a appris à garder la tête froide, puisque, les plaisirs passés, que reste-t-il ? Le plus souvent une Dom bien égoïste, décevante, étroite et pour ne pas la blesser, Paschic s’est déjà condamné aux mensonges et à l’ennui ! De cela, il ne veut plus maintenant, d’autant qu’il a appris à lire dans les âmes ! Certes, la femme ne demande qu’à aimer, qu’à donner et elle fera tout pour plaire à celui qu’elle aime ! C’est là sa grande générosité native, mais Paschic ne vit pas vraiment dans la société : il appartient en toute liberté à la Chose ! Paschic ne croit pas à un dixième de ce que croient les Doms et comment alors pourrait-il être sociable, élever un enfant, assurer la subsistance de sa famille, chercher à gagner plus, à avoir une promotion, se montrer fier auprès de sa femme de leur réussite ?

    Pour la femme, l’intérieur, les enfants, le « nid » sont importants et c’est ce qui fait qu’elle est plus douce, naturellement protectrice et maternelle ! L’homme, lui, est un rustre, bon pour la guerre et cracher par terre ! Donc, Paschic ne va pas plus loin, remercie gentiment la reine (la marchande) et va voir plus loin… Soudain, des voyous lui sautent dessus, mettent sa tête dans un sac, avant de l’assommer proprement !

    Bien plus tard, le réveil est douloureux et… surprenant, car voilà Paschic dans la salle d’un palais ! « Enfin, tu te réveilles ! fait la reine en s’approchant. Tu me reconnais ?

    _ Oui, bien sûr, qui pourrait t’oublier ? Tu es la marchande !

    _ Je suis aussi la reine de cette planète !

    _ Ah ?

    _ Oui, ah ? Et ce que je ne supporte pas du tout, c’est qu’on me résiste ! Quand je veux une chose, je l’obtiens !

    _ Oh ! Je n’en doute pas ! Mais c’est peut-être pour ça que j’ai été rebuté !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Cherche pas ! Je suppose que mon vaisseau est déjà parti ?

    _ Exactement ! Tu es entièrement en mon pouvoir ! Et je vais te faire souffrir, comme tu n’en as aucune idée ! »

    La reine enlève sa cape et montre un corps à couper le souffle ! Paschic, qui est enchaîné, ne peut qu’admirer ! Les seins ne sont pas dévoilés et pourtant ils semblent deux fontaines, prêtes à jaillir ! La peau est satinée, ambrée, sans défauts ! Les cuisses musclées sont libres jusqu’à la taille ! On dirait des jambes de gazelle nerveuse ! Une légère peau tombante masque le sexe et la croupe ! Le nombril et le ventre son découverts et Paschic maintenant voudrait leur offrir une pluie de baisers ! « Tu fais moins le fier à présent ! dit la reine. Comme tous les hommes ! »

    Paschic ne répond rien, il en est incapable, il est pris par la mer du désir et sans doute que la fatigue y est pour quelque chose ! La reine s’approche brûlante… Sa peau miroite, comme une plage de délices… La bouche cerise murmure tout près : « Ne suis-je pas belle ?

    _ Si !

    _ Tu me veux ? Tu me veux toute ?

    _ Oui, répond Paschic faiblement, à bout de forces ! »

    C’est à ce moment que la reine le frappe d’une cravache ! « Voilà comment je traite mes esclaves ! jette la reine. Tu croyais pouvoir me résister, hein ? Ah ! Ah ! » Paschic abasourdi baisse la tête ! Sûr il file un mauvais coton !

  • L' attaque des Doms (51-55)

    R55

     

     

                    "Papa, je suis enceinte!

                     _ Oui, oui, mais tu n'es pas la première à qui ça arrive!"

                                                           Flic ou voyou

     

                                       51

    Au camp 5, ça ne rigole pas ! La rééducation des Doms émeraude ne s’arrête pas et ce matin, alors que la brume plane sur les champs alentour, un nouvel instructeur s’adresse à sa section ! C’est un personnage sec, de haute taille, en uniforme ! un vrai militaire, avec le béret bien pendant sur le côté de la tête ! D’une voix métallique, il crie : « Je suis le colonel Retraite ! On m’a demandé de vous remettre dans le droit chemin, vous, les Doms émeraude ! La Chose, apparemment, vous a tourneboulés, de sorte que vous n’avez plus le sens des réalités ! Ce n’est pas à moi de juger si votre égarement est feint ou pas, d’autant que votre changement physique ne peut être nié, mais je veux des résultats ! Je veux que vous sortiez d’ici, de nouveau en citoyens responsables ! Est-ce que c’est clair ? »

    Personne ne répond dans le rang des Doms émeraude… D’ailleurs, ils ont une attitude bizarre : ils semblent apathiques, lointains ! Ils regardent droit devant, mais leurs yeux demeurent vagues, ce qui met mal à l’aise ! On ne sait ce qu’ils pensent, qu’ils soient petits, gros ou forts ! Le colonel Retraite se dit que la partie n’est pas gagnée… « Bon, fait-il, je n’ai qu’un principe, mais il est bon ! « Tu cotises et t’as ta retraite ! Autrement dit, tu travailles, tu cotises et tu bénéficies de ta retraite ! Sinon qu’est-ce qui se passe ? Vous avez un jour soixante-dix ans, vous êtes devenu trop vieux pour bosser, votre santé est de plus en plus mauvaise et là, l’horreur ! Vous n’avez pas assez cotisé, vous n’avez pas assez travaillé et vous n’avez plus rien pour vivre ! Comment vous faites ? Je vous vois d’ici sur des cartons, tendant la main, perclus de douleurs ! Je vous vois tête basse, dans des vêtements sales, faisant la queue à la Soupe populaire ! Quelle humiliation ! Quelle peine ! Mais à qui la faute ? C’est votre paresse qui a vous aura menés à ce triste sort ! »

    Le colonel s’attendait à voir de l’effroi sur les visages, mais ceux-ci restent toujours aussi nébuleux ! « Bon sang ! Où sont -ils ? se demande nerveusement le colonel. Bon toi, tu sors du rang et tu viens ici ! » Un Dom massif se déplace lentement vers le colonel… « Tu pèses combien ? lui dit le colonel. Sûrement plus de cent kilos ! Comment tu vas nourrir cette carcasse, si t’as pas de retraite ? Bon, je joue la pauvreté et j’ t’attaque ! Qu’est-ce tu fais ? »

    Le Dom émeraude fixe la brume derrière le colonel… « On dirait les cheveux de quelque vieux…, finit-il par dire, d’une voix rêveuse.

    _ Hein ?

    _ La brume, elle me fait penser à l’oubli… En tout cas, elle m’évoque la paix…

    _ Mais t’es complètement barge ! réplique Retraite, en essayant vainement de sonder les yeux verts, qui lui font face. On parle chiffres, de cotisations, du réel, Toto ! Abandonne tes vapeurs !

    _ A quoi bon le réel, si je ne suis pas heureux ? A quoi sert la retraite, si je suis malheureux ?

    _ Mais justement la retraite est là pour t’éviter le besoin ! Tu pourras voyager et admirer toutes les brumes que tu veux !

    _ Et l’herbe gonflée d’eau, sous la brume… Le silence…

    _ C’est pas vrai ! De l’herbe maintenant ? Qu’est-ce que tu veux ? La brouter ? Ah ! Ah ! Et le silence ? Je te jure que si tu continues à jouer les imbéciles, je vais mal te noter ! T’es pas prêt de sortir du camp !

    _ Tu sais que je la vois…

    _ Hein ? Tu vois quoi ?

    _ Dans la brume, je vois la mort… C’est elle qui fait la vie un grand mystère !

    _ Ouais, vaut mieux ne pas en parler ! C’est normal qu’elle te fasse peur !

    _ Je n’en ai pas peur… Je lui ai donné un sens…

    _ Eh bien, tant mieux pour toi ! Chacun est libre !

    _ Le sens est dans la brume… et l’herbe mouillée…

    _ La vache ! J’ suis tombé sur un bon !

    _ Le silence enseigne, repose…

    _ Et ta cotisation ?

    _ C’est mon travail…

    _ Quoi ? Quel est ton travail ?

    _ Le sens, c’est ma retraite ; c’est mon assurance !

    _ Mais de quoi tu parles ? Sois au moins cohérent !

    _ Je travaille, en aimant l’herbe mouillée et la brume… et le silence…

    _ T’es complètement paumé ! Va, retourne à ta place !

    _ C’est mon trésor ! »

                                                                                                          52

    Le vaisseau de la Machine, cette alliée, on le rappelle, de Dominator, se trouve devant un phénomène extraordinaire ! Toutes les alarmes à bord sont déclenchées et la Machine, toujours dans son armure et toujours furieuse, s’emporte un peu plus ! « Mais bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ? crie-t-elle. Qui ose arrêter mon vaisseau de cinquante kilomètres de long ? »

    A cet instant, chacun découvre ce qui gêne et est figé par la stupeur ! En plein espace flottent deux colonnes, couvertes de végétation et qui sont si grandes qu’elles font paraître le vaisseau ridiculement petit ! « On dirait l’entrée d’un temple ! fait Tautonus, le mari de la Machine.

    _ Impossible ! rétorque la Machine. Bon, on s’échappe d’ici, car j’ai bien d’autres choses à faire !

    _ C’est trop tard ! Nous sommes engagés ! »

    En effet, le vaisseau subit une attraction et il passe malgré lui entre les deux colonnes ! La tension est à son comble chez la Machine et son équipage ! Elle ordonne : « Allumez les projecteurs ! On n’y voit rien dans ce bazar ! » Il est vrai que les étoiles ne brillent plus et les puissantes lumières du vaisseau se mettent à fouiller les ténèbres ! « On dirait des arbres ! lâche Tautonus, en regardant des fûts éclairés. Des arbres gigantesques !

    _ C’est sinistre, oui ! réplique la Machine. Comment on va sortir de là ? 

    _ C’est vraiment comme dans un temple ! reprend Tautonus. Là-haut, il y a des lueurs colorées, qui rappellent les vitraux ! 

    _ Cherchez une sortie ! Moi, tout ça m’oppresse !

    _ Et ici, nous avons les candélabres ! Du houx qui s’illumine ! Incroyable !

    _ Bon sang, comment pouvez-vous vous extasier, alors qu’on est sans doute tombé dans un piège ?

    _ Calmez-vous, voyons… Il nous faut essayer de comprendre de quoi il s’agit…

    _ La température est en baisse ! lance quelqu’un.

    _ C’est vrai, on a froid ! approuve la Machine. Augmentez le chauffage ! On se croirait dans un caveau !

    _ Des aiguilles de conifères, chargés de diamants… Là, sur votre droite… Des tapis rougeâtres… Je pourrais presque sentir la résine !

    _ Vous voilà poète, maintenant ! Il n’y a qu’une seule manière de revoir l’extérieur, c’est de bombarder tout ça, avec les canons à neutrons !

    _ Mais voyons, vous n’y pensez pas ! Quelle pourrait être la réaction de cet environnement ? Il y a un message ici…. C’est le témoignage d’une intelligence !

    _ Peut-être, mais j’étouffe ! Ce n’est pas mon monde ! J’ai besoin d’air ! de ma vie, de mes projets ! Chargez les canons et qu’on soit prêt à faire feu !

    _ Chargement 50 %, annonce-t-on.

    _ Je vous conjure de faire preuve de patience ! dit Tautonus.

    _ Chargement 75 % !

    _ Ne me donnez pas de leçons ! réplique la Machine. C’est moi qui commande ce vaisseau !

    _ Canons chargés !

    _ Feu ! »

    Des bombes sont envoyées dans toutes les directions et elles explosent, mais elles n’ébranlent en rien la majesté du lieu ! « Il semblerait que nos canons soient inefficaces ! dit Tautonus.

    _ C’est pas vrai ! Mais c’est pas vrai ! J’en ai marre ! Mais qu’est-ce que j’en ai marre ! fulmine la Machine.

    _ Il nous faut reprendre l’étude de tout ceci… Il doit y avoir un code…

    _ Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter pareille situation ! gémit la Machine. Je me suis tout le temps crevé à la tâche !

    _ Navette repérée à dix heures !

    _ Hein ? Branchez les haut-parleurs !

    _ La, la, la… Ouh, comme c’est beau !

    _ Ici la Machine ! Qui chante dans la navette ?

    _ C’est toi, la Machine ? Tu ne me reconnais pas ?

    _ Pas… Paschic, c’est bien toi ?

    _ Affirmatif !

    _ Mais comment tu peux chanter dans cette tombe ? Et aide-nous à partir d’ici !

    _ Va te faire voir, la Machine !

    _ Pas… Paschic ! Je te tuerai ! Je t’étranglerai ! »

                                                                                                         53

    « Il y a un pauvre bougre qui voudrait vous parler ! dit D 4 à Dominator.

    _ Et depuis quand je devrais m’occuper des pauvres bougres ? demande Dominator, en soufflant la fumée de son cigare.

    _ D’après lui, il a un message de la plus haute importance, au sujet de la Chose !

    _ Et bien qu’il vous le dise… et vous me le transmettrez !

    _ Il affirme que c’est tellement énorme que vous seul devez l’entendre !

    _ Encore un fou, un illuminé ! coupe Ratamor, aussi présent.

    _ Pfff ! Bon, faites entrer… On va quand même l’écouter ce pauvre bougre ! »

    Un Dom penaud, sa casquette à la main, fait son apparition… Il cligne des yeux et s’avance lentement, puis il bute contre quelque chose : « Eh ! s’écrie-t-il. Mais qu’est-ce que… ?

    _ C’est un de nos collaborateurs, explique Dominator, monsieur Nuit le promoteur… Il a été transformé en escargot par la Chose… Mais laissez tomber, venons-en au fait !

    _ Mais… mais c’est dégoûtant ! ne peut s’empêcher de dire le Dom.

    _ Sûr ! Mais on ne peut quand même pas le mettre dehors… N’importe qui pourrait l’écraser ! Mais vous savez quelque chose d’énorme sur la Chose, paraît-il ?

    _ Oui, monsieur Dominator… Hier, j’étais dans la rue et la Chose m’a… parlé !

    _ Vraiment ?

    _ Oui, elle m’est d’abord apparue dans des arbres, dans leurs feuillages… Ils commencent à s’oranger, avec l’automne, et ils s’agitaient plein de pluie, sous l’effet du vent ! On eût dit des topazes ou de l’ambre ! Enfin, j’ai entendu une voix qui disait : « Je suis la Chose ! »

    _ Une voix ?

    _ Oui, mais je n’ai pas fini… Plus loin, en remontant la rue, j’ai subi une averse épouvantable, de sorte que je me suis protégé sous un porche… et la pluie tombait si drue qu’elle faisait comme des vagues blanches, sur l’asphalte ! Elle crépitait sur des poubelles et c’était de joyeuses petites explosions ! Puis, soudain, des morceaux de bois ont glissé, emportés par l’eau, tels des navires et j’ai de nouveau entendu la voix, qui disait : « Je suis la Chose ! »

    _ Eh ben !

    _ Oui et il y a eu une troisième fois… devant l’église…, où des flaques s’étaient formées ! Elles reflétaient le beau bleu du ciel et le vert alentour ! A cet instant, j’ai eu l’illumination !

    _ Encore la voix ?

    _ Non, cette fois-ci, c’est moi qui ai compris tout seul !

    _ Ah bon ? Et qu’est-ce que vous avez compris ?

    _ Mais que la Chose est partout ! que nous sommes dans la Chose ! que ce n’est pas Domopolis qui est vraiment importante ou réelle, mais la Chose ! Nous nous agitons en elle, alors qu’elle demeure sereine !

    _ Évidemment, c’est un point de vue ! déclare Dominator, après un silence. Vous avez eu une expérience personnelle… très riche !

    _ Vous ne me croyez pas ?

    _ Si ! Je crois que vous êtes absolument sincère ! Malheureusement, vous nous racontez votre impression et elle est le fruit de votre psychisme ! Nous autres, nous voyons la Chose tout à fait différemment…, notamment le professeur Ratamor, qui représente ici la science !

    _ Mais je croyais que mon message allait vous donner de la joie !

    _ Ah bon ?

    _ Mais oui, n’est-ce pas rassurant de nous savoir dans la Chose, ce qui veut dire qu’elle s’occupe de nous ?

    _ C’est vous qui le dites ! coupe Ratamor. Dans votre bouche, il est évident que la Chose est subjective !

    _ Sub… jective ? Bien sûr, j’aurais dû y penser ! Mon témoignage ne compte pas, c’est ça ?

    _ Mais si, mais si, rectifie Ratamor, et nous vous en remercions ! Nous allons voir ce qu’on peut en faire, croyez-moi !

    _ Bien, bien, merci ! dit le Dom, avant de s’en aller.

    _ Vous n’auriez pas dû lui parler comme ça ! souligne Dominator au professeur. C’est un pauvre bougre, mais il est bon qu’ils aient confiance en moi !

    _ Sans doute, mais quelles élucubrations ! « Je suis la Chose ! Je suis la Chose ! » dit la voix !

    _ Vous ne devriez pas vous mettre en colère, d’autant que jusqu’à présent vous ne nous avez pas beaucoup aidés ! »

                                                                                                        54

    « Comment ? Je ne vous ai pas aidé ?

    _ Pas vraiment, non… La Chose est toujours là, si je ne m’abuse !

    _ Elle est toujours là ! Elle est toujours là ! Je vous ai dit que c’était du flanc !

    _ Du flanc qui bouge pas et que vous êtes incapable de faire disparaître ! C’est pourquoi je vous adjoins une psychologue... Elle sera chargée de vous motiver, d’obtenir de vous de meilleurs résultats !

    _ Quoi ?

    _ Elle sera votre esprit critique !

    _ Et qui est l’heureuse élue ?

    _ Une certaine Lapsie ! Vous la connaissez, je crois…

    _ Si je la connais ? Mais c’est mon cauchemar ! Cette femme est à demi-folle !

    _ Et vous, vous n’êtes qu’un sale PN ! jette Lapsie en pénétrant dans le bureau.

    _ Un PN ? demande Dominator.

    _ Un pervers narcissique ! répond Lapsie. Un affreux pervers narcissique ! Je suis avant tout une chasseuse de PN, Dominator.

    _ Mon Dieu, mais c’est obsessionnel chez elle ! coupe Ratamor. Vous ne pouvez pas me coller ce… monstre, Dominator !

    _ Si ! Vous deux, vous allez faire des étincelles ! vous stimuler mutuellement ! Un vrai duo de choc, contre la Chose !

    _ Monsieur, il y a là votre biographe ! annonce D 4 .

    _ Déjà ? Faites entrer !

    _ Ah ! Môssieur Dominator, quelle joie de vous revoooiiirrr ! fait le biographe.

    _ Mes amis, dit Dominator à Ratamor et Lapsie, je vous présente mon biographe… ou plutôt mon historien : Propagandia !

    _ Jêê souisss enchanté de rencontrer les amis de Dominator ! lance Propagandia.

    _ Propagandia et moi, explique Dominator, nous établissons un livre d’histoire pour les générations futures… Il s’agit que tout le monde comprenne mon œuvre, mon rôle de bienfaiteur !

    _ Ouuui ! fait Propgandia. A ce sooouuujet, j’ai quelques points difficiles à traîîter !

    _ Ah bon ? Et quels sont-ils ?

    _ Peut-on parler en touuute liiiberté ?

    _ Mais oui, allez-y ! Je n’ai de toute façon rien à cacher !

    _ Eh bien, il y a quelques années, vous avez fait dépooorter des milliers de personnes, qui n’étaient pas d’accord avec voous…

    _ C’est exact ! Mais vous écrirez qu’un pouvoir fort exige bien des sacrifices ! Ces déportations étaient nécessaires !

    _ Mais oouuui, bien sûr ! Vous avez aussi affamé des populationnnnees !

    _ Même chose, la nécessité ! C’est le prix à payer pour un pays stable !

    _ Ah ! D’accord ! J’écrirai tout ça !

    _ C’est pour ça que je vous paye !

    _ Vouuuus avez aussi supprimé tous vos opposants et pactisé avec des faaasccchiiistes !

    _ On voulait me détruire ! J’ai fait au mieux pour survivre ! Mon image et notre histoire doivent être positives ! Gardez-ça à l’esprit ! Sinon, c’est la démocratie, la liberté d’opinion, bref c’est le bordel, la décadence ! De la rigueur, de l’ordre, avec l’aide de Dieu !

    _ Oui, oui, Dieu est avec nous ! La vérité aussi ! Et j’ai d’ailleurs une petite surprise pour voous !

    _ Ah bon ? Propagandia, vous me flattez ! J’adore les surprises !

    _ Oh ! Ce n’est qu’une touuute pettiiite chose ! oune Chrorale qui chante pour vous ! Peut-elle entrer ?

    _ Des enfants ? Des enfants qui chantent pour moi ! Mais oui, je brûle de les entendre ! »

    Des enfants endimanchés se rangent devant Dominator et sous la direction de Propagandia, ils commencent à chanter : « Oh ! Oncle Domi, nous sommes prêts à défendre le pays ! Nous sommes prêts à mourir pour toi, si on menace notre toit ! Nous savons manier le fusil et tout ce qui est utile, pour tuer l’ennemi ! Ainsi mourra celui qui le nie ! Oh ! Oncle Domi, tu n’as pas plus fidèles amis ! Que nous les enfants soldats, car la patrie est notre dada, da, da ! »

    « Bravisssimo, les enfants ! fait Propagandia, en applaudissant. N’est-ce pas qu’ils sont charmants ?

    _ Mais ils sont divins, vous voulez dire ! objecte Dominator. Hein ? Ratamor et Lapsie, ne les avez-vous pas trouvés touchants ?

    _ Si, si… répond du bout des lèvres Ratamor.

    _ Il n’aime que lui de toute façon ! » jette Lapsie.

                                                                                                              55

    Zorm glisse dans l’espace sur sa feuille de lumière ! Comment a-t-il découvert ce moyen de locomotion ? Pressé par les Doms, il s’était réfugié dans un bois et avait découvert « l’engin » ! La feuille, illuminée car son énergie est la lumière, flottait dans une clairière et Zorm avait grimpé dessus ! Il avait dû apprendre à la manœuvrer et maintenant il la fait aller, où il veut ! Ainsi, il échappe aux Doms !

    Ceux-ci, d’abord enragés, ont trouvé une parade ! Ils ont remarqué que la peur peut elle aussi servir d’énergie, en ce sens qu’elle développe la domination, l’essence même des Doms ! Et ils ont construit l’Hydre  ! C’est une « machine » avec des têtes violentes, haineuses ou au contraire glacées et cruelles et qui cherchent à dévorer l’espace et tout ce qui n’est pas elles ! Son principe est celui des Doms, à savoir que tant qu’on domine, on garde l’équilibre !

    Comme l’Hydre ne guérit pas de sa peur, son énergie semble inépuisable, comme sa capacité à vaincre et détruire ! Les têtes se dressent dans le ciel, sournoises, méprisantes ou pleines de fureur, essayant de déchirer à belles dents leurs adversaires ! Des pinces travaillent au niveau du sol, cisaillant les pauvres gens, tandis que « là-haut », ça hurle, fume, abrutit !

    Zorm est parfois surpris par une tête qui jaillit, mais il reste vaillant sur sa feuille, n’en perdant pas le contrôle ! Non, ce qui désespère le plus Zorm, c’est l’état de ce qui est en dessous, des populations et des pays ! En effet, l’Hydre crée des guerres, dévaste les régions, fait fuir les habitants, ou encore fracture les consciences, traîne dans la boue la vérité, rend fou, propage la haine ! Les Doms en sont eux-mêmes les victimes, car leur création leur échappe ! Ils n’en sont plus les maîtres ! Elle a sa vie propre et écrase qui elle veut ! On pleure à ses pieds ! On gémit, on désespère, on se tue dans son ombre ! Mais l’Hydre n’est pas programmée pour avoir de la pitié !

    Soudain une tête hurlante poursuit Zorm ! Il accélère sur sa feuille vers une forêt, laissant un sillage lumineux parmi les troncs ! Mais la tête est tenace, féroce et elle s’étend, tel un serpent, derrière Zorm ! Mais on est là dans un lieu qui n’est pas le sien ! On n’est pas dans le bouillonnement de Domopolis, où les Doms s’appuient les uns sur les autres ! Ici, l’espace n’est plus leur esclave, leur terrain de jeu ! Ici, il y a plus grand que le Dom, plus beau aussi ! Ici, on entre dans le temple de la beauté !

    Et le silence bientôt entoure la tête hurlante, d’autant qu’elle ne voit plus sa proie et que son élan diminue ! Elle regarde autour d’elle et comme ce qu’elle voit la trouble, l’inquiète ! Les grands arbres moussus semblent muets, comme des gardiens qui la jugeraient ! L’ombre leur donne encore plus de grandeur, de solennité ! Le sol est humide, doux, reposant… Quelques gouttes tombent comme si le temps ralentissait !

    Dans une flaque, des feuilles oranges font des marqueteries resplendissantes et pourtant atténuées par une légère boue ! Tout ici invite à la paix et console, tel un baume d’humidité, de fraîcheur ! Tout ici n’est que merveilles et travail lent ! Où sont les rages de la ville ? Où est son activité incessante, voisine de la folie ? Où est son absurdité ? Ah ! Mais il ne faut pas avoir peur du temple ! Celui qui vit pour sa domination en a horreur, bien qu’il se plaigne de ses propres inquiétudes ! Il en a horreur, car il faudrait qu’il abandonne les délices de son amour-propre, le sentiment de sa supériorité ! Cela n’a rien à voir avec une réalité plus urgente, qui est celle de la nécessité de gagner sa vie ! Le calme existe, mais on n’en veut pas ! On préfère le sang et la fureur, ce qui veut dire écraser son ennemi !

    La tête hurlante finit par s’épuiser… Sa peur elle-même s’éteint, car la majesté du lieu agit ! La tête se couche et souffle à même le sol glaiseux… Zorm s’approche… « Alors la tête, dit-il, qu’est-ce qui se passe ? Tu ne veux plus me tuer ?

    _ Non, laisse-moi, je suis si fatigué…

    _ Je comprends… Pour la première fois, tu te reposes…

    _ Je voudrais… Je voudrais rien…

    _ Ici, en effet, on ne veut rien ! On regarde, on contemple, c’est tout !

    _ Mais c’est vide, non ?

    _ Ah bon ? Ne sens-tu pas une paix, une attente ?

    _ Je vais fermer les yeux…

    _ Ferme… La magie commence ! »

  • L' attaque des Doms (46-50)

    R54

     

               "Ils n'ont pas besoin de Dieu..."

                                          The Stalker

     

     

                                                46

    Le duc de l’Emploi trie des vêtements, au camp 5… Un autre prisonnier est à côté de lui, qui lui demande : « Pourquoi t’es là ?

    _ Oh ! Moi, c’est une erreur judiciaire ! Je suis le duc de l’Emploi, alors tu comprends que je n’ai rien à faire ici !

    _ Mais t’as quand même les yeux verts ! T’es donc un Dom émeraude !

    _ Mais non ! C’est… la Chose qui s’est foutu de moi et qui m’a transformé comme ça ! Mais j’suis du côté de la conso ! La société, telle qu’elle est, est mon amie ! C’est en grande partie moi, qui l’ai créée !

    _ Un conseil : ne la ramène pas trop ici sur ton innocence ! Les gardiens, ils aiment pas ça et ça les excite !

    _ C’est pourtant la stricte vérité ! Et toi, pourquoi t’es ici ?

    _ Oh moi, un coup de blues ! J’ sais pas ! Le monde m’est apparu insipide tout d’un coup ! J’étais en plein magasin et j’ai commencé à vomir ! C’était plus fort que moi… et c’est comme ça qu’ils m’ont cueilli !

    _ Eh là-bas vous deux ! crie un gardien. Vous croyez que vous êtes ici pour papoter ! Mettez-moi tous ces vêtements sur des perroquets ! Ornez-moi ces rayons ! Je veux un temple de la conso parfait, dédié au dieu de la vente !

    _ Tu sais pas qui j’suis ! fait le duc de l’Emploi au gardien. Si tu bosses ici, c’est grâce à moi !

    _ Mais ferme-la ! lui enjoint l’autre prisonnier, dans un murmure.

    _ Qu’est-ce que t’as dit ? demande hargneusement le gardien, en s’approchant. T’as des vapeurs ! T’as encore des dents, le bleu, mais moi, les Doms émeraude, je les écrase comme des pêches mûres !

    _ Je n’ suis pas un Dom émeraude ! C’est la Chose qui…

    _ T’es pas un Dom émeraude ! T’as pas les yeux verts, couleur de verdure ? C’est une erreur judiciaire ?

    _ Parfaitement !

    _ Tiens prends ça, sale connard ! Alors, tu veux détruire not’ civilisation ! Tu veux du vert, dans not’ temple de la conso ! Tu nous menaces !

    _ Mais non, aaah ! J’ suis avec vous, bon sang !

    _ T’es même un traître à ta cause ! Tu m’ dégoûtes ! Tiens, prends encore ça ! J’ vais t’ montrer, moi, qui est ton dieu, sale connard ! T’es dans le temple de la conso, ici ! Espèce de terroriste vert !

    _ Mais lâchez-moi, bon Dieu !

    _ Regarde enfoiré, ce qu’on a fait pour toi ! Regarde ! Tout est propre, blanc, lumineux ! C’est parfait ! Quelle température, il fait ici, d’après toi ?

    _ J’ sais pas ! Vingt degrés ?

    _ Vingt-cinq ! A genoux, mécréant, c’est le paradis ! Et les vitrines, elles sont pas belles les vitrines ?

    _ Si si ! Ouille ! Aïe ! Elles sont alléchantes !

    _ Bien sûr qu’elles sont alléchantes, vermine ! Viens, j’ vais t’ montrer un rayon !

    _ Mais ne me poussez pas !

    _ Comment veux-tu qu’on traite les gars comme toi ? Regarde ! Ouvre les yeux ! Dix mille paires de chaussures de sport ! toutes immaculées ! toutes parfaites ! créées par l’IA ! Car nous entrons tous dans une catégorie ! La dépersonnalisation est totale ! Et tu sais pourquoi ? Pour que nous ne formions plus qu’une seule famille ! unie dans le temple de la conso ! Le rendement au plus haut niveau ! Il n’y a plus aucune aspérité ! Nous avons vaincu l’extérieur, la nature ! Tu sais combien de terre, de fleurs ont été écrasés sous nos pieds ! Tu marches sur tes amis ! Ah ! Ah !

    _ Vous êtes fou ! Je me plaindrai à…

    _ Tu ne te plaindras à personne ! C’est moi qui commande ici ! Soit tu te soumets, soit tu crèves ! Tu sais, c’est quoi mon rêve ? C’est rejoindre le grand esprit artificiel ! Ne plus souffrir, ne plus rien sentir ! C’est le nirvana de la conso ! Je serai comme une chose qui brille et que tout le monde enviera !

    _ T’auras perdu ton job, bien avant ! Un coup de fil et…

    _ T’es un dur ! Si, si, je l’ai vu tout de suite ! Les Doms émeraude, c’est ma spécialité ! Ils craquent tous entre mes mains ! Je suis l’apôtre de la langueur, du désespoir ! J’ vais t’ vider comme un poisson ! Bientôt, tu ne te rappelleras même plus ton nom ! »

                                                                                               47

    Piccolo a quand même emmené Ratamor dans la Chose ! Ils sont partis très tôt le matin, avec des chaussures de randonnée et un petit sac… Après un passage brumeux, ils pénètrent apparemment dans la Chose, car un rayon d’or les transportent à présent ! Autour, il y a plein de trésors, des perles scintillantes, en vrac ou en colliers ! Des diamants envoient des éclats roses, tandis que des lingots dorés apparaissent ici et là !

    Puis, la fête commence ! Des dizaines de papillons s’empressent autour des deux visiteurs et crient : « Piccolo arrive ! Il amène quelqu’un ! Piccolo arrive ! Il est avec quelqu’un ! » Des fleurs d’aubépine tendent le cou, des herbes hautes et encore mouillées, essaient de toucher les marcheurs ! « Ne quittez pas le rayon d’or ! dit Piccolo à Ratamor. Vous pourriez vous égarer ! » Soudain, au milieu du chemin, se tient un vieil arbre moussu : « Halte ! On ne passe pas ! aboie-t-il. Papiers, s’il vous plaît !

    _ Pas mal ton numéro, vieux frêne ! fait Piccolo.

    _ Hein ? J’ai l’air sévère ! Content de te voir, Piccolo ! Alors, tu nous amènes quelqu’un… A chacun ses chênes, pas vrai ? Ah ! Ah !

    _ C’est le professeur Ratamor ! Il veut comprendre la Chose !

    _ Houx ! Ah ! Ah !

    _ Ces dames sont là ?

    _ Comme d’hab ! »

    Piccolo et Ratamor continuent leur marche… « Un de vos amis ? fait goguenard Ratamor.

    _ Oui, il a dû bosser dur, pour arriver à cet âge ! Vous avez vu comme il est fort ! Beaucoup ont voulu le couper !

    _ Je suppose, oui ! Mais je ne suis pas dupe, Piccolo ! Pour l’instant, il me semble que je ne vois qu’une farce, du théâtre ! Tout cela n’est pas bien réel… et en tout cas, ça ne m’explique pas la Chose !

    _ J’avais prévu votre réaction, prof, malheureusement ! Enfin, j’aurais essayé ! Venez, il nous faut ouvrir cette porte verte !

    _ Une porte maintenant ?

    _ Oui, aidez-moi ! »

    Tous les deux poussent une lourde porte émeraude, pour découvrir une souche couronnée de champignons ! « Voilà le canon qui fait les Doms émeraude ! explique Piccolo.

    _ Cette vielle souche ! Ah ! Ah ! Vous vous moquez de moi, Piccolo ! J’ai vu le duc de l’Emploi être touché dans la tour du Pouvoir ! Il faudrait un canon gigantesque, pour arriver à ce résultat !

    _ T’entends ça, vieille souche ? dit Piccolo. Il doute de tes capacités !

    _ Laisse les ignorants parler, Piccolo ! répond la souche, en clignant un œil. Ça leur fait du bien ! Ils se sentent importants !

    _ Eh ! Mais je ne vous permets pas de… réplique Ratamor.

    _ Ah ! Te voilà, Piccolo ! » coupe non loin une voix féminine.

    Plusieurs femmes sont là… Elles ont une chevelure argentée, ruisselante ! « Tu nous présentes ton ami, Piccolo ? demande celle qui vient de parler.

    _ Volontiers ! Voilà le professeur Ratamor !

    _ Alors, professeur, comment trouvez-vous notre petit monde ?

    _ Évidemment, c’est très beau et vous êtes vous-mêmes, mesdames, très belles, mais… je ne marche pas ! C’est du théâtre, une illusion ! La magie, ça n’existe pas ! Au vrai, si je pouvais vraiment ouvrir les yeux, qu’est-ce que je verrais ? Des plantes, des animaux qui se reproduisent et s’entre-tuent pour se nourrir ! Et puis, si tout ça était laissé à l’abandon, le milieu deviendrait hostile ! La beauté est une invention des Doms, le saviez-vous ?

    _ Tu vois Piccolo ! fait la femme. Ratamor n’est pas un gogo comme les autres ! Je vous prie de nous excuser, professeur, mais nous vous avons pris pour le pigeon habituel ! Et vous êtes bien entendu d’une autre trempe !

    _ Madame, cela n’enlève rien à votre beauté, bien entendu ! Mais je suis aussi un humble disciple de la vérité et il me fallait parler à cœur ouvert !

    _ Bien sûr, professeur, Piccolo va vous raccompagner ! »

    Sur le chemin du retour, Ratamor reprend : « C’était bien essayé, Piccolo ! J’avoue que certains trucs m’ont surpris ! Mais à la réflexion, je me dis maintenant qu’il est possible que vous inventiez tout ça, pour fuir la réalité !

    _ Je crains que vous n’ayez encore mis dans le mille, professeur !

    _ Je ne suis plus un enfant, Piccolo !

    _ C’est bien ça, le problème !

    _ Quoi ? Quel problème ?

    _ Que vous ne soyez plus un enfant ! »

                                                                                              48

    « Ah ! Ah ! fait Ratamor, en pénétrant dans le bureau de Dominator.

    _ Vous voilà bien joyeux, professeur ! lui lance Dominator.

    _ C’est que j’ai quand même exploré la Chose, hier, avec Piccolo !

    _ Tiens donc !

    _ Oui et figurez-vous que je n’y ai vu qu’esbroufe ! Vous savez ce qu’est vraiment la Chose, Dominator ? Ce n’est que la nature telle que nous la connaissons !

    _ Je croyais que c’était de la beauté pure ! N’est-ce pas vos propres termes ?

    _ Si ! Et de la beauté il y en a ! Mais quoi ? Il n’y a pas là de miracles, d’esprit supérieur ! La beauté est subjective et chacun la voit d’une certaine manière ! Dire que j’ai failli marcher ! Piccolo voulait m’entraîner vers une nouvelle spiritualité, par l’enchantement ! Mais la matière triomphe ! Je reste un scientifique ! Il n’y a pas de magie, ni de mystères !

    _ Vous voulez dire que je vais pouvoir de nouveau bétonner ! coupe monsieur Nuit, lui aussi présent.

    _ Bien sûr, monsieur Nuit ! Nous avons besoin de logements et d’exploiter la matière, pour vivre ! dans certaines limites cependant, vous n’ignorez pas que le réchauffement climatique nous impose des restrictions et une nouvelle façon de faire !

    _ Bien entendu ! Mais mes bétonnières vont reprendre du service… et cela seul compte ! Car j’ai de vastes projets !

    _ Tout de même, objecte Dominator, la Chose est peut-être de la nature, mais il n’en demeure pas moins que nous n’en voyons qu’une masse opaque et… miroitante, qui bloque la ville… et qui fait disparaître des gens !

    _ Oui, c’est un problème, je l’avoue… approuve Ratamor.

    _ Du béton… du béton… marmonne rêveur monsieur Nuit.

    _ Qu’est-ce qui vous arrive monsieur Nuit ? demande Dominator. Vous êtes grisâtre… et vous bavez, ma parole !

    _ Hein ? Qu’est-ce que… ? »

    Nuit va vers une glace et sursaute : son visage s’est allongé, des antennes poussent sur son front et effectivement de la salive coule de sa bouche ! « Mais qu’elle est cette diablerie ! s’écrie-t-il. La Chose… C’est encore elle ! » Il n’a pas le temps de terminer sa phrase, car sa voix devient subitement extrêmement lente, comme s’il s’endormait, de même que ses yeux se ferment, apparemment ensommeillés !

    « Qu’essssst-ce quuuiiii m’arrrivvvve ? demande-t-il.

    _ Ne paniquez pas Nuit, lui répond Ratamor tétanisé. Mais vous avez tout l’air d’un escargot !

    _ Quuuoooiii ? Maiiiiis… J’aiiii duuuu boulooooot ! »

    Sous les yeux effarés de Dominator et Ratamor, Nuit se dirige vers la porte, mais avec une extrême lenteur ! « Boooouloooot ! fait-il désespéré. Bétooooon ! »

    Il glisse sur la moquette, en laissant un sillage brillant ! « M’est avis, monsieur Nuit, remarque Dominator, que vous allez devoir reconsidérer certains paramètres, comme le temps ! Vous n’êtes pas encore arrivé à la porte !

    _ Oui, oui, il en bave ! fait sournoisement Ratamor. Excusez-moi, Nuit, mais je n’ai pas pu me retenir !

    _ Ah ! Ah ! rit Dominator. Et puis du logement, il va en avoir plein le dos !

    _ Ouf ! Ouf ! lâche Ratamor.

    _ Bannnnde de salauuuds ! jette Nuit. Je veux agiiiir ! Je veux haïrrrr ! Je m’endorrrrs ! Au secourrrrrs !

    _ Si c’est bien la Chose qui l’a transformé ainsi, dit Dominator, quel est son message ?

    _ Vous donnez à la Chose une conscience ! réplique Ratamor. Or, elle n’est que de la matière, régie par des lois !

    _ Possible ! Mais ici Nuit est placé dans une autre dimension ! Il est paniqué parce qu’il ne peut plus faire ce qu’il veut ! Vous l’avez entendu vous-même, son équilibre repose sur l’action et même sur la haine !

    _ Vous voilà psychologue maintenant !

    _ Il doit reconsidérer sa raison de vivre... », reprend Dominator, ignorant le sarcasme.

                                                                                               49

    Le vaisseau DOM 45TY550° continue son voyage dans le cosmos infini, afin de découvrir des vies nouvelles ! « Général, fait le Dom passerelle dans l’interphone, on a repéré une planète habitée !

    _ Encore !

    _ Oui, les instruments sont formels ! Vous arrivez ?

    _ Ouais, ouais ! »

    Le général est mécontent, car il faisait une bonne sieste et on avait interrompu un joli rêve ! Quel était-il ? Le général ne s’en souvient pas, mais il en garde une impression agréable ! Enfin, le travail, c’est le travail et le général apparaît bientôt dans le poste de commandement ! « On a préparé la navette ? demande-t-il.

    _ Il n’y a plus qu’à embarquer ! répond le Dom passerelle.

    _ Vous avez l’air impatient…

    _ Bien sûr, général ! Une nouvelle forme de vie, une autre expérience, d’autres réponses…

    _ Bon, bon, vous êtes jeune ! Embarquons ! Et le Dom spécialiste ?

    _ Déjà à bord ! avec la Dom mécano, en cas de coup dur ! »

    La navette quitte le vaisseau et de nouveau on traverse une atmosphère, ses turbulences et son échauffement ! Mais, apparemment ça vaut le coup, car on découvre soudain un azur resplendissant et une myriades d’autres navettes, ce qui fait penser à une vie bouillonnante ! « Eh ! Regardez-moi ce trafic ! s’écrie le Dom passerelle. Oh ! Je sens que je vais me plaire ici ! J’adore quand ça bouge !

    _ On passe inaperçu, précise le Dom spécialiste, même technologie, même apparence physique !

    _ C’est un dicton ? demande goguenard le général.

    _ Disons une réflexion logique ! »

    A terre, la première impression n’est pas démentie ! La ville semble en effervescence sous son soleil ! « Non, mais regardez-moi tous ces gens heureux ! fait le Dom passerelle ébloui. Ah ! C’est pas comme chez nous, où chacun tire la gueule !

    _ Et des beaux mecs, y en a partout ! ajoute la Dom mécano.

    _ C’est vrai, les magasins regorgent de richesses ! renchérit le Dom spécialiste. Il y a comme un air de fête perpétuelle ! »

    Le Dom passerelle, devant tant de joie et de vie, se met naturellement à sourire et le voilà qui dit bonjour ici et là, mais personne ne lui rend son salut, ni même le regarde ! « C’est bizarre, dit-il soudain, ils ont l’air indifférents à notre présence !

    _ Moi aussi, je fais chou blanc ! appuie la Dom mécano. J’ai beau décocher mon regard brûlant et montrer mes formes irréprochables, ces messieurs ne se détournent même pas ! Je n’intéresse personne !

    _ Peut-être que nous sommes invisibles, rajoute le général.

    _ Étrange en effet ! dit le Dom spécialiste. Voyons voir le code génétique de cette foule ! »

    Avec un appareil, le Dom spécialiste scanne les habitants et regarde le résultat : « Ça alors ! s’exclame-t-il.

    _ Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demande le général.

    _ Ce sont des Doms !

    _ Hein ?

    _ Mais alors, s’ils sont des nôtres, pourquoi ne nous reconnaissent-ils pas ? jette le Dom passerelle.

    _ Bonne question !

    _ De toute façon, continue le général, si ce sont des Doms, que font-ils ici ? Nous sommes les premiers Doms à explorer cette partie de l’univers !

    _ Pas tout à fait, objecte la Dom mécano. Rappelez-vous la mission Conquérante !

    _ La mi… ssion Conquérante ? Mais c’était il y a plus d’un siècle !

    _ Et alors ? Ils atterrissent ici… Ils n’ont pas les moyens de repartir et les générations se succèdent !

    _ C’est en effet notre meilleur hypothèse pour l’instant, approuve le Dom spécialiste.

    _ Et comment expliquer leur indifférence ? fait têtu le général.

    _ Ce serait des Doms supérieurs !

    _ Des Doms supérieurs ?

    _ Oui, des Doms débarrassés des complexes liés à notre histoire ! Vous savez ce qui nous caractérise, c’est bien entendu la domination, ce que d’aucuns appellent notre égoïsme ! Ici, ils se sont développés sur du neuf et leur égoïsme est bien plus fort que le nôtre, d’où leur indifférence !

    _ Eh ben, merde alors ! »

                                                                                                50

    Paschic doit passer un autre point de contrôle… On finit toujours pas en subir un, car ils sont disséminés ici et là dans la galaxie ! C’est une pièce blanche, sans fenêtres, ni ornements, d’où parvient un ronronnement sourd de machine, qui endort ! Bref, le cadre idéal pour favoriser une attente stérile et la dépression ! Un Dom rondouillard, à petites lunettes, entre par une porte silencieuse, renforçant l’impression d’un monde suspendu, hors du temps !

    Le Dom ouvre un dossier et fixe Paschic d’un regard froid, inexpressif ! « Que puis-je faire pour vous ? demande-t-il.

    _ J’ai besoin d’un avis favorable, pour passer dans le secteur C !

    _ Le secteur C ?

    _ Oui, répond Paschic, qui a comme une légère irritation, car il s’est bien exprimé et ne devrait pas avoir besoin de répéter !

    _ Bien, bien... »

    Le Dom chasse sur le bureau des miettes imaginaires, avant de reprendre : « Le passage en secteur C n’est qu’une formalité ! explique-t-il d’une voix qui se veut rassurante. Il vous suffit de répondre à quelques questions sur votre santé… Vous n’avez pas de problèmes particuliers ?

    _ Non, non…

    _ Et dans votre famille ?

    _ Non, pas plus…

    _ Bien, bien, vous ne fumez pas ?

    _ Non.

    _ Vous buvez ?

    _ Un verre de temps en temps…

    _ Y a-t-il quelque chose qui vous gêne ?

    _ Eh bien, j’ai parfois de la constipation…

    _ Ah ! Vous savez qu’il ne faut pas rigoler avec ça ? Des sels peuvent devenir durs comme de la pierre et après pour opérer, bonjour ! 

    _ Vraiment ?

    _ Bien sûr ! Et la constipation peut avoir des raisons extrêmement complexes ! Dépression, névroses, traumatismes liés à l’enfance, repli sur soi, sentiment d’être déclassé ! Avez-vous ce sentiment d’être un incompris ?

    _ Non, pas vraiment…

    _ Ah ! Ah ! Si je vous dis ça, c’est parce qu’alors vous seriez sans doute d’un narcissisme épouvantable !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous rigolez, mais ce qui peut se passer aussi, c’est que sous l’ampoule rectale se développe une poche, où se concentrent les sels, ne permettant pas leur rejet ! Dans ce cas, il faudrait en parler au chirurgien !

    _ J’ai l’impression que vous cherchez à me faire peur…

    _ Moi, pas du tout ! »

    A cet instant, le Dom se lève et va se planter devant Paschic, le dominant de toute sa hauteur ! « J’essaie seulement d’avoir une idée nette de la situation, reprend-il. Vous voyez, les gens croient savoir, mais c’est moi qui contrôle le passage du secteur C ! Je ne reçois pas le soleil ici… J’ai une vie grise…, toujours la même, mais je sais quand même deux trois choses…

    _ Je n’en doute pas !

    _ Vous n’en doutez pas, mais vous pénétrez dans mon bureau, avec une santé apparemment éclatante ! comme si vous étiez heureux, grâce à un savoir supérieur ! ce qui me désespère et me rend inutile !

    _ Allons, allons, vous vous faites des idées ! Il n’est question que d’une formalité…

    _ Justement, la procédure veut que je vous injecte une dose de Strécémalrox ! C’est pour vous protéger d’un virus présent dans le secteur C !

    _ Je ne le savais pas…

    _ En fait, je voudrais que vous soyez rongé par l’inquiétude… Ainsi, vous me redonneriez tout mon pouvoir ! Vous seriez de nouveau entièrement entre mes mains ! Moi, le Dom gris, j’aurais ma revanche !

    _ Je crois que je vais me retirer...

    _ Trop tard... »

    Le Dom lève le bras et fait voir une piqûre ! Paschic n’a qu’un réflexe, celui de plonger sous le ventre du Dom ! Celui-ci déséquilibré s’écroule, avec Paschic dessus lui ! La lutte est inégale et Paschic enfonce l’aiguille, qui lui était destinée, dans le cou du Dom ! La transformation vient très vite, car le Strécémalrox est un concentré d’anxiété ! le Dom regarde paniqué Paschic et demande : « J’ai mal sur le côté… et si j’avais une hernie de Spiegel ?

    _ Il faudrait voir ça avec une échographie…

    _ Vous êtes sûr ?

    _ Tout à fait, mais il faut que j’y aille maintenant ! Au revoir ! »