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  • La Révolte (la pièce, suite et fin)

    • Le 05/07/2025

    R88

     

     

                   "Certains vomissent en transplanant!

                     _ On se demande pourquoi!"

                                               Harry Potter V

     

                      ACTE IV, SCENE IV : les mêmes, Paschic

    Paschic : Bonjour, on parle de moi, on dirait !

    Lapsie : On est au courant, pour toutes les horreurs que vous avez dites sur La Machine, au sujet de Tautonus !

    Paschic : Mince, me voilà pris la main dans le sac !

    Le duc : Exactement, vous êtes ce qu’on appelle un fils indigne !

    Monsieur Nuit : Ouais, j’aimerais pas être à votre place !

    Dominator : Votre père apparemment aurait dû être plus sévère ! Manquer de respect à ses parents, c’est l’une des pires choses qui soient !

    Ratamor : Oui, c’est le fruit d’un bel égoïsme !

    Lapsie : Ou celui du narcissisme ! Quelques tests psy et votre perversité éclaterait au grand jour !

    Paschic : Eh bien, je vois que vous êtes tous d’accord ! Cela tombe bien, parce que je suis venu vous dire au revoir !

    Le duc : Comment ça ?

    Monsieur Nuit : Et où comptez-vous aller, par cette chaleur ?

    La Machine : Encore un de ses pièges ! pour faire l’intéressant !

    Dominator : Jeune homme, nous avons certes des différents, mais il faut savoir raison garder ! Vous ne pourrez même pas marcher une heure, sous ce soleil de plomb !

    Ratamor : Je peux vous le confirmer, Paschic, mais peut-être songez-vous au suicide, un suicide philosophique ?

    Lapsie : Cela n’existe pas ! Ne pas aimer la vie cache toujours la dépression…

    Paschic : Que de sollicitudes, tout d’un coup ! Mais, rassurez-vous, j’ai trouvé une oasis verdoyante ! où je pourrais me rafraîchir et me baigner !

    Le duc : Ce n’est pas possible ! Arrêtez ce fou !

    Monsieur Nuit : Alors là, attention mon petit ! Car faut pas jouer avec l’espoir des grandes personnes !

    Dominator : Il se moque de nous !

    Ratamor : Je ne vous crois pas, Paschic ! C’est scientifiquement impossible !

    Lapsie : Typique du pervers ! Manipuler les gens !

    La Machine : Mon sucre, mon fils adoré ! (Elle prend les mains de Paschic.) Si tu as effectivement trouvé une oasis, ce dont je ne doute pas, car tu as toujours été très doué, il faut nous le dire, afin que chacun en profite ! C’est une question d’humanité !

    Paschic : Malheureusement, de l’eau qui arrose cette oasis, tu n’en as pas voulue, ma chère mère, et tu n’en veux toujours pas ! Comme vous tous d’ailleurs ! Et c’est pourquoi elle ne vous acceptera pas, car elle ne vous reconnaîtra pas !

    La Machine : Mais qu’est-ce que tu racontes, mon chéri ?

    Paschic : Vous voyez le désert dehors ? C’est ma vie depuis que je suis né ! C’est le vide que vous créez tous ! Oh ! Je sais que les choses sont complexes ! Nous sommes nombreux et chacun a ses besoins ! Il ne s’agit pas de détruire ceux qui ne sont pas d’accord avec nous ! Mais que faites-vous au juste ? Vous n’avez recours qu’à votre domination !

    La Machine : Comment peux-tu dire ça, mon garçon ?

    Paschic : Mais il y a d’abord toi, ma chère mère ! Tu m’as vu doux, faible, d’où ton mépris ! Tu m’as utilisé comme un paillasson, pour flatter ton autorité ! Quand tu t’es aperçu de ma résistance, tu as voulu me détruire par tous les moyens ! Pourquoi ? Mais parce que ton orgueil est le seul sens de ta vie ! C’est lui qui te mène ! C’est ton pouvoir, le sentiment de ton importance qui te maintient en équilibre ! qui te garantit de la peur ! Il est donc impossible de te faire obstacle, surtout dans ta propre maison !

    La Machine : Tu me juges, c’est ça ?

    Paschic : Nullement, ce n’est pas mon affaire ! Mais il faut bien que tu comprennes ce que tu m’as fait subir ! Tu m’as piétiné encore et encore ! Tu m’as laminé au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ! Tu m’as pulvérisé, jusqu’à ce que mon cerveau ne soit plus que poussière ! Le pire, c’est que plus tard, j’ai continué ton travail de destruction, puisque je croyais que j’étais mauvais ! Ce que j’ai enduré, vous n’en avez absolument aucune idée (il s’adresse à tous) et ce n’est d’ailleurs même pas racontable ! Et tout ça pourquoi, encore une fois ? Mais parce que tu as choisi (il se retourne vers La Machine) la sécurité, la notoriété, ta supériorité !

    La Machine : Tu exagères, j’ai fait de mon mieux !

    Paschic : Tu n’as pas cherché à t’ouvrir, à comprendre, à te rabaisser, à laisser là tes haines et ta fierté ! Au contraire, chaque pas en dehors de toi, tu l’as considéré comme une insulte, un scandale ! Tout devait te revenir ! Comme si toi seule existais ! Tout ce qui t’échappait devait être détruit ! Comme tu symbolisais pour moi l’injustice et l’hypocrisie, j’ai voulu ma liberté… et j’en ai payé le prix ! La solitude, l’angoisse, la maladie, l’incompréhension, le désespoir ont été mon lot ! Pendant ce temps-là, ma chère mère, tu continuais tes fêtes ! Tu assouvissais tes appétits ! Tu tenais ton clan et tant pis pour ceux qui éprouvaient le froid du dehors ! Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est toi qui ne peux pas entrer et qui est exclue ! A toi ce que ne tu n’as jamais voulu porter : la nuit et la détresse !

    Dominator : Mais en quoi ça nous concerne, nous ? Indiquez-nous la direction de l’oasis, si tant est qu’il existe !

    Paschic : Quand j’étais plus jeune, je ne supportais pas les voitures…

    Monsieur Nuit : Ce n’est pas vrai ! Ah ! Ah !

    Paschic : Si, si ! Je me plongeais dans la nature, en espérant ne plus voir la civilisation ! Pourquoi ? Mais parce que toute votre agitation et votre destruction ne sont pas légitimes ! Bien sûr, il faut travailler pour vivre… et même je serais incapable de séjourner dans les bois… Il me faut le confort de la ville, pour la nuit, etc. ! Mais, en même temps, vous ne faites pas seulement que gagner votre croûte, mais ce qui vous anime, comme La Machine, c’est dominer l’autre, pour qu’il ait les yeux braqués sur vous ! C’est vous le point de mire et non l’ensemble de la création ! Et c’est pourquoi vous n’en connaissez pas la valeur ! Et c’est pourquoi vous « bousillez », vous méprisez la beauté sans vergogne, sans limites ! Et c’est aussi valable pour vous Ratamor, le scientifique !

    Ratamor : Je sens que je vais passer sur le grill !

    Lapsie : Que « nous » allons passer…

    Paschic : En effet, la science a cherché et cherche l’objectivité, ce qui est un gage de notre liberté ! Mais que d’idées fausses sur la beauté ! Vous l’avez traînée dans la boue, sous prétexte qu’elle vous apparaît subjective ! Vous en avez fait le fruit des névroses, une « chose » auxiliaire et somme toute vous avez rendu nos existences incompréhensibles ! Nous sommes devenus des étrangers en ce monde, alors que la beauté nous enseigne tout le contraire ! Elle seule témoigne d’un don infini, gratuit et donc elle seule peut guérir nos peurs et nous donner la sécurité, de sorte que nous ne voulons plus dominer ! Et pour quelle raison toute cette indifférence de la science, à l’égard de la beauté ? Mais parce que vous n’y êtes pas sensibles, qu’elle ne constitue pas votre champ d’étude et surtout vous ne voulez pas vous faire avoir ! Finies les croyances ! Votre orgueil, lui aussi règne en maître !

    Ratamor : Nous avons été les premiers à alerter sur le réchauffement climatique !

    Paschic : C’est vrai, mais avec quel effet ! Il est nécessaire d’expliquer pourquoi nous ne devons plus dominer et comment y arriver ! Mais notre fonctionnement le plus simple et le plus profond vous échappe, par manque de simplicité et même d’humilité ! Il ne s’agit pas seulement de comprendre, mais aussi d’aimer et d’admirer ! L’enfant qui est en nous ne doit pas être perdu !

    Le duc : Allez, avouez-le, cette histoire d’oasis, c’est du pipeau !

    Paschic : Duc, vous ne pouvez concevoir combien son eau est rafraîchissante et son ombrage reposant !

                                                          ACTE IV, SCENE V : Les mêmes, la reine Beauté

    Le DTN : Là ! (Il montre la reine Beauté, qui vient d’entrer.)

    Dominator : Quoi là ?

    Le DTN : Mais là ! Vous ne voyez pas cette femme magnifique !

    Le duc : Je ne vois rien !

    Monsieur Nuit : Ce sont déjà les mirages de l’oasis ! Ah ! Ah !

    Ratamor, au DTN : Vous êtes sérieux ? Vous voyez vraiment quelque chose ?

    Lapsie : Il est possible que des troubles psychiques entraînent des hallucinations !

    La Machine : Encore un tour de Paschic !

    Paschic, au DTN : Tu vois vraiment la reine Beauté ?

    DTN : Mais oui, comme je te vois !

    Paschic : Alors tu peux venir avec moi !

    DTN : Super !

    Dominator : Attention vous deux : il fait plus de 50 ° degrés dehors !

    Le duc ! Mais enfin, arrêtez vos bêtises ! Paschic, si vous avez vraiment trouvé une oasis, il est normal que vous nous y conduisiez, pour que nous quittions ce trou à rat !

    Paschic : Désolé duc, mais elle est réservée à ceux qui ont vraiment travaillé !

    Le duc : Co… comment ? Je vous rappelle qui je suis : le duc de l’Emploi !

    Monsieur Nuit : Et moi, moi… (Il suffoque.) Trente ans de boîte ! Faites mieux, jeune homme !

    Dominator : Paschic, j’ai bien des défauts, c’est entendu ! Mais gérer une ville, c’est un taf dont vous n’avez même pas idée !

    Ratamor : A la limite Paschic, je vous comprends, le scientifique est aussi un marginal… Mais il en faut des efforts, pour faire aboutir une recherche !

    Lapsie : Et moi, je dois écouter mes patients !

    La Machine : Et moi, je me suis sacrifiée pour ma famille !

    Paschic : Certes, vous avez tous donné de vous-mêmes… et effectué des choses qui vous rebutaient… et vous avez votre rétribution, dans votre retraite… Mais qu’est-ce qu’il y a de plus difficile, qu’est-ce qui engage le plus, qu’est-ce qui demande le plus de courage, le plus de fermeté ? Aller pointer, faire ses heures, cotiser… ou bien aimer, croire malgré la peur, l’insécurité, la haine, l’indifférence ? Qui ici a fait preuve de patience ? Qui ici a rentré sa colère par amour ? Qui ici a confiance, sans les chiffres, sans reconnaissance, sans étiquette sociale ? Qui ici est dévoué, fidèle ?

    La reine Beauté : Bravo Paschic ! Vas-y ! Gauche droite ! Gauche droite ! (Elle mime un boxeur.)

    Le DTN : Ah ! Ah ! Mais vous êtes drôle reine Beauté !

    La reine Beauté : Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? L’humour, c’est un signe de force ! Tiens, tu peux faire tinter la cloche des rounds !

    Le DTN : Chouette ! Attention : ding !

    Le duc : Mais bon sang ! A qui il parle celui-là ?

    Dominator : En admettant que vous ayez raison Paschic, au sujet de l’engagement et du courage, est-ce que ce vrai travail, selon vous, permet de vivre ?

    La reine Beauté : Fais gaffe, Paschic ! Ça, c’est du lourd ! C’est le crochet classique ! Celui qui doit mettre KO !

    Paschic : Mieux que ça , Dominator ! Car que faisons-nous dans la rue habituellement ? Nous avons tout, nous ne souffrons pas de la faim et nous bénéficions d’un confort que l’autre moitié de la planète nous envie ! Bien sûr, nous pouvons souhaiter avoir plus, mais notre système de santé est encore unique ! Nous devrions alors être heureux, nous montrer agréables les uns envers les autres, mais ce n’est pas du tout ce qui se passe !

    La reine Beauté, qui semble parler dans un micro : Beau jeu de jambes de Paschic ! Belle fluidité ! Il a bien esquivé le coup fatal de Dominator !

    Paschic : Au contraire, nous sommes fermés, malheureux, agressifs ! Car ce que nous recherchons, ce n’est pas de nous montrer curieux de l’autre ! Ce n’est pas de nous enchanter de la diversité du monde, de saluer la beauté en chacun de nous…

    La reine Beauté : Eh ! Mais on parle de !

    Paschic : Non, ce qui nous préoccupe, c’est de tirer la couverture à nous ! C’est de triompher de l’autre, de se sentir plus fort que lui… ou plus séduisant ! Nous sommes comme de petites toiles d’araignées, qui attendent une proie ! Et tout ça pour satisfaire notre petite vanité, autrement dit notre domination ! Voilà pourquoi la vie est dure, à cause de notre égoïsme ! Nous sommes incapables d’être disponibles ! de nous relâcher ! de laisser au fil de l’eau notre ego ! de plaindre même celui qui nous mord !

    La reine Beauté : Quelle série de Paschic ! Dominator est dans les cordes ! Il vacille sur ses jambes ! Mais c’est la fin du round !

    Le DTN : Ding !

    Le duc : Mais il est taré celui-là !

    La reine Beauté : Les deux champions peuvent souffler ! C’est une rencontre de haut niveau, mais il y a maintenant un net avantage pour Paschic ! Dominator va-t-il réagir ?

    Monsieur Nuit : Je ne vois pas du tout quelle solution vous proposez, Paschic !

    La reine beauté : C’est finalement monsieur Nuit, qui prend le relais ! Il est plus frais, quoiqu’un tantinet plus grassouillet ! Début du nouveau round !

    Le DTN : Ding !

    Paschic : Mais, monsieur Nuit, imaginez un individu confiant dans la Chose, dans la beauté ! éclairé sur notre fonctionnement et ne cherchant plus à dominer ! indifférent quant à la victoire de son ego ! Cet individu-là ferait en sorte qu’on vive en paix ! Il serait plein de compassion, nullement agressif ! Ses besoins seraient forcément limités, car le souci de paraître lui serait étranger ! La peur de manquer ne l’atteindrait plus ! Il laisserait tranquille la planète et réparerait à sa manière l’injustice, en donnant de l’espoir ! Il serait mille fois plus utile que tous ceux qui gagnent certes leur vie, mais qui laissent libre cours à leur haine et à leur mépris !

    La reine Beauté, qui s’excite : Monsieur Nuit est au tapis ! L’arbitre commence à compter ! (Elle fait signe au DTN.)

    Le DTN : Un, deux, trois, quatre…

    Monsieur Nuit : Je ne vous kiffe pas, Paschic ! D’ailleurs, j’ai jamais pu vous encaisser ! Pour moi, vous bossez pas et vous profitez des autres ! Vous êtes dégoulinant de bonté ! Pouah !

    Le DTN : Huit, neuf, dix !

    La reine Beauté : KO !

    Le duc : C’est moi… ou le débile vient de compter jusqu’à dix ?

    Lapsie : C’est pas vous… Il parle bien tout seul ! Étrange !

    Ratamor : Bon, pour résumer Paschic, vous avez trouvé une oasis et nul, à part vous et... votre petit copain, peut en profiter, c’est ça ?

    La Machine : Il n’en a toujours fait qu’à sa tête, de toute façon ! Oh ! Je suis bien à plaindre !

    Paschic : Mais Ratamor, vous pouvez tout de suite essayer… Il suffit de se tourner contre sa domination et de commencer à faire confiance… La beauté est là partout… Regardez-la et aimez-la ! Vous verrez : plus vous lâcherez votre orgueil et plus vous serez heureux ! Pour l’instant, vous en êtes tous esclaves !

    Le duc : Un idéaliste, voilà ce que vous êtes ! Un affreux idéaliste !

    Lapsie : C’est tout de même très patriarcal tout ça…

    Ratamor : Et loin de toute objectivité !

    Dominator : Paschic, si j’avais suivi vos idées, jamais je n’aurais pu gérer ma ville !

    Paschic : Et on voit où ça nous a menés !

    La Machine, à Paschic : Au fond, je ne comprends toujours pas ce que tu me reproches !

    Paschic : Bon, en route alors ! (Il se tourne vers la reine Beauté et le DTN.)

    La reine Beauté : Tu as été formidable, Paschic, comme d’habitude ! Tu es mon champion !

    Paschic : Mais ils ne comprennent pas ce que je dis !

    La reine Beauté : Non, ils préfèrent leur haine et leurs peurs ! C’est ce qu’ils connaissent ! Bon, oh ! On va pas s’éterniser ! Toi, mon p’tit DTN, tu ramasses les serviettes et la pharmacie !

    Le DTN, qui fait semblant : A vos ordres, m’dame !

    La reine Beauté, qui tapote l’épaule de Paschic : Non, c’était un beau combat, pach… (Elle crache.) Tu mérites pleinement la ceinture ! Ah ! Le deuxième round, quant t’as paré Dominator...(Elle mime les coups et elle sort, en compagnie de Paschic et du DTN.)

                                                      ACTE IV, SCENE VI : Dominator, Lapsie, Ratamor, le duc, monsieur Nuit, La Machine

    Le duc : Au fond, bon débarras !

    Ratamor, songeur : Tout de même, s’il a trouvé de l’eau fraîche…

    Dominator : Pensez-vous ! Qu’est-ce qu’il a pu voir qu’on n’aurait pas vu ! Cette ville, je le connais par cœur ! Enfin…, je la connaissais...

    Lapsie : Moi, je pense que ce garçon souffre d’un profond trouble affectif…

    La Machine : Qu’est-ce que vous insinuez, qu’il n’a pas été assez aimé ?

    Lapsie : Non, évidemment…, mais je…

    La Machine : Mais je quoi ? La vache, Paschic a encore réussi son coup ! (Elle tape sur la table.)

    Ratamor : Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    La Machine : Mais déjà, quand il était petit, il semait la division ! C’est un sournois !

    Monsieur Nuit : Et quelle arrogance ! Vous avez vu comment il m’a pris de haut ? J’ai eu l’impression d’être un enfant ! Moi, le roi du béton !

    Lapsie : On ne m’enlèvera pas l’idée qu’il y a du pervers narcissique chez Paschic…

    La Machine : Mais bien sûr qu’il y en a... et à foison !

    Dominator : Tiens, le gamin a laissé sa plante…

    Ratamor : Et il y a une lettre dessus…

    Le duc : Voyons ça… (Il se saisit de la lettre.) Elle est destinée à Lapsie !

    Lapsie : Donnez-la-moi !

    La Machine : Qui peut encore écrire des lettres ?

    Monsieur Nuit : C’est bon pour les retardés !

    Lapsie, qui déchire l’enveloppe et qui déplie la lettre : C’est une lettre de Paschic !

    Monsieur Nuit : Enfin le monsieur se déclare ! Remarquez, je le comprends… (Il a un regard lourd vers Lapsie.)

    La Machine : Qu’est-ce qu’il dit, mon fils ? J’ parie qu’il me débine encore !

    Le duc, à la Machine : Voyons, madame, c’est sans doute personnel !

    Ratamor : C’est personnel, Lapsie ?

    Lapsie, après un bref examen : Apparemment non… Cela concerne... le patriarcat !

    Le duc : Ah ! On va encore en prendre pour notre grade !

    Dominator : Hum ! S’il n’y a rien de personnel, vous pouvez peut-être nous lire cette lettre, Lapsie… Ça nous fera passer le temps !

    Monsieur Nuit : Ah ! Chic ! Je suis prêt, moi !

    La Machine : C’est quand même curieux que cette lettre ne me soit pas adressée !

    Lapsie : Alors, je commence ?

    Le duc : Mais on n’attend plus que vous, ma belle !

    Ratamor : Rappelons que le sujet est le patriarcat… Hein, hum ! (Il regarde le duc.)

    Le duc : Pourquoi me regardez-vous comme ça ? J’ai toujours respecté les femmes !

    La Machine : Ouais, on dit ça !

    Dominator, apaisant : Allez-y, Lapsie, sinon on y sera encore demain !

    Lapsie : Très bien, je commence : « Chère Lapsie…

    Monsieur Nuit : Eh ! Eh !

    Le duc : Oh ! Oh !

    La Machine : Peuh…

    Ratamor : On va pas y arriver…

    Lapsie : « Chère Lapsie…, vous montrez beaucoup d’intérêt au sujet du pervers narcissique et donc à ce qu’on appelle le patriarcat, car les deux choses sont forcément liées ! Laissez-moi vous dire ce que j’ai compris sur la question…

    Le duc : Mais… mais c’est une sorte de conférence !

    Monsieur Nuit : Il n’y a pas de sexe !

    La Machine : Et je ne suis pas dedans ?

    Lapsie : J’arrête alors ?

    Ratamor, moqueur : Bien sûr, puisqu’il y a trois mots !

    Dominator : Continuez, Lapsie, je vous en prie ! Crevons l’abcès !

    Lapsie : « Tout a commencé en observant un couple de pies, que je nourrissais sur mon balcon… Le mâle mange les meilleurs morceaux et chasse la femelle, quand elle essaie de les prendre ! J’étais désolé pour elle, mais on comprend pourquoi quelques instants plus tard, car le mâle, en compagnie de la femelle, est déjà sur l’arbre voisin, à combattre une autre couple de pies concurrent ! Le mâle, pour défendre le territoire, doit donc être dans la plus grande forme possible et c’est pourquoi il se nourrit en premier et empêche la femelle d’en faire autant ! Et ainsi, Lapsie, tant que les nations ont été à construire, à travers les guerres, la domination masculine a été nécessaire ! L’homme s’est imposé pour la survie du groupe !

    Par contre, quand les pies construisent leur nid, c’est la femelle qui domine, qui demande au mâle d’aller chercher des brindilles, qu’elle seule met en place ! Le rôle du mâle est alors secondaire et mettre un enfant au monde reste toujours pour la femme l’occasion d’avoir tout le pouvoir !

    Ce qu’il y a de curieux, chère Lapsie, c’est que plus la civilisation avance et plus la domination masculine diminue, recule, puisque normalement les pays sont de plus en plus en paix et qu’on a de moins en moins besoin de les défendre ! On voit ainsi la femme réclamer les mêmes droits, ne plus comprendre pourquoi elle est traitée et a été traitée comme une inférieure et ce d’autant qu’elle a la même origine que l’homme, c’est-à-dire qu’elle a autant le désir de faire triompher son individualité, un égoïsme égal ! »

    Le duc : Eh ! Eh !

    La Machine : Le salaud !

    Monsieur Nuit : Pas mal, ce Paschic ! Ah ! Ah !

    Ratamor, à monsieur Nuit : C’est tout ce que vous retenez ?

    Lapsie : Je reprends ! « Le problème, chère Lapsie, c’est quand l’homme ne comprend pas que les époques évoluent et qu’ils croient notamment que les textes religieux, écrits à un moment où la domination masculine était une priorité, ont énoncé des vérités définitives ! Les êtres humains, par leur raison, ont quitté la chaîne animale et le rôle de la femme est désormais peut-être unique dans tout l’Univers ! »

    La Machine : C’est joliment dit ça !

    Monsieur Nuit : Bof !

    Lapsie : « Mais un jour on se rendra compte, chère Lapsie, que ce n’est pas le patriarcat qu’il faut combattre, mais la domination elle-même, qu’elle soit féminine ou masculine ! Sans doute faudra-t-il que le temps de la colère et de la vengeance soit révolu ! En espérant vous avoir un tant soit peu intéressée, chère Lapsie, je vous assure de mon respect et vous souhaite le meilleur… Signé Paschic. »

    Le duc ; Quel phraseur !

    Monsieur Nuit : Il m’a déçu somme toute !

    Ratamor : Qu’en pensez-vous, Lapsie ?

    Lapsie : Ça mérite réflexion !

    Dominator : Certes et c’est pourquoi je vais faire un petit somme, moi !

    Monsieur Nuit : Et le serpent, on le mange pas !

    Dominator : Mais si, monsieur Nuit, faites comme vous l’entendez ! Gardez-moi un morceau, c’est tout !

    Le duc : Pour défendre le territoire ?

    Ratamor, au duc : Vous apprenez vite !

    Dominator : Pour ce qui reste à défendre de Domopolis...

    La Machine : Et pas un mot pour sa mère dans la lettre ! Quelle honte !

                                                                                                                RIDEAU

                                                                                                ACTE V, SCENE I : Paschic

    La scène est nue, mais Paschic va décrire un sous-bois… Il est à genoux au centre la scène.

    Paschic : Je suis l’enfant magique ! l’enfant enchanté, ravi ! Je suis au cœur de la reine Beauté ! Tout y est couleurs, lumières ! scintillements, merveilles ! Le ruisseau murmure doucement à mon oreille ! Le caillou poli sourit ! Dans l’écume jouent des chevelures ! Le feuillage émeraude est comme un vitrail et le fût des troncs tel un pilier ! Ici, rien n’est laid ! L’herbe est bercée, la vase ondule ! L’oiseau triomphe, l’insecte danse !

    Je suis l’enfant ravi ! L’enfant confiant ! L’enfant heureux ! Je suis chez moi ! dans le sein de la reine Beauté ! Je suis l’enfant patient, qui écoute ! qui aime ! Je suis l’enfant simple, qui croit, qui a confiance ! Je suis l’enfant doux, sans haine, sans ressentiments, en paix ! Je suis enchanté par tant de merveilles ! Et je ne comprends pas les Doms !

    Ici, je me sens aimé, car tout y est don ! Tout y est lumière, scintillements, couleurs, majesté !

                                                                                    ACTE V, SCENE II : Paschic et les autres

    Les Doms arrivent à la queue-leu-leu… et ils viennent devant Paschic, qu’on ne voit plus. Ils chantent d’abord ensemble le refrain, puis chacun à leur tour.

    Les Doms : Nous sommes les Doms ! Dom, dom, dom ! C’est tout pour not’ pomme ! Ou c’est tout comme ! Dom, dom, dom !Nous voulons dominer, miner, miner ! triompher de la fée, fée, fée !Nous sommes sérieux et vieux ! Nous sommes sévères, loin du vert ! Nous bombons le torse, c’est là not’ morse ! Eh ! Là-bas le rieur, nous sommes supérieurs !

    Nous sommes les Doms ! Dom, dom, dom ! C’est tout pour not’ pomme ! Ou c’est tout comme ! Dom, dom, dom !

    Le duc, qui est en tête : L’emploi, c’est la loi ! Cotise, mais bon sang cotise ! Que veux-tu que je te dise ? La retraite, si t’arrêtes, c’est l’arête !

    Monsieur Nuit : J’ bétonne et ça tonne ! Et ça t’étonne ? J’ fais du bruit ! Tout j’ détruis ! Tout est gris, tout aigrit ! Le silence, c’est d’ la mort la lance ! J’ bétonne et ça tonne ! Et ça t’étonne ? Perceuse, à mon secours ! Le ciel bleu veut me donner un cours !

    Dominator : La ville s’étend tel un serpent ! Nécessité, nécessité ! Je ne suis pas ambitieux, ni vicieux ! La ville s’étend tel un serpent ! Pan ! Pan ! Je mords, sans remords ! Nécessité, nécessité ! Je t’aveugle de mon poison, te voilà en zonzon !

    Lapsie : J’ suis la sœur Pouvoir ! Mais chut ! Défense d’y voir ! Objective, très active ! Rose devant la névrose ! Pleine de fiel, pleine de miel ! Objective, très active ! Je tue, c’est l’actu ! C’est moi, Lapsie ! C’est moi qui scie !

    Ratamor : Sombre avec mes calculs ! Mais jamais je ne recule ! La vérité, c’est ma tasse de thé ! Je me dresse, dieu logique ! Ceci progresse, ceci j’explique ! J’ suis pas divin, juste vain ! Eh ! Mais notoire qu’ j’veux pas d’histoires ! J’ fais qu’ passer ! C’est mon courage ressassé !

    La Machine ! Qu’est-ce que je fais ici ? J’ dévore ! Qu’est-ce que tu fais ici ? T’es pas mort ? Groumph, groumph ! (Elle mange.) A moi, tout ça ! A moi ! Quoi ? On existe ? J’existe, nuance ! Pas d’autres panses ! J’écrase, j’ piétine ! J’ suis La Machine ! J’ai tous les droits ! C’est moi qui broie !

    Les Doms : Nous sommes les Doms, dom, dom, dom… (suite du refrain).


                                                                             ACTE V, SCENE III, les mêmes, la reine Beauté

    La reine beauté apparaît dans tout son éclat, ce qui fait reculer tous les Doms !

    La reine Beauté : Je suis la reine Beauté, je suis le mystère ! Car je suis amour ! Je suis la foi, la confiance ! A travers moi, tu vois comme je t’aime ! Car je suis infinie ! Tu ne pourras jamais faire le tour de mes merveilles et de mes sortilèges ! Je suis le marchepied de la confiance, le don sans limites, la force aussi inouïe que paisible !

    Viens mon enfant ! Viens m’admirer ! Viens te réjouir ! Je t’enseignerai et tu sécheras tes larmes ! Je t’expliquerai le Dom, je te montrerai le vrai travail et ta valeur ! Je te dévoilerai la vraie richesse, qui est patience et paix ! Tu aimeras pour toujours ! Tu riras du Dom ! Tu danseras dans ma lumière ! Tu seras d’un espoir sans bornes ! Tu éclaireras le monde !

                                                                                                      RIDEAU ET FIN

  • La Révolte (la pièce)

    • Le 28/06/2025

    R87

     

     

               "Tu es même restée mieux que je l'espérais!"

                                      Un Singe en hiver

     

     

                    ACTE III, SCENE VI : Les mêmes, plus le DTN

    Le Dom trou noir est jeune et muni d’une arme. Dès son entrée, il crie.

    Le DTN : Haut les mains tous ! Allez, les mains en l’air ! Le premier qui bouge, j’ le descends !

    Dominator : Mais qu’est-ce que… ?

    Le DTN : Ta gueule, papa ! Tu fais comme les autres : tu lèves les mains bien haut !

    Le duc : Qu’est-ce que vous voulez ?

    Le DTN : Mais déjà regarder vos sales trombines ! Alors, voilà l’élite de Domopolis ! Ah ! Ah !

    Monsieur Nuit : C’est un jouet cette arme, non ?

    Le DTN : Tu veux que je te prouve le contraire ? Attention, t’es prêt ? (Il pointe son arme.)

    Monsieur Nuit : Ça va, ça va , je vous crois !

    Le DTN : J’en étais sûr ! Pour la gloriole, vous êtes au top ! Mais dès qu’il s’agit de mettre les mains dans le cambouis, y a plus personne !

    Lapsie : Écoutez, je suis psychologue ! On peut parler, avant qu’un drame n’arrive !

    Ratamor : Lapsie a raison ! Discutons… Rien d’irréparable n’a encore été commis !

    La Machine : Peuh ! Vous voyez pas qu’ c’est un branleur ?

    Le DTN, à la Machine : Mais la bourgeoise nous tient tête, car y a du mâle pour la protéger !

    La Machine : Pose ton arme et t’auras droit à une bonne fessée ! Je ne sais pas qui est ta mère, mais ça doit être une molle !

    Le DTN : Mais on t’a jamais appris la politesse, la vioque ! Tiens ! (Il lui donne un coup avec son arme.) Ça va mieux ! T’atterris enfin ? Ce que c’est que de vivre dans les privilèges... On y perd tout sens des réalités !

    La Machine, qui pleure : Mais venge-moi, Tautonus ! Tu ne vois pas ce qu’il fait à ta femme ?

    Tautonus : Jeune homme, je jure que…

    Le DTN : Tu jures quoi, le bourgeois ? Tu devrais plutôt me remercier : j’ai remis ta femme à sa place ! Ça fait combien de temps qu’elle se croit la reine sur terre ?

    Monsieur Nuit : C’est la fille de Ptolémée II !

    Le DTN : Quoi ? La fille de mémé II ? Ah ! Ah !

    Dominator : Ça ne nous dit toujours pas ce que vous voulez…

    Le DTN : Ah ! C’est toi, le chef ! Je m’en serais douté, figure-toi ! T’es là comme si les autres devaient te servir ! Tu dégoulines d’autorité !

    Ratamor, bas : Lapsie ! Le domomètre indique 20 doms, quand il s’approche ! C’est un DTN ! Un véritable Dom trou noir !

    Le DTN, à Ratamor : Qu’est-ce que tu baragouines, le singe ? Tu veux du plomb dans l’aile ?

    Ratamor : Hein ? Non, évidemment ! Je disais seulement que j’aimerais bien un café noir !

    La Machine, se tenant encore le visage : Encore ? C’est une manie chez vous ! Il ne faudra pas vous étonner d’avoir un jour des problèmes cardiaques !

    Le DTN : Mais fermez-la, bon sang ! Vous n’êtes pas au courant que vos vies viennent de changer !

    Lapsie : Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu plus…

    Le DTN : J’ viens d’en bas, ma belle ! de la masse grouillante et anonyme ! de ceux que vous voyez comme des caves ! Vous n’avez pas tout à fait tort d’ailleurs ! Nous sommes bêtes à vomir !

    Monsieur Nuit : Je vous assure, jeune homme, que nous respectons tout le monde !

    Lapsie, au DTN : Attendez, vous êtes en train de nous dire que vous souffrez d’anonymat ! Vous vous sentez perdu dans la foule, c’est bien ça ?

    Le DTN : Je sens, doc, que vous allez m’éclairer…

    Lapsie : Mais oui, le sentiment d’être seul ne dépend pas du rang social, mais des relations personnelles que vous créez ! Mettez-vous déjà en couple… et vous compterez pour quelqu’un !

    Le DTN : Cela ne me suffit pas ! Je rêve de plus grand !

    Le duc : Mais le « monsieur » veut pas bosser, c’est tout ! Nous sommes tous ici grâce à notre travail !

    Le DTN : Mais bien sûr, avec les meilleures intentions du monde ! Sauf que moi, je ne vous supporte pas ! J’ai en horreur vos règles et vos mimiques ! Je n’ai pas à vous obéir ! C’est moi qui commande !

    Dominator : Mais où ça va vous mener tout ça ? Nulle part ! La police doit être déjà en route !

    Le DTN : Possible ! Mais j’étouffe ! Vous ne connaissez pas ma solitude… Elle est atroce ! J’ai besoin de dominer, vous entendez ! C’est vital ! Sinon le vide m’angoisse, m’écrase ! Aujourd’hui, j’ai l’élite de la ville sous mon commandement ! J’existe ! Je ne ressens nulle anxiété ! Et puis, je vois que vous êtes des minables (Il les regarde tout à tour et ils baissent les yeux.) Vous avez peur ! Bien entendu que vous avez peur ! Car vous êtes des hypocrites ! Vous êtes comme moi, mais vous n’osez pas ! Vous aussi, vous voulez le pouvoir, n’est-ce pas la bourgeoise ? (Il s’adresse à La Machine.) Mais il faut y mettre les formes ! Il faut enrober tout ça ! Tiens, toi, tu es différent ! (Il parle à Paschic.) Tu n’as pas peur, on dirait !

    Paschic : Dans le fond, non…

    Le DTN : Comment tu fais ?

    Paschic : J’aime la reine Beauté… et je lui fais confiance !

    Le DTN : La reine Beauté ?

    Paschic : Oui, la beauté de la Chose, ou plus exactement de la nature…

    Le DTN : Les petites fleurs et les papillons, ça t’aide ?

    Paschic : Oui, la beauté du monde est infinie et me fait comprendre que je ne suis pas seul et que je suis ici chez moi !

    Le DTN : Eh bien, t’en as de la chance !

    Paschic : Ce n’est pas seulement une question de chance… C’est le désir de dominer qui empêche de voir la reine Beauté ! Comment pourrait-on la comprendre, quand on se soucie de son nombril ? Le résultat, c’est que, face à l’inconnu, nous avons recours à la domination animale qui est en nous ! Pour fuir l’angoisse, nous voulons commander à tout prix, nous sentir toujours supérieurs, ce qui fait que nous détruisons la planète et que tu nous tiens en joue ici !

    Le DTN : Tu es bien savant pour ton âge !

    Paschic : Sur ce terrain oui… et je le suis par la forces des choses, car j’ai dû trouver des réponses moi-même !

    Le DTN : Je te crois… Tu es vrai… Il émane de toi une paix que je n’ai jamais connue ailleurs ! Si tu savais comme je suis fatigué ! Comme je voudrais me reposer un instant !

    Paschic : Cela ne m’étonne pas ! Tu domines tout le temps, car tu as peur tout le temps ! Ce n’est pas vivable !

    Le DTN : Laisse-moi dormir contre ton épaule… Tu m’aideras ? Eux (il montre les autres.), de toute façon… (Il baisse son arme et ferme les yeux, contre l’épaule de Paschic.)

    Le duc, après un instant : Il dort ? Il dort vraiment ?

    Monsieur Nuit : Mais non, il fait semblant…

    Tautonus intervient et se saisit de l’arme ! Le DTN ne bouge pas…

    Le Duc : Bon sang, cet imbécile dort vraiment !

    Monsieur Nuit : Un vrai bébé !

    Dominator : Tant mieux ! On a évité le pire !

    La Machine : Vous avez vu mon fils, Paschic ! (Elle caresse la tête de Paschic) Un vrai héros ! Ah ! C’est bien de mes entrailles qu’il est sorti ! Je suis fière de toi, mon garçon !

                                                                                                             RIDEAU

                                                               ACTE IV, SCENE I : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, le DTN

    Le décor est une cave, avec des débris et un mobilier grossier… Le duc et monsieur Nuit sont en train de manger, silencieusement, autour d’une table… Entre eux, le DTN reste immobile, face au public…

    Monsieur Nuit : Pas mauvais ce rat ! Je le trouve plus dodu que celui d’hier !

    Le duc, occupé : Mmmm…

    Monsieur Nuit : J’ai bien fait de le griller ! Cuit à l’eau, ils gonflent et ils perdent toute leur graisse !

    Le duc : Ouais, mais grillés, ils dégagent plus d’odeur ! Déjà qu’on étouffe ici ! Combien il fait à la surface ?

    Monsieur Nuit, qui se lève et va consulter un appareil : 50 degrés ! Tout brûle là-haut ! Tout de même hier, c’était 52 ! (Il se rassoit.) Y a une baisse !

    Le duc : Tu veux que je te dise, c’est nous les rats ! On est pris au piège dans cette cave !

    Monsieur Nuit : Heureusement qu’on l’a trouvée ! La plupart n’ont pas eu cette chance… et ils sont morts à présent ! Domopolis n’est plus que ruines !

    Le duc : Oui, le désert a tout enseveli ! Ah ! Quand je pense que j’étais en train de vaincre les chômeurs ! Je les tenais dans ma main !

    Monsieur Nuit : Et moi, je bétonnais à tout va ! Je n’ai rien vu venir ! La canicule s’est installée d’un coup… et puis, elle est restée ! Tout a crevé ! Les chantiers, bien sûr, se sont arrêtés ! Y avait même plus d’eau pour faire le béton ! Ma femme et mes enfants sont partis, je ne sais où ! Ils m’ont traité de démon ! Va savoir pourquoi ?

    Le duc : Ah ! Les fainéants ont gagné ! Tous les oiseaux de mauvaise augure jubilent à présent ! Ils l’ont, leur réchauffement climatique ! (Il se met à pleurer.)

    Monsieur Nuit : Allons, allons duc ! Nous sommes toujours vivants ! Il faut voir les choses du bon côté !

    Le duc : Et l’autre là ! (Il montre le DTN.) Il dit rien, il fait rien, il est comme une statue !

    Monsieur Nuit : Il paraît que notre DTN est devenu un Dom émeraude, d’après Lapsie ! Il ne veut plus nous tuer, mais il serait plongé dans un rêve de verdure ! ce qui n’est pas étonnant, vu qu’il n’y en a plus !

    Le duc : Quoi ? Vous pensez qu’il est nostalgique du monde d’avant ? Pour moi, c’est encore un prétexte pour pas bosser ! J’ t’en foutrais, moi, des hypersensibles ! Et comment il va faire plus tard, puisqu’il cotise pas ?

    Monsieur Nuit : Sauf vot’ respect, duc, cotiser n’est plus à l’ordre du jour ! Il s’agit seulement de survivre, ici et maintenant ! Il faut faire une croix définitive sur l’ancien système !

    Le duc : A qui la faute ? A tous ceux qui n’ont fait que profiter ! Auparavant, on avait un certain sens du devoir ! Tenez, quand je voyais ces immenses files de voitures, le matin, dont les pots fumaient à qui mieux mieux, eh bien, j’inspirais profondément ! J’avais le cœur léger ! Je me disais : « Voilà le vrai pays, celui qui travaille ! »

    Monsieur Nuit : Ah ! C’est sûr, c’était la belle époque ! Chacun savait ce qu’il faisait ! Je revois ces visages graves au volant ! Ces rages sur l’accélérateur ! Quel sérieux, quelle dignité !

    Le duc : Exactement ! Le sens de la vie ? Mais il était là, noir sur blanc ! On travaille, on cotise et on est tranquille, pour ses vieux jours !

    Monsieur Nuit : Je me rappelle… Le béton coulait à flots ! On gagnait sur la Chose ! On abattait les arbres ! On rasait les talus ! Eh ! Eh ! Le monde était à nous !

    Le duc : Et ces cultures intensives ! Quel ordre, grâce aux pesticides ! Il n’y avait pas un épi qui mouftait !

    Monsieur Nuit : Et... et de l’eau, on en avait ! Ces jets qui arrosaient les champs, ça avait un petit côté Versailles ! Tandis que que maintenant…

    Le duc : Chaque goutte compte ! Quand je pense que ce grand dadais (il montre le DTN) en consomme pour sa plante !

    Monsieur Nuit, qui consulte sa montre : C’est l’heure d’ailleurs ! Il va se lever et humidifier sa petite verdure !

    (Le DTN se lève et va arroser une petite plante, suivi des yeux par le duc et monsieur Nuit…)

    Monsieur Nuit : Savez-vous ce qu’il m’a dit un jour ?

    Le duc : Ah ? Parce qu’il vous a parlé ?

    Monsieur Nuit : Une fois ! Il m’a dit : « Si l’un de vous touche à ma plante, je le tue ! » Voilà ce qu’il a dit !

    Le duc : Il serait capable de le faire ! Il a toujours son pistolet ?

    Monsieur Nuit : Je l’ignore, mais je préfère ne pas le lui demander…

    (Le DTN revient s’asseoir, sans un mot…)

    Le duc : Il y a tout de même une chose qui me manque plus que tout !

    Monsieur Nuit : Ah ?

    Le duc : Oui, c’est le bruit ! le vacarme des chantiers, du trafic, des avions ! Même les débiles, qui passaient avec leur musique plein pot, je les regrette ! J’aimais cette ébullition constante, qui m’abrutissait !

    Monsieur Nuit : Je vous comprends : tout plutôt que ce silence épais, qui pèse aujourd’hui sur nous !

    Le duc : C’est ça ! Pour moi, ce silence est synonyme de mort !

    Monsieur Nuit : Il n’y a plus non plus de cris d’oiseaux !

    Le duc : Écoutez, j’entends Dominator et Ratamor rentrer !

                                                             ACTE IV, SCENE II : Le duc, monsieur Nuit, le DTN, Dominator, Ratamor

    Dominator et Ratamor font leur apparition et ils se débarrassent de turbans et de robes de fortunes, destinés à protéger de la chaleur.

    Le duc : Alors, vous étiez en expédition, ce matin ?

    Dominator : Oui, on est parti un peu avant l’aube, à cause de la chaleur ! Mais, même à cette heure, c’était déjà difficilement supportable ! Enfin, on ne rentre pas bredouille ! Regardez-moi ça, les enfants, un beau serpent ! (Il le tire de son sac.) Hein ? On va s’ régaler !

    Monsieur Nuit : Et comment, Dominator ! On va le faire mariner, il aura encore plus de goût !

    Le duc : Dans quoi ?

    Monsieur Nuit : Ch’ais pas ! On trouvera !

    Dominator : On a encore attrapé deux lézards ! Ah ! Faut s’battre ! Mais le professeur Ratamor a aussi une bonne nouvelle ! (Il continue à se déshabiller…)

    Ratamor : En effet, j’ai repéré un lichen comestible ! Et il a l’énorme avantage de capturer l’humidité ! En le mâchant, on pourrait ainsi éviter la déshydratation !

    Le duc : Vous voulez dire qu’on va sucer de la mousse ?

    Ratamor : On s’adapte, mon cher duc, on s’adapte !

    Le duc : Et si on n’en a pas envie ?

    Ratamor : Alors, on meurt !

    Dominator, qui a pris place sur un tabouret : Mes enfants, vous auriez vu la tour du Pouvoir ! Le haut s’est écroulé, avec mon bureau ! Et le bas est envahi par le désert ! J’avais les larmes aux yeux ! Je me suis revu au sommet, commander la ville ! J’avais dix mille secrétaires ! vingt mille adjoints ! Ah ! C’était une ruche bourdonnante ! Et des projets ? J’en avais à foison ! Je rêvais d’une ville immense, immaculée, moderne et… (Il s’effondre et gémit.) Oh ! Mon Dieu !

    Le DTN : Quelle mauviette !

    Dominator, relevant la tête : Hein ?

    Ratamor, au DTN : Mais tu parles ?

    Le DTN : Rappelez-vous vos discours ! Vous n’étiez guidé que par sœur Nécessité ! La sœur au regard sévère ! Et maintenant, vous pleurez votre rêve de grandeur, qui ne sera pas réalisé ! Ah ! Elle est belle la nécessité !

    Dominator, qui se lève : Petit morveux, comment oses-tu ? Tu sais à qui tu parles ? A Dominator, le maire de Domopolis !

    Le DTN : Qui n’existe plus ! Pas d’ bol !

    Dominator : Tu vas t’en prendre une !

    Monsieur Nuit : Allons, allons, messieurs ! Il est inutile et même néfaste de se fâcher dans un espace aussi exigu !

    Dominator : C’est sa faute aussi ! Il me cherche !

    Le duc : Moi, ce que je trouve incroyable, c’est qu’un ancien petit voyou (il désigne le DTN) vienne nous faire la leçon !

    Le DTN : J’ai été éclairé par Paschic ! Il m’a ouvert les yeux !

    Ratamor, goguenard : Heureux homme !

    Le DTN : Nous avons tous soif de vivre ! Nous voulons tous nous développer et nous épanouir ! Mais cela ne doit pas être aux dépens des autres ! Or, Domopolis détruisait la Chose, écrasait même ses habitants !

    Dominator, qui tape sur la table : Mais bon sang, il faut bien loger les gens, les nourrir, leur donner du travail !

    Le DTN : Mais vous venez de le dire ! Domopolis était votre œuvre, votre fierté ! C’est votre ego qui souffre !

    Le duc, au DTN : Je me demande si vous n’êtes pas un de ces gauchistes, en guerre contre les méchants capitalistes !

    Le DTN : Les capitalistes ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Nous sommes tous pareils ! Nous voulons tous a priori dominer et posséder plus ! Toute action violente témoigne d’un besoin de pouvoir ! La lutte contre les capitalistes, c’est encore l’ego qui réclame son dû !

    Le duc : Vous avez raison... Rien ne vaut une société bien en ordre, avec la famille respectée ! un pays bien propre, souverain…

    Le DTN : Mais la vie, c’est la différence ! Ce n’est pas être étouffé par l’autorité et des préjugés ! C’est un risque !

    Le duc : Décidément, vous m’énervez !

    Ratamor, au DTN : Vous ne l’ouvrez pas souvent, mais subitement, là, c’est un fleuve !

    Monsieur Nuit : On oublie tous que c’est l’économie qui commande !

    Le DTN : Ah bon ? Nos sociétés avaient tout et pourtant elles étaient toujours en crise ! Nous étions dans une impasse, avec nos idées économiques !

    Monsieur Nuit : Bon, alors que préconisez-vous ?

    Le DTN : Mais que chacun se change d’abord soi-même ! qu’il trouve un équilibre autre que celui de la domination ! qu’elle ne soit plus notre boussole ! notre remède à la peur ! Riez de votre ego, messieurs, et vous serez libres !

    Monsieur Nuit : Comprends pas ! En quoi croire alors ?

    Le DTN, à monsieur Nuit : Cherchez pas, c’est un exalté !

    Dominator : D’entendre autant de bêtises, ça m’a donné soif ! Mais plus question de whisky, maintenant !

    Ratamor, songeur : Pas sûr ! En faisant chauffer mon lichen…

    Le duc : Tiens, voilà ces dames !

                                                                       ACTE IV, SCENE III : les mêmes, Lapsie, La Machine

    Lapsie : Bonjour… Hélas, nous avons une bien triste nouvelle à vous annoncer !

    Dominator : Diable !

    Lapsie : Le mari de madame (elle désigne La Machine) vient de mourir !

    Dominator : Comment ? Tautonus ?

    La Machine : Oui, mon mari Tautonus vient de s’éteindre dans mes bras, à l’instant même !

    Dominateur : Quelle perte ! Un collaborateur aussi précieux ! Veuillez, madame, recevoir toutes mes condoléances !

    La Machine : Merci.

    Le duc : Et les miennes !

    Monsieur Nuit : Et les miennes aussi !

    Ratamor : Les miennes également !

    Dominator : Mais comment est-il mort ?

    La Machine : Je ne saurais le dire exactement… Il avait l’air épuisé depuis quelque temps…

    Lapsie : Apparemment, Tautonus souffrait de troubles nerveux assez graves...

    Le DTN : Dites plutôt qu’il est mort de peur !

    Dominator : Hein ?

    Le duc : Quoi ?

    Monsieur Nuit : Comment osez-vous ?

    Ratamor : Vous n’avez donc aucun respect pour les morts ?

    La Machine : En effet, jeune homme, vous offensez la mémoire de ce brave Tautonus !

    Lapsie : Quelle honte !

    Le DTN : Au contraire, je lui donne toute son individualité ! Votre hypocrisie le noie sous les lieux communs !

    Monsieur Nuit : Mais vous parlez comme si vous le connaissiez !

    Le DTN : Paschic m’a un peu expliqué son cas, si je puis dire…

    La Machine : Encore ce minable de Paschic ! Décidément, il aura été ma croix jusqu’au bout !

    Lapsie : Mais qu’est-ce que Paschic vous a raconté au sujet de Tautonus, pour que vous disiez que celui-ci est mort de peur ?

    Le DTN : Mais que c’est la faute de madame ! (Il désigne La Machine.) C’est elle qui a « crevé » son mari !

    Dominator : Oh ! Quel langage !

    Le duc : Quel scandale !

    Monsieur Nuit : Ca dépasse les bornes !

    Ratamor : Jeune homme, je crois que vous devriez vous taire !

    La Machine : Laissez, laissez ! Je voudrais bien savoir ce que vous a dit cette vermine de Paschic !

    Lapsie : Je vous en prie, madame, ne vous infligez pas cette épreuve ! Le moment est assez dur comme ça !

    La Machine : Ah ! Mais vous ne me connaissez pas ! J’ai toujours fait face, moi ! Ce n’est pas comme certains ! Même mon défunt mari, Dieu ait son âme ! était rarement à la hauteur !

    Le DTN : Et pan ! Nous y sommes ! L’épouse jamais satisfaite par son entourage et qui ne cesse de le harceler ! Et pourquoi ? Mais tout simplement parce que l’intérêt que l’on veut pour soi est sans issue ! Les autres n’ont-ils pas leur propre vie, ne demandent-ils pas aussi qu’on les aime ? Pourquoi alors s’imposer à eux, leur demander une attention constante ? Madame, vous êtes ce que j’étais naguère, une DTN, une Dom trou noir !

    Dominator : Oh !

    Le duc : Insulte gratuite !

    Monsieur Nuit : Attaquer une veuve !

    Ratamor, qui tousse : Hum ! Hum !

    Lapsie : Ne vous en faites pas, madame, je connais ce genre d’individus ! (Elle parle du DTN.) Ce joli coco est un pervers narcissique ! Il est en train de vous reprocher ce dont lui-même se rend coupable ! Ah ! C’est qu’ils sont retors, vous savez !

    La Machine, à Lapsie : Permettez, madame, je vais moi-même répondre à cet accusateur ! Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le bien de ma famille ! Il a fallu tirer tout le monde vers le haut, pour qu’on ait le confort ! Sinon les hommes resteraient en bas, dans leur saleté !

    Le DTN : Effectivement, madame, vos ambitions passaient apparemment en premier ! Et chacun devait suivre, votre mari devant ! Tous menés à la baguette, pour masquer votre peur, grâce au rang social ! Ce n’était donc jamais assez ! le pouvoir étant une sorte d’ivresse ! Tautonus était un bon « cheval », remarquez ! Lui aussi aimait la notoriété, mais vous vous posiez toujours comme une victime, comme si c’était seulement votre mari qui profitait des « honneurs » ! A partir de là, vos demandes étaient sans limites !

    Le duc : Arrêtez ce tissu d’horreurs, je vous en prie !

    Le DTN : La véritable humanité vous fait peur, duc ? Je vais vous présenter un Tautonus, comme vous ne l’avez jamais vu ! Il était fier de sa réussite, il en jouissait et reconnaissait sincèrement en La Machine sa locomotive ! Il savait qu’il lui devait beaucoup ! Mais, contrairement à elle, il n’essayait pas de se guérir de ses angoisses, en dominant toujours plus, en prenant le contrôle des autres ! Non, il était plus complexe, plus doux, plus nuancé ! Il voulait la paix, mais pas La Machine ! Et il a fini par céder sous le poids de l’effort !

    Monsieur Nuit : Quelle honte !

    Lapsie : En somme, vous rendez La Machine responsable de la mort de son mari !

    Le DTN : En grande partie, oui ! Sa petite personne a toujours compté avant tout !

    Dominator : Espèce de rat puant !

    Le DTN : Mais Tautonus a aussi été victime de notre hypocrisie générale ! Il a été emporté par le torrent de notre peur ! Nous la nions, en jouant les gros bras, mais nous ne lui donnons aucun remède ! Et c’est à moitié hébétés que nous rejoignons le gouffre du temps !

    La Machine : Et moi, je connais encore l’injustice ! N’ai-je pas tout donné à mes enfants, à mon mari ! Je me suis sacrifiée pour eux ! Oh ! Bien entendu, mon travail était dans l’ombre ! Il fallait préparer les repas, faire le ménage, nettoyer le linge ! Qui m’a remercié ? Personne ! Et que de soucis, dès qu’il y avait un malade ! Aujourd’hui, je fais de nouveau face à la sombre ingratitude !

    Le DTN : Ne vous inquiétez pas, madame, la morale sera sauve ! Votre responsabilité, votre égoïsme ne seront plus évoqués ! On en restera aux convenances ! On fera comme avant ! D’ailleurs, Tautonus n’est déjà plus qu’un souvenir !

    Dominator, qui empoigne le DTN : Mais tu vas la fermer, salopard !

    Le DTN, qui crie : Mais qu’est-ce qu’il te faut, pour que ça change ? Tu vois pas où on en est ? Tu veux encore parier sur l’hypocrisie ? Qu’est-ce qu’il vous faut à tous, pour crever l’abcès ?

    Lapsie : Voilà Paschic ! Le principal coupable de tout cela !

  • La Révolte (22, la pièce...)

    • Le 21/06/2025

    R86

     

             "Et le plombier n'est pas passé? Tant qu'il est pas passé, moi, je peux rien faire!"

                                                          Le Magnifique

     

     

          ACTE II, SCENE IV : Paschic, la reine Beauté

           Paschic se relève lentement et se rassoit. Pendant de longues minutes, il pleure et la lumière baisse… La reine Beauté entre silencieusement… Elle porte une robe étincelante et son visage rayonne…

    La reine : Hum ! Hem !

    Paschic, qui se retourne sur sa chaise : Il y a quelqu’un ?

    La reine : Hum… Oui, apparemment…

    Paschic : Mais… Oh ! Madame, comme vous êtes belle !

    La reine, qui sourit : Merci, Paschic.

    Paschic : Vous me connaissez ?

    La reine : Bien sûr que je te connais ! Il y a longtemps que je te regarde… et que je t’aime !

    Paschic : Vous m’aimez ? Ce n’est pas possible, car je suis Paschic ! Je suis le gars mauvais et bon à rien ! Je suis insolent, menteur et sournois… et paresseux, en plus !

    La reine, qui rit : Ah ! Ah ! C’est beaucoup trop pour un seul garçon, tu ne trouves pas ! Et moi, je sais combien tu es gentil, affectueux et même pur ! Eh oui, Paschic, tu es sans malice, sans mensonges… et c’est même là le problème !

    Paschic : Ah bon ? Et comment vous savez tout ça ?

    La reine : Prête-moi ta chaise, tu veux… et je vais tout te dire ! (Paschic s’empresse de faire ce qu’on lui demande et la reine s’assoit.) Merci, Paschic. D’abord, je sais combien tu m’aimes…

    Paschic : Mais je ne vous connais pas !

    La reine : Pas sous cet aspect effectivement… Mais j’ai une infinité de formes et je suis partout ! Par exemple, quand tu contemples silencieusement le ruisseau… Tu sais, quand tu admires mes petits remous, mon doux murmure, mes mousses qui ondulent, mes araignées aux pattes lumineuses, c’est moi que tu aimes !

    Paschic : Oh !

    La reine : Oui, Paschic, je suis la reine Beauté et tu es amoureux de moi, partout où je suis, n’est-ce pas vrai !

    Paschic : Oh ! Oui ! Je vous aime éperdument, car vous êtes d’une beauté infinie ! dans la fleur comme dans le nuage ! la moindre parcelle de vous m’enchante, me ravit ! Même l’écorce ou la pierre !

    La reine, qui rit : Ah ! Ah ! Je le sais, Paschic, et comme tu me rends heureuse ! J’ai rarement vu un aussi bon garçon que toi !

    Paschic : Vous me consolez, reine Beauté, car je ne comprends pas ce monde ! Je ne comprends pas la dureté de mes parents ! Je ne comprends pas leurs tourments et leur injustice ! Et ce n’est pas à cause de moi qu’ils sont comme ça ! Et ce n’est pas à cause de leur travail, non plus !

    La reine : C’est vrai, Paschic, et c’est moi qui t’enseignes tout cela… Quand tu pars de chez toi, avant de venir me voir, tu es plein de blessures ! Tu te plains de l’injustice de la Machine ! Tu souffres ! Mais je ne peux encore rien faire pour toi ! Il faut du temps pour apaiser tes peines ! Puis, tu t’installes dans mon sein et là je te charme…

    Paschic : Oh oui ! Ce n’est pas difficile, vous êtes tellement belle !

    La reine : Merci, Paschic. Je t’éclaire avec un feuillage émeraude… ou bien je te montre le fond pailletée du ruisseau… et ma douceur te calme…, te fait grandir, car je t’enseigne et c’est là mon école !

    Paschic : Dans le monde des Doms, vous êtes tellement étrangère qu’on vous appelle la Chose… La beauté de la nature est devenue absolument secondaire !

    La reine : C’est vrai, mais pas pour toi, Paschic !

    Paschic : Non, pour moi, ce sont les Doms qui ne vont pas bien... et qui mentent !

                                                                                 ACTE II, SCENE V : Paschic, la reine Beauté, La Machine

           La Machine, qui entre : Qu’est-ce que tu fais là, Paschic ? Tu devrais faire tes devoirs !

    Paschic : Mais là… Il y a… (Il montre la reine Beauté.)

    La Machine : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu aimes jouer au personnage !

    Paschic : Mais tu ne vois pas…

    La Machine : Je ne vois pas quoi ?

    Paschic : La…

    La Machine : La quoi ?

    Paschic : Mais la reine Beauté !

    La Machine : Hein ? Mais tu vas retourner à tes devoirs, tout de suite ! sinon ça va chauffer pour ton matricule… Eh ! Mais tu as parlé de beauté, de reine ? Est-ce à dire que tu me trouves belle, Paschic ?

    Paschic : Euh…

    La Machine : Tu n’es pas si méchant que ça, finalement ! Tu sais être doux avec ta mère ! Sache que j’apprécie ! La, la, tu me trouves belle alors ?

    Paschic : Mais… mais bien sûr, tu es la plus belle maman du monde !

    La Machine : Hi, hi ! Tu exagères ! Allez, chenapan, tu ramènes ta chaise là-bas, et tu reprends ton travail ! Chou (elle appelle son mari), tu ne devineras jamais ce que m’a dit Paschic ? (Elle sort.)

                                                             ACTE II, SCENE VI : Paschic, la reine Beauté 

    Paschic : Mais elle ne vous a même pas vue ! Comment est-ce possible ?

    La reine Beauté : C’est parce que ta maman est une DTN !

    Paschic : Une DTN ?

    La reine Beauté : Oui, une Dom trou noir ! Elle vit dans la bulle de sa domination et ne voit le monde qu’à travers elle ! Tout doit être sous son contrôle et elle ramène tout à elle ! C’est pour ça qu’elle est en colère contre toi, parce que tu échappes à son autorité, ce qui lui fait peur !

    Paschic : Mais je ne veux pas lui faire peur !

    La reine Beauté : Je le sais bien ! Mais, comme tu résistes à sa domination, tu fais entrer le monde extérieur dans sa bulle… et elle en est terrifiée ! Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, ni pourquoi tu lui poses problème ! Alors, elle s’acharne et dépasse toute cruauté !

    Paschic : Je ne comprends toujours pas…

    La reine Beauté : Cela ne m’étonne pas ! Tu as encore beaucoup de choses à apprendre ! Mais figure-toi que ta mère n’a pour seul repère que le pouvoir qu’elle exerce sur les autres ! C’est le sentiment de son importance, de sa supériorité qui lui sert de boussole ! Elle attend de toi soumission et même admiration !

    Paschic : Je le voudrais bien, mais je ne peux pas ! Elle est injuste et même méchante ! C’est vous que j’aime, reine Beauté ! Vous êtes bien plus belle !

    La reine Beauté : Et c’est pour ça que tu résistes à ta mère, parce que tu m’aimes… et que tu es plus grand que l’égoïsme des Doms ! Ils sont coincés dans leur domination et ont de la haine, dès qu’on essaie de les en sortir ! Pourtant, ils sont malheureux !

    Paschic : Mais vous êtes là, merveilleuse, magnifique ! Vous êtes un enchantement infini !

    La reine Beauté : Toi aussi, tu es merveilleux Paschic ! Mais comment les Doms et particulièrement ta mère pourraient me voir, puisqu’ils ne voient que leur nombril, leur pouvoir ! puisque seul le succès de leur personne les intéresse ! Pour eux, je suis forcément secondaire ! anecdotique, accessoire ! Alors il me piétine, me saccage et ils détruisent la planète !

    Paschic : Oh ! Comme j’ai souvent envie de leur crier : « Mais vous n’êtes pas honnêtes ! Comment pouvez-vous faire autant bruit, être autant en colère et si injustes ? alors que là-bas dans la Chose, il y a tant de splendeurs, de beautés, de silences, de paix ? Comment une telle différence est possible ? Il y a un problème quelque part ! »

    La reine Beauté : Et que répondraient-ils ?

    Paschic : Mais qu’il faut travailler, pour gagner sa vie ! qu’ils n’ont pas le choix ! que je verrais plus tard ! qu’on ne me fera pas de cadeau ! etc. !

    La reine Beauté : Oui, ils te transmettent toutes leur peurs, Paschic ! Mais, aujourd’hui, tu sais comme ils sont hypocrites, car c’est bien leur orgueil qui passe avant tout ! Cependant, Paschic, ta maman est une Dom trou noir à l’ancienne ! Elle s’inquiète aussi de ton avenir !

    Paschic : Sans doute ! Mais ses coups bas, je les subis tous les jours !

    La reine Beauté : Il va te falloir beaucoup de courage, mais, avant de partir, je vais te dire un secret !

    Paschic : Un secret ?

    La Reine Beauté : Oui. (Elle se lève.) Tiens, prends ma place… (Paschic s’assoit.) Paschic, je viens aussi de quelque part et toi, tu es un enfant de Lumière ! (Elle couvre un instant de sa main le regard de Paschic, qui reste comme ébloui.) Je te laisse méditer là-dessus… (Elle sort.)

                                                                                 ACTE II, SCENE VII : Paschic, Tautonus, La Machine

           Tautonus : Paschic, ta maman m’a dit que combien tu as été agréable avec elle… et j’en suis bien content ! Car qu’est-ce que vous avez tous les deux à vous écharper ! Ce n’est pas la première fois, hélas ! A la vérité, Paschic, que tu manques de respect à ta mère est la seule chose que je ne te pardonnerai pas ! Je suis même prêt à te cogner, si cela se produit à nouveau ! (Il met son poing menaçant sous le nez de Paschic, qui n’a aucune réaction.) Tu ne répliques pas ? Étonnant ! Mais, mais je crois comprendre ce que tu penses ! Tu es en train de te dire que j’ai plein d’ambitions, de projets et que c’est donc aussi pour mon confort, pour mon plaisir que je ne veux pas en plus de problèmes à la maison ! Mais, si je suis aussi sévère avec toi, Paschic, c’est d’abord pour ton bien ! Il faut que tu respectes les adultes, sinon tu sais ce qui va t’arriver ? Hein ? Eh ! Mais tu as un drôle d’air ! (Il passe la main devant les yeux de Paschic, qui ne cille pas.) Chou, chérie ! (Il appelle La Machine.) Viens voir, Paschic est bizarre !

    La Machine : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu crois Paschic malade ? Penses-tu, c’est un simulateur ! Il nous joue la comédie ! Il trouve toujours une occasion de nous emmerder ! Eh ! Paschic, secoue-toi ! (Elle pousse Paschic, qui demeure toujours immobile.) Qu’est-ce qu’il a ? Tu l’as frappé ?

    Tautonus : Moi ? Pas du tout ! Au contraire, j’étais même venu le remercier d’avoir été gentil avec toi !

    La Machine : Ouais, faut pas en faire trop tout de même ! Ils ont vite fait de pourrir à cet âge-là ! Eh ! Paschic ! X+2=3, combien vaut x ? (Paschic ne répond pas.) C’est pas vrai, il le fait exprès ! X+2=3, combien vaut x ? C’est quand même pas sorcier ! Réponds-moi ou j’ te mets une claque !

    Tautonus : Ta mère a raison, Paschic, cette équation est des plus simples ! Allons, fais un effort !

    La Machine : X+2=3, combien vaut x ? (Paschic reste muet.) Mon Dieu, j’ai enfanté un crétin, un idiot, un imbécile ! Moi, la Machine, ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que vont dire les gens ? Ils vont me montrer du doigt, en disant : « Voilà celle qui met au monde des débiles ! » C’est ça que tu veux, Paschic, faire honte à ta mère ?

    Tautonus : Attends un peu… Attends un peu… Dominator m’a parlé d’un mal qui rongerait Domopolis ! Des enfants hébétés, aux yeux émeraude, sont amenés chez les psychologues… Peut-être que Paschic est un de ces cas !

    La Machine : Mais il a toujours eu les yeux un peu verts ! Est-ce qu’on sait ce qu’ils ont ces mômes ?

    Tautonus, qui hausse les épaules : Il pourrait s’agir d’une forme d’autisme…

    La Machine : Quoi ? Mon fils artiste ? Une feignasse boirait le sang de la famille ?

    Tautonus : Non, autiste… Au reste, ça doit être quasiment la même chose…

    La Machine, soudain éplorée : Mais, mais alors il est vraiment malade, ce p’tit ? Au secours ! Au secours ! Il faut appeler un médecin, les pompiers !

    Tautonus, qui la prend dans ses bras : Je te jure qu’on va tout faire pour le sauver !

                                                                                         RIDEAU

                                                              ACTE III, SCENE I : Le duc de l’Emploi

          Le décor est fortement illuminé, jusqu’à donner une impression de blancheur. Nous sommes à l’intérieur d’un centre commercial et le duc de l’Emploi est aussi tout de blanc vêtu.

    Le duc, qui s’adresse, avec un micro, à un public imaginaire : Bienvenu dans le Rêve blanc ! Ici, la Chose n’atteint plus le Dom ! Finis les intempéries, le froid, la grisaille, les moustiques, les tiques et en définitive toutes les aspérités, les difficultés de la vie ! Vous quittez votre cher chez-vous, vous goûtez le confort de votre voiture et vous venez nous rejoindre ici, dans le Rêve blanc, si chaud, si paisible, si luxueux ! Les agressions de la végétation ne sont plus qu’un vague souvenir et une douce torpeur vient vous envahir ! Le personnel de ce centre commercial ultramoderne est à votre service ! Laissez-le vous guider et tous vos soucis disparaîtront !

    Certains me reconnaissent à présent : je suis le duc de l’Emploi ! Des dizaines d’entreprises ont participé à la construction de ce bâtiment et aujourd’hui, plus de deux cents personnes y sont employées ! C’est donc une large victoire sur la Chose, une victoire méritée, utile ! C’est pour moi une source continuelle de fierté ! Un arbre abattu, c’est un emploi nouveau ! un estomac contenté ! une cotisation en plus ! de quoi rassurer nos vieux jours ! Bref, nous avons encore gagné ! grâce au combat de certains Doms, tel que monsieur Nuit, que je vous demande d’accueillir par vos applaudissements ! (Le duc applaudit lui-même.)

                                                                        ACTE III, SCENE II : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit

          Monsieur Nuit, qui entre au pas de course et qui prend le micro des mains du duc : Merci duc ! On ne dira jamais assez combien les hommes de votre trempe ont de la valeur ! C’est bien simple : l’emploi, c’est la vie ! (Il se tourne vers le public.) Mais j’aimerais avec vous, cher public, revenir un peu sur l’histoire de notre lutte, sur l’histoire de la construction de ce centre commercial ! (Il étend le bras...) Je me souviens encore, avec émotion, de la friche qui existait au départ ici ! On aurait juré que la Chose y prenait toutes ses aises ! qu’elle montrait là toute la laideur dont elle est capable ! On marchait dans la boue, on évitait de larges flaques d’eau et on était dégoûté par une famille de buissons rabougris !

    Non, mesdames, messieurs, le béton devait recouvrir tout ça ! Je sentais monter en moi tout l’enthousiasme de l’artiste ! Je vibrais à l’idée des nouveaux murs et les buissons avaient beau me tirer par la manche, me supplier avec leurs oiseaux braillards, je restais sourd à la pitié ! Et n’ai-je pas eu raison ? N’est-on pas dans le temple même de la propreté ? Et le béton à l’extérieur n’a-t-il pas un grain exceptionnel ? Je viens moi-même la nuit le toucher et…

    Le duc, qui le coupe et qui prend le micro : Merci, monsieur Nuit ! qui est, on le rappelle, l’entrepreneur le plus doué de la ville ! Mais le temps est venu pour nous d’entendre l’acteur n° 1 de notre petite fête, celui que nous connaissons tous et qui va maintenant procéder à l’inauguration de ce nouveau centre commercial… Je veux bien sûr parler de Dominator, le maire de Domopolis ! (Le duc et monsieur Nuit applaudissent.)

                                                              ACTE III, SCENE III : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator

    Dominator, qui arrive d’un pas pesant et qui prend lentement le micro : Merci, mes amis… Hum, j’ai toujours eu une sœur, même si elle n’est pas inscrite à l’état civil ! Elle a toujours été pour moi une seconde conscience, qui me regarde au fond des yeux ! Terrible est son examen et pourtant j’y réponds de bonne grâce, n’ayant rien à cacher ! Cette sœur, mes amis, s’appelle Nécessité ! C’est elle qui me montre la voie, qui me dit : « Dominator, étends la ville, rase les champs, attaque la mer, envole-toi dans les airs ! Fais grandir ta cité encore et encore, car le pauvre n’attend pas ! Regarde-le poussant sa charrette, sa femme inquiète et ses dix enfants le suivant ! Il cherche un logement ! Œuvre titanesque ! Et c’est toi, Dominator, qui va le lui offrir, qui va sécher ses larmes !   

    Au pays où nous avons tout, dix mille fromages, dix mille sortes de pains ! le drame n’est pas de choisir, ni de faire la tête parmi toutes ses richesses ! Non, il est que nous n’allons pas assez vite, que nous ne sommes pas assez solidaires, afin que Domopolis rayonne jusqu’à l’horizon ! Dominator, réjouis-toi de la liesse populaire, comme du nouveau lotissement ! Imagine le nouveau stade, perfore les rues, gave-toi de bruits ! Ainsi ton mépris sera caché ou rendu digne ! Ainsi ta soif de grandeur disparaîtra sous l’air humble des bâtisseurs incompris ! »

    Voilà comment me parle sœur Nécessité, dont je vante les mérites partout où je passe ! Et je le fais d’autant plus aisément que ce nouveau complexe commercial va accueillir une expérience unique au monde ! Oui, mes amis, un centre d’études et d’aides, consacré à la santé mentale de nos jeunes, ouvre ici ses portes ! Je vous avoue que la situation est préoccupante ! Il est possible que la domestication de la Chose, qui implique la fleur et l’arbre tenus en laisse, soit ralentie par les problèmes mentaux de certains ! Mais, plutôt que de leur jeter la pierre, soignons-les ! Il ne s’agit pas bien entendu de remettre en cause notre hypocrisie, mais de faire appel à des spécialistes, qui sont comme de véritables spéléologues de l’âme des Doms ! Mes amis, voici la psychologue Lapsie et le professeur Ratamor ! (Tous applaudissent les entrants.)

                                                         ACTE III, SCENE IV : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator, Lapsie, Ratamor

    Lapsie et Ratamor font leur entrée, en saluant la foule.

    Lapsie, qui ne tarde pas à prendre le micro des mains de Dominator : Bonjour ! Bonjour ! Merci Dominator, nous savons tous ce que Domopolis vous doit ! Ouh ! Quel est l’ennemi de notre jeunesse ? Eh bien, disons-le tout net, c’est l’anxiété ! C’est cette inquiétude qui nous ronge, sans que nous sachions bien pourquoi ! Elle est pourtant destructrice et peut notamment provoquer de sérieux troubles alimentaires ! L’obésité, l’un des maux de notre siècle, est principalement due à l’anxiété ! Tout se passe comme si nous cherchions désespérément des repères, une sécurité ! Mais nous, les Doms, nous méprisons les mauviettes ! Nous sommes forts et la vérité est avec nous ! Grâce à ce centre, chaque jeune pourra bientôt dire : « Je suis le plus beau, la plus belle, le plus fort et la plus forte ! » Et ce sera d’autant plus facile que les marques de vêtements, présentes ici, nous soutiennent et nous prêtent leurs modèles ! Je vous remercie ! (Applaudissements.)

    Ratamor, qui s’empare du micro : Hem, hum, la science, bien entendu, doit faire partie de l’aventure… J’ai d’ailleurs apporter mon domomètre ! (Il montre l’appareil.) Il permet de mesurer les ondes psychiques, que nous transmettons tous ! Nos intentions vont enfin pouvoir être déchiffrées et quantifiées ! Ah ! Quand on songe au combat de la science contre l’obscurantisme, comment ne pas être saisi par le vertige ? La raison s’est dégagée de sa gangue ! La voilà nue devant vous, juste objective ! N’est-elle pas l’avenir ? N’est-elle pas la gardienne de notre liberté ? Un jour, nous connaîtrons tous les secrets du cerveau ! L’anxiété n’a qu’à bien se tenir ! Le chercheur opiniâtre, précis, ambitieux pourra bientôt chanter sa victoire face au noir du cosmos ! Le Dom, seul sur ses jambes, vaincra !

    Dominator, qui coupe Ratamor : Merci, merci, professeur ! (Il prend le micro.) Et maintenant, pour mieux inaugurer ce nouveau centre d’aide aux plus fragiles, je vais vous présenter une famille, qui a bien voulu nous proposer notre premier cas, puisqu’il s’agit de son enfant… Mais cette famille, je la connais personnellement, car le père est Tautonus, l’un de mes plus précieux collaborateurs ! Mesdames et messieurs, voici Tautonus, sa femme La Machine et leur fils Paschic ! On les applaudit bien fort !

                                            ACTE III, SCENE V : le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator, Lapsie, Ratamor, Tautonus, La Machine, Paschic

    Tautonus, à qui on donne le micro : Je vous remercie Dominator, pour l’honneur que vous me faites ! J’ai en effet un fils qui présente des difficultés… et j’espère qu’ici, avec des soins appropriés, il puisse retrouver une parfaite santé !

    Dominator : Nous l’espérons tous, mon cher Tautonus ! Je rappelle que vous êtes notre candidat, pour les prochaines municipales, dans le secteur Est de Domopolis… et bien entendu, je ne doute pas de votre victoire, tant votre mérite est reconnu par tous !

    Tautonus, qui bafouille un peu : Merci… J’essaierai de me montrer le plus digne… de la hauteur de la tâche !

    Dominator : Je n’en doute pas ! Un mot de la mère… peut-être ?

    La Machine : Eh bien, il y a sans doute une erreur, car je ne saurais mettre un idiot au monde ! Moi, la fille de Ptolémée II ! Ou bien Paschic est vraiment malade… et dans ce cas, bien entendu, il faut tout faire pour le soigner ! Ou bien il simule encore une fois, car ce ne serait pas nouveau chez lui ! Personne ne sait que mieux que moi, ici, combien Paschic peut-être sournois et manipulateur !

    Lapsie, qui intervient : Et pourquoi il simulerait, madame La Machine ?

    Ratamor, qui parle à l’oreille de Lapsie : Attention, Lapsie, mon domomètre indique que La Machine émet des ondes psychiques de 18 doms ! Elle est presque une Dom trou noir !

    La Machine, à Ratamor : Qu’avez-vous dit à l’instant ? Vous parliez de moi, c’est ça ?

    Ratamor : Pas du tout ! Je disais seulement que j’avais envie d’un café noir !

    La machine : Ouais… Vous me prenez pour une bille ! Les types comme vous j’en avale dix chaque matin et encore, sans en sentir le goût !

    Ratamor, mal à l’aise : Euh…

    La Machine, de plus en plus près : Ouais, c’est comme ça ! Tu fais moins le malin, on dirait !

    Lapsie, qui intervient : Madame, vous dites que votre fils, Paschic, pourrait simuler, mais dans quel but ?

    La Machine : Mais, pour se rendre intéressant, ma chère ! C’est bien simple, il y en a que pour lui ! Vous lui donnez la main, il prend le bras ! Je le connais par cœur !

    Monsieur Nuit : Madame, si vous voulez vraiment le mâter, amenez-le sur un de mes chantiers, pour les prochaines vacances d’été, par exemple ! Mes hommes lui apprendront ce qu’est le travail et la discipline !

    Le duc : Monsieur Nuit a raison ! Rien ne vaut le travail, pour former la jeunesse ! Et plus on cotise tôt, mieux c’est !

    Dominator : Il vaut tout de même mieux que Paschic termine ses études d’abord !

    Tautonus : Exactement ! Avec un diplôme en poche, bien des portes lui seront ouvertes !

    La Machine : Peuh Vous ne voyez pas qu’il se moque de vous ! Il est heureux, là, vous savez ? Il est le centre d’intérêt !

    Lapsie : Un moment, madame, et si on commençait par demander à Paschic lui-même de quoi il souffre ! Hein, mon garçon ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

    Paschic, qui regarde craintivement la Machine : Euh… Eh bien, j’ai tout le temps peur !

    Lapsie : Ah bon ? Et tu as peur de quoi ?

    Paschic : Je… je ne sais pas ! Je sursaute au moindre bruit ! J’ai toujours peur d’une attaque !

    Lapsie : D’une attaque ?

    La Machine : D’une attaque de moustiques sans doute ! Bzzz ! Bzzz ! Ah ! Ah !

    Paschic, qui se renferme : J’ai parfois du mal à respirer, comme si je devais soutenir mon cœur dans son effort ! Des fois, il faut que je vérifie dix fois si j’ai bien éteint le gaz !

    Lapsie : Pourquoi tu vérifies autant ?

    Paschic : Eh bien, s’il y a une explosion, je serai incapable d’y faire face ! Ce serait trop pour moi !

    Lapsie : Je vois…

    La Machine : Qu’est-ce que vous voyez ? Qu’il est aux anges, parce qu’il est la star ici ?

    Lapsie : Je vois que ce gosse est déjà traumatisé…

    La Machine : Qu’est-ce que vous insinuez ? Que je suis un monstre ? Il faut bien que Paschic apprenne que, dans la vie, on ne lui fera pas de cadeaux ! Les paresseux passent à la trappe !

    Le duc : Cruel constat, mais qui est juste !

    Monsieur Nuit, soudain rêveur : Eh ! Eh ! Adieu l’employé tire-au-flanc !

    Lapsie, catégorique : Nous avons plutôt là un cas d’anxiété chronique !

    Ratamor : Oui, c’est tout à fait ce qu’il nous faut ! Bienvenu chez nous, Paschic !

    Lapsie : Combien indique votre domomètre, pour Paschic, professeur ! On doit avoir une valeur basse, comme pour les Doms émeraude ?

    Ratamor, qui tend son appareil sur Paschic : Hum… Hein ? Mon appareil n’indique rien ! C’est… c’est impossible !

    Dominator : Il est peut-être en panne !

    Ratamor, qui tourne son appareil vers la Machine : Non, madame fait bien toujours dix-huit doms !

    La Machine : Mais qu’est-ce que c’est qu’ ce truc ?

    Dominator : Qu’est-ce que ça veut dire, professeur ?

    Ratamor : Eh bien, je ne saurais le dire…

    Tautonus : C’est grave ?

    La Machine : Peuh… Il serait peut-être temps qu’on s’occupe de moi, non ?

    Le duc : Mais certainement, madame ! Hum… (Il essaie une envolée lyrique.) Vous êtes la fleur…, parmi toutes ces têtes de bois…, à cause du sérieux, hum !

    Monsieur Nuit : Une fleur en béton ! En voilà une idée !

    Lapsie, à Ratamor : Mais vous avez bien une idée, une hypothèse au sujet de Paschic !

    Ratamor : Oui, mais elle est tellement insensée… que je n’ose la dire…

    Dominator : Allez-y, professeur…, au point où nous en sommes !

    Tautonus : Oui, professeur, allez-y ! Je me sens prêt à affronter la vérité !

    Ratamor : Eh bien, la seule réponse, c’est que votre fils ne serait pas un Dom !

    La Machine : Je le savais !

    Tautonus : Comment ça ? Pas un Dom ?

    Ratamor : Cher monsieur, je ne peux pas dire plus ! Votre fils n’émet aucune onde psychique dominatrice ! Apparemment, il ne veut dominer personne ! Ce qui est a priori impossible, puisque nous, les Doms, avons tous la même origine animale !

    Dominator : Un moment professeur, vous êtes en train de nous dire que… Paschic ne serait pas issue de la lignée de notre ancêtre à tous, Dominatus ?

    Le duc : Mais il doit bien quand même être un tant soit peu égoïste, non ? C’est vital !

    Monsieur Nuit : Et voilà que cette inauguration banale bascule vers l’horreur !

    Lapsie : Inauguration banale ? Parlez pour vous !

  • La Révolte... (22, la pièce...)

    • Le 14/06/2025

    R85

     

       "Tu vas me dénoncer et tu donneras la récompense à ma femme!"

                                     Le Lac aux oies sauvages

     

     

     

                         ACTE I, SCENE VI : Lapsie, Ratamor

    Lapsie : Ne lui en veuillez pas, professeur, il ne comprend pas la gravité de la situation !

    Ratamor : Non, en effet, il est dans sa bulle, lui aussi !

    Lapsie : J’avoue que vous m’inquiétez avec vos DTN, vos Doms trous noirs !

    Ratamor : Oui, d’autant qu’ils sont de plus en plus jeunes ! Certains ont douze ou treize ans et ils sont déjà redoutables ! J’ai même vu des bébés dans leur poussette, avoir un drôle de regard et présenter les symptômes des DTN !

    Lapsie : Vous exagérez !

    Ratamor : Non, je vous assure et ça m’a donné froid dans le dos ! Comprenez-vous que les DTN ne supportent aucune autorité ?

    Lapsie : Expliquez moi ça…

    Ratamor : Les DTN sont dans une bulle domination qui est si fermée qu’ils n’admettent aucune opposition, aucune contradiction ! Le moindre obstacle est une menace existentielle ! Si leur domination est interrompue, c’est comme si on déchirait leur bulle et qu’on les exposait au froid extérieur ! Ils éprouvent alors un sentiment de panique, qui les conduit à la haine et à l’envie de détruire !

    Lapsie : J’aime de moins en moins ce que vous me dites…

    Ratamor : Vous rappelez-vous le confinement ? Exceptionnellement, le gouvernement a dicté notre quotidien, nous a imposé de rester chez nous… Eh bien, il y a des DTN qui ont justement fait l’inverse ! On les a retrouvés dehors, en pleine nature, dans l’incapacité totale d’obéir, c’est-à-dire d’arrêter leur domination ! Les mesures de l’État n’étaient vues que comme une attaque contre leur bulle !

    Lapsie : Mais n’était-ce pas simplement des esprits réfractaires ?

    Ratamor : Non, la violence de leur réaction est « épidermique » ! Un pouvoir qui n’est pas le leur les fait quasiment suffoquer ! On n’est pas là devant une quelconque vision politique ! Mais même des conventions peuvent poser problème aux DTN, car elles représentent l’ordre, étranger aux bulles de domination individuelles ! Prenez la bibliothèque d’un village ou le canot de sauvetage d’une île ! Tous deux sont d’une utilité incontestable et pourtant le DTN va s’attaquer à eux ! Il va mettre le feu à la bibliothèque ou couler le canot !

    Lapsie : Hum, cela dépasse effectivement la mauvaise blague…

    Ratamor : Certes oui ! Mais pourquoi ? Mais parce que la convention elle-même fait obstacle à la domination du DTN ! Ce n’est pas son monde, mais celui de l’autre ! Et il ne peut s’y plier ! C’est tout juste s’il accepte le code de la route ! Autre exemple : la police intervient pour un tapage nocturne et voilà qu’on la caillasse ou qu’on lui donne des coups ! Le DTN est dérangé dans ses plaisirs et il ne comprend pas pourquoi !

    Lapsie : Professeur, vous êtes en train de mettre en place les pièces du puzzle, là sous mes yeux…

    Ratamor : Bienvenue au club, docteur ! Mais je ne vous ai pas parlé du plus moche…

    Lapsie : Ah ? J’ai soudain peur de savoir…

    Ratamor : Et vous faites bien, car dans cette domination absolue, maladive, entre bien entendu la pulsion sexuelle ! Le DTN mâle surtout est dangereux et ignoble ! Imaginez la soumission sexuelle qu’il demande ! Vous entrez dans le bus et vous prenez place face à un ado… et là, psychiquement, il fait pression sur vous, pour que vous vous mettiez à genoux, devant son « totem » ! Tout se passe dans le non-dit, l’indicible, et pourtant vous avez l’impression qu’un boa constrictor est en train de vous étouffer !

    Lapsie : Mais je n’ai jamais éprouvé un telle expérience !

    Ratamor : Il se peut que vous ayez seulement ressenti une gêne, qui vous a fait juger tel garçon comme malsain ! Mais dès que vous avez les clés, tout s’éclaire ! Le mal-être d’une certaine jeunesse est évident ! Perdus parmi des adultes, qui ne répondent à aucune de leurs questions, dans un monde foncièrement hypocrite, les DTN se raccrochent à leur bulle de domination, jusqu’à en devenir monstrueux, car, notez-le bien, c’est toujours la peur qu’ils cherchent à éviter !

    Lapsie : Il faudrait pouvoir les rassurer, pour qu’ils se relâchent et qu’ils communiquent ou partagent…

    Ratamor : Oui, il faudrait… Mais qu’avons-nous à leur proposer ? Le réchauffement climatique obscurcit le futur ! La pollution est partout et gangrène notre environnement ! Et pourtant, nous continuons sans ciller à détruire la Chose, comme Dominator avec sa ville, Domopolis ! Il nous est impossible de changer d’attitude, car nous n’avons rien à mettre à la place de notre domination ! Le silence de la nature, son temps qui est plus « large » que le nôtre nous angoissent et nous donnent envie de tout bétonner ! Nous avons tout, mais nos sociétés sont toujours en crises ! La plupart son figés dans leurs haines ! Pour les uns, les responsables de nos malheurs sont les capitalistes ! Pour les autres, ce sont les étrangers ! Nous sommes des disques rayés, alors que c’est notre propre domination qu’il faut combattre !

    Lapsie, qui sourit : Eh bien, je ne vous savais pas aussi remonté, professeur !

    Ratamor : Je vous concède que la situation est complexe, parce que nous sommes nombreux et que chacun a ses besoins ! Il ne s’agit pas de piétiner l’autre, pour imposer son avis ! La violence ne résout rien, de toute façon ! Mais comment voulez-vous que dans tout ce brouillard, cette mélasse, les DTN trouvent une autre planche de salut que leur bulle ! Il faudrait une solution simple et vraie ! Un chemin d’espoir qui ne soit pas une impasse !

    Lapsie : Et vous l’avez trouvé ?

    Ratamor : Non, mais mon job est d’abord d’alerter sur le phénomène des DTN ! Car on n’est pas au bout de l’horreur ! Le DTN se demande tout le temps jusqu’où peut s’étendre sa bulle de domination, ce qui fait qu’il a un rapport trouble avec le réel ! Il peut vouloir s’en échapper, en tuant quelqu’un ! Des ados soudain en suppriment d’autres ! Ils espèrent par cet acte mettre fin à leur angoisse, comme s’il existait une domination ultime, qui accorderait dans la destruction un repos définitif ! Car il faut bien comprendre que dominer tout le temps est épuisant ! On est incessamment sur ses gardes, toujours en tension ! On fonctionne comme une pile !

    Lapsie : Je sens que vous allez parler de dépression… et que nous allons revenir à mon propre problème !

    Ratamor : Quoi ? Celui des Doms émeraude ?

    Lapsie : Exactement ! Les Doms émeraude sont plongés dans une sorte d’hébétude, qui peut faire penser à une sorte d’idiotie, et ils sont victimes d’une dépression précoce !

    Ratamor : Dites donc, j’ai l’impression que les Doms émeraude sont la version gentille des DTN ! Ils s’ouvrent comme des fleurs, mais sans connaître leur soleil, tandis que les DTN s’enferment dans une domination serrée et menaçante !

    Lapsie : Oui, c’est cela… Certains ne savent pas ce qu’il font là, quand d’autres font résolument confiance à leur égoïsme !

    Ratamor : Eh bien, on n’est pas sorti de l’auberge !

                                                                                                            RIDEAU

                                                                                           ACTE II, SCENE I : La Machine

    La Machine est une femme forte, à la tête carrée et qui paraît toujours furieuse ! Le décor est une salle austère, avec quand mêmes quelques tableaux… Il y a une table individuelle et une chaise, bien visibles.

    La Machine : Je suis La Machine !

    Je suis la fille de Ptolémée II !

    Je ne suis pas n’importe qui !

    J’ai de grandes ambitions !

    Chacun doit connaître mon nom !

    Chacun doit m’admirer !

    Avec mon mari Tautonus,

    Nous irons loin !

    Je mènerai Tautonus au sommet !

    Nous méritons le pouvoir !

    Car nous sommes importants !

    Nous avons des idées politiques

    Et nous les ferons triompher !

    De mandat en mandat,

    Nous nous élèverons !

    Le préfet nous invitera !

    L’élite nous parlera

    Et peut-être plus encore,

    Si Dieu le veut bien !

    Je suis la Machine !

    L’unique, l’incomparable !

    La fille de Ptolémée II !

    Je suis la fin et le commencement !

    Tout passe par moi !

    Tout est sous mon contrôle !

    Chacun doit m’obéir !

    Et d’abord mes enfants !

    Mais oh ! horreur ! j’en ai un qui me résiste !

    Qui me brave, me défie !

    Damnation !

    Il s’appelle Paschic !

    Car il n’est jamais chic !

    Un véritable poison !

    Qui sort pourtant de mes entrailles !

    Mais je briserai cet obstacle !

    Cet avorton, ce minable !

    C’est moi qui l’ai fait

    Et il est donc à moi !

    Il doit faire ce que je dis,

    Car c’est moi qui commande,

    C’est moi la chef !

    Je suis la Machine !

    L’inaltérable Machine !

    L’incroyable Machine !

    La fin et le commencement !

    La fille de Ptolémée II !

    Je danse ! (Elle danse.)

    Avec mon mari Tautonus,

    Nous atteindrons les sommets !

    Je serai respectée, admirée !

    Les commerçants me salueront !

    Mais je les dédaignerai !

    Car comment pourrait-on me satisfaire ?

    Moi seule compte !

    Je suis unique !

    La fille d’or dans l’espace !

    La déesse qui méprise ses adorateurs !

    Connaissez-vous l’ivresse du pouvoir ?

    Connaissez-vous le suc de la puissance ?

    Connaissez-vous la haine pour les faibles ?

    Je les ai ! Je les ai ! (Elle continue de danser.)

    Euh… Ah ? C’est toi, Paschic ? (Elle se reprend.)

                                                                                          ACTE II, SCENE II : La Machine, Paschic

    Paschic fait son entrée… C’est un garçon frêle, timide… Il revient de l’école et porte un cartable.

    La Machine : Tu as du retard ! Tu étais encore en train de traîner, avec ton copain bon à rien ! Quand est-ce que tu seras sérieux ?

    Paschic : Mais, je…

    La Machine : Oh ! Ça suffit ! Il ne faut pas répondre à ta mère ! Tu devrais savoir ça !

    Paschic : Mon ami n’est pas un bon à rien !

    La Machine : Tu es trop jeune pour comprendre ces choses-là ! Bien, assieds-toi là ! (Elle montre la chaise, devant la petite table et Paschic s’assoit.) Désormais, c’est ici que tu feras tes devoirs, sous ma surveillance ! Finis les amusements !

    Paschic : Mais je…

    La Machine : Cesse de répliquer, veux-tu ! Tu vas devoir changer de comportement, crois-moi ! J’ai parlé à tes professeurs et ils sont unanimes : tu ne travailles pas assez ! Donc, à partir de maintenant, on serre la vis !

    Paschic : Déjà que je n’ai pas beaucoup de libertés…

    La Machine : Co… comment ? (Elle suffoque.) Mais qu’est-ce que tu crois, que la vie est une partie de plaisirs ? Moi et ton père, on se crève la peau pour te payer ta scolarité et qu’est-ce qu’on reçoit en échange ? Ton mépris, ton insolence, ton ingratitude !

    Paschic : Vous avez quand même des plaisirs…

    La Machine : Hein ? Mais c’est pas possible ! Tiens, tiens ! (Elle frappe Paschic sur la tête.)

    Paschic : Aïe ! Aïe !

    La Machine : Je vais t’apprendre, moi ! J’ vais t’ dresser ! Mais qu’est-ce qu’il y a dans ta caboche ? (Elle se calme et arrête de frapper.) Tu vas obéir, oui ?

    Paschic : Oui !

    La Machine : Bon et après tes devoirs, tu rangeras ta chambre ! T’as compris ?

    Paschic : Oui !

    La Machine : Il faut que chacun y mette du sien, sinon on s’en sort pas ! Au fait, de quels plaisirs tu parlais ?

    Paschic : Rien !

    La Machine : Oh ! Mais si ! Tu disais que moi et ton père on a des plaisirs ! Dis-moi lesquels ?

    Paschic : C’était une erreur…

    La Machine : Allons, montre un peu de courage ! Vide ton sac !

    Paschic, timidement : Eh bien, vous visez le pouvoir, la notoriété…

    Paschic : Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il faut bien que ton père fasse carrière, car sinon qui va payer tes études et de quoi manger ?

    Paschic : Tu prends quand même du plaisir à mettre une nouvelle robe, pour aller à un souper… et c’est quand même agréable d’être accueilli par le préfet, d’être choyé par les commerçants...

    La Machine : Mais… mais tu nous juges, ma parole ! Tu nous surveilles, par en dessous ! Tu es sournois, en plus !

    Paschic, tremblant : C’est toi qui m’as demandé de dire ce que je pensais !

    La Machine : J’en ai marre ! Mais qu’est-ce que j’en ai marre ! C’est moi qui fais tout ici ! Qui lave ton linge ? Qui te nourrit ? C’est bien simple, je suis votre esclave à tous !

    Paschic : Mais je…

    La Machine : Ça suffit ! J’en ai déjà trop entendu ! Tu vas voir quand ton père va rentrer ! Il va te mettre une de ces roustes ! Car je vais lui raconter comment tu nous surveilles, comment tu nous juges ! Paschic, le sournois !

    Paschic , suppliant : Je t’en prie ! Ne lui dis pas !

    La Machine : Ah ! Ah ! Mais c’est qu’on a peur maintenant ! Ah ! Ah ! Paschic le branleur ! Mais bien sûr que je vais lui dire à ton père toute la peine que tu me fais, tout le chagrin que tu me causes ! Me reprocher de prendre du plaisir, alors que je me dévoue corps et âme ! Me juger, moi, ta mère ! On aura tout vu !

    Paschic : Ce n’est pas ça… C’est la justice…

    La Machine : La justice, mon pauvre garçon, mais tu sais même pas ce que c’est ! Quand tu gagneras ta vie, tu pourras faire ce que tu veux ! En attendant, tu files droit ! Mais tu peux aussi prendre tes clics et tes claques et t’en aller ! Tu n’as qu’à prendre la porte ! Libre à toi ! Tu mets tes petites affaires dans une valise et hop, Paschic dehors ! C’est ça que tu veux ?

    Paschic : Non, je…

    La Machine : La ferme, t’entends ! Tu vas faire tes devoirs et je viendrai contrôler ! Je ne laisserai plus rien passer ! Et puis je dirai à ton père comment tu te comportes avec nous ! combien tu nous méprises ! Crois-moi, il va être content, surtout après une journée de travail !

    Paschic : Je t’en prie : non !

    La Machine : Il faut que tu apprennes à tenir ta langue, mon garçon ! Tu dois respecter les adultes ! Moi, du plaisir ? C’est la meilleure ! Mon fils qui me parle de justice ! Non, mais c’est dingue !

                                                                                   ACTE II, SCENE III : La Machine, Paschic, Tautonus

    Tautonus, le mari de la Machine entre. C’est un homme grand et fort, avec des bras poilus !

    Tautonus : Chou, tu es là ?

    La Machine : Ici, chérie, je suis avec Paschic !

    Tautonus : Tu ne devineras jamais ce qui vient de m’arriver ! Je sors de la voiture et sur qui je tombe : Dominator ! Et là il me fait : « Ah ! Bonjour Tautonus ! Ça tombe bien, je voulais vous voir ! Pour les prochaines élections, on a besoin de quelqu’un de sûr, à l’ouest de Domopolis… et j’ai pensé à vous ! » Non, mais tu te rends compte ! Ça y est, on me fait confiance ! On va réussir, chou !

    La Machine : Mais tu mérites cette candidature, chéri ! Il sait combien tu lui es fidèle ! Tu bosses pour lui depuis si longtemps !

    Tautonus : Alors après, j’ai rencontré monsieur Nuit, dans la tour du Pouvoir… Il était en colère, tu parles ! C’est lui qui voulait le poste ! Il m’a dit que je n’avais pas le niveau, que Dominator s’était trompé et qu’on lui ouvrirait les yeux ! que lui avait plus de chances de gagner et que moi, je ferais perdre le parti ! qu’il connaissait plus de gens, etc. !

    La Machine : Il est jaloux, bien sûr ! Depuis le temps qu’il médit sur toi ! Ah ! Devant il est tout sourire, mais derrière ! Attention, chou, il est capable de t’enfoncer un couteau dans le dos !

    Tautonus : Je sais bien ! Je lui ai d’ailleurs dit : « Ecoute Nuit, quand il a fallu voter le budget, tu as émis des réserves et je pense que Dominator n’a pas oublié ! » T’aurais vu sa tête ! Il m’aurait bouffé !

    La Machine : Eh bien, tu as eu de la chance de pouvoir le moucher, car ici on n’est pas au bout de nos surprises !

    Tautonus : Ah bon ? Qu’est-ce qui se passe ?

    La Machine : Il y a que ton fils, Paschic, dit que nous ne travaillons pas, que nous nous consacrons à nos plaisirs !

    Tautonus : Quoi ?

    Paschic : Ce n’est pas vrai ! Je n’ai pas dit ça !

    La Machine : Mais si ! C’est exactement ce que tu as dis !

    Tautonus : Tu crois pas que tu pousses le bouchon, Paschic ? Tu vois pas que je suis crevé ?

    La Machine : Bon, je vais préparer le souper… Je vous laisse discuter entre hommes ! (Elle sort.)

    Tautonus, qui s’approche de Paschic : Tu te rends compte de ce que tu dis ? Moi et ta mère, on travaille du matin au soir, pour te nourrir, te vêtir et payer tes études… et toi, tu oses dire qu’on fait rien, qu’on se la coule douce ?

    Paschic : C’est pas ça… C’est plus compliqué…

    Tautonus : Ah bon ? Explique moi ça...

    Paschic : Mais tu vas me taper dessus !

    Tautonus : Je t’assure que non… Vas-y, j’ t’écoute !

    Paschic : Ben, je t’admire quand tu fais par exemple toutes ces kilomètres, pour aller bosser… Mais, toi et maman, vous recherchez aussi le pouvoir, qui est la satisfaction de l’orgueil… et c’est ça qui vous cause des tracas, bien plus qu’un travail vraiment effectif…

    Tautonus : Mais j’ai des idées pour changer la société et l’améliorer ! Je les fais donc valoir et pour ça, il faut combattre et s’imposer ! Beaucoup de gens viennent me remercier, tu sais ?

    Paschic : Oui et en même temps, vous avez beaucoup de haine, contre certains ! Or, c’est l’égoïsme qui réagit ! Ce n’est pas la volonté de bien faire ! C’est l’ego contrarié qui déteste et même qui a peur !

    Tautonus : V’ là autre chose ! On est égoïste à présent !

    Paschic : C’est la rançon du pouvoir ! L’ego est flatté et garde ses haines et ses peurs ! Est-ce que tu accepterais de faire le bien, en étant anonyme parmi les anonymes ? Non, il te faut de la notoriété !

    Tautonus : Mais t’es complètement givré, ma parole ! T’es en train de me faire la leçon, alors que c’est moi qui t’ai fait !

    Paschic : Je savais que ça allait mal se terminer…

    Tautonus : Bon sang ! (Il jette à terre Paschic et le frappe.) Tiens, tiens ! Tu vas apprendre à être poli, c’est moi qui te le dis !

    Paschic : Aïe ! Aïe !

    La Machine (on entend sa voix) : Chou, ça va refroidir !

    Tautonus : J’arrive ! Mais c’est qu’il en tient une couche celui-là !

    La Machine : J’ai fait de la blanquette !

    Tautonus : Hmmm ! Formidable !

  • La révolte... (21-22...)

    • Le 07/06/2025

    R84

     

     

                   " Je te préviens: va y avoir du vilain!"

                                    Touchez pas au grisbi

     

                                        21

          « Il ne parle toujours pas ! fait le duc de l’Emploi.

    _ Non, il a l’air encore plus hébété ! » ajoute Ratamor.

    En effet, le Dom émeraude, au rayon des semoules, n’est plus qu’une loque abasourdie ! L’Explosion du choix a fait son œuvre ! Le Dom émeraude n’est plus capable de voir les étiquettes des produits, tellement ils sont nombreux ! C’est la défaite d’une personnalité ! un retour vers l’autisme ! Le choc est trop violent et le repli sur soi est nécessaire ! Le Dom émeraude est retourné dans la sécurité de l’idiotie, du moins aux yeux des Doms !

    « Bon, qu’est-ce qu’on en fait ? demande Ratamor.

    _ Hmmm, répond le duc, je n’ai pas dit mon dernier mot ! Il reste la Fosse aux Doms !

    _ La Fosse aux Doms ? interroge Lapsie.

    _ Oui, c’est une de nos expériences… On réunit un certain nombre de Doms, dans une fosse, avec la possibilité technique d’entendre leurs désirs !

    _ Vous voulez dire qu’on peut connaître leurs pensées ?

    _ Oui, par un phénomène d’échos, sur ce qu’on a appelé des ondes psychiques !

    _ Vous m’en direz tant !

    _ La science ne cesse de progresser, Lapsie ! Il n’y a pas que votre cabinet et vos méthodes surannées qui comptent !

    _ Mais je ne vous permets pas…

    _ En gros, comment cela fonctionne-t-il ? coupe Ratamor, qui prend conscience qu’il a été écarté de certaines recherches.

    _ Eh bien, le Dom émeraude, une fois dans la Fosse, va prendre de plein fouet le désir des Doms ! Alors que dans la rue tout n’est que suggéré, ici ce qu’exprime chacun sera parfaitement clair pour le Dom émeraude… et pour nous aussi, grâce à des récepteurs, qui captent et traduisent les ondes psychiques !

    _ Formidable ! fait Ratamor. Mais je m’aperçois que non seulement vous êtes en avance sur mon travail, mais encore qu’on me laisse en dehors de tout ça !

    _ Secret Défense, Ratamor ! Ce que vous allez voir appartient à un programme strictement militaire… Mais, gardes, qu’on emmène le Dom émeraude jusqu’à la Fosse aux Doms !

    _ Vous n’allez pas le soumettre à une nouvelle épreuve, dans cet état ! objecte Lapsie.

    _ N’avez-vous jamais rêvé d’entendre vraiment les pensées de vos patients, docteur Lapsie ? »

    On arrive au bord de la Fosse, où font déjà « les cent pas » une dizaine de Doms… Puis, on y « plonge » le Dom émeraude, muni de récepteurs, tandis que le Duc, Lapsie et Ratamor rejoignent une salle de contrôle ! « Le but, explique le duc, c’est que le Dom émeraude, percevant clairement le désir des Doms, craque… Allô, Dom émeraude, écoutez-moi bien, dites-nous où sont Paschic et vos camarades… et immédiatement, on vous sortira de la Fosse et vous pourrez vous reposer ! »

    Le Dom émeraude ne répond rien et regarde venir à lui tour à tour les Doms présents dans la Fosse, mais, à sa grande stupéfaction, il entend clairement ce qu’ils lui veulent ! « Regarde-moi ! Regarde-moi ! fait un premier Dom. Je suis là, au milieu de tous ! Ne suis-je pas puissant, le plus beau ? Je suis irrésistible tel un Dieu et tout le monde doit me regarder, me considérer ! »

    Le Dom émeraude, à ces mots, déglutit, transpire et son pied bute ! Il ne sait où aller, de quel côté tourner la tête ! Il est soudain pris d’un formidable dégoût et veut fuir, mais il est comme happé par le regard d’une Dom, qui lui dit : « C’est étrange… et même contrariant ! Je suis attiré par toi, Dom émeraude, mais je suis une reine et un tel désir gêne mon orgueil ! Je t’en veux, Dom émeraude, je te méprise même, car je n’ai pas, moi, à être attiré par toi ! C’est un comble, c’est dégradant et pourtant c’est un fait ! Ah ! Je suis en colère ! Ou bien tu es trop beau, ou bien je suis trop faible ! »

    Les yeux du Dom émeraude se révulsent, car il est encore plus perdu : on le hait parce qu’il attire ? Voilà une situation nouvelle pour lui ! Fuir, mais où ? Là, un autre Dom, pour se rassurer, lui montre la grosseur du paquet qu’il a entre les jambes ! Là-bas, une Dom expose ses magnifiques fesses, tout en continuant à discuter avec ses copines !

    «  Il va craquer ! lâche le duc, dans la salle de contrôle.

    _ J’ignorais que nos désirs étaient aussi violents ! fait Lapsie.

    _ Oui, répond le duc, de quoi créer un véritable chaos, non ? »

                                                                                                                 22

          Dans les Monts-Bleus, Paschic propose aux Doms émeraude un travail nouveau : « Voilà, dit-il, j’ai pensé que pour mieux nous connaître et comprendre notre rôle et la stituation, on pourrait jouer une pièce de théâtre, qui mettrait en scène tous les acteurs qui nous entourent ! Je passe donc à chacun un manuscrit, que vous allez lire… et on en parlera plus tard ! »

    Les Doms émeraude découvre donc ceci :

    Titre de la pièce : LES DOMS

    Personnages :

    Dominator : chef de Domopolis.

    Le duc de l’Emploi : ministre de l’emploi.

    Monsieur Nuit : entrepreneur.

    Lapsie : psychologue.

    Ratamor : scientifique.

    La Machine : mère de Paschic.

    Tautonus : père de Paschic.

    Paschic : fils de la Machine.

    La reine Beauté...

    ACTE I, SCENE I : Dominator

    Nous sommes dans le bureau de Dominator, situé au sommet de la tour du Pouvoir, qui domine la ville de Domopolis. Dominator est un personnage massif, qui fume le cigare.

    Dominator : Que de chemin parcouru ! depuis Dominatus ! (Il s’approche d’un buste, qui représente un singe.) Je te salue, mon cher ancêtre ! Nous, les Doms, avons hérité de ta soif de domination ! Sans elle, pas de territoire et donc pas de nourriture, ni de reproduction ! la fin de l’espèce quoi ! (Il tire une bouffée de son cigare et reste un instant rêveur.) Ah ! Mais, Dominatus, nous avons poussé la domination à un stade que tu ne pouvais même pas imaginer ! Eh ! C’est que l’évolution est aussi l’histoire d’une individualisation : plus un organisme apparaît tard sur l’échelle du temps et plus il est complexe et donc individualisé ! Et quoi de plus complexe que nos cerveaux... et figure toi, Dominatus, que nous sommes passés d’une domination physique, nécessaire à la construction des nations, à une domination psychique, qui fait par exemple que nous voulons toujours avoir raison, sur les réseaux sociaux ! Ah ! Grand-papa, comme tu serais fier de nous ! (A cet instant, son portable sonne et il le porte à son oreille.) Ouais ? Ah ! C’est vous mon cher duc… et vous êtes accompagné par monsieur Nuit… Non, vous ne me dérangez pas… Vous pouvez entrer…  

    ACTE I, SCENE II : Dominator, le duc de l’Emploi, monsieur Nuit

    (Le duc de l’Emploi et monsieur Nuit pénètrent dans le bureau. Le duc de l’Emploi est un personnage hautain… Il est vêtu d’une culotte de cheval et d’une cravache. Monsieur Nuit est plus rond, plus cauteleux et donne l’impression de toujours se moucher!)

    Le duc : Ah ! Dominator ! (Il tend ses mains, en signe d’affection.) Nous ne vous dérangeons, pas, vraiment ? 

    Dominator : Bonjour, mon cher duc ! Bonjour monsieur Nuit ! Mais non, vous ne me dérangez pas ! J’étais en pleine discussion avec notre ancêtre à tous : Dominatus ! (Il désigne le buste.)

    Le duc : Ah oui ! Dominatus ! C’est lui qui nous a donné notre nom ! Les Doms pour dom… ination !

    Monsieur Nuit : Nous dominons grâce à lui !

    Dominator : Exactement ! Et voilà pourquoi, moi, Dominator, je suis chef de Domopolis, la capitale des Doms !

    Le duc : C’est justement au sujet de la ville que nous sommes venus vous voir…

    Dominator : J’imagine que vous voulez découvrir nos nouveaux projets !

    Monsieur Nuit : C’est cela Dominator ! En tant que bétonneur principal de la ville, je dois savoir à quoi m’en tenir !

    Dominator : Mais, naturellement, monsieur Nuit ! Venez donc par ici ! (Ils se rapprochent d’une table, où Dominator enlève un voile, qui couvrait la maquette de la ville!) Voilà, messieurs, la nouvelle Domopolis !

    Monsieur Nuit : Comme c’est beau ! Comme c’est grand ! Ah ! Tout ce nouveau béton ! Tenez, Dominator, pour un peu je vous embrasserais !

    Dominator : Ah ! Ah ! Monsieur Nuit, comme vous y allez ! N’oubliez pas que tous ces aménagements obéissent à une nécessité ! Il faut bien loger les gens, que diable !

    Monsieur Nuit : Bien sûr, bien sûr, Dominator ! Mais vous connaissez également mon aversion pour les arbres ! La nature me donne le frisson… et la voilà domestiquée, muette, ensevelie, sous l’ordre et le béton ! Je n’ai pas beaucoup de joies dans ma vie, Dominator, mais vous venez de m’en apporter une… et de taille… Snif !

    Dominator : Remarquez la tour du Pouvoir, où nous sommes et qui domine toute la ville !

    Le duc : Messieurs, messieurs, je vous signale que moi aussi, j’y trouve mon compte ! Moi, le duc de l’Emploi, je ne tolère pas qu’on ne travaille pas ! Je ne supporte pas les paresseux ! Vous connaissez ma logique… Elle est imparable ! « On travaille pour gagner son pain… et on cotise pour sa retraite et le bien de tous ! » Sans travail, la société ne fonctionne pas ! Et voilà, Dominator (Il montre la maquette.), que les bâtiments poussent comme des champignons ! Des lotissements, des zones industrielles, des entreprises à perte de vue ! Que de chantiers ! Une armée de travailleurs est en marche ! Ah ! (Il bat sa jambe de sa cravache.) Le chômeur n’aura plus aucune excuse ! Je le briserai ! Je…

    Dominator : Excusez-moi, mes amis… Un appel ! (Il montre son portable.) Ouais… Qui ça ? La docteur Lapsie ? Connais pas ! Elle est psychologue… et elle voudrait me voir… Elle dit que c’est urgent ! Bon, faites-la entrer !

    ACTE I, SCENE III : Dominator, le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, le docteur Lapsie

    Lapsie : Dominator, comme je vous remercie de me recevoir !

    Dominator : Docteur Lapsie, voici le duc de l’Emploi, ministre du travail, et monsieur Nuit, notre bétonneur en titre !

    Lapsie, qui salue légèrement : Messieurs…

    Monsieur Nuit : Lapsie ? Lapsie ? Ça me dit quelque chose… Ah ! J’y suis ! Vous êtes la fameuse tueuse de PN !

    Le duc : De PN ?

    Monsieur Nuit : Oui, madame n’a pas son pareil pour débusquer, chasser et condamner les pervers narcissiques ! les PN !

    Dominator : J’espère, madame, que vous n’êtes pas ici, pour nous parler du patriarcat…

    Lapsie : Non, il s’agit, à mes yeux, d’une affaire plus grave… Mes confrères et moi-même, nous voudrions vous avertir d’un étrange phénomène… Mais, euh, laissez-moi vous raconter le début de l’histoire… En tant que psychologue, je reçois bien entendu des enfants… et voilà qu’on m’en amène un extrêmement curieux… Ses parents étaient terriblement inquiets, car l’enfant semblait plongé dans une profonde atonie ! Il n’avait plus goût à rien ! Il était devenu solitaire, sans camarades… et il ne jouait plus ! Il avait perdu son sourire et restait assis pendant des heures, en ayant l’air de fixer le mur !

    Dominator : Voilà une situation préoccupante, en effet !

    Le duc : Et qui ne prédispose pas au travail !

    Monsieur Nuit : Ni au bétonnage !

    Lapsie : Évidemment, j’ai reconnu une dépression précoce ! C’est assez courant chez les jeunes d’aujourd’hui… Mais il y avait un détail troublant, inexplicable ! L’enfant avait les yeux verts, totalement verts, au point que la pupille n’était même plus visible !

    Dominator : Diable !

    Le duc : Y voyait-il encore ?

    Monsieur Nuit : Quel genre de vert ? Le béton s’accommode bien du vert bouteille !

    Lapsie : Eh bien, avec l’éclat des yeux, je dirais que c’était un vert émeraude ! C’est ça ! On eût dit deux émeraudes qui regardaient ! Pour répondre à votre question, duc, l’enfant continuait à voir, mais comme s’il était perdu dans un rêve infini ! (Il y a un silence.)

    Dominator : Docteur, avez-vous pu le guérir ? lui redonner un comportement normal pour son âge ?

    Lapsie : Euh… C’est là que les choses se corsent ! Car, après celui-ci, on est venu m’en apporter un deuxième, puis un troisième et un quatrième ! Tous dans le même état ! Alarmée, impuissante, j’ai contacté des confrères et eux aussi sont confrontés aux mêmes cas, sans savoir que faire !

    Dominator, qui tire sur son cigare : Mais ça m’a tout l’air d’une épidémie !

    Le duc : Des Doms émeraude ! On aura tout vu ! Êtes-vous sûre, docteur Lapsie, qu’il ne s’agit pas là d’une mystification, pour ne pas travailler à l’école ?

    Lapsie : Comment pouvez-vous douter de mon sérieux ? Je voudrais bien, moi, qu’il suffise de les débarbouiller, ces mômes !

    Le duc : Calmez-vous, madame, vous seriez surprise de tout ce dont sont capables les chômeurs, afin d’esquiver l’emploi !

    Monsieur Nuit : J’avoue que tout ceci m’angoisse ! Si encore ces enfants avaient les yeux gris, éteints, ils me rappelleraient mes murs !

    Dominator : Au fond, docteur Lapsie, qu’attendez de vous de moi ?

    Lapsie : Hélas, je ne sais pas ! Mais il était de mon devoir de vous prévenir !

    Dominator : Bien sûr, bien sûr ! Mais n’avez-vous aucune hypothèse, aucune piste, quant à l’origine du problème ?

    Lapsie : Il y a tout de même un point commun entre tous ces enfants... Avant leur maladie, ils revenaient tous de la Chose !

    Dominator, stupéfié : De la Chose ?

    Le duc, pareil : De la Chose ?

    Monsieur Nuit : De la Chose ? Vous voulez parler de la nature ?

    Le duc : Madame, vous n’ignorez pas que la Chose est notre ennemie déclarée ! Combien de fois, combien de fois n’ai-je pas dû mettre en avant la création d’emplois, pour que nous puissions faire reculer la Chose !

    Monsieur Nuit : Je soutiens à cent pour cent le duc ! La Chose, ce que nous appelions autrefois la nature, n’a de cesse de résister au béton ! Un comble !

    Dominator, qui caresse son cigare : Le fait est, madame, qu’entre nous et la Chose, c’est plutôt tendu !

    Lapsie : Bien sûr, je ne voulais pas vous offenser, mais l’urgence…, notre jeunesse…

    Le duc : Et si la Chose nous attaquait, à travers ces enfants émeraude ? Elle les a peut-être empoisonnés, qui sait ?

    Monsieur Nuit : Et elle les utiliserait comme cheval de Troie ! Mon cher duc, force est de reconnaître encore une fois votre lucidité !

    Dominator : Tout est possible, en effet ! Car il y a belle lurette que la Chose a juré la perte de Domopolis !

    ACTE I, SCENE IV Dominator, le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, le docteur Lapsie, le professeur Ratamor

    Ratamor, qui fait son entrée : Hum ! Hem !

    Dominator : Professeur Ratamor ! Soyez le bienvenu ! Voici le docteur Lapsie, psychologue, qui vient nous alerter sur un problème des plus étranges !

    Ratamor : Ah ?

    Dominator : Docteur Lapsie, vous connaissez le professeur Ratamor ?

    Lapsie : De nom, bien entendu !

    Dominator : Professeur, le docteur Lapsie parle d’une « épidémie » d’enfants aux yeux tout verts !

    Lapsie : Oui, ils ont le regard émeraude et semblent plongés dans une profonde dépression !

    Le duc : Et comme ils revenaient tous de la Chose, avant leur maladie…

    Monsieur Nuit : Nous pensons qu’ils ont été frappés par la Chose, afin de nous nuire !

    Ratamor : Messieurs, messieurs, la Chose, autrement dit la nature, n’a pas d’âme, de volonté propre ! Elle ne saurait être ni bonne, ni méchante ! Elle ne fait qu’obéir à des lois !

    Le duc : Mais elle nous est pourtant hostile ! Elle n’est pas civilisée !

    Ratamor : Duc, l’essence même de la Chose est la sauvagerie !

    Monsieur Nuit : Mais, mais, si on n’y prend garde, la voilà qui réapparaît dans nos murs ! Elle crève même le béton !

    Ratamor : Monsieur Nuit, vous savez tout comme moi que les graines, ça vole… et ça profite du moindre interstice, pour repousser !

    Dominator : Il n’en demeure pas moins que nous avons ces enfants émeraude sur le dos !

    Ratamor : Docteur Lapsie, vous êtes une scientifique, tout comme moi, et devant une difficulté, nous cherchons toujours une explication rationnelle ! Vos enfants, comme vous l’avez dit vous-même, sont sans doute les victimes d’une dépression précoce… et c’est cela qu’il faut soigner…

    Lapsie : Ils ont tout de même les yeux verts… et tous ont été en contact avec la Chose !

    Ratamor : Oui, il y a peut-être là quelque chose à creuser… Nous avons déjà des exemples de l’influence de la Chose, comme la maladie de Lyme, par exemple ! Il est possible que ces enfants se soient exagérément exposés au rayonnement d’un feuillage, éclairé par le soleil…

    Le duc : Ah ! Tout de même !

    Dominator : Mais, professeur, votre visite avait sûrement un but !

    Ratamor : En effet, je suis moi-même face à un phénomène inquiétant, vertigineux même !

    Le duc : Ah ! Je le savais !

    Monsieur Nuit : Eh ! Eh !

    Ratamor, indifférent : Comme vous le savez peut-être, je m’intéresse depuis longtemps aux « ondes psychiques » ! Nous transmettons tous nos sentiments, par nos vêtements, nos gestes, nos mots aussi bien entendu, mais il y a encore autre chose qui émane de nous ! Notre petit monde cérébral communique en effet d’une manière quasiment invisible, comme si nos pensées s’influençaient les unes les autres, dans un domaine qui leur est propre, et c’est pourquoi je parle d’ondes psychiques !

    Le duc : Tout à fait d’accord avec vous, professeur, du premier coup d’œil je vois celui qui ne veut pas bosser !

    Ratamor : Hum ! Toujours est-il que nous, les Doms, nous avons des ondes psychiques parfaitement reconnaissables ! Elles sont constituées par notre domination ! Les hommes transmettent leur domination physique, souvent d’une manière grossière, par exemple en attirant le regard sur le paquet qu’ils ont entre les jambes !

    Monsieur Nuit : Excusez-moi, professeur, mais vous êtes sérieux là ? Je vous rappelle que nous sommes entre gentlemen ici !

    Ratamor : Oh ! Je vous choque, monsieur Nuit ! Mais n’ai je pas évoqué un monde invisible, c’est à dire de non-dits ! Beaucoup d’hommes, sachez-le, ne trouvent leur équilibre que dans l’amour qu’ils portent à leur queue !

    Monsieur Nuit : Oh ! Il recommence !

    Ratamor : A leur membre ou à leur sexe, si vous préférez ! N’oubliez pas que Dominatus nous regarde (Il désigne le buste.) et que nous sommes d’abord commandés par nos instincts ! D’autre part, la domination est en rapport avec nos peurs… et vous n’êtes pas au bout de vos surprises !

    Monsieur Nuit : Mais je n’ai peur de rien, professeur ! Je suis aussi droit qu’un immeuble !

    Ratamor : Eh bien, montrez-le en restant calme…

    Monsieur Nuit : Mais je…

    Ratamor, qui reprend : Toujours est-il que les hommes font incessamment valoir leur densité physique… C’est la base de leurs rapports… Quant aux femmes…

    Le duc : Enfin, on y arrive !

    Ratamor : Quant aux femmes, elles veulent aussi dominer bien entendu, mais leur domination repose sur la séduction, c’est leur arme !

    Lapsie : Un moment professeur, vous êtes sûr que les femmes veulent aussi dominer ? Je croyais que c’était l’apanage des hommes !

    Ratamor : Mais il ne saurait en être autrement, docteur Lapsie, puisque nous avons la même origine animale et que les animaux, mâles ou femelles, dominent pour être les meilleurs et défendre leur territoire ! Mais il est vrai que la séduction paraît plus douce que la force physique… Cependant, je vous rappelle le but de la domination, chez nous les Doms : elle nous sert à faire triompher notre individualité, de sorte que nous sentons notre valeur, notre importance… et n’est-ce pas ce qu’éprouve la femme, dès lors qu’elle séduit en devenant le centre d’intérêt !

    Lapsie : J’avoue que je n’avais jamais vu les choses sous cet angle…

    Le duc : Trop occupée à chasser le pervers narcissique, sans doute...

    Lapsie : Duc, je…

    Dominator, qui intervient : Continuez, professeur, je vous en prie...

    Ratamor : L’une des meilleurs preuves de la domination féminine est la femme qui méprise ou qui hait, parce qu’elle ne peut pas séduire ! Mais passons… Nous transmettons donc tous des ondes de dominations psychiques, que je peux aujourd’hui mesurer, grâce à un appareil de ma conception : le domomètre !

    Dominator : On dirait que vous n’avez pas perdu votre temps, professeur !

    Ratamor : Non, en effet ! L’unité du domomètre est le dom et un individu moyen a une onde psychique située entre huit et douze doms… Nous sommes là dans une domination quotidienne et normale… Mais hier…

    Le duc, qui « halète » : Oui, professeur…

    Ratamor : Hier… Mais il faut que vous compreniez que, au cours de l’histoire, nous sommes passés d’un territoire physique à un territoire psychique ! Aujourd’hui, les frontières des pays sont généralement bien définies et notre planète est plus petite, à cause de la modernité des transports et de l’ère de la communication, notamment par le Web !

    Le duc : Mais, bon sang, professeur, qu’est-il arrivé hier ?

    Ratamor : Que le territoire psychique ait pris le pas sur le territoire physique explique d’ailleurs la féminisation de nos sociétés…

    Monsieur Nuit : Vous le faites exprès, hein, professeur ? pour embêter le duc !

    Dominator : Un moment, un moment, Ratamor, depuis quelques minutes, vous parlez de territoires… Or, ce domaine concerne évidemment la sécurité du pays ! Il en va du secret défense et seuls les militaires devraient être autour de cette table !

    Le duc : Vous voilà soudain paranoïaque, Dominator ! Ne sommes-nous pas de vieux amis ?

    Dominator : Certes ! Mais je préférerais que vous et monsieur Nuit, vous nous laissiez ! Vous, docteur Lapsie, vous pouvez rester… Il est possible que nous ayons besoin de votre avis médical !

    Le duc : Très bien ! Je vois que la lutte contre les chômeurs devient soudain secondaire ! Et pourtant l’emploi est le pilier de la nation ! Rira bien qui rira le dernier ! (Il sort.)

    Monsieur Nuit, qui suit le duc : C’est toujours pareil : on enlève tout sérieux aux artistes, dès que la situation se tend ! Mais que serait Domopolis sans mes jaillissements de béton ? Ingrats ! (Il sort.)

  • La Révolte... (17-20)

    • Le 31/05/2025

    R83

     

                             " Bellissima!

                               _ Qu'est-ce qu'il dit?"

                                              L' Animal

     

                                            17

         « Comment ça, ils ont disparu ? s’écrie Dominator. Vous êtes en train de me dire qu’on est absolument sans nouvelles de tout un régiment et de son chef, le colonel Routine ?

    _ Exactement ! répond le duc de l’Emploi. Ils étaient dans la Chose, en direction des Monts-Bleus et puis plus rien ! Silence radio !

    _ On devrait retrouver des débris, des survivants ! A-t-on repéré des traces de destructions ?

    _ Pas la moindre ! A croire qu’ils n’ont jamais existé !

    _ Vous savez ce que ça veut dire ? Il faut imaginer que les Doms émeraude, sous le commandement de ce Paschic, ont trouvé une arme secrète !

    _ C’est pas le travail en tout cas ! Car les Doms émeraude, comme paresseux, ils se posent là ! Jamais vu des gens aussi inertes… et qui prennent autant leurs aises !

    _ Mais, moi, j’ai besoin de comprendre, car il ne s’agirait pas que mes forces spéciales deviennent inefficaces ! Je n’aime pas ça, duc ! Mais alors pas du tout ! »

    A cet instant, un serviteur entre et déclare : « Nous avons le colonel Routine en ligne…

    _ Bon sang ! fait Dominator. Allumez l’écran ! »

    Le colonel Routine apparaît sur l’image : il est mal rasé, a l’air vieilli et s’éclaire d’une frontale, alors qu’on découvre qu’il transmet depuis une grotte ! « Dominator, vous m’entendez ? demande-t-il.

    _ Parfaitement, Routine ! Parlez ! Où sont vos hommes ?

    _ Euh… C’est là que ça se corse ! Je les ai perdus !

    _ Perdus ? Vous avez perdu vos hommes ?

    _ Affirmatif ! Je ne sais pas moi-même où je me trouve ! Subitement, je me suis retrouvé seul… Il y a eu comme une sorte de flexion de l’espace… C’est difficile à expliquer…, mais je me suis retrouvé devant une vieille, qui m’a parlé de mon enfance ! Enfin, j’ai fini par trouver refuge ici, où j’essaie de comprendre quelque chose…

    _ Vous pensez que les Doms émeraude ont utilisé une arme secrète ?

    _ C’est très possible ! Vous savez combien nos ennemis sont sournois et qu’ils ont juré la perte de notre chère patrie, qui je le rappelle est destinée à éclairer le monde !

    _ Oui, oui, on sait tout ça… Mais le fait est que vous avez « égaré » vos hommes !

    _ Il faut m’en envoyer d’autres ! Je reconstituerai notre grande armée, celle dont l’héritage est si glorieux !

    _ Ce n’est pas aussi simple, colonel, tant que nous ne savons pas de quelle arme dispose l’ennemi !

    _ Je pense que nos soldats ont été victimes d’une onde psychique ! déclare une voix derrière Dominator.

    _ Tiens, Ratamor, vous voilà… et Lapsie est avec vous ! lâche Dominator, qui s’est retourné. Qu’est-ce que c’est, cette histoire d’onde psychique ?

    _ Nos centres d’écoute sont formels ! Nous avons pu repérer une forte activité psychique, du côté des Monts-Bleus ?

    _ C’est possible, ça ? demande le duc de l’Emploi.

    _ Oui, c’est là une de nos recherches les plus récentes… Chacun de nous développe une onde psychique, fait impression sur l’autre et nous tentons de cerner le phénomène !

    _ Foutaises ! s’écrie monsieur Nuit, encore présent. Le béton, il n’y a que ça de vrai ! Construisons une route, jusqu’aux Mont-Bleus ! Je commanderai moi-même le dynamitage des arbres ! Enfin, un peu de sérieux !

    _ Monsieur Nuit, temporise Dominator, vous ne croyez tout de même pas que vos employés puissent faire mieux que des soldats aguerris ! Ratamor, et si vous nous expliquiez comment une onde psychique fait disparaître tout un régiment ?

    _ D’après ce que nous savons, l’onde psychique transmet un sentiment… et on peut comprendre qu’une onde apaisante « ralentit » le temps, si je puis dire, puisque quelqu’un d’énervé au contraire l’accélère, en faisant pression sur son entourage ! Ceci serait à même d’expliquer la « flexion » de l’espace, remarquée par le colonel !

    _ Vous voulez dire que cette onde « apaisante »…

    _ Ou pacificatrice…

    _ Aurait transporté nos soldats dans une autre dimension ?

    _ C’est ce que je suggère, oui…

    _ Mais qu’attendons-nous, pour leur rendre la pareille, s’écrie Routine, toujours à l’écran.

    _ Euh…, c’est que nous ne sommes qu’aux balbutiements de nos recherches, en ce qui concerne les ondes psychiques, répond Ratamor. En tout cas, nous ne savons pas produire d’ondes apaisantes et même, j’ose le dire, d’amour !

    _ Ah ! Ah ! D’amour ? Voyez-vous ça ! s’exclame monsieur Nuit.

    _ Mais alors que pouvons-nous faire ? demande Dominator.

    _ Mais la haine, nous la connaissons… Oui, nous pouvons les bombarder de haine ! »

                                                                                                                             18

         Dans les Monts-Bleus, Paschic poursuit ses leçons, devant les Doms émeraude… « Aujourd’hui, dit-il, je voudrais vous parler de ce qu’on pourrait appeler la « première » mort…, qui correspond à la perte de votre bulle de domination !

    Tant que vous êtes dans votre bulle de domination, vous ne donnez qu’à vos proches une existence propre ! Et encore l’amour que vous leur portez reste indistinct : il est formé par le clan qui se protège du monde ! A vos yeux, vos proches n’ont pas toute leur individualité… Ils sont inclus dans votre bulle de domination, parce qu’ils ne la dérangent pas, et il est vrai que la plupart du temps, les enfants ne remettent pas en cause l’autorité de leurs parents !

    Les enfants eux-mêmes demeurent dans leur bulle de domination et regardent le monde à travers le prisme de la famille ou du groupe ! Il y a le clan et les autres ! Mais la vérité, c’est que nous sommes tous pareils, régis par les mêmes lois naturelles ! Nous voulons tous nous développer, nous avons tous peur ! Personne n’est tout à fait mauvais, ni bon ! Chacun se trompe ou est plutôt limité par son être et nos vies sont faites de tâtonnements, d’erreurs, car nous obéissons à une logique, nous essayons de suivre notre raison !

    Mais tant que vous êtes dans votre bulle de domination, l’autre n’est pas votre égal ! Il n’a pas d’existence complexe ! Vous êtes incapable de le comprendre, puisque vous-même vous niez vos peurs ou votre égoïsme ! La bulle de domination vous empêche de vous connaître aussi bien vous-mêmes que les autres ! Vous n’arrivez pas à aimer la différence ! Au contraire, elle provoque votre rejet et votre haine !

    A Domopolis, on voit cela chaque jour ! Chacun a sa tête de turc, son ennemi, son diable et on manifeste contre lui et on veut le détruire ! On croit que c’est lui le problème et que s’il disparaît, on sera heureux ! On ne voit pas que c’est d’abord nous-mêmes qu’il faut changer ! que cet autre, dont on a fait un ennemi, est pareil que nous ! qu’il a certes une action nuisible, mais qui s’explique et qu’ailleurs il a lui aussi ses peurs et ses choix, qu’il défend un idéal, etc. !

    Même les plus grands monstres de l’Histoire sont des êtres humains complexes et non des fous, totalement dépourvus de raison ! Mais voir les choses ainsi n’est possible que si soi-même, on est mort une première fois, débarrassé de sa bulle de domination ! Ce n’est pas le résultat d’un raisonnement, c’est un changement complet de la personnalité ! une transformation psychique radicale, une mue entière !

    C’est passer dans une autre dimension et fondamentalement grandir ! C’est voir les Doms enfermés dans leur domination ! C’est devenir étranger parmi eux et constater leur aveuglement, leur prison ! L’impression que l’on en ressent soi-même est forcément inquiétante, puisque nous voilà hors du « troupeau », si je puis dire ! Nous voilà de nouveau avec une belle différence, avec l’impossibilité d’expliquer vraiment ce que l’on voit soi-même ! Car on ne peut pas transmettre une maturation par des mots ! Il faut que l’autre l’éprouve également !

    Mais comment y renoncer ? Comment renier, refuser une connaissance ? Une fois qu’on a ouvert les yeux et qu’on voit comment fonctionnent nos comportements, comment refermer ses yeux ? Et pourtant, c’est une tentation ! Puisque la différence, qu’engendre la connaissance, fait peur bien entendu ! On peut vouloir échapper à ce nouvel état de conscience, qui nous donne le vertige, en souhaitant coûte que coûte retourner à ce qu’on perçoit comme la normalité ! Par exemple, en se jetant dans une vie de couple, en obéissant à un autre, en « faisant semblant de vivre », en répétant des lieux communs, en adhérant à des partis extrémistes, etc. !

    Il faut dire que la peur de la différence a un véritable impact sur le corps ! Voilà vos digestions qui deviennent difficiles, alors que le Dom à côté mange sans soucis et dort de même ! Qu’êtes-vous allés faire dans cette galère ? Voilà vos jambes ou votre dos qui se bloquent, qui sont causes de douleurs, car l’anxiété est comme un chien enragé, qui ne vous lâche pas ! ou elle est comme un boa constrictor, qui vous étouffe !

    On voudrait alors ressentir la vie d’avant, celle où on était dans le cocon de la famille, en parfaite sécurité, sans conscience, et si cette vie n’a jamais vraiment existé, on l’invente, on en fait un mythe, dont on peut même espérer le retour par l’action politique ! On parle d’un âge d’or, de population sans éléments étrangers, etc. ! On s’abuse et on abuse les autres !

    Mais celui qui a réussi à quitter sa bulle de domination voit aussi que chacun, quel qu’il soit, a une existence propre ! Il n’a plus une vision déformée par sa haine et ses peurs ! Il peut donc élargir son amour et essayer de ne plus faire le mal, tandis que le Dom lui, toujours aveugle, ne cesse de mépriser et de piétiner ! »

                                                                                                                            19

         «  La peur est le principal obstacle à la perte de sa bulle de domination, reprend Paschic. C’est elle qui fait que le Dom y renonce, dès qu’il sent qu’il perd en sécurité, en s’éloignant de la normalité ! Mais la domination, c’est bien entendu aussi l’amour-propre, l’égoïsme, l’orgueil ! Il faut donc bien comprendre que perdre sa bulle de domination, ce n’est pas simple, c’est forcément une source de tristesse, parce que grandir est de toute façon toujours difficile ! Il faut accepter de perdre et chaque pas en avant entraîne un vide…

    Rappelez-vous vos premiers émois amoureux ! On forme alors une union qui semble éternelle, totale et il n’y a qu’elle qui compte ! Puis, du jour au lendemain, le jeune couple qu’on formait se déchire et on se sépare, sans même vraiment savoir pourquoi ! Mais cela cause bien de la peine et on ne voit pas que c’est somme toute normal : chacun se développe et suit sont chemin ! Nous ne sommes pas destinés à ne faire qu’un avec l’autre ! Il s’agit de trouver sa propre identité, de s’individualiser, afin de faire des choix et d’aimer plus consciemment ! Mais, à chaque fois que nous franchissons une étape, il y a bien sûr des douleurs dues au changement, à l’inquiétude, à l’incompréhension, car grandir demande évidemment du temps, de la patience !

    Celui qui est sensible, qui voit l’injustice et qui cherche un moyen de la résoudre, celui-là va plus souffrir que ceux qui demeurent aveugles, figés dans leur égoïsme et leurs haines ! Celui qui cherche, qui doute, qui est victime de la brutalité ou de la perversité des autres, celui-là va maintes fois lever les bras au ciel, pour prendre celui-ci à témoin de ce qu’il endure !

    Combien de frustrations et de blessures ne seront pas les siennes ! Car les Doms ne s’excusent pas ! Au contraire, ils méprisent et écrasent, car très souvent ils ne s’en rendent même pas compte ! Celui qui perd sa bulle de domination va subir de l’injustice, c’est certain ! C’est une mue douloureuse, amère même ! Car on a la connaissance et on voit que ce sont les ignorants qui sont récompensés ! Mais comment pourrait-il en être autrement ? Les Doms croient absolument qu’il n’y a pas d’autres mondes que le leur ! Ils s’imaginent bons ! Ils croient à la force et ils méprisent les faibles ! Ils pensent qu’ils ont gagné, quand on ne les affronte pas ! Ils ne comprennent pas la sagesse et ils ne fuient pas la haine !

    Ils sont persuadés d’avoir des droits et ils ne remettent nullement en cause leur place ! Selon eux, ils la méritent et il ne leur viendrait pas à l’idée qu’on puisse s’effacer au nom de la concorde ! Tout cela est vu et senti par celui qui combat sa domination et il est naturel qu’il en soit rempli d’effroi et de colère ! Après tout, nous sommes tous pareils et notre orgueil renâcle à se diminuer ! Nous voudrions nous aussi avoir notre part ! régler le compte de celui-ci ou de celle-là ! La vérité nous est à cœur et nous ne supportons pas le mensonge, ni la bêtise et combien nous aimerions rectifier tels propos, clouer tels becs et… même détruire tel monstre !

    Mais perdre sa bulle de domination, ce n’est pas faire comme les Doms et satisfaire son orgueil ou son égoïsme, car cela est sans fin et sans solutions ! Il faut évoluer, se montrer plus grand et même plus fort, car la patience demande plus d’efforts que la haine ! Mais alors comment se consoler ? Quel plaisir procure la sagesse ? Pourquoi s’acharner dans sa foi, alors qu’on est seul, malade, sans reconnaissance ?

    C’est que renoncer à son ego apporte des joies sans pareilles ! Comme il est doux par exemple de voir le Dom vouloir toujours avoir raison ! Car c’est vital pour lui ! C’est nécessaire à sa domination : il faut qu’il se sente supérieur, qu’il ait l’impression de vaincre ! Sa position dominante doit être préservée… et comme il se fatigue pour cela ! Il a beau avoir de l’argent, la sécurité, le confort et pourtant, il s’échine, s’épuise, s’embarrasse, incapable de lâcher, de se plier, d’être léger ! Avoir le dernier mot, c’est son objectif !

    Et comme vous vous reposez, en le regardant se fatiguer ! Et comme vous prenez conscience de la valeur de votre paix, simplement parce que votre ego est devenu secondaire ! Et comme vous mesurez l’ampleur de votre travail, la richesse de ses fruits ! Non pas parce que vous avez bâti une cathédrale, mais parce que votre domination est auprès de vous, tel un chien sage ! Comme vous gagnez du temps ! Comme vous préservez vos forces et votre santé ! Comme votre joie affleure !

    C’est que votre confiance et votre patience ont fini par payer ! Vous n’avez pas aimé en vain ! Vous n’avez pas grandi d’une manière absurde ! Et vos blessures se cautérisent, se ferment lentement… Vous êtes toujours étrangers à la haine, alors qu’elle dévore et mine le Dom ! Vos inquiétudes elles-mêmes deviennent timides, avant de disparaître complètement ! Rien chez vous ne repose sur du sable ! Vous n’avez pas fui vos peurs, ni vos doutes ! Vous ne vous êtes pas cachés du ciel ! Mais au contraire vous avez voulu la Lumière et elle vous transperce, vous illumine à présent, tandis que le Dom n’a pas voulu en tâter ! C’est bien de sa faute, même si les Doms sont dignes de pitié, puisqu’ils s’écrasent entre eux !

    Mais le Dom ne cherche pas et il en paye le prix ! Nulle paix chez lui, mais encore des haines et des tourments ! Et la maladie l’atteint ! Tout ce qui est resté caché, coincé, finit par faire des dégâts, et c’est un cancer ! Et la peur mène à Parkinson et Alzheimer ! Le corps souffre dans l’ombre et se tord à cause du mensonge ! »

                                                                                                                      20

          « On en a un ! On en a chopé un ! exulte le duc de l’Emploi.

    _ Un quoi ? demande Dominator.

    _ Un Dom émeraude ! Il venait apparemment des Monts-Bleus et une patrouille l’a capturé !

    _ Un seul ? Ce n’est pas beaucoup ! réplique monsieur Nuit.

    _ Comment ? Vous ne comprenez pas ? Mais on va le faire parler, c’ fumier ! Il va nous dire où sont les autres !

    _ Juste ! approuve Dominator. Et il est où ce Dom émeraude ?

    _ On l’a conduit au camp n° 5 ! répond le duc. Où je vais de ce pas l’interroger !

    _ Je vous accompagne ! fait Lapsie. Je ne voudrais pas que vous coupiez en morceaux le prisonnier, avec vos méthodes brutales !

    _ Ah ! Les femmes ! jette le duc. Toujours trop sensibles !

    _ Ce n’est pas ça, duc, mais il existe aujourd’hui des méthodes modernes, qui utilisent la psychologie, pour faire parler les gens !

    _ Je vous accompagne aussi ! » ajoute Ratamor.

    Au camp n° 5, tout ce petit monde se retrouve bientôt face au Dom émeraude capturé… Il est là, assis, semblant ailleurs, avec ses grands yeux verts insondables ! « Alors, mon gaillard, commence le duc de l’Emploi, tu vas nous dire où sont Paschic et tes petits camarades ? » Mais le Dom émeraude reste silencieux…

    « Attention, je vais me fâcher ! reprend le duc. Si tu parles pas, tu vas souffrir ! C’est moi qui te le dis ! » Le Dom émeraude reste cependant silencieux. « Bon, puisque c’est comme ça, on te mène à l’Explosion du choix !

    _ A l’Explosion du choix ? demande Lapsie

    _ Ma chère, répond le duc, nous avons développé des techniques dont vous n’avez même pas idée, pour faire parler ce genre d’individus ! Moi, les babas cool, les wokes, les récalcitrants de tout poil, les intellos du Web, les zen de la consommation, les écolos teigneux, les spécialistes de la revendication, je les brise, je les dresse, je les mets au pas ! Je les mets face aux réalités de ce monde, jusqu’à ce qu’ils appellent leur maman !

    _ Charmant ! »

    Le petit groupe, avec son prisonnier et quelques gardes, entrent dans une vaste salle du Rêve blanc, où tout semble immaculé, tiède, apaisant, entre des rayons remplis de produits ! « Voilà, fait le duc au Dom émeraude, en retroussant ses manches, tu es ici chez toi ! Car tous les articles que tu vois là, ils sont bio ! Ils sont comme tu les aimes ! faits pour ton palais délicat de bobo ! Qu’est-ce qu’on ne ferait pas, pour notre jeunesse si chatouilleuse ! Gardes, asseyez « Sa Majesté » devant le rayon des semoules !

    _ Mais enfin qu’espérez-vous ? demande Lapsie au duc.

    _ L’Explosion du choix ! Rien que pour les semoules, notre Dom émeraude va devoir choisir entre dix mille sortes ! Il y a la semoule, semoule, de la semoule de lin, de maïs, de pois chiche, etc., etc. ! La tête va lui tourner ! L’angoisse va l’étreindre ! La richesse fabuleuse de nos sociétés peut devenir un instrument de torture, pour ces esprits simples et fatigués !

    _ Vous êtes ignoble !

    _ Non, pragmatique ! Remarquez, j’aurais pu mettre le bonhomme au rayon fromage, avec les odeurs, ou encore face aux produits ménagers, si austères ! Le résultat aurait été le même ! Les neurones de ce type sont actuellement en ébullition ! Je m’attends d’une seconde à l’autre à une réaction violente ! »

    En effet, le Dom émeraude à présent transpire… Il suffoque… Il menace de tomber de son tabouret ! Visiblement il n’en peut plus !

    « Dix mille semoules ! Je sais, ça fait mal ! dit le duc derrière lui. Alors parle ! Où sont Paschic et les autres Doms émeraude ?

    _ Mais arrêtez, bon sang ! coupe Lapsie. Vous voyez pas qu’il est au bord de la rupture !

    _ Qu’est-ce que vous voulez, Lapsie ? répond le duc. Que notre système périclite ? Que vous soyez contrainte de vous remettre totalement en question ? Que toutes vos théories soient balayées d’un revers de main ?

    _ Je…

    _ Vous avez le pouvoir, Lapsie, et vous accepteriez de le perdre ? Vous vous voyez aussi hagarde et perdue que vos patients ? Où serait votre air épanoui, de celle qui comprend tout et qui a réussi ?

    _ Mais il souffre !

    _ Vous croyez qu’on peut conserver nos valeurs, en gardant les mains propres ? »

  • La Révolte... (13-16)

    • Le 24/05/2025

    R82

     

     

               " Vous avez fait du bon boulot!"

                                        The Guilty

     

     

                                      13

          « Comment ? Les Doms émeraude se sont évadés ? Avec l’aide d’un certain Paschic ? s’écrie Dominator. Ce n’est pas possible ?

    _ Hélas, si ! répond le duc de l’Emploi. Je le leur avait dit au camp n° 5 ! Je les avais mis en garde, contre l’action délétère de ce Paschic ! Mais il m’ont pas écouté ! Voilà le résultat !

    _ Est-ce qu’on sait où ils sont partis ?

    _ D’après nos renseignements, ils se seraient réfugiés dans les Monts-Bleus, au milieu de la Chose bien entendu !

    _ Mais il faut les récupérer ! Il faut les ramener au camp n° 5 ! Sinon, ils vont faire exemple, comme s’il n’y avait pas déjà assez de désordre comme ça !

    _ J’ai peut-être l’homme qu’il nous faut ! Un militaire… loyal et dévoué : le colonel Routine !

    _ Bien ! Il faut me le présenter !

    _ Il attend dans la pièce à côté… J’ai pensé qu’il nous serait tout de suite utile !

    _ Très bien, duc, faites entrer ! »

    Le colonel Routine, un petit homme sec, fait le garde-à-vous devant Dominator. « A vos ordres commandant ! fait-il.

    _ Colonel, reprend Dominator, qui s’est allumé un cigare, je suppose que le duc vous a informé de la nature de votre mission…

    _ Ramener les Doms émeraude au camp n’° 5, ainsi que neutraliser ce Paschic ! Autrement dit, il faut faire rentrer les traîtres dans le rang, leur supprimer la parole, car ils empêchent le retour de la grandeur des Doms !

    _ Euh… La « grandeur des Doms » ?

    _ Oui, notre pays a été bafoué, humilié, amputé de sa valeur historique ! Nous réclamons justice ! Car nos ennemis sont nombreux et n’ont de cesse de vouloir nous détruire ou nous piller !

    _ Il existe effectivement une concurrence entre les pays, une concurrence saine cependant…

    _ Mais le libéralisme nous tue ! La décadence nous guette et nous menace ! Que vont devenir nos familles, l’ordre ? Par moments, j’ai l’impression que notre pays va terminer au fond d’un WC et qu’une main malveillante va tirer la chasse d’eau ! Alors nous les Doms, nous n’existerons plus !

    _ Allons, allons, il ne faut pas être aussi pessimiste !

    _ Non, car le Dom est éternel ! Il a une mission divine, qui est celle d’éclairer le monde !

    _ Bien, bien, laissez-nous un instant... »

    Le colonel Routine claque des talons et retourne dans le pièce à côté, d’un pas martial ! « Bon sang, duc, s’écrie Dominator. C’est un exalté, un paranoïaque, un malade !

    _ Il a pourtant à cœur le bonheur de son pays et le respect que l’ont doit aux Doms ! Il est aimé par la population, qui voit en lui un rempart contre la violence croissante et la déliquescence des mœurs !

    _ Peut-être…, mais il va nous causer des problèmes… Il est capable de tuer tous les Doms émeraude !

    _ Je vous rappelle que pour aller dans la Chose, il faut des nerfs d’acier ! Beaucoup n’en sont pas revenus ! Routine ne se laissera pas impressionner !

    _ Sans doute, mais à quel prix ?

    _ Hum ! fait monsieur Nuit, qui vient de pénétrer dans la pièce.

    _ Monsieur Nuit ! jette le duc. Comme si je suis heureux de vous revoir sous votre aspect normal ! Alors, l’escargot c’est fini ?

    _ Comme vous le voyez ! J’ai retrouvé mon corps et j’en éprouve un profond soulagement ! Mais vous aussi, duc, vous ne semez plus de petites fleurs !

    _ Eh non… Il est possible que la Chose se soit lassée !

    _ Ou qu’elle nous offre une seconde chance ! Il se trouve que j’ai fait un rêve merveilleux cette nuit : on m’avait confié le tracé d’une nouvelle autoroute et j’asphaltais et je bétonnais !

    _ Messieurs, demande Dominator, revenons à nos moutons si vous le voulez bien ! Il s’agit d’aller récupérer les Doms émeraude qui se sont évadés !

    _ Et Dominator, précise le duc, s’inquiète du choix du colonel Routine pour cette mission, car il le trouve trop exalté !

    _ Routine, Routine ? Ça me dit quelque chose… C’est pas ce gars qui veut redonner aux Doms toute leur grandeur ? Et donc il doit avoir plein de projets pour Domopolis ! Pourquoi alors ne serait-il pas l’homme de la situation ? »

                                                                                                                    14

         « Ici, drone Alpha ! M’entendez-vous ? A vous poste Routine !

    _ Ici, poste Routine ! On vous entend drone Alpha ! Parlez !

    _ Toujours aucun signe des Doms émeraude ! Mais la Chose est partout, que ça en donne le frisson !

    _ Bien reçu, drone Alpha. Je préviens le colonel ! Continuez à chercher les Doms émeraude ! »

    Le lieutenant, qui a pris la réception, se rend auprès du colonel Routine, installé sous une tente et examinant des cartes… « Colonel, fait le lieutenant, un message du drone Alpha !

    _ Ont-ils repéré les fugitifs ?

    _ Négatif, colonel ! Ils ne voient que la Chose ! Les Monts-Bleus paraissent vides !

    _ Bon sang ! s’écrie le colonel, en tapant du poing sur la table. Ces fumiers doivent bien être quelque part ! Vous savez, lieutenant, ils ne nous aiment pas…

    _ Euh…

    _ Si, si ! Ils ne nous aiment pas ! Ils ne nous écoutent pas, ne nous respectent pas ! Or, nous avons tant besoin d’amour et de respect !

    _ Hmm…

    _ Notre histoire est grande, lieutenant ! Notre pays est grand ! Les Doms sont grands ! C’est nous qui avons libéré le monde des barbares ! Chacun de nous a perdu un parent, lors de cette précédente guerre ! Chacun peut témoigner de ce que ça nous a coûté, à tous ! Et pourtant, et pourtant on ignore notre sacrifice ! Pire, on le méprise ! On ne veut pas voir combien nous sommes bons, aimables ! Nous, les sauveurs de la planète, nous ne rencontrons qu’indifférence… Nous sommes des laissés-pour-compte, lieutenant !

    _ Sans doute...

    _ Eh bien, les choses vont changer ! Puisqu’on ne nous aime pas, nous allons forcer les gens à nous aimer ! Nous allons leur montrer qui sont les maîtres… et combien nous sommes forts et grands ! Nous avons été assez patients ! Nous avons assez courbé l’échine ! On nous a humiliés, tandis que nous étions gentils, dociles… Désormais, le message sera tout autre… et parfaitement clair ! Soit vous nous aimez, soit vous mourez !

    _ Euh…

    _ Vous ne comprenez pas ? Il faut qu’on nous aime ! Sinon comment pourrions-nous nous sentir en sécurité ? Nous avons tous besoin d’amour, lieutenant ! C’est lui plus que tout, qui nous donne le sentiment de notre valeur, de notre importance ! Comment se sentir respecté, si on ne nous aime pas ?

    _ Mais peut-on forcer les gens à aimer ?

    _ Voyez-vous une autre solution ? Nous allons écraser cette vermine, et on sera bien forcé de nous écouter ! Tous les gens, qu’on aura placés en esclavage, crieront bientôt comme le Dom est grand, supérieur ! Rien ne vaut l’étoile morte de la terreur ! Le reste n’est que chaos, vieillissement, tristesse…

    _ Alors qu’est-ce qu’on fait, colonel ?

    _ Envoyez le golem de l’amour ! Rira bien qui rira le dernier ! »

    Le golem est un géant d’acier, avec des yeux de feu ! C’est une véritable machine à tuer ! Son blindage est exceptionnel et ses bras détruisent toute agression ! Sa bouche est animée, pour délivrer un message de la propagande et ainsi il est actionné et se met en marche vers la Chose, tirant sur tout ce qui bouge !

    Il est si violent qu’il paraît fou ! Mais on l’entend partout dans la Chose, et sa parole, métallique, sinistre résonne : « Aimez-moi ou mourez ! Aimez-moi ou mourez ! »

    Le colonel Routine est resté sous sa tente… Il médite encore devant ses cartes… Il imagine comment il pourrait lui et les Doms s’imposer au monde… En fait, le problème, c’est que tout individu est libre de se détourner de lui… C’est la liberté le problème !

    Le colonel Routine ne s’énerve pas… Il ne fume pas, ni ne boit… Il est plutôt sobre et c’est ce qui fait sa longévité… Mais comment faire ? Si on enlève leur liberté aux gens, ils ne peuvent plus aimer ! Ils subissent ou font semblant ! Mais ne peut-on pas se contenter du respect dû aux forts ? Est-ce qu’inspirer de la crainte n’est pas suffisant, pour que soi-même on soit content, en sécurité ?

    « J’avoue que je m’y perds ! fait le colonel. Et pendant ce temps-là, on rit de nous, on complote, on veut notre perte ! Je le sens ! Ils sont partout ! contre nous, les Doms ! »

                                                                                                                   15

         Le colonel Routine a réuni ses hommes et crie : « Mais qu’est-ce qui m’a foutu un bande de branques pareils ? Alors, vous n’êtes pas capables de repérer des péquenots, dans de la petite montagne ? Vous êtes des Doms, oui ou non ? Vous n’êtes même pas dignes d’être des soldats ! Je commande des pleutres ! Ah ! Vos pères, eux, étaient des héros ! Ils ont délivré le monde de la barbarie ! Ils ont défendu vos familles, nos valeurs ! Ils ont fait don de leur vie, afin que vous, bande de salauds, vous puissiez vous gaver largement !

    Quand je pense que là-bas, dans les Monts-Bleus, il y a deux ou trois idiots qui se foutent de vot’ gueule ! »

    Soudain il se met à pleuvoir et l’espace blanchi par l’eau a comme une légère contraction, comme si tout était devenu flou ! Un instant, Routine a fermé les yeux et quand il les rouvre, il est seul ! Il n’y a plus personne devant lui et il lâche : « Eh ! Les gars ! Mais où êtes-vous donc ? Je vous préviens, si vous ne réapparaissez pas de suite, c’est la cour martiale ! ou pire le poteau ! Je vous veux ici tout de suite ! »

    Mais il n’y a que la pluie et son bruit sur le sol et les feuillages ! « Mais ce n’est pas vrai ! fait Routine. C’est de la sorcellerie ! Où ils sont passés tous ? Eh, les gars, répondez-moi ! Me laissez pas ! »

    Routine est gagné par la panique, à cause surtout de sa soudaine solitude ! Où sont l’ordre, la hiérarchie, la pompe, les enjeux, l’ennemi, les défis militaires ? Tous les repères du colonel ont disparu !

    Voulant se protéger de la pluie, Routine aperçoit une cabane et se dirige vers elle… Sur le perron, une vieille, le visage masqué par un voile, répare ses chaussures… Ses bras sont aussi maigres que ridés… « Eh ! La vieille, je peux m’abriter chez toi ? » demande Routine. Comme la vieille ne répond pas, Routine s’avance sur le perron, ce qui le met au sec… « Je ne sais pas ce qui se passe, reprend Rotuine, tous mes soldats se sont volatilisés ! Tu ne les aurais pas vus par hasard ? »

    La vieille garde toujours le silence et Routine se penche pour voir son visage : « Mais tu pleures, ma parole ! s’écrie-t-il.

    _ Tu es Routine ! répond enfin la vieille. Et je te connais bien et c’est pour ça que je pleure !

    _ Quoi ? Tu me connais ?

    _ Bien sûr ! Je t’ai vu grandir ! Je me rappelle de toi, enfant ! Ah ! Tu étais plutôt chétif à l’époque et tu devais te défendre contre les grands ! Tu avais du courage ! Mais regarde ce que tu es devenu !

    _ Comment ce que je suis devenu ? J’ai plutôt réussi, non ?

    _ Combien d’hommes n’as-tu pas fait tuer ? Combien de pays n’as-tu pas détruits ? Combien de femmes n’ont pas été violées, à cause de toi ? Combien de larmes d’enfants n’as-tu pas provoquées ? Combien de petits cercueils ne sont pas ton œuvre ? Et tout ça pourquoi ?

    _ Pourquoi ? Mais pour défendre le pays ! Pour lui rendre sa grandeur, pour qu’il compte à nouveau ! Nos ennemis sont nombreux !

    _ Et ta peur, l’as-tu guérie ? N’es-tu pas toujours ce petit garçon, qui avait peur des grands et qui était toujours sur le qui-vive ? Tu n’as pas évolué et tu es resté craintif, d’où tous ces morts, car tu disposes de moyens plus puissants ! Mais où est celui qui rêvait de justice et d’être aimé ? Celui-là aussi existait et il y avait une part de beau en lui !

    _ Je ne sais pas la vieille… J’ai dû me faire à ce monde injuste et cruel ! Je suis devenu adulte…

    _ Oui, et aveugle et sourd ! et dur ! par peur d’être surpris et vaincu ! Tu parles d’un courage ! Tu parles d’un orgueil ! La vraie force est d’accepter d’être méprisé ! Qu’importe le rire des autres, si toi, tu sais qui tu es !

    _ Et tu voudrais le nom des Doms raillé, traîné dans la boue ?

    _ Ne l’est-t-il pas aujourd’hui ? N’est-il pas devenu synonyme d’opprobre, de cruauté ?

    _ Pour nos ennemis seulement !

    _ Ah oui, les grands dont tu avais peur dans ton enfance… Pauvre gosse, tu as les mains pleines de sang !

    _ Tu me fatigues, la vieille ! Où sont mes soldats ?

    _ Où est ce qu’il y avait de bon en toi ? Tu joues au caïd, mais dans la nuit noire et devant tes victimes, tu appelleras qui ? »

                                                                                                                       16

          Dans les Monts-Bleus, Paschic continue à enseigner les Doms émeraude : « N’ayez peur de rien, ni de personne ! leur dit-il. Je sais que c’est difficile, mais c’est vers là qu’il faut aller ! Comprenez bien : le seul savoir des Doms, c’est leur domination ! Autrement dit, c’est leur position hiérarchique, leur pouvoir et leurs richesses, qui donnent un sens à leur vie ! Ce qu’ils font là, sur notre toute petite planète, avec la mort qui nous attend, ils ne veulent pas en entendre parler ! Ils se tiennent dans la bulle de leur domination et c’est donc elle qu’ils font valoir chaque jour !

    Les Doms s’efforcent de faire peur, pour vous soumettre à leur autorité ! C’est leur repère ! Sans cela, ils se désagrègent, sont effrayés eux-mêmes, ce qui les conduit à la haine et à l’envie de détruire !

    Ne doutez jamais ! Le savoir des Doms, c’est du vide, du vent ! Ils seront là sur le trottoir, jouant les notables, les messieurs sérieux et ils vous rappelleront vos peurs d’enfance, quand vous vous sentiez exclus, quand vous ne compreniez pas les grandes personnes ! Ils continueront à vous faire croire qu’ils sont les maîtres et que la société est parfaitement normale, telle qu’elle est !

    Ne doutez pas ! Car ils exercent leur pouvoir sur vous et ils inspirent volontairement la crainte ! Ce n’est pas innocent ! Sans cela, ils sont perdus ! Passez à côté d’eux, tel le caillou dans le ruisseau, sans haine, sans agressivité, mais fermement, solidement ! Soyez pleins de rondeurs et en même temps inaltérable ! C’est votre force ! Vous ne cherchez pas à soumettre… Votre équilibre est ailleurs !

    Mais ne doutez pas, car je vous le redis encore, ces Doms très sérieux vous renverront à vos failles, à vos peurs les plus intimes ! Ils vivent dans le mensonge, mais pas vous ! Ne cherchez pas à être comme eux ! Ne cherchez pas la normalité, la convention, car c’est de la domination, la soumission du plus faible, au profit de ces « messieurs » !

    De même, vous croiserez certainement le regard haineux d’une Dom ! Vous ne la connaissez pas, mais elle est la maîtresse des lieux ! C’est elle qui régit les mœurs, par sa haine ! Elle est le pendant de ces « messieurs » ! Même tonneau ! Son regard vous accuse, essaie de vous culpabiliser ! Il vous dit que vous êtes en faute et vous voilà déjà en train de vous demander quelle est votre erreur ! Mais il n’y en a aucune ! Vous n’êtes tout simplement pas soumis, au chevet de cette dame ! Vous ne vous occupez pas d’elle ! Elle ne se sent pas supérieure, essentielle !

    Là encore vous êtes renvoyés à votre fragilité ! Là encore vous vous demanderez si vous êtes normaux et vous serez effrayés par votre différence ! C’est le but des Doms ! Ils ne cherchent pas et en plus ils ne veulent pas qu’on cherche ! Ils veulent juste leur pouvoir et leur hiérarchie ! Alors qu’ils sont malheureux, haineux, perdus !

    Ne vous fiez pas à leurs simagrées ! Ils feront tout pour vous faire croire qu’ils sont des modèles d’équilibre et de réussite ! Ils montreront volontiers leurs caresses, entre proches, leur complicité, leurs sourires ! C’est de la vitrine pour gogos ! Leurs rapports au sein de la famille sont au vrai codifiés par la domination ! Ils forment un groupe, dont sont exclus les autres, car ce qui les soude, c’est le sentiment intime de leur supériorité !

    Ils forment une équipe, une petite société, prête à se défendre, contre les autres, le monde extérieur ! Ils mesurent tout à l’aune de leur morgue, de leur mépris ! Il n’y a d’amour que pour eux et vous ne leur plaisez que si vous les admirez ! Les familles se tiennent les coudes, contre les gens du dehors, dont vous faites partie, car vous voilà sur la route, à chercher !

    N’ayez pas peur de votre solitude, car c’est une écoute ! Bien des fois, vous serez inquiets de ne pas appartenir à ce qu’on appelle la normalité, mais elle n’a rien à vous apporter, elle est empoisonnée !

    C’est aux Doms de changer ! C’est à eux de faire un pas vers vous ! N’ayez crainte ! Confiez-vous toujours plus dans la Chose ! Réjouissez-vous de sa beauté ! Reconnaissez-la partout où vous êtes ! dans les nuages, le ciel bleu, la petite fleur ! dans chaque brin d’herbe éclate le génie de la Chose !

    Que la beauté devienne votre repère quotidien, tranquille ! Vous verrez alors combien les Doms sont encore beaux, malgré leur égoïsme et leur bêtise ! Vous verrez qu’ils sont plus égarés que méchants, qu’il leur manque surtout la lumière, une raison de vivre !

    Chacun veut s’épanouir, se développer, cherche le bonheur, malheureusement la plupart reste sur le seuil de la Lumière, n’y entre pas, par peur ou ignorance !

  • La Révolte... (9-12)

    • Le 17/05/2025

    R81

     

                  "Il s'est pas mal débrouillé avec un seul bras!"

                                              La Scoumoune

     

     

     

                                          9

         Toujours au camp n° 5, Paschic est autorisé à donner un cours aux Doms émeraude… « Mais enfin pourquoi le laisser faire ça ? s’indigne le duc de l’Emploi, auprès de Ratamor et Lapsie. Il n’est pas des nôtres ! Il va les monter contre nous !

    _ Cher duc, répond Lapsie, nous tentons là une expérience ! Nous voulons connaître les arguments susceptibles d’intéresser les Doms émeraude, pour les sortir de leur léthargie ! Et comme Paschic a déjà montré qu’il a une effet sur eux…

    _ Comme vous y allez ! Ce Paschic est un type sournois ! Je ne le sens pas !

    _ Vous ne le kiffez pas, grave ! Hi, hi ! On le sait ! Mais ne vous inquiétez pas, duc, Ratamor et moi, nous gérons ! Je note cependant que vous ne semez plus de pâquerettes ! Cela doit être agréable, non ?

    _ Effectivement ! J’ai été plus fort que la Chose, on dirait ! Remarquez, je n’en ai jamais douté ! »

    Dans une petite salle de classe, on a regroupé tous les Doms émeraude et Paschic se tient devant, tel un professeur, étroitement surveillé toutefois par Lapsie, Ratamor et le duc de l’Emploi, qui restent debout contre le mur… « Chacun de nous dégage une tension ! commence Paschic. C’est notre activité psychique, autrement dit notre personnalité, ce que nous sommes, qui s’exprime ! Notre façon de nous habiller, de nous tenir, nos gestes, notre regard, tout cela témoigne de nos sentiments ! Mais même ceux-ci se transmettent rien que par leur nature, sans manifestation physique, juste par le désir qui les anime !

    Prenez la haine, par exemple ! Certains Doms vous regardent avec de la haine et tôt ou tard, vous vous tournez vers eux, pour découvrir cette haine, car vous n’êtes pas insensibles à la tension qu’elle dégage et c’est d’ailleurs ce que l’on veut, que vous en soyez touchés !

    Pourquoi cette haine ? Mais parce que le Dom ne vous commande pas ! Il vous voit heureux, sans lui… Il n’aime pas votre liberté, votre indépendance, car il vous veut soumis ! Ces Doms haineux, méprisants, s’attendent à ce que le monde tourne autour d’eux, qu’ils en soient le centre ! Ils ne vivent que pour leur domination !

    Comprenez alors que plus vous serez épanouis et en paix et plus vous serez en butte à la haine et au mépris ! Ne croyez surtout pas que nous voulons le bien et que si vous allez mal, le problème ne soit qu’en vous ! Non, la plupart n’ont aucun intérêt à votre bonheur !

    Cependant, il est possible de savoir en une seconde à quel degré de maturation est chaque individu ! En prenant en compte tout ce qui nous révèle, y compris la tension que nous dégageons, il est possible de se dire que un tel est timide, ou avide, ou s’il cherche à attirer l’attention, etc. ! C’est tout un monde qui apparaît sous nos yeux ! avec ses lois, son unité, son harmonie ! Le chaos n’est qu’apparent, car nous sommes tous pareils ! Il n’y a que le stade de notre développement qui change ! La haine elle-même devient explicable, voire prévisible, ce qui en diminue les effets !

    Mais il y a une condition pour voir les choses ainsi : c’est qu’on ne soit pas soi-même esclave de sa domination ! Pour donner une existence réelle aux autres et donc pour comprendre qui nous sommes, il est impératif de respecter les êtres, sans vouloir les soumettre ! Or, la plupart des Doms cherchent incessamment à dominer, pour se rassurer : la femme en voulant séduire, l’homme en « gonflant » sa force physique !

    C’est pourquoi nous nous heurtons, nous nous détruisons, nous et le monde ! Nous sommes fatigants, usant et perdus !

    Comment se débarrasser de sa domination ? Mais en se confiant dans la Chose ! en vous réjouissant de sa beauté, en la voyant comme un don ! Plus vous en aurez conscience et moins vous aurez peur et moins vous aurez besoin de dominer ! Ainsi vous verrez la bonne volonté chez l’autre ou au contraire sa méchanceté ! Ainsi vous aimerez la vie, car vous aimerez sa différence, car c’est justement cela la vie, c’est la différence, la diversité ! Il n’y a pas de vie sous le contrôle de la haine, ni quand la liberté est absente !

    _ Vous voyez ! coupe le duc, à l’adresse de Ratamor et Lapsie. Il les appelle à la sédition ! Non mais regardez-les : ils boivent ses paroles !

    _ C’est justement ce que nous voulons, réplique Lapsie. comprendre ce qui les touche !

    _ Vous jouez avec le feu ! C’est moi qui vous le dis ! 

    _ Je vous apprendrai la patience, reprend Paschic. Je vous apprendrai le silence et la paix ! Je vous apprendrai comment ne plus subir la domination !

    _ Mais arrêtez-le ! supplie le duc. »

                                                                                                                   10

         Un deuxième « cours » est organisé au camp n° 5, au profit des Doms émeraude, mais sans la présence du duc de l’Emploi, parti se plaindre auprès de Dominator, de ce qu’il considère comme une « trahison » de la part de Lapsie et de Ratamor !

    Mais on retrouve Paschic dans le rôle du professeur et il commence ainsi : « La tension qui émane de nous, au-delà de notre apparence et même de notre gestuelle, ce qui correspond à notre activité psychique et donc à notre désir, à nos sentiments, peut être appelée une « onde psychique » !

    Sans être un scientifique, je ne vois pas de meilleure définition ! Car c’est d’abord quelque chose d’invisible ! Certes, la haine est reconnaissable à travers le regard, mais il faut en premier lieu qu’elle touche sa cible, que celle-ci se sente concernée, pour se tourner vers la source de la haine et en être frappée !

    Nous dégageons donc tous des « ondes psychiques », suivant l’intensité de nos sentiments ! Malheureusement, les ondes psychiques, provenant de la domination, sont pleines d’inquiétudes et de désirs de soumission ! Elles sont aussi perturbées que perturbantes ! Elles peuvent être aussi violentes dans la demande que dans l’agressivité ! Elles choquent, effraient à leur tour et même font fuir !

    Rarement, elles sont curieuses, respectueuses, bienveillantes ou apaisées ! La raison en est simple : dominer est le réflexe et c’est ce qui paraît le plus naturel, mais dominer ne guérit pas de la peur et donc ne rassasie pas ! Il nous faut constamment une nouvelle soumission, pour nous sentir supérieurs !

    Je suis là pour vous apprendre à « traiter » les ondes psychiques, à être face à elles comme le caillou dévie l’eau du ruisseau ! Les ondes psychiques constituent un flux, dans lequel vous devez être comme un caillou lisse, qui laisse passer l’eau, qui ne lui résiste pas, mais qui n’est pas non détruit par elle ! Le caillou est juste poli par l’eau, tout en apaisant aussi son cours derrière lui !

    Cette image du caillou ne doit pas vous renvoyer à une fermeture, un monde clos, à un blindage ! Ce n’est pas non plus une fuite, qui ferait que vous deveniez indifférent à ce qui se passe autour de vous ! Au contraire, c’est un accueil lucide des ondes psychiques des autres, mais avec la connaissance de ce qu’elles sont et avec le souci de respecter votre propre intégrité ! Car aucune onde psychique ne doit être capable de vous détruire, qu’elle vienne de l’extérieur ou de l’intérieur ! On ne peut pas en effet faire le bien, si on n’est pas en paix avec soi-même !

    D’où l’image du caillou, car vous ferez un tout solide, toutes vos failles ayant été résorbées, par la connaissance des autres et de vous-même ! Sous les ondes psychiques, vous serez encore intérieurement fermes, mais sans agressivité, ni peur ! Comment arriver à ce résultat ? Mais, comme je l’ai déjà dit, en vous confiant toujours plus dans la beauté de la Chose ! en la voyant toujours plus comme un don ! en prenant toujours plus conscience de son infini ! en retrouvant la simplicité de l’enchantement ! Ainsi guériront vos peurs, jusqu’à ce que vous en riez !

    Plus le temps recule et l’espace s’étend, par la science, et plus vous devez mesurer la puissance en qui vous vous confiez ! La connaissance scientifique est un sujet de joie, car elle vous montre à quel point vous êtes aimés ! Ce n’est pas un sujet d’effroi, car le ravissement vient de l’infini qui vous entoure et qui ne saurait vous abandonner, être dans l’incapacité de vous aider !

    Un jour vous serez en mesure de reconnaître n’importe quelle onde psychique et de savoir quel comportement adopter ! Vous saurez être apaisant, comme ferme face à la menace ou au mépris ! Jamais l’énervement ou le jugement hâtif, la condamnation doivent être vôtres ! Jamais non plus vos propres ondes psychiques, c’est-à-dire vos propres failles, ne doivent venir vous troubler ou vous perturber ! Vous serez un « maître du temps », un soignant ou un défenseur ! Influencer les ondes psychiques, en toute connaissance de cause, leur répondre correctement, parce que vous les comprenez et même les prévoyez, est l’activité la plus saine qui soit ! C’est ramener l’ordre dans le chaos ! C’est redonner de l’espoir dans la confusion et la souffrance ! C’est offrir de l’eau dans le désert ! C’est lutter contre l’oppresseur, avec les moyens de la sagesse, avant le drame ! C’est aider les autres, tout en vous préservant, car ceux qui font le bien par inquiétude, tôt ou tard font payer les autres !

    C’est la joie qui doit être votre but, de même que l’eau scintille et semble rafraîchir le rocher ! C’est tout la vie qui ruisselle, avec sa fluidité, sa diversité, que vous devez sentir, afin de vous réjouir ! Il y a un temps pour la pitié, la fermeté ou le sourire ! Votre paix reposera sur l’amour et non sur la volonté et c’est pourquoi vous transmettrez votre amour ! »

                                                                                                                            11

         Une troisième leçon suit les précédentes, car les Doms émeraude sont très intéressés, paraissent moins malades et certains ont même retrouvé le sourire, avec une envie de dialoguer ! Paschic a réussi à les sortir de leur bulle, à leur montrer une issue à leur état dépressif ! Mais surtout il est parvenu à leur expliquer qu’ils n’étaient pas les seuls en cause, que les Doms, qui ont l’air en parfaite santé ou d’avoir réussi, sont en partie responsables du malheur des autres, car ils préservent leur égoïsme, avancent grâce à lui, au détriment des plus faibles et des plus doux !

    Mais Paschic reprend son discours : « Évidemment, dit-il, vous le comprenez bien, il existe autant d’ondes psychiques qu’il y a d’individus ! Chacun a son histoire personnelle et se dirige suivant ses goûts et ses traumatismes, ce qu’il comprend de la vie ! Mais même avec toute cette diversité, vous serez à même de reconnaître toute onde psychique et quel degré de développement elle indique, car nos sentiments sont universels, puisqu’ils viennent d’abord du règne animal !

    Ceci étant, les traumatismes ont une grande place dans ce que nous sommes… Des personnes, elles-mêmes blessées, nous blessent et provoquent en nous des failles, sont à l’origine de notre fragilité et de nos peurs… Dès notre naissance, nous entrons dans une chaîne interminable de traumatismes : il ne saurait en être autrement ! Et il est très difficile de « s’extirper » de cette chaîne, afin de devenir un véritable « ouvrier de paix », si je puis dire ! La plupart des Doms sont blessés et blessent à leur tour, au point qu’ils ont l’air de se transmettre leurs traumatismes !

    Mais, si j’insiste sur les traumatismes, c’est pour vous dire que vous n’avez pas pire ennemis que vous-mêmes ! Le terme d’ennemi n’est pas vraiment correct, car il ne s’agit pas de se haïr, mais vous verrez que c’est presque toujours vos failles ou votre fragilité qui vous fait quitter votre paix, jusqu’à vous diluer dans le flux des ondes psychiques, en vous mettant à la merci d’erreurs que vous allez regretter, car vous aurez encore abusé de vous-mêmes et dépassé vos forces ! A chaque fois que cela arrive, vous devenez sujets à la haine, à la colère et incapables d’aimer la vie et de faire preuve de compassion !

    Vous retournez en fin de compte dans la chaîne des traumatismes ! Vous recommencez à blesser, parce que vous-même avez été blessés ! On n’en sort pas, d’où l’intérêt de faire une paix complète avec soi-même ! C’est la condition sine qua non ! Mais il faut comprendre que le « chaos » des ondes psychiques n’aura de cesse, pour ainsi dire, d’interroger vos failles, de les sonder, avant de les ouvrir et de vous perdre ! surtout, surtout, si vous êtes à la recherche du bien, car on ne peut être sur ce chemin sans questions, sans être perméables au doute, ce qui vous rend forcément fragiles !

    Mais, devant toute la misère humaine, vous allez bien entendu être secoués, ébranlés, en proie à des tiraillements qui vont vous mener très loin de la paix ! C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas pire ennemi que soi-même ! C’est le désir de bien faire qui vous met en danger… et pourtant il est indispensable ! Mais alors la crainte, la peur de mal faire peut vous envahir, vous ronger et même vous détruire ! Inquiets dans votre amour, pressés par les turpitudes du monde, vous voilà esclaves de votre bonne volonté, menés sans soucis de votre santé, jusqu’à ce que vous tombiez malade, vaincus par vous-mêmes, avec toute l’impuissance des invalides !

    Comment éviter cela ? A vrai dire, il n’y a pas vraiment de solutions ! La force de votre amour creusera elle-même vos failles, parce que vous vous direz que ceux qui vous ont précédés n’ont pas assez aimé, etc. ! Chacun a son histoire, mais une chose est sûre, c’est que la paix apporte la joie ! Si elle n’est pas un jour ou l’autre au rendez-vous, c’est que vous continuez à vous demander trop à vous-mêmes ! C’est que vous êtes encore sous le joug de vos peurs ! Et il n’y a qu’une manière de se débarrasser de celles-ci, c’est la confiance ! La paix, c’est se dire : « Peu importe comment je suis, j’ai confiance ! Je suis aimé ainsi ! » A cet instant, vous devenez rocher, vous ne vous blessez plus, vous ne perdez plus de forces et vous restez lucides dans le flux des ondes psychiques ! Votre capacité d’accueil, de reconnaissance et de compassion ne cesse plus de grandir !

    Si vous êtes capables de comprendre ceux qui haïssent et même de leur pardonner, alors combien vous devriez pouvoir vous comprendre et vous pardonner, vous qui êtes à la recherche du bien ! Ne prenez pas Dieu pour plus bête que vous, ou moins aimant que vous !

    Le corps aussi est important, car une bonne santé physique évidemment aide l’esprit ! Mais là encore, ce n’est pas la performance, ni même l’effort qui doivent être recherchés, mais la joie et l’harmonie ! Par exemple, si vous courez, soyez heureux du simple fait de courir et non de dépasser telle ou telle distance ! C’est la simple joie de courir qui vous fera du bien !

    Nous mangeons encore de la viande, à cause du chaos de nos pensées ! Ce n’est pas une véritable nécessité ! Mais nous n’arrivons pas à apprécier simplement les légumes, car nous ne savons pas attendre, nous reposer ! Il nous semble impossible de nous débarrasser de la béquille de la viande ! C’est la domination qui fait de nous des carnivores et c’est la paix, et non une doctrine, qui nous rend végétariens et améliore notre transit et donc notre énergie !

    Quoi qu’il en soit, c’est la joie notre guide ! »

                                                                                                                   12

          « Une fois en paix avec vous-mêmes, vous allez rester parfaitement disponibles à toutes les ondes psychiques ! dit Paschic qui, à la demande de Lapsie et Ratamor, s’est lancé dans une quatrième leçon. Vous comprenez bien que, si vous-mêmes, vous n’êtes animés que par une seule onde psychique, telle la haine, la colère ou le mépris, vous n’êtes plus réceptifs à aucune autre onde ! C’est votre sentiment qui doit s’imposer, vaincre, toucher sa cible ! Comment alors pourriez-vous être libres, attentifs aux autres et détendus ! Votre tension vous trouble, vous use, vous et ceux qui vous entourent ! Vous êtes un agent du chaos !

    Au contraire, en paix, votre onde psychique ne demande rien, ou elle est prête à toute perdre ! Elle n’est pas envieuse, crispée, mais elle a assez de force pour être curieuse et elle s’amuse de toute la diversité des ondes et des attitudes de chacun ! Elle se réjouit de la richesse de la création ! Mais elle prend conscience aussi combien les ondes psychiques sont généralement pauvres, égoïstes et blessantes ! Le Dom ne tarde pas à frapper ! Il ne comprend pas où il est, ni même ce qu’il fait et certains, vous le verrez dans leur regard, habitent un monde clos, fermé par leur haine ! Ils ne connaissent rien d’autre et n’ont qu’indifférence ou mépris, quand on s’adresse à eux !

    Ces Doms là sont difficilement récupérables ! Vous aurez beau leur parler, ils sont figés à l’intérieur, sans doute paralysés par la peur, ce qu’ils n’admettront jamais d’ailleurs ! La haine sert de rempart, pour cacher la peur ! Il n’y a pas ici de détente, ni de repos ! Cela ne veut pas dire que le travail de la sagesse, si je puis dire, ne s’effectue pas, qu’il n’a aucune action souterraine, mais les progrès sont extrêmement lents, à peine visibles !

    A propos de détente et de repos, si vous êtes en paix, vous n’avez plus besoin de vous évader ! La vie, dépourvue de tourments, vous est un plaisir elle-même, qui vous comble, alors pourquoi vous auriez recours à l’alcool ou à la drogue ? C’est plutôt l’apanage de la jeunesse, qui est aussi enthousiaste qu’inquiète !

    Avec le temps, vous serez capables d’agir sur les ondes psychiques des autres, afin de les apaiser ou au contraire de vous y opposer ! N’oubliez pas l’image du caillou dans le ruisseau : il dévie l’eau, sans empêcher son cours et la calme aussi, sans qu’il perde sa solidité ! Il est encore formé, poli par elle !

    Mais vous allez voir qu’il est possible de transmettre votre paix, si vous reconnaissez une onde psychique inquiète, mais qu’on peut tranquilliser ! Dans ce cas, il ne faut pas hésiter ! On offre sa propre respiration détendue, son propre temps imprégné d’infini, ce qui crée une onde psychique qui rassure, qui fait que la personne se calme, sans qu’il y ait eu de votre part un regard, un geste, une parole ! Tout cela se déroule invisiblement, tout en fonctionnant très bien ! Les ondes psychiques sont une réalité ! C’est votre présence, débarrassée de toute domination, qui agit ! C’est tout votre travail d’amour qui porte ses fruits ! Mais encore une fois, rien ne doit vous troubler, ni votre impatience, ni la soif de votre ego !

    Au contraire, en face d’une onde agressive, vous pourrez prendre le rôle de gendarme ! Car il ne faut pas dans ce cas être faible et encourager cette domination, qui ne demande qu’à s’étendre ! Votre solidité de caillou va justement servir à arrêter le Dom qui piétine tout le monde ! L’exemple le plus courant est la personne qui se présente à la caisse, alors que vous y êtes déjà et qui par sa seule arrivée semble vous demander de « dégager », comme si le monde lui appartenait !

    Vous serez alors plus dense que jamais ! Votre onde psychique doit se ressentir de toute votre sûreté, car votre confiance ne vient plus de la domination ! Elle prend maintenant racines dans quelque chose d’infiniment plus vaste, la beauté du monde et ce qu’elle inspire ! ce qui doit vous rendre capables d’arrêter un tank, c’est-à-dire n’importe quel monstre d’égoïsme !

    Dites-vous bien que vous faites cela pour le bien de la personne qui vous agresse, qui vous « marche » dessus ! Car d’abord vous n’êtes qu’une énième victime de cette personne ! Partout où elle passe, elle a la même attitude, méprisant tout un chacun et voilà que vous l’arrêtez pour la première fois ! qu’elle rencontre enfin un obstacle ! Elle vous laissera peut-être voir sa stupeur ! Mais elle s’interrogera, car la situation sera nouvelle !

    Elle verra qu’on ne plie pas forcément devant elle et vous la renvoyez à sa peur, qui se taisait tant qu’elle menait les autres ! Vous la renvoyez à sa solitude, à l’étrangeté de la vie, ce qui la désempare, puisque la domination, pour nous les êtres humains, n’est qu’une fuite en avant ! Vous aurez joué le rôle de gendarme, comme on verbalise un chauffeur, pour vitesse excessive ! Cela ne veut pas dire évidemment que la personne va changer et ne pas recommencer, loin s’en faut, mais vous avez posé un jalon, une marque ! Et surtout, vous ne vous êtes pas laissé dévorer !

    Votre paix s’exprime non seulement par votre bonne volonté, mais aussi par votre fermeté ! Il ne s’agit pas de céder devant l’injustice, au nom de l’amour et de dire éventuellement merci, si on vous crache au visage ! Il n’est pas question de se détruire, ni de se déliter ! Le but, ce n’est pas la dépression, mais votre bonheur ! Malade, vous ne serez plus bon à rien ! Souvenez-vous-en !

    A vous de savoir doser et aimer, ce n’est pas se diminuer ! »