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  • Du sexe

    Dusexe

     

     

     

     

     

         Le sexe est toujours un sujet tabou, non parce qu'il offense encore une morale bourgeoise, mais au contraire parce qu'il est devenu le soleil qui masque l'hypocrisie de nos sociétés! Il est l'habit doré de la vitrine, que tout le monde doit désirer en passant! Il est censé être le témoin de notre modernité, de notre évolution et donc de notre bonheur!

        Il est la chose resplendissante qui implique le retard des pays plus stricts et moins développés! Symbole de notre bonne santé, il doit montrer combien notre mode de vie est légitime et enviable! Il est l'emblème de notre réussite, ce qui nous permet de continuer de fonctionner, sans vraiment nous remettre en question!

        Malheur donc à celui qui ose le critiquer, en parler même raisonnablement, il sera immédiatement qualifié de frustré, de névrosé, de puritain, de fanatique; j'en passe et des meilleurs! Pourtant, je vais prendre ce risque; je vais tout miser sur le rouge et je suis à peu près sûr de ne pas être perdant! Car au fond, je ne cherche nullement à priver qui que ce soit de son plaisir... Au contraire! Mais à mon sens il ne peut y avoir de véritable jouissance si on fait l'amour sur un marécage, qui retentit des milliers de cris des gens qui s'y noient!

        Commençons notre examen par le chantre de la vie sexuelle par excellence, à savoir Freud lui-même! Que le père de la psychanalyse ait mis en lumière un domaine qui avant lui appartenait à la nuit de la sorcellerie et qu'il ait donné ses lettres de noblesse aux maladies psychiques, cela est indiscutable!

        Mais il est tout aussi exact d'affirmer qu'il s'est trompé sur les bases de sa nouvelle science et qu'il lui a donné des prolongations qui aujourd'hui encore empoisonnent notre façon de penser!

        La grande erreur de Freud a été de croire que la pulsion sexuelle était la racine de nos personnalités et que ses avatars déterminaient ces dernières! Mais même les animaux se développent selon d'autres lois et la sélection naturelle veut que ce soit le plus fort qui puisse se reproduire. C'est donc l'individualité qui prime! C'est elle qui effectivement va commander notre activité sexuelle!

        Comment Freud a-t-il pu être aussi aveugle? Il y a plusieurs raisons à cela...

        D'abord, l'idée même d'Evolution balbutiait à l'époque et elle ne s'est pas encore correctement imposée de nos jours...

        Ensuite, la science des gènes ou génétique est née à peu près à la mort de Freud, et même si elle reste une affaire de spécialistes, elle a profondément changé notre regard sur notre héritage animal, car nous savons à présent que certains de nos comportements les plus complexes peuvent avoir une origine génétique!

        Mais surtout Freud a totalement ignoré l'importance de son amour-propre, de son égoïsme, ou de sa vanité ou de son orgueil, car tous ces termes recouvrent la même réalité; puisqu'il s'agit d'abord pour chacun d'entre nous de faire triompher sa propre personnalité!

        Ce qui produit la névrose, ce n'est pas le refoulement sexuel, mais c'est bien le refoulement de soi! C'est lui qui est le plus dangereux et le plus destructeur!

        Mais comment peut-on être aussi naïf quant à ce qu'on est? Comment peut-on, si on a l'ambition de voir les choses en grand! s'occuper du ruisseau, alors que sa force est donnée par la montagne? Comment croire qu'on va faire venir le bateau, quand on tire sur un seul brin de l'amarre?

        L'explication est assez simple... De même qu'on prend conscience de ses organes quand ils vont mal, on réalise l'importance de son amour-propre (ou de son égoïsme) quand il est blessé radicalement! Avant, on se raconte des histoires!

        Mais voyons si le parcours d'un thérapeute convient à cet événement et à cette découverte!

        Les étudiants en psychologie sont d'abord de bonne volonté: ils veulent comprendre leurs propres problèmes, afin d'aller mieux et de trouver leur place dans la société, ce qui les rendrait évidemment utiles!

        Mais très vite on leur fait croire qu'ils deviennent dépositaires d'un savoir quasi occulte, d'une "gnose"; qu'ils entrent dans un cercle d'initiés et que donc les autres restent ignorants des véritables raisons de leurs actes, ce qui les fait voir inévitablement comme des pantins (ou des malheureux, si vous êtes particulièrement hypocrite!)!

        Ceci n'est pas un plan machiavélique, il suffit simplement que les professeurs laissent parler leur passion; mais il est inévitable que les amours-propres soient caressés, dorlotés et que même ils se mettent à ronronner!

        D'autre part, les vertus du silence analytique, qui laisse libre le patient de se soulager lui-même de ses affects, placent forcément le thérapeute comme un spectateur (agissant, si vous êtes particulièrement pointilleux!) et cette position va lui constituer à la longue une sorte de gaine protectrice; car tout ce que vous allez pouvoir dire, même (et j'ai envie de dire: surtout) en dehors de la psychothérapie, sera traité comme une émanation de votre âme, de vos propres problèmes; sera perçu comme le seul reflet de votre débat intérieur; ce qui permettra au thérapeute de vous regarder avec affection, voire avec commisération, tel le Suisse face aux déchirements guerriers de la planète!

        A l'abri, l'amour-propre du thérapeute rigolera des bombes et continuera à grossir, comme une souris bienheureuse dans un trou d'emmenthal!

        Mais ce n'est pas tout! Qu'un patient tape du poing sur la table, en disant que ça n'avance pas! et on lui laissera entendre qu'il n'est pas allé assez loin en lui-même, qu'il n'a pas encore brisé les défenses que lui-même s'est créées! que le fin mot de l'histoire est enfoui très profondément, que l'Eldorado n'était pas derrière cette chaîne de montagnes, mais après cette autre!

        La nuit du souvenir, du temps! Regardez cette boule, regardez-là bien! N'y voyez-vous pas un paysage de neige? Tout est calme, tout est blanc... Et maintenant vous fermez les yeux et vous dormez... Et en effet, il s'agit bien d'endormir toute critique! Le thérapeute a encore ici à sa disposition la technique de la seiche! Quand elle est attaquée, elle libère un nuage d'encre, dans lequel se perd son ennemi!

        Evidemment, je fais passer le thérapeute pour un escroc, un sale individu, ce qu'il n'est pas a priori, mais il n'en demeure pas moins qu'on voit mal comment son amour-propre pourrait ne pas être protégé, gonflé et se sentir supérieur! Nous avons là tous les ingrédients pour faire un dieu!

        Mais m'objecteront des thérapeutes blanchis sous le harnais: "Nous devons nous aussi suivre une psychothérapie ou une analyse, ou tout du moins être conduits à nous examiner très attentivement, avant d'exercer; afin que nos propres sentiments ne viennent pas parasiter nos soins... Nous devons donc être lucides quant à nos désirs les plus secrets et à l'importance de notre amour-propre!"

        La bonne blague! C'est dommage qu'on ne puisse pas en faire une histoire drôle! Car peut-on comparer un affront véritable, une humiliation sans rémission, avec une recherche voulue, une mise au jour encadrée, même si c'est de choses apparemment pénibles? Qu'est-ce qu'il y a de commun entre un écrasement dur de godillots et une larme versée sur un divan?

        D'un côté, il y a le monde de la rue, celui du quotidien brut, avec ses nécessités, ses peurs viscérales et ses coups bas! Et de l'autre il y a l'univers feutré du cabinet, ses voix teintées de componction et l'immobilité de ses livres!

        L'un vous maintient les yeux ouverts, car il est capable de vous cingler! L'autre vous endort inévitablement, car il est là apparemment pour vous rassurer...

        J'ai dit ailleurs qu'un bénéficiaire du RSA avait infiniment plus de chances de connaître les réactions de son amour-propre, car il est vital pour lui qu'il sache le contrôler! Un mot de trop, une révolte trop vive face à son tuteur, et le voilà déjà sentant le froid du dehors, car la porte est grande ouverte!

        Un amour-propre qui s'ignore, qui a été choyé, ménagé, a une réaction d'autant plus violente quand il est blessé! Car jamais il n'a été contraint de dissimuler, de se museler! Et je peux vous dire que le thérapeute vexé est comme un serpent à sonnettes dont la queue vibre au maximum! Il va mordre et libérer le plus de venin possible! Je pourrais ici vous parler de vengeances de thérapeutes qui vous feraient froid dans le dos, car ils utilisent bien entendu les moyens que leur donnent leur fonction et leur autorité! Des noms de maladie vont pleuvoir sur votre tête et priez qu'ils ne soient pas suivis de mesures plus tordues!

        Pour clouer le cercueil, j'affirme ici qu'il est impossible pour un homme d'écouter les histoires des autres si sa vanité n'est pas satisfaite! Autrement dit, un thérapeute ne peut supporter ses patients qu'à la condition expresse que ceux-ci reconnaissent son savoir et sa supériorité! L'argent ne suffit certainement pas pour bénéficier d'une patience a priori extraterrestre!

        Et si un thérapeute vous soutient le contraire, abattez-le sans hésiter! car il est encore plus dangereux que les autres!

        Mais pourquoi est-ce que je m'étends sur un tel sujet, alors que c'est du sexe dont il s'agit? Mais, on l'aura compris, on ne peut pas dissocier le sexe de l'amour-propre! Il ne faut pas que nous soyons plus bêtes que les animaux! Et la libido de Freud n'existe pas!

        Mais, maintenant, nous pouvons regarder la situation actuelle avec un certain intérêt! Et parlons d'abord des hommes, les pauvres!

        La civilisation est le fruit de nos consciences et elle mène l'humanité sur un chemin qui s'écarte de la nature, qui est nouveau... Mais elle a ceci de paradoxal que, si elle veut notre bonheur, elle se développe à mesure que le pays est stable, ce qui entraîne un recul de l'importance de la gent masculine, dont le premier rôle est la défense du territoire! Les hommes d'aujourd'hui doivent donc s'adapter, trouver une nouvelle identité, et ils sont évidemment en proie aux doutes, à l'inquiétude, voire au désespoir!

        Concrètement, cela se traduit par certains symptômes... On parle notamment de la baisse de vitalité des spermatozoïdes... Pour la science, il faut un agent pathogène sûr, mais nous savons également qu'un moral tourmenté est à l'origine de la plupart de nos maladies, même si c'est indirectement!

        L'éjaculation précoce est encore produite par le manque de confiance en soi... On est tellement nerveux à l'idée de décevoir, que l'on consterne effectivement! Quant à l'impuissance, ceux qui en souffrent sont recroquevillés en eux-mêmes... et se demandent s'ils sont bien là!

        Les femmes n'aident pas vraiment les hommes... Elles voient leur tour arriver et il est normal qu'elles réclament les mêmes droits, les mêmes égards, la même liberté! Mais comme leur poussée est provoquée par le même égoïsme que celui des hommes, elles tombent facilement dans leurs travers! Elles traitent le sexe opposé avec le même mépris dont il est capable! Elles adoptent ses attitudes les plus repoussantes, les plus condamnables! celles dont elles-mêmes ont eu et ont encore le plus à souffrir! Les unes se demandent si l'homme est toujours utile, quand d'autres multiplient les conquêtes et s'en moquent!

        Enfin, qu'est-ce qu'un individu sexuellement épanoui, sinon un amour-propre épanoui; c'est-à-dire un tyran satisfait? Certains et certaines estiment en effet que ceux et celles qui partagent leurs lits ont déjà trop de chances! et ils sont donc à dix mille lieues de la panne sexuelle (pas leurs partenaires!)!

        Le sage, lui, sait qu'il ne s'agit pas d'imposer son individualité, mais qu'il peut donner le meilleur de lui-même à l'être qu'il a choisi, et c'est cela sans doute aimer!

        Toutefois, on peut voir encore plus loin, car si le couple permet de grandir, il n'en demeure pas moins une possession égoïste, une fermeture sur le monde extérieur; et le sage ou la sage peuvent vouloir embrasser l'Univers tout entier! C'est à chacun de juger... Affaire suivante!

  • Des autres

    Des autres

     

     

     

     

        Chaque jour nous place dans un certain état d'esprit, bon ou mauvais, et nous savons déjà que celui-ci ne nous est pas unique, mais que les autres l'éprouvent également, et c'est pourquoi nous avons tout intérêt à les observer!

        En fait, c'est par là que commence vraisemblablement l'éveil, puisque nous apprenons ainsi les grandes lois qui nous régissent!

        Le tyran, lui, vit dans l'obscurité de son égoïsme... Il croit, à tort, que ses sentiments lui sont particuliers et il se débat avec eux comme un animal qui réagit à son environnement!

        Nous allons voir plus loin de quelle manière précisément, mais l'individu qui part du principe que ce qu'il sent est général, commun aux autres hommes, celui-là s'enlève déjà un certain poids, si notamment il éprouve de l'anxiété; car bien entendu il sait alors que son trouble ne vient pas que de lui!

        Il est déjà plus léger que le tyran, et il va très vite pouvoir vérifier le bien-fondé de son point de départ! Nous pouvons même dire qu'il va aller de surprises en surprises, qu'un nouveau monde va lui apparaître et que celui-ci ne cessera de grandir, de s'étendre jusqu'à l'infini même!

        En somme, dans la vie, toute la question est de se débarrasser de ses langes, de quitter son état de bébé, pour se mettre debout sur ses jambes! C'est difficile évidemment, car l'égoïsme constitue une sorte de folie qui évite de "mettre le nez dehors", si je puis dire; mais regarder lucidement les choses vaut vraiment la peine!

        Mais prenons un exemple pratique, ce sera plus parlant, et c'est une joyeuse balade que je vous propose! Pourtant, elle semble commencer mal...: vous vous réveillez anxieux (ou anxieuse, bien entendu!). Vous sentez votre tourment, même s'il reste sourd, obscur... Vos nerfs sont légèrement tendus... Vous auriez aimé un matin plus libre, plus ensoleillé, plus serein; alors que là, vous êtes pressé par votre mal-être, il vous serre et la tristesse n'est pas loin... Il vous faut du courage, mais déjà vous vous allégez; vous vous faites la réflexion suivante: "Je ne vais pas très bien, c'est vrai, mais les autres non plus ne doivent pas être à la fête! Je vais bien voir comment ils s'en sortent!"

        Ici, je me permets d'énoncer un grand principe que vous pourrez vérifier quand vous voudrez...: plus le réveil est difficile et plus l'environnement est agressif! Cela est simple à comprendre: comme les tyrans forment la majorité et qu'ils n'ont pas d'autres ressources, face à l'obstacle, que de renforcer leur égoïsme, vous ne pouvez absolument pas vous attendre à ce que le monde, lui, vous soulage de votre désarroi! Au contraire, il aura tendance à l'amplifier!

        Mais vous êtes averti(e) et vous avez les yeux ouverts, et tout se passera bien! Disons un mot sur le trafic automobile, bien que la marche permette de côtoyer les autres d'une manière infiniment plus intéressante... Mais vous vous en doutez, dans le cas qui nous intéresse et si vous prenez votre voiture, vous allez devoir faire face à une circulation oppressante, hargneuse, sans pitié... et notez que même le véhicule révèle la personnalité; dans la plupart des cas, il n'a pas été choisi au hasard, et son avant notamment est pour ainsi dire comme un visage qui exprime un sentiment! 

        Telle voiture aura l'air agressive, déterminée, imposante, puissante, quand d'autres laisseront voir leur "bonhomie", leur "innocence" et leur faiblesse, leur fragilité...

        Un mot encore sur cette nouvelle mode qui est de laisser allumer ses phares, quelles que soient les conditions de luminosité... La sécurité routière est ici peu concernée; il s'agit plutôt de briller encore plus, comme un diamant ou un sapin de Noël; c'est une manière d'imposer davantage sa présence, car seule la vanité peut étouffer le besoin de faire des économies, puisque les ampoules s'usent ainsi plus vite et j'imagine mal la plupart des conducteurs sachant les changer sans avoir recours à un professionnel!

        On peut trouver que je m'étends un peu trop sur les détails, mais je voudrais que vous compreniez que rien n'est innocent en réalité! Nous avons un cadre qui est bâti par les habitudes et nous ne le remettons pas assez en question! Or, tous nos comportements ont un sens; nous réagissons tous à ce que nous voyons, bien plus que nous ne le supposons! Nous sommes tous sensibles les uns aux autres! Et chacune de nos attitudes nous informe sur notre état d'esprit, sur ce que nous pensons et vivons... et comme je l'ai dit plus haut, c'est à pied, en croisant les autres, que le vrai spectacle commence! Il est extraordinaire et n'est jamais ennuyeux! Il est incroyable pour celui qui sait regarder!

        Mais revenons à votre anxiété! Vous êtes sur le trottoir et vous la contrôlez d'autant mieux que vous êtes curieux de la façon dont les autres supportent la leur... Il y a d'abord la manière de se tenir... Est-ce qu'on marche nerveusement à côté de vous? Est-ce qu'on a le corps droit, penché? Vous prenez la température... Vous sentez si la tension qui vous habite est palpable aussi chez les autres...

        La tenue continue de vous renseigner... Porte-t-on un jean? Alors on n'a pas eu la force de faire un effort! Chaque jour est comme le précédent! On veut passer inaperçu! On se distingue à peine des façades! On révèle ainsi sa fragilité, sa passivité, même si le jean peut servir aussi à exciter les sens! Mais c'est d'une manière qui n'engage pas! C'est le vêtement passe-partout par excellence!

        Porte-t-on des vêtements inadaptés pour la saison, la température du jour? Un homme est-il en tee-shirt et une femme en jupe courte, bien qu'ils aient l'air d'avoir froid eux-mêmes? C'est un signe d'instabilité, de souffrance ou même d'arrogance! On est perdu, on veut trop que les choses changent, on n'accepte pas la réalité, on défie le quotidien et on s'épuise à tenir seul son rôle!

        La situation inverse existe aussi... Voici une personne vêtue d'un lourd manteau, d'un bonnet, d'une écharpe et qui avance lentement sur de grosses chaussures... Il ne lui manque plus qu'un compteur Geiger, car elle se déplace dans un espace radioactif... A tout moment, l'horreur peut arriver!

        Mais plus sérieusement, se montre-t-on déjà hostile à votre égard ici et là? Un visage ou deux vous présentent-ils déjà leur dégoût, leur haine?

        Si oui, cela sent bon! Car cela veut dire aussi que les apparences craquent, que l'hypocrisie ne retient plus les sentiments, que l'angoisse est à l'œuvre dans la ville, qu'elle presse les gens comme des citrons!

        Tant mieux, la matière va être dense! Ce que vous allez observer va être riche! Et vous voilà ardent comme un chien de chasse, aussi capable que lui d'interpréter le moindre événement comme une odeur! Vous êtes sur la piste et vous jubilez! Car votre raison, votre logique, votre cheminement triomphent!

        Par votre calme, votre sincérité, votre travail, votre persévérance, votre haine du mensonge, vous suscitez autour de vous des réactions plus qu'aucun autre; vous êtes devenu la célèbre "pierre angulaire"; celle qui par sa stabilité, sa solidité attire les consciences! Car l'angoisse a au moins ce mérite: c'est qu'elle est tellement troublante qu'elle fait tomber le décor et les masques!

        Et comprenez bien ceci: personne, absolument personne a priori n'a la réponse à vos questions! Personne, absolument personne n'a forcément un meilleur équilibre que le vôtre et sait mieux vivre que vous! On fait comme si, mais il n'en est rien!

        Pour ma part, j'ai dû trouver les solutions tout seul! Bien entendu, beaucoup d'écrivains, de penseurs m'ont inspiré, guidé; mais la dernière touche, celle qui devait me combler, est de mon crû! Aujourd'hui, je ne lis plus que des romans policiers (et encore les anciens!) pour me distraire; le reste ou presque ne m'est plus utile!

        Mais examinons les comportements les plus caractéristiques que vous allez rencontrer sur votre route! L'angoisse conduit à deux réactions principales, le sexe ou l'agressivité! L'être humain n'a rien trouvé de mieux, pour apaiser son inquiétude, que de s'unir à son semblable!

        On ne veut plus de sa vie, on ne la supporte plus, qu'un autre s'en charge! La relation sexuelle permet de ne plus penser; on disparaît dans la volupté; c'est si intense, bien qu'éphémère! Mais plus vous serez paisible et plus vous serez sollicité par le sexe opposé! Car plus vous semblerez le remède!

        Comme je suis un homme, je parlerai seulement des femmes, mais je suppose qu'elles pourront intervertir les rôles...

        D'habitude, nous masquons notre désir, pour préserver notre orgueil et c'est bien compréhensible... Mais quand l'angoisse règne, la femme peut perdre toute dignité! Son attitude est sans ambages! C'est quasiment celle du naufragé! Et apparemment il n'y aurait qu'à tendre la main, pour que la relation se noue!

        Mais que vaudrait-elle? Comment regarde-t-on l'autre quand on va mieux, quand on réussit à prendre un peu de recul? On se dit qu'on a bien mal choisi, on trouve à l'autre subitement bien des défauts, et nous voilà en train de le bousculer, de le critiquer! On part là pour un drôle de voyage!

        Il vaut mieux avoir la force avant le choix, non? Mais attendez, voilà une femme qui a une tout autre attitude! Son charme est si flamboyant qu'il attire votre regard comme un aimant et pourtant elle semble nullement s'en soucier! Séduit-elle innocemment? Non, car sa démarche trop nerveuse la trahit! Elle veut votre admiration, tout en la méprisant! C'est l'orgueil qui parle!

        De même, cette autre que vous croisez et qui est d'une beauté si glaciale que vous vous écartez humblement, comme un esquimau devant un brise-glace russe!

        Le mépris et l'hypocrisie ne vous rappellent-ils rien? Mais si, voyons! Ce sont les outils préférés du tyran! C'est lui qui choisit l'agressivité pour répondre à l'angoisse!

        D'ailleurs en voici un spécimen qui entre dans la boulangerie! Va-t-il s'apercevoir qu'il y a déjà une file d'attente? Non, il arrive tellement vite qu'il fonce vers le comptoir, pour se saisir de son pain, et il sort en enfonçant le mur opposé, qui garde la trace de sa silhouette, dans la poussière des briques! "Vous avez vu ça?" crie quelqu'un.       

        Dehors, un autre tyran est à sa fenêtre... Il a l'air d'avoir été giflé avec des fers à repasser et il vous fixe furieusement, comme si vous lui deviez trois mois de loyer!

        Un peu plus loin, vous en repérez un troisième! Il semble vous attendre, comme un boxeur son adversaire! Ah! Mais c'est qu'il guette la moindre étincelle pour en découdre! Comprenez, un affrontement, une querelle et d'un coup sa vie, sa journée auraient un sens! Envolée la sensation de l'angoisse! Drôle de manière de régler les choses!

        Ce n'est pas fini! Celui-ci ne répond à votre bonjour... Pourtant, vous aviez pris l'habitude de vous saluer, car c'est un commerçant que vous fréquentez... Qu'est-ce qui lui a pris? Vous êtes légèrement blessé par ce mépris... Eh dame! Un duc dit-il bonjour à un manant? Votre commerçant, par son indifférence, a réaffirmé sa supériorité; il est de nouveau quelqu'un et l'angoisse le quitte, penaude (elle s'est attaquée à trop gros pour elle!) Mais pour le tyran, il n'y a pas de petits profits! (Reste à savoir si vous tomberez dans le même piège, avec cet individu...)

        Sous les nuages qui passent; dans un univers qui compte plus de cent milliards de galaxies comme la nôtre, et qui contiennent chacune plus de cent milliards d'étoiles pareilles à notre soleil! le tyran, face à l'angoisse, ne cherche qu'une seule chose, attirer l'attention sur lui! Il fonctionne comme un petit trou noir: il absorbe et détruit tout ce qui l'entoure!

        Il ne veut pas comprendre, mais il tape du pied, il demande des comptes, ou il cravache et piétine les cœurs!

        Il est comme le bédouin ivre, qui tue les chameaux et empoisonne les puits!

        Le sage, lui, adoucit la vie, la sienne et celle des autres! Il rafraîchit la terre, pour qu'elle fleurisse! Sa force lui sert pour être disponible!

        Lequel, du sage ou du tyran, est le plus utile? Lequel travaille vraiment?

  • De la liberté

    De la liberte

     

     

     

     

     

         Le nouvel an est l'occasion de faire le bilan et donc de se résumer, même si c'est au risque de se répéter, car il est bon que les bases, les fondations soient claires et saines, pour continuer à élever l'ensemble!

        Mais d'abord j'aurais très bien pu me donner comme titre: 'De la liberté ou l'absurdité de nos sociétés!" En effet, le mauvais temps peut nous faire voir comme sous un microscope et ce que nous découvrons a de quoi nous laisser sans voix!

        Tout se passe comme si nous étions commandés par des Vénusiens! et qui nous traiteraient comme du bétail! Nous allons au travail, maussades, stressés... A peine fait-il jour... Ce ne sont que bruits et inquiétudes! Nous donnons l'impression de ne suivre qu'un long tunnel... Les sourires, comme les éclaircies, sont rares! Il n'y a pas de force, d'enthousiasme, mais de la crispation, du désenchantement, quand ce n'est pas pire! mais nous y reviendrons...

        Et tout ça pour quoi? Voilà une planète appelée la Terre et perdue dans l'espace! Et nous avons l'attitude de prisonniers, qui vont vieillir, tomber malades et mourir! Comme si ce n'était pas nous les maîtres de notre destin! comme si nous n'étions à pas l'origine de notre système! comme si nous ne pouvions pas faire évoluer les choses! comme si notre gêne, notre malheur, notre désarroi était fatal, inéluctable, irrépressible; ainsi que le fait que l'eau mouille!

        Ceci étant, nous savons déjà que notre mode de vie est tout de même né d'une logique... Rappelons les faits, mon cher Watson! Notre société de consommation s'est édifiée sur notre premier instinct, qui est d'imposer notre supériorité ou pour parler plus crûment de satisfaire notre égoïsme!

         (Ceux qui croient encore que ce sont les pulsions de faim et sexuelle qui nous animent en priorité sont priés de retourner à mes précédents écrits! La personne dépressive se désintéresse du sexe et même du manger, ce qui prouve que la personnalité est bien la chose qui nous occupe le plus! Et il est impossible de comprendre la vie à travers le prisme de la psychanalyse! Et je déteste personnellement ces thérapeutes qui sont des tyrans qui s'ignorent! Fin de la parenthèse!)

        Cependant, les symboles, les objets qui nous servent à atteindre notre but sont en vente chaque jour; ils se sont affinés et multipliés plus la civilisation a avancé... Il vaut mieux aujourd'hui affirmer son importance grâce à un SUV plutôt qu'avec un coup de hache!

        La hiérarchie sociale a suivi la même voie! Nous sommes passés des privilèges exorbitants d'un petit groupe à la chance apparemment offerte à tous d'accéder à une portion de pouvoir, à une position forte, à une fonction nécessaire!

        N'oublions pas non plus que notre soif de dominance provient de la sélection naturelle: c'est le patrimoine du plus fort, du plus apte qui doit se transmettre, afin que la survie de l'espèce soit le mieux assurée!

        Ceci est valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes! Si nous ne voyons pas de femelles triomphantes dans la nature, ce n'est pas par discrétion; c'est parce que le rôle du mâle est d'abord de défendre le territoire! Et nous voyons à notre époque comment les choses sont en train de changer, comment la femme "monte aux créneaux!"  Nous avons donc le même moteur, ce qui veut dire aussi que l'égoïsme n'a pas de sexe! Sorry girls!

        Mais ce n'est pas tout! Nous pouvons encore dire que l'Evolution est également l'histoire d'une individualisation! car plus les organismes apparaissent tard et plus ils sont complexes et donc distincts (individualisés)!

        De là à dire que, avec tout ce que nous savons, la conscience ne pouvait que naître et se développer, il n'y a qu'un pas, que je ne franchirai pas! Car je tiens à ma peau! J'entends déjà en effet la meute des scientifiques! hurlante, bavant, rugissante! Au son du cor bondissent les habits couleur de sang!

        Revenons plutôt à notre état de casseurs de cailloux... C'est plus modeste, mais infiniment plus tranquille!

        Nous comprenons que notre évolution dépend de la relation qu'entretient notre raison avec nos instincts, comment elle les contrôle! Nous ne perdons pas de vue non plus que cette même raison s'enrichit de toute l'expérience humaine, des progrès de la civilisation! même si l'instinct bien entendu continue son œuvre, exerce toujours sa poussée!

        Et aujourd'hui justement nous pouvons nous en plaindre! Comme les conditions sont difficiles, les égoïsmes sont exacerbés! (et j'ai déjà donné cet exemple des crocodiles devant leur marigot qui s'assèche!) Les tyrans nous en font voir de toutes les couleurs! Soit ils roulent des mécaniques, l'air de dire: "Non mais, regardez-moi! Ne suis-je pas grand, admirable, beau et fort?" Soit il nous font part de tout leur mépris, de tout leur dégoût, de toute leur haine!

         Notez qu'au printemps le tyran aura le même comportement, mais pour une raison contraire: la sève remontant en nous et nous donnant de nouvelles forces, le tyran en profitera pour se faire valoir d'autant plus! Il semble qu'il n'arrive jamais à se remettre en question!

        Cependant, souvenons-nous de ce qu'il est précisément... Le tyran est un homme ou une femme qui veut avant tout s'imposer aux autres, être leur centre d'intérêt! C'est donc un être immature qui veut que le monde tourne autour de lui!

        C'est encore un bébé adulte qui constitue malheureusement la majorité; d'abord parce qu'il est toujours plus facile de céder à l'instinct plutôt que de le combattre, c'est ce qui paraît le plus séduisant; mais ensuite parce que l'autre voie, celle de la maturation, qui demande de la patience, paraît ennuyeuse, amère, injuste et surtout inquiétante! Chacun renâcle en premier lieu à s'écarter du troupeau!

        Je ne recommencerai pas ici le portrait complet du tyran, mais par exemple les voitures brûlées et les agressions de policiers du nouvel an sont le fait de tyrans jeunes, que l'on peut tout de même mieux comprendre que les tyrans mûrs, car l'intelligence n'a jamais été l'apanage de la jeunesse!

        Mais rien n'est pire que le tyran en pleine possession de ses moyens! Imaginez que vous soyez à bord d'un bateau qui coule et que vous vous occupiez d'évacuer les personnes les plus fragiles... Dans le même temps, tout un groupe de bien-portants se met à trépigner et à crier pour réclamer leur tour! Ne seriez-vous pas tenté d'avoir recours à votre arme de service pour calmer ces égoïstes?

        Je crois que si... et pourtant c'est bien ce genre de situation affreuse que nous pouvons vivre actuellement! Les personnes de bonne volonté, qui pour un tas de raisons serrent déjà les dents, doivent en plus se heurter à la paresse, à l'ignorance crasse et à la suffisance du tyran!

        Car vous ne pouvez pas croire non plus que votre serviteur est sur une île du Pacifique, un cigare au bec et entouré de vahinés souriantes! Je dois moi-même chaque jour lutter pour conserver mon équilibre et mes propos n'auraient aucun intérêt s'ils n'étaient pas nés de l'expérience!

        En fait, vouloir être soi-même, c'est comme soulever une dalle de béton: dès que vous relâchez votre effort, elle retombe sous le poids de toute l'hypocrisie et de toute la folie ambiantes!

        Vous pouvez même vous demander si vous ne vivez pas un affreux cauchemar, ou si ce n'est pas vous qui êtes dérangé mentalement!

        Rappelons tout de même pourquoi le destin du tyran est une impasse! C'est toujours utile, car on ne voit pas les tyrans mourir! L'individu, qui voit le sens de son existence dans le seul pouvoir qu'il exerce sur les autres, va au-devant des plus grandes déconvenues, puisque chacun ne rêve a priori que de devenir lui aussi un bon petit tyran!

        Seule une tyrannie encore plus forte permet au tyran de se maintenir! Et c'est encore plus de nuit, de destruction, car rien ne se règle vraiment de cette manière; ni les angoisses, ni la paix!

        Cependant, les scintillements de l'égoïsme restent très forts; c'est un feu qui nourrit notre personnalité, sinon notre développement et donc notre liberté et donc notre évolution s'arrêterait devant l'obstacle! Nous serions alors moins obstinés que les plantes!

        Mais de même que nous apprenons à contrôler notre pulsion sexuelle, car elle peut causer bien des chagrins! de même nous devrions être lucides quant aux conséquences néfastes de notre égoïsme!

        On peut maintenant poser le défi qui nous intéresse! le défi du futur pour tous les individus de bonne volonté, gentils, prévenants et qui ont un peu de jugeote! le défi de la "nouveauté" et qui est le suivant: "Comment être soi sans écraser les autres?" ou encore: "Comment être libre sans enchaîner les autres?"

        Réussir ce défi fera honneur à notre conscience et nous procurera une paix qui charmera même les animaux!

        Sur le papier, la marche à suivre est simple: notre développement doit donc favoriser aussi celui des autres! Cela ressemble tout de même à un rébus! Et il vaut mieux parler des dangers qui guettent le sage ou le gentil; l'aspect pratique va nous rendre les choses plus claires...

        Le principal risque de la bonté, c'est la dépression, la névrose et la destruction de soi! Quand on se sent peu de valeur, on a tendance à dépasser ses forces, en trouvant même normal que les autres en profitent! C'est ce que d'aucuns voient comme l'héritage judéo-chrétien, mais ce mécanisme est bien plus naturel que culturel!

         Cependant, l'épuisement qu'il cause, le désespoir auquel il peut conduire peuvent montrer le suicide comme seule issue! Autant le dire tout de suite, celui-ci n'est jamais, jamais un acte raisonnable! quelques que soient les arguments du désespéré!

        Si le tourment pouvait laisser sa victime souffler et faire un pas de côté, elle ne perdrait pas de vue qu'il est toujours agréable de prendre une café au soleil, ou que le parfum des primevères est toujours aussi suave! La vie n'a rien de viscéralement détestable! Au contraire!

        Et il ne faut surtout pas croire non plus qu'on va bouleverser le tyran au point qu'il change! J'en connais qui avaleraient le monde comme un petit pois, si on le leur servait sur une assiette, et qui en plus vous regarderaient dans les yeux, l'air de dire: "Et alors?"

        Ce n'est pas que les tyrans soient des diables, mais l'égoïsme est capable d'aveugler un individu jusqu'à lui enlever toute humanité! Pourquoi croyez-vous que nous pouvons nous laisser entraîner dans des guerres, qui font des millions de morts?

        Il faut donc garder les yeux sur le voyant de notre fatigue: si nous avons tendance à nous irriter, à faire preuve de haine, il faut alors lever le pied! trouver quelque chose qui nous repose, nous délasse vraiment!

        Attention, ce que je vous propose n'est pas un équilibre à la façon de la psychologie! et qui serait forcément boiteux! Il ne s'agit pas de se concentrer uniquement sur soi! Ce que nous sommes ne dépend pas uniquement de nous! Nous ne pouvons pas ne pas subir l'influence des tyrans, car ce sont eux qui font principalement notre environnement!

        Et nos sentiments, comme je l'ai déjà dit, ne nous sont pas uniques: si nous allons mal, les autres aussi, même si c'est avec des degrés divers; et si nous allons bien, les autres encore sont mieux également, ce qui est un petit coup pour notre modestie!

        Il s'agit donc d'avoir un œil sur soi, mais sur les autres également! Evidemment, que vous franchissiez mieux les épreuves que la plupart sera une source de joie et d'intense satisfaction! Vous aurez l'immense plaisir d'être sur le bon chemin!

        En conclusion, être libre, ce n'est pas croire en rien; c'est se dégager de son égoïsme! sinon il nous mène, comme la carotte l'âne!

        Le tyran est un esclave, qui ne veut même pas qu'on lui enlève ses fers! alors qu'il s'en plaint chaque jour! et qu'il déteste celui qui marche d'un pas plus léger et qui a l'air plus heureux!

        Le sage comprend tout cela et n'en est que plus en paix avec lui-même!

  • Les salauds

     

        Le professeur Bougival jubilait : au cours de travaux devant une cathédrale, on avait découvert un tombeau d’enfant datant du Moyen Age et on l’avait apporté au Muséum d’histoire naturelle, dans le but d’une analyse. Cependant, le petit cercueil semblait bien isolé sur une paillasse, alors qu’autour s’impatientait l’équipe du professeur.

        Enfin, on enleva le couvercle, non sans avoir remarqué qu’une corde faisait office de joint. On en coupa un morceau afin de connaître sa provenance et son âge. Puis, on démonta complètement la caisse, en notant précisément sa construction, qui était assurée au moyen de grossières chevilles. Le petit corps embaumé apparut.

        On préleva un échantillon de son tissu, qui rejoignit le morceau de corde et on commença à mettre au jour le squelette. Par l’observation des os et de la denture, on voulait savoir la cause de la mort de l’enfant, ses habitudes alimentaires, s’il avait des camarades de jeux ou s’il avait la détestable manie de taper du pied dans les flaques.

        Plus l’équipe avançait dans ses recherches, plus elle paraissait fébrile, comme si elle recevait des décharges électriques. Les hommes, pareils à des mages observant les étoiles, admiraient de menus objets dans des sachets plastiques et les femmes, en soulevant délicatement tel petit os, avaient des sentiments maternels qu’elles exprimaient chaleureusement. Le chef de ces excités, Bougival, n’avait pas moins de passion et personne ne s’aperçut de l’installation de la nuit.

        A un moment, le portable du professeur toucha la poitrine de son maître, mais il ne voulut pas le prendre, tant il était absorbé. L’appareil insista et il fallut quand même répondre.

        _ Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? fit le professeur d’une voix agacée.

        On lui parla longuement et plus il écoutait et plus il devenait blême. Un de ses assistants s’en inquiéta et finit par demander :

        _ Y a un problème professeur ? Vous n’avez pas l’air bien…

        _ Hein ? oui, je… C’est la police…

        Ici, Bougival dut reprendre son souffle.

        _ La police…  Elle vient de m’avertir que des vandales ont été arrêtés dans un cimetière et que l’une des tombes saccagées est celle de ma mère…

        _ Les salauds ! 

       

  • Le cauchemar

     

        Dans la pénombre, Rémy ne savait pas trop où il allait, mais comme il était poussé par d’autres, il s’approcha d’une vaste table, à laquelle il fallait prendre place. Au-dessus se balançait une lanterne et devant le jeune homme glissait lentement une assiette. On le servit brusquement et surpris, il demanda à voix haute :

        _ Mais qu’est-ce que c’est qu’ça ?

        _ Ca ! c’est des pâtes bouillies, répondit un homme massif près de lui, et j’te conseille de les manger, car c’est tout c’que t’auras !

        _ Mais où sommes-nous ?

        _ Mais à bord du bateau France !

        _ Le bateau France ? Mais… mais pourquoi je pleure ?

        _ Oh ! beaucoup sont comme toi ici… c’est qu’t’es dépressif !

        _ Dépressif ? mais qu’est-ce que ça veut dire ?

        _ Ca veut dire que t’as travaillé longtemps sans obtenir de résultats !

        _ Mais… mais c’est impossible : si on travaille, on reçoit forcément quelque chose !

        _ Pas si t’as été assez nigaud pour croire en la vérité et au mérite !

        A cet instant, un vieil édenté, en face, éclata d’un rire bruyant.

        _ C’est bien lugubre ici, reprit Rémy, pourtant… j’entends de la musique !

        _ Oui, ça, c’est la France qui rit ! Elle est à l’air libre… Tiens ! j’peux te décrire son emploi du temps : en automne, elle s’achète des habits neufs, elle se plaît devant le miroir. En hiver elle remet ça, elle s’offre plein de cadeaux… et elle s’amuse à glisser sur le pont. Faire du ski qu’elle appelle ça ! Au printemps elle se passe une balle avec des raquettes, elle joue au tennis comme on dit… et en été, elle débarque sur une plage, où elle reste à rien faire sous le soleil, pour oublier ses soi-disant soucis ! Voilà toute son année !

        _ Mais alors, nous, qui sommes-nous ?

        _ Mais nous sommes la France qui pleure ! D’ailleurs tu verras marqué RSA sur le dos de chacun…

        _ Mais moi, j’veux pas rester ici, je veux aussi rire comme les autres !

        _ Ne t’en va pas, p’tit ! Ils vont…

        Mais déjà Rémy filait vers l’écoutille, quand un solide gaillard le prit par le cou.

        _ Ah çà ! voilà de la graine de mutin ! cria le garde, ou j’m’y connais pas ! J’m’en vais te faire passer le goût de la rébellion, moi !

        Rémy se débattait et à force il se réveilla… dans son lit ! La sueur le trempait et il descendit prendre son petit déjeuner le pas encore tremblant.

        _ Qu’est-ce que tu as ? lui demanda sa mère, tu es tout pâle !

        _ J’ai rêvé que je faisais partie de la France qui pleure, que j’étais dépressif et que j’étais au RSA ! Alors qu’au-dessus s’amusait la France qui… Oh ! mon Dieu !

        « Décidément, ce garçon a bien trop d’imagination ! » songea la mère.

  • La rentrée littéraire

     

        _ Bon, ça y est ? Tout le monde est là ?

        Il y avait encore un fort brouhaha quand s’exprima ainsi l’institutrice. Elle reprit donc :

        _ Allez, tout le monde en place, s’il vous plaît ! Et maintenant mesdames et messieurs les éditeurs, vous êtes priés de sortir ! Vous reverrez vos protégés à la fin de la classe… Allez, on finit de s’embrasser là-bas… Je ne veux voir devant moi que les écrivains, que les véritables créateurs ! Allons… du courage , tout le monde !

        Enfin, les éditeurs sortirent, non sans adresser encore des signes à leurs « poulains », puis la classe devint silencieuse.

        _ Tout le monde est là ? demanda de nouveau l’institutrice, je vais vous compter : sept cent un, sept cent deux… sept cent vingt ! Bon apparemment vous êtes tous là ! Alors chacun de vous va prendre son cahier et vous allez l’ouvrir comme ceci : non à la page une, mais vous allez laisser passer la page deux et à la page quatre, vous n’écrivez pas sur celle-ci, mais de l’autre côté, je dis bien de l’autre côté !

        La maîtresse maintenant montrait la bonne page, avec son cahier ouvert, mais la plupart des élèves étaient perdus et se tournaient les uns vers les autres pour savoir ce qu’il fallait vraiment faire au juste. Seules quelques filles au premier rang semblaient tout comprendre et c’est pour elles que la maîtresse poursuivait.

        _ Alors sur cette page, en haut à droite, chacun va écrire, de sa plus belle écriture ! son nom, afin que vos papas et vos mamans soient contents de vous ! Attention aux gribouillages, je vais passer parmi vous. Mais ce n’est pas ça que j’ai demandé ! (à présent la maîtresse, en allant de table en table, se rendait compte que presque personne ne l’avait comprise… elle retourna vivement au tableau.) Qu’est-ce que j’ai dit ? J’ai dit en haut à droite sur la page opposée à la page quatre… c’est quand même pas compliqué !

        _ Maîtresse ! maîtresse ! coupa une fille, y a un garçon qui pleure !

        L’institutrice regarda la classe et s’approcha de l’écrivain qui était en sanglots.

        _ Allons, allons, qu’est-ce qu’il y a ? Tu as du chagrin ?

        Pour toute réponse le garçon pleura davantage.

        _ Mais pourquoi tu pleures ? parce que tu n’arrives pas à mettre ton nom sur le cahier ?

        _ Ouuuh ouh oui !

        _ Mais il ne faut pas se mettre dans un état pareil ! Ce n’est pas grave ! Et puis tu es un véritable créateur, un véritable artiste ! Et ça doit être courageux un véritable artiste !

        A ce moment la sonnerie retentit et de nouveau il y eut un tumulte, mais vers la sortie cette fois-ci.

        _ N’oubliez pas, cria encore l’institutrice en s’efforçant de se faire entendre, n’oubliez pas qu’au cours de l’année il y a les prix ! et que votre attitude dès maintenant compte ! allez !

  • L'impasse

        Frank habitait Paris, était détective privé et regagnait son bureau. Toute la journée, il avait suivi un mari infidèle et il avait hâte maintenant de se laisser tomber dans son vieux fauteuil club, un whisky à la main.

        Mais à peine avait-il refermé sa porte, qu’il fut jeté sur le plancher avec une force incroyable! Quoique encore choqué, il voulut se remettre debout, mais une gifle, tel un coup de fouet, le renvoya au sol. A genoux, il sentit le sang envahir sa bouche... "Salauds!" murmura-t-il entre ses dents, alors qu'il distinguait vaguement deux hommes dans la pièce.

        _ Dis donc, Joe..., fit une voix aigre, installe donc monsieur pour qu'on puisse causer!

        La même force qui l'avait balancé et frappé souleva Frank comme un sac vide et il chuta sur le cuir de son fauteuil. Assis, il put reprendre son souffle et sa vue se clarifia. Celui qui s'appelait Joe avait un corps pareil à un tronc de séquoia et sa tête était si ronde que l'ensemble ressemblait à une énorme quille.

        L'autre agresseur était son contraire... Il était petit et sec et on eût dit une punaise avec des jambes! Celui-là, Frank s'en rappelait maintenant, c'était Tony.

        _ Alors détective à la manque ! reprit Tony. On passe te voir y a une semaine, pour qu'tu nous indiques un écrivain contemporain d'qualité… et tu nous laisses sans nouvelles ! Tsss, tsss, c’est pas gentil, ça !

        _ Vous me croirez ou non, mais y en a pas !

        _ Et le Goncourt! le Médicis ! le je-n'-sais-quoi encore! hurla Tony, c'est pas d'la littérature, ça?

        _ Peuh! C'est du bisness! C'est du bla-bla avec un ruban rouge!

        _ Laisse-moi l'travailler, Tony! coupa Joe. Y va parler, tu peux m'croire!

        _ Et les émissions littéraires ? demanda encore Tony, sans se soucier de Joe.

        _ Du cirage à la tonne ! répondit Frank.

        _ Mais dis donc, si j'suis bien ton raisonnement, poursuivit Tony, comme y a pas d'bons écrivains, y a pas non plus d'bons éditeurs! ni même de bons critiques!

        _ J’t’embrasserais presque !

        _ Mais patron, s'écria encore Joe, vous voyez pas qu'y s'fout de not'gueule!

        _ J't'ai dit d'la fermer, Joe! J'réfléchis! Ecoute, Frank, t'es p't'être comme le héron de la fable! Hein? T'es tellement difficile que tu trouves plus rien à ton goût! Mais moi, y m'faut une plume, un auteur qui m'apaise, qui m'comble! quand dehors y pleut et qu'mon feu me chauffe les pieds! T'as vingt-quatre heures! C'est mon dernier délai! Après ça, si t'as pas lâché un nom, tu s'ras plus en mesure de r'connaître un livre d'une brique de lait! Ah! ah! Joe, montre à monsieur comment tu fais le ménage!

        Joe, avec un sourire sardonique, se mit à tout renverser et il s'en donna à cœur joie. Mais enfin, quand la pièce ne fut plus qu'un vaste capharnaüm, ils partirent. Frank but alors un grand verre de whisky, en grimaçant, car sa bouche lui faisait toujours mal. « Le mieux, songea-t-il, c’est d’appeler Liz… Depuis le temps qu’elle veut partir en vacances ! »

  • Le morse

        Un morse déjà grisonnant et appelé Klem aimait la Terre de Feu. Les détroits coiffés d’un brouillard sombre, la végétation courbée sous le vent ou les montagnes hérissant la mer glauque apaisaient ses nerfs; même si la colonie à laquelle il appartenait s’ébattait non loin de là.

        Or, un jour qu’il avait satisfait une compagne, Klem songea avec délices à une sieste sur une vaste pierre attiédie, qu’il avait repérée dans la matinée. Il commençait à sentir la première euphorie du sommeil, quand des créatures aux couleurs criardes sortirent bruyamment des rochers. Très vite, elles cernèrent Klem et l’animal troublé se dressa sur sa masse en poussant des cris rauques, afin d’intimider ses agresseurs, mais ceux-ci se rapprochèrent encore plus et essayèrent de poser sur le corps du morse une sorte de ruban.

        En fait, c’était l’équipe du professeur Bougival du Muséum national d’histoire naturelle, qui avait quitté ses locaux parisiens pour venir ici étudier la vie des morses et qui cherchait présentement à mesurer Klem. La graisse de l’animal roula quand il voulut s’échapper, mais alors il sentit une piqûre dans son dos et bientôt il perdit connaissance.

     

        Un peu plus tard, le vent seul résonnait aux oreilles de Klem et les alentours paraissaient tout aussi sauvages qu’à l’accoutumée. Pourtant, un collier était accroché au cou du morse et il chercha à s’en débarrasser en se frottant au récif, mais en vain.

        Klem connut-il alors l’amertume, car on l’avait dérangé dans son somme et décoré d’un objet malséant ? Nous ne pouvons le dire… Toujours est-il qu’il quitta ces parages, pour aller bien plus loin, vers des rivages encore plus austères !

        De son côté, le professeur Bougival se frottait les mains : grâce à l’émetteur placé sur Klem, il était à même de suivre précisément les déplacements de l’animal et ce qu’il apprit d’abord le frappa : le morse se déplaçait apparemment beaucoup plus qu’on le supposait. Il devenait urgent de tenir une conférence !

        _ Mesdames, messieurs, dit le professeur de retour à Paris à son auditoire, j’ai pu constater, après un récent travail sur le terrain, auquel mes étudiants ont participé avec brio! que le morse couvre des distances impressionnantes et je suis conduit à pousser un cri d’alarme. En effet, quelle sera bientôt la condition de cette espèce, qui a besoin de tant d’espace, alors que l’humanité s’étend en tous sens ? Elle sera précaire, c’est moi qui vous l'dis ! Je crois qu’est venu le temps de se montrer plus mesuré et pourquoi pas plus prévenant !