L'impasse

  • Le 10/12/2017
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    Frank habitait Paris, était détective privé et regagnait son bureau. Toute la journée, il avait suivi un mari infidèle et il avait hâte maintenant de se laisser tomber dans son vieux fauteuil club, un whisky à la main.

    Mais à peine avait-il refermé sa porte, qu’il fut jeté sur le plancher avec une force incroyable! Quoique encore choqué, il voulut se remettre debout, mais une gifle, tel un coup de fouet, le renvoya au sol. A genoux, il sentit le sang envahir sa bouche... "Salauds!" murmura-t-il entre ses dents, alors qu'il distinguait vaguement deux hommes dans la pièce.

    _ Dis donc, Joe..., fit une voix aigre, installe donc monsieur pour qu'on puisse causer!

    La même force qui l'avait balancé et frappé souleva Frank comme un sac vide et il chuta sur le cuir de son fauteuil. Assis, il put reprendre son souffle et sa vue se clarifia. Celui qui s'appelait Joe avait un corps pareil à un tronc de séquoia et sa tête était si ronde que l'ensemble ressemblait à une énorme quille.

    L'autre agresseur était son contraire... Il était petit et sec et on eût dit une punaise avec des jambes! Celui-là, Frank s'en rappelait maintenant, c'était Tony.

    _ Alors détective à la manque ! reprit Tony. On passe te voir y a une semaine, pour qu'tu nous indiques un écrivain contemporain d'qualité… et tu nous laisses sans nouvelles ! Tsss, tsss, c’est pas gentil, ça !

    _ Vous me croirez ou non, mais y en a pas !

    _ Et le Goncourt! le Médicis ! le je-n'-sais-quoi encore! hurla Tony, c'est pas d'la littérature, ça?

    _ Peuh! C'est du bisness! C'est du bla-bla avec un ruban rouge!

    _ Laisse-moi l'travailler, Tony! coupa Joe. Y va parler, tu peux m'croire!

    _ Et les émissions littéraires ? demanda encore Tony, sans se soucier de Joe.

    _ Du cirage à la tonne ! répondit Frank.

    _ Mais dis donc, si j'suis bien ton raisonnement, poursuivit Tony, comme y a pas d'bons écrivains, y a pas non plus d'bons éditeurs! ni même de bons critiques!

    _ J’t’embrasserais presque !

    _ Mais patron, s'écria encore Joe, vous voyez pas qu'y s'fout de not'gueule!

    _ J't'ai dit d'la fermer, Joe! J'réfléchis! Ecoute, Frank, t'es p't'être comme le héron de la fable! Hein? T'es tellement difficile que tu trouves plus rien à ton goût! Mais moi, y m'faut une plume, un auteur qui m'apaise, qui m'comble! quand dehors y pleut et qu'mon feu me chauffe les pieds! T'as vingt-quatre heures! C'est mon dernier délai! Après ça, si t'as pas lâché un nom, tu s'ras plus en mesure de r'connaître un livre d'une brique de lait! Ah! ah! Joe, montre à monsieur comment tu fais le ménage!

    Joe, avec un sourire sardonique, se mit à tout renverser et il s'en donna à cœur joie. Mais enfin, quand la pièce ne fut plus qu'un vaste capharnaüm, ils partirent. Frank but alors un grand verre de whisky, en grimaçant, car sa bouche lui faisait toujours mal. « Le mieux, songea-t-il, c’est d’appeler Liz… Depuis le temps qu’elle veut partir en vacances ! »

 
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