Le cauchemar

  • Le 12/12/2017
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    Dans la pénombre, Rémy ne savait pas trop où il allait, mais comme il était poussé par d’autres, il s’approcha d’une vaste table, à laquelle il fallait prendre place. Au-dessus se balançait une lanterne et devant le jeune homme glissait lentement une assiette. On le servit brusquement et surpris, il demanda à voix haute :

    _ Mais qu’est-ce que c’est qu’ça ?

    _ Ca ! c’est des pâtes bouillies, répondit un homme massif près de lui, et j’te conseille de les manger, car c’est tout c’que t’auras !

    _ Mais où sommes-nous ?

    _ Mais à bord du bateau France !

    _ Le bateau France ? Mais… mais pourquoi je pleure ?

    _ Oh ! beaucoup sont comme toi ici… c’est qu’t’es dépressif !

    _ Dépressif ? mais qu’est-ce que ça veut dire ?

    _ Ca veut dire que t’as travaillé longtemps sans obtenir de résultats !

    _ Mais… mais c’est impossible : si on travaille, on reçoit forcément quelque chose !

    _ Pas si t’as été assez nigaud pour croire en la vérité et au mérite !

    A cet instant, un vieil édenté, en face, éclata d’un rire bruyant.

    _ C’est bien lugubre ici, reprit Rémy, pourtant… j’entends de la musique !

    _ Oui, ça, c’est la France qui rit ! Elle est à l’air libre… Tiens ! j’peux te décrire son emploi du temps : en automne, elle s’achète des habits neufs, elle se plaît devant le miroir. En hiver elle remet ça, elle s’offre plein de cadeaux… et elle s’amuse à glisser sur le pont. Faire du ski qu’elle appelle ça ! Au printemps elle se passe une balle avec des raquettes, elle joue au tennis comme on dit… et en été, elle débarque sur une plage, où elle reste à rien faire sous le soleil, pour oublier ses soi-disant soucis ! Voilà toute son année !

    _ Mais alors, nous, qui sommes-nous ?

    _ Mais nous sommes la France qui pleure ! D’ailleurs tu verras marqué RSA sur le dos de chacun…

    _ Mais moi, j’veux pas rester ici, je veux aussi rire comme les autres !

    _ Ne t’en va pas, p’tit ! Ils vont…

    Mais déjà Rémy filait vers l’écoutille, quand un solide gaillard le prit par le cou.

    _ Ah çà ! voilà de la graine de mutin ! cria le garde, ou j’m’y connais pas ! J’m’en vais te faire passer le goût de la rébellion, moi !

    Rémy se débattait et à force il se réveilla… dans son lit ! La sueur le trempait et il descendit prendre son petit déjeuner le pas encore tremblant.

    _ Qu’est-ce que tu as ? lui demanda sa mère, tu es tout pâle !

    _ J’ai rêvé que je faisais partie de la France qui pleure, que j’étais dépressif et que j’étais au RSA ! Alors qu’au-dessus s’amusait la France qui… Oh ! mon Dieu !

    « Décidément, ce garçon a bien trop d’imagination ! » songea la mère.

 
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