Paschic (24-28)

  • Le 20/04/2024
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           "Vous, les Japonais, vous n'êtes pas dignes d'apprendre les arts martiaux!"

                                                                        Ip Man

 

 

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Le docteur Cool et Paschic se promènent dans un parc… « Parlez-moi encore des Doms, demande Cool.

_ Volontiers, répond Paschic. Ils sont les plus nombreux, car suivre le réflexe animal est ce qui est le plus facile ! Notamment, plus nous avons peur et plus nous souhaitons de l’ordre ! C’est la domination qui essaie de reprendre le contrôle ! Ainsi s’explique la tendance des extrêmes, quand la situation est inquiétante… La peur semble diminuer à mesure que nous dominons les choses et les gens ! Et pourtant, plus l’humanité se développe et plus nous sommes nombreux et plus chaque individualité compte ! Donc, plus la civilisation avance et plus nous sommes confrontés à la différence !

_ C’est la mondialisation, l’ère de la communication, la reconnaissance pour les femmes, l’homosexualité, les étrangers…

_ Exactement… Par conséquent, le repli sur soi, le rejet des autres, souhaiter une domination plus forte, plus d’ordre est à contre-courant et ne peut pas constituer une solution ! Nous devons lutter contre le réflexe animal qui est en nous ! Cela est d’autant plus vrai que le réchauffement climatique, qui a priori nous condamne, vient encore de notre domination !

_ Comment ça ?

_ Mais nous détruisons la nature, pour nous en sentir les maîtres, ce qui nous masque notre angoisse ! Nous l’exploitons plus que nécessaire, pour calmer notre peur et il est donc devenu capital de vaincre celle-ci autrement que par la domination ! Mais le Dom ne se laisse pas faire… Dès que vous le conduisez à affronter sa peur, sa réaction est agressive… et il n’en est que plus dangereux, surtout s’il a du pouvoir ! Prenez l’exemple de Poutine…

_ Oh là ! Vous parlez d’une exception !

_ Pas du tout, la logique de Poutine est la même que celle des tous les Doms, mais elle est juste portée à un plus haut degré ! Analyser le comportement d’un dictateur est très instructif pour nous comprendre ! Poutine ressemble beaucoup à Staline.. Tous deux sont issus d’un milieu pauvre et ils en ont gardé un sentiment de profonde insécurité ! A la mort de Lénine, Staline s’empresse de se désigner comme son successeur, pour garder une place indéboulonnable au sein du Parti ! Il doit être prudent, car il lui est impossible de montrer ses vraies ambitions, car ce serait contraire à la doctrine communiste..

_ Qui ne veut pas de chef, mais seulement des camarades !

_ Voilà ! Ainsi Staline va se débarrasser progressivement de tous ses adversaires, car il sait que s’il est évincé du Parti, il se retrouvera à la rue, sans moyens de subsistance ! Staline a travaillé une seule fois dans sa vie, dans l’usine à chaussures qui employait son père, et il a détesté cela !

_ Ah ! Ah ! Ce n’est pas vrai ?

_ Si ! Si ! Et pour assurer sa sécurité et d’abord elle, Staline va devenir le maître absolu, envoyer tous ceux qui menacent le Parti au goulag et même signer le pacte avec Hitler ! Derrière chaque dictature, il y a une peur viscérale du monde extérieur ! Poutine a suivi le même chemin… Pour éviter d’être battu aux élections et d’être soumis au hasards de la vie, Poutine a changé la constitution, enfermé ou tué tous ses opposants et il règne depuis plus de trente ans ! Le Dom vit selon ses règles et voit la différence telle une menace et même comme une injure ! Il est toujours sur ses gardes et croit qu’on lui veut du mal ! Sa paranoïa est évidente, même si elle peut être plus ou moins intense ! Son orgueil aussi est exacerbé et il se nourrit de l’adoration des autres !

_ Quel joli portrait !

_ Ce n’est pas pour rien que le mot narcissique revient le plus souvent sous la plume des psys ! Mais encore une fois, c’est l’animal qui est en nous qui n’arrive pas à devenir humain, face à la situation ! La grande question est : comment vaincre notre peur ? Si nous n’avons plus peur, nous ne haïssons plus ! Nous ne méprisons plus et nous ne voulons plus détruire !

_ Et vous avez la réponse à cette question…

_ Bien entendu ! Il est nécessaire de rassurer le Dom ! Et on ne peut le rassurer qu’en n’ayant plus peur soi-même, cela va de soi ! Il faut donc d’abord affronter sa propre peur, ce qui exclut toute domination ! Voyons voir… Comment lutter contre sa haine dans l’anonymat ? Poum, poum… Comment vaincre sa peur du lendemain, sans réussir ? En qui faire confiance, pour ne plus avoir besoin de l’asservissement de l’autre ? Où puiser de l’amour, quand les autres nous détestent, à cause de leur peur ? Poum, poum… »

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Paschic rencontre des Doms, accompagnés par une drôle de femme ! Celle-ci est tout simplement en flammes ! Oui, elle est une torche vivante et au lieu d’en souffrir, elle en paraît plutôt ravie ! Elle sourit à la vue de Paschic et elle lui dit : « Sois le bienvenu ! Je ne te connais pas, mais tu me sembles sympathique ! Comment t’appelles-tu ?

_ Paschic !

_ Quel drôle de nom ! Tu es de la région ?

_ Oui, oui…

_ Et tu veux te joindre à nous ? On est une chouette bande de copains... et de copines !

_ Moi, tu sais, les groupes… J’aime pas trop… Ça m’a toujours fait un peu peur !

_ C’est vrai ? Tu es un timide ? Moi, j’adore les timides ! Si on les décoince un peu, ils deviennent les amants les plus ardents !

_ Ah ! Ah ! Possible… Il est vrai que toi, tu dégages beaucoup d’ chaleur !

_ T’as remarqué ? Tiens, touche-moi un peu… Tu vas voir combien c’est agréable ! »

Paschic fait comme on lui a dit et il sent effectivement le feu se communiquer à lui ! Au début, cela l’excite, l’anime, le vivifie même, mais très vite la flamme devient dévorante, affreuse ! Elle fait hurler Paschic, dont le visage se décompose ! Il rugit, serre les dents, car il comprend qu’il n’est plus lui-même, mais une sorte de bête, laide, sortie des enfers !

Il doit faire un effort suprême pour redevenir de glace, refouler le feu, de nouveau s’apaiser ! Il souffle, respire et ses dents, qui avaient poussé, maintenant se rétractent ! « Alors ? demande la femme. C’était bon ?

_ Je sais qui tu es… et comme ton pouvoir est puissant !

_ J’avoue que tu me surprends, car habituellement nul ne me résiste !

_ Ça ne m’étonne pas, mais je lutte contre toi depuis toujours, car tu ne résous rien ! Au contraire, tu rends malheureux !

_ Je pourrais t’avoir, tu sais ? Ce n’est qu’une question de moyens !

_ Je n’en doute pas… et c’est pourquoi je me méfie de toi, comme de la peste ! Je ne fais pas l’erreur de t’ignorer… L’humilité est la première arme contre toi !

_ Mais tu dois comprendre aussi que ta résistance ne m’arrange pas ! Ce que j’adore, c’est me propager ! Donc, je vais demander à ceux qui m’accompagnent de te malmener, jusqu’à ce que tu me cèdes ! Je veux te voir brûler, Paschic, d’autant que tu es un sage ! Ta combustion doit être fantastique ! »

La Flamme fait un signe aux Doms et la bave aux lèvres, ils se ruent sur Paschic, qui se met à courir ! Il faut leur échapper, car Paschic ne fait pas le poids ! C’est une course poursuite dans des ruelles et Paschic semble avoir gagné la partie : il se retrouve tout essoufflé, mais seul dans un endroit désert... Soudain, pourtant, un Dom lui tombe dessus, mais, au lieu de se défendre, Paschic étreint le Dom et une curieuse danse commence, à travers l’espace et le temps !

Le Dom se cabre, veut reprendre le combat, mais Paschic se serre contre lui, se fait de plus en plus lourd et le couple, ainsi formé, est parcouru de frissons, de cris, de douleurs ! Paschic tient bon, tandis que le Dom grimace, hurle même et a l’air de se briser ! C’est un défi dans une dimension inconnue, où les éclairs succèdent à la nuit et les calmes aux fureurs ! Paschic est comme un boa d’amour et de patience et enfin le voyage se termine : le Dom, avec Paschic derrière, est redevenu un enfant, dans un champ de blé, où il regarde des papillons et des coquelicots !

Le Dom a retrouvé sa confiance d’enfant, son amour aussi, ce qu’il était avant ses blessures et que la haine s’empare de lui ! Il pleure sans retenue, c’est un soulagement ! L’espoir est de nouveau là et le Dom se réveille d’un long cauchemar ! Ce n’est pas toujours possible : certains Doms ne reviennent jamais à ce stade et préfèrent rester esclaves de la Flamme, alias la Haine ! Ils gardent leur peur et maudissent le monde ! A leur mort, ils sont comme du bois sec, lâché dans le cosmos !

A côté de Paschic, le Dom sanglote toujours ! Il est de nouveau vivant et s’en rend compte ! Il arrive à dire merci, pour sa joie mêlée de peine… Paschic lui caresse la tête et s’en va… D’habitude, il ne parle pas aux Doms, c’est inutile… Ils sont agressifs d’emblée, à cause de leur angoisse, comme si on leur devait quelque chose et qu’on n’était pas tous dans la même galère, pour ainsi dire… Mais de temps en temps, Paschic, le magicien utilise sa lumière ! C’est un don en lui et qu’il a travaillé ! Si le Dom savait, il pleurerait tous les jours de gratitude ! Il dirait : « Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! », tant l’espoir lui serait infini et simple ! » Mais le Dom a peur et se durcit !

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Paschic fait ses courses et regarde la fin d’une Dom… Il la connaît, elle et son parcours ! Ce qui lui arrive ne surprend pas Paschic : c’est la suite logique d’une vie « consacrée » à la domination ! La Dom rentre d’abord éperdue dans le magasin, en proie à une vive angoisse ! Elle interrompt la file à la caisse, pour demander à la vendeuse si le stationnement est payant dans la rue ! Pourtant, elle vient ici depuis plus de dix ans et elle a déjà la réponse à sa question ! Mais la peur la dévore et elle devient incapable de réfléchir, de se raisonner !

Par ailleurs, de s’adresser à la caissière lui donne une existence, la rassure, arrête sa solitude, dans laquelle elle se dilue sans force ! Elle est à la recherche d’échanges, même s’ils sont superficiels ou mal à propos, car ils constituent comme des bornes, qui lui permettent de souffler, de respirer, de retrouver un peu de sa domination passée, de son aura quand elle allait bien ! Paschic la voit acheter ses légumes, avec des mains qui tremblent comme des feuilles ! Le mal n’a pas cessé de s’étendre et il est maintenant avéré ! On est passé d’une tension passagère à un trouble chronique des nerfs ! Ce n’est plus du repos qu’il faut, mais un traitement spécifique est devenu nécessaire ! On ne doit pas être loin de la maladie de Parkinson…

Pourtant, tout cela aurait pu être évité ! Mais la Dom n’a rien voulu entendre ! Elle a eu des milliers d’avertissements, dont elle n’a pas tenu compte ! Elle s’est acharnée dans son erreur et a même tué son mari ! pour les mêmes raisons qui provoquent les féminicides ! bien qu’aux yeux de la loi il serait impossible de la rendre responsable ! Mais elle a usé, épuisé, vidé absolument son mari, à force de le dominer, le commander, le mépriser ! Il n’était plus qu’une poupée de chiffon entre ses mains, qu’elle jetait et tourmentait à sa guise ! Avant de disparaître, le bonhomme n’était plus qu’un spectre hagard, une ombre !

Cette Dom rappelle à Paschic la Machine… Toutes deux ont le même comportement ! Toutes deux ne voient qu’elles et le monde tourne autour de leur personne ! Toute différence, toute existence étrangère est perçue comme une menace, une attaque et crée une crise, une défense, une riposte ! Inlassablement, toutes deux ramènent les choses à leur cas, de sorte qu’il ne soit question que d’elles et les autres sont limités aux rôles d’admirateurs ou d’esclaves ! La vie entière de ces deux femmes reposent alors sur la seule domination ! C’est elle qui flatte, qui rassure, donne le sentiment de la supériorité, de la réussite, qui chasse toutes les peurs, toutes les interrogations, toutes les nuances ! Ainsi la souffrance des autres, leur hésitation, leurs doutes paraissent ridicules, faiblesse, médiocrité ! Et la Dom et la Machine leur en remontrent, se moquent d’eux, jouent du muscle, en profitent encore pour se faire valoir !

Mais que se passe-t-il quand les esclaves ou les admirateurs ne sont plus là, quand le mari meurt et que les enfants sont désormais loin, avec une vie à eux ? Que se passe-t-il quand autour il n’y a plus personne et que la scène est vide ? On a beau appeler, mais seul le silence répond ! On n’a qu’un réflexe, c’est dominer, mais les « jouets » ont disparu ! On essaie encore de faire illusion auprès de quelques étrangers, mais ils sont eux aussi capables de coups de dents : on ne les a pas dressés ! C’est le vaste monde qui montre sa dureté ! Les peurs, qu’on avait niées, par un surplus de domination, en renforçant sa dictature, n’ont plus d’obstacles ! Elles envahissent, submergent, détruisent ! La panique devient le quotidien et on regrette le mari ou l’enfant que l’on a toutefois méprisés de toute son âme ! On comprend enfin combien on a été injuste, mais c’est trop tard : la victime n’est plus là ! L’habitude de dominer est telle qu’on ne demande même pas d’aide ! On ne veut pas être en position d’infériorité ! On ne veut pas avouer son désarroi, alors que naguère on roulait des mécaniques ! On n’a aucune humilité et on préfère ramasser des miettes ! On cherche encore à épater, quitte à passer pour une demi-folle !

Cette histoire n’est pas mystérieuse ; son enseignement est clair et pourtant, tous les régimes du monde, face à l’inconnu et à la peur, sont tentés par la voie de la domination, qui se traduit par un nationalisme et un conservatisme exacerbés, par la xénophobie, l’homophobie et une répression de plus en plus violente ! On se ferme, on s’arme, on écrase tout adversaire ! On croit être à l’abri par la force, l’autorité, la morale ! On prend la religion à témoin ! On cite ses dogmes, jusqu’à entrer en guerre ! On s’invente un ennemi, ce qui légitime tous les excès et on tue au nom du bien, de Dieu ! Et tout ça parce qu’on n’a pas voulu s’ouvrir, se montrer humble, faire face à sa peur, alors qu’elle est naturelle ! On ne veut pas déchoir et on se construit une forteresse artificielle, comme celle de la Machine ou de la Dom que Paschic observe ! Et la fin est toujours la même : l’anxiété refoulée par la domination, l’étrangeté de nos vies, qui ne demande au fond que patience et amour, emportent le mensonge, après l’avoir désagrégé ! Les sociétés se réveillent de leur cauchemar !

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Paschic est le « problème », dans la famille de la Machine ! Ce n’est pas sa faute : il est né comme ça ! Sa sensibilité lui donne des « yeux », un regard différent ! Il voit l’injustice, l’égoïsme, la cruauté où les autres l’ignorent ou font comme si elle n’existait pas ! N’en déplaise à la psychologie, il n’a pas un comportement construit, pour exister, se faire une place ! Il ne déforme pas la réalité, ne l’invente pas, parce qu’il se sent mal aimé ou méprisé ! N’en déplaise à la psychanalyse, l’art n’est pas une compensation, une consolation, mais c’est d’abord une sensibilité naturelle et particulière ! Les premières peintures pariétales montrent que dès le début certains hommes ont trouvé le monde beau ! C’est aussi inexplicable que la soif de connaître, qui a mené à la science !

Mais on peut encore dire ceci… Si la Machine ne voit pas son égoïsme, si elle n’en a pas conscience, c’est parce que le monde tourne autour d’elle, qu’elle en est le centre et que les autres n’existent que par rapport à elle : ils n’ont pas une personnalité, une identité propres ! Ils doivent obéir à la Machine, sinon ce sont des étrangers ! On le voit, le régime russe actuel fonctionne absolument de cette manière ! Mais on comprend aussi que dans ces conditions la Machine n’arrive pas à distinguer son égoïsme, puisque l’autre est soit un esclave ou un ennemi ! Pour reconnaître qu’elle fait le mal, la Machine devrait donner à l’autre la même valeur que la sienne, ce qui est a priori impossible, tant sa peur du réel la conduit à dominer ! Mais ainsi s’expliquent les paroles de Jésus : « Pardonnez-leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Paschic est le fléau, la calamité, la croix à porter pour la famille de la Machine ! D’après celle-ci, c’est un rôle dans lequel il se complaît, choisi par lui, contre lequel il ne fait aucun effort ! Il est la personne sournoise, qui distille son venin, qui aime à diviser ! Le plus grand nombre, le groupe apparemment uni se soude et rejette Paschic ! Il n’est pas question pour la famille de se remettre en question, de se séparer, car d’abord ses liens garantissent sa sécurité et ensuite tous ses membres sont sous la domination de la Machine et en ont peur ! Là encore, le parallèle avec le régime de Poutine est facile à faire… Mais c’est donc à Paschic de changer ! C’est lui qui doit être redressé, corrigé, comme si lui-même faisait preuve de mauvaise volonté et qu’il n’était pas catastrophé de se retrouver à l’écart ! Car Paschic n’est qu’un enfant, qui ne peut pas se nier lui-même et qui cherche désespérément à comprendre la situation ! Normalement, Paschic devrait être brisé et avouer sa méchanceté, car il ne fait pas le poids face à la famille et effectivement il restera fragile, d’une anxiété chronique, mais c’est la domination de la Machine qui est un mensonge, une construction artificielle qui ne résiste pas à la peur ! La haine, la soif de détruire sont des aveux d’impuissance ! Il existe une vérité, qui est visible par la paix ! Celle-ci est la seule vraie force !

Cependant, la Machine s’acharne contre Paschic ! de même que Poutine tue ou emprisonne tous ses opposants (Politkovskaïa, Nemtsov, Magnitski, Navalny, Litvinenko, Khodorkosky, le groupe Mémorial et combien d’autres !) ! La Machine ne laisse aucun répit à Paschic, car il est la faille dans son discours ! Il est donc le symbole même de la peur de la Machine ! Il ne fait que provoquer une domination encore plus accrue chez la Machine ! On peut dire que celle-ci est en guerre contre lui ! Sa répression est incessante ! Chaque fait, chaque mot de Paschic est repris ! Il ne sait à quel saint se vouer ! Il doute de lui-même, jusqu’à se trouver haïssable ! Il se voit comme une personne repoussante, éteinte, inadaptée ! Il tait ce qu’il sait, il se mure dans le silence : on dit qu’il boude, qu’il est égoïste et qu’il ne pense qu’à lui ! La dépression, bien entendu, s’empare de lui et il déçoit ceux qui espèrent, qui ont un rêve facile ! Plus tard, il s’imagine qu’il est le Misanthrope de Molière, ou il pense que les psychologues qui prônent une certaine hypocrisie, pour que la société garde son homogénéité, ont raison !

Il en vient encore à se demander si l’Évangile n’est pas un bâton de dynamite, menaçant la vie en commun, puisque Jésus dit entre autres : « Celui qui préfère son père ou sa mère à moi n’est pas digne de moi ! » Ceux qui pensent que la foi relève du privé et qu’on peut s’en passer ne se trompent peut-être pas ! Mais alors Dieu n’existe pas ! Si on peut faire sans lui, alors il n’est pas Dieu ! Nous ne parlons pas ici de la religion, avec ses dogmes, mais de la foi et il n’est donc pas question de remettre en cause la laïcité (d’ailleurs, Jésus ne s’attaque jamais au pouvoir, mais à la conscience de chacun!) ! Mais Paschic ne peut pas ne pas voir le mensonge de la domination, son aveuglement et le fait que nous ne savons toujours pas vivre ! Nos sociétés ont tout et pourtant sont toujours en crise ! Pire, elles retournent à la voie de la guerre ! Paschic cherche donc des lois universelles, qui nous touchent tous et toutes ! La peur mène à la domination, qui tient le groupe ! Mais la domination n’est qu’une fuite en avant et ne guérit pas de la peur ! Le régime de Poutine a beau se renforcer et s’étendre, il est condamné à disparaître !

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Paschic le minable ! Paschic le fourbe ! Ainsi apparaît Paschic, aux yeux de la Machine ! Mais pourquoi un tel mépris ? Il est vrai que Paschic semble lent, maladroit, attardé… Il a des problèmes à l’école, c’est un élève moyen, capable du pire comme du meilleur, ce qui prouve, d’après ses professeurs, sa paresse, son laxisme ! Il est encore exact que la Machine a une telle haute idée d’elle-même qu’on ne peut la décevoir, que ses enfants doivent être le reflet de son excellence ! Elle ne pourrait avoir mis au monde des imbéciles !

Paschic est à la traîne et s’attire donc les foudres de la Machine ! Mais est-ce là tout ? Il y a quelque chose dans Paschic qui est insaisissable ! D’abord, il aime la solitude, comme s’il s’en amusait ! Il a un monde intérieur, qui est une énigme pour la Machine, qui échappe à son contrôle ! Ce n’est pas la faute de Paschic, ce n’est pas voulu et ce n’est pas non plus une maladie mentale ! Paschic se nourrit de son observation et surtout, il admire la beauté de la nature ! Elle le ravit absolument, jusqu’au plus profond de son être ! A travers cette beauté, Paschic a trouvé son maître, non un censeur, quelqu’un qui le commande, mais un créateur illimité, infini, d’une grâce sans pareille ! Pour Paschic, c’est un message d’amour et ce qu’en dit la science, comme expliquer des couleurs par l’utilité, par exemple la fleur par son éclat attire les insectes, ne tient pas, est extrêmement pauvre, voire ridicule !

Paschic, dans la nature, est dans un monde merveilleux, enchanteur, où tout est fête quand le soleil brille, où tout est retenue et attente en hiver ! Mais jamais la magie est absente ! Elle est toujours là pour qui sait la regarder ! Dans ces conditions, la Machine n’impressionne pas Paschic, ne suscite pas son admiration, d’autant qu’elle se montre agressive, hostile à son égard ! Il y a non loin de la maison une beauté infinie et à côté l’égoïsme de la Machine, sa duplicité, sa méchanceté font le dégoût de Paschic ! Or, la Machine veut être le centre d’intérêt, un monde soumis à ses lois et qu’on l’adore, ce qui fait que la fracture entre elle et Paschic ne cesse de s’agrandir ! Plus la Machine essaie de détruire Paschic et plus elle paraît odieuse, par rapport à la beauté infinie de la nature, qui est signe de bonté, même si les animaux s’entre-tuent !

Le parallèle avec la guerre en Ukraine est encore aisé à effectuer, car le comportement des Doms est partout le même ! La jeunesse ukrainienne a voulu se donner un avenir, en se tournant vers l’Europe, c’est-à-dire en se dégageant de l’influence corrompue, délétère et laide de Poutine ! Cela se passe à un moment où le maître du Kremlin invente une Russie, débarrassée de son passé trouble et cruel (le pacte germano-soviétique ou les purges staliniennes sont entre autres effacés!), une Russie rayonnante et triomphante, dont l’Armée rouge victorieuse en 45 est le symbole ! Il s’agit pour Poutine de bénéficier de cette aura, d’être admiré grâce à elle, d’apparaître comme l’homme fort par excellence… et voilà qu’un petit pays lui dit non, comme Paschic à la Machine ! « On ne marche pas ! » dit en substance la résistance ukrainienne et ce n’est pas pour rien que la guerre entre les deux pays est aussi mémorielle et que la nouvelle Ukraine, elle, fait du Holodomor le centre de son souvenir !

Cependant, les ennuis de Paschic ne s’arrêtent pas à sa famille : son entrée dans la vie active est aussi compliquée ! Comment peut-il gagner sa vie ? Paschic se rend compte qu’obtenir un emploi, le garder, ce n’est pas seulement accomplir la tâche assignée, il faut encore que l’employeur, la hiérarchie et même les collègues lisent dans les yeux de Paschic de l’admiration, le fait qu’ils sont supérieurs et qu’ils ont réussi ! Ainsi est conforté le Dom, comme nous le savons, mais ce qui était déjà impossible auprès de la Machine l’est encore tout autant dans le monde du travail ! Ce n’est pas que Paschic méprise le Dom, mais il ne peut pas non plus prendre au sérieux sa demande de réduire la vie à sa personne ! L’égoïsme du Dom laisse Paschic indifférent et il en paye les conséquences ! Soit il n’est pas pris pour l’emploi, soit on lui signifie bientôt qu’il ne fait pas l’affaire !

Le même mur va s’étendre aux éditeurs, quand Paschic voudra expliquer ce qu’il ressent et qu’il se sentira assez doué pour cela ! Les manuscrits de Paschic ne rencontreront qu’indifférence, incompréhension ou mépris, car ils demandent de changer, ne rassurent pas, ne flattent pas un univers de Doms lui aussi bien installé ! Pourtant, il n’est pas possible que les écrits de Paschic ne puissent pas correspondre à une certaine soif ! Cependant, on comprend bien que cette impuissance à gagner sa vie, cet « échec » social n’a fait que conforter la Machine dans son dégoût ! C’est bien Paschic le problème et elle n’a pas à modifier son comportement, puisque le plus grand nombre pense comme elle !

Comment Paschic va-t-il tout de même survivre et mener à bien sa propre réflexion ? C’est une autre histoire...

 
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