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  • Du tyran foudroyé

    Du tyran floue

     

     

     

        L'un des messages des gilets jaunes est celui-ci: "Toute une partie de la population n'en peut plus! On est à bout!" C'est donc une situation de crise qui est exprimée, mais nous ne pouvons supporter cela longtemps, car une tension trop vive nous détruit et nous voulons tôt ou tard retrouver la paix, la tranquillité! Aussi est-il normal que le mouvement des gilets jaunes dégénère, laisse place à la violence et à la haine, qui sont comme le recours, le sursaut qui permet de prolonger la crise; de même qu'on souffle de plus en plus fort, sur un feu que la pluie éteint!

        Avant l'accident ou la brutalité irrémédiables, certains rejoignent leurs pénates; sagement devrait-on dire, bien que l'engagement, l'action, la révolte au fond ne se commandent pas; l'exaspération se déclenchant pour chacun au-delà d'un certain seuil et même dans un domaine, sur une question qui lui est propre! Nous ne sommes pas tous pareillement sensibles aux mêmes problèmes, évidemment!

        Mais qu'est-ce qui provoque la crise? Une énième mesure gouvernementale? Sans doute, mais elle ne fait que mettre le feu aux poudres! Depuis longtemps déjà, le terrain était miné, s'était chargé, était prêt à exploser! La crise est d'abord due à une fatigue, à une usure et c'est pourquoi son cri rebute aussi, il navre et fait fuir! C'est comme si on regardait un compteur électrique tourner à toute vitesse: on ne pourrait pas l'arrêter sans le casser! On ne peut pas éteindre le feu en y plongeant les mains! Et les gilets jaunes s'exaspèrent eux-mêmes, jusqu'au désespoir, qui les conduit à mépriser le monde entier; ce qui n'était pas du tout le but!

        Nous pouvons penser que le mouvement a suscité et suscite toujours de la solidarité, qu'il offre à beaucoup l'occasion de se mobiliser et de donner ainsi un nouveau sens à la vie et si la colère ou la révolte devaient être à chaque fois réprimée, au seul nom de la raison, il est probable que l'Ancien Régime eût traîné des pieds jusqu'au vingtième siècle, ou plus...; les privilèges ont la vie dure! Mais des révolutionnaires se sont encore conduits comme des nazis avant la lettre et certains de leurs massacres n'ont rien à envier à celui tristement célèbre d'Oradour-sur-Glane, pour ne citer que celui-là!  

        Il serait donc bon de se demander comment éviter la fatigue, l'usure, l'exaspération, l'explosion, pour soi comme pour les autres! Nous allons donc retrouver notre sage et notre tyran, car même si les revendications des gilets jaunes sont compréhensibles, émanent de gens aux revenus les plus modestes et qui sont donc les moins susceptibles de malhonnêteté, il n'en demeure pas moins que la plupart d'entre eux sont des tyrans, qui, bien que petits, sont incapables de vivre en paix! Leur soif de justice a aussi à voir avec leur égoïsme! leur amour-propre blessé et leur domination frustrée!

        Mais l'histoire de P va servir de canevas à notre réflexion et même peut-être constituera-t-elle une leçon, à l'instar des fables de La Fontaine! P est vendeur dans le magasin de matériel photographique le plus célèbre de la ville. Cet établissement porte le nom de son fondateur; il symbolise une réussite, un développement, qui s'est effectué en même temps que la photographie devenait un média de masse! Le pari, les investissements ont été gagnants! C'est la passion victorieuse, comme on le voit quelquefois!

        On est passé d'une structure artisanale à une équipe d'une dizaine d'employés! Aux vendeurs du magasin, il fallait rajouter les photographes, les imprimeurs, les démarcheurs... A ce stade, c'était l'apogée et il fallait toujours s'attendre à faire la queue, pour être servi! Comme une locomotive lancée à plein régime, l'établissement prit sans trembler le virage du numérique et ce n'est qu'un peu plus tard qu'on perçut un certain déclin... D'abord, des mastodontes s'approchèrent, comme la Fnac qui s'installa dans la ville, mais surtout la vente en ligne permit, sans éprouver la patience, de meilleures offres et l'achat de produits inédits!

        Cette situation est maintenant celle de tous les commerçants, qui doivent faire face à cette nouvelle concurrence, quand ils n'en profitent pas! Mais pour comprendre P, il nous faut revenir en arrière... En effet, il a commencé à travailler au magasin sûrement très jeune et ses expériences précédentes devaient être très maigres... Il est donc comme "un enfant du magasin"; il va grandir avec lui, il va même ne faire qu'un avec lui; ce sera l'œuvre, le rayonnement de toute sa vie!

        Avec les années, P va forcément devenir très proche de la famille du fondateur, dont il suit l'histoire, et il se met naturellement au service du membre qui reprend le flambeau, après la mort des premiers propriétaires... D'ailleurs, on peut compter sur P! Célibataire, il a les qualités, comme les défauts, du "vieux garçon"! Il est précis, méticuleux même, exigeant; aussi nerveux que disponible, aussi entreprenant que rigide et il paraît finalement indispensable, comme un pilier qu'on ne pourrait supprimer, sans risquer l'écroulement de l'ensemble!

        Ses collègues ne s'y trompent pas! Ils le consultent, quand ils ont un doute; ils sont déférents à son égard et bref, la cour sait qui est le favori! C'est donc encore chez P qu'on passe ou auprès de lui qu'on s'informe, lorsque le ciel noircit et que menacent les premiers licenciements! Une équipe aussi lourde ne pouvait durer éternellement!

        Ainsi, P va devenir le témoin privilégié d'une véritable hécatombe! Les départs vont se succéder autour de lui et il écoutera les craintes, les doléances de chacun! Lui a-t-on demandé, à cette occasion, d'intervenir auprès de la direction; l'a-t-on invité à combattre? C'est très probable, mais P avait une position si belle qu'il n'a certainement pas voulu la compromettre! Ne se jugeait-il pas inamovible, irremplaçable? Il a dû éprouvé à la fois de la compassion et du soulagement, en voyant le malheur qui frappait ses collègues... Il sentait en même temps de l'embarras et une secrète satisfaction, car qu'il échappât aux "charrettes" renforçait sa valeur et peu à peu il s'imagina dans un rôle de plus en plus important, qui dépassait même tous ses rêves!

        Pourtant, dès cette époque, quelques faits auraient dû faire douter P et le rendre plus prudent... En effet, le magasin avait beau trôner dans la ville comme un palais de justice dédié à la photographie, il n'était pas à l'abri d'une incompétence certaine! Par exemple, on y ignorait apparemment ce qu'est un filtre dégradé gris! Evidemment, pour les plus nombreux qui utilisent leur appareil sans savoir ce qu'est un fichier RAW, cela reste du charabia et ne paraît pas grave, mais pour l'amateur averti, qui se consacre aux beaux paysages, cette ignorance est incroyable!

        Mais P affirmait également qu'il n'existait pas de filtres aux dimensions de 150x170mm, alors qu'ils sont spécialement destinés aux focales inférieures à 15mm, c'est-à-dire aux "UGA" (Ultra Grands Angles)! De même P riait encore quand on lui demandait un objectif dont il niait l'existence et qu'on avait pourtant repéré dans un magazine de professionnels! Après vérification, P admettait son erreur et il aurait dû profiter de son doute comme d'une brèche dans sa vanité, comme d'un rayon dans la fermeture de ses ambitions! "Ainsi le monde est plus vaste que je le pense! aurait dû se dire P. Et si je me trompais?"

        Son esprit aurait dû tâtonner l'inconnu; il aurait ainsi assurer sa sauvegarde, ne serait-ce que parce que la curiosité, l'hésitation auraient ralenti son rythme! Mais, tout au contraire, P, fort de son statut de miraculé, sur une équipe dépouillé, où il apparaissait désormais comme la seule autorité, se déchaîna, se multiplia, eut soudain le don d'ubiquité, tel qu'il eût les tentacules d'un poulpe ou les yeux d'un caméléon! P était partout et plus rien ne devait lui échapper!

        Dès qu'une transaction faisait hésiter un autre vendeur apparaissait P! Il accourait parce que l'air était légèrement troublé: une araignée en aurait pleuré d'admiration! P s'approchait, aux aguets, n'osant pourtant pas intervenir, mais pesant déjà de sa personne, et la situation aurait été seulement pénible, si en même temps elle n'avait pas été tragique! Car, on le voyait bien, P souffrait tout de même de ne pouvoir déléguer, faire confiance... Il en aurait été soulagé, d'autant qu'il s'occupait encore totalement des commandes! Comment pouvait-il assumer une telle charge de travail?

        Mais P était tellement avide; il voulait tellement s'imposer, diriger; il avait une telle soif de reconnaissance; il était si heureux de montrer dans la rue le fonctionnement d'un appareil, ce qui lui donnait l'occasion de saluer quelques notables; il était si rassuré, si plein de lui-même, de n'avoir pas une minute à lui qu'il était incapable de se détendre, de se relâcher, de prendre du recul, d'essayer de trouver un autre équilibre que celui de sa domination! Il était comme ivre du triomphe de son égoïsme! Sa réussite l'enchaînait, le rendait esclave, l'agitait comme une marionnette, sans lui permettre de souffler! Elle l'aveuglait au point qu'il ne vit pas arriver sa chute!

        Pour les clients, P était devenu le symbole même du magasin, ainsi que la direction aurait été retirée, virtuelle! Comment les propriétaires auraient-il pu ne pas en prendre ombrage? P racontait même des anecdotes sur l'histoire du magasin qu'eux-mêmes ignoraient et qui les faisaient passer pour des simples, des étrangers! N'étaient-ils pas pourtant les vrais patrons? 

       P fut convoqué et on lui signifia, sans trop de ménagements, qu'il atteignait l'âge de la retraite et qu'il devait partir, quoiqu'on le remerciât bien entendu pour son dévouement fidèle...! La retraite? Quelle retraite? P a réussi! Il est au faîte de sa gloire, il touche au but et on veut le mettre à la retraite? Mais il est encore jeune, dynamique! Bien sûr, il y a la retraite, mais le magasin, c'est lui, c'est son œuvre! On ne peut pas du jour au lendemain le remercier! C'est impossible! Si, on peut!

        P ne comprend pas la véritable raison de son évincement... Il est tellement abasourdi qu'il ne voit pas que c'est justement son rayonnement qui gêne, que ses employeurs veulent aussi leur "part de lumière"! Nous avons croisé P peu après cette entrevue... Il n'avait plus son masque de professionnel infatigable et qui semblait totalement dépourvu de tout sentiment vil! Son cœur éclatait, d'autant que l'heure était matinale et le trottoir désert... P criait sa haine, elle s'échappait de ses lèvres, il n'était plus qu'une boule de colère! La chute de P a été aussi foudroyante que celle d'Icare!

        Entre-temps, la vie au magasin a repris comme avant; il y a toujours tant de monde qu'on ne s'aperçoit pas tout de suite de l'absence de P... Après tout, il n'était pas indispensable et quand on demande de ses nouvelles, son départ à la retraite paraît le plus naturel du monde! Evidemment, l'hypocrisie nous entraîne et nous endort; mais celui qui a un peu de plomb dans la cervelle peut s'imaginer la nouvelle existence de P... Que fait-il dans son appartement? Lui qui était au firmament, comment s'occupe-t-il dans l'ombre? Existe-t-il pour lui un motif d'espérance? Ou au contraire tous les fantômes, toutes les peurs que son activité débordante rejetait ne viennent-ils pas le voir? Que lui reste-t-il, à part sa rancune à remâcher? Mais tout le monde s'en moque, n'est-ce pas? Un tyran chasse l'autre!

        Cependant, quel rapport entre l'histoire de P et les gilets jaunes? Comme on l'a dit, les coups de boutoirs du monde extérieur, s'ils sont bien réels, ne provoquent la crise que parce qu'elle est déjà là, en germe, parce qu'on ne sait pas vivre en paix et qu'on est un tyran (même un petit!) (L'un des leaders des gilets jaunes serait un amoureux de "grosses cylindrées"! On croit rêver, quand on peut déjà être heureux d'avoir une voiture! Ce mouvement aurait-il la tête à l'envers?)

        Mais nous revenons donc à notre question: comment éviter l'usure, l'exaspération, la colère, la haine? Comment garder un message cohérent, constructif, ouvert, fédérateur parce que porteur d'espoir? Car, notamment, ces jours-ci, un astrophysicien compare le réchauffement climatique à un suicide collectif! Ce genre de propos est improductif; son effet est justement l'inverse de ce qu'il faudrait, car on nous écrase sous une chape de plomb, au point que notre volonté en est anéantie!

        Or, le jugement du tyran n'est ni honnête, ni lucide! Tant que notre équilibre ne dépend que de la satisfaction de notre amour-propre, nous sommes esclaves de ce dernier et il nous condamne au surmenage, à l'épuisement et à la révolte! Notre astrophysicien, qui se croit objectif, nie son égoïsme; tout comme P qui ne s'imaginait qu'être un vendeur dévoué et scrupuleux!

        Mais plutôt que de nous regarder en entier et d'essayer de comprendre les lois de la sagesse, il nous est bien plus facile de nous donner des ennemis et de nous poser en victimes! Ainsi, les anciens employeurs de P sont devenus ses bourreaux et pour maints gilets jaunes, l'Etat complote contre eux, au profit des plus riches!

        Or, on le voit, lors des affrontements, il y a le désir de s'affirmer par la lutte, ce qui n'est pas sans rappeler les épreuves initiatiques de certaines tribus! Par ailleurs, l'Etat ne cherche avant tout qu'à rééquilibrer un budget (on lui prête des vices qu'il n'a pas!) et même Louis XVI aimait son peuple! Mais, comme toujours, l'amour-propre pêche en eau trouble: en s'ignorant, il ne connaît pas non plus son but!

  • Du tyran cardiaque

    Du cardiaque

     

     

     

     

        Poursuivons notre galerie de portraits, non pour clouer tel individu au pilori, mais bien pour aller au-delà des apparences, toucher au tuf, à l'essentiel, à ce qui est le plus vrai en nous, à notre logique fondamentale; car sinon nous entendrons toujours les mêmes faux-semblant, du genre: " Il faut bien vivre!", "C'est la faute des émigrés, de l'Europe, du gouvernement, etc.!"

        Ne nous y trompons pas, même le mouvement des gilets jaunes, que nous ne condamnons pas, est d'abord motivé par l'amour-propre des manifestants! C'est bien le sentiment d'être méprisés, d'être pris pour des vaches à lait, d'être vus comme des moins que rien, qui pousse les gens à sortir de chez eux, pour barricader des routes! Le manque d'argent, la difficulté pour "joindre les deux bouts" reste encore secondaire, mais jette inévitablement de l'huile sur le feu, quand ce n'est pas la goutte qui fait déborder le vase!

        D'ailleurs, le mouvement est comme la boîte de Pandore: tous ceux qui veulent restaurer ou faire émerger leur personnalité, même de la manière la plus violente, profitent de l'occasion, et nous voyons donc du racisme, de l'homophobie ou des casseurs! Tant que notre égoïsme ne sera pas dénoncé, tant que nous ne le verrons pas en plein, tant qu'il ne sera pas constamment dans notre viseur, il n'y aura pas d'évolution, de véritable progrès, mais subsisteront toujours les mêmes situations apparemment inextricables, les mêmes naïvetés qui voient la solution dans un changement politique, le même aveuglement, car bien des gilets jaunes seraient bien incapables de dire ce qu'ils veulent (comme en 68!) Surtout encore, cette violence, cette envie de détruire de certains continuera de paraître avoir un but, comme celui de l'anarchie; alors qu'on pourrait montrer précisément que c'est l'individualité qui veut triompher, en se mesurant à l'autorité, en la défiant et en la combattant! Là où le drapeau noir flotte, c'est seulement le nombril qui crie! Et dès lors il serait possible de mettre en évidence le ridicule et la bassesse des violents (mais on en est loin, bien entendu!)!

        Encore une fois, un autre monde est possible, qui serait voisin du paradis; à condition que nous ayons les yeux ouverts, que nous comprenions ce qui est en jeu! Et ceux qui perdent patience, ou qui se sentent perdus, peuvent aussi se dire qu'ils ont l'"Eternité devant eux"! Ce message, quand il devient clair, est tout de suite apaisant et donne une joie sans bornes! Fi des inquiétudes à l'instant!

        Mais place à B qui est bouquiniste! A priori, c'est un beau métier, même s'il a pris un "sacré coup de vieux" et qu'il ne fait plus rêver, notamment bien sûr à cause des nouvelles technologies, qui entraînent que les gens lisent moins! Il fut un temps où le livre était le principal média! Et l'image vidéo est en culottes courtes à côté!

        Mais B, comme tout bouquiniste qui se respecte, est dans son magasin tel un pied dans une pantoufle, ou telle une souris chez un fromager! Il y a ses habitudes, il y est comme chez lui; c'est son univers, qu'il a créé et qu'il contrôle!

        Entre deux clients, et il peut n'en passer aucun pendant des heures! B lit tranquillement, s'ennuie un peu peut-être, quoiqu'il puisse suivre un match sur son portable, et en tout cas, nul n'est là pour le presser et encore moins pour le menacer! B devrait donc être un modèle de sérénité, une sorte de Bouddha indulgent, habité d'une paix qui serait le résultat d'un long et patient travail intérieur; ainsi que le passeur du Siddhârta d'Herman Hesse!

        Nous parlons au conditionnel, car la réalité est tout à fait différente: B est hypertendu! Oui, vous avez bien entendu: B, au milieu de ses livres, qui semblent pourtant des temples endormis, B est rongé par l'inquiétude, miné par l'anxiété! Il parle, il s'excite, puis brusquement il se tait, à l'écoute... de son cœur! ainsi que celui-ci serait un étranger, une autre personne l'habitant et qui parlerait une langue différente!

        B vit dans la hantise de la crise cardiaque, du foudroiement, qui ferait qu'on n'a plus de prises sur les choses, qu'on est enlevé tel un fétu de paille, qu'on est emporté comme le capitaine au passage de la lame! C'est la terreur de ne plus contrôler, de ne plus être, la terreur de la mort!  B est donc au chevet de son cœur, il le promène dans son magasin, il le surveille et en a les traits creusés et le teint cireux! On a de la peine pour B, qui voit tous ses instants, toutes ses joies, tôt ou tard empoisonnés!

        Son état, cependant, révèle une grande fragilité... Il faut que la dépression soit très profonde pour qu'on se sente obligé d'aider son cœur, qui est normalement un organe qui fonctionne tout seul et dont on ne soucie guère! Il faut que la personnalité soit emboutie, comme la carrosserie d'un véhicule accidenté! Il faut que la conscience de soi soit quasi inexistante et ainsi naissent les phobies, la peur de s'échapper à soi-même, ce qui conduirait à se déshabiller en public, à crier dans une bibliothèque ou à sauter d'un pont sans intention suicidaire, mais parce qu'on est devenu incapable d'affronter le vide et qu'on n'a pas plus de densité qu'une plume! Ainsi naissent l'agoraphobie ou la claustrophobie, pour ne citer qu'elles et qui germent sur les individualités défaillantes! Car un homme qui va de l'avant, qui a des projets, de l'espérance; qui est animé par son plaisir, qui rêve, qui aime la vie; celui-là ne pense plus à son cœur; il ne fait qu'un avec son désir; son amour-propre est sa chaudière; la locomotive est lancée et les peurs psychiques deviennent incompréhensibles, absurdes, si tant est qu'un jour on y a été sensible!

        Comment B en est-il arrivé là? Ici, une fois n'est pas coutume, nous allons faire plaisir aux psychologues, en démontrant que la fragilité de B vient de traumatismes anciens, mais nous enchaînerons très vite avec la véritable solution, qui ne relève pas d'une psychothérapie; car, aussi curieux que cela puisse paraître, deux individus peuvent souffrir du même mal psychique, tandis que l'un est gentil et l'autre méchant; tandis que l'un peut se suicider tristement et sans bruit dans une chambre d'hôtel, tandis que l'autre écrase son avion, tuant tous les passagers! La guérison d'un névrosé ou d'un psychotique ne dépend donc pas de son histoire, mais du fait qu'il est un tyran ou non!

        Cependant, pour l'instant, B a trouvé une origine à son trouble qui le rassure: son père lui-même fait de l'hypertension; le problème serait ainsi génétique! Fort de cette connaissance, B est allé voir son médecin, qui lui a prescrit des médicaments... Le diagnostique a bien identifié une pression artérielle anormale et sans doute que le traitement aura son effet et du moins il tranquillise B; mais on est loin par là de toucher à la racine et même à la tige de ce qui nous préoccupe... Qu'est-ce qui a détérioré l'équilibre de B, qui l'a rendu dépressif, qui a empêché ses bases, ses fondations?

        Récapitulons les faits... Faisons monter de la brasserie Dauphine des sandwichs et de la bière, car la nuit va être longue, d'autant qu'il pleut lourdement sur les toits de Paris! Bourrons notre pipe en songeant à B, à son milieu, à son enfance... Revoyons-le gamin, vibrant, déjà sensible, mais dans un foyer modeste, sans beaucoup d'éducation... et sans doute rustre et même peut-être brutal, à l'égard d'un être qui, par sa finesse, sa délicatesse, s'y sent tel un étranger! C'est l'intelligence qui fleurit parmi les ronces et qui éprouvera la solitude, qui sera contrainte de se renfermer, de dissimuler, qui adoptera un langage, des pratiques, qui fera la rude malgré elle!

        B sera toujours sur ses gardes et l'est encore! Dès qu'un client passe derrière lui, B est mal à l'aise, il doit se retourner, comme si on pouvait lui mettre la main aux fesses, ou plus exactement lui "tomber dessus"; et nul doute qu'on a dû malmener B enfant, qu'on l'a fait marcher à la baguette, sans même s'en rendre compte, parce qu'on avait un rythme, des devoirs et des envies que tout le monde devait respecter! Egalement, la délicatesse de B le faisait sans doute craintif et on s'en est inquiété, on a essayé de lutter contre! Mais le père a d'abord été soldat, puis bouquiniste... et le fils suivra exactement le même chemin! Il devient fourrier dans la Marine, loin de l'action et des armes et il raconte sans gêne combien il avait peur, lors de sa ronde la nuit, quand sur le navire on était quasiment au niveau de l'eau noire, qui menait sa danse endiablée!

        Puis, le père partant à la retraite, B lui a racheté son fonds et s'est retrouvé lui aussi dans cet univers des livres bien tranquille! D'ailleurs, son rayon pornographique y a fait recette... Encore aujourd'hui, des habitués viennent chaque semaine chercher des revues ou des films, pour se masturber chez eux! C'est bien cela, non?

        Mais, entre-temps, B n'a pas soigné ses angoisses, ses peurs et pire elles n'ont fait qu'empirer! Rappelons que le tyran ne trouve son équilibre que par la domination, que parce qu'il impose sa personnalité... et de ce côté-là B a diminué comme une bougie! D'abord, sa femme a un salaire, bien plus important que ses revenus... et avec le temps, B a pris les vraies mesures de sa "boîte à chaussures"; ses ambitions ont fondu comme neige au soleil et il a aussi dû éprouver maintes humiliations de la part des clients; les uns le méprisant à cause de la modestie de son métier; les autres tenant à se montrer supérieurs, pour être revigorés, ce que B a sans doute accepté en se courbant, face au bon acheteur! 

        Bref, B est devenu dépressif et inquiet; il s'est désagrégé au point de douter de son cœur et nous voilà à notre point de départ! Et c'est ici l'aiguillage! Le sage dans le même état a cherché la vérité, la réalité, les lois de la sagesse... et il en ressort gagnant! Le sol sur lequel il pose désormais le pied est solide, ferme; et le sage peut arrêter de "nager"; il ne court plus le risque de se noyer!

        Le tyran au contraire n'a pas compris son erreur! Il mise toujours sur sa domination, comme si elle n'était pas déjà défaillante, comme si elle n'entraînait pas déjà vers le fond! Le tyran ne prend pas conscience de son impasse... Au contraire, il en rajoute! Il estime que si la première couche est inefficace, il en faut une deuxième! que si l'amour-propre n'est pas satisfait, c'est qu'il doit demander plus, prendre plus; alors que la "machine" tourne déjà à vide, qu'elle puise dans le sable! Mais ainsi B est insupportable! Et ses manières pour blesser sont innombrables!

        Par exemple, B coupe la parole; sous-entendu que ce qu'il va dire est plus intéressant! Quand on parle, B regarde au-delà de nous, comme si la conversation l'ennuyait, comme si derrière se passait quelque chose de préoccupant... et on finit même par se taire et se retourner! Tout est bon pour B pour de nouveau être le centre d'intérêt, pour retenir l'attention! Notamment, il garde le silence, si depuis quelque temps on exprime une idée... Un être humain normal répondrait oui, oui, ferait signe qu'au moins il a compris, mais pas B, il laisse planer un doute: a-t-on dit quelque énormité? quelque chose dépourvu de sens? N'est-on pas fou? Ne le voit-on pas?

       B est tellement préoccupé par sa personne qu'il en vient plusieurs fois à raconter sa vie, des anecdotes que l'on connaît par cœur, qu'il répète inlassablement et qui le mettent toujours en valeur! Toute la pauvreté, la fermeture de B apparaît ici au grand jour, sans qu'il s'en doute, car on pourrait lui décrire des situations qu'on a soi-même vécues et qui le plongeraient dans l'ahurissement! Mais à quoi bon frapper une planche pourrie, un être débile?

        Pourtant, B sait se montrer lucide, pertinent et donc attachant! Il n'est pas dupe des uns ni des autres; il n'est jamais trompé (ou presque!) par l'actualité; il voit clairement les enjeux, les vices, les risques, mais tout cela est gâché rapidement par la tyrannie de son égoïsme! Pour expliquer certains événements, B invente bientôt des complots, des manœuvres appartenant à la science-fiction, car l'apparente froideur de la réalité l'écarte de son égotisme!

        De même B hait les personnalités qui réussissent, puisque, d'une manière ou d'un autre, c'est encore de l'intérêt en moins pour sa personne! B refuse encore d'apprendre, car se pencher sur l'histoire d'un tel, c'est avoir l'impression de délaisser la sienne! Ainsi, B, qui est pourtant passionné par la seconde guerre mondiale, n'a jamais lu les Mémoires du général de Gaulle, qui est un ouvrage capital sur cette époque! B se prive ainsi d'un nombre incroyable de connaissances, qui pourraient lui être utiles!

        B, en véritable tyran, fait tourner le monde autour de lui et c'est pourquoi il ne le voit pas vraiment! Il ressemble à un homme escaladant un poteau glissant: sitôt qu'il a gagné quelques centimètres, il retombe plus bas! Il faudrait faire un pas de côté..., que B se sente fier de lui, non parce qu'il se trouve supérieur, unique, mais parce qu'il a compris quelque chose, une loi, un phénomène, une logique qui régit les hommes, les caractères; parce qu'il a pénétré un peu plus avant le domaine de la sagesse!

        Son équilibre serait alors sûr, certain; il ne serait pas dépendant des autres et de la tyrannie qu'on peut exercer sur eux! B serait alors maître de lui-même et oublierait son cœur! Il serait libre et se reposerait, ferait reculer la dépression... et serait même conduit à la vraie joie, celle qui n'est pas momentanée, mais qui peut être renouvelée sans cesse, puisqu'elle appartient à un triomphe infini!

        Mais allez expliquer à B que, pour son sauvetage, il doit d'abord "la mettre en veilleuse", se contenter d'écouter, afin de respecter réellement les autres et de découvrir enfin le monde extérieur; alors qu'il saute sur le moindre morceau qui brille, comme si c'était la lampe d'Aladin et que le génie allait combler tous ses vœux! B sera sans doute victime d'une crise cardiaque, mais alors il mourra d'une ombre!

  • De l'emprisonnement II

    De l empri ii

     

     

     

     

        Continuons notre tour d'horizon des tyrans; montrons encore que le monde n'est pas du tout ce qu'il voudrait nous faire croire! Expliquons pourquoi nous avons toujours l'impression que la situation va mal, qu'elle puisse être désespérante, et pourquoi nous pouvons être rongés par l'incompréhension, être fragilisés par elle, et comment s'établit alors entre nous et les autres une querelle profonde et qu'il ne serait possible de résoudre qu'à condition que nous parlons tous le même langage, ce qui demanderait aux tyrans de comprendre ce que nous allons dire ici, ce qui leur demanderait de se regarder totalement, en vue même de leur propre bonheur!

        B est boucher et son histoire est complexe! D'abord, tout lui sourit! C'est un enfant du pays; ses parents sont connus sur la place et son échoppe est très bien achalandée. On s'y presse et on y passe toutes ses commandes, y compris celles des fêtes! B est d'ailleurs travailleur et il ne déçoit pas : sa viande est d'excellente qualité!

        B est aussi un jouisseur et les signes de sa réussite sont visibles... On remarque sa moto, un bel engin, ou sa voiture luxueuse, qui allie la performance à l'élégance! A ceux qui sont jaloux, B rétorque que chacun fait ses choix et que pour sa part il n'habite pas une maison! Bref, B est célibataire et en a les plaisirs!

        Tout va tellement bien pour B qu'il songe à prendre une autre dimension... Il quitte son échoppe pour un magasin plus grand, dans un tout autre secteur de la ville, et il étend son activité à celle du traiteur. Il prend encore un apprenti, mais assez vite, c'est la déception: on ne fait pas le chiffre espéré; la clientèle n'est pas au rendez-vous! Que s'est-il passé?

        Apparemment pour B, il est victime d'une trahison, son apprenti l'aurait trompé, et même peut-être escroqué! C'est une sombre histoire, qu'il est difficile de démêler, mais qui fait dire à B qu'on ne l'y reprendra plus! Pourtant, B semble retenir la mauvaise leçon, car la réalité est souvent bien plus difficile à accepter; mais ne serait-il pas plus exact et plus profitable de penser que B n'a pas su s'adapter à son nouveau milieu, que dans l'ancien il profitait de ses racines, et qu'il n'a pas su séduire une population qui a priori le considérait comme un étranger?

        Ainsi, des animateurs vedettes à la télévision triomphent, changent d'émission comme si le succès allait forcément les accompagner, et ils se retrouvent bientôt sans audience, accumulant les fours, prenant l'étiquette de perdants et ne rêvant plus peut-être que de revenir aux origines, à la situation qui leur allait si bien et qui les glorifiait! Et c'est encore le cas de B, il veut retrouver son ancienne échoppe et la sécurité que celle-ci lui donnait! Et ce sera possible pour B!

        En effet, le boucher, qui a racheté son échoppe, accepte de remplacer B là où lui-même a échoué! C'est un tour de passe-passe inespéré et revoilà B dans ses murs! Mais le charme est rompu! La clientèle s'est sentie trahie et elle se fait rare! D'autre part, B n'est plus le même; il est à bout de souffle, il n'arrive plus à être prêt à l'heure; son étal est encore vide alors que se présentent les premiers acheteurs! B est cachée dans une petite cuisine, dans laquelle il essaye de récupérer... La santé de B est altérée et continue de se dégrader!

        B ne s'est toujours pas remis de son aventure! Ce qui au fond est normal, car celle-ci a dû être fortement éprouvante, et maintenant B sert parfois avec les mains qui tremblent, signalant les ravages du stress! L'avenir de B est clair; la dépression est là, puissante, sourde et déjà destructrice! Si B ne se repose pas, il ne pourra plus assurer son travail; la fatigue et l'angoisse le vaincront! Plus il va se débattre et se faire violence et plus le mal refermera sur lui ses mâchoires! C'est comme au judo: il faut plier pour faire passer son adversaire et en être soulagé!

        On pourrait donc plaindre B et le regarder avec un l'œil d'un journaliste de Capital ou de Forbes, comme un entrepreneur qui a malheureusement perdu, un audacieux qui mérite tout le respect et qu'on espère voir rebondir! On verrait ainsi les choses à la surface, comme si on patinait sur les consciences, avec un joli bonnet et dans l'attente du coup de foudre, car des attitudes infiniment plus sombres apparaissent chez B!

        Quand il remarque près de son échoppe un individu à l'aise, tranquille et qui semble donc dominant, B le regarde de haut en bas, comme s'il l'évaluait, le jaugeait, en ne tardant pas à montrer tout son dégoût, son mépris! C'est évidemment une manière de reprendre le dessus, de se montrer supérieur à l'autre, en lui faisant imaginer par exemple que le détail qui cloche, ce sont les chaussures, ce qui implique qu'on regarde vers le bas, qu'on incline la tête, comme si on abdiquait!

        Cependant, l'autre n'a pas cherché à supplanter B, ce qui aurait été une preuve de faiblesse, dont B aurait sûrement profité... Il a juste ignoré B, parce que le boucher n'était pas sur son chemin, voilà tout! Mais B, comme la plupart des tyrans, ne trouve son équilibre que dans la domination et donc le monde doit tourner autour de lui et même la paix en dehors de sa personne lui semble insupportable! Il la combat pour être de nouveau le centre d'intérêt! On voit par là combien les tyrans, qui sont la majorité, rappelons-le, empoisonnent le monde!

        Tout cela montre à quel point B a soif de dominer, est attaché à son amour-propre, combien il est esclave de son égoïsme et comment il est prêt à faire le mal! Notamment, il n'hésite à pas à dénigrer celui qu'il remplace et qui lui a pourtant en quelque sorte sauvé la mise! Ce dernier, d'après B, prendrait trop de vacances, ferait murmurer les gens, la clientèle et ce serait donc mauvais pour le commerce, comme si B s'inquiétait du sort d'un concurrent! Mais c'est encore là une manière de répandre son venin, en se donnant l'absolution!

        Le mal est inévitable chez les tyrans! La soif de pouvoir, jamais assouvie, se traduit par des coups de dents à droite, à gauche: on rabaisse le monde pour s'élever au-dessus de lui! C'est une façon de se donner de l'air, de se rafraîchir, car les choses ne vont jamais assez vite pour ceux qui brûlent de parader, de triompher! Le mépris est sans doute l'arme favorite des tyrans: il blesse en un éclair et permet de ne pas s'exposer! Il n'engage pas physiquement et peut toujours être nié! La victime n'a-t-elle pas été le jouet d'une illusion, n'est-elle pas un tantinet paranoïaque?

         C'est enfin une arme très efficace: le mépris agit comme un mur psychique; il dévalue dans une dimension quasi invisible et qui empêche une réelle défense; il suscite la haine, mais dilue la révolte! Il mine, il éreinte, il fatigue sans en avoir l'air, surtout quand il s'accumule! Il perturbe, il désoriente et il finit par détruire, comme nous allons le voir plus loin!

        Mais revenons à B... Un autre boucher prend trop de vacances? Mais B devrait s'en inspirer, vu son état! N'est-ce pas inquiétant de trembler des mains, quand on sert un client? Ne sent-on pas dans ces conditions combien on peut être épuisé? Les larmes ne viennent-elles pas souvent aux yeux? N'est-on pas parfois submergé par le chagrin, la solitude? Ne voudrait-on pas que ça cesse? Ne rêve-t-on pas du bonheur, de l'apaisement, de la joie? Ne voit-on pas cela comme un Eldorado oublié, une chose maintenant inaccessible? Qui pourrait nous aider, quand la vie ne paraît qu'un long tunnel noir, dépourvu de sortie?

        Mais B est chevillé à son orgueil, il est prisonnier de ses ambitions, il est conduit par sa vanité; c'est le dominant qui réclame son dû! Ainsi, B est incapable de prendre du recul, d'avoir du détachement et de se voir tel qu'il est! Nul doute qu'il attribue désormais ses souffrances à une cause médicale et on pourrait effectivement le soulager pour une part grâce à des médicaments, mais, comme nous le voyons, son trouble est produit par une logique issue du règne animal, qui nous conduit dans une impasse et que tout un chacun peut comprendre... En fait, le sens de ce que nous disons se trouve déjà dans d'autres messages, dans l'Evangile notamment, mais ici nous utilisons des mots et des connaissances d'aujourd'hui: nous parlons d'Evolution, d'individualisation et non plus de péchés ou du diable!

        Mais de même que B est aveugle sur son cas, il lui est impossible de prendre les mesures à sa guérison! Il lui faudrait pourtant travailler moins, réduire son offre à une plus grande simplicité et non, sous le joug de l'inquiétude et dans le but de reconquérir une clientèle, peiner à rajouter à la tâche du boucher celle du traiteur! Se représente-t-on un homme seul commander et détailler ses quartiers de viande et en même temps se consacrer à la préparation minutieuse de certains plats! Il y a là de quoi achever n'importe qui!

        Cependant, consentir à un allègement pour B serait reconnaître au moins l'échec de son aventure précédente, qu'il attribue, pour sauver son orgueil, à une trahison de son apprenti! Ce serait pour B lire dans les yeux des autres qu'il a échoué, perdu, qu'il s'est trompé, et qu'il en paye encore aujourd'hui le prix! L'amour-propre, la soif de dominer de B, qui va jusqu'à mépriser le moindre quidam qui lui fait ombrage, l'empêche de s'abaisser, d'être simple, modeste, humble, respectueux, doux, curieux!

        De même encore, pour accepter de gagner moins, afin de se préserver, B devrait sans doute rouler dans une voiture plus banale et diminuer les signes extérieurs de sa réussite ou de sa richesse! Mais est-ce possible, quand l'équilibre du tyran repose justement sur le paraître, sur l'impression qu'il fait aux autres, sur le sentiment de leur être supérieur? Agir autrement, n'est-ce pas remettre en question toute sa vie, se trouver devant un abîme? Combien alors ne reculent pas devant la peur? Et puis c'est si facile de haïr, de jalouser et de vouloir détruire quand ça ne va pas! Tout plutôt que de demander la solution!

        Pourtant, B est parfois ironique quant à sa personne, ce qui est un signe d'intelligence et de lucidité... Les effets de la dépression se font aussi sentir... et il est toujours étrange de voir un tyran se déconsidérer complètement: c'est comme la lune qui fait face au soleil! Peut-être qu'entre ces deux contraires, à force, B pourrait-il trouver une sorte d'équilibre, mais nous en doutons, car dès que B va mieux, il en profite pour essayer de supplanter son interlocuteur, quitte à le faire passer pour un demeuré! B est comme un malade qui refuse d'admettre son mal et qui ne veut pas changer ses mauvaises habitudes! Ainsi sa voiture luxueuse trône toujours non loin de l'échoppe, pour prévenir les gueux d'alentour qu'ici il y a quelqu'un d'important; mais, pour celui qui sait, c'est plutôt comme les couleurs d'un navire qui coule!

        Toujours est-il qu'on peut déjà concevoir quel problème pose au sage ce monde! Le tyran vit au quotidien en cherchant à imposer sa personne et il lui faut donc des dominés, qui sont très vite des victimes! Le sage fait forcément partie de celles-ci, surtout quand il est jeune, car son manque d'agressivité, sa douceur, sa bonne volonté ne sont pas des obstacles aux coups du tyran; bien au contraire et il n'est rare d'en faire un pâtiras!

        Ainsi le sage est blessé sans raison! Ce n'est pas une de ses fautes qui lui vaut sa souffrance! Mais s'il cherche des explications, s'il demande justice, il se retrouve devant des gens qui se ferment, qui fuient, qui gardent le silence, comme si le sage n'avait rien dit, comme si son propos était incohérent, comme s'il était fou! Car, comme on l'a vu à travers l'exemple de B, le tyran n'avoue jamais ses sentiments ou ses envies, par peur de se diminuer, de déchoir, parce que son orgueil le lui interdit! Autrement dit, la nuit évite la lumière!

        Mais l'incompréhension peut alors habiter longtemps le sage, qui en vient à se considérer tel le seul perdu, tandis qu'autour s'affairent les tyrans, apparemment le plus tranquillement du monde! Le sage désorienté s'enfonce dans le doute et mange son pain noir! La solitude qu'il éprouve, les traumatismes qu'il a subis l'entraînent dans les régions dangereuses de la dépression; là où des sirènes ou des sentiments de culpabilité poussent à se blesser encore plus, à se détruire! Tout cela parce que le tyran fait le mal, pour ne pas sentir son angoisse!

        Mais le sage malade peut encore croire aux remèdes de la société, qui lui disent que la solution est en lui et qu'une thérapie la fera émerger! Mais le sage aura beau s'allonger sur tous les divans du monde, ou se livrer docilement au moins mauvais des thérapeutes, il ne pourra jamais effacer ce qu'il comprend, ce qu'il voit, et on devrait maintenant se rendre compte que d'essayer d'attribuer sa névrose à une quelconque sexualité refoulée, ou à un complexe particulier, est du plus grand ridicule! Les psychanalystes et autres psys devraient avoir honte, mais combien d'entre eux ne sont pas des tyrans qui s'ignorent? Il faudrait pourtant entrer dans la cour des grands!

        S'il appartient tout de même au sage de se pacifier, afin de prendre sa véritable dimension, ce n'est pas à lui de changer, mais c'est le tyran et donc toute la société qui doit évoluer! On ne peut pas se servir des autres, pour donner un sens à sa vie! On ne peut pas meurtrir impunément, encore faut-il prendre conscience de sa vilenie et qu'on blesse! Et c'est sans doute là le rôle du sage...

        La réaction de sa sensibilité plus fine est un avertisseur, que le tyran peut nier pourtant, jusqu'à la fracture, jusqu'à l'obstination la plus complète, jusqu'à mourir plein de dureté! Le sage, lui, termine avec son pain blanc!

  • De l'emprisonnement

    Enfermement

     

     

     

        Le tyran n'est pas libre, comme nous allons le voir à travers quelques exemples. Ils vont nous permettre de mieux comprendre le comportement du tyran, sa logique, et pourquoi la situation n'évolue pas, ce qui fait qu'elle est toujours aussi oppressante!

        Mais le tyran est comme les animaux, il répète chaque jour les mêmes attitudes, les mêmes défauts, les mêmes "vices" et il est à l'origine de son propre malheur et on ne pourrait que le plaindre, s'il ne blessait pas les autres et ne rendait pas la vie insupportable!

        Le tyran est comme la fourmi qui se débat dans le cône du fourmilion, sauf que c'est encore lui le dévoreur! Sa destruction est inéluctable et il est facile d'en être le témoin, au point qu'il est même tentant d'intervenir et ainsi d'améliorer la vie de tous!

        Mais le tyran n'apprend pas et même ne veut pas apprendre, et en tout cas lui donner la solution de ses problèmes susciterait forcément sa haine, son rejet et il nous faut donc nous contenter de regarder un spectacle connu, avec tout l'aveuglement dont le tyran l'enrobe! 

        Car le tyran ne voit pas le monde! Sa seule étrave, c'est la domination! Les autres n'existent que comme faire-valoir! Le tyran ne trouve son équilibre que dans la satisfaction de son égoïsme! Il est un univers clos, dont il est le centre et qu'il ne fait que déplacer!

        Mais place aux exemples, ce sera plus simple...

        T est traiteuse et rêve de dominer les halles où elle travaille. Elle se campe volontiers devant son échoppe, discutant avec un tel, mais surveillant également les alentours. Elle "trône" ainsi et a l'impression d'être d'un personnage important!

        Mais dès qu'elle aperçoit un élément étranger, c'est-à-dire quelqu'un qui est hors de son influence, elle fait grise mine et la haine, le dégoût affleurent sur son visage; pas trop cependant, car le nouvel arrivant est le plus souvent un client, qu'il faut bien servir!

        Le oui qu'elle répond au client, quand il demande ce qu'il veut, est celui d'une maîtresse à un élève qui a bien compris le problème qu'on lui a posé! La position dominante est toujours là! Par ailleurs, si T est énervée, sa voix sèche et son attitude autoritaire pressent le client, qui se sent subitement comme un boxeur asphyxié dans les cordes!  

        Sur l'étal est mis en évidence l'article d'un magazine, consacré à la réussite du mari de T et qui le nomme "le roi des charcutiers!" Evidemment, le magazine est une occasion de parler du mari, mais aussi de T qui ne devient vraiment aimable que quand il est question d'elle! Tout ce qui ne touche pas à T ne mérite que son mépris! Jamais elle ne se montrera curieuse des autres... Le monde n'a un sens que si T le dirige!

        T est volubile dès qu'on fait mine de s'intéresser à elle: elle prend incessamment! Elle est intarissable sur elle-même, sur ses petits soucis, sa santé, ses opinions; comme s'il était naturel qu'on fût à son écoute... et elle n'entend les propos de son interlocuteur que s'ils lui permettent d'être encore le centre d'intérêt! T ne donne donc rien, au contraire elle épuise!

        Pour couronner le tout, T est péremptoire, a des jugements sur tout, connaît tout, est pleine de sentences, de critiques; elle règle son compte aux uns et aux autres, entre deux tranches de jambon! C'est un maelström, un bloc verbal qui assomme et qui laisse T comme un sorte de sommité, qu'on est venu consulter... et qu'on paye, même si on repart écrasé!

        Cependant, comme tous les tyrans, T a des problèmes, car, on s'en doute bien, une telle attitude, une telle fermeture ne permet pas de résoudre les inquiétudes! Rappelons-le, imposer notre individualité, en assurer la suprématie, est nous comporter comme les animaux, ce que notre conscience nous interdit en quelque sorte, puisqu'elle nous fait voir et notre isolement dans l'espace et notre mort et même la souffrance des autres, pour ne citer que ces choses! C'est la conscience qui détient la clé de notre bonheur, c'est vers elle que nous devons aller, et cela implique le contrôle de nos instincts et donc de notre égoïsme!

        Si celui-ci nous mène, il nous est impossible de trouver la paix et d'apaiser nos angoisses! Elles continuent leur travail de sape, comme chez T! Un matin, T, taraudée par quelque anxiété, veut faire deux choses à la fois... et en déchargeant son camion, elle tombe douloureusement sur le genou! T se met alors à boiter... Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, son mal ne sera qu'une occasion d'aller voir le kiné!

        Ici, il est curieux de voir comment les femmes font fi de toutes les consignes, dès que leur corps souffre! Le passage quasiment obligatoire par le médecin traitant, avant la consultation chez un spécialiste, est jeté par-dessus les moulins! La femme prend les devants, elle-même médecin, et elle court auprès de celui qu'elle juge le plus capable de lui apporter du bien! Peu importe la dépense... et les dépenses, puisque la sécurité sociale va bientôt être concernée! Quant aux soins, cela va de l'ostéopathe au neurologue, en passant par quelques sorciers!

        L'homme, lui, est plutôt lâche et fuit la vérité médicale, ce qui n'est pas mieux...; mais on peut constater dès à présent que, malgré sa bonne morale, sa fierté citoyenne et de contribuable, T, à cause de son égoïsme et de ses ambitions, coûte déjà plus cher à l'Etat ou à la société qu'un bénéficiaire du RSA, ou peu s'en faut, et ce genre d'analyse devrait être matière à réflexion, car notre avenir ne réside pas dans les éternels débats sur le bon fonctionnement de l'économie... Nous devons saisir les choses tout autrement; c'est sur le sens de nos vies que nous devons nous interroger!

        Toujours est-il que T boite et que ça ne se répare pas... Son calvaire n'est pas fini et ne fait même que commencer! Cependant, après quelques mois et de nombreuses séances de kiné, le genou dorloté va mieux, mais maintenant c'est le dos qui se bloque, qui coince et qui fait mal! Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, elle avait prévu le "coup": il était normal que le corps compensant, il blesse une autre de ses parties!

        Il ne viendrait pas à l'idée de T que c'est sa nervosité, son anxiété et même tout ce qu'elle ne veut pas voir, qui point ainsi à travers ses douleurs..., qui demande à être "regardé" et que cela ne peut pas vraiment se soigner grâce à la médecine! Ce sont d'autres soins dont a besoin T et ils ne sont pas non plus psychologiques!

        De même T voudrait maigrir, pour redevenir séduisante..., mais ce n'est pas possible de manger moins quand on est fatigué, quand on s'épuise! La nourriture est vue comme un renforcement et même tel un anesthésiant, car on ne veut surtout pas se réveiller durant la nuit, alors qu'on a tant de sommeil à rattraper! On se "bourre" donc et le matin, sur la balance, on ne peut que pleurer! Malgré ses efforts, T s'empâte et son corps de plus en plus lourd et de moins en moins souple risque des blessures de plus en plus graves!

        On voudrait aider T, car, on le voit, il lui suffirait de "lever le pied", de prendre du repos, de se détendre! C'est tout à fait possible, puisque T est déjà son propre maître, gagne bien sa vie et paye sans peine ses factures... Moins d'heures, moins de fatigue ne dépendraient que d'un peu plus de modestie dans le train de vie... Le relâchement viendrait avec un autre regard, du recul, mais T est esclave de son égoïsme, de son amour-propre!

        D'abord, ralentir pour T serait senti comme une déchéance, comme un échec! Ensuite, placer le problème au niveau de l'orgueil, de l'égoïsme, serait mettre T devant une réalité quasi insoutenable! Elle serait contrainte de se voir sans fard, dans une lumière trop crue, et le déni et la haine et le rejet s'ensuivraient! La réaction de T serait un mélange de violence, de surdité et on noierait bien vite le poisson, afin que tout revienne comme avant, comme si rien n'avait été dit! L'effort aurait été stérile!

        Cela est d'autant plus vrai que le tyran vit dans une illusion, qui explique son aveuglement, son incapacité à voir simplement la solution et aussi malheureusement le fait que le monde ne change pas ou si peu! Pourquoi aujourd'hui que nous avons tout, confort et démocratie, sommes-nous toujours dans la peine, la souffrance? Mais T se pose volontiers en victime; elle aime préciser que tel jour férié, alors que les autres courent déjà au bal, elle s'astreindra encore à sa comptabilité ou à mener à bien une dernière commande... T aurait pu avoir un papa gardien de phare!

        L'illusion ne permet pas de cerner la réalité, elle la transforme même! Combien de femmes n'ont pas été surprises un jour de se voir désirées par un individu bedonnant et suant, qui n'avait aucun charme? Cette outrecuidance les a désarçonnées plutôt deux fois qu'une, car leur refus a provoqué de la haine et du mépris, chez celui qui a été repoussé et qui de toute façon était repoussant! Mais ceci est aussi valable du côté des hommes, qui sont choqués par les prétentions de grosses ou de vieilles, qui les maudissent devant leur froideur! Quelle n'est pas la force de notre amour-propre, pour nous donner le beau rôle, quel que soit notre état de délabrement!

        Il y a encore des femmes qui parlent comme si elles répondaient à un interview de Marie-Claire! Elles se racontent sous forme de rubriques: travail, famille, amour et elles ont un hobby aussi artificiel qu'une jambe de bois! Puis, pour conclure, elles avouent en riant qu'elles sont heureuses, comme s'il fallait en avoir un peu honte, mais cela souligne aussi combien elles sont malignes et le haut degré de leur réussite!

        Ces femmes n'existent pas vraiment et elles sont sous les apparences perdues... La vie n'a rien du papier luisant et des photos chaudes des magazines! Mais combien d'hommes ne gardent pas une âme de Matamore et ne rêvent pas, pratiquement éveillés, de se débarrasser d'une bande de voyous, en frappant promptement et efficacement; tandis qu'ils sont déjà essoufflés à se tenir debout, au-dessus de leur bedaine et la clope au bec!

        Le tyran est un petit roi ou une petite reine qui partout installe son univers! Il dispose sa dinette et les autres doivent se mettre au diapason, c'est-à-dire qu'ils vont éprouver la domination du tyran et donc la "forfanterie" de son illusion! Par exemple, dans le TER, un homme au centre du wagon fait claquer ses chaussures, pour bien montrer le poids de sa présence et attirer l'attention! Puis, assis, il déplie vigoureusement son journal, en arborant au bout de ses jambes croisées la propreté impeccable de ses chaussettes et le vernis brillant de ses souliers!

        "Voilà un homme!", devrait-on se dire, car le tyran ne craint pas le ridicule et veut des admirateurs! De même, une femme dans son coin nous invite à suivre chacun de ses gestes... Elle secoue ses cheveux, elle enlève lentement son écharpe, découvrant un peau couleur de neige; elle étend un pied qu'elle veut le plus mignon du monde! Elle cherche à devenir le centre d'intérêt, comme notre lecteur de journal, et tous deux ne perçoivent le monde que pour l'asservir!

        Le sage, au contraire, ne voit plus les autres à travers le prisme de sa domination, car il n'en désire plus aucune! Ce n'est pas qu'il trouve ses voisins a priori sympathiques, loin de là! Mais il les considère comme des êtres propres, avec leur singularité! En un mot, il les respecte et il n'exerce pas sur eux son pouvoir, ce qui fait qu'il est dépourvu de haine à leur égard! La réalité du sage n'est pas une bulle constituée par l'amour-propre; c'est une charpente infinie bâtie par les lois de la sagesse! Et puisque c'est une affaire de logique, il devrait être permis à chacun d'y accéder!

        Cependant, le cas de T n'a rien d'exceptionnel; c'est au contraire celui que l'on rencontre le plus souvent, c'est en fait le schéma type du tyran! Il se débat dans la nuit et se détruit! Certes, T doit parfois éclater en sanglots, juger que c'est trop dur: elle craque, comme on dit, et elle a bien été un être humain à une certaine époque! Une jeune fille aimable et serviable apparaît par moments dans sa personne, mais d'une manière bien trop fugitive et l'égoïsme reprend vite le dessus!

        Ainsi, que les tyrans se heurtent à un mur, jusqu'à disparaître, serait somme toute mérité, mais le problème est que nous vivons "ensemble"! Ce sont les autres qui créent notre environnement et celui-ci exerce forcément sur nous une pression! Or, le tyran est comme le désert autour du puits, alors que le sage est l'inverse! L'"empreinte" psychologique du tyran est terrifiante: elle est pour l'esprit comme une centrale à charbon pour l'azur!

        Le tyran vide incessamment, il perturbe, il blesse, il écrase! On a beau être aimable avec lui, pour l'amadouer ou l'apaiser, il prend cela pour de l'intérêt et redouble d'égocentrisme! C'est de nouveau de lui qu'il parle, c'est de nouveau de ses grandes qualités dont il est question!

        Le tyran ne sort pas de ce comportement; il ne comprend pas qu'il répète les mêmes erreurs; il est comme enfermé, et le lendemain rien d'étonnant à ce qu'il soit encore plus maussade, plus mal! Mais c'est la faute des émigrés, dira-t-il, et le sage s'en va, impuissant et quelque peu écœuré (même si certains émigrés sont eux-mêmes des tyrans!)!

        Le corps de T finira par céder, apprendra-t-elle à partir de là?

  • Aphorismes

    Aphorismes

     

     

     

     

        La matière est infinie, comme la beauté!

        Créer, c'est se libérer, être soi!

        Faire le mal, c'est se comporter comme les animaux!

        Le mal est le triomphe de soi!

        Le tyran ne peut vivre seul: s'il n'a pas de public, il fera des victimes!

        Le tyran a du dégoût pour tout ce qui n'est pas lui!

        La violence est toujours issue de l'égoïsme!

        La colère soulage l'égoïsme; la haine le nourrit!

        Le tyran se reconnaît à la vivacité de son amour-propre!

        Le succès pour le sage, c'est d'être heureux!

        Le sage n'est ni dominant, ni dominé!

        Le sage ne peut pas perdre, parce qu'il ne veut pas vaincre!

        Le tyran peut prendre la patience du sage pour de la faiblesse!

        Soyez curieux des autres!

        Qu'est-ce qui est infini et gratuit? La beauté!

        Extrême pauvreté de la psychanalyse!

        Le sage a l'éternité devant lui!

        Le vrai est ce qui reste!

        Les morts détestent les vivants!

        La pire façon de lutter contre l'angoisse, c'est la haine!

        Plus le sage avance et plus il est doux!

        Le sage maîtrise sa peur; le tyran connaît des angoisses atroces!

        L'homme est un animal habillé!

        Tout doit servir le tyran!

        Le tyran bâille quand il est question des autres!

        Le sage échappe à toute tyrannie!

        Il ne faut pas confondre: "Pars en Chine!" et parenchyme!

        Le tyran hait le bonheur, car le bonheur ne s'occupe pas de lui!

        Je ne crois pas du tout à l'équilibre des autres!

        Notre quotidien est une façade!

        Plus l'homme est immature et plus la beauté lui est secondaire!

        La paix intérieure ne se soucie pas de l'étiquette!

        Le sage ne demande pas qu'on l'admire!

        La satisfaction du tyran est toujours fugitive!

        L'inquiétude fait hausser les épaules du sage!

        Les tyrans ignorent le ciel!

        Les tyrans sont toujours en chasse!

        La tyrannie n'a pas de sexe!

        Rien n'est plus facile que d'être un tyran: il suffit de suivre son égoïsme!

        Le tyran ne comprend pas la nature, car elle ne le salue pas!

        Le sage repose; le tyran épuise!

        L'art, c'est l'esprit des choses!

        Le tyran cherche l'affrontement!

        L'artiste est une abeille sur le miel de la beauté!

        Le sage ne se blesse plus!

        Nous ne pouvons plus rouler la nature comme un vieux tapis!

        Le tyran a sa clochette, qui dit: "Je ne prends pas de plaisir!"

        Incroyable naïveté de la science!

        Si seulement un scientifique savait regarder un grain de sable!

        Le tyran trouble, le sage éclaire!

        L'art est une conquête de soi!

        Dès qu'un homme parle d'urgence, il est suspect!

        L'art est l'arme de l'artiste!

        Il ne faut pas confondre: "Je ne sais pas, coiffeur!" et "Je ne sais pas quoi faire!"

        Plus l'égoïsme est fort et plus les inquiétudes sont fortes!

        La peur conduit à l'agitation!

        Le tyran est malade!

        Enchantons-nous!

        Le temps n'existe pas!

        Tout angoisse vient d'un manque du sentiment de soi!

        La haine est un luxe!

        Ralentir le temps, c'est se débarrasser de ses inquiétudes; c'est échapper à toute tyrannie!

        La paix, c'est la liberté de l'esprit!

        Le tyran n'aime pas le bonheur des autres; le sage, lui, s'en réjouit!

        Saisir le moment présent, c'est saisir ce qui est intemporel; c'est accéder à l'éternité!

        Le tyran se moque de ce qu'il ne connaît pas!

        Le sage effraie le tyran!

        Le tyran ne cherche qu'à dominer, c'est là la source de son équilibre!

        La femme domine par sa séduction!

        Le tyran a besoin du sage, mais nullement l'inverse!

        Le sage accepte d'être pauvre, c'est comme ça qu'il apprend!

        Le tyran est comme un piège à loup!

        La guerre vient essentiellement de l'orgueil! L'amour-propre a tué des millions de gens!

        La sagesse est la plus grande exploration!

        Le tyran saute sur la faiblesse!

        Le tyran est un bébé adulte!

        Le sage est lucide, le tyran vit dans son monde!

        Le sage aime le temps!

        Le tyran est en représentation constante!

        Il ne faut pas confondre: "J'ai des pensées!" et "J'ai dépensé!"

        Le tyran ne pardonne pas!

        Le tyran vide!

        Le tyran sollicite instamment le sage!

        Le tyran croit que la société n'est pas une création; il ne sait pas que la mort existe!

        Le tyran est sourd: il veut qu'on répète ce qu'on vient de dire!

        La patience du sage est le gage de sa sincérité!

        Le tyran est serviable pour se faire remarquer!

        Le tyran est avare comme un gouffre!

        Le tyran ne peut vivre sans esclaves!

        Le tyran n'aime pas le talent des autres!

        Le sage connaît le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le sage s'amuse, la tyran souffre!

        Le sage est innocent, le tyran a des responsabilités!

        Le sage est un enfant, le tyran un adulte!

        Le tyran n'évolue pas, le sage n'en finit pas de grandir: c'est là son bonheur!

        Le tyran déteste la liberté du sage!

        Le tyran est comme un cochon dans sa soue!

        Le tyran n'aime que le sang!

        Le sage voit le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le tyran ne sait que parler de lui! C'est à cela que lui sert le malheur des autres! C'est la raison de sa compassion!

        Tout ce qui est grand irrite le tyran!

        La jalousie rend le tyran cruel!

        Le sage vit parmi les tyrans comme parmi des marionnettes!

        Le sage surprend le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le monde appartient au sage, ce que le tyran ignore!

        Le tyran vit comme une taupe, jusqu'au bout!

        La matière est infinie, comme la beauté!

     

  • Le défi

    Le defi 3

     

     

     

     

        Nous allons expliquer comment se fondent les nations, car, malgré les nombreux événements qui les secouent, leur logique est simple et nous comprendrons alors quel défi attendent la nôtre et toutes celles qui lui ressemblent!

        Mais, comme je l'ai déjà dit ailleurs, l'histoire de l'humanité ne prolonge d'abord que celle des animaux! Les premiers groupes d'hommes s'organisent autour d'un individu dominant, d'un chef et nos sociétés sont toujours sur ce modèle; sauf que le plus grand nombre a de plus en plus de pouvoir; c'est ce que nous appelons la démocratie!  

        Mais cela veut aussi dire que chacun de nous veut se développer! Nous continuons en cela une individualisation commencée par la complexification de la matière et la sélection naturelle! Plus les organismes sont complexes et plus ils sont individualisés et c'est l'individu le plus fort qui se reproduit! Mais, on s'en doute bien, les démocraties ne se sont pas installées facilement!

        Une nation, c'est un pays avec des frontières bien définies! Il faut donc d'abord unifier le territoire! Une tribu arrive à vaincre la voisine et elle étend ainsi sa domination! C'est une histoire très mouvementée et très compliquée qui commence! On avance, on recule, on s'allie, on est envahi, on repousse! Mais, enfin, un royaume finit par s'imposer dans le manteau d'arlequin!

        On continue tout de même à regarder la carte d'un air rêveur; on imagine des conquêtes; on n'en a jamais assez et finalement on déclare la guerre! Cela ne peut durer indéfiniment, car cela coûte cher et on se lasse de tout! On signe des traités et la situation se stabilise! On pourrait s'ennuyer dans une Europe en paix, mais il y a un autre jeu: on prend un bateau pour planter son drapeau sur une terre lointaine, avant de l'exploiter! La mondialisation n'est qu'une suite logique!

        Cependant, même quand une nation a gagné son nom, elle reste assise sur son "volcan intérieur"! En fait, le problème se pose à chaque fois que des individus jugent que leur développement est devenu impossible, qu'ils sont dans une impasse et en 1789, en France, le peuple est devant un obstacle infranchissable, qui s'appelle la noblesse héréditaire! C'est donc la révolution, la violence se déchaîne et on coupe la tête des anciens dominateurs, ce qui est aussi symbolique!

        On déclare que tous les hommes sont égaux et les révolutionnaires condamnent et exécutent même ceux d'entre eux qui à leur tour semblent des chefs! On ne comprend pas que tuer rend inévitablement dominant! C'est sans issue et c'est une terreur sans fin! C'est une situation chaotique qui ne peut s'éterniser, car nous avons besoin de stabilité et le pouvoir qui succède aux révolutions est généralement despotique, comme pour faire oublier la peur de l'inconnu!

        En France, c'est Napoléon qui va créer son empire; en Egypte, c'est Sissi qui étend sa main de fer, et en 1940, ce sont même les Républicains qui cèdent les "clés de la maison" à Pétain, tellement le choc de l'invasion allemande leur a rendu la liberté effrayante! L'autorité rassure, avant qu'elle ne devienne insupportable!

        Toujours est-il que ceux qui ont perdu leurs privilèges veulent les récupérer! Ainsi, quand le Premier Empire s'écroule, les nobles reviennent, mais pour "flairer les restes", tels des coyotes, car les choses ne seront plus comme avant! Des droits ont été acquis! Des vérités ont été sonnées! Il faut cohabiter avec le peuple! Et sur la Restauration et la Monarchie de juillet flotte l'ombre de la Révolution!

        Mais entre les dominants et les dominés, le rapport de force évidemment continue! C'est à qui prendra le pouvoir! On se bat régulièrement, comme un poussin donne des coups de bec contre son œuf! Car la République, ce n'est pas la justice! Mais c'est la possibilité pour chacun d'exister! Un homme est libre quand tous les autres peuvent commander! C'est un paradoxe!

        Enfin, la monarchie, incapable de s'unir et de faire des concessions, disparaît à jamais! Un président de la République est élu, aux idées libérales semble-t-il, Louis-Napoléon Bonaparte! Un coup d'Etat saisit tout le monde et le Second Empire paraît une nouvelle nuit! Pourtant, telle une eau souterraine, la liberté poursuit son travail inexorable et le despote, souffrant de la maladie de la pierre, ne cessera de lâcher du lest!

        Après le désastre de Sedan, la Troisième République se donne une existence légale et on ne reviendra plus en arrière, sauf au moment de Vichy! Mais la route doit être totalement dégagée et il y a encore une chaîne! C'est la religion! Elle domine les âmes! De quel droit? On va chasser l'Eglise et installer un état laïque! Ainsi, l'homme pourra se dresser, maître de lui-même, devant l'Univers!

        Cependant, à cause des alliances, les pays sont comme des engrenages et c'est soudain la Première Guerre mondiale! La République française veut montrer qu'elle "tient sur ses jambes", face aux troupes du Kaiser! Elle souffle en gagnant la Bataille de la Marne! Elle rend coup pour coup à Verdun, mais, malgré son allié la Grande-Bretagne, elle est incapable de mettre KO son ennemi! Il faudra le sang neuf américain et des millions de morts pour la victoire!

        Une question! La domination peut-elle être une fin en soi? Le fascisme et le nazisme semblent dire oui... Nés de la pauvreté, ils ont l'air d'élever l'ensemble, de lui redonner de l'ordre, un sens; chacun apparemment peut y dominer, s'y sentir fort! Mais, au fond, ces régimes n'ont pas de but! Leur seule raison d'être est d'écraser! La paix les angoisse et ils meurent tels des animaux enragés dans la jungle, en se heurtant à plus forts qu'eux!

        C'est l'échec du culte de soi, du sentiment de sa supériorité, de la termitière humaine! d'autant que Mussolini et Hitler ignoraient ce qui aurait pu les rendre heureux; comme tout un chacun d'ailleurs! En effet, nous murmurons, nous grognons, nous sommes insatisfaits, mais nous ne voulons pas vraiment comprendre pourquoi! Notre question devrait être: que recherchons-nous exactement?

        En tout cas, la fin de la Deuxième Guerre mondiale crée une véritable onde de choc autour de la planète! Les empires coloniaux se désagrègent! Tout le monde réclame son indépendance! Les "maîtres" ont vacillé et on se rend compte combien les choses sont mouvantes! C'est un réveil national, une révolte, une libération plus ou moins violente! En Indochine, la crème de l'armée française est anéantie à Diên Biên Phu, car le gouvernement est désorienté et c'est pourquoi on rappelle de Gaulle au pouvoir, pour traiter le cas de l'Algérie!  

        Un nouvel ordre s'installe, symbolisé par l'ONU! Toutes les nations y ont maintenant droit au respect! Les plus puissantes y ont malgré tout un pouvoir privilégié, car d'abord elles ont créé l'organisme, elles sont les payeurs, mais aussi, en cas de conflit, elles se sentent obligées d'intervenir et on peut dire que la force donne le rôle d'arbitre!

        En mai 68, l'individualisation des Français franchit une nouvelle étape! Une génération, qui n'a pas connu les privations de la guerre, bouscule et défie l'autorité! Ce qu'elle veut? Mais tout! Un air neuf souffle sur le globe! Il contient du rock and roll, du sexe, de la drogue, des attitudes provocantes!  Les salariés aussi ont des revendications! Le monde moderne profite de sa stabilité et on pense qu'il n'y a plus de règles!

        Plus près de nous, l'Empire soviétique finit, lui aussi, par tomber! Le communisme voudrait le meilleur pour le plus grand nombre, mais, comme toute idéologie, il est un frein au développement personnel! Il nie en fait la nature de l'homme, son besoin de s'imposer! Il provoque donc l'injustice et la corruption, qui sera sa rouille! On salue sa fin sur les ruines du mur de Berlin!

        Le Printemps arabe surprend l'époque contemporaine! Des peuples, qu'on croyait totalement étouffés par des tyrans et la religion, se décident enfin à secouer leurs chaînes! Le monde entier, avec des yeux admiratifs, assiste à leurs efforts! On se dit: "Ce sont des hommes comme les autres! Eux aussi veulent le confort et la possibilité de s'épanouir!" On déplore l'échec de certains, mais la faille s'est ouverte et elle s'élargira tôt ou tard!

        Malheureusement, il y a de vifs retours en arrière; le 11 septembre est là pour nous le rappeler! Il y a toujours des hommes qui croient pouvoir asservir les autres, comme si Allah, en l'occurrence, n'avait pas voulu le bonheur de chacun! Est-il sensé de donner l'ordre d'aimer? Folie et peur de l'avenir se mêlent dans l'esprit du fanatisme, qui pourtant, comme toutes les dictatures, a déjà perdu la partie!

        Car on comprend bien la logique qui nous mène! Notre égoïsme est la base de nos personnalités et s'il désire vaincre, il ne supporte pas lui-même le moindre obstacle! C'est lui qui produit la tyrannie et qui en même temps s'en défend! Dans ces conditions, le méchant ne peut survivre; il se crée son propre adversaire: c'est l'orgueil qui régule l'orgueil! Ce qui fait le ferment de nos existences est en effet une arme à double tranchant: c'est une force, mais qui peut être destructrice! En tout cas, seule au bout du compte, la liberté est victorieuse!

        D'ailleurs, avec ce que nous savons à présent, il doit nous être possible de comprendre la situation d'un pays et de prévoir, dans la mesure où c'est possible, son avenir! Il suffit de chercher en lui les individus qui seraient les plus contraints, les plus nombreux à penser qu'ils sont victimes d'injustices! Les troubles viendront d'eux et en France, on se tourne plutôt vers la jeunesse et en particulier vers celle qui est d'origine étrangère, car elle est encore moins bien traitée que l'autre!

        La différence suscite inévitablement en nous de l'inquiétude et de l'hostilité; c'est l'animal soucieux de sa survie qui parle! Il est donc naïf de croire que le racisme n'a pas de racines réelles! Bien au contraire, il est la pente! D'ailleurs, toute une France voudrait résoudre le problème par le rejet! C'est le soleil de l'égoïsme! Mais c'est oublier notre histoire et notamment les Sénégalais morts dans le froid des tranchées, ou les Marocains se sacrifiant lors de la Campagne d'Italie (printemps 44)! Une chose est sûre: il faut qu'on se regarde avec respect!

        Mais puisque nous vivons a priori aujourd'hui dans des démocraties, quel pourrait être notre prochain grand défi, le seul peut-être qui ferait de nous des hommes à part entière, car vouloir être le plus fort, même si c'est pour gagner sa liberté, n'est pas notre invention! Considérons les choses... Tant que nous n'étions pas égaux, tant que nous rencontrions de l'oppression, il était normal de croire que notre bonheur dépendait de l'obstacle et nous sommes toujours enclins à nous trouver des ennemis: c'est ce qui nous est le plus facile et en tout cas, cela nous évite de nous sonder au plus profond!

        Pourtant, l'expérience nous enseigne d'elle-même! C'est une source de sagesse! Que nous dit-elle sinon que notre domination, le moteur de notre développement, ne peut être satisfaite! Nous voulons triompher, mais les autres aussi! Nous voulons être admirés, nous sentir importants, mais les autres aussi! Qui dans ces conditions pourra être spectateur, sinon ceux qu'on forcera de l'être? A quel prix sera maintenu notre équilibre? Quelle ration de bravos ou de louanges nous sera nécessaire?

        De combien de mépris et de haine n'accablerons-nous pas ceux qui nous échappent, qui nous résistent? Sur combien de corps devrons-nous passer, pour garder le sourire? Quelle rancune ou quelle jalousie ne nous habitera-t-elle pas? Quel bouc émissaire ne trouverons-nous pas? Quel crime nous fera-t-il reculer? Ne vaudrait-il pas mieux comprendre que notre égoïsme est une impasse? Ne vaudrait-il pas mieux donner à notre croissance une direction nouvelle?

        La sagesse commence à miroiter au fond du verre... Elle n'est pourtant pas une sirène aux accents faux! Pour que l'homme trouve son originalité, il doit se tourner vers l'esprit... La liberté, la vraie! la joie, le bonheur, c'est s'affranchir de son amour-propre; c'est d'en rire, d'en être le maître!

        Ce n'est plus être le plus fort, mais le plus disponible! Ce n'est plus être le point de mire, mais celui qui regarde, qui considère! Ce n'est plus être inquiet pour réussir, c'est au contraire être tranquille dans sa défaite! Ce n'est plus être celui qui parle et qui revendique, mais celui qui se repose et qui rêve!

        Le futur, ce n'est pas le bruit, l'agitation, l'invective! Le plaisir, ce n'est plus courir et s'imposer, mais c'est la douceur et la beauté! La progression n'est plus verticale, pour gagner la tête, mais elle est horizontale, dans l'extension de la connaissance! Il ne s'agit plus de marcher sur l'autre, pour prouver notre valeur, mais au contraire être à côté de lui, comme si nous étions égaux!

        On ne rayonne que dans la paix! C'est l'individualisation suprême!

  • Des convictions

    Des convictions

     

     

     

     

         Voici ce qu'écrit le journaliste Henri Rochefort, dans le journal L'Intransigeant, le 18 octobre 1898, à propos des membres de la cour de cassation, qui pourraient se prononcer en faveur de la révision du procès Dreyfus: " Qu'un tortionnaire leur coupe les paupières et qu'on fixe sur le globe de l'œil des araignées venimeuses pour qu'elles rongent la prunelle et le cristallin de ces aveugles hideux, qui seront entraînés à un pilori, devant le palais de justice où s'est commis le crime, avec sur la poitrine cet écriteau: Voici comment la France punit les traîtres qui essaient de la vendre à l'ennemi!"

        Quelle haine! Elle est si hargneuse qu'elle perd de l'efficacité et qu'elle révèle plutôt une impuissance! Mais là n'est pas la question... Demandons-nous par contre qu'est-ce qui crée une telle aversion, car l'affaire Dreyfus ne touche pas personnellement notre journaliste; ce n'est pas comme si on lui enlevait sa gamelle ou lui marchait sur le pied! D'ailleurs, à cette époque, toute la France sera coupée en deux, entre dreyfusards et antidreyfusards, et des familles s'en trouveront même déchirées!

        Bien entendu, l'affaire Dreyfus constitue un sommet dans l'histoire des troubles qui agitent l'opinion, mais incessamment l'actualité et l'environnement en général nous interpellent et nous conduisent à nous faire une idée, à prendre un parti; même si cette opération est le plus souvent inconsciente et ne se révèle que quand nous heurte une vision opposée à la nôtre!  Mais ainsi s'établissent en nous des convictions et comprendre comment elles fonctionnent va nous permettre de cerner notre évolution et peut-être même la nature du génie!

        Mais d'abord il convient de regarder l'origine de nos convictions et ici, si nous étions sincères et de bonne volonté, nous aurions de quoi calmer tous nos emportements et méditer! Une occasion nous serait donner d'être plus sages et plus conciliants avec les autres, car ce qui fait le ferment de nos convictions n'est rien d'autre que notre milieu familial, que nous n'avons pas choisi! A priori donc notre pensée n'est pas le fruit d'une réflexion personnelle, mais elle est un héritage, un façonnement dû aux parents, et notre vérité dépend avant tout du quartier qui nous a vus naître!

        En France, on peut parler de deux sensibilités politiques, la droite et la gauche, qui viennent d'une très longue histoire! La droite est essentiellement conservatrice, car elle est issue de la noblesse, l'ancienne classe des privilégiés et des nantis, qui, on le comprend bien, ne voyait aucun intérêt au changement! La droite est encore fondamentalement croyante, toujours à cause de son passé, car la royauté avait besoin de l'approbation du culte et tous deux se partageaient le pouvoir, avant de trouver la même chute!

        Mais, aujourd'hui, la droite reste l'image des convenances! Elle est gardienne des bonnes manières et parle volontiers de morale! Elle paraît responsable, car ses rapports avec l'argent sont toujours très sérieux et elle veut donc porter l'étendard de la stabilité! Mais elle symbolise aussi l'égoïsme, le confort étriqué de la petite bourgeoisie... et dans son extrémisme, elle se montre nationaliste, résolument hostile à l'élément étranger, ce qui est le signe d'un comportement rétrograde!

        Par opposition, la gauche est née du cri du pauvre contre le riche, du peuple contre son oppresseur! C'est sa colère qui provoque la Révolution, qui coupe les têtes! C'est sa soif de justice qui déclare que tous les hommes sont égaux! C'est sa rage, son obstination qui installent légalement la République, par la constitution de 1875! C'est encore sa haine qui sépare l'Eglise de l'Etat, car elle exècre et craint tout à la fois tout ce qui pourrait la ramener vers l'Ancien régime! C'est la championne de la laïcité!

        La gauche représente traditionnellement la liberté, la culture, le progrès! Mais de nos jours elle combat difficilement l'hégémonie du libéralisme, d'autant qu'elle a gardé la réputation d'être une mauvaise gestionnaire, et bien souvent elle n'apparaît plus que comme le garde-fou de la droite! Cependant, radicale, elle n'est pas moins violente que celle-ci! Sa mémoire est pleine de sang et à vouloir défendre l'individu, elle l'a écrasé sans remords! Cela semble l'écho éternel d'une vengeance!

        Ainsi sommes-nous plutôt de droite ou plutôt de gauche, selon notre enfance, et nous devrions encore davantage nous méfier de nos préjugés, car la politique ne cesse d'évoluer! La mondialisation a tellement réduit la marge de manœuvres des gouvernements que les partis s'uniformisent, au point de disparaître! Ce phénomène a profité, il y a peu de temps, à une personnalité hybride, le président Macron, qui normalement a un esprit de gauche, avec des manières de droite; à moins que ce ne soit le contraire! Quoi qu'il en soit, une telle situation ne peut pas ne pas faire évoluer nos convictions, ce qui explique encore moins qu'elles puissent être haineuses!

        Mais ici nous pénétrons dans un univers plein d'immondices, qui a totalement échappé à papa Freud! Soudain, il fait nuit et inquiets, nous entendons des murmures et peut-être aussi des gémissements! Puis, c'est le silence! Une pâle clarté se voit tout de même et nous nous dirigeons vers elle... Nous découvrons une statue, au visage imposant et qui regarde devant lui! Autour, nulle présence... Nous sommes seuls! Nous nous raclons la gorge et nous crions: "Oh là! Y a quelqu'un?"

        Mais seul l'écho nous répond, ce qui rend notre appel d'autant plus lugubre! Notre isolement est tel que la tristesse nous envahit, que la peur nous taraude! La panique n'est pas loin! Si on ne se reprenait pas, on se mettrait à demander pardon à la statue! Ce serait plus fort que nous! comme si son impassibilité contenait un muet reproche! On pleurerait, on supplierait, on reconnaîtrait son erreur, on dirait qu'on a été fou, égoïste, méchant et qu'on ne recommencera plus! On se sentirait coupable sans savoir pourquoi! On divaguerait tant la situation est atroce!

        L'indifférence de la statue nous écrase et nous n'en finissons pas de mesurer toute son horreur! Qui a pu construire une telle monstruosité? Peu à peu, nous essayons de comprendre... Nous tentons de pénétrer l'esprit de ses bâtisseurs... Pourquoi ont-ils voulu donner à la statue une pareille hauteur, une telle froideur? C'est de la haine, mais elle est glacée, muette, inaccessible! Si encore le visage exprimait la colère, on pourrait discuter avec lui! Il aurait des griefs et nous des arguments! Il y aurait un débat! ou du moins on pourrait l'imaginer! On inventerait un dialogue, on se défendrait, on existerait!

        Mais la statue interdit cela... Elle nous laisse tranquilles, mais avec un poids, une souffrance! C'est sa présence silencieuse qui nous blesse! Elle nous déteste, c'est certain, mais tout son marbre le nie en même temps! Il nous faut continuer notre route, retrouver notre quotidien, oublier ce cauchemar! Il reste pourtant une plaie, car c'est un nouvel échec! Encore une fois, nous avons rencontré l'hostilité, la fermeture, la dureté; et le doute, le chagrin, l'incompréhension ou la folie ont gagné du terrain! Là-bas, le vent emporte la poussière du socle de la statue et on peut lire son nom: Le Mépris!

        C'est en effet grâce à lui que nos convictions se défendent le mieux! La haine est une de ses faiblesses! Car elle est encore un sentiment visible, qui nous donne une réalité, bien que nous en soyons la cible! Il est souvent possible de calmer la haine, de la raisonner, mais le mépris, lui, apparemment ne nous considère même pas! Il n'y a aucun échange et celui qui méprise garde donc ses convictions intactes, tout en fragilisant celles de l'autre! Cela est d'autant plus vrai quand c'est un groupe qui méprise un seul individu, puisque bien entendu le nombre fait la force! Or, cette situation est bien celle que la nouveauté éprouve face à l'idée commune et à l'hypocrisie!

        Mais que nous révèle le mépris? D'abord qu'il n'a pas de véritables arguments! S'il en avait, il serait bien trop content d'imposer son point de vue! C'est même cette absence qui le provoque! Car ce que ne veut surtout pas le mépris, c'est reconnaître que ses convictions sont fausses, ce qui entraînerait qu'il perde le pouvoir, au profit de celui dont les convictions sont plus vraies! Le mépris tient donc à son autorité, parce qu'il est ambitieux! Mais il indique encore qu'il n'est ni heureux, ni solide, car épanoui et sûr de lui, il serait curieux de la différence! Il ne verrait aucun inconvénient à apprendre! Enfin, notez que le mépris ne peut exister sans la soif de dominer et qu'il signale donc le tyran!

        On peut rajouter que plus une conviction est nouvelle, plus elle heurte les anciennes et plus elle rencontre hostilité, haine et mépris! Au fond, cette réaction ne fait que prolonger celle de l'animal à l'égard de toute différence! Mais prenons l'exemple fameux de la théorie de l'Evolution...

        Elle porte un coup décisif à l'anthropocentrisme; les religions apparemment s'écroulent! Soudain, nous voilà le fruit du hasard et il faudra toute la pensée de Teilhard de Chardin, pour justement utiliser l'Evolution comme un vaste développement de la matière jusqu'à la conscience! Aujourd'hui, ce que contient la théorie de Darwin est toujours si explosif que la situation ressemble beaucoup à un statu quo! Nombreux sont ceux qui restent aveugles et sourds, méprisant sans l'admettre!

        Il ne faudrait surtout pas croire qu'une théorie scientifique s'impose par la preuve! Ce serait montrer une grande naïveté! Actuellement, il est toujours impossible de savoir si les OGM sont nocifs ou non! Les chercheurs qui leur sont favorables s'opposent aux chercheurs qui leur sont contraires! Ce sont les intérêts et donc les convictions qui l'emportent! Wallace, qui avait pourtant été l'un des pionniers de l'Evolution et qui avait même inventé le mot darwinisme, s'est par la suite rétracté! C'est son sentiment qui l'a conduit à cette volte-face et il ne serait sans doute pas exagéré de dire que la science progresse faute d'adversaires!

        Mais cela sous-entendrait encore que l'humanité évolue malgré elle! Comment serait-ce possible?

        Si on explique le génie, qui est la conviction éminemment nouvelle, par l'autisme ou la schizophrénie, on peut se demander pourquoi l'idée d'un malade, d'un inadapté devient celle de la majorité, alors que dans l'Evolution il est bien question d'adaptations! On cherche le mieux et non le pire! Mais sans doute faut-il voir dans cette hypothèse de la science une nette distinction entre le génie scientifique et artistique... et ce ne serait pas la première fois que ce mépris s'affiche: papa Freud en a même abusé! Mais encore une fois croire que la science convainc par la preuve est une joyeuse illusion! 

        Il pourrait exister une autre hypothèse, bien plus intéressante et aussi bien plus vertigineuse! Mais, comme je ne suis pas un scientifique, nous resterons bien entendu sur le seul plan de l'idée! Enlevons quand même la bonde!

        Et si le génie trouvait son origine dans une mutation génétique! Etudions ce principe, avant le tollé de la science!

        D'abord, il faudrait reconnaître que l'Evolution continue essentiellement en nous, et même à une puissance exponentielle! Certes, les animaux poursuivent leur route, mais ils ont vraiment l'air de vieillards ou d'automates, au regard de nos transformations, même si leur histoire et donc la nôtre se compte en millions d'années!

        On peut admettre que c'est notre conscience qui connaît aujourd'hui les principales mutations! Comment, puisque nous avons tous le même cerveau à la naissance? Mais c'est en premier notre sensibilité qui nous informe sur le monde; notre compréhension en découle... Mais d'où vient-elle?

        Ce n'est pas à moi d'y répondre... Mais si le génie est un fruit de la nature, alors il devient normal qu'il finisse par s'imposer, malgré les mauvaises volontés! Car au fond il ne serait que le germe d'une meilleure adaptation! (Cela conduirait par ailleurs à ce que la dérive génétique n'existe pas... et le sujet dépasse bien entendu mes pauvres méninges...)

        En tout cas, il reste pour l'instant inexplicable qu'un individu se batte contre vents et marées, qu'il essuie tout le mépris de la terre, pour ce qu'il croit être la vérité, qu'il en meure même, jusqu'à ce que la postérité lui donne raison et que son idée devienne celle toute le monde, comme s'il en avait toujours été ainsi!

        L'hypothèse que le génie est une nécessité de la nature expliquerait bien d'autres choses..., notamment que "les yeux sont la lampe du corps"! Plus nous sommes égoïstes et plus nous luttons contre notre maturation, car nous nous attachons à notre vie animale, au détriment de notre raison... Nous luttons donc contre l'Evolution de l'homme, ce qui explique que notre intérieur soit brouillé, fermé; alors qu'il pourrait laisser passer la lumière qui ne demande en lui qu'à se développer!

        L'homme est le seul être qui peut s'opposer à la nature... et nous résistons au bien! Mais aussi folle que puisse paraître cette conception, elle est ma conviction et notez que rien n'est plus difficile que d'avancer dans l'inconnu, autrement dit de "faire le boulot" des autres! Cela conduit à une telle fatigue qu'on se dégoûte soi-même!

  • Du rocher

    Du rocher

     

     

     

     

        "Que d'agitation! que d'agitation dehors!" pourrait-on dire, pour singer Mac-Mahon! De nouveau rugissent les voitures et s'il existait un paradis qui leur était destiné, elles présenteraient à son entrée toutes sortes de souffrances! Certaines refuseraient absolument d'avancer davantage, leur tristesse étant incommensurable! D'autres sursauteraient au moindre bruit: "Vous avez entendu?

        _ Non...

        _ J'ai eu l'impression qu'on commandait mon ouverture et qu'on allait m'étrangler avec la clé de contact!

        _ Voyons, reprenez-vous..."

        D'autres encore seraient figées dans une éternelle grimace, qui les ferait ressembler grossièrement à un jet! N'oublions pas non plus les grises toussotant, moribondes, victimes du tabagisme passif!

        Mais l'énervement n'est pas seulement limité au trafic, on le retrouve aussi par exemple chez les étudiants, dont c'est la rentrée! Pour beaucoup, c'est l'occasion de boire et de faire la fête, comme on dit... et pourtant cela se passe toujours de la même manière, qui est profondément décevante!

        D'abord, c'est l'euphorie, causée par les premiers verres... On est volubile, tout scintille, tout paraît possible: on a des ailes de géant! On respire enfin! Envolées toute la lourdeur du quotidien, ses restrictions, ses angoisses qu'on ne comprend même pas!

        Mais l'effet de l'alcool se dissipe... Qu'à cela ne tienne! On "remet" ça, on reprend une nouvelle dose! alors qu'on sait déjà qu'on est ivre et qu'on n'a plus le contrôle de soi! Le bonheur disparaît, le froid revient... Au milieu de la nuit, on erre, on braille, on devient agressif, on fait peur! Puis, on se couche inconscient...

        Ce n'est pas grave: la semaine suivante ou même quelques jours après, on sera de nouveau le roi ou la reine du monde! On jacassera encore le verre à la main! Le rêve nous fera des yeux doux! La liberté gonflera nos voiles! C'est Icare au bar, qui malgré tout jette sa gourme!

        Mais c'est encore la rentrée de la télévision et du monde littéraire! qui sont forcément liés, pour des raisons de promotion, parce que des "écrivains" sont aussi chroniqueurs et vice versa; et parce qu'enfin ce sont les idées, la culture et les personnalités qui sont apparemment au pinacle!

       Mais dans cette sphère que de hargne, de férocité, de mesquinerie, de bassesse! On s'y blesse cruellement! L'amour-propre suffoque, gémit, mord à son tour, s'épuise, désespère, puis disparaît! Seuls les morts y survivent! Et pourtant cela fascine et paraît symboliser la vraie réussite: la célébrité ne confirme-t-elle pas notre valeur, n'apaise-t-elle pas notre soif douloureuse d'être, de dominer; ne rend-elle pas l'existence scintillante; ne suscite-elle pas notre jalousie?

        L'anonymat n'est-il pas au contraire la nuit, et même la province? Car au fond tout ne se passe-t-il pas à Paris? Toute l'histoire de notre pays ne s'est-elle pas créée dans la capitale? La cour et son faste; la révolution et sa violence; la Commune et ses fusillés; la République et ses débats parlementaires! Ceux qui y vivent ne sentent-ils pas cette énergie, n'en sont-ils pas fiers?

        Certains règlent le problème en haïssant Paris, mais ce n'est pas la solution... et à mesure que l'automne s'installe et que nos forces, telle la sève, refluent, notre rayonnement lui aussi diminue et nos projets s'échappent! Le doute alors nous pénètre et le trouble nous envahit! Nous tournons en rond... Un rien nous impatiente! Notre colère est là et nous fait bouillir! Notre équilibre est menacé!

        D'abord, en faisons-nous assez? Apparemment non, puisque rien ne bouge! que tout est toujours pareil! les mêmes murs, les mêmes revenus, les mêmes limites, les mêmes voisins, les mêmes nuisances, les mêmes soucis, les mêmes questionnements, sans fin! On est Jérémie sous le ciel gris!

        On sait bien que cela n'est pas vrai... En fait, beaucoup de choses ont eu lieu en nous et autour; on s'est transformé avec la force du printemps et durant la belle saison! On a dit certaines vérités, on a pris du volume, on a grandi, on a vieilli aussi... On a appris et on n'est plus le même, cela ne fait aucun doute, mais qu'importe, notre amour-propre souffre de nouveau!

        On a l'impression d'être laissé-pour-compte! d'autant qu'on le voit, c'est la médiocrité qui est récompensée! C'est elle qu'on entend, qu'on écoute, qui est saluée! Comment prendre au sérieux des émissions comme ONPC, SLT ou TPMP! Comment peut-on donner de l'intelligence à des crocodiles ou à des perruches! On ferait mieux assurément!  

        Mais justement, ne devrait-on pas se battre plus, s'engager plus? Les célébrités, les hommes politiques, les acteurs de leur temps, tous n'ont-ils pas au moins le mérite d'être entrés dans l'arène? Ne luttent-ils pas? Ne se défendent-ils pas? Echanger des coups, n'est-ce pas difficile, courageux? Rester muet, n'est-ce pas la solution de facilité? Prendre part au "débat" de son époque, n'est pas ce qu'il y a de plus riche, de plus utile?

        Si déjà on était présent sur les réseaux sociaux! si on pouvait y être comme un moineau sur sa branche, en train de piailler! On serait ouvert, actif, épanoui, vivant! Mais on est renfermé, hésitant, lourd... On se soupçonne d'être peureux, timoré... On se voit méprisable et ne reçoit-on pas ce qu'on mérite? Si on se sent prisonnier, c'est qu'on n'a pas la force de s'échapper!

        Alors, c'est décidé: on part pour Paris! On a fait sa valise et on va leur montrer! On va voir qui est qui et qui fait quoi! On connaît quelques prises, quelques coups! On a déjà vécu quelques situation chaudes, on n'est pas le premier venu! Le meilleur de nous-mêmes est prêt! On sera à la hauteur! Ceux qui sont restés au pays pourront être fiers de nous!

        Mais on ne se doute pas de la nature de notre adversaire! A la première occasion d'en découdre, on se retrouve mystérieusement au tapis! On est sonné! On se remet péniblement debout et on frappe fort, mais dans le vide! En face, c'est l'art de l'esquive au suprême degré! On ne comprend pas et on s'acharne, mais c'est en vain: "l'autre" nous glisse entre les doigts et de nouveau il nous martèle la tête!

        Il vaut mieux abandonner et ce n'est que bien plus tard, à l'hôpital, que tout s'éclaire! On ne peut pas lutter contre l'hypocrisie! Elle n'est pas dans notre dimension! Elle fonctionne comme un mirage! Elle est inaccessible, car elle nie ses sentiments, sa réalité! Elle les nie même de toutes ses forces, car il en va de tout son équilibre, de toute sa santé mentale! Confondre l'hypocrisie, c'est mettre le vampire orgueil face au soleil! C'est jouer les icebergs pour le Titanic!

        Ce n'est que parce qu'elle se ment à elle-même que l'hypocrisie existe! Elle est dans son monde! Par exemple, l'hypocrisie ne prend pas de plaisir; elle ne veut pas le pouvoir, elle n'est pas orgueilleuse, ni égoïste! (Elle ne sait même pas ce que c'est!) L'hypocrisie est encore désintéressée, au service, que dis-je! est esclave de l'intelligence!

        Elle est modérée, toute petite, laborieuse; elle ne veut rien sinon la justice, pour les plus pauvres, est-ce haïssable, méprisable, condamnable? Si on l'écoutait, elle s'éteindrait comme une bougie... et on aurait honte d'être un souffle!

        L'hypocrisie ne connaît pas la haine, elle ne saurait s'abaisser à ce point! et pourtant elle tue, méprise, piétine, détruit! C'est la modestie qui assassine! Et d'incroyables lutteurs ont renoncé à la vaincre, tel Jésus notamment! Ou si on veut, on ne peut pas lui faire entendre raison, sans l'exterminer et ce n'est pas le but, n'est-ce pas? Il n'est pas possible d 'être absolument gagnant, à moins d'être un radical ou un extrémiste!

        Or, l'un des grands mensonges du monde médiatique, c'est de faire croire, volontairement ou non, qu'il est heureux, enviable! Réussir, c'est a priori dominer et il faut donc des sujets... et des miroirs! Il s'agit de susciter l'admiration et même la jalousie! Mais ne nous y trompons pas, la situation de ces gens est empoisonnée et ô combien mortelle! Car rien ne vaut la paix de l'esprit, même si elle paraît bien isolée et bien morne! Et ici commence la tactique si palpitante du rocher! 

        C'est un essai pour être pauvre, démuni, éteint, quasiment malheureux! On sonde l'abîme, au lieu de chercher le soleil! On attend... on attend les monstres, ils arrivent! Plus la société s'agite, s'irrite, s'emporte, se montre agressive, arrogante, bruyante, bavarde; plus on devient soi-même inerte, immobile, silencieux, dense, tel un rocher au milieu des vagues! Et on voit passer tous les courants!

        Cela n'y paraît pas, mais on s'ancre véritablement dans la tempête! et on devient un lutteur fantastique! Haïr sur un plateau, trouver un ennemi, c'est facile! Rester sourd à ses démons, à ses tentateurs; leur sourire même, c'est bien autre chose! C'est grand, c'est même immense et cela nourrit incomparablement!

        L'effort est juste de la patience! Tout le monde s'énerve, crie, veut partir, veut des mesures, des actions, que le film commence, que la star se déshabille! Et on reste serein, tranquille, amène, et pourtant les inquiétudes, les peurs, les angoisses frappent à la porte! Si on les écoutait, on prendrait ses jambes à son cou... ou bien on se marierait, avec le chien de la mariée sur le bras; on aurait plein d'amis et on jouerait les confidents, tard le soir, devant des liqueurs! Bref, on ne penserait plus!

        Il y a des peurs plus horribles que d'autres, notamment celles qui concernent la sécurité matérielle! Elles sont pleines de scrofules et vraiment repoussantes! Elles mendient une alarme, une grimace et même une ombre! Mais on leur dit qu'on n'a plus rien et on les repousse gentiment vers la sortie! Elles reviendront! Elles sont a priori inlassables et c'est pour cela qu'on se fortifie en se mesurant à elles!

        Les jours passent et toujours aucun bateau en vue! C'est-à-dire que nulle satisfaction ne vient réconforter notre amour-propre! On murmure, on grince, mais on tient bon! On aime la patience, car elle est le seuil de l'inconnu! Elle est un germe et en nous la nature, qui ne sait pas où se poser ailleurs, se repose, et nous aussi! Ce n'est que quand l'esprit est parfaitement détendu que la bonne idée surgit! Elle est aussi simple, aussi économe qu'efficace! La patience met au jour la nécessité!

        Cependant, on est de plus en plus pauvre... et l'amertume, la colère, l'envie affleurent! On est perdu! Cela devait arriver, à force d'être inactif! Pourtant, même à ce stade, on sait qu'on n'a pas perdu son temps! que la fleur va éclore, qu'on n'est nullement abandonné! au contraire! On est plein sans le savoir! On est riche, mais on l'ignore encore! Déjà notre regard a changé! La haine, ou la folie, notamment, nous montrent leur vrai visage; leurs mots sont inutiles; nous les reconnaissons sans masque!

        L'amour-propre est ce qui nous rassure; le sentiment d'avancer est ce qui nous conduit! Plus notre équilibre en dépend et plus nous avons besoin de satisfactions, de victoires; et plus nous sommes tyranniques, coléreux et durs! Nous sommes alors des fauves, qui doivent chaque jour tuer, dominer, exploiter! Et malheur à ceux qui se trouvent sur notre route!

        Plus on est patient et plus on accepte d'être petit, en apparence... Plus on devient maître de ses cauchemars et plus on devient doux avec les autres! On tâte l'épouvante, quand l'amour-propre disparaît! On devient solide comme un rocher! On s'amuse avec l'angoisse; on développe sa confiance! On hume l'éternité!

        Bien sûr, on voudrait un monde plus juste! être écouté, sentir davantage sa valeur, errer moins! Mais est-ce possible? Veut-on être le roi à la place du roi et être aussi bête et cruel que lui? Parler avec son égoïsme, c'est forcément toucher à l'infini! C'est regarder la mort et fréquenter les étoiles! C'est sentir toute son existence, c'est la peser!

        Pendant ce temps-là, le cheval fou de la haine entraîne ses cavaliers! S'ils sont bâtisseurs, c'est malgré eux! S'ils sont destructeurs, ce n'est toujours pas de leur faute! L'humanité a ses lois et grandit avec ses grappes d'aveugles! Et le vin est plus ou moins bon!

        Si le sage n'est pas heureux, c'est qu'il se trompe! Le tyran, lui, finit par dire que tout est vide! Il n'admire plus le ciel bleu et n'écoute plus la pluie, ni le vent! Le sage prévoyait cette amertume et ne la contredit pas; c'est trop tard! Elle est le sédiment de l'égoïsme et de l'hypocrisie!