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  • De la nécessité

    De la necessite

     

     

     

     

        Nous nous rendons chez notre médecin traitant et la petite salle d'attente, qui a tout de même l'air misérable, est pleine. Pourquoi sommes-nous ici? Oh! Maintenant, on ne dit plus: "Salut l'artiste!", mais: "Salut l'autiste!" Nous traînons en effet des maux d'une histoire qui serait incompréhensible pour la plupart, mais qui pour nous est vertigineuse, infinie, quoique douloureuse... Mais nos peines ne viennent pas seulement de nous; elles sont aussi provoquées par les autres, à cause de leur incurie notamment!

        Mais nous sommes à peu près une dizaine dans cette salle d'attente et pour notre compte, nous allons patienter plus d'une heure... Cette absurdité nous conduira à quelques réflexions... et à estimer d'abord combien de patients sont reçus par notre médecin dans la journée... Disons, pour être sûr, vingt! Dix le matin et dix l'après-midi... C'est sans doute plus, mais même avec ce chiffre, on pourra rester rêveur!

        La consultation est à 25€ et notre médecin gagne donc par jour 500€ (plus qu'un RSA!), soit 2500€ par semaine, soit 10 000€ par mois. Là-dessus, il faut prélever un salaire, un SMIC, celui de la secrétaire, et un loyer, pour le cabinet, qui ne serait pas loin de 800€. Notre médecin peut donc jouir de 8000€!

        Il y a bien sûr les impôts, les taxes, la protection sociale, "tout ce qui arrache les yeux des stars!", mais notre chiffre est plus voisin du minimum que du maximum... Bref, la question est: que fait notre médecin avec une telle somme, alors que d'autres mangent et dorment avec 400€ par mois? Comment peut-on avoir besoin de 8000€ régulièrement? Est-ce par inquiétude? Les nuits sont-elles meilleures sur de l'or?

        Notre médecin est-il pris dans une spirale infernale: s'il arrête de consulter, une bombe éclate dans son cabinet; mais il ne peut rien dire, car on menace sa famille? Est-il un joueur invétéré, maladif? Sait-il que les Russes arrivent et qu'ils vont tout confisquer? Non, notre médecin doit payer son abonnement au club de golf, sa Porsche, la fourrure de sa femme; il doit montrer qu'il a réussi, qu'il est un des nababs du secteur, qu'il existe bel et bien!

        Il rit donc avec un cigare, ou bien il est mythomane! Il s'habille en noir, met ses liasses dans une mallette et se gare dans un parking, où il rêve qu'il remet une rançon, jusqu'à ce que l'aube le réveille et qu'il reparte, toujours aussi embarrassé avec son argent! Non, décidément, nous n'arrivons pas à comprendre comment notre médecin dépense sa "fortune" et sans doute est-ce pour lui secondaire... Avant tout compte le bon fonctionnement de son cabinet, la construction de sa clientèle! Et cette remarque nous amène tout naturellement à nous interroger sur ce qui nous est vraiment nécessaire et qui seul peut nous rendre heureux!

        Par exemple, il n'est pas bon de vivre trop richement ou trop confortablement, car on perd vite de vue l'essentiel! En ce qui nous concerne, lorsque nous faisons de la photographie de paysages, il nous arrive fréquemment de connaître des situations difficiles, voire apparemment inextricables! Nous pouvons être perdu dans des halliers, le corps en sueur à force de nous débattre, alors qu'autour monte le brouillard des champs froids et humides!

        Nous pouvons encore marcher comme un damné, les jambes à moitié disloquées, pour arriver là où nous voulons, au bon moment! Nous fouillons alors dans notre sac, à la recherche de notre matériel, et il nous faut une patience d'ange, car les éléments s'assemblent précisément! Notre rythme cardiaque n'est plus celui du grand sportif qui s'épanouit, mais il devient subitement celui de l'horloger, qui s'immobilise sous sa frontale!

        Puis, quand nous sommes prêt, de la buée vient sur notre filtre! Un grain nous oblige à protéger notre appareil comme un enfant! Un nuage empêche la lumière! On prend conscience qu'on s'enlise! Finalement, on ne déclenche pas! La fête n'aura pas lieu! La lumière n'est pas au rendez-vous! Le bureau des plaintes? Il n'y en a pas! Notre héroïsme, notre sacrifice n'aura aucun témoin! On remballe, c'est tout! Après tous ces kilomètres, tous ces efforts? Affirmatif!

        Mais... mais le ciel se dégage! La photo est encore possible! Tout le monde de nouveau sur le pont! Attention, l'expo? Vert! Le point? Vert! On tire presque la langue! Car le cadrage, c'est tout un art! On vit dans le viseur, on y est comme un chien de chasse, on y renifle tous les coins! On s'y épuise nerveusement, on en devient aveugle, on a la tête de l'idiot du village!

        Mais on range, avec quelque chose dans la boîte! On sifflote sur le chemin du retour! On est un roi! On est riche d'un spectacle gratuit! Des diamants? Il y en avait plein sur la colline! Des perles? L'eau en contenait des milliers! De l'or? On en trouvait des tonnes sur le rivage! Des rubis? Faut demander aux nuages! Des topazes? Des rayons dans la verdure! Idem pour les émeraudes!

        On retourne vers la "civilisation"... De quoi on rêve? Mais d'abord d'une bonne douche, d'un verre d'eau, d'un bon sandwich! Oui, on est heureux..., mais que voit-on dès qu'on retrouve ses contemporains? Des têtes maussades, fermées, dures, dégoûtées, haineuses, méprisantes! Des visages en colère! C'est incompréhensible, incroyable, puéril! C'est désespérant! Mais le bonheur est là, à portée de main! La richesse, elle coule à flots, tout près! Ils ne savent pas! Ils se prennent au sérieux! Mon Dieu!

        Mais avoir du pain, pouvoir en acheter aussi facilement et s'en régaler, mais c'est inespéré, c'est une joie! Prendre une douche chaude, alors qu'on a froid et qu'on est sale, c'est une bénédiction, un enchantement, un paradis! Pouvoir rester assis au chaud, ou au frais, alors que peu de temps auparavant on était en train de se débattre avec la nature et le matériel, mais c'est un plaisir ineffable! On goûte sa tranquillité jusqu'à la "moelle"!

        C'est pourquoi il faut périodiquement échapper à tout confort, s'éprouver, et cela n'est plus possible si on vit tel un cosmonaute dans ses biens! Retrouver le plaisir de choses simples, parce qu'on en a de nouveau besoin, permet aussi de se demander pourquoi on ne peut rester indéfiniment béat, satisfait, ayant étanché sa soif ou calmé sa faim, avec un toit sur la tête! Car, en effet, il nous faut toujours nous remettre en mouvement, l'esprit s'agite tôt ou tard, mais pourquoi?

        Pour le comprendre, nous devons regarder nos amis et ancêtres les animaux! Que font-ils quand ils ne mangent pas, ni se reproduisent? Ils combattent pour défendre leur territoire, pour faire valoir leur dominance! Ils assurent la suprématie de leur individualité! Cela leur est absolument nécessaire, cela leur est fondamental, comme à nous!

        Evidemment, il ne s'agit plus pour les hommes de s'affronter directement dans la rue; la civilisation est passée par là! Mais il n'en demeure pas moins que nous nous mesurons incessamment... Nous nous toisons, nous essayons de dominer l'autre, plus ou moins ouvertement; soit par la force physique, soit par la séduction! La rue est le théâtre d'une perpétuelle joute, qui nous donne une existence, qui nous éprouve, nous valorise ou nous fait haïr, dans le cas où nous nous sentons inférieurs ou méprisés!

        Il en résulte que le plus grand nombre ne voit le monde qu'à travers le prisme de son égoïsme! L'Autre n'existe que dans un rapport de force: ou bien il est dominé, ou bien il est dominant! Le tyran soit écrase, soit maudit! Et si le sentiment de notre supériorité, de notre valeur, se désagrège, disparaît, nous devenons la proie de nos inquiétudes; nous nous troublons, nous souffrons!

        Revenons à l'exemple de notre médecin... Il enchaîne les patients au point de ne plus avoir de temps pour eux... Il les reçoit quasiment avec hostilité, dans la crainte que leur problème soit sérieux, car il y a encore beaucoup de monde à suivre! Nous arrivons à un fonctionnement absurde, qui comporte le risque d'une erreur de diagnostique et qui est certainement contraire à l'idéal de notre médecin! Puisque nous savons que ce n'est pas à cause de l'argent, quelle en est la raison?

        Mais la réponse vient toute seule... Notre médecin se sert de son travail comme d'une "drogue"! Il échappe à ses inquiétudes, en multipliant les patients, parce que chacun d'entre eux le reconnaît comme l'autorité, lui donne le sentiment de son utilité et donc de son importance! Ce n'est pas "terrible" pour quelqu'un qui est aux premières loges, pour voir les effets désastreux du surmenage! D'ailleurs, notre praticien a déjà un bel embonpoint et l'obésité est une réponse à l'épuisement psychique (fumer n'est pas mieux!)!

        Cependant, nous sommes donc contraints de satisfaire notre amour-propre, cela nous est absolument nécessaire; nous devons sentir que nous nous développons, que nous évoluons, sinon c'est l'angoisse qui nous étreint! Mais cela veut-il dire encore que nous sommes condamnés, à l'instar des animaux, à nous quereller, à nous battre, pour savoir qui est le meilleur, le plus fort, le plus séduisant, le plus apte? N'avons-nous pas plus de sensibilité, de liberté que le goéland?

        Apparemment non! Aujourd'hui, c'est l'hiver, mais n'avons-nous pas l'impression de le subir depuis longtemps? L'atmosphère, dans les rues, ne rappelle-t-elle pas celle des guerres? Chacun n'est-il pas prêt à montrer son agressivité, ne rêve-t-on pas en secret d'avoir un motif d'en découdre, afin de se soulager de toute une colère rentrée, de mille ressentiments?

        Les femmes ne sont-elles pas inquiètes et troublées, au point d'arborer une séduction tapageuse, outrancière, qui pourrait leur faire honte, mais qui témoigne surtout de leur instabilité, de leur douleur! Le sexe semble apaiser l'angoisse, mais comment se donner à un inconnu, quand on est fragile et qu'au fond on ne rêve que de repos? La chair tend vers le plaisir, mais l'esprit, lui, a peur de sa propre faiblesse! On fuit donc en soupirant, on est dans une spirale de souffrance!

        Nous parlons ici des plus sensibles, car des autres, hommes ou femmes, combien de haine, de morgue, de mépris! Et tous ceux qui sont effacés, éteints, inconsistants, ne sont-ils pas les esclaves des plus durs? Quel est leur rêve à eux? N'ont-ils aucun espoir? Se contentent-ils de vivre comme des fantômes? N'ont-ils pas été eux aussi des enfants radieux et enthousiastes?

        Le vingt-et-unième siècle méritait mieux; notre expérience est maintenant grande, mais nous nous comportons comme des bébés attardés; nous crions justice au bord des routes, avec des slogans puérils! Nous croyons avoir le droit pour nous, car nos revenus sont les plus modestes et c'est la légitimité du pauvre; mais ne pouvons-nous pas non plus dépasser notre égoïsme, notre colère, grandir?

        Ce n'est pas seulement une question d'intelligence, même si on ne peut pas demander au plus grand nombre de voir beaucoup plus loin que "son nombril"! Il est normal que la majorité ait une réaction quasi animale, mais que de violence, de rage, de larmes, de dépit, de rancune, de malheurs! L'amour-propre qui s'enflamme n'en finit pas de détruire, comme un feu sur l'essence!

        La France s'apprête à passer les fêtes, avec un "serin" dans la bouche! Elle s'étouffe elle-même, avec les gilets jaunes... Imaginons pourtant un être qui prendrait conscience de sa valeur, autrement que par le sentiment de sa supériorité, de sa suprématie, de sa réussite! qui se nourrirait au quotidien de la compréhension des lois qui nous régissent et qui en serait conduit à contempler l'infini de cette position, tant elle peut sembler créatrice! Celui-là n'aurait-il pas mérité le nom de sage, puisqu'il n'aurait nul besoin de blesser ou de supplanter pour exister? Ne serait-il pas le seul disponible, le seul respectueux, le seul ouvrier de paix, car il serait dominant sans dominer! Et les autres, qui ne quittent pas la sphère de leur égoïsme, qui doivent toujours piétiner ou écraser, pour se sentir mieux, ne devraient-ils pas être appelés justement des tyrans!

        Pour notre part, nous nous efforçons d'être simplement heureux d'être là, en vie, chaque jour, et nous sommes peut-être le seul ainsi, quoique notamment nous n'ayons jamais eu les moyens de nous payer une voiture (et nous voyons des gilets jaunes dans des SUV dernier cri!).

        Si nous pouvions considérer sincèrement ce qui nous est vraiment nécessaire, nous verrions les trois-quarts de ce que nous consommons comme superflus et la moitié de nos déplacements ou de nos actions comme inutile! Mais notre amour-propre nous aveugle: c'est lui qui nous inquiète, qui nous crée des besoins et qui nous empoisonne, d'autant que le dénuement de l'hiver nous place en face de nous-mêmes!

        Nous le sentons tous, un chien hargneux est dans nos cœurs! Il a peur de perdre, de ne pas avoir sa part! Il gémit, il gronde et il serait facile de le lâcher, pour qu'il morde, alors que la haine nous emporte et nous détruit!

        Nulle sagesse chez les gilets jaunes, mais ce n'est sans doute pas à eux qu'il faut la demander en premier!

        Grand est celui ou celle qui vit en paix!

  • Du tyran vorace

    Du tyran vorace

     

     

     

        En 1789, à la demande de l'aristocratie, qui s'oppose à l'absolutisme du roi, sont réunis les Etats généraux: la noblesse, le clergé et le Tiers état, qui représente le peuple. Cette réunion témoigne de l'évolution de la société, qui répond à notre besoin de nous affirmer, de sentir notre personnalité se développer et dominer, ce qui se traduit d'abord par plus de libertés et plus de droits... et cette nouvelle Assemblée fait renaître l'espoir dans tout le pays!

        Ainsi, paradoxalement, ce sont les aristocrates qui commencent la révolution... Cependant, on s'interroge sur l'importance du Tiers état: combien de sièges de députés lui seront-ils attribués et votera-t-on par ordre ou par tête? La monarchie, bien entendu, ne veut pas voir augmenter le pouvoir du peuple et elle essaie de dissoudre le Tiers état, qui s'est proclamé Assemblée nationale! En vain, c'est le serment du Jeu de paumes!

        Le peuple sent qu'il a fait un pas en avant vers la justice, que la voie est ouverte à un avenir meilleur, mais il s'effraie, il craint le recours à des troupes étrangères, pour mater toute révolte, ce qui le replongerait dans la nuit! Il cherche donc à se défendre, mais où trouver des armes? A la Bastille!

        Celle-ci n'est plus qu'une prison vieillissante... Si on en a les moyens, on peut y faire venir ses meubles et ses repas! On y reçoit aussi ses amis et on y prend sans trop de peine son mal en patience! La forteresse est commandée par un homme de valeur, Jourdan de Launay, qui a sous ses ordres une trentaine de Suisses, mais surtout des invalides... On le somme cependant de se rendre au nom de la nation; ce qu'il ne peut accepter... Aux assaillants se joignent des gardes-françaises, avec des canons... La situation semble sans issue et de Launey capitule, à condition que lui et ses hommes seront épargnés... Il est finalement massacré dès sa sortie, ainsi que quelques invalides... Il se sera défendu "comme un lion" selon des témoins!

        On le voit, cet événement montre plus de lâcheté et de cruauté que de courage et de grandeur d'âme! Mais peut-on demander à la foule de la mesure, de la sagesse? Cependant, ceci n'est qu'un hors-d'œuvre! On trouve bientôt Foulon... C'est un vieillard, secrétaire d'Etat et qu'on soupçonne de spéculation sur les grains!

        On le pend à la lanterne... La corde casse deux fois et le malheureux se brise les genoux! Comme la troisième pendaison est la bonne, on lui coupe la tête, qu'on bourre de foin, avant de la tendre au bout d'une pique! Ce spectacle affreux est infligé au gendre de Foulon, Bertier, qui est un honnête homme et dont pourtant on finit par arracher le cœur! Même l'Assemblée constituante, qui ne travaille que pour le bien du peuple, ne pourra rien y faire: la foule est incontrôlable, paranoïaque et sanguinaire!

        Est-ce à dire qu'elle ne peut pas évoluer? Aujourd'hui, des gilets jaunes soutiennent que le gouvernement complote contre eux, au profit des riches! Les hantises de 1789 sont donc toujours actuelles, plus de deux cents ans plus tard! Qu'est-ce qui peut expliquer un tel aveuglement, une telle immaturité? Qu'est-ce qui empêche notre connaissance, notre clairvoyance?

        Le sentiment qu'on nous méprise, quand, malgré nos efforts, nous nous voyons toujours aussi limités, parce que nous devons payer plus, est naturel! L'impression qu'on se sert, qu'on profite de nous est inévitable et la haine nous envahit! Mais comment croire à un coupable?

        L'égoïsme qui nous blesse n'est-il pas le reflet d'une attitude générale? L'injustice n'est-elle pas partout? Ne voit-on pas que chacun "se sucre"? Comment peut-on s'abuser, au point de désigner un responsable, comme si on vivait soudain dans un monde dominé par un démon?

        Ah! Mais, tant qu'on ne prend pas conscience du mal qu'on fait, on s'imagine innocent! Et dans ce cas, tous les contes, toutes les "fariboles" sont possibles! Il s'agit donc d'ouvrir les yeux!

        Au fond, plus on se détache de soi-même et plus on découvre la réalité! Ainsi, comme nous allons le voir, il existe un lien très étroit entre l'amour-propre et l'ignorance: vaincre le premier, c'est aussi vaincre la seconde! Un secret: c'est la patience qui fait grandir! C'est la maturation qui provoque l'Eveil!

        Mais voici une jeune tyran, c'est G! Elle est boulangère... Enfin, elle vend du pain le matin, travaille dans une agence immobilière l'après-midi et les jours fériés, elle tient le guichet dans une patinoire! On le voit, G est issue d'un milieu modeste et elle doit cumuler les emplois pour pouvoir vivre; mais est-ce là tout?

       " Oui, diraient les gilets jaunes, G a le profil pour rejoindre nos rangs... Sa situation, quoique courageuse, reste précaire!" Mais nous, allons au-delà des apparences! Regardons qui est vraiment G... Découvrons ce qui réellement la motive et ce qui l'empêche d'être heureuse... "Changeons le système!" crient les gilets jaunes! "Changeons plutôt nous-mêmes!", devrait-on dire! Car c'est nous qui faisons le système! (En fait, les gilets jaunes avouent ingénument qu'ils voudraient être en haut et non plus en bas! Nul changement de système en cela!)

        Quand G prend son poste de boulangère et qu'on lui explique sa tâche, nous sommes là. G nous regarde, ravie, et nous comprenons que nous lui plaisons..., mais son expression est tellement suffisante que nous nous sentons déjà la propriété de G, comme si de nous faire tomber dans ses bras ne serait qu'une formalité, et nous nous fermons, bien que G soit jolie! En fait, son incroyable égoïsme nous est révélé et nous ne voulons pas non plus être transformé en saucisses!

        G domine le monde! Nous sommes ici dans la vie réelle et non plus en face de la dialectique simplifiée et même hypocrite des gilets jaunes! L'instinct est bien présent et il gouverne G! D'ailleurs, devant notre résistance, elle cherche bientôt à nous blesser de son mépris: bien que nous soyons planté devant elle, pour avoir notre pain, elle demeure plongée dans ses écritures! Puis, soudain elle lève la tête et s'écrie: "Oh! Bonjour! Je ne vous avais pas entendu arriver!" Autrement dit, nous sommes encore moins remarquable qu'un courant d'air!

        D'autres pourraient s'offusquer d'un tel traitement (surtout G si elle le subissait!), mais il est tellement grossier, enfantin, que nous préférons nous en amuser et rester aimable, et nous faisons bien, car nous apprenons des choses! G voudrait suivre un BTS d'agent immobilier, mais ce serait dans une autre ville et ça pose problème... G en effet ne peut avoir droit à l'APL... Comme nous nous en étonnons, G nous avoue involontairement que c'est l'homme avec qui elle vit qui paie le loyer et qu'il gagne trop! Ainsi donc, G nous méprise parce que nous lui résistons, alors qu'elle n'est pas seule, mais qu'elle vit déjà en couple! Nous en restons pantois! Une légère rougeur sur le visage de G nous indique qu'elle a pris conscience de sa gaffe, tandis que son portrait deviens de moins en moins honorable... Apparemment, G utilise les hommes comme des chevaux: elle en change dès qu'apparaît la perspective d'aller plus vite vers la réussite! Ouf! Nous l'avons échappé belle, mais avec G nous ne sommes pas au bout de nos surprises!

        Un autre jour, elle nous fait part de ses craintes, si elle devait vendre des maisons aux plus riches..., car, nous explique-t-elle, ce sont eux qui ont le plus d'exigences! A cet instant, G reste rêveuse, comme si elle avait parlé d'une région secrète des dieux... et l'effarement nous envahit! Comment? G prend donc au sérieux les riches? Elle les respecte et même peut-être les vénère? Elle ne comprend pas que c'est seulement par leurs exigences que les riches peuvent goûter le sentiment de leur supériorité et qu'ils révèlent par là, paradoxalement, combien ils sont pauvres! Elle ne comprend pas que leur seule raison de vivre est justement qu'on les envie et que cela les rend malgré tout esclaves de ceux qu'ils tyrannisent! Qu'on nous montre un riche heureux ou libre, et nous traverserons l'Atlantique en courant!

        Quel aveuglement, quelle naïveté chez G, comme chez les gilets jaunes! Car que nous disent-ils en substance sinon qu'ils ne veulent plus "être les dindons de la farce"! qu'ils endurent quand d'autres en profitent au soleil, comme si ces autres-là connaissaient la joie, étaient satisfaits, en paix, étaient forts, radieux, disponibles, bons! comme s'ils n'étaient pas au contraire inquiets, durs, haineux, jaloux, querelleurs et même vides! Il suffit de regarder le monde la télévision pour s'en convaincre: ses vedettes n'ont-elles pas tout, argent et influence, pour être au paradis et que font-elles de leur journée, à part se disputer, se dénigrer, se détester?

        Ayons le courage d'aller au-delà des apparences, car, rappelons-le, le "système" n'est pas mauvais, il n'est pas né d'une "tocade", ni machiavélique, mais il est le fruit de plusieurs siècles de combats, d'expériences, de révoltes, de tâtonnements! Sa logique s'inspire de la nature, de notre nature! D'autres pays ont essayé le communisme et ont connu un échec, car on ne peut nier l'instinct et durer! D'ailleurs, si on s'efforçait encore de niveler les inégalités, les gilets jaunes seraient sans doute les premiers à vouloir les remettre en place, puisqu'elles sont a priori les seuls critères qui montrent notre supériorité, notre réussite!

        Il y aura donc toujours des inégalités, des hommes en haut et d'autres en bas! et il vaut mieux voir les choses autrement, en comprenant que le bonheur n'est nullement la domination, mais la paix de l'esprit! C'est elle qui permet d'être libre, quelles que soient les conditions; car, on le comprend bien, l'amour-propre crée des besoins et rend esclave! Mais ici justement il renâcle... Il craint un piège... Il confond sagesse et sacrifice, et il se hérisse, car précisément il se sent déjà victime! Le comble serait de donner encore plus! Et l'orgueil peut être si âpre qu'il peut même refuser le bonheur! Il veut tellement ne rien perdre qu'il fait son propre malheur et celui des autres! N'est-ce pas Jésus qui disait à ceux qui le suivaient: "Pourquoi m'appelez-vous maître et ne faites pas ce que je dis!" Mais la voie de la sagesse est réellement joyeuse et ne conduit pas à la destruction; même si beaucoup se sont trompés par là!

        Cependant, revenons à G... Comme nous lui faisons remarquer que, si elle toussote avant chaque phrase, ce n'est pas parce qu'elle a froid, mais parce que c'est probablement un TOC, pour calmer son émotion, G s'en inquiète et nous le voyons à sa glotte qui monte et descend rapidement! Comme nous ne voulons pas non plus blesser G en aucune manière, nous la rassurons en ajoutant qu'il est parfaitement normal d'avoir peur de la vie et nous lui tendons ainsi une sorte de perche, on ne peut plus franche et amicale, afin que, si elle le désire, elle demande à en savoir plus, ou tout du moins elle enchaîne là-dessus, car la connaissance, la confrontation avec la réalité est la seule façon de guérir de ses TOC!

        Notre déception est donc certaine quand G nous affirme qu'elle n'a pas peur et qu'elle doute que son toussotement soit vraiment un TOC! Il fallait s'y attendre, c'est l'amour-propre qui réagit, qui se défend et qui se ferme! Pourtant, G ne toussotera plus jamais en notre présence, ce qui prouve que nous avions raison!

        Mais G continue à s'abuser... Elle nous annonce bientôt qu'elle cesse son travail de boulangère, car, dit-elle, il lui faut à tout prix un trente-cinq heures, sinon elle ne peut pas sans sortir! Et G va devenir vendeuse dans un magasin de vapotage... Nous pourrions parler à G de son instabilité, lui expliquer qu'elle choisit un nouvel emploi plus contraignant et moins intéressant, non par nécessité, puisque son ami subvient à ses besoins, mais bien parce que son temps libre l'inquiète, ce qui la conduit à "se mettre des fers aux pieds" sans plus tarder, mais à quoi bon? G niera encore ses sentiments et ne sera même nullement gênée, si plus tard elle en vient à pester contre la lourdeur de son travail!

        Mais voilà pourquoi il est si difficile de se faire comprendre des gens et notamment des gilets jaunes! L'hypocrisie protège l'amour-propre et empêche la connaissance et donc le progrès! Ainsi, le RIC (le Référendum d'Initiative Citoyenne) n'est qu'une manière détournée pour demander plus de pouvoir, de reconnaissance... et ne servira sans doute aux gilets jaunes qu'à faire une sortie honorable, car ils ne sont pas plus intéressés par la politique que la plupart! Ce qu'ils veulent, c'est gravir les échelons!

        C'est le cas aussi pour Mélenchon, qui veut une Assemblée constituante à la place d'un président fort... Ce retour en arrière lui permettrait de pêcher en eau trouble, comme on dit aux échecs, quand le mat est inéluctable et qu'on attaque n'importe où, dans le secret espoir de déstabiliser son futur vainqueur!

        Le seul mérite, selon nous, du mouvement des gilets jaunes, est de montrer que nous ne pouvons pas continuer à vivre comme nous le faisons, sans donner un véritable sens à nos vies! Ceux qui sont nantis ne sont pas heureux, mais ils le font croire! Cela n'est pas possible aux revenus les plus modestes et les gilets agissent comme des fusibles!

        La question est maintenant celle-ci: allons-nous en rester aux faux-semblants, ou bien, avec l'apaisement, une petite brèche se sera-t-elle ouverte, une petite lueur se sera-t-elle allumée? C'est à chacun de changer en profondeur, car c'est la sagesse qui est l'avenir!

  • Du tyran perdu

    Le tyran perdu

     

     

     

        N'en déplaise aux gilets jaunes, mais si la vie continue de paraître difficile, pénible, âpre, voire odieuse et insupportable, ce n'est pas à cause du gouvernement, mais c'est bien à cause des tyrans, qui forment la majorité et donc aussi les gilets jaunes!

        Et puis, il faudrait perdre de sa naïveté et grandir un peu! Ce n'est pas parce qu'on change de gouvernement que les choses seront meilleures et que nous serons heureux! D'abord parce que la marge de manœuvres des politiques est extrêmement étroite, mais aussi et surtout nous bénéficions d'un régime démocratique qui ne peut plus être grandement amélioré! Il est fini le temps où on renversait des régimes, des pouvoirs qui limitaient nos libertés; nous avons tous aujourd'hui a priori les mêmes droits! Penser autrement, c'est de l'enfantillage... et même de l'hypocrisie!

        Certes, chacun d'entre nous a eu l'occasion de sentir en lui la haine monter, en constatant l'augmentation de ses factures ou de ses frais bancaires... Le sentiment que certains en profitent et tirent la couverture à eux n'a pas pu ne pas nous étreindre, mais cette façon d'agir n'est nullement propre au gouvernement, aux grandes compagnies ou aux banques; c'est au contraire la pratique la plus courante et elle caractérise, peut-être plus que toute autre, le tyran!

        En effet, celui-ci, en cherchant obstinément à dominer, à être le centre d'intérêt, satisfait inéluctablement son égoïsme, piétine les autres, prend sans donner et n'en a aucun remords! Les gilets jaunes sont bien plaisants de jeter la pierre au gouvernement, quand on subit le comportement du plus grand nombre au quotidien! Nous aimerions voir toute cette colère et toute cette révolte, contre les injustices et toute la puanteur que l'on rencontre dans la rue et dans les lieux les plus anodins! Pour donner des leçons de civisme, nous sommes champions! Pour devenir meilleurs personnellement, en faisant preuve de patience et de retenue, il n'y a plus aucun candidat!

        Mais l'amour-propre s'estime lésé! Et il peut donc allonger les pieds sous la table! Et puis, disons-le nettement, on s'amuse bien à barricader! On se sent important, on se libère, on ne s'ennuie plus!

        Ah! Mais c'est qu'on n'aime pas son travail, ce qui fait que toute nouvelle contrainte est sentie comme une injure et provoque le rejet! Eh! Mais pourquoi n'aime-t-on pas son travail? Mais parce que l'amour-propre en souffre; il a l'impression de s'humilier à servir; il veut plus et c'est bien l'égoïsme et l'orgueil qui crient dans les rues!

        Mais ce sont aussi des choses impossibles à satisfaire! Contenter l'animal qui est en nous, par le succès et la domination que nous pouvons obtenir, ne résoudra pas nos inquiétudes, ne nous donnera pas la paix! La félicité de la victoire est éphémère et doit être constamment renouvelée! (Notez que les gilets n'ont aucune demande explicite et qu'ils posent "une véritable colle" au gouvernement! Comment peut-il "restaurer" un amour-propre?)

        Rappelons-le, plus la soif de dominer et les ambitions sont vives et plus les besoins sont nombreux, et plus les peurs et l'agressivité sont grandes! Il n'y a nulle libération dans cette direction... et la justice est à trouver dans la sagesse!

         Néanmoins, répétons-le encore, une société s'établit en permettant à chacun a priori de se développer... Il faut que nous ayons le sentiment que nos efforts ne sont pas vains et ainsi notre individualisation se poursuit, sans détruire l'ensemble... Mais dès qu'une partie de la population se croit condamnée à l'immobilisme, il y a révolte! Et peu importe qu'au fond cela soit absurde, car "on rugit après une chimère"! Mais au bout de la route il ne peut qu'y avoir des désillusions! (Mais ce que nous disons là a peut-être cent ans d'avance!)

        Le pire peut-être, ce sont ces gens qui en passant encourage, excite le mouvement... Ce sont des nantis qui se disent qu'il y aura tout de même quelque chose à récupérer au final! C'est la révolte à bon marché, aussi lâche qu'irresponsable! En tout cas, aux images du chaos, la haine contre les fauteurs de troubles ne peut qu'augmenter! (D'autres mettent en bien en vue leur gilet jaune dans leur véhicule, par peur ou en espérant qu'on les laissera passer! Il y a forcément un début de terreur, puisqu'on veut s'imposer...)

        Mais, baste! voici un nouveau tyran, à rajouter à notre collection... Il va sans doute paraître un peu marginal, mais, comme d'habitude, il nous aidera à mieux comprendre comment le tyran fonctionne, il nous montrera encore une fois qu'il ne peut pas être heureux... et nous verrons aussi que les possibles solutions à son problème pourraient intéresser les gilets jaunes et au moins nous faire prendre conscience de notre folie, car nous sommes bien fous de nous livrer à la violence, tandis que la magnificence infinie de la nature nous entoure et devrait nous rassurer, nous apaiser! En fait, c'est bien celle-là, si on sait la regarder, qui est la source de notre bonheur, qui contient notre joie, loin de notre irritation mensongère et stérile! (Voir en illustration la photo Le Miroir, dans Dernières photos!)

        Mais F fréquente les gîtes d'étape! On connaît le principe... Sur les sentiers, sur les circuits de grandes randonnées, les fameux GR, on trouve de loin en loin des gîtes d'étape, où l'on peut passer la nuit. Il fut même un temps où ceux-ci devaient rester ouverts quelle que soit l'heure, pour accueillir les marcheurs attardés! Aujourd'hui, on téléphone, on est en contact permanent avec Houston, qui demande également des comptes... On suit des procédures, entre deux pans de nature! Mais, il n'en demeure pas moins que le dépaysement et sa magie sont toujours là: on évolue dans un autre monde!

        Le prix des nuitées est normalement modique, entre quinze et vingt euros... La rançon, c'est la possibilité de devoir partager son coucher avec des étrangers! Des propriétaires de gîte, qui en sont restés à l'ambiance de la Fête de la Fédération de 1789, lors de laquelle tout le monde s'embrassait, ne voient là qu'une occasion de louer l'esprit communautaire des gîtes! Mais, entre-temps, l'époque a changé et nous sommes de plus en plus nerveux et même s'il peut paraître agréable de découvrir d'autres randonneurs, au moment du dîner notamment, chacun, en réalité, aspire à la plus grande tranquillité, afin de trouver le sommeil; sinon c'est le plus inconscient et donc celui qui ronfle le plus fort qui seul en profite!

        D'ailleurs, certains propriétaires de gîtes ne s'y sont pas trompés, car ils ont peu à peu transformé leur établissement en chambres d'hôtes et ce qu'on peut leur reprocher, c'est justement d'avoir gardé l'appellation de gîte d'étape, puisque leurs tarifs se sont envolés! Mais on veut sans doute conserver le même habit simple, la même bonhomie et ne pas s'avouer son lucre!   

        Cependant, dans les gîtes, on rencontre tous les intérieurs; même si des commissions de contrôle, au nom de la terrible déesse Sécurité, menacent de fermeture tous les sites un peu vieillots et qui tirent le diable par la queue; les plus utiles somme toute (on voit des affiches qui disent que l'analyse de l'eau des douches écarte tout danger de légionellose!) Mais il possible ainsi de "s'amuser" d'un grabat douteux, la tête contre un mur humide et parsemé des hamacs des araignées!

        Le dortoir haut comme une église, ouvert à tous les vents et qui impose une attitude pour le moins virile, peut encore constituer une étape mémorable... Mais on n'oubliera pas non plus la pièce lumineuse, avec seulement deux ou trois lits et qui devient finalement notre chambre, sans qu'on soit dérangé, et dont on utilise en jubilant la douche et les toilettes personnelles! Là, généralement dans le cadre d'une paix champêtre idyllique, le temps se ralentit, l'esprit se détend et la folie des hommes apparaît tel un astre noir à la dérive!

        Sur le même sujet, F fait son entrée et il est d'abord l'un de ceux qui occupent les gîtes d'étape sans être des randonneurs, ni, comme nous le sommes, des photographes en quête de beaux paysages! En effet, des individus, se déplaçant en voiture, s'arrêtent au gîte le soir, tel qu'il serait un hôtel bon marché! A l'accueil, les propriétaires devraient se demander si cette démarche est juste, mais F les rassure, il a toute l'apparence d'un "baroudeur"! Le corps délié dans un jean délavé, il semble n'avoir renoncé aux joies du camping que depuis peu, sans doute à cause de ses tempes maintenant grises, qui ont de plus en plus de mal avec l'humidité qui règne!

        Plein de compréhension, on donne donc les clés du gîte à F avec le sourire, mais celui-ci ne s'installe pas dans le lieu, il l'envahit! On voit dans un coin son sac de couchage; sur une étagère un panier pour faire les marchés, un couteau de prix usé, ainsi que quelques objets disparates... Mais c'est sur la table de la salle à manger que F s'est surpassé! Il y a placé tant de petites bouteilles bizarres, de fioles, qu'on dirait que s'y dresse une maquette de New York! Et l'Empire State Building est remplacé par une bouteille de vin, bien en évidence, alors que luxe suprême, un peu plus loin, luit du raisin dans un bol!

        Evidemment, nul marcheur ne s'encombrerait de toutes ces choses; même un sherpa y renoncerait (quoiqu'en pleurant!)! Et l'on comprend que F est venu là pour la soirée et qu'il sort à peine de sa voiture! En effet, un hôtel, même à vingt euros, ne conviendrait pas à F; il recherche expressément l'ambiance des gîtes d'étape, et nous allons voir pourquoi!

        F est débonnaire: il offre du vin à celui qui toute l'après-midi a été exposé aux vents des grands espaces! Et l'esprit novice accepte avec chaleur, comme si c'était Noël! Il mord donc au premier hameçon!

         Mais bientôt, de la part de F, les questions fusent et le novice, bien qu'assailli, y répond obligeamment, tellement qu'il fait mine de ne pas voir le tremblement nerveux que F ne peut réprimer! "Sans doute est-ce une maladie, qui doit être bien gênante!", pense le novice et il félicite F d'avoir allumé le feu, puisqu'il fait déjà froid, et il mord au second hameçon!

        F rayonne et explique qu'il y a une certaine manière d'y faire, avec le feu, et il se lève pour s' occuper du foyer, tout en montrant la souplesse de son corps! Le novice s'intéresse maintenant à la batterie de fioles qu'il a devant lui, à l'"orgue" de F et il avale le troisième hameçon, le plus gros!  

        F est désormais "chez lui"; il triomphe! Il précise que cette petite bouteille verte contient de l'extrait de gingembre et que c'est un secret pour garder les reins limpides! Et celle-ci? Ah! celle-ci, c'est de l'extrait de noix de la ville de Mossoco, dans les Indes orientales; il n'y a pas mieux pour "fluidifier" le cerveau et susciter la méditation! Car F se découvre de plus en plus, apparaît de plus en plus grand: il n'est pas un aventurier ordinaire, c'est aussi un sage! Végétarien, il n'hésite pas à regarder avec mépris le jambon du novice! F a tout vu, tout lu, connaît tout, et il redescend de la montagne avec un message neuf, infini, immortel!

        Et le joli couteau, avec sa patine? Mais il a été offert à F par un trappeur du Nord, son tranchant est sans pareil! Bien sûr qu'il a déjà dépecé un phoque! Le novice est conquis, soumis; il est béat d'admiration, il se rend compte combien de chemin il lui reste à parcourir et il en frémit! F est maintenant immense, il domine comme un gigantesque vampire... et même il ne tremble plus! Son personnage a encore fonctionné, gagné; il est le clou de la soirée, le centre d'intérêt! Léonin, F décide qu'on assez parlé et qu'il est l'heure d'aller se coucher: à chaque jour suffit sa peine!

        Il ne viendrait même pas à l'idée du novice que, si F s'entoure de tant de choses, c'est qu'il est incapable d'être indépendant, de se retrouver seul ou d'aimer le silence! c'est qu'il est perdu et même effrayé s'il ne domine pas les autres; ce qui veut dire que F ne peut pas non plus ne pas tyranniser, étouffer, blesser! Il ne viendrait même pas à l'idée du novice que la curiosité de F n'est qu'un prétexte pour qu'on s'intéresse à lui, qu'on l'admire et que toute discussion avec lui n'est au fond qu'une impasse!

        Il ne viendrait même pas à l'idée du novice que ce qui manque à F, c'est justement ce que lui, le novice, a éprouvé toute la journée, tout novice qu'il est! Car que nous enseigne la nature, que nous murmure-t-elle, quand on se pénètre de sa grandeur, de sa beauté? Elle nous dit que c'est la patience qui nous libère de notre égoïsme et que c'est cela seulement qui peut nous rendre heureux!

        Nous pouvons nous développer à l'infini, mais du moment que nous nous étendons vers la sagesse! Nous pouvons connaître toute liberté, mais du moment que nous rions de notre amour-propre!

        Nous comprenons alors que F court à la tragédie, avec son personnage vieillissant et de moins en moins crédible! Nous devinons encore le sort des gilets jaunes: ils iront peut-être jusqu'au bout, mais en suscitant toujours plus de haine et de jalousie et ils se déchireront entre eux, pour savoir qui est leur chef!

        Car ils confondent joie et domination, espoir et argent, respect et colère! Mais ces révoltes sont sans doute inévitables et même nécessaires, pour montrer qu'elles sont sans avenir!

        Ainsi parlent même les nuages!

  • Du tyran foudroyé

    Du tyran floue

     

     

     

        L'un des messages des gilets jaunes est celui-ci: "Toute une partie de la population n'en peut plus! On est à bout!" C'est donc une situation de crise qui est exprimée, mais nous ne pouvons supporter cela longtemps, car une tension trop vive nous détruit et nous voulons tôt ou tard retrouver la paix, la tranquillité! Aussi est-il normal que le mouvement des gilets jaunes dégénère, laisse place à la violence et à la haine, qui sont comme le recours, le sursaut qui permet de prolonger la crise; de même qu'on souffle de plus en plus fort, sur un feu que la pluie éteint!

        Avant l'accident ou la brutalité irrémédiables, certains rejoignent leurs pénates; sagement devrait-on dire, bien que l'engagement, l'action, la révolte au fond ne se commandent pas; l'exaspération se déclenchant pour chacun au-delà d'un certain seuil et même dans un domaine, sur une question qui lui est propre! Nous ne sommes pas tous pareillement sensibles aux mêmes problèmes, évidemment!

        Mais qu'est-ce qui provoque la crise? Une énième mesure gouvernementale? Sans doute, mais elle ne fait que mettre le feu aux poudres! Depuis longtemps déjà, le terrain était miné, s'était chargé, était prêt à exploser! La crise est d'abord due à une fatigue, à une usure et c'est pourquoi son cri rebute aussi, il navre et fait fuir! C'est comme si on regardait un compteur électrique tourner à toute vitesse: on ne pourrait pas l'arrêter sans le casser! On ne peut pas éteindre le feu en y plongeant les mains! Et les gilets jaunes s'exaspèrent eux-mêmes, jusqu'au désespoir, qui les conduit à mépriser le monde entier; ce qui n'était pas du tout le but!

        Nous pouvons penser que le mouvement a suscité et suscite toujours de la solidarité, qu'il offre à beaucoup l'occasion de se mobiliser et de donner ainsi un nouveau sens à la vie et si la colère ou la révolte devaient être à chaque fois réprimée, au seul nom de la raison, il est probable que l'Ancien Régime eût traîné des pieds jusqu'au vingtième siècle, ou plus...; les privilèges ont la vie dure! Mais des révolutionnaires se sont encore conduits comme des nazis avant la lettre et certains de leurs massacres n'ont rien à envier à celui tristement célèbre d'Oradour-sur-Glane, pour ne citer que celui-là!  

        Il serait donc bon de se demander comment éviter la fatigue, l'usure, l'exaspération, l'explosion, pour soi comme pour les autres! Nous allons donc retrouver notre sage et notre tyran, car même si les revendications des gilets jaunes sont compréhensibles, émanent de gens aux revenus les plus modestes et qui sont donc les moins susceptibles de malhonnêteté, il n'en demeure pas moins que la plupart d'entre eux sont des tyrans, qui, bien que petits, sont incapables de vivre en paix! Leur soif de justice a aussi à voir avec leur égoïsme! leur amour-propre blessé et leur domination frustrée!

        Mais l'histoire de P va servir de canevas à notre réflexion et même peut-être constituera-t-elle une leçon, à l'instar des fables de La Fontaine! P est vendeur dans le magasin de matériel photographique le plus célèbre de la ville. Cet établissement porte le nom de son fondateur; il symbolise une réussite, un développement, qui s'est effectué en même temps que la photographie devenait un média de masse! Le pari, les investissements ont été gagnants! C'est la passion victorieuse, comme on le voit quelquefois!

        On est passé d'une structure artisanale à une équipe d'une dizaine d'employés! Aux vendeurs du magasin, il fallait rajouter les photographes, les imprimeurs, les démarcheurs... A ce stade, c'était l'apogée et il fallait toujours s'attendre à faire la queue, pour être servi! Comme une locomotive lancée à plein régime, l'établissement prit sans trembler le virage du numérique et ce n'est qu'un peu plus tard qu'on perçut un certain déclin... D'abord, des mastodontes s'approchèrent, comme la Fnac qui s'installa dans la ville, mais surtout la vente en ligne permit, sans éprouver la patience, de meilleures offres et l'achat de produits inédits!

        Cette situation est maintenant celle de tous les commerçants, qui doivent faire face à cette nouvelle concurrence, quand ils n'en profitent pas! Mais pour comprendre P, il nous faut revenir en arrière... En effet, il a commencé à travailler au magasin sûrement très jeune et ses expériences précédentes devaient être très maigres... Il est donc comme "un enfant du magasin"; il va grandir avec lui, il va même ne faire qu'un avec lui; ce sera l'œuvre, le rayonnement de toute sa vie!

        Avec les années, P va forcément devenir très proche de la famille du fondateur, dont il suit l'histoire, et il se met naturellement au service du membre qui reprend le flambeau, après la mort des premiers propriétaires... D'ailleurs, on peut compter sur P! Célibataire, il a les qualités, comme les défauts, du "vieux garçon"! Il est précis, méticuleux même, exigeant; aussi nerveux que disponible, aussi entreprenant que rigide et il paraît finalement indispensable, comme un pilier qu'on ne pourrait supprimer, sans risquer l'écroulement de l'ensemble!

        Ses collègues ne s'y trompent pas! Ils le consultent, quand ils ont un doute; ils sont déférents à son égard et bref, la cour sait qui est le favori! C'est donc encore chez P qu'on passe ou auprès de lui qu'on s'informe, lorsque le ciel noircit et que menacent les premiers licenciements! Une équipe aussi lourde ne pouvait durer éternellement!

        Ainsi, P va devenir le témoin privilégié d'une véritable hécatombe! Les départs vont se succéder autour de lui et il écoutera les craintes, les doléances de chacun! Lui a-t-on demandé, à cette occasion, d'intervenir auprès de la direction; l'a-t-on invité à combattre? C'est très probable, mais P avait une position si belle qu'il n'a certainement pas voulu la compromettre! Ne se jugeait-il pas inamovible, irremplaçable? Il a dû éprouvé à la fois de la compassion et du soulagement, en voyant le malheur qui frappait ses collègues... Il sentait en même temps de l'embarras et une secrète satisfaction, car qu'il échappât aux "charrettes" renforçait sa valeur et peu à peu il s'imagina dans un rôle de plus en plus important, qui dépassait même tous ses rêves!

        Pourtant, dès cette époque, quelques faits auraient dû faire douter P et le rendre plus prudent... En effet, le magasin avait beau trôner dans la ville comme un palais de justice dédié à la photographie, il n'était pas à l'abri d'une incompétence certaine! Par exemple, on y ignorait apparemment ce qu'est un filtre dégradé gris! Evidemment, pour les plus nombreux qui utilisent leur appareil sans savoir ce qu'est un fichier RAW, cela reste du charabia et ne paraît pas grave, mais pour l'amateur averti, qui se consacre aux beaux paysages, cette ignorance est incroyable!

        Mais P affirmait également qu'il n'existait pas de filtres aux dimensions de 150x170mm, alors qu'ils sont spécialement destinés aux focales inférieures à 15mm, c'est-à-dire aux "UGA" (Ultra Grands Angles)! De même P riait encore quand on lui demandait un objectif dont il niait l'existence et qu'on avait pourtant repéré dans un magazine de professionnels! Après vérification, P admettait son erreur et il aurait dû profiter de son doute comme d'une brèche dans sa vanité, comme d'un rayon dans la fermeture de ses ambitions! "Ainsi le monde est plus vaste que je le pense! aurait dû se dire P. Et si je me trompais?"

        Son esprit aurait dû tâtonner l'inconnu; il aurait ainsi assurer sa sauvegarde, ne serait-ce que parce que la curiosité, l'hésitation auraient ralenti son rythme! Mais, tout au contraire, P, fort de son statut de miraculé, sur une équipe dépouillé, où il apparaissait désormais comme la seule autorité, se déchaîna, se multiplia, eut soudain le don d'ubiquité, tel qu'il eût les tentacules d'un poulpe ou les yeux d'un caméléon! P était partout et plus rien ne devait lui échapper!

        Dès qu'une transaction faisait hésiter un autre vendeur apparaissait P! Il accourait parce que l'air était légèrement troublé: une araignée en aurait pleuré d'admiration! P s'approchait, aux aguets, n'osant pourtant pas intervenir, mais pesant déjà de sa personne, et la situation aurait été seulement pénible, si en même temps elle n'avait pas été tragique! Car, on le voyait bien, P souffrait tout de même de ne pouvoir déléguer, faire confiance... Il en aurait été soulagé, d'autant qu'il s'occupait encore totalement des commandes! Comment pouvait-il assumer une telle charge de travail?

        Mais P était tellement avide; il voulait tellement s'imposer, diriger; il avait une telle soif de reconnaissance; il était si heureux de montrer dans la rue le fonctionnement d'un appareil, ce qui lui donnait l'occasion de saluer quelques notables; il était si rassuré, si plein de lui-même, de n'avoir pas une minute à lui qu'il était incapable de se détendre, de se relâcher, de prendre du recul, d'essayer de trouver un autre équilibre que celui de sa domination! Il était comme ivre du triomphe de son égoïsme! Sa réussite l'enchaînait, le rendait esclave, l'agitait comme une marionnette, sans lui permettre de souffler! Elle l'aveuglait au point qu'il ne vit pas arriver sa chute!

        Pour les clients, P était devenu le symbole même du magasin, ainsi que la direction aurait été retirée, virtuelle! Comment les propriétaires auraient-il pu ne pas en prendre ombrage? P racontait même des anecdotes sur l'histoire du magasin qu'eux-mêmes ignoraient et qui les faisaient passer pour des simples, des étrangers! N'étaient-ils pas pourtant les vrais patrons? 

       P fut convoqué et on lui signifia, sans trop de ménagements, qu'il atteignait l'âge de la retraite et qu'il devait partir, quoiqu'on le remerciât bien entendu pour son dévouement fidèle...! La retraite? Quelle retraite? P a réussi! Il est au faîte de sa gloire, il touche au but et on veut le mettre à la retraite? Mais il est encore jeune, dynamique! Bien sûr, il y a la retraite, mais le magasin, c'est lui, c'est son œuvre! On ne peut pas du jour au lendemain le remercier! C'est impossible! Si, on peut!

        P ne comprend pas la véritable raison de son évincement... Il est tellement abasourdi qu'il ne voit pas que c'est justement son rayonnement qui gêne, que ses employeurs veulent aussi leur "part de lumière"! Nous avons croisé P peu après cette entrevue... Il n'avait plus son masque de professionnel infatigable et qui semblait totalement dépourvu de tout sentiment vil! Son cœur éclatait, d'autant que l'heure était matinale et le trottoir désert... P criait sa haine, elle s'échappait de ses lèvres, il n'était plus qu'une boule de colère! La chute de P a été aussi foudroyante que celle d'Icare!

        Entre-temps, la vie au magasin a repris comme avant; il y a toujours tant de monde qu'on ne s'aperçoit pas tout de suite de l'absence de P... Après tout, il n'était pas indispensable et quand on demande de ses nouvelles, son départ à la retraite paraît le plus naturel du monde! Evidemment, l'hypocrisie nous entraîne et nous endort; mais celui qui a un peu de plomb dans la cervelle peut s'imaginer la nouvelle existence de P... Que fait-il dans son appartement? Lui qui était au firmament, comment s'occupe-t-il dans l'ombre? Existe-t-il pour lui un motif d'espérance? Ou au contraire tous les fantômes, toutes les peurs que son activité débordante rejetait ne viennent-ils pas le voir? Que lui reste-t-il, à part sa rancune à remâcher? Mais tout le monde s'en moque, n'est-ce pas? Un tyran chasse l'autre!

        Cependant, quel rapport entre l'histoire de P et les gilets jaunes? Comme on l'a dit, les coups de boutoirs du monde extérieur, s'ils sont bien réels, ne provoquent la crise que parce qu'elle est déjà là, en germe, parce qu'on ne sait pas vivre en paix et qu'on est un tyran (même un petit!) (L'un des leaders des gilets jaunes serait un amoureux de "grosses cylindrées"! On croit rêver, quand on peut déjà être heureux d'avoir une voiture! Ce mouvement aurait-il la tête à l'envers?)

        Mais nous revenons donc à notre question: comment éviter l'usure, l'exaspération, la colère, la haine? Comment garder un message cohérent, constructif, ouvert, fédérateur parce que porteur d'espoir? Car, notamment, ces jours-ci, un astrophysicien compare le réchauffement climatique à un suicide collectif! Ce genre de propos est improductif; son effet est justement l'inverse de ce qu'il faudrait, car on nous écrase sous une chape de plomb, au point que notre volonté en est anéantie!

        Or, le jugement du tyran n'est ni honnête, ni lucide! Tant que notre équilibre ne dépend que de la satisfaction de notre amour-propre, nous sommes esclaves de ce dernier et il nous condamne au surmenage, à l'épuisement et à la révolte! Notre astrophysicien, qui se croit objectif, nie son égoïsme; tout comme P qui ne s'imaginait qu'être un vendeur dévoué et scrupuleux!

        Mais plutôt que de nous regarder en entier et d'essayer de comprendre les lois de la sagesse, il nous est bien plus facile de nous donner des ennemis et de nous poser en victimes! Ainsi, les anciens employeurs de P sont devenus ses bourreaux et pour maints gilets jaunes, l'Etat complote contre eux, au profit des plus riches!

        Or, on le voit, lors des affrontements, il y a le désir de s'affirmer par la lutte, ce qui n'est pas sans rappeler les épreuves initiatiques de certaines tribus! Par ailleurs, l'Etat ne cherche avant tout qu'à rééquilibrer un budget (on lui prête des vices qu'il n'a pas!) et même Louis XVI aimait son peuple! Mais, comme toujours, l'amour-propre pêche en eau trouble: en s'ignorant, il ne connaît pas non plus son but!

  • Du tyran cardiaque

    Du cardiaque

     

     

     

     

        Poursuivons notre galerie de portraits, non pour clouer tel individu au pilori, mais bien pour aller au-delà des apparences, toucher au tuf, à l'essentiel, à ce qui est le plus vrai en nous, à notre logique fondamentale; car sinon nous entendrons toujours les mêmes faux-semblant, du genre: " Il faut bien vivre!", "C'est la faute des émigrés, de l'Europe, du gouvernement, etc.!"

        Ne nous y trompons pas, même le mouvement des gilets jaunes, que nous ne condamnons pas, est d'abord motivé par l'amour-propre des manifestants! C'est bien le sentiment d'être méprisés, d'être pris pour des vaches à lait, d'être vus comme des moins que rien, qui pousse les gens à sortir de chez eux, pour barricader des routes! Le manque d'argent, la difficulté pour "joindre les deux bouts" reste encore secondaire, mais jette inévitablement de l'huile sur le feu, quand ce n'est pas la goutte qui fait déborder le vase!

        D'ailleurs, le mouvement est comme la boîte de Pandore: tous ceux qui veulent restaurer ou faire émerger leur personnalité, même de la manière la plus violente, profitent de l'occasion, et nous voyons donc du racisme, de l'homophobie ou des casseurs! Tant que notre égoïsme ne sera pas dénoncé, tant que nous ne le verrons pas en plein, tant qu'il ne sera pas constamment dans notre viseur, il n'y aura pas d'évolution, de véritable progrès, mais subsisteront toujours les mêmes situations apparemment inextricables, les mêmes naïvetés qui voient la solution dans un changement politique, le même aveuglement, car bien des gilets jaunes seraient bien incapables de dire ce qu'ils veulent (comme en 68!) Surtout encore, cette violence, cette envie de détruire de certains continuera de paraître avoir un but, comme celui de l'anarchie; alors qu'on pourrait montrer précisément que c'est l'individualité qui veut triompher, en se mesurant à l'autorité, en la défiant et en la combattant! Là où le drapeau noir flotte, c'est seulement le nombril qui crie! Et dès lors il serait possible de mettre en évidence le ridicule et la bassesse des violents (mais on en est loin, bien entendu!)!

        Encore une fois, un autre monde est possible, qui serait voisin du paradis; à condition que nous ayons les yeux ouverts, que nous comprenions ce qui est en jeu! Et ceux qui perdent patience, ou qui se sentent perdus, peuvent aussi se dire qu'ils ont l'"Eternité devant eux"! Ce message, quand il devient clair, est tout de suite apaisant et donne une joie sans bornes! Fi des inquiétudes à l'instant!

        Mais place à B qui est bouquiniste! A priori, c'est un beau métier, même s'il a pris un "sacré coup de vieux" et qu'il ne fait plus rêver, notamment bien sûr à cause des nouvelles technologies, qui entraînent que les gens lisent moins! Il fut un temps où le livre était le principal média! Et l'image vidéo est en culottes courtes à côté!

        Mais B, comme tout bouquiniste qui se respecte, est dans son magasin tel un pied dans une pantoufle, ou telle une souris chez un fromager! Il y a ses habitudes, il y est comme chez lui; c'est son univers, qu'il a créé et qu'il contrôle!

        Entre deux clients, et il peut n'en passer aucun pendant des heures! B lit tranquillement, s'ennuie un peu peut-être, quoiqu'il puisse suivre un match sur son portable, et en tout cas, nul n'est là pour le presser et encore moins pour le menacer! B devrait donc être un modèle de sérénité, une sorte de Bouddha indulgent, habité d'une paix qui serait le résultat d'un long et patient travail intérieur; ainsi que le passeur du Siddhârta d'Herman Hesse!

        Nous parlons au conditionnel, car la réalité est tout à fait différente: B est hypertendu! Oui, vous avez bien entendu: B, au milieu de ses livres, qui semblent pourtant des temples endormis, B est rongé par l'inquiétude, miné par l'anxiété! Il parle, il s'excite, puis brusquement il se tait, à l'écoute... de son cœur! ainsi que celui-ci serait un étranger, une autre personne l'habitant et qui parlerait une langue différente!

        B vit dans la hantise de la crise cardiaque, du foudroiement, qui ferait qu'on n'a plus de prises sur les choses, qu'on est enlevé tel un fétu de paille, qu'on est emporté comme le capitaine au passage de la lame! C'est la terreur de ne plus contrôler, de ne plus être, la terreur de la mort!  B est donc au chevet de son cœur, il le promène dans son magasin, il le surveille et en a les traits creusés et le teint cireux! On a de la peine pour B, qui voit tous ses instants, toutes ses joies, tôt ou tard empoisonnés!

        Son état, cependant, révèle une grande fragilité... Il faut que la dépression soit très profonde pour qu'on se sente obligé d'aider son cœur, qui est normalement un organe qui fonctionne tout seul et dont on ne soucie guère! Il faut que la personnalité soit emboutie, comme la carrosserie d'un véhicule accidenté! Il faut que la conscience de soi soit quasi inexistante et ainsi naissent les phobies, la peur de s'échapper à soi-même, ce qui conduirait à se déshabiller en public, à crier dans une bibliothèque ou à sauter d'un pont sans intention suicidaire, mais parce qu'on est devenu incapable d'affronter le vide et qu'on n'a pas plus de densité qu'une plume! Ainsi naissent l'agoraphobie ou la claustrophobie, pour ne citer qu'elles et qui germent sur les individualités défaillantes! Car un homme qui va de l'avant, qui a des projets, de l'espérance; qui est animé par son plaisir, qui rêve, qui aime la vie; celui-là ne pense plus à son cœur; il ne fait qu'un avec son désir; son amour-propre est sa chaudière; la locomotive est lancée et les peurs psychiques deviennent incompréhensibles, absurdes, si tant est qu'un jour on y a été sensible!

        Comment B en est-il arrivé là? Ici, une fois n'est pas coutume, nous allons faire plaisir aux psychologues, en démontrant que la fragilité de B vient de traumatismes anciens, mais nous enchaînerons très vite avec la véritable solution, qui ne relève pas d'une psychothérapie; car, aussi curieux que cela puisse paraître, deux individus peuvent souffrir du même mal psychique, tandis que l'un est gentil et l'autre méchant; tandis que l'un peut se suicider tristement et sans bruit dans une chambre d'hôtel, tandis que l'autre écrase son avion, tuant tous les passagers! La guérison d'un névrosé ou d'un psychotique ne dépend donc pas de son histoire, mais du fait qu'il est un tyran ou non!

        Cependant, pour l'instant, B a trouvé une origine à son trouble qui le rassure: son père lui-même fait de l'hypertension; le problème serait ainsi génétique! Fort de cette connaissance, B est allé voir son médecin, qui lui a prescrit des médicaments... Le diagnostique a bien identifié une pression artérielle anormale et sans doute que le traitement aura son effet et du moins il tranquillise B; mais on est loin par là de toucher à la racine et même à la tige de ce qui nous préoccupe... Qu'est-ce qui a détérioré l'équilibre de B, qui l'a rendu dépressif, qui a empêché ses bases, ses fondations?

        Récapitulons les faits... Faisons monter de la brasserie Dauphine des sandwichs et de la bière, car la nuit va être longue, d'autant qu'il pleut lourdement sur les toits de Paris! Bourrons notre pipe en songeant à B, à son milieu, à son enfance... Revoyons-le gamin, vibrant, déjà sensible, mais dans un foyer modeste, sans beaucoup d'éducation... et sans doute rustre et même peut-être brutal, à l'égard d'un être qui, par sa finesse, sa délicatesse, s'y sent tel un étranger! C'est l'intelligence qui fleurit parmi les ronces et qui éprouvera la solitude, qui sera contrainte de se renfermer, de dissimuler, qui adoptera un langage, des pratiques, qui fera la rude malgré elle!

        B sera toujours sur ses gardes et l'est encore! Dès qu'un client passe derrière lui, B est mal à l'aise, il doit se retourner, comme si on pouvait lui mettre la main aux fesses, ou plus exactement lui "tomber dessus"; et nul doute qu'on a dû malmener B enfant, qu'on l'a fait marcher à la baguette, sans même s'en rendre compte, parce qu'on avait un rythme, des devoirs et des envies que tout le monde devait respecter! Egalement, la délicatesse de B le faisait sans doute craintif et on s'en est inquiété, on a essayé de lutter contre! Mais le père a d'abord été soldat, puis bouquiniste... et le fils suivra exactement le même chemin! Il devient fourrier dans la Marine, loin de l'action et des armes et il raconte sans gêne combien il avait peur, lors de sa ronde la nuit, quand sur le navire on était quasiment au niveau de l'eau noire, qui menait sa danse endiablée!

        Puis, le père partant à la retraite, B lui a racheté son fonds et s'est retrouvé lui aussi dans cet univers des livres bien tranquille! D'ailleurs, son rayon pornographique y a fait recette... Encore aujourd'hui, des habitués viennent chaque semaine chercher des revues ou des films, pour se masturber chez eux! C'est bien cela, non?

        Mais, entre-temps, B n'a pas soigné ses angoisses, ses peurs et pire elles n'ont fait qu'empirer! Rappelons que le tyran ne trouve son équilibre que par la domination, que parce qu'il impose sa personnalité... et de ce côté-là B a diminué comme une bougie! D'abord, sa femme a un salaire, bien plus important que ses revenus... et avec le temps, B a pris les vraies mesures de sa "boîte à chaussures"; ses ambitions ont fondu comme neige au soleil et il a aussi dû éprouver maintes humiliations de la part des clients; les uns le méprisant à cause de la modestie de son métier; les autres tenant à se montrer supérieurs, pour être revigorés, ce que B a sans doute accepté en se courbant, face au bon acheteur! 

        Bref, B est devenu dépressif et inquiet; il s'est désagrégé au point de douter de son cœur et nous voilà à notre point de départ! Et c'est ici l'aiguillage! Le sage dans le même état a cherché la vérité, la réalité, les lois de la sagesse... et il en ressort gagnant! Le sol sur lequel il pose désormais le pied est solide, ferme; et le sage peut arrêter de "nager"; il ne court plus le risque de se noyer!

        Le tyran au contraire n'a pas compris son erreur! Il mise toujours sur sa domination, comme si elle n'était pas déjà défaillante, comme si elle n'entraînait pas déjà vers le fond! Le tyran ne prend pas conscience de son impasse... Au contraire, il en rajoute! Il estime que si la première couche est inefficace, il en faut une deuxième! que si l'amour-propre n'est pas satisfait, c'est qu'il doit demander plus, prendre plus; alors que la "machine" tourne déjà à vide, qu'elle puise dans le sable! Mais ainsi B est insupportable! Et ses manières pour blesser sont innombrables!

        Par exemple, B coupe la parole; sous-entendu que ce qu'il va dire est plus intéressant! Quand on parle, B regarde au-delà de nous, comme si la conversation l'ennuyait, comme si derrière se passait quelque chose de préoccupant... et on finit même par se taire et se retourner! Tout est bon pour B pour de nouveau être le centre d'intérêt, pour retenir l'attention! Notamment, il garde le silence, si depuis quelque temps on exprime une idée... Un être humain normal répondrait oui, oui, ferait signe qu'au moins il a compris, mais pas B, il laisse planer un doute: a-t-on dit quelque énormité? quelque chose dépourvu de sens? N'est-on pas fou? Ne le voit-on pas?

       B est tellement préoccupé par sa personne qu'il en vient plusieurs fois à raconter sa vie, des anecdotes que l'on connaît par cœur, qu'il répète inlassablement et qui le mettent toujours en valeur! Toute la pauvreté, la fermeture de B apparaît ici au grand jour, sans qu'il s'en doute, car on pourrait lui décrire des situations qu'on a soi-même vécues et qui le plongeraient dans l'ahurissement! Mais à quoi bon frapper une planche pourrie, un être débile?

        Pourtant, B sait se montrer lucide, pertinent et donc attachant! Il n'est pas dupe des uns ni des autres; il n'est jamais trompé (ou presque!) par l'actualité; il voit clairement les enjeux, les vices, les risques, mais tout cela est gâché rapidement par la tyrannie de son égoïsme! Pour expliquer certains événements, B invente bientôt des complots, des manœuvres appartenant à la science-fiction, car l'apparente froideur de la réalité l'écarte de son égotisme!

        De même B hait les personnalités qui réussissent, puisque, d'une manière ou d'un autre, c'est encore de l'intérêt en moins pour sa personne! B refuse encore d'apprendre, car se pencher sur l'histoire d'un tel, c'est avoir l'impression de délaisser la sienne! Ainsi, B, qui est pourtant passionné par la seconde guerre mondiale, n'a jamais lu les Mémoires du général de Gaulle, qui est un ouvrage capital sur cette époque! B se prive ainsi d'un nombre incroyable de connaissances, qui pourraient lui être utiles!

        B, en véritable tyran, fait tourner le monde autour de lui et c'est pourquoi il ne le voit pas vraiment! Il ressemble à un homme escaladant un poteau glissant: sitôt qu'il a gagné quelques centimètres, il retombe plus bas! Il faudrait faire un pas de côté..., que B se sente fier de lui, non parce qu'il se trouve supérieur, unique, mais parce qu'il a compris quelque chose, une loi, un phénomène, une logique qui régit les hommes, les caractères; parce qu'il a pénétré un peu plus avant le domaine de la sagesse!

        Son équilibre serait alors sûr, certain; il ne serait pas dépendant des autres et de la tyrannie qu'on peut exercer sur eux! B serait alors maître de lui-même et oublierait son cœur! Il serait libre et se reposerait, ferait reculer la dépression... et serait même conduit à la vraie joie, celle qui n'est pas momentanée, mais qui peut être renouvelée sans cesse, puisqu'elle appartient à un triomphe infini!

        Mais allez expliquer à B que, pour son sauvetage, il doit d'abord "la mettre en veilleuse", se contenter d'écouter, afin de respecter réellement les autres et de découvrir enfin le monde extérieur; alors qu'il saute sur le moindre morceau qui brille, comme si c'était la lampe d'Aladin et que le génie allait combler tous ses vœux! B sera sans doute victime d'une crise cardiaque, mais alors il mourra d'une ombre!

  • De l'emprisonnement II

    De l empri ii

     

     

     

     

        Continuons notre tour d'horizon des tyrans; montrons encore que le monde n'est pas du tout ce qu'il voudrait nous faire croire! Expliquons pourquoi nous avons toujours l'impression que la situation va mal, qu'elle puisse être désespérante, et pourquoi nous pouvons être rongés par l'incompréhension, être fragilisés par elle, et comment s'établit alors entre nous et les autres une querelle profonde et qu'il ne serait possible de résoudre qu'à condition que nous parlons tous le même langage, ce qui demanderait aux tyrans de comprendre ce que nous allons dire ici, ce qui leur demanderait de se regarder totalement, en vue même de leur propre bonheur!

        B est boucher et son histoire est complexe! D'abord, tout lui sourit! C'est un enfant du pays; ses parents sont connus sur la place et son échoppe est très bien achalandée. On s'y presse et on y passe toutes ses commandes, y compris celles des fêtes! B est d'ailleurs travailleur et il ne déçoit pas : sa viande est d'excellente qualité!

        B est aussi un jouisseur et les signes de sa réussite sont visibles... On remarque sa moto, un bel engin, ou sa voiture luxueuse, qui allie la performance à l'élégance! A ceux qui sont jaloux, B rétorque que chacun fait ses choix et que pour sa part il n'habite pas une maison! Bref, B est célibataire et en a les plaisirs!

        Tout va tellement bien pour B qu'il songe à prendre une autre dimension... Il quitte son échoppe pour un magasin plus grand, dans un tout autre secteur de la ville, et il étend son activité à celle du traiteur. Il prend encore un apprenti, mais assez vite, c'est la déception: on ne fait pas le chiffre espéré; la clientèle n'est pas au rendez-vous! Que s'est-il passé?

        Apparemment pour B, il est victime d'une trahison, son apprenti l'aurait trompé, et même peut-être escroqué! C'est une sombre histoire, qu'il est difficile de démêler, mais qui fait dire à B qu'on ne l'y reprendra plus! Pourtant, B semble retenir la mauvaise leçon, car la réalité est souvent bien plus difficile à accepter; mais ne serait-il pas plus exact et plus profitable de penser que B n'a pas su s'adapter à son nouveau milieu, que dans l'ancien il profitait de ses racines, et qu'il n'a pas su séduire une population qui a priori le considérait comme un étranger?

        Ainsi, des animateurs vedettes à la télévision triomphent, changent d'émission comme si le succès allait forcément les accompagner, et ils se retrouvent bientôt sans audience, accumulant les fours, prenant l'étiquette de perdants et ne rêvant plus peut-être que de revenir aux origines, à la situation qui leur allait si bien et qui les glorifiait! Et c'est encore le cas de B, il veut retrouver son ancienne échoppe et la sécurité que celle-ci lui donnait! Et ce sera possible pour B!

        En effet, le boucher, qui a racheté son échoppe, accepte de remplacer B là où lui-même a échoué! C'est un tour de passe-passe inespéré et revoilà B dans ses murs! Mais le charme est rompu! La clientèle s'est sentie trahie et elle se fait rare! D'autre part, B n'est plus le même; il est à bout de souffle, il n'arrive plus à être prêt à l'heure; son étal est encore vide alors que se présentent les premiers acheteurs! B est cachée dans une petite cuisine, dans laquelle il essaye de récupérer... La santé de B est altérée et continue de se dégrader!

        B ne s'est toujours pas remis de son aventure! Ce qui au fond est normal, car celle-ci a dû être fortement éprouvante, et maintenant B sert parfois avec les mains qui tremblent, signalant les ravages du stress! L'avenir de B est clair; la dépression est là, puissante, sourde et déjà destructrice! Si B ne se repose pas, il ne pourra plus assurer son travail; la fatigue et l'angoisse le vaincront! Plus il va se débattre et se faire violence et plus le mal refermera sur lui ses mâchoires! C'est comme au judo: il faut plier pour faire passer son adversaire et en être soulagé!

        On pourrait donc plaindre B et le regarder avec un l'œil d'un journaliste de Capital ou de Forbes, comme un entrepreneur qui a malheureusement perdu, un audacieux qui mérite tout le respect et qu'on espère voir rebondir! On verrait ainsi les choses à la surface, comme si on patinait sur les consciences, avec un joli bonnet et dans l'attente du coup de foudre, car des attitudes infiniment plus sombres apparaissent chez B!

        Quand il remarque près de son échoppe un individu à l'aise, tranquille et qui semble donc dominant, B le regarde de haut en bas, comme s'il l'évaluait, le jaugeait, en ne tardant pas à montrer tout son dégoût, son mépris! C'est évidemment une manière de reprendre le dessus, de se montrer supérieur à l'autre, en lui faisant imaginer par exemple que le détail qui cloche, ce sont les chaussures, ce qui implique qu'on regarde vers le bas, qu'on incline la tête, comme si on abdiquait!

        Cependant, l'autre n'a pas cherché à supplanter B, ce qui aurait été une preuve de faiblesse, dont B aurait sûrement profité... Il a juste ignoré B, parce que le boucher n'était pas sur son chemin, voilà tout! Mais B, comme la plupart des tyrans, ne trouve son équilibre que dans la domination et donc le monde doit tourner autour de lui et même la paix en dehors de sa personne lui semble insupportable! Il la combat pour être de nouveau le centre d'intérêt! On voit par là combien les tyrans, qui sont la majorité, rappelons-le, empoisonnent le monde!

        Tout cela montre à quel point B a soif de dominer, est attaché à son amour-propre, combien il est esclave de son égoïsme et comment il est prêt à faire le mal! Notamment, il n'hésite à pas à dénigrer celui qu'il remplace et qui lui a pourtant en quelque sorte sauvé la mise! Ce dernier, d'après B, prendrait trop de vacances, ferait murmurer les gens, la clientèle et ce serait donc mauvais pour le commerce, comme si B s'inquiétait du sort d'un concurrent! Mais c'est encore là une manière de répandre son venin, en se donnant l'absolution!

        Le mal est inévitable chez les tyrans! La soif de pouvoir, jamais assouvie, se traduit par des coups de dents à droite, à gauche: on rabaisse le monde pour s'élever au-dessus de lui! C'est une façon de se donner de l'air, de se rafraîchir, car les choses ne vont jamais assez vite pour ceux qui brûlent de parader, de triompher! Le mépris est sans doute l'arme favorite des tyrans: il blesse en un éclair et permet de ne pas s'exposer! Il n'engage pas physiquement et peut toujours être nié! La victime n'a-t-elle pas été le jouet d'une illusion, n'est-elle pas un tantinet paranoïaque?

         C'est enfin une arme très efficace: le mépris agit comme un mur psychique; il dévalue dans une dimension quasi invisible et qui empêche une réelle défense; il suscite la haine, mais dilue la révolte! Il mine, il éreinte, il fatigue sans en avoir l'air, surtout quand il s'accumule! Il perturbe, il désoriente et il finit par détruire, comme nous allons le voir plus loin!

        Mais revenons à B... Un autre boucher prend trop de vacances? Mais B devrait s'en inspirer, vu son état! N'est-ce pas inquiétant de trembler des mains, quand on sert un client? Ne sent-on pas dans ces conditions combien on peut être épuisé? Les larmes ne viennent-elles pas souvent aux yeux? N'est-on pas parfois submergé par le chagrin, la solitude? Ne voudrait-on pas que ça cesse? Ne rêve-t-on pas du bonheur, de l'apaisement, de la joie? Ne voit-on pas cela comme un Eldorado oublié, une chose maintenant inaccessible? Qui pourrait nous aider, quand la vie ne paraît qu'un long tunnel noir, dépourvu de sortie?

        Mais B est chevillé à son orgueil, il est prisonnier de ses ambitions, il est conduit par sa vanité; c'est le dominant qui réclame son dû! Ainsi, B est incapable de prendre du recul, d'avoir du détachement et de se voir tel qu'il est! Nul doute qu'il attribue désormais ses souffrances à une cause médicale et on pourrait effectivement le soulager pour une part grâce à des médicaments, mais, comme nous le voyons, son trouble est produit par une logique issue du règne animal, qui nous conduit dans une impasse et que tout un chacun peut comprendre... En fait, le sens de ce que nous disons se trouve déjà dans d'autres messages, dans l'Evangile notamment, mais ici nous utilisons des mots et des connaissances d'aujourd'hui: nous parlons d'Evolution, d'individualisation et non plus de péchés ou du diable!

        Mais de même que B est aveugle sur son cas, il lui est impossible de prendre les mesures à sa guérison! Il lui faudrait pourtant travailler moins, réduire son offre à une plus grande simplicité et non, sous le joug de l'inquiétude et dans le but de reconquérir une clientèle, peiner à rajouter à la tâche du boucher celle du traiteur! Se représente-t-on un homme seul commander et détailler ses quartiers de viande et en même temps se consacrer à la préparation minutieuse de certains plats! Il y a là de quoi achever n'importe qui!

        Cependant, consentir à un allègement pour B serait reconnaître au moins l'échec de son aventure précédente, qu'il attribue, pour sauver son orgueil, à une trahison de son apprenti! Ce serait pour B lire dans les yeux des autres qu'il a échoué, perdu, qu'il s'est trompé, et qu'il en paye encore aujourd'hui le prix! L'amour-propre, la soif de dominer de B, qui va jusqu'à mépriser le moindre quidam qui lui fait ombrage, l'empêche de s'abaisser, d'être simple, modeste, humble, respectueux, doux, curieux!

        De même encore, pour accepter de gagner moins, afin de se préserver, B devrait sans doute rouler dans une voiture plus banale et diminuer les signes extérieurs de sa réussite ou de sa richesse! Mais est-ce possible, quand l'équilibre du tyran repose justement sur le paraître, sur l'impression qu'il fait aux autres, sur le sentiment de leur être supérieur? Agir autrement, n'est-ce pas remettre en question toute sa vie, se trouver devant un abîme? Combien alors ne reculent pas devant la peur? Et puis c'est si facile de haïr, de jalouser et de vouloir détruire quand ça ne va pas! Tout plutôt que de demander la solution!

        Pourtant, B est parfois ironique quant à sa personne, ce qui est un signe d'intelligence et de lucidité... Les effets de la dépression se font aussi sentir... et il est toujours étrange de voir un tyran se déconsidérer complètement: c'est comme la lune qui fait face au soleil! Peut-être qu'entre ces deux contraires, à force, B pourrait-il trouver une sorte d'équilibre, mais nous en doutons, car dès que B va mieux, il en profite pour essayer de supplanter son interlocuteur, quitte à le faire passer pour un demeuré! B est comme un malade qui refuse d'admettre son mal et qui ne veut pas changer ses mauvaises habitudes! Ainsi sa voiture luxueuse trône toujours non loin de l'échoppe, pour prévenir les gueux d'alentour qu'ici il y a quelqu'un d'important; mais, pour celui qui sait, c'est plutôt comme les couleurs d'un navire qui coule!

        Toujours est-il qu'on peut déjà concevoir quel problème pose au sage ce monde! Le tyran vit au quotidien en cherchant à imposer sa personne et il lui faut donc des dominés, qui sont très vite des victimes! Le sage fait forcément partie de celles-ci, surtout quand il est jeune, car son manque d'agressivité, sa douceur, sa bonne volonté ne sont pas des obstacles aux coups du tyran; bien au contraire et il n'est rare d'en faire un pâtiras!

        Ainsi le sage est blessé sans raison! Ce n'est pas une de ses fautes qui lui vaut sa souffrance! Mais s'il cherche des explications, s'il demande justice, il se retrouve devant des gens qui se ferment, qui fuient, qui gardent le silence, comme si le sage n'avait rien dit, comme si son propos était incohérent, comme s'il était fou! Car, comme on l'a vu à travers l'exemple de B, le tyran n'avoue jamais ses sentiments ou ses envies, par peur de se diminuer, de déchoir, parce que son orgueil le lui interdit! Autrement dit, la nuit évite la lumière!

        Mais l'incompréhension peut alors habiter longtemps le sage, qui en vient à se considérer tel le seul perdu, tandis qu'autour s'affairent les tyrans, apparemment le plus tranquillement du monde! Le sage désorienté s'enfonce dans le doute et mange son pain noir! La solitude qu'il éprouve, les traumatismes qu'il a subis l'entraînent dans les régions dangereuses de la dépression; là où des sirènes ou des sentiments de culpabilité poussent à se blesser encore plus, à se détruire! Tout cela parce que le tyran fait le mal, pour ne pas sentir son angoisse!

        Mais le sage malade peut encore croire aux remèdes de la société, qui lui disent que la solution est en lui et qu'une thérapie la fera émerger! Mais le sage aura beau s'allonger sur tous les divans du monde, ou se livrer docilement au moins mauvais des thérapeutes, il ne pourra jamais effacer ce qu'il comprend, ce qu'il voit, et on devrait maintenant se rendre compte que d'essayer d'attribuer sa névrose à une quelconque sexualité refoulée, ou à un complexe particulier, est du plus grand ridicule! Les psychanalystes et autres psys devraient avoir honte, mais combien d'entre eux ne sont pas des tyrans qui s'ignorent? Il faudrait pourtant entrer dans la cour des grands!

        S'il appartient tout de même au sage de se pacifier, afin de prendre sa véritable dimension, ce n'est pas à lui de changer, mais c'est le tyran et donc toute la société qui doit évoluer! On ne peut pas se servir des autres, pour donner un sens à sa vie! On ne peut pas meurtrir impunément, encore faut-il prendre conscience de sa vilenie et qu'on blesse! Et c'est sans doute là le rôle du sage...

        La réaction de sa sensibilité plus fine est un avertisseur, que le tyran peut nier pourtant, jusqu'à la fracture, jusqu'à l'obstination la plus complète, jusqu'à mourir plein de dureté! Le sage, lui, termine avec son pain blanc!

  • De l'emprisonnement

    Enfermement

     

     

     

        Le tyran n'est pas libre, comme nous allons le voir à travers quelques exemples. Ils vont nous permettre de mieux comprendre le comportement du tyran, sa logique, et pourquoi la situation n'évolue pas, ce qui fait qu'elle est toujours aussi oppressante!

        Mais le tyran est comme les animaux, il répète chaque jour les mêmes attitudes, les mêmes défauts, les mêmes "vices" et il est à l'origine de son propre malheur et on ne pourrait que le plaindre, s'il ne blessait pas les autres et ne rendait pas la vie insupportable!

        Le tyran est comme la fourmi qui se débat dans le cône du fourmilion, sauf que c'est encore lui le dévoreur! Sa destruction est inéluctable et il est facile d'en être le témoin, au point qu'il est même tentant d'intervenir et ainsi d'améliorer la vie de tous!

        Mais le tyran n'apprend pas et même ne veut pas apprendre, et en tout cas lui donner la solution de ses problèmes susciterait forcément sa haine, son rejet et il nous faut donc nous contenter de regarder un spectacle connu, avec tout l'aveuglement dont le tyran l'enrobe! 

        Car le tyran ne voit pas le monde! Sa seule étrave, c'est la domination! Les autres n'existent que comme faire-valoir! Le tyran ne trouve son équilibre que dans la satisfaction de son égoïsme! Il est un univers clos, dont il est le centre et qu'il ne fait que déplacer!

        Mais place aux exemples, ce sera plus simple...

        T est traiteuse et rêve de dominer les halles où elle travaille. Elle se campe volontiers devant son échoppe, discutant avec un tel, mais surveillant également les alentours. Elle "trône" ainsi et a l'impression d'être d'un personnage important!

        Mais dès qu'elle aperçoit un élément étranger, c'est-à-dire quelqu'un qui est hors de son influence, elle fait grise mine et la haine, le dégoût affleurent sur son visage; pas trop cependant, car le nouvel arrivant est le plus souvent un client, qu'il faut bien servir!

        Le oui qu'elle répond au client, quand il demande ce qu'il veut, est celui d'une maîtresse à un élève qui a bien compris le problème qu'on lui a posé! La position dominante est toujours là! Par ailleurs, si T est énervée, sa voix sèche et son attitude autoritaire pressent le client, qui se sent subitement comme un boxeur asphyxié dans les cordes!  

        Sur l'étal est mis en évidence l'article d'un magazine, consacré à la réussite du mari de T et qui le nomme "le roi des charcutiers!" Evidemment, le magazine est une occasion de parler du mari, mais aussi de T qui ne devient vraiment aimable que quand il est question d'elle! Tout ce qui ne touche pas à T ne mérite que son mépris! Jamais elle ne se montrera curieuse des autres... Le monde n'a un sens que si T le dirige!

        T est volubile dès qu'on fait mine de s'intéresser à elle: elle prend incessamment! Elle est intarissable sur elle-même, sur ses petits soucis, sa santé, ses opinions; comme s'il était naturel qu'on fût à son écoute... et elle n'entend les propos de son interlocuteur que s'ils lui permettent d'être encore le centre d'intérêt! T ne donne donc rien, au contraire elle épuise!

        Pour couronner le tout, T est péremptoire, a des jugements sur tout, connaît tout, est pleine de sentences, de critiques; elle règle son compte aux uns et aux autres, entre deux tranches de jambon! C'est un maelström, un bloc verbal qui assomme et qui laisse T comme un sorte de sommité, qu'on est venu consulter... et qu'on paye, même si on repart écrasé!

        Cependant, comme tous les tyrans, T a des problèmes, car, on s'en doute bien, une telle attitude, une telle fermeture ne permet pas de résoudre les inquiétudes! Rappelons-le, imposer notre individualité, en assurer la suprématie, est nous comporter comme les animaux, ce que notre conscience nous interdit en quelque sorte, puisqu'elle nous fait voir et notre isolement dans l'espace et notre mort et même la souffrance des autres, pour ne citer que ces choses! C'est la conscience qui détient la clé de notre bonheur, c'est vers elle que nous devons aller, et cela implique le contrôle de nos instincts et donc de notre égoïsme!

        Si celui-ci nous mène, il nous est impossible de trouver la paix et d'apaiser nos angoisses! Elles continuent leur travail de sape, comme chez T! Un matin, T, taraudée par quelque anxiété, veut faire deux choses à la fois... et en déchargeant son camion, elle tombe douloureusement sur le genou! T se met alors à boiter... Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, son mal ne sera qu'une occasion d'aller voir le kiné!

        Ici, il est curieux de voir comment les femmes font fi de toutes les consignes, dès que leur corps souffre! Le passage quasiment obligatoire par le médecin traitant, avant la consultation chez un spécialiste, est jeté par-dessus les moulins! La femme prend les devants, elle-même médecin, et elle court auprès de celui qu'elle juge le plus capable de lui apporter du bien! Peu importe la dépense... et les dépenses, puisque la sécurité sociale va bientôt être concernée! Quant aux soins, cela va de l'ostéopathe au neurologue, en passant par quelques sorciers!

        L'homme, lui, est plutôt lâche et fuit la vérité médicale, ce qui n'est pas mieux...; mais on peut constater dès à présent que, malgré sa bonne morale, sa fierté citoyenne et de contribuable, T, à cause de son égoïsme et de ses ambitions, coûte déjà plus cher à l'Etat ou à la société qu'un bénéficiaire du RSA, ou peu s'en faut, et ce genre d'analyse devrait être matière à réflexion, car notre avenir ne réside pas dans les éternels débats sur le bon fonctionnement de l'économie... Nous devons saisir les choses tout autrement; c'est sur le sens de nos vies que nous devons nous interroger!

        Toujours est-il que T boite et que ça ne se répare pas... Son calvaire n'est pas fini et ne fait même que commencer! Cependant, après quelques mois et de nombreuses séances de kiné, le genou dorloté va mieux, mais maintenant c'est le dos qui se bloque, qui coince et qui fait mal! Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, elle avait prévu le "coup": il était normal que le corps compensant, il blesse une autre de ses parties!

        Il ne viendrait pas à l'idée de T que c'est sa nervosité, son anxiété et même tout ce qu'elle ne veut pas voir, qui point ainsi à travers ses douleurs..., qui demande à être "regardé" et que cela ne peut pas vraiment se soigner grâce à la médecine! Ce sont d'autres soins dont a besoin T et ils ne sont pas non plus psychologiques!

        De même T voudrait maigrir, pour redevenir séduisante..., mais ce n'est pas possible de manger moins quand on est fatigué, quand on s'épuise! La nourriture est vue comme un renforcement et même tel un anesthésiant, car on ne veut surtout pas se réveiller durant la nuit, alors qu'on a tant de sommeil à rattraper! On se "bourre" donc et le matin, sur la balance, on ne peut que pleurer! Malgré ses efforts, T s'empâte et son corps de plus en plus lourd et de moins en moins souple risque des blessures de plus en plus graves!

        On voudrait aider T, car, on le voit, il lui suffirait de "lever le pied", de prendre du repos, de se détendre! C'est tout à fait possible, puisque T est déjà son propre maître, gagne bien sa vie et paye sans peine ses factures... Moins d'heures, moins de fatigue ne dépendraient que d'un peu plus de modestie dans le train de vie... Le relâchement viendrait avec un autre regard, du recul, mais T est esclave de son égoïsme, de son amour-propre!

        D'abord, ralentir pour T serait senti comme une déchéance, comme un échec! Ensuite, placer le problème au niveau de l'orgueil, de l'égoïsme, serait mettre T devant une réalité quasi insoutenable! Elle serait contrainte de se voir sans fard, dans une lumière trop crue, et le déni et la haine et le rejet s'ensuivraient! La réaction de T serait un mélange de violence, de surdité et on noierait bien vite le poisson, afin que tout revienne comme avant, comme si rien n'avait été dit! L'effort aurait été stérile!

        Cela est d'autant plus vrai que le tyran vit dans une illusion, qui explique son aveuglement, son incapacité à voir simplement la solution et aussi malheureusement le fait que le monde ne change pas ou si peu! Pourquoi aujourd'hui que nous avons tout, confort et démocratie, sommes-nous toujours dans la peine, la souffrance? Mais T se pose volontiers en victime; elle aime préciser que tel jour férié, alors que les autres courent déjà au bal, elle s'astreindra encore à sa comptabilité ou à mener à bien une dernière commande... T aurait pu avoir un papa gardien de phare!

        L'illusion ne permet pas de cerner la réalité, elle la transforme même! Combien de femmes n'ont pas été surprises un jour de se voir désirées par un individu bedonnant et suant, qui n'avait aucun charme? Cette outrecuidance les a désarçonnées plutôt deux fois qu'une, car leur refus a provoqué de la haine et du mépris, chez celui qui a été repoussé et qui de toute façon était repoussant! Mais ceci est aussi valable du côté des hommes, qui sont choqués par les prétentions de grosses ou de vieilles, qui les maudissent devant leur froideur! Quelle n'est pas la force de notre amour-propre, pour nous donner le beau rôle, quel que soit notre état de délabrement!

        Il y a encore des femmes qui parlent comme si elles répondaient à un interview de Marie-Claire! Elles se racontent sous forme de rubriques: travail, famille, amour et elles ont un hobby aussi artificiel qu'une jambe de bois! Puis, pour conclure, elles avouent en riant qu'elles sont heureuses, comme s'il fallait en avoir un peu honte, mais cela souligne aussi combien elles sont malignes et le haut degré de leur réussite!

        Ces femmes n'existent pas vraiment et elles sont sous les apparences perdues... La vie n'a rien du papier luisant et des photos chaudes des magazines! Mais combien d'hommes ne gardent pas une âme de Matamore et ne rêvent pas, pratiquement éveillés, de se débarrasser d'une bande de voyous, en frappant promptement et efficacement; tandis qu'ils sont déjà essoufflés à se tenir debout, au-dessus de leur bedaine et la clope au bec!

        Le tyran est un petit roi ou une petite reine qui partout installe son univers! Il dispose sa dinette et les autres doivent se mettre au diapason, c'est-à-dire qu'ils vont éprouver la domination du tyran et donc la "forfanterie" de son illusion! Par exemple, dans le TER, un homme au centre du wagon fait claquer ses chaussures, pour bien montrer le poids de sa présence et attirer l'attention! Puis, assis, il déplie vigoureusement son journal, en arborant au bout de ses jambes croisées la propreté impeccable de ses chaussettes et le vernis brillant de ses souliers!

        "Voilà un homme!", devrait-on se dire, car le tyran ne craint pas le ridicule et veut des admirateurs! De même, une femme dans son coin nous invite à suivre chacun de ses gestes... Elle secoue ses cheveux, elle enlève lentement son écharpe, découvrant un peau couleur de neige; elle étend un pied qu'elle veut le plus mignon du monde! Elle cherche à devenir le centre d'intérêt, comme notre lecteur de journal, et tous deux ne perçoivent le monde que pour l'asservir!

        Le sage, au contraire, ne voit plus les autres à travers le prisme de sa domination, car il n'en désire plus aucune! Ce n'est pas qu'il trouve ses voisins a priori sympathiques, loin de là! Mais il les considère comme des êtres propres, avec leur singularité! En un mot, il les respecte et il n'exerce pas sur eux son pouvoir, ce qui fait qu'il est dépourvu de haine à leur égard! La réalité du sage n'est pas une bulle constituée par l'amour-propre; c'est une charpente infinie bâtie par les lois de la sagesse! Et puisque c'est une affaire de logique, il devrait être permis à chacun d'y accéder!

        Cependant, le cas de T n'a rien d'exceptionnel; c'est au contraire celui que l'on rencontre le plus souvent, c'est en fait le schéma type du tyran! Il se débat dans la nuit et se détruit! Certes, T doit parfois éclater en sanglots, juger que c'est trop dur: elle craque, comme on dit, et elle a bien été un être humain à une certaine époque! Une jeune fille aimable et serviable apparaît par moments dans sa personne, mais d'une manière bien trop fugitive et l'égoïsme reprend vite le dessus!

        Ainsi, que les tyrans se heurtent à un mur, jusqu'à disparaître, serait somme toute mérité, mais le problème est que nous vivons "ensemble"! Ce sont les autres qui créent notre environnement et celui-ci exerce forcément sur nous une pression! Or, le tyran est comme le désert autour du puits, alors que le sage est l'inverse! L'"empreinte" psychologique du tyran est terrifiante: elle est pour l'esprit comme une centrale à charbon pour l'azur!

        Le tyran vide incessamment, il perturbe, il blesse, il écrase! On a beau être aimable avec lui, pour l'amadouer ou l'apaiser, il prend cela pour de l'intérêt et redouble d'égocentrisme! C'est de nouveau de lui qu'il parle, c'est de nouveau de ses grandes qualités dont il est question!

        Le tyran ne sort pas de ce comportement; il ne comprend pas qu'il répète les mêmes erreurs; il est comme enfermé, et le lendemain rien d'étonnant à ce qu'il soit encore plus maussade, plus mal! Mais c'est la faute des émigrés, dira-t-il, et le sage s'en va, impuissant et quelque peu écœuré (même si certains émigrés sont eux-mêmes des tyrans!)!

        Le corps de T finira par céder, apprendra-t-elle à partir de là?

  • Aphorismes

    Aphorismes

     

     

     

     

        La matière est infinie, comme la beauté!

        Créer, c'est se libérer, être soi!

        Faire le mal, c'est se comporter comme les animaux!

        Le mal est le triomphe de soi!

        Le tyran ne peut vivre seul: s'il n'a pas de public, il fera des victimes!

        Le tyran a du dégoût pour tout ce qui n'est pas lui!

        La violence est toujours issue de l'égoïsme!

        La colère soulage l'égoïsme; la haine le nourrit!

        Le tyran se reconnaît à la vivacité de son amour-propre!

        Le succès pour le sage, c'est d'être heureux!

        Le sage n'est ni dominant, ni dominé!

        Le sage ne peut pas perdre, parce qu'il ne veut pas vaincre!

        Le tyran peut prendre la patience du sage pour de la faiblesse!

        Soyez curieux des autres!

        Qu'est-ce qui est infini et gratuit? La beauté!

        Extrême pauvreté de la psychanalyse!

        Le sage a l'éternité devant lui!

        Le vrai est ce qui reste!

        Les morts détestent les vivants!

        La pire façon de lutter contre l'angoisse, c'est la haine!

        Plus le sage avance et plus il est doux!

        Le sage maîtrise sa peur; le tyran connaît des angoisses atroces!

        L'homme est un animal habillé!

        Tout doit servir le tyran!

        Le tyran bâille quand il est question des autres!

        Le sage échappe à toute tyrannie!

        Il ne faut pas confondre: "Pars en Chine!" et parenchyme!

        Le tyran hait le bonheur, car le bonheur ne s'occupe pas de lui!

        Je ne crois pas du tout à l'équilibre des autres!

        Notre quotidien est une façade!

        Plus l'homme est immature et plus la beauté lui est secondaire!

        La paix intérieure ne se soucie pas de l'étiquette!

        Le sage ne demande pas qu'on l'admire!

        La satisfaction du tyran est toujours fugitive!

        L'inquiétude fait hausser les épaules du sage!

        Les tyrans ignorent le ciel!

        Les tyrans sont toujours en chasse!

        La tyrannie n'a pas de sexe!

        Rien n'est plus facile que d'être un tyran: il suffit de suivre son égoïsme!

        Le tyran ne comprend pas la nature, car elle ne le salue pas!

        Le sage repose; le tyran épuise!

        L'art, c'est l'esprit des choses!

        Le tyran cherche l'affrontement!

        L'artiste est une abeille sur le miel de la beauté!

        Le sage ne se blesse plus!

        Nous ne pouvons plus rouler la nature comme un vieux tapis!

        Le tyran a sa clochette, qui dit: "Je ne prends pas de plaisir!"

        Incroyable naïveté de la science!

        Si seulement un scientifique savait regarder un grain de sable!

        Le tyran trouble, le sage éclaire!

        L'art est une conquête de soi!

        Dès qu'un homme parle d'urgence, il est suspect!

        L'art est l'arme de l'artiste!

        Il ne faut pas confondre: "Je ne sais pas, coiffeur!" et "Je ne sais pas quoi faire!"

        Plus l'égoïsme est fort et plus les inquiétudes sont fortes!

        La peur conduit à l'agitation!

        Le tyran est malade!

        Enchantons-nous!

        Le temps n'existe pas!

        Tout angoisse vient d'un manque du sentiment de soi!

        La haine est un luxe!

        Ralentir le temps, c'est se débarrasser de ses inquiétudes; c'est échapper à toute tyrannie!

        La paix, c'est la liberté de l'esprit!

        Le tyran n'aime pas le bonheur des autres; le sage, lui, s'en réjouit!

        Saisir le moment présent, c'est saisir ce qui est intemporel; c'est accéder à l'éternité!

        Le tyran se moque de ce qu'il ne connaît pas!

        Le sage effraie le tyran!

        Le tyran ne cherche qu'à dominer, c'est là la source de son équilibre!

        La femme domine par sa séduction!

        Le tyran a besoin du sage, mais nullement l'inverse!

        Le sage accepte d'être pauvre, c'est comme ça qu'il apprend!

        Le tyran est comme un piège à loup!

        La guerre vient essentiellement de l'orgueil! L'amour-propre a tué des millions de gens!

        La sagesse est la plus grande exploration!

        Le tyran saute sur la faiblesse!

        Le tyran est un bébé adulte!

        Le sage est lucide, le tyran vit dans son monde!

        Le sage aime le temps!

        Le tyran est en représentation constante!

        Il ne faut pas confondre: "J'ai des pensées!" et "J'ai dépensé!"

        Le tyran ne pardonne pas!

        Le tyran vide!

        Le tyran sollicite instamment le sage!

        Le tyran croit que la société n'est pas une création; il ne sait pas que la mort existe!

        Le tyran est sourd: il veut qu'on répète ce qu'on vient de dire!

        La patience du sage est le gage de sa sincérité!

        Le tyran est serviable pour se faire remarquer!

        Le tyran est avare comme un gouffre!

        Le tyran ne peut vivre sans esclaves!

        Le tyran n'aime pas le talent des autres!

        Le sage connaît le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le sage s'amuse, la tyran souffre!

        Le sage est innocent, le tyran a des responsabilités!

        Le sage est un enfant, le tyran un adulte!

        Le tyran n'évolue pas, le sage n'en finit pas de grandir: c'est là son bonheur!

        Le tyran déteste la liberté du sage!

        Le tyran est comme un cochon dans sa soue!

        Le tyran n'aime que le sang!

        Le sage voit le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le tyran ne sait que parler de lui! C'est à cela que lui sert le malheur des autres! C'est la raison de sa compassion!

        Tout ce qui est grand irrite le tyran!

        La jalousie rend le tyran cruel!

        Le sage vit parmi les tyrans comme parmi des marionnettes!

        Le sage surprend le tyran, mais nullement l'inverse!

        Le monde appartient au sage, ce que le tyran ignore!

        Le tyran vit comme une taupe, jusqu'au bout!

        La matière est infinie, comme la beauté!