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  • La Nuit des Doms (13-17)

    • Le 11/10/2025

    R103

     

                        "Vous ne me demandez pas comment va la fille?"

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         Cependant, on doit laisser passer un bus, sur le trajet… Il amène des prisonniers et a un aspect inquiétant… Les passagers y sont tous silencieux, plongés dans leur téléphone, ou ont des gestes mécaniques et des attitudes accablées… « On l’appelle le Bus des damnés, précise Web, car les passagers y paraissent en route vers l’enfer ! Mais on arrive à la première cellule que je voulais te montrer... »

    Une Apparence ouvre la porte de la cellule et Web et Paschic y pénètrent... De l’ombre vient laborieusement un Dom sur ses béquilles… « On le surnomme La Mouche, à cause de ses éternelles lunettes de soleil, explique bas Web. Alors, La Mouche, comment ça va c’ matin ?

    _ Et comment voudrais-tu qu’ j’ aille ? J’ sors de six mois d’hosto, moi !

    _ Ah bon ? Et qu’est-ce qui t’est arrivé ?

    _ Ben, j’ suis tombé tout seul ! Ça arrive ! La prothèse que j’avais dans la hanche a brisé mon fémur !

    _ Ouille !

    _ Ouais, six mois d’hosto ! Le chirurgien ma dit : « C’ a été long ! »

    _ En effet…

    _ J’ai connu un ami dans la même situation… commence Paschic.

    _ Et comme si ça ne suffisait pas, coupe La Mouche indifférente à l’intervention de Paschic, maintenant une infection due aux staphylocoques !

    _ Mon pauvr’ garçon ! fait Web.

    _ Et comment ça vous est arrivé ? demande Paschic.

    _ Ben, je jouais à la pétanque et j’ai pas fait attention aux petites bordures du terrain… et crac ! J’ suis tombé ! Ça a fait un drôle de bruit ! »

    A cet instant, Paschic éclate de rire et s’exclame : « La pétanque, sport dangereux ! Ah ! Ah ! » Mais la réaction de La Mouche est glaciale, haineuse même : « Dis donc, Web, dit-il, qui c’est ce zigoto ? Si vous êtes venu vous foutr’ de ma gueule, vous pouvez repartir aussi sec !

    _ Mais on s’en va La Mouche, répond Web. On s’en va… Content d’ t’avoir revu !

    _ Ouais ! C’est facile pour vous de rire, vous êtes en bonne santé ! »

    Hors de la cellule, Web laisse aller son irritation : « Mais qu’est-ce qui vous a pris de vous moquer d’ lui ! C’est triste ce qui lui arrive !

    _ Mais enfin, Web, vous avez bien vu : La Mouche est incapable de s’intéresser à un autre que lui-même ! Et c’est bien là sa prison, d’autant qu’il se sert de ses problèmes pour attirer l’attention ! Il doit bien fatiguer son entourage, allez, comme il a dû bien épuiser le personnel médical ! Rien de pire que quelqu’un qui ramène tout à lui-même ! Si seulement ce type pouvait s’ouvrir un tant soit peu, il souffrirait déjà deux fois moins !

    _ Et vous avez compris ça rien qu’en l’ regardant ?

    _ Mais non, quand j’ai parlé d’un ami qui avait eu le même accident, ce qui pouvait peut-être aider La Mouche, elle n’a rien voulu savoir ! Irrespirable !

    _ Bon, admettons… Allons voir un autre détenu…

    _ Mais qu’est-ce qu’on entend ? C’est quoi ce vacarme ?

    _ Mais c’est les cubes roulants ! Ils passent aussi par la prison… en fait, ils n’en sont qu’une extension !

    _ C’est hallucinant ! Et ils ne cessent donc jamais de rouler !

    _ Jamais ! Même le dimanche, ils roulent, pour aller chercher le calme !

    _ Je vois… J’en ai la nausée, Web !

    _ Ouais, bon, retenez-vous, sinon les Apparences vont nous tomber d’ssus !

    _ Et les prisonniers ne se plaignent pas du bruit ?

    _ Pensez-vous, la plupart ne le remarque même pas ! J’ai même l’impression que ça les rassure ! C’est plutôt le silence qui les inquiéterait !

    A cet instant, on croise d’autres prisonniers, emmenés par les Apparences, et ils ont l’air de poser pour une caméra ! Ils ont des discussions et des sourires factices, pour ne pas voir le monde qui les entoure… Sidéré, Paschic les regarde passer…

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          « Le suivant est l’Épicier, dit Web, parce qu’il vend toutes sortes de choses aux autres prisonniers ! Ça marche bien en plus ! » Une Apparence ouvre de nouveau une cellule et Paschic et Web se retrouvent devant un étal plein de légumes et derrière lequel les accueille un Dom assez jovial !

    « Web ! fait l’Épicier. Comment allez-vous ? Bien ? Bon ! J’ai ici de magnifiques salades… et les tomates viennent d’arriver ! Très bonnes ! Il y encore du raisin, par contre je n’ai plus d’endives, mais je les attends !

    _ Eh bien, eh bien, ah ! ah ! Tout à l’air de marcher pour vous !

    _ Je ne peux pas m’ plaindre… Après un début difficile, c’est un peu mieux…

    _ J’ vois que vous avez aussi des kiwis, coupe Paschic, c’est très bon en confitures…

    _ J’ ne sais pas, j’ suis allergique aux kiwis !

    _ Ah bon ? Tiens du sucre complet, reprend Paschic. Il paraît que c’est le moins nocif, à cause de la mélasse…

    _ S’il est meilleur que les autres, c’est parce qu’il contient des fibres...

    _ C’est ça, c’est la mélasse… Il n’est pas raffiné…

    _ C’est à cause des fibres…

    _ Mélasse…

    _ Fibres !

    _ Dites donc l’Épicier, fait soudain Web, vous êtes tout pâle !

    _ Hein ? »

    L’Épicier rejette la tête en arrière et son visage s’allonge ! Il transpire et semble se contraindre formidablement ! Il agrippe une cagette, ouvre la bouche pour crier, puis se reprend de justesse ! D’une voix venue d’ailleurs, il dit : « Je vous écoute », comme s’il sortait d’un rêve, alors que des veines saillent sur son front, ainsi que des fissures !

    « Mais, mais on va pas vous déranger plus longtemps, l’Épicier ! enchaîne Web qui se veut léger, pour masquer son inquiétude. Hein, Paschic ? On y va ? On est parti ! »

    Web et Paschic sortent et dès qu’ils ne sont plus à portée de voix, Web s’exclame : « Bon sang de bonsoir, j’ai bien cru qu’il allait nous exploser sous l’ nez ! ou s’ transformer en loup-garou ! J’ai eu les j’tons, Paschic ! J’avais le trouillomètre à zéro !

    _ Affreux, en effet !

    _ Bon sang, mais qu’est-ce qui s’est passé ?

    _ C’est assez simple, si vous voulez mon avis… Je lui ai appris quelque chose de nouveau et son monde est tellement fermé que ça lui est une épreuve quasi insurmontable !

    _ Vous rigolez !

    _ Vous avez une meilleure explication ? L’Epicier veut être un maître absolu chez lui et tout ce qui vient de l’extérieur est dérangeant et le déstabilise ! La voilà sa prison et il est plutôt à plaindre, car le monde est vaste ! Notez que cela demande un orgueil phénoménal ! Vous vous rendez compte : ne pas être heureux d’apprendre quelque chose ! Mais subir cela comme une humiliation ! J’ vous dis pas non plus les angoisses qui parcourent sa bulle et qui le font esclave ! Il a des yeux cernés sous le masque, signe de fatigue et même de harassement ! Eh, mais on n’ guérit pas d’ ses peurs, en voulant être le chef et tout contrôler ! Il faut être assez humble, pour accepter de découvrir !

    _ Ouais et vous avez encore vu tout ça en cinq minutes ?

    _ J’ m’excuse, Web, mais j’ bosse, moi ! Ah ! Ah !

    _ C’ qui m’ennuie avec vous, c’est que je n’ sais pas quand vous parlez sérieusement… ou quand vous plaisantez !

    _ C’est l’âge, ça Web ! Vous avez pensé à faire des examens ?

    _ Espèce de salopard ! »

    Il y a un moment de silence, alors que, toujours sous la garde des Apparences, on avance le long des cellules… « Vous fanfaronnez, Paschic, mais je vous ai quand même réservé une sacrée surprise !

    _ Là, Web, j’ crains l’ pire !

    _ Vous pouvez, car il y a pire que le pire ! On arrive ! »

    Les Apparences ont déjà ouvert la prochaine cellule et invité par Web à y entrer le premier, Paschic ne peut réprimer un cri de surprise ! « La Machine ! » s’exclame-t-il.

                                                                                                                            15

         « Eh oui, la Machine ! répond-elle. La taule doit être impeccable ! Je ne veux pas voir une seule toile d’araignée ! Faut bosser dans la vie ! Y a pas d’ place pour les faibles ! Sinon les monstres de l’extérieur vont venir !

    _ Les monstres de l’extérieur ? demande Web. Mais de quels monstres parlez-vous ?

    _ Mais de ceux qui voudraient profiter d’une faible femme comme moi ! Y en a toujours, allez ! Et puis l’indigence peut frapper ! Vous avez laissé ouvert, car il fait froid ici !

    _ Hein ? Euh, j’ crois qu’oui…

    _ Vous croyez, mais vous n’êtes pas sûr ! Les hommes sont tous les mêmes, des incapables ! Mais enfin, c’est quand même pas compliqué : la porte, elle est fermée ou ouverte ?

    _ Elle est… fermée…, répond Web qui s’est retourné et qui commence à suer.

    _ Bon ! Dehors, c’est toujours pareil ?

    _ Ben…

    _ De toute façon, ça ne m’intéresse pas… Il y a longtemps que je n’espère plus rien de ce côté-là !

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ Vous croyez peut-être que j’ai été payée pour tous mes sacrifices ? qu’on a enfin reconnu tout mon mérite ? Je n’ai rencontré qu’ingratitude ! On peut toujours crever ! Moi, la Machine, on m’oublie, on m’ néglige, j’ suis laissée sans soins ! 

    _ Mais enfin…

    _ Qu’est-ce qui s’ passe ici ? »

    C’est Lapsie, la psychologue de la prison, qui fait son entrée et qui est scandalisée de voir la Machine pleurer ! « Qu’est-ce que vous faites à cette pauvre femme, pour la mettre dans cet état ?

    _ Mais rien ! s’insurge Web. On est juste venu prendre des nouvelles !

    _ Et le fils est encore là pour distiller son venin ! reprend Lapsie. Hein, Paschic ? Je sais que vous êtes le fils de la Machine et combien elle a souffert à cause de vous ! Vous devriez avoir honte ! Un fils qui n’a même pas cotisé pour sa retraite ! Un faible, un lâche, un assisté ! Combien de fois la Machine n’a-t-elle pas dû vous aider financièrement, pour que vous lui crachiez au visage !

    _ C’est vrai ça, approuve la Machine. Regardez-le, il a toujours ce petit sourire en coin, car, figurez-vous, le bonhomme se croit supérieur, que tout le monde est à son service ! Moi, je ne suis bonne qu’à laver l’ linge, à préparer l’ repas ou à donner des sous ! J’ suis la bonne poire ! celle qui vit sous les quolibets et le mépris de ces messieurs !

    _ Allons, mon ange, calmez-vous, Lapsie est là maintenant pour vous protéger ! Vous avez tout ce qu’il vous faut ! Votre literie est bonne ? Tiens, qu’est-ce que c’est qu’ ça ? »

    Lapsie sent quelque chose de dur dans le matelas… Elle fouille et bientôt elle sort deux pistolets, trois grenades, quatre couteaux et… un bazooka ! « Eh ben, dites donc, ouf ! fait-elle sous l’effort. Hum ! C’est pas très réglementaire, tout ça !

    _ Si vous saviez comme le monde est méchant ! explique la Machine. On m’en veut, c’est sûr ! On est toujours prêt à m’ dénigrer ! On m’ jalouse ! Il faut bien que je m’ défende ! Le faible disparaît ! Moi, j’ tiens ! On m’aura pas comme ça ! Et puis, y a le dénuement ! Il vient m’ voir le soir, vous savez…

    _ Ah bon ?

    _ Oui, à l’heure où les murs suintent et quand le silence règne sur la prison, il sort de l’obscurité sous la forme d’une grosse araignée velue !

    _ Allons, allons, vous avez pris vos cachets ?

    _ Quels cachets ? Tout l’ monde me néglige ! Personne ne pense à moi !

    _ Les hommes sont narcissiques, que voulez-vous ! Votre fils en est un bon exemple !

    _ Un bon à rien ! un véritable poison ! Mais vous-même, ma chère, vous n’êtes pas tellement bien habillée… A bien des égards, vous avez l’air d’une souillon !

    _ Je vous demande pardon…

    _ Oh ! J’ dis pas ça pour vous blesser ! Mais faut bosser dans la vie ! Y a pas d’ pitié pour les faibles ! Vous ne devez pas gagner beaucoup, je me trompe ? Tenez, je peux vous offrir une bonne paire de chaussures, plutôt que celles bon marché que vous avez aux pieds !

    _ Mais je ne vous permets pas ! Je me trouve très bien comme ça !

    _ Bon, bon, je voulais juste vous aider ! Vous, les jeunes, vous croyez que tout tombe dans l’ bec, comme ça ! Vous êtes habitués à vos aises ! Tandis que moi, j’ai pas arrêté du matin au soir ! Z’avez des enfants ?

    _ Pas encore…, mais j’espère en avoir…

    _ Vous verrez à c’ moment là ce qu’est la vie ! Combien on peut travailler pour les autres, sans récompenses ! Ici, qu’est-ce qui m’ reste ? Rien ou presque ! Ah ! J’ suis bien malheureuse !

    _ Bon, j’ vais vous laisser, dit Lapsie. J’ reviendrai plus tard !

    _ Nous aussi, on s’en va ! » jette Web, qui rajoute une fois dehors : « Dites donc, Paschic, vous n’avez rien dit !

    _ Non, ça m’ repose... »

                                                                                                                     16

         « Bon, allons voir un autre détenu ! rajoute Web, qui reprend le pas des Apparences.

    _ Dites donc, Web, c’est encore les cubes roulants qu’on entend ?

    _ Bien sûr, le trafic s’étend sur plusieurs niveaux ! C’est comme les anneaux d’une planète !

    _ Jolie formule ! Mais il n’y a pas que le vacarme des cubes roulants… On bétonne quelque part !

    _ Et comment ! Le Cube ne cesse de se développer ! Le béton avance et la Chose recule !

    _ Effectivement, le massacre des arbres continue…

    _ Eh ! C’est que nous sommes de plus en plus nombreux !

    _ Je croyais nos populations vieillissantes ! De toute façon, nous détruisons notre monde surtout par peur…

    _ Ah ! Nous arrivons ! Vous allez voir, c’est un prisonnier modèle, tout ce qu’il y a de plus tranquille, de plus respectable... »

    Les Apparences ouvrent la porte de la cellule et Web et Paschic s’y glissent devant un petit homme à lunettes, qui écrit sur une table. En reconnaissant le compagnon de Paschic, il s’écrie : « Ah ! Web ! J’ suis bien content de vous voir… Je suis en train de remplir ma dixième demande d’explication et vous pourrez peut-être m’aider !

    _ Volontiers…, si c’est dans mes compétences !

    _ C’est que je ne comprends toujours pas ce que je fais ici…

    _ Racontez une nouvelle fois votre histoire, car mon ami Paschic, ici présent, peut nous apporter ses lumières…

    _ Ah ? Très bien ! Si vous voulez vous asseoir... »

    Web prend la deuxième chaise, tandis que Paschic tâte la souplesse du lit… « Alors voilà, reprend le petit homme, je m’appelle Kurtz, Gabriel Kurtz, et j’ai eu une existence, j’ose le dire, modèle, très comme il faut, parfaitement en règle ! J’ai trouvé un travail chez les visseries Affner, où je suis resté plus de trente ans ! Une belle preuve de stabilité ! Je me suis naturellement marié et j’ai eu des enfants ! Ils sont grands maintenant et ont réussi, notamment grâce à l’éducation que moi et ma femme, nous leur avons donnée, sans compter notre aide financière…

    _ Bien sûr, dit Web…

    _ J’ai une maison dans un quartier résidentiel, avec un jardin que j’entretiens au point de faire envie à mes voisins ! Ma femme participe à des œuvres de charité, elle est très bien intégrée et nous avons chacun notre voiture, ce qui nous permet une complète autonomie… Aujourd’hui, je suis à la retraite, avec une pension, disons, confortable, mais ce n’est là qu’un juste retour de choses, puisque j’ai travaillé toute ma vie ! Alors qu’est-ce que je fais là ? Où est la faille ? J’écris demande sur demande, pour comprendre, mais on ne me répond pas !

    _ Il est possible que des jaloux vous aient dénoncé faussement… dit Web, en se grattant la tête. Qu’est-ce que vous en pensez, Paschic ?

    _ Eh bien, je trouve monsieur bien nerveux...

    _ Nerveux, moi ? s’écrie Kurtz. Ah ! Ah !

    _ Si vous n’étiez pas nerveux, vous ne seriez pas ici…

    _ Bon, très bien ! Je suis nerveux, mais comment ne pas l’être ? Vous avez vu ce monde ? Il est absolument inquiétant ! On y fait n’importe quoi ! On jette l’argent par les fenêtres ! On s’ préoccupe de choses qui ne nous concernent pas ! Et puis…, et puis on invite les étrangers… et ils envahissent le pays ! Non, j’ ne reconnais plus rien ! Alors, oui, j’ suis nerveux ! Hein ? Y a d’ quoi !

    _ Bien sûr ! fait Web conciliant.

    _ Ah ! Mais j’ai réagi ! Quand Van Spielt s’est présenté pour les présidentielles, j’ai voté pour lui ! Il disait : « Nous d’abord, les autres après ! » Ça m’a séduit ! C’est le simple bon sens ! Et puis, il parlait des valeurs morales et elles me sont chères, car j’ai essayé de bâtir ma vie sur elles ! Je me suis reconnu dans c’ qu’il proposait ! Il voulait redonner au pays toute sa grandeur, toute sa force ! J’étais d’accord !

    _ Il a quand même changer les lois…, dit Web, qui sort un cigare. Il a même touché à la constitution, pour renforcer son pouvoir ! La démocratie en a pris un coup !

    _ Et alors ? Il fallait lutter contre ces parasites de gauche, ces fauteurs de troubles ! On ne peut pas thésauriser sans ordre ! Mais ils s’en foutent, ce qu’ils veulent, tous ces gauchos, c’est le chaos, incapables qu’ils sont de gagner honnêtement leur vie ! Un poil dans la main qu’ils ont !

    _ Admettons, mais Van Spielt a tout de même supprimé la liberté de la presse et toute opposition ! Et puis il a créé ses milices, qui ont commis des violences… Des étrangers ont été battus, tués…

    _ Je ne suis pas vraiment au courant… Mais bien sûr que je désapprouve toutes ces violences… Il y a eu des abus ! Mais est-ce pour cela que je suis ici ? Je n’ai frappé personne ! J’ai juste désiré…

    _ Ne plus avoir peur ! coupe Paschic. Et vous pensez qu’il a existé une époque où la société était stable, nullement inquiétante, où tout le monde était d’accord ? Mais, si cet état existe, il ne peut être que dans la mort ! Là, oui, tout est stable !

    _ Mais…

    _ Savez-vous pourquoi nous avons peur ? poursuit Paschic. Pour savoir justement ce qui est solide en nous, au point de nous guérir de la peur ! La vie est ainsi : elle n’est pas naturellement stable ! Être vivant, c’est être en recherche ! Le doute nous est constructif ! Si vous êtes ici, c’est par manque de courage ! Vous voulez la sécurité, pour caresser votre égoïsme ! C’est de l’enfantillage ! »

                                                                                                                       17

         « Qu’est-ce que vous pensez d’ tout ça ? demande Web dans le couloir et en soufflant la fumée de son cigare. Pas jojo, hein ? Mais vous pleurez, mon vieux !

    _ Oui, je pleure sur ces milliards de cellules ! sur tous ces gens qui ont soif et qui ne savent pas boire ! qui méprisent le puits ou qui l’ignorent ! Je pleure sur notre misère, Web ! sur notre lâcheté et notre aveuglement ! bien sûr, sur notre cruauté aussi ! et notre petitesse !

    _ Remettez-vous, mon vieux, vous prenez trop les choses à cœur ! Tiens, il pleut… des feuilles ! »

    Sur la prison noire et sous les yeux incrédules des Apparences tombent effectivement des feuilles aux couleurs automnales, oranges, rouges, amarantes…

    « Vous ne pouvez pas bien comprendre ce qui s’ passe, Web, reprend Paschic, car nous n’êtes pas complètement humain ! Mais ces feuilles, avec le retour de l’hiver, signalent que le rendez-vous ou la fête sont terminés ! C’est une simulation de la mort à venir ! Les forces que nous donnaient le soleil se retirent ! Nous voilà de nouveaux faibles et inquiets, alors que le « grand chalut » de la mort fait ses comptes ! Qui aura cru ? Qui aura aimé la vie ? Qui se sera ouvert ? Et au prochain été : la découverte, le plein épanouissement nous seront de nouveau proposés !

    _ Vous voulez dire que la vraie mort sera comme un fin de saison…

    _ Oui, ce sera l’heure du bilan, comme au lendemain de chaque été… Il y aura ceux qui seront sortis de la prison et ceux qui y seront restés !

    _ Mais… mais vous brûlez !

    _ C’est plus fort que moi, Web ! »

    En effet, Paschic semble en feu et ses bras deviennent des flammes qui s’étendent démesurément, qui se mettent à ouvrir les portes de chaque cellule et les prisonniers un à un sont pris dans le feu et montent vers leur liberté ! « C’est pas beau ça, Web ? s’écrie Paschic.

    _ Ça a d’ la gueule ! C’est indéniable !

    _ Un peu ouais ! Car chacun est invité ! Y a pas d’entourloupes ! Chacun peut découvrir le mystère et l’aimer ! C’est pas réservé aux élus ! C’est ce que je montre, en donnant mon feu !

    _ Brûlez pas la tapisserie tout d’ même !

    _ Ah ! Ah ! Tout est possible, Web ! Il suffit d’y croire, de se tourner vers la Lumière ! Il faut avoir cette simplicité, cette délicatesse ! Le monde est d’une ineffable beauté… et on le méprise ! On l’ détruit ! Le mystère est infini et on l’ piétine, on lui crache dessus ! Si on voulait bien l’ voir, on danserait d’ joie !

    _ Mais apparemment, on préfère la prison ! C’est plus sûr ! Au moins on peut compter les murs !

    _ Oui, un plus un, ça fait deux ! Et comme on est sérieux ! Et comme on est terrible avec notre raison ! Pas un pas sans un sol ferme ! Pas un pas qui ne soit sûr ! Pas de fantaisie, nulle gratuité ! Nulle rêverie ! Nulle grandeur, nul infini ! La peur, Web, la peur !

    _ Si vous croyez que j’aie pas peur, à vous voir au-dessus du vide comme ça ! les détenus montant dans vos bras en flammes ! Y vont pas tomber au moins ?

    _ Web ! Web ! Je n’ai vu qu’un minuscule éclat de sa grandeur ! qu’une écaille de sa Lumière ! Et j’en ai été bouleversé ! frappé jusqu’au tréfonds ! J’ai tressailli Web ! Car ce n’était rien qu’une ombre, qu’un battement de cils ! Et pourtant c’était déjà vertigineux ! Et nous avons peur, Web ! Ah ! Ah ! Mais nous devrions rire ! Nous devrions faire des sauts de géants sur les nuages ! Nous devrions resplendir comme jamais, aussi fortement que les étoiles !

    _ Mais c’est dur…

    _ Oui, mais de toute façon nous serions incapables de porter une miette de Lui ou d’Elle ! Nous serions incapables de supporter son éclat ! La beauté du monde nous donne tout d’ même une petite idée ! Mais nous n’ la voyons même pas !

    _ Bon, redescendez maintenant ! Vous alarmez les Apparences ! On pourrait finir par nous tirer dessus !

    _ Ne vous inquiétez pas ! Je n’ suis pas un exalté ! J’ connais trop bien l’ prix du pas ! J’ voulais juste donner un coup d’ chiffon ! remettre un peu les pendules à l’heure ! Ça fait du bien ! Voilà, c’est fini, j’ pleure plus !

    _ Même à Vegas, vot’ numéro s’rait trop fort !

    _ Ou incompréhensible ! Voilà, je me coince, me raccourcis, redeviens citoyen, comptable, poli, soucieux...

    _ Honnête quoi !

    _ Tout c’ qui faut !

    _ Allons les Apparences, faites pas cette gueule-là ! Il est d’ retour, le bonhomme ! Hein, il n’est plus en flammes et les prisons sont toujours pleines ! »

  • La Nuit des Doms (9-12)

    • Le 04/10/2025

    R 105

     

     

                   "On va l'enterrer là et si jamais il remonte, on sera loin!"

                                                             Délivrance

     

                                             9

         A la demande de Web, Paschic est retourné dans sa loge, où il sent tout de même toute l’agitation du Cube… On frappe à la porte : c’est Jobard ! Il entre et s’assoit devant une petite table, tandis que Paschic le rejoint… Jobard semble nerveux et dit : « Vous voulez toujours sortir du Cube, j’imagine ? Je peux vous y aider... » Il place sur la table une valise et l’ouvre : elle est pleine d’argent ! « Avec ça, rajoute Jobard, vous pourrez vous payer une habitation hors du Cube et couler des jours heureux ! »

    Paschic considère pensivement Jobard, puis il lui demande : « Qu’est-ce qui ne va pas Jobard ? Pourquoi tenez-vous tant à me voir partir ?

    _ Depuis que vous êtes là, Web n’est plus le même ! Il vous voit comme un champion ! Il n’y en a plus que pour vous !

    _ Ah ! Je vous fais de l’ombre… Croyez-moi, ce n’était pas du tout mon intention…

    _ Je vous crois, mais les faits sont là ! C’est vous la star ! Alors, que pensez-vous de ma proposition ?

    _ Pour l’instant, je me demande ce que deviennent mes amis…

    _ N’y pensez plus : ils sont foutus !

    _ Vraiment ? »

    Comme l’a fait Web, Jobard claque deux fois dans ses mains et un écran apparaît sur le mur ! « Voilà Marié, dit-il, Cristal s’en est occupé ! Regardez bien ! » A l’image, on voit Marié ramper devant Cristal… « Baise-moi les pieds, dit-elle, si tu veux avoir le reste !

    _ Oui, je ferai tout ce que tu voudras ! C’est toi, ma reine, ma maîtresse !

    _ Bien sûr que c’est moi qui commande, pauvre minable ! Ah ! Ah ! »

    « Vous voyez, reprend Jobard, Marié n’est plus qu’une loque ! Apparemment, la vie dans laquelle vous l’entraîniez était trop pour lui… et il a les nerfs abîmés…

    _ Et Mécano ?

    _ Ce n’est pas mieux… Elle est devenu influenceuse sur les réseaux… Elle vante des produits cosmétiques, contre des rémunérations ! Elle s’achète mille fringues et ne décolle plus de son image ! Elle aussi avait besoin de souffler ! »

    Paschic garde le silence un moment, puis il répond à Jobard : « L’argent est important, évidemment… Il rassure et donne un sentiment de liberté, ne serait-ce que parce qu’il permet d’échapper à bien des nuisances ! Mais il est quelque chose qu’il est incapable de donner et c’est pourtant la clé de tout !

    _ De quoi voulez-vous parler ?

    _ De la paix intérieure ! Toute nos inquiétudes peuvent se résoudre dans la paix intérieure et cela n’a pas de prix ! Je vais vous en donner un exemple... »

    Grâce à sa magie, Paschic transporte Jobard au bord une étendue d’eau parfaitement calme et qui reflète le ciel gris… « Vous voyez ce jonc courbé ? dit Paschic. Avec son reflet, il forme comme un œil…

    _ Et alors ?

    _ Rien… Mais, si vous vouliez bien considérer cette perfection dans les lignes et y voir de la fantaisie, cela pourrait vous reposer…

    _ J’ comprends pas ! »

    Paschic et Jobard sont de retour dans la loge et c’est le second qui reprend la parole : « Donc, vous ne voulez pas de cet argent, mais rester ici, dans les mains de Web ?

    _ Ce que je voulais vous expliquer, c’est que ce n’est pas l’argent qui me rendra libre !

    _ Bien sûr, vous êtes un grand seigneur ! Mais vous savez ce qui va vous arriver ? Web va continuer à vous faire combattre et tôt ou tard, vous tomberez sur un plus fort que vous…. et il vous brisera !

    _ Les mutants ont surtout besoin d’aide...

    _ Allez leur dire ça, quand ils vous broieront !

    _ Vous savez, les Doms se montrent violents, par peur du réel ! Derrière tous les régimes totalitaires, il y a de l’angoisse ! La haine à l’égard de la faiblesse vient de là ! On a peur que celle-ci ne soit pas un rempart suffisant, face au danger !

    _ Tout ça, c’est de la théorie, Paschic ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que vous allez sauver le monde, par votre sacrifice ?

    _ Comme je l’ai dit, le bien le plus précieux, c’est la paix intérieure ! Méditez là-dessus ! »

                                                                                                                     10

         Web a rejoint Paschic dans sa loge, où il fume l’un de ses cigares coutumiers… « J’ suis embêté, Paschic, dit-il. J’ dirais même que j’ai peur !

    _ Allons donc ! fait en souriant Paschic.

    _ Pourquoi ne me prenez-vous pas au sérieux ? J’ai des sentiments, moi aussi !

    _ Admettons…

    _ Un type étrange est venu me voir… Grand de taille, un vrai mur ! J’en ai frémi rien qu’en l’ regardant ! Il m’a dit : « Je veux combattre vot’ champion, dans la cage ! » Il semblait menaçant, ce qui fait que je n’ai pas pu refuser !

    _ Vous étiez plutôt trop content, à l’idée d’un nouveau spectacle !

    _ Admettons… J’ai tout d’ même répondu qu’il me fallait votre accord !

    _ Vous l’avez !

    _ Co… comment ? lâche Web, qui en oublie de fumer.

    _ J’ai dit : vous avez mon accord ! Voyez-vous, Web, j’ai changé de point de vue ! Il ne me servirait à rien de m’enfuir et de rejoindre la Chose… Le Cube finira par m’y retrouver, avec en avant-garde des Doms qui feront n’importe quoi ! Non, pour protéger la nature et me protéger par le fait même, il faut changer le Cube, le travailler de l’intérieur !

    _ Voilà qui est parler ! J’étais sûr que vous en aviez dans l’ citron !

    _ C’est plutôt moi qui ai besoin de vous… Je ne sais pas encore comment vous pourriez m’être le plus utile, mais si les combats peuvent m’amener à avoir droit au chapitre, ce sera déjà une première étape !

    _ Tout à fait ! Votre nouvel adversaire est un mutant de l’ancienne génération : un gars intégré et qui bosse et tout ! Je crains tout d’ même qu’il n’ait quelque coup vachard dans la manche, Paschic ! Je n’ voudrais pas devoir vous ramasser en morceaux !

    _ Vous savez, un telle sollicitude me touche et je ne crois pas au fond avoir mérité votre amitié !

    _ Oh !

    _ Jusqu’ici, je n’ai vu en vous qu’un gredin, alors que vous pourriez en remontrer à n’importe quelle sœur de charité !

    _ Si je peux quitter cette planète, en ayant le sentiment que j’ai pu soulager ici et là quelque douleur, je serai satisfait ! Alors, à ce soir ?

    _ A ce soir ! »

    Autour de la cage, l’ambiance est toujours la même, mais curieusement le public montre de l’hostilité à l’égard de Paschic, qui a pourtant le statut de champion de Web ! « Il vous aime pas, on dirait ! fait celui-ci.

    _ C’est normal, je ne flatte pas leur soif de vaincre ! J’ suis un éteignoir pour eux !

    _ Ils peuvent quand même pas nier vot’ talent ! Vous voulez que je vous chauffe la nuque ?

    _ Non merci, ça ira !

    _ Ah oui ! Terminé les électrodes ! J’ai amélioré l’ système ! Vos cerveaux seront scannés en permanence et ce que vous pensez prendra corps directement dans la cage, sous une forme holographique ! Ce sera comme au cinéma ! Bon, voilà votre adversaire ! Brrr ! Y m’ donne toujours froid dans l’ dos !

    _ Ne vous inquiétez pas pour moi, j’en ai pour une seconde !

    _ Ah ! Ah ! »

    Paschic entre dans la cage et regarde son adversaire… Il a la cinquantaine, un corps droit et sec, mais surtout son visage est inexpressif et sévère ! Paschic le voit soudain petit garçon, malheureux, isolé, prisonnier déjà de son orgueil, s’attendant à être admiré, mais ne faisant aucun effort pour aller vers les autres ! « Il n’a nulle simplicité, se dit Paschic. Voyons voir quelle horreur il a dans l’ ventre ! »

    Le type s’approche de Paschic, comme si celui-ci était un avorton malade, puis ce qu’il imagine devient réel et face à Paschic se dresse soudain un géant d’argent, soulevant une clameur dans le public ! Le géant dit à Paschic : « Misérable créature, contemple la perfection même ! Prosterne-toi devant ton dieu ! »

    Les spectateurs exultent : Paschic, qui avale sa salive, va enfin en prendre pour son grade !

                                                                                                                   11

         Paschic, face à son adversaire, revient à la base… Qu’est-ce qu’il y a de commun entre les Doms ? C’est la peur ! Le monde nous fait tous peur ! ce qui conduit à un domination graduée selon les individus ! Ceux qui sont les plus agressifs et les plus violents sont ceux qui ont le plus peur, car c’est justement l’intensité de leur réaction qui leur fait oublier la peur !

    Si on est fort et paisible, on n’a aucun besoin de la haine et on peut comprendre, on est assez disponible pour cela ! Aimer la différence est une force !

    Ici, est-il possible pour Paschic de rassurer son adversaire, qui depuis l’enfance, afin de lutter contre la peur, s’est muré dans la tour d’ivoire de son orgueil ? Peut-on briser cet état d’autosatisfaction, principalement constitué de mépris, pour ramener l’individu à ses peurs enfantines, primordiales ? Paschic, devant la cinquantaine de son adversaire, n’a pas envie de creuser la question et il fait appel à la magie !

    Un lierre subitement s’enroule autour des pieds du géant d’argent, qui ne masque pas sa surprise ! « Qu’est-ce que…, » s’écrie-t-il. Mais il n’a pas le temps d’en demander plus, car le lierre étant en fleurs, il est butiné par des abeilles, qui maintenant dérangent le géant ! Celui-ci fait des gestes assez grossiers, voire ridicules, raidi qu’il est par l’orgueil !

    Le lierre progresse rapidement et à mesure qu’il s’élève, il transforme le corps du dieu d’argent en pierre, ce qui n’échappe pas au public, qui passe de la stupéfaction à la moquerie ! « Eh ! C’est ton cœur de pierre qui veut ça ! » entend-on des tribunes et cela montre que le géant avait mis mal à l’aise tout le monde, même les spectateurs les plus hostiles à Paschic !

    Maintenant, il n’est plus qu’une tête de pierre, qui émerge d’un mur recouvert de lierre ; les abeilles survolant « joyeusement » son cri de désespoir ! L’adversaire de Paschic ne sait plus que faire et il reste là, comme un élève pris en faute peut haïr tout le monde, non parce que c’est injuste, mais à cause de la blessure faite à son ego ! Le personnel est contraint de conduire hors de la cage cet être figé par la rage et l’indécision ! C’est le résultat d’un isolement qui ne guérit pas les peurs, où la force n’est qu’une illusion !

    « Bravo Paschic ! dit Web dans le dos de celui-ci. Vous n’en avez fait qu’une bouchée ! J’ suis déçu ! Quel pauvr’ type !

    _ A propos de pauvres types, Web, j’aimerais visiter vos prisons…

    _ Hein ? Comment savez-vous cela ? C’est top secret !

    _ Disons que j’en suis arrivé là par la logique…

    _ Ouais, mais j’ peux pas vous les faire visiter ! C’est ce qu’il y a de plus intime ! On aurait des plaintes, si on vous voyait mettre le nez là-dedans !

    _ Voyons, Web, vous pouvez faire ça pour moi, non ? J’assure le spectacle !

    _ Mais que cherchez-vous au juste ? Ce qui est dans l’ombre doit rester dans l’ombre !

    _ Mais c’est aussi une réalité, non ? Officiellement ces prisons n’existent pas… et pourtant leurs prisonniers ne cessent d’agir à la surface, dans nos vies quotidiennes ! Comment espérer améliorer la situation, si on ne visite jamais vos geôles, si on nie leurs captifs ?

    _ Mais moi-même, j’aime pas cet endroit… Il faut descendre des tas d’ tunnels… et puis les types sont dangereux ! On touche à leurs secrets et ils ne le pardonnent pas !

    _ Mon adversaire du jour venait bien d’ là, non ? Quand ça vous arrange, vous n’hésitez pas à puiser dans l’ vivier !

    _ Mais y a plein de pare-feus, d’antivirus, pour arriver là-d’ssous !

    _ Web qui joue les vieillards rhumatisants !

    _ Ah ! Ah ! Vous ne me reconnaissez aucune dignité, hein ?

    _ Pourquoi le ferai-je ? Vous l’avez dit vous-même : vous êtes immatériel !

    _ Vous savez, Paschic, rajoute Web en roulant un de ses cigares, tout l’ monde est inquiet, tendu… Je n’ sais pas si c’est bon de remuer la boue !

    _ Tout ça restera entre nous, promis !

    _ C’est humide et plein d’ rats !

    _ Eh bien, vous m’ racont’rez tout ça, sur le chemin !

    _ Et l’Arcom ? Les médias ? J’ai besoin d’une bonne presse, pour mes combats !

    _ Plus vous apparaîtrez comme un dévergondé et plus vous aurez du public !

    _ Bon, c’est quatre mille étages plus bas ! »

                                                                                                                    12

          L’ascenseur descend silencieusement dans les ténèbres… Il glisse le long d’une paroi étrange, aux reliefs technologiques et sans âme ! Puis, brusquement il s’arrête et un groupe de droïdes y entre, avec des reflets métalliques et des yeux vides ! Il scanne Web et Paschic, à la recherche de virus, d’une menace terroriste ! « Il y a bien longtemps qu’on ne vous avait vu dans l’ secteur ! dit celui qui semble être le chef à Web.

    _ Ouais, toujours la routine ?

    _ Toujours ! Quelques attaques ici et là, mais rien de bien méchant !

    _ On s’ demande pourquoi on vous paye !

    _ Mais pour que la Porte de l’Est ne cède pas ! Venez voir... »

    On sort de l’ascenseur, sur un éperon : « Regardez ! » fait le droïde et il montre une immense porte, entre deux parois d’ombre. Au-delà on voit le reflet d’une lave qui bouillonne ! « Ils sont derrière la porte et ne demandent qu’à se ruer jusqu’ici… et ce sera la catastrophe ! 

    _ Qui ça « ils » ? demande Paschic.

    _ Toutes sortes de gens, répond le droïde, des vendeurs, des politiques enragés, des services secrets, des sectes… Toute la folie du monde, toute sa voracité est là-bas ! »

    On regagne l’ascenseur et la descente reprend, tout aussi silencieuse, mais Web finit par parler : « Ce contrôle n’est rien par rapport à celui qui nous attend à l’arrivée !

    _ Ah bon ?

    _ Oui, nous entrons dans le royaume du Non-dit, qui est gardée par les Apparences ! Ce sont des amazones qui ont toujours été là et qui n’ rigolent pas ! Alors rectifiez vot’ cravate et...

    _ J’ n’en ai pas !

    _ Je sais et c’est pourquoi ça m’ coûte de vous trimballer ! Et surtout évitez ce petite sourire suffisant ! Les Apparences ne le supporteront pas !

    _ Elles sont si sévères que ça ?

    _ Piouh ! fait Web dans un sifflement. Ce sont elles qui soutiennent tout l’ système, alors…

    _ Vous parlez du système qui est toujours en crise ? »

    Web ne répond rien et se contente de lever les yeux au ciel, mais l’ascenseur s’arrête, à sa destination et en effet, des femmes guerrières, avec des plumes et des lances, accueillent les visiteurs, ce qui pourrait prêter à sourire, n’eût été leur regard glacial !

    Paschic et Web sont aussitôt conduits devant la reine des Apparences, qui marque sa surprise : « Tiens Web, avec un étranger, ce qui est formellement interdit ! Mais Web est Web et peut tout se permettre, n’est-ce pas ?

    _ Ma Reine, je vous présente Paschic, qui est chargé de vérifier la salubrité des prisons…

    _ La salubrité ? Mais pour qui nous prend-on ? Elles sont parfaites, nos prisons ! Elles sont des modèles de prisons !

    _ Je n’en doute pas, ô ma Reine ! Mais il est parfois bon qu’un œil neuf vienne s’en assurer, ne serait-ce que pour faire taire toute rumeur à la surface !

    _ Web, Web, tu sais comme tout désordre m’agace ! Je ne tolérerai pas le moindre écart dans le service !

    _ Je connais votre devise : « Il faut que les Apparences soient sauves !’

    _ Exactement ! Et il en a toujours été ainsi, ce dont je suis fière !

    _ Et l’Autorité centrale y est sensible, figurez-vous ! C’est pourquoi elle m’a chargé de vous remettre ceci…

    _ Tiens, qu’est-ce que c’est ?

    _ Un parfum capable de rehausser votre beauté, si c’est possible !

    _ Oh ! Ah ! Et tu dis que ça vient de l’Autorité centrale ? pour me récompenser de mon gouvernement ? Gardiennes, accompagnez Web et son ami vers les cellules ! Et veillez à ce qu’il n’y ait aucun accroc, sinon vous le paierez tous très cher ! »

    Web et Paschic saluent la reine et suivent leur escorte… « Évidemment, dit Web à Paschic, on va pas pouvoir visiter toutes les taules : y en a des millions ! Mais je connais deux ou trois cas, qui pourront t’intéresser !

    Malgré la beauté des Apparences, les couloirs sont sinistres et on entend des gémissements, des râles, des plaintes ! « Brrr ! fait Paschic.

    _ Eh ! Oh ! réplique Web. C’est bien à cause de toi qu’on est ici, non ? Alors de la tenue ! de la correction ! Prends exemple sur nos accompagnatrices ! »

  • La nuit des Doms (5-8)

    • Le 27/09/2025

    Dom 105

     

     

                       "Toi, tu sais cuire un lapin, pélerin!"

                                       Jeremiah Jonhson

     

                                  5

         « Alors, vous ne profitez pas de votre nouvelle célébrité ? demande Web à Paschic.

    _ Non pas vraiment… Trop de bruit ! C’en est presque effrayant !

    _ Ah ! Mais c’est le public des combats ! On y aime la force, la victoire ! C’est en vous aussi, allez !

    _ Bien sûr ! Mais j’ m’en méfie ! Et c’est aussi une impasse ! Écraser le faible, faire couler les larmes, c’est à la portée du premier animal venu !

    _ C’est le sport ! Vaincre son adversaire !

    _ Très juste ! Le dépassement de soi est positif, mais on ne se dépasse jamais autant que quand on aime et qu’on a confiance !

    _ Z’êtes emmerdant, vous savez ! Rigolez un peu ! Hein ? Un peu d’ légèreté, que diable !

    _ D’accord, à condition que vous commenciez par vous moquer d’ vous-même !

    _ Ah ! Ah ! Vous m’avez eu ! Je m’aime trop pour cela ! Venez, j’ai autre chose à vous montrer ! »

    Paschic suit Web, toujours encadré par Cristal et Jobard et on enchaîne les tunnels… « Un moment Web, fait Paschic, j’aimerais revoir mes amis, Marié et Mécano !

    _ Ah ? Mais je crois que ce n’est pas une bonne idée… Voyez-vous, ma Like a fait des dégâts et je crains que vous ne soyez à présent déçu par vos amis…

    _ Puis-je tout de même les voir ?

    _ Bien sûr ! »

    Web fait claquer ses doigts et sur l’un des nombreux écrans, qui jalonnent les tunnels, apparaissent soudain Marié et Mécano ! Ils sont toujours en cellule, mais ils tiennent chacun un smartphone et ont le nez dessus ! « Eh ! Marié, regarde ce qu’il m’a répondu ! s’écrie Mécano.

    _ Hmmm ! Attends, mes likes sont en train de faire un bond !

    _ Hi ! Hi ! Je le ghoste ! »

    « Vous voyez, Paschic ! Ils sont retournés en enfance ! reprend Web. Tout l’ monde ne peut pas être comme vous, un saint ou un héros ! Ah ! Ah ! Mais venez, nous ne sommes plus très loin ! »

    Le réseau des tunnels semble sans fin, mais on arrive à un balcon, qui surplombe une grotte gigantesque ! « Notre cathédrale ! fait Web. On la loue pour des cérémonies et je voulais que vous assistiez à celle-ci... » Paschic regarde, entre les piliers de calcite, une foule dense, en robe avec des capuches ! « Ils fêtent leur idole... » explique Web.

    Dans l’allée centrale, un groupe porte sur un coussin un morceau d’or découpé, puis ils gravissent les quelques marches menant à l’autel ! Là, un prêtre, semble-t-il, puisque sa robe est d’une couleur particulière, lève le morceau d’or, en criant d’une voix triomphante : « Le pays ! Notre pays ! Notre pays éternel ! Grand ! Fier et fort ! Malheureusement, nos ennemis sont nombreux ! Les traîtres aussi ! A vous juges ! »

    Quelques Doms, sous une capuche noire, s’agitent un peu derrière une table… « Que l’on amène l’accusé ! » crie l’un d’eux et un enfant de treize ans est présenté, maintenu par des gardes. «  Accusé, reconnaissez-vous les faits ? Vous avez injurié notre président à l’école et donc blasphémé contre notre dieu, le pays ! Oui ou non, reconnaissez-vous que vous êtes un traître à la patrie ? »

    L’enfant terrorisé ne dit rien et se met à pleurer ! « Qui ne dit rien consent ! jette le juge. Hélas, il est trop tard pour les remords ! Qu’on exécute la sentence ! » Les gardes saisissent le gamin, qui n’oppose aucune résistance et on lui met la corde au cou, sur un gibet ! « Non ! Non ! » crie sans doute la mère, qui essaie d’atteindre son fils, mais ses efforts sont étouffés par des Doms féminins.

    Vlan ! Le môme est pendu et après avoir observé ses derniers soubresauts, le grand prêtre s’écrie : « Voilà comment meurent les traîtres ! Voilà le sort qui attend nos ennemis ! Voilà notre président bien-aimé vengé ! Que Dieu protège notre pays et nous bénisse tous ! »

    « Dom ! Dom ! Dom ! » fait la foule en écho, tandis que le prêtre lève une nouvelle fois son morceau d’or ! « Vous n’avez pas l’air surpris ! dit Web à Paschic.

    _ Non, je sais ce qui sous-tend ce genre de comportements…

    _ Ah oui ? Le patriotisme…

    _ Pas du tout, c’est la peur ! C’est elle qui crée le culte de la force ! Et l’exécution de ce pauvre enfant le montre encore plus clairement ! Car quand l’égoïsme est menacé, il est capable de n’importe quelle atrocité, puisqu’il est ramené à son angoisse, qui est abyssale ! C’est une réaction aveugle, à la mesure de ce qu’on fuit !

    _ Ils n’accepteront jamais votre version !

    _ Non, et le comble, c’est qu’ils se réclament de Dieu, dont ils n’ont absolument aucune idée ! »

                                                                                                                           6

         « Combien de victimes, à cause de la peur ? pense Paschic. Le seul remède que nous lui donnons, c’est la domination ! C’est en nous sentant supérieurs à l’autre, notamment en le méprisant, que nous nous rassurons et que nous chassons la différence, qui pourrait nous juger ou nous montrer tel un miroir ! Ainsi, nous restons dans nos illusions et… nos peurs, car nous les fuyons plutôt que les combattre ! Combien de victimes, juste pour qu’un seul se sente à l’aise ? »

    « Vous avez l’air bien songeur ! s’exclame Web en regardant Paschic, alors qu’on reprend la marche dans les tunnels.

    _ Eh bien, nos existences ont de quoi donner le vertige !

    _ Tout juste ! Même si moi, je suis immatériel ! Tenez, frappez-moi ! Allez-y, n’ayez pas peur !

    _ Je ne crois pas avoir la motivation…

    _ Toujours cette douceur ! Bon, alors, donnez-moi une bonne claque !

    _ D’accord, car vous la méritez !

    _ Ah ! Ah ! A la bonne heure ! Eh ! Vous avez vu ? Votre main est passée dans mon visage, sans rencontrer de résistance !

    _ C’est vrai !

    _ J’ suis immatériel, j’ vous dis ! Déçu ?

    _ Un peu…

    _ Ah ! Ah ! J’ vous aime bien, vous savez ? Si ! Si ! Tenez ici, nous sommes dans un tunnel très particulier ! Vous voyez toutes ces portes ? Elles abritent des vedettes que j’utilise tous les jours ! Tiens, celle-ci par exemple ! C’est une de mes plus anciennes locataires ! Elle a droit à une loge trois étoiles ! Une véritable star ! Son nom est sur la porte…

    _ La Haine ?

    _ Elle-même ! Toc, toc, la Haine, comment ça va c’ matin ?

    _ Va t’ faire foutre, Web ! Toi et toute ta clique de demeurés ! entend-on derrière la porte.

    _ Déjà en train de répéter ! C’est bien, belle conscience professionnelle ! »

    A cet instant, la porte s’ouvre pour laisser voir une femme extrêmement séduisante, à l’œil perçant ! « Sache, Web, que je n’ chôme jamais ! dit la Haine d’une voix hautaine. Qui c’est celui-là ?

    _ Paschic ! répond Web.

    _ Paschic ? Paschic ? Ça me revient pas, dis donc ! C’est bizarre, car j’ connais tout l’ monde ici !

    _ Paschic est un sage… et donc un pacifiste ! explique Web.

    _ Peuh ! Laisse-le moi cinq minutes… et il pourra plus s’ passer d’ moi !

    _ Peut-être…, mais j’ai d’autres projets pour lui !

    _ Dis donc, Web, c’est vrai ces rumeurs sur la troisième guerre mondiale ?

    _ Quelles rumeurs ?

    _ Ben, on dirait qu’ ça chauffe ! Si ça arrive, faut qu’j sois prête, moi ! De quoi j’aurais l’air, sur le champ de bataille, avec une robe élimée ! Avec les bombes, rien ne va, sauf le rouge sang ! T’en penses quoi, l’ sage ?

    _ J’ pense pas beaucoup, j’ me préserve…, répond Paschic.

    _ Bon sang, Web, réplique la Haine, pourquoi tu m’imposes tes eunuques ? J’ veux du beefsteak et tu m’ proposes de la salade toute fripée ! Bon, tirez-vous, j’ vous ai assez vus ! Allez, barrez-vous, les moches !

    _ Non mais, pour qui elle s’ prend celle-là ? s’indigne Cristal.

    _ Oh ! La pouf, baisse un peu ! Quand on a ton physique, on reste prudente !

    _ Ben, qu’est-ce qu’il a mon physique ?

    _ T’es grosse, c’est tout ! Un vrai morceau d’ lard !

    _ J’ vais t’arracher les yeux !

    _ Bon, arrêtez vous deux ! La Haine, tu rentres dans ta loge… et nous on s’en va !

    _ C’est ça, les moches, cassez-vous ! Et n’oubliez pas la grosse ! Ah ! Ah !

    _ Grrrr ! fait Cristal, en se jetant sur la porte, qui s’est déjà refermée.

    _ Elle n’est pas si mauvaise qu’elle en a l’air ! reprend Web, en se passant une main sur le front et alors qu’on s’éloigne. Tenez ici, c’est la loge de la Peur, votre vieille copine ! Mais on ne va pas la déranger, car j’ai déjà eu ma dose… Là, c’est celle de l’Indifférence… et puis voilà la vôtre !

    _ La mienne ? demande Paschic.

    _ Oui, il faut vous reposer un peu…, car j’ai organisé un autre combat psychique…

    _ Non, Web, je n’ reprendrais pas du service… Vous m’avez pris d’ court la première fois, mais maintenant…

    _ Ben, c’est dommage…, car Mécano pourrait faire une connerie…

    _ Quel genre de connerie ?

    _ Oh ? Eh bien, j’ pourrais lui envoyer quelques Haters, qui n’ cesseraient pas de lui dire combien elle est laide !

    _ Oh ! Ça n’prendrait pas ! Et puis, au pire, elle s’rait triste !

    _ Ben non, avec une dose de Like, elle serait plus fragile, jusqu’à tenter une opération de chirurgie esthétique ! Vous savez, elle deviendrait comme ces poupées botoxées…

    _ Je vois…

    _ Vrai ? Alors c’ combat ?

    _ On l’ fera !

    _ J’ l’savais ! Super, on viendra vous chercher ! N’hésitez pas, y a des fruits sur la table ! La forme avant tout, hein ? »

                                                                                                                           7

          Cristal et Jobard viennent bientôt chercher Paschic : « Allez champion, c’est l’heure ! dit Jobard. Entre nous, Paschic, j’espère qu’on va vous d’ démonter la tête, ce coup-ci ! Ah ! Ah !

    _ La vie médiocre de Jobard continue… réplique doucement Paschic.

    _ Grrr ! »

    Au bout d’un certain nombre de tunnels, on se retrouve dans les vestiaires de l’arène, où se tient déjà Web, qui lance : « Ah ! Voilà notre héros ! Prêt au combat ? Ah, ça va chauffer ! Je vous ai trouvé une perle, figurez-vous ! Il est pas plus haut que trois pommes, mais il a une énergie folle !

    _ Je n’en doute pas ! Mais Web, tout à l’heure, j’ai fait un drôle de rêve…

    _ Ouais, allez-y, mais je me méfie d’ vous...

    _ Eh bien, je trouvais un ordi tout pourri dans la nature, parmi les fleurs !

    _ Et ? Oh ! J’y suis : à moi de dégager le symbole ! La fin du docteur Web, vaincu par la nature et sa beauté ! C’est ça ?

    _ A peu près… Il doit y avoir une histoire de paix en plus, mais à ce moment je me suis réveillé !

    _ Je ne vous propose pas un cigare, reprend Web, qui en sort un de son étui. Vous me voyez comme un monstre, Paschic, mais je ne fais qu’obéir à la logique ! Tenez, pourquoi je vous fais combattre seulement contre des mutants qui ne sont que des gosses ? Eh bien, vous vous en doutez, le mutant, quand il vieillit, doit tout de même se sociabiliser ! C’est inévitable, s’il veut un tant soit peu s’intégrer, ne serait-ce que pour travailler ! Il peut encore tuer quelqu’un avant, remarquez, mais alors il finit en taule ! C’est une autre histoire, mais, s’il se sociabilise, le mutant perd en puissance ! d’où mes gosses dans l’arène ! Ils ont plus de vitalité que vous, mais vous avez plus d’expériences ! Ça s’équilibre, non ?

    _ Vachement !

    _ Ah ! Ah ! Bon, vous êtes en forme, c’est bien ! Je vous faire un aveu : je n’ai pas parié sur vous, mais sur le gosse !

    _ Voilà qui m’ donne confiance…

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes hors pair ! Vous avez dû en baver, hein ?

    _ Je n’ai fait que rencontrer des gens comme vous…

    _ Triste monde ! Allez, on y va ! Une vraie perle, j’ vous dis ! »

    Comme la fois précédente, l’arène est surchauffée, d’autant que l’adversaire de Paschic semble ne pas tenir en place ! Son énergie débordante plaît au public, qui l’a déjà adopté et qui crie son nom : « La Guêpe ! La Guêpe ! »

    En effet, ce n’est encore qu’un gamin, mais tout le contraire de Python ! Il est aussi agité que l’autre était passif, ramassé sur lui-même ! S’il doit garder tout de même les électrodes, celles fixées à son crâne, il ne peut rester assis et pour le plus grand plaisir du public, il démontre un talent tout particulier, dû à son énergie débordante, qui est de tordre le métal ou de faire sauter les boulons autour de lui ! Son pouvoir psychique n’est pas seulement intérieur, comme chez Python, mais il s’exerce ici et là, ce qui lui a valu son surnom La Guêpe !

    Paschic semble indifférent à cette démonstration de force, tandis que des morceaux de la cage claquent sous le pouvoir de La Guêpe, ce qui provoque des hourras à chaque fois ! Paschic s’assoit, est préparé par le personnel, puis, au coup de sifflet de l’arbitre, il se perd dans un rêve infini ! En fait, toute la stabilité de sa foi vient l’habiter, celle qui vainc même la mort et qui est au fond indescriptible...

    Cela agace La Guêpe, qui ne veut que des chocs, un affrontement brutal ! Des boulons de la cage sautent, pour témoigner de cette irritation et le public s’en réjouit, car lui aussi ne désire que de l’action, et pourtant, peu à peu, la paix de Paschic, son absence de peur finissent par calmer La Guêpe !

    Elle est intriguée ! Elle s’approche de Paschic et avec hésitation, lui touche le bras ! Les juges ne savent plus quoi penser, car une telle attitude n’est pas répertoriée dans le règlement ! Puis, voyant que Paschic demeure tout aussi paisible, La Guêpe s’enhardit, monte sur ses genoux, se pelotonne contre lui et s’endort !

    C’est la stupéfaction générale, avant la colère ! On entend : « Remboursez ! Remboursez ! », « La Guêpe, couille molle ! », « Web tricheur ! » Des bouteilles de bière sont jetées contre la cage ! Le personnel débarrasse les deux combattants et les pousse vers la sortie ! Paschic porte toujours La Guêpe, qui reste endormi !

    « Bon sang ! s’écrie Web sur le chemin des vestiaires. J’ai jamais vu ça !

    _ Vous ne voyez pas grand-chose de toute façon ! » réplique Paschic.

                                                                                                                           8

         Dans le vestiaire, la stupéfaction ne retombe pas ! « Mais bon sang ! s’écrie Web. Que s’est-il passé ? Un môme venimeux en diable et qui s’endort ! Vous lui avez injecté quelque chose ? » Paschic s’apprête à répondre, mais Jobard lui coupe la parole : « Il a payé La Guêpe ! dit-il. Ces deux salauds se sont arrangés, c’est tout !

    _ Impossible ! réplique Web. Paschic n’a pas quitté sa loge. »

    Jobard hausse les épaules et c’est au tour de Cristal d’y aller de sa théorie : « Le gamin était avarié ! Vous avez cru acheter de l’acier et c’était de la guimauve ! Vous n’avez plus l’œil, Web !

    _ Peuh ! Vous avez vu comme moi le mutant faire sauter les boulons ! C’était quoi ça ? Une façon de peigner le caniche ? »

    Cristal fait elle aussi un signe d’impuissance et il ne reste plus qu’à Paschic de donner une explication : « Connaissez-vous l’histoire de la forêt enchantée ? demande-t-il.

    _ Non mais je rêve ! s’écrie Jobard. Vous vous croyez où ? Dans une bibliothèque de quartier, devant un parterre d’enfants ? » Pour sa sortie, Jobard reçoit un coup de Web, qui ajoute : « Ferme-la, Jobard ! Moi, elle m’intéresse cette histoire ! Surtout que Paschic est un malin ! Il cherche à nous faire passer un message ! Allez-y, mon vieux, nous sommes suspendus à vos lèvres !

    _ Très bien ! reprend Paschic. Donc, il existait une forêt enchantée, où la reine Beauté se sentait comme chez elle ! Tout n’y était que merveilles ! La lumière y diffusait mille couleurs : des émeraudes ici, des diamants là-bas et des rubis un peu plus loin ! Les oiseaux y chantaient leur allégresse et la paix descendait sur le visiteur ravi ! Mais, un jour, un serpent géant menaça la forêt ! Son sifflement d’abord était atroce et puis, il détruisait tout sur son passage !

    _ Eh ! Eh ! On est en plein dans les vieux contes ! J’aime ça, Paschic, coupe Web, qui allume un cigare. Voyons voir comment la reine Beauté va s’ tirer d’ là !

    _ En effet, la reine Beauté était bien triste, car elle ne pouvait rien faire contre le serpent, car il n’était pas normal ! Non seulement il était gigantesque, mais en plus il semblait en métal et cracher du feu ! Elle appela donc l’un de ses chevaliers, l’un de ses plus fidèles admirateurs et qui était prêt à mourir pour elle !

    _ L’idiot ! coupe Jobard.

    _ Le chevalier partit lutter contre le serpent, continue Paschic, et bientôt il le trouva : le serpent était vraiment épouvantable et il était impossible de calmer sa fureur ! Il écrasait tout et ses anneaux se déplaçaient à toute vitesse ! Le chevalier se décida à chercher le terrier du serpent, pour l’attaquer quand il serait au repos, et il arriva dans une ville d’où partaient tous les serpents, car il y en avait maintenant des dizaines, qui chaque jour quittaient la ville, pour répandre la terreur dans les campagnes !

    _ Hum, je commence à comprendre… dit Web.

    _ Mais le plus étrange, c’est que tous les serpents venaient de la pierre noire de la peur !

    _ N’importe quoi ! coupe encore Jobard, qui reçoit un nouveau coup de Web.

    _ La peur les mettait en fureur ! reprend Paschic. avec la soif de tout détruire, de tout posséder ! Alors le chevalier pensa qu’il devait d’abord calmer cette peur et il diffusa dans la pierre noire toute la paix de la forêt enchantée ! Tous les petits serpents qui étaient là s’écrièrent : « Mais que s’est-il passé ? J’étais comme fou et me voilà rassuré ! Bien sûr que je dois faire attention aux autres et à la forêt enchantée ! Car c’est elle qui rend le monde beau et qui fait mon bonheur ! » Les petits serpents se calmant, les plus gros aussi cessèrent leur destruction !

    _ Et le monde fut sauvé ! jette moqueusement Jobard. Jamais entendu une telle ânerie !

    _ Il n’a pas tort ! renchérit Cristal. Même pas d’ sexe, ni d’ passion ! Ça va faire un bide !

    _ Taisez-vous ! intervient Web. Bon, Paschic, on a entendu l’histoire, mais quel lien entre elle et le gamin ?

    _ C’est assez simple, Web ! Le Cube est comme fou sous le joug de la peur, puisqu’elle conduit à une domination effrénée et destructrice ! Mais personne n’a apparemment de remèdes, ce qui fait que des enfants, pour se sentir en sécurité, développe un pouvoir psychique monstrueux ! Ce sont les mutants ! Mais cette activité psychique épuise ! On ne peut pas impunément être tout le temps sur le qui-vive, pour contrôler le monde et en devenir le maître ! Cela demande une énergie exorbitante, surtout quand on est un enfant !

    _ Et ?

    _ Et je n’ai fait que proposer ma paix, qui est bien réelle ! La Guêpe l’a saisie comme un rocher et s’est tout de suite endormi !

    _ Escroc ! Arnaqueur ! crache Jobard. Vous voyez pas Web qu’il est en train d’ nous entuber ?

    _ Pas sûr, pas sûr ! fait Web, en soufflant la fumée de son cigare. Mais je ne sais pas si vous vous en rendez compte Paschic, car cela voudrait dire que personne à part vous ne comprend les choses comme ça et ne pourrait calmer la peur !

    _ Mais, Web, je ne suis que le serviteur ou l’amoureux de la forêt enchantée ! »

  • La Nuit des Doms (1-4)

    • Le 20/09/2025

    R9100

     

              "Ils n'ont pas besoin de Dieu...."

                               The Stalker

     

                                     1

                  (Suite de la Révolte...)

          Eh ! Oh ! Marié, réveille-toi ! fait Paschic.

    _ Hein ? Quoi ? Oh ! Qu’est-ce qu’il y a ?

    _ Il y a qu’on est enfermé dans une cellule, par le docteur Web !

    _ Mais qu’est-ce qui m’est arrivé ? Je me sens tout drôle…

    _ Le docteur Web t’a injecté une drogue… répond Mécano.

    _ Une drogue ?

    _ Comment te sens-tu ? demande Paschic.

    _ J’irais beaucoup mieux, si je voyais mes like !

    _ Tes quoi ? fait Mécano.

    _ Mes like ! Où sont mes like ? Où est le réseau ? Y en a pas ? Il faut que je me connecte !

    _ Mais t’as pas besoin d’être connecté ! coupe Paschic. Du moins pas expressément !

    _ Ah ! Tu crois ça ? J’ai besoin de mes like ! J’ai besoin d’être aimé, tu comprends ?

    _ Bien sûr, on est tous pareils ! Mais moi et Mécano, nous sommes là et…

    _ Vous, c’est pas suffisant ! On s’ connaît trop ! Non, j’ai besoin de plus d’approbation, de soutien !

    _ Tu as le front en sueur… fait remarquer Mécano.

    _ Hein ? Mais bien sûr que j’ai le front en sueur ! On est là… en train de bavasser, alors qu’il me faut mes like ! Sinon, j’ suis foutu ! Mes like ! Mes like !

    _ Mais bon sang, cesse de crier ! crie aussi Mécano.

    _ Il est en manque, explique Paschic.

    _ En manque, en manque ! attaque Marié. L’ancêtre qui me fait encore la leçon ! Le né-vieux remet le couvert ! Comme si j’en avais pas encore assez soupé, des appels à la sagesse ! En manque ? Mais je crève oui ! C’est pas seulement les like que je veux, mais des followers ! Par milliers ! J’ veux des cotes d’amour démentielles ! Où est mon public ? J’ suis pas connecté, c’est tout ! J’ suis rien ! J’ vais crever là, comme un poisson sorti d’ l’eau !

    _ T’as l’air effrayé ! confirme Mécano.

    _ T’as l’air effrayé, mon pauvr’ marié ! Ah ! Ah ! Elle déboulonne la Mécano ! Oh ! Eh ! Y a urgence ! Où sont mes likes, mes commentaires ! Où est mon foutu miroir ! J’ suis pas connecté !

    _ Alors les enfants, comme ça va c’ matin ? fait d’un ton doucereux le docteur Web, en arrivant devant la cellule.

    _ Il est en manque… répète laconiquement Paschic.

    _ Monstre ! s’exclame Mécano.

    _ C’est vous qui pouvez m’ connecter ? fait Marié à travers les barreaux. J’ vous en supplie : donnez-moi mes likes ! J’ n’en peux plus !

    _ Tes amis ne te suffisent pas ? demande Web.

    _ Mes amis ? Quels amis ? Ils sont incapables de me liker ! Ce sont des pourritures !

    _ Parfait, parfait ! C’est bien ce que je pensais : une dose et tu ne peux plus vivre sans connexion ! Ah ! Ah ! J’ai réussi ! Un grand pas vient d’être franchi, vers le monde ultra-psychique !

    _ T’as d’ quoi me liker ?

    _ Bien sûr ! Tends ton bras ! C’est moi, ton ami ! Voilà…, dans une minute, tu te sentiras beaucoup mieux ! 100 likes, j’ t’ai mis ! Dix-mille followers ! Pas mal hein ? Allez va t’ reposer !

    _ Merci… J’ voudrais aussi des commentaires, des messages d’admiration !

    _ On verra c’ qu’on peut faire ! Bon, à toi le taiseux !

    _ Non, ne touchez pas à Paschic ! s’écrie Mécano.

    _ Oh là ! Faut pas toucher à l’idole, au gourou ! Rassure-toi, ma p’tite, car de quoi se nourrissent les divinités sinon d’hommages ! J’ vais lui rendre service à ton Dieu, en l’ piquant…, à moins, à moins que tu n’aies pour lui des sentiments plus prosaïques ?

    _ Vous n’ valez rien à côté d’ lui !

    _ Mais oui, mais oui… Gardes, maintenez cet individu ! Eh, mais il se laisse faire, le bougre ! Lâche en plus… ou bien, friand d’ la dose ! On veut aussi de l’adoration, sinon on est paumé ! J’ comprends ! Tiens piqûre ! Allez, les enfants à tout à l’heure ! Dix minutes de cuisson, pas plus ! Ah ! Ah !

    _ Paschic ! Paschic ! s’écrie éplorée Mécano, qu’allons-nous devenir si toi aussi tu deviens comme Marié ?

    _ Ça va aller ! Détends-toi… N’oublie pas que c’est la peur qui fait naître le besoin de likes ! »

                                                                                                                        2

          Où est Paschic ? Il se rappelle que le docteur Web lui a injecté la like, mais il ne sait où il se trouve… Dans un mauvais rêve ? Est-il vraiment conscient ? Ce n’est pas sûr ! Soudain, il voit venir vers lui des Doms qui ont l’air en colère ! Ils ont une allure qui dit qu’ils sont prêts à en découdre ! Leurs visages sont fermés et leurs manches retroussées !

    Ils s’arrêtent au niveau de Paschic et l’un d’eux lui dit : « Suis-nous, camarade, on va tout renverser ! Car y en a marre ! On en a ras-le-bol !

    _ Ouais ! Ouais ! font les autres. On va raser ce gouvernement de fantoches ! »

    Paschic songe : « Ils en ont marre de quoi ? Est-ce que moi je pourrais en avoir marre de la vie, de ma compréhension qui s’élargit tout le temps, de mon amour pour Dieu ? Est-ce que cela peut être épuisable ? N’est-ce pas là mon plaisir, même si c’est difficile ! Mais je comprends même pourquoi c’est difficile... »

    Voyant que Paschic hésite, les autres s’irritent ! Le premier à lui avoir parlé reprend : « Camarade, tu n’es pas fatigué d’être exploité ?

    _ Exploité ? songe à nouveau Paschic. Oh ! Si tu savais, mon ami, comme c’est riche ! Peut-on être exploité devant la magnificence de la nature ! Comme c’est gratuit et sans bornes ! Je suis aimé et je me sentirais exploité ?

    _ Laisse-le… dit un deuxième Dom. C’est un bourge !  

    _ Un bourge ? pense derechef Paschic. Un bourge ? Mais toute ma vie, je l’ai passée sans reconnaissance, sans rétribution ! Ils souffrent d’un manque de respect et veulent gagner plus ! Et moi, dès l’enfance, j’ai eu peur, car même ma famille m’est devenue étrangère ! Ce n’était pas mon monde ! Combien de fois je n’ai pas hurlé d’épouvante dans la nuit ? Un bourge ? Mais j’ai mendié un peu d’amour sur toutes les routes, dans toutes les familles ! Ce sont eux les bourges ! Ils sont égratignés, le vide les effleure et ils se sentent exploités ! Ils crient, ils montent au créneau ! Ils n’ont nulle connaissance du désert ! Ils ne savent rien de la valeur du puits !

    _ Un traître ! Voilà ce que c’est ! Allons camarades, la lutte nous attend ! »

    Les Doms s’en vont, laissant Paschic, qui se dit : « Alors, voilà comment l’athéisme se trompe sur lui-même, pour supporter la vie ! Il s’imagine que d’autres Doms sont méchants, des exploiteurs et qu’il suffit de les chasser, de les remplacer pour donner un sens à sa vie et trouver un équilibre, le bonheur ! Et à chaque fois le scénario est pareil : après avoir supprimé ceux qu’on voyait comme des ennemis, on se retrouve en face de soi et on finit par s’entre-dévorer ! C’est inévitable, car au fond on est comme les Doms qu’on combat et on ne fait qu’ignorer sa propre nature ! »

    Paschic reprend lui aussi sa marche…, mais il n’est pas au bout de ses réflexions : « En fait, ces Doms veulent rappeler au gouvernement qu’ils comptent, qu’ils sont une force ! Voilà pourquoi ils sont en colère : ils se sentent méprisé par les autorités ! Mais c’est bien leur ego qui souffre, leur domination qui demande justice ! Il ne faut pas s’y tromper ! L’étendard, c’est la justice sociale, mais en réalité, c’est l’égoïsme qui réclame sa part ! Ras-le-bol ? Ils en ont ras-le-bol ! Mais de quoi mon Dieu ? Ça me rappelle la Machine, qui elle aussi en avait tout le temps marre, toute le temps ras-le-bol ! Et pourquoi ? Parce qu’il n’y avait aucun amour divin en elle ! rien de grand ! Heureux ceux qui pratiquent la bonté, qui sont disponibles ; la spiritualité, la gratuité coulent dans leurs veines ! Comment peut-on en avoir ras-le-bol de l’infini ? »

    Une silhouette arrive vers Paschic et c’est Web, qui s’éponge le front et qui dit : « Fait une de ces chaleurs, hein ? Il y a quelque chose qui m’étonne… Vous semblez calme, reposé ! Je ne vous vois pas courir après vos likes !

    _ Ben non… Être aimé, la reconnaissance, c’est bien entendu agréable ! Ça donne de l’énergie, mais ce n’est pas ce qui m’est vital !

    _ Ah non ? Mais comment vous faites alors pour supporter la solitude ? Qu’est-ce qui vous est vital ?

    _ « L’esprit », je pense…

    _ M’avez l’air d’être un drôle de gazier ! En tout cas, vous faites pas mes affaires, car ma drogue est apparemment sans effet sur vous !

    _ Oh ! Rassurez-vous, Web, on peut pas rester seul dans son coin ! Faut bien qu’on communique ce qu’on pense du monde, sinon on doit devenir fou…

    _ Oui, mais moi, je veux de la dépendance ! Toute trace d’autarcie spirituelle, ça me donne des boutons !

    _ Désolé Web, j’ peux pas faire mieux !

    _ Et en plus, vous vous foutez d’ ma gueule ! Mais, enfin, vous me plaisez, ah ! ah ! vous avez gagné mon respect ! Allez, venez, je vais vous faire visiter mes installations ! »

                                                                                                                         3

          Paschic suit Web et on se retrouve bientôt sous le dôme… « Vous voyez le secteur… en forme de nez qui s’allonge ? reprend Web. C’est celui de la fake ! Ici, des centaines de types à moi racontent n’importe quoi dans l’ monde ! n’importe quelle calembredaine ! L’objectif est de déstabiliser, de détruire !

    _ Afin de mieux régner, de faire ses coups en douce !

    _ Ouais, mais moi, je travaille pour le plus offrant ! Je ne suis pas un idéaliste comme vous ! Cigare…

    _ Non merci… A vrai dire, je ne sais pas ce qu’est vraiment un idéaliste ! Mais dans votre bouche, cela semble une naïveté !

    _ Ouais bon, je ne pense pas que vous soyez naïf… Eh ! »

    A cet instant, un harpon vient se ficher dans la paroi, tout près de la tête de Paschic, qui reste médusé ! « Ah ! Ah ! fait Web. Paschic, je vous présente Cristal ! Notre harponneuse en chef ! Elle harponne les hommes, comme des animaux… et vous devez lui plaire, car vous êtes encore vivant ! Ah ! Ah !

    _ Voyez-vous ça… marmonne Paschic, qui voit s’avancer une femme sexy.

    _ Permettez que je récupère mon dard ! fait celle-ci avec une bouche sensuelle. J’ai voulu vous signaler que je vous trouve infiniment mignon !

    _ Je ne crois pas, non…

    _ Ah bon ? Et qu’est-ce que vous croyez alors ?

    _ Je crois que vous avez besoin de séduire instamment, pour tenir debout ! Ce que je suis n’est pas vraiment important...

    _ Mais qu’est-ce que… ? Espèce de goujat !

    _ Ah ! Ah ! éclate Web. Apparemment, il vous a bien cernée, ma chère ! Paschic, laissez-moi vous présenter Jobard, un autre de mes collaborateurs ! »

    Jobard est un petit Dom qui boîte et dont le visage paraît éternellement souffreteux… « Excusez-moi, fait-il à Paschic, mais sauriez-vous où se trouve la roue, le frou, le mout rouge ?

    _ Comment ? Je ne comprends pas ce que vous dites…

    _ Le mou, la rou, le tout rouge ! La scscnc, quoi ! Le pou, la mou rouge ?

    _ Ah ! Ah ! éclate Paschic. Alors, c’est tout ce que vous avez trouvé pour attirer l’attention, sur votre personne ! Demander un renseignement incompréhensible ! J’imagine que bon nombre tombent dans votre toile d’araignée et s’y débattent, sous vos yeux ravis ! Ceci étant, quelle misère ! Car il n’y a que ça pour illuminer votre vie !

    _ Ah ! Ah ! fait à son tour Web, devant la mine maintenant haineuse de Jobard. Bon sang, Paschic, vous les connaissez tous, on dirait ! Comme il t’a percé à jour, Jobard, du premier coup ! Ah ! Ah ! Ceci étant, Paschic, vous restez ici un ennemi… et hautement dangereux, à ce que je vois ! C’est pourquoi je vous ai préparé une petite surprise ! Allons ! »

    Le petit groupe quitte le dôme, pour arriver dans une arène ! Là, des milliers de spectateurs se déchaînent autour d’une cage de combat ! « C’est votre prochaine destination, Paschic ! lance Web. Vous allez affronter l’un de nos champions ! On peut dire que vous êtes un sacré veinard, Paschic ! Ah ! Ah ! Eh ! Mais il ne s’agit pas d’un lutte physique, mais psychique ! C’est là-dessus que nous travaillons ! sur le pouvoir psychique ! et ses ondes, pourrait-on dire ! C’est l’avenir, Paschic, comme vous le savez ! Ah ! Ah ! Nul doute que le combat va être intéressant, car vous avez déjà montré des dispositions rares ! »

    A ce moment, le champion de Web entre dans la cage et la foule scande son nom : « Python ! Python ! Python ! » C’est un jeune Dom, qui n’est même pas majeur. Il a un physique ingrat : massif, il paraît même bossu, tellement il est tassé sur lui-même. De grosses lunettes rendent son regard impénétrable, mais en lui donnant un air encore plus grossier !

    « Vous avez vu le physique, Paschic ? Pas beau hein ? fait Web. Autrement dit un mal-aimé, Paschic ! Seul et faisant fuir les filles ! Tsss ! Tsss ! Une vraie bouilloire d’ado dans sa chambre ! Dieu sait quel pouvoir psychique il a pu développer, en compensation !

    _ Un vrai trou noir, j’ parie !

    _ C’est exactement ça ! Et moi, Web, j’ lui ai donné sa chance ! Dehors, un repoussoir, mais ici, un vrai champion ! Ecoutez-les, Paschic ! Ils crient son nom : Python ! Python ! Il est devenu leur Dieu et il en jouit bien sûr ! C’est ce qu’il voulait !

    _ Votre bonté vous perdra un jour, Web…

    _ Ah ! Ah ! Excellent ! Vous gardez tout votre sang-froid ! Allez, mes hommes vont vous conduire dans la cage ! Ça va être… phénoménal ! »

                                                                                                                            4 

         Dans la cage de combat, la victoire psychique est obtenue comme la physique, soit par KO, soit par des points donnés par des juges ! L’adversaire est KO quand il panique et cherche à s’enfuir de la cage ! Des points sont marqués lorsque l’adversaire, par de petits gestes, essaie de se soustraire au combat, par exemple en tournant la tête ou en passant la main dans ses cheveux ! Tout signe de nervosité révèle qu’on est à bout, au bord du supplice !

    Les combattants sont face à face, assis sur des chaises et pour comprendre l’intensité de leur affrontement, ce qu’ils pensent est visible sur des écrans géants, grâce à des récepteurs posés sur la tête ! Le public passe de l’image à l’attitude des combattants et se galvanise de l’une et de l’autre !

    Paschic entre dans la cage et prend place devant Python ! Celui-ci paraît comme endormi, inerte, ramassé sur lui-même et bientôt, Paschic est prêt ! L’arbitre lance le combat, ce qui provoque un immense rugissement dans la salle, qui scande de nouveau le nom de son champion : « Python ! Python ! »

    Très vite, Paschic comprend qu’il a affaire à un adversaire redoutable ! Celui-ci a une domination psychique aussi massive qu’il l’est lui-même et Paschic imagine son histoire… Python a sans doute très tôt fait le tour d’un père trop faible, ou faussement à l’aise, et maintenant il l’utilise comme il veut ! Il est possible aussi que le père soit souvent absent ou qu’il ne soit plus là ! En tout cas, Python est le maître chez lui ! Il n’a pas à lutter contre une autorité supérieure, ce qui lui donne toute latitude et favorise sa monstruosité !

    La mère doit assurer la logistique et solitaire devant son ordinateur, Python a dû développer une domination psychique peu commune, pour rester fier de lui-même et se sentir important, bien que rejeté ! Il est le seigneur de son monde secret !

    Le public pousse des hurlements ! Il se passe quelque chose et en effet, sur les écrans, Paschic apparaît comme l’esclave sexuel de Python ! On se délecte de ces images crues, mais Paschic n’est pas surpris ! A l’âge de Python, la domination psychique est indissociable de la libido, de la découverte de la sexualité ! Ce n’est que bien plus tard qu’elle peut être maîtrisée toute seule, mais pour l’heure, la victoire selon Python est synonyme de soumission sexuelle pour son adversaire !

    Paschic a beaucoup de mal à résister à la force de l’attaque ! La moindre fragilité peut céder ! La dépression, la faiblesse de l’état nerveux peuvent entraîner la débauche, le sexe soulageant d’autant que la tension psychique est élevée, voire insupportable ! Paschic connaît tout cela sur le bout des doigts ! Ce sont des choses qu’il a explorées, dans le but de se sentir mieux et il en a éprouvées les limites !

    Il ne panique donc pas, même si la pression exercée par Python commence à le faire suer ! D’ailleurs, il comprend à présent le surnom de son adversaire, qui étouffe jusqu’à broyer ! Paschic devient plus puissant, car au fond il n’a rien à cacher ! Jamais il n’a utilisé la domination, pour guérir de ses peurs ! Bien au contraire, il est allé au-devant d’elles, car seule la vérité l’intéressait et l’intéresse ! Ce qui n’est pas le cas de Python, qui use de sa puissance psychique pour se donner une existence et qui donc se fatigue, s’épuise à lutter contre le vide, l’angoisse, par le pouvoir !

    Et hop ! Le public pousse un cri d’étonnement : Python vient de toucher l’une de ses manches ! C’est lui qui en premier a un geste d’évitement, voire d’agacement et les juges bien sûr en prennent note ! Paschic mène au point désormais et il ne lâche plus son adversaire ! Il utilise même ses méthodes, bien que Paschic n’aime pas humilier ! Mais il veut rendre à Python la monnaie de sa pièce, lui faire comprendre comment c’est odieux de voir l’autre en esclave sexuel et sur les écrans, on voit soudain Python lui-même dans des positions « honteuses » !

    C’est insoutenable pour Python, qui cherche à se libérer le cou, qui suffoque, qui n’en peut plus, qui se lève brutalement, arrachant ses électrodes, avant de se heurter à la cage, dont il ne trouve plus la sortie, sous l’effet de la peur, car il n’est plus qu’un enfant, dans un monde hostile ! D’ailleurs, maintenant, le public le hue, avant de crier le nom de Paschic, son nouvel héros !

    Mais Paschic n’en tire aucun triomphe : être grand parmi les Doms, être fêté par eux ? Ce n’est pas sérieux ! Paschic ne peut s’en contenter ! Il est allé bien trop loin ! Il a les ailes bien trop larges ! Et puis, Python est plutôt à plaindre ! Il est malheureux comme une pierre, dans sa solitude vicieuse ! Il n’est nullement à l’abri de l’angoisse et c’est l’hypocrisie des Doms qui crée de tels mutants ! C’est parce que eux-mêmes s’abusent sur ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent que de jeunes Doms, ne trouvant aucune réponse, sont quasiment contraints de devenir difformes, de cultiver un pouvoir psychique maladif !

  • La Révolte... (59-62)

    • Le 14/09/2025

    Dom 10

     

                 "Des cloportes! Tous des cloportes!"

                                        La Métamorphose des cloportes

     

     

     

                                         59

          « Si je comprends bien, dit Marié, plus le Cube a peur et plus il se développe ! Dans ce cas, on ne sortira jamais d’ici !

    _ Nous serions de toute façon incapable de vivre hors du Cube, pas vrai ? répond Paschic. Par contre, on peut essayer de freiner son expansion et de mieux la diriger !

    _ Et la beauté de la nature ? demande Propre.

    _ C’est elle en effet qui repose et nourrit… Voilà pourquoi il est nécessaire de lutter contre la folie du Cube !

    _ Mais... »

    Propre ne peut pas terminer, car la troupe est arrêtée par un Dom géant et tout gris ! « Halte ! fait le géant. Je suis le Dom invulnérable ! le Dom absolu ! ultime ! Je suis la force incarnée ! Vous voyez cette maison ? « 

    La troupe regarde une chaumière, d’où viennent les bruits du quotidien, puisqu’une famille y habite ! Soudain, le Dom géant écrase l’habitation, ne laissant aucune chance à ses habitants ! « Ah ! Ah ! Voilà ce que je fais avec la racaille ! Faut pas m’ chercher ! J’ suis le plus fort !

    _ Tu es surtout né de la peur du Cube ! lui dit Paschic.

    _ Hein ? Moi, peur ? Je n’ai pas peur ! Rien ne me fait peur !

    _ Au contraire, plus la peur du Cube est grande et plus il crée des Doms comme toi !

    _ Et j’aurais peur de quoi ?

    _ De tout ! C’est indéfinissable ! Tu as peur du vide pour commencer ! du silence, de l’inaction, de la paix même ! Tu ne sais même pas te tenir debout sans rien faire, ni attendre patiemment !

    _ Et pourquoi voudrais-je ces « qualités » ? Tu voudrais que je sois mort ! Ah ! Ah !

    _ T’agiter, t’agiter, pour ne plus avoir peur, ça, tu sais faire ! Tu te bats contre un ennemi qui n’existe pas ! Tu n’arrives même pas à guérir tes névroses !

    _ Ça fait deux minutes que j’ t’écoute et ça fait deux minutes de trop ! Qu’est-ce que j’ai affaire d’un avorton comme toi ! T’es rien, mon pote !

    _ Je suis rien à tes yeux, en effet, et pourtant j’ai moins peur que toi !

    _ Je t’ai déjà dit que je n’ai pas peur !

    _ Comment expliques-tu alors ton gigantisme ?

    _ Ben, j’ suis l’ plus fort ! Ouais, c’est ça ! Ah ! Ah !

    _ Mais non, j’ t’explique ! La vie s’affirme pour exister, ce qui conduit à toutes les luttes que l’on voit dans la nature ! L’animal face à la différence ou l’inconnu a une position de rejet et d’agressivité ! Ainsi les Doms se replient sur soi ou font valoir leur domination, quand ils en croisent d’autres, et les hommes utilisent la force physique et les femmes la séduction ! Et les jeunes ? qui naissent dans un monde incertain, dont le Ciel est vide, dont toutes les croyances paraissent mortes ?

    _ Les jeunes ? dans quoi, tu dis ?

    _ Eh bien, ils ont d’abord une réaction psychique, figure-toi, avant qu’elle ne soit sexuée ! C’est une particularité de notre époque, car nous sommes à l’ère de la communication et c’est d’abord notre psychisme qui est concerné ! Toujours est-il que des jeunes ont tellement peur qu’ils ne sont plus qu’un concentré psychique ! Ils produisent une domination mentale partout où ils vont, de sorte que le monde autour devrait en être absorbé ! d’où le nom de ces jeunes, les Doms trous noirs ou DTN !

    _ Tu fais l’ malin, c’est ça ? Tu m’prends pour une bille ! J’en ai fait moi aussi des études ! Mais ça sert à rien, puisque je peux t’écraser comme une mouche !

    _ Oui, parce que t’as peur ! T’as tellement peur que tu as tout le temps besoin d’ étaler ta force ! Si t’étais vraiment costaud, tu serais en paix, disponible, curieux, aimable ! Tu f’rais l’ bien !

    _ Grrr ! Tiens, prends ça !

    _ Raté ! Quelle mauviette ! Tout le temps inquiet !

    _ Grrr ! Tiens ! Tiens ! 

    _ Un vrai DTN des temps anciens ! Le gars qui cogne, pour pas pleurer dans l’ noir !

    _ Grrr ! J’ vais t’ réduire en bouillie !

    _ Essaie déjà de rester calme, d’écouter l’ silence ! poursuit Paschic, qui entraîne le géant dans sa magie.

    _ Mais qu’est-ce que ? Eh ! Où on est là ?

    _ Tu vois, tout autour de toi, la lumière pleut sur les arbres, en y semant mille pierreries ! N’est-ce pas magnifique ?

    _ Mais c’est que j’ suis paumé là ! Grrr, renvoie-moi d’où on vient, sinon…

    _ Tu vas te mettre à gémir, je sais…

    _ Ecoute ! Y a pas un bruit ! Je… Parle-moi de moi, vite ! Je sens que je vais faire un malaise…

    _ Qu’est-ce que tu veux que j’ te dise ?

    _ Chais pas, moi ! Demande-moi, ma couleur préférée ! »

                                                                                                                 60

          Une pluie fine tombe sur le Cube et la petite troupe avance doucement, comme dans un rêve, car le contour des choses est flou ! Le géant a été laissé dans la magie du bois d’été et nul doute qu’il y pleure encore…, à moins, à moins qu’enfin il ait commencé à s’enchanter de la beauté qui l’entoure, de la magnificence de la nature !

    Il est possible qu’il soit maintenant ravi par une libellule, qu’il prenne conscience que le houx illuminé, recueille la lumière, comme des larmes et fait le plus beau des candélabres ! Sera-t-il enfin amusé par le doux murmure du ruisseau, qui se joue de tous nos soucis ? Verra-t-il du mystère dans les bosquets touffus, où le jour perce à peine les profondeurs ? Se rendra-t-il compte des vitraux émeraude ou topaze, qui font de la moindre ronce une merveille de silhouette ? Celui qui sait voir n’en finit pas d’explorer les trésors de la lumière !

    Encore faut-il de la simplicité ! ce dont est dépourvu le Dom, qui est malheureux à cause de sa peur et de son ego ! D’autres ont plus et voilà le Dom en colère, mais d’autres auront toujours plus ! Que veut le Dom au fond ? Il n’en sait rien ! Qu’appelle-t-il victoire ou bonheur ? Jamais la domination ne peut être satisfaite et guérir la peur !

    Que veut le Dom ? Être au pouvoir ? Qu’il le prenne et il ne sera pas plus heureux ! Et il verra que les autres Doms sont toujours en colère ! Si seulement le Dom pouvait s’élever spirituellement, il aurait l’amour et la confiance ! Il serait mille fois plus riche que tous les milliardaires réunis ! Mais on préfère son ego, sa haine, sa soif de vengeance ! On caresse son égoïsme, en parlant de droits !

    La petite troupe aperçoit d’ailleurs une boule de feu, qui se déplace dans la rue telle une coulée de lave ! Ce sont les Doms en colère qui manifestent, des Doms malheureux, haineux, qui se croient lésés, alors que les plus belles merveilles sont gratuites, dans la nature ! A l’avant, on reconnaît les « Nés-Vieux » ! Ceux-là dès treize ans pensent à leur retraite ! Ils ne voient la vie que comme un long tunnel à points ! Jamais ils ne se demandent si elle peut avoir un autre sens ! On comprend leur malheur, car qui voudrait d’un si long esclavage, avec à terme la maladie et la mort ?

    Ah ! Mais, explorer l’inconnu, l’insondable, le mystère, aimer la beauté, c’est affronter sa peur, diminuer son ego, c’est reconnaître qu’on ne sait pas ! C’est accepter la patience, ne pas vouloir à tout prix avoir raison ! Ce n’est pas aboyer, mais choisir la douceur !

    Tous, ils ont soif ! Ils veulent se développer, s’épanouir, sentir leur liberté, mais ils ne sont pas « éclairés » et restent aveugles, la plupart par manque de courage, car la force, c’est bien d’aimer, malgré le poids des Doms, leur colère d’opérette ou presque !

    « On va être emporté ! s’inquiète Marié. Ils sont trop nombreux ! Ils crient tellement forts !

    _ Oui, ils sont affamés et ils ne savent même pas de quoi ! répond Paschic.

    _ Mais… mais ils ont raison ! fait soudainement Propre. De quoi sera demain, nous ne le savons pas ! Nous n’avons même pas de retraite ! J’ai froid et j’ai peur !

    _ Propre, repense à la beauté infinie de la nature ! Crois-tu que tu sois seule et abandonnée ? N’as-tu pas eu assez de preuves qu’un amour tout puissant veille sur toi ? Reprends confiance ! La colère des Doms est vaine !

    _ J’imagine qu’en arrêtant le Cube, on va pouvoir se parler !

    _ Alors que le Dom ignore déjà l’importance de son ego ? Il ne reconnaît même pas son propre égoïsme, ni sa propre lâcheté, il faut bien le dire ! Que va-t-il se passer quand vous serez entre quatre yeux ? Tu crois à un miracle, à une compréhension subite ?

    _ Et quelle est la solution d’après toi ?

    _ Que le Dom change d’abord lui-même ! Qu’il prenne de plus en plus conscience de son individualité et que l’État n’est pas sa maman ! Regarde les Nés-Vieux, ils vivent dans une boîte à chaussures ! »

    Mais Propre n’entend plus : elle a cédé à ses inquiétudes et rejoint le flot incandescent ! « Propre ! Propre ! » crient Marié et Mécano inutilement, car le vacarme est assourdissant et la violence dans le sillage du mouvement, inévitablement, puisqu’elle exprime l’illusion de son fondement, sa stérilité !

    «  C’est ça… ou les bottes ! lâche dans un soupir Paschic.

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ? demande Mécano.

    _ Face au vide, les Doms se dirigent soit vers le chaos social, car une société matérialiste ne peut être que malheureuse… ou alors pour éviter ça, de l’ordre et de l’ordre à tout prix ! Les dictatures, quoi ! Mais c’est toujours à côté ! Rien de grand au final ! »

                                                                                                                    61

         « Mais, mais on a perdu Propre ! On dirait que ça ne te fait rien ! réplique Marié.

    _ Si, bien sûr que si, mais cela montre encore une fois combien les peurs des Doms sont fortes et comment il est difficile d’y résister ! On ne peut pas non plus ramener Propre par la force, notre chemin est celui de l’amour et de la confiance ! Nullement celui de la haine et de la colère ! Crois-moi, il est fort possible que Propre nous revienne, quand elle verra le vide des Doms ! D’ailleurs je suis fatigué… Je nous envoie où nous pourrons nous reposer... »

    Grâce à sa magie, Paschic conduit le trio sur une plage de galets, où souffle le vent ! Les pierres « croassent » sous les pieds et la mer est creusée de petites vagues ! C’est une ambiance aride, dépouillée, sauvage, mais au moins ici on n’entend plus les Doms ! Paschic respire ! Il prend son temps, il regarde !

    Le ciel est traversé par des grains et entre eux, des espace bleus laissent tomber la lumière ! Celle-ci vient miroiter sur les vagues, donnant à la mer des écailles d’argent, dans un mouvement continu ! Paschic ne dit rien et contemple ! Il sait que tôt ou tard il va lui falloir retrouver le monde des Doms et cela passera d’abord par un vacarme effroyable, une agitation sans bornes, déstabilisante, abrutissante, essentiellement provoquée par la peur !

    Ici, la majesté est si évidente qu’elle semble un jeu… Pour le monde des Doms, comment on en est arrivé là ? Certes, nous sommes nombreux et il faut bien nous nourrir, mais le fonctionnement, que nous avons mis en place et qui devait nous servir, nous rend au contraire esclaves et finalement nous tue, avec le réchauffement climatique !

    En remontant un peu sur la grève, Paschic observe des hirondelles, qui gazouillent joyeusement, avant d’effectuer leur migration ! Elles n’ont pas peur et pourtant elles sont infiniment moins protégées que nous ! Alors qu’est-ce qui ne va pas chez les Doms ?

    On peut dire que ça commence dès l’école… Pourquoi les élèves ne reçoivent-ils pas un cours de sagesse, de contemplation ? Pourquoi ne se retrouvent-ils pas devant les merveilles de la nature, afin qu’ils se calment, qu’ils jouent, qu’ils s’y sentent comme chez eux ? Pourquoi ne sont-il pas éveillés à la beauté, comme l’a été Paschic, simplement par l’observation, la curiosité, l’attente ? Pourquoi ne pas prendre en compte leur chagrin, leur peurs ? Pourquoi ne leur laisse-t-on pas le temps ?

    Car tout de suite les peurs des adultes « tombent » sur eux ! Tout de suite, il faut du rendement, de la performance, car c’est cela qui rassure ! Il faut des chiffres, car c’est tangible, sérieux, d’où l’importance des mathématiques, des sciences physiques ! L’échec est présenté comme un abîme, une damnation ! Toute la panique de la société vient s’abattre sur des épaules trop frêles !

    Les enfants sont embarqués dans un train sans conducteur, comme le montrent les crises d’aujourd’hui ! Pourtant la solution est simple, encore faut-il la voir, car le problème, ce n’est pas les supers-riches, le gouvernement, l’inflation, les étrangers, etc. ! Le problème, c’est chacun d’entre nous ! C’est notre égoïsme au quotidien, dont apparemment la plupart ne s’en rendent même pas compte !

    Par exemple, on sort de chez-soi et il faut aussitôt descendre du trottoir, car quelqu’un a garé en plein dessus son cube roulant ! Pourquoi ? Mais parce que son propriétaire ne pense pas aux autres ! Cela ne lui vient même pas à l’idée ! Parce qu’au fond il méprise le monde qui l’entoure !

    Plus loin, on voit des détritus jonchant le sol à cause de poubelles mal fermées ! Qui va nettoyer ? Sûrement pas les propriétaires, qui comptent sur d’autres personnes ! On continue et un cube roulant passe, musique plein pot, ce qui fait croire à l’installation d’un cirque ! On arrive au marché, pour ses courses, et un dame nous précède à la boucherie… Elle discute avec le boucher, mais croyez-vous qu’elle ait pris en compte votre présence et qu’elle pense à abréger la discussion ? Nullement, elle prend ses aises au maximum !

    Quand enfin, c’est votre tour, un monsieur se glisse dans votre dos et fait pression sur vous : il est là et on doit le servir ! Il pourrait se dire que vous existez et que vous avez droit au respect, mais non, c’est trop pour lui ! Il est incapable de la moindre patience ! A ce stade, vous n’avez fait que cent mètres, depuis votre domicile et vous n’avez déjà plus qu’un désir : retrouver la tranquillité de vos pénates, c’est-à-dire votre sédentarisme, si propice aux maladies de toutes sortes !

    Qu’est-ce que les multinationales, le gouvernement, l’immigration ont affaire là-dedans ? Rien ou presque ! C’est simplement notre égoïsme, qui ne se donne aucune contrainte et d’abord parce qu’il est sous le joug de la peur ! La solution est donc simple : lutter contre sa domination par la confiance ! La politique n’est qu’un paravent !

                                                                                                                    62

         La magie de Paschic s’estompe et le trio est de nouveau dans le Cube ! Pourtant, il a l’air bizarre ! Tous les Doms ici sont des jeunes, qui avancent courbés sur leur petit écran ! On dirait une procession de moines tristes ! Quelle sorte de damnation accable-t-elle ces jeunes ?

    Soudain une sirène retentit et Mécano dit : « Je me demande si ce n’est pas pour nous ? » La jeune fille montre deux cubes roulants qui s’arrêtent, de sorte qu’ils bloquent le passage ! Des Doms, avec des combinaisons et des masques respiratoires, en descendent et s’approchent... « Oui, c’est pour nous ! fait inquiet Marié. Mais pourquoi ? » Il n’a pas le temps d’y réfléchir, car un éclair vient le frapper et il s’évanouit !

    Paschic et ses amis reprennent peu à peu conscience dans une vaste salle, dont le plafond est en forme de dôme ! Tout y est d’une blancheur éclatante et des Doms y circulent, tous en combinaison, sans faire de bruit. En face du trio se trouve un Dom large de carrure, chauve, aux bras velus, dont le vêtement a des couleurs criardes, ce qui tranche franchement avec le reste du décor ! Si on ajoute à cela de grosses chaussures, on a l’impression d’être devant un clown, qui paraît aussi grotesque que menaçant !

    « Alors, on s’ réveille ? fait le personnage, en avalant des cacahuètes.

    _ Qu’est-ce que… Qu’est-ce que nous faisons ici ? parvient à demander Marié.

    _ Pas connectés, les gars ! Pas connectés ! Les gars et mademoiselle ! Pardon ! Mais, si on n’est pas connecté, j’ suis immédiatement prévenu !

    _ Et alors ? réplique hostile Marié.

    _ Et alors ? Ah ! Ah ! Mais j’ me suis même pas présenté ! Docteur Web ! Pour vous servir ! Ah ! Ah ! Cacahuètes ?

    _ Mais quel rapport avec nous ? lance Mécano. Et pourquoi on vous devrait des comptes ?

    _ Revêche, hein ? fait Web. Nouvelle école féminine ! Du punch ! J’aime ça ! Eh bien, ma chère, tout ce qui est connecté m’appartient ! C’est mon monde ! Tous ces jeunes qui défilent, les yeux sur leur écran, ils sont à moi ! Ce sont mes enfants ! Il faudrait pas qu’on vienne les troubler, avec n’importe quelle sornette, vous comprenez ! J’ veille au grain ! Alors d’où vous v’nez, les farceurs ?

    _ De la nature… répond Paschic.

    _ De la Chose ! Ah ! Ah ! J’ l’aurais parié ! En vous voyant, j’ me suis dit, ceux-là viennent d’une autre époque ! Des rétrogrades ! Des singes ! Eh ! Oh ! Ici, c’est la connexion, la coupure d’avec la Chose, car on ne veut plus en entendre parler ! Le psychisme, c’est l’avenir ! Finis l’ vent et la pluie !

    _ Foutaises ! coupe Marié.

    _ Tsss, tsss ! Vous ignorez encore à qui vous avez affaire ! Je dirige un empire, moi ! Pas un bureau de plaintes pour marginaux ! Mais je vais profiter de votre présence, pour tester quelques trucs…

    _ C’est-à-dire ?

    _ Comment arracher le psychisme à l’air ambiant ? Comment le captiver, le retenir, jusqu’à ce qu’il oublie même le monde qu’on juge réel ? Comment faire pour que le psychisme devienne autonome, dans un monde uniquement à lui, mental ?

    _ Vous êtes fou ! Vous ne pouvez le séparer du corps !

    _ En effet ! Vous avez remarqué ? Ah ! Ah ! Mais cela est vrai jusqu’à présent… Imaginez toute la logistique, la production alimentaire réglées par l’IA et des droïdes, si vous voulez… et même, le cerveau, nos pensées donc, sur des supports technologiques, dépourvus de corps bien entendu ! Le résultat : une sphère psychique immortelle !

    _ Vous devez savoir comme moi, coupe Paschic, que les plaisirs charnels sont nécessaires à l’équilibre psychique ! Et puis la beauté de la nature est plus importante que vous ne croyez !

    _ Vraiment ? C’est passionnant ! répond Web qui bâille. Remarquez que je n’ai jamais dit que j’avais toutes les solutions… et c’est pourquoi vous êtes encore en vie, comme cobayes !

    _ Qu’est-ce que vous allez faire ? demande soudain inquiète Mécano.

    _ Eh bien, je vais d’abord injecter dans la veine du petit gueulard ma dernière drogue, que j’ai baptisée la Like !

    _ C’est ce qu’on va voir ! fait Marié, qui se tortille sur son siège.

    _ Oh ! Mais c’est tout vu ! Fais un sourire à papa Web ! »

    Le docteur Web se lève avec une seringue à la main et il pique le bras de Marié ! « La suite va être pleine d’enseignements ! » se réjouit-il.

  • La Révolte... (55-58)

    • Le 06/09/2025

    R101

     

       "Tu crois quand même pas qu'on va se faire des papouilles sous la douche!"

                                                       Le Maître de guerre

     

     

     

                                          55

         Paschic se concentre pour ne pas sombrer… Que sait-il ? Il sait que, quoi que dise le Dom, le problème, ce n’est pas le gouvernement, l’inflation ou mille autres choses, mais l’ego du Dom lui-même ! Il n’est pas possible de perdre ses inquiétudes, sans se séparer de sa volonté de dominer ! C’est elle qui rive l’anxiété et la vie est bien faite pour se développer spirituellement !

    Chacun veut se libérer, sentir un attrait à son existence, mais on ne fait qu’accuser l’autre de nous empêcher d’atteindre ce but ! On voit la solution à l’extérieur de nous, alors qu’elle est essentiellement en notre possession ! Comment guérir de sa peur et se montrer disponible à la différence ? Comment transmettre sa paix, en gardant ses forces ? Qu’est-ce qui peut donner le sentiment de la sécurité ? Ce n’est pas l’argent, car nos craintes n’ont pas de fondements, mais elles viennent de nos blessures, de la fragilité de nos personnes ! Elles sont irrationnelles et pourtant destructrices !

    Mais Paschic, dans la « grotte » de la Machine, ne peut pas s’expliquer ! Les Doms sont tellement effrayés autour de lui qu’ils sont sourds et haineux ! Déjà la plupart d’entre eux ne sont pas prêts à reconnaître leurs peurs ! Ils sont persuadés d’être parfaitement maîtres d’eux-mêmes, pleinement lucides, car c’est une attitude défensive, qui préserve l’amour-propre ! Il n’est pas question de déchoir, d’avoir l’impression de se rabaisser ! Tout plutôt que d’être humilié ! On a sa dignité, voire son rang, à protéger ! Et cette multitude est perdue et s’agresse !

    Pourtant, c’est sans issue ! Paschic se concentre et il devient comme un œuf d’or, sous le flot grondant ! Le Cube n’est fait que de conventions et de haine, de poses et d’hostilité ! C’est un théâtre méprisant ! On n’a pas la solution pour être à l’aise, mais on fait comme si ! C’est la partie artificielle, où l’on ne prend aucun risque et on voudrait tout de même des hommages, être salué pour son mérite ou son courage, tandis qu’on n’obéit qu’à des codes !

    Comment s’attendre à une vérité, une assurance, alors qu’on ne cherche pas ? Comment croire, quand on ne quitte pas sa sécurité ?

    A côté de ce « spectacle » de bienséances, il y a les « gardiens ou gardiennes » ! C’est-à-dire tous ceux qui haïssent et veulent détruire, dès que la différence apparaît et que le « troupeau » semble menacé ! Non seulement ils sont aveugles, mais en plus ils refusent toute lumière ! La peur les dresse sur leurs ergots, mais aussi ils défendent leurs privilèges, leur position sociale forte ou leurs prétentions, car même certains d’entre eux sont des misérables, des sans-grades ! Mais on peut avoir le sentiment du pouvoir, en étant marginal, en faisant impression auprès du bourgeois, par sa tenue débraillée et des manières de clochard ! Bien que sous la guenille, l’ego ou la domination se trouvent au chaud et s’enkystent !

    Que de haine Paschic ne doit-il pas affronter, simplement à cause de son détachement, de sa quasi indifférence, face au pouvoir du Dom, à sa demande de reconnaissance ! Le Dom croit toujours que c’est sa personne la solution ! que c’est son statut qui va le rendre heureux ! Qu’est-ce que Paschic en a affaire ? Lui, il connaît la beauté et son infini et le mérite du Dom, sa réussite le fait bien rigoler !

    Si encore celle-ci guérissait la peur, mais il n’en est rien ! C’est le Dom qui est immature et qui ne sait même pas où il est ! Paschic soudain reprend conscience de la richesse de la beauté… Il croyait en être assez familier, mais de nouveau il est touché par son immensité ! C’est comme si son esprit passait un palier supplémentaire ! Cela va de pair avec les forces acquises, car nul ne pourrait résister à l’infini ! Il est accueilli à mesure que soi-même on est plus fort, qu’on a les ailes plus grandes ! Et là encore, on est frappé par sa nouvelle ampleur et par la conscience qu’on est encore loin d’en voir beaucoup, mais juste un petit bout !

    Mais cela suffit, pour que l’être soit rempli de lumière, tellement qu’elle se dégage à l’extérieur, qu’elle est perceptible et renversante pour l’autre, de sorte que le Dom en est étonné, désorienté, abasourdi, car on lui montre un tout autre univers, dont il n’a même pas idée !

    Ainsi, d’un coup, Paschic fait exploser la grotte de la Machine ! Sa lumière chasse tous les Doms, tel un tsunami ! Les gardes de la Machine et elle-même sont pulvérisés ! Car l’éclat de Dieu est si fort qu’il est insoutenable pour un Dom ! Une vérité s’impose : les Doms ne verront pas Dieu !

    A côté, il ne reste que les amis de Paschic, qui sont tremblants, mais sauvés, car de bonne volonté !

                                                                                                                      56

         La petite troupe a une nouvelle fois échappé à l’emprise de la Machine, mais elle n’a pas le temps de se réjouir, car on s’aperçoit que Propre ne suit pas, qu’elle a disparu ! On cherche et on découvre une Dom agitée, qui fait des signes ! « Qu’est-ce qui se passe ? lui demande-t-on.

    _ Comment ça qu’est-ce qui s’ passe ? Mais le malheur est partout dans le monde ! La souffrance est à son apogée et vous m’ demandez c’ qui n’ va pas ! Ah ! Ah ! »

    La Dom semble hystérique et son faux rire a quelque chose de dément ! « Vous n’auriez pas vu une jeune fille, yeux verts, chevelure blonde, avec de délicieuses taches de rousseur ? questionne Paschic, qui garde son calme.

    _ Bien sûr que j’ l’ai vue ! Et j’ai tout d’ suite informée la p’tite de la gravité, de l’urgence de la situation ! Elle en a été touchée, pas comme vous apparemment !

    _ Et où est-elle à présent ?

    _ Mais elle est entrée dans ma maison ! »

    Ce n’est qu’à cet instant que la troupe s’aperçoit que la Dom est bien sur le perron d’une maison, qui a la particularité d’être roulante ! « Eh oui ! reprend la Dom, avec cette maison j’enrôle du monde, pour aller sauver les malheureux !

    _ Donc, la jeune fille, nommé Propre, est dans cette maison ! poursuit Paschic. Vous pouvez aller la chercher ?

    _ Eh ! C’est qu’ c’est une maison un peu spéciale ! C’est moi qui l’ai conçue ! On n’y entre et on n’y sort pas comme ça !

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ Écoutez, je sensibilise, j’ recrute , mais je ne force personne ! Si vous voulez récupérer la p’tite, faut y aller vous-même ! Eh ! Eh !

    _ Tout ça est bien étrange ! fait Marié.

    _ N’importe faut récupérer Propre ! réplique Mécano.

    _ J’ vous dis qu’elle est convaincue ! coupe la Dom. Elle ressortira pas comme ça !

    _ J’ y vais ! » dit Paschic.

    Il passe devant la Dom, qui le regarde d’un air goguenard, et entre dans la maison… Il y a d’abord une grande pièce avec des miroirs… Paschic s’y voit en même temps qu’il entend des voix, qui lui disent : « T’es un nanti ! un nanti inutile ! », « Ça va ? La santé est bonne ? Pas faim ? J’ l’aurais parié ! », « Et tu dis que t’es pour la justice ? que tu veux faire le bien ? que tu aimes Dieu ! Pfff ! Laisse-moi rigoler ! », « Engage-toi ! Bats-toi ! Remue-toi ! Bon sang ! », « T’es rien, t’es qu’un minable ! »

    Les voix continuent sur le même thème et Paschic passe toujours devant les miroirs, mais apparaît une ouverture, qui conduit dans une autre pièce tout aussi grande ! Cependant, aux murs ce sont des images, qui montrent toute la souffrance humaine : des enfants affamés ou pleurant sous les bombes ! des habitants près de leur maison en ruines, des femmes battues, des vieux derrière des barbelés, puis des animaux massacrés, etc. !

    C’est une surenchère de malheurs et de violences, avec des messages lumineux au-dessus : « Que fais-tu ? Rien ! », « N’as-tu pas honte ? », « Bouge-toi ! » Paschic avale sa salive : il aurait moins d’expériences, il perdrait la tête ! Mais il connaît ce chemin, pour l’avoir emprunté, à ses dépens ! Il sait où ça mène et comment agit la dépression, qui fait qu’on se sent bon à rien ! Et comment elle peut créer la panique et l’angoisse, face à l’horreur !

    La suite, Paschic la pressent ! On doit entrer dans la pièce surmenage, où on dépasse ses forces, où on est broyé ! où on ne sait plus où on est ! quand on ne connaît plus la paix ! où même l’envie de suicide peut apparaître ! « Là, on devient enfin utile ! » songe ironiquement Paschic !

    Effectivement, il est maintenant devant un couloir sombre et il appelle : « Propre ! Propre ! », mais il ne reçoit aucune réponse ! Il faut y aller et Paschic reçoit les murs du couloir qui l’écrasent ! C’était prévu ! Il étouffe, serre les dents, résiste de toutes ses forces, en gardant la tête froide et c’est ce qui le sauve, car il finit par déboucher sur un sol jonché de corps ! Là gisent tous ceux qui se sont épuisés pour la bonne cause ! Ils ne sont plus que des lambeaux d’êtres ! Ils ne peuvent plus se mettre debout !

    « Propre ! Propre ! C’est moi, Paschic ! Allez viens, je suis venu te chercher ! » Propre n’oppose aucune résistance : elle est amorphe, plongée dans une hébétude sans bornes ! Paschic la tire derrière la maison, sous les yeux de Marié et Mécano, qui ont eu l’idée de faire le tour… Propre reprend peu à peu ses esprits, ce qui fait dire à Marié : « Bon sang, Propre, tu nous a fait une belle peur ! Mais qu’est-ce qui t’a pris d’aller dans cette maison ?

    _ Ce qui m’a pris ? répond Propre. Mais nous sommes des lâches ! Voilà ce qui m’a pris ! Vous êtes des lâches !

    _ Comment peux-tu nous parler comme ça ? s’insurge Mécano.

    _ Laisse Mécano ! intervient Paschic. Elle a dépassé ses forces et elle est pleine de haine ! Il faut bien que quelqu’un paye l’addition !

    _ Toi, le donneur de leçons, tu ferais bien d’ la fermer ! » jette Propre à Paschic.

    Paschic sourit et embrasse Propre : « Si tu savais comme je t’aime Propre ! Tu es formidable !

    _ Tu… tu trouves… ?

    _ Bien sûr ! Allez, viens, on s’en va ! »

                                                                                                                     57

         La petite troupe repart, toujours en quête d’une sortie du Cube ! A un moment, Marié passe devant un Dom qui lui vomit dessus ! « Eh ! Mais ça va pas la tête ! s’écrie Marié.

    _ Ben quoi tu m’ fais vomir ! répond le Dom, qui s’essuie la bouche. C’est pas ma faute !

    _ Espèce de sale dégueulasse ! enchaîne Marié, qui veut se saisir du Dom.

    _ Inutile, Marié ! fait Paschic, qui retient son ami. Tu es en train de rentrer dans son jeu ! S’il t’a vomi dessus, c’est parce que tu l’ignorais ! Et je te rappelle que l’équilibre psychique des Doms repose sur leur domination !

    _ Mais, mais je ne peux pas laisser faire ça !

    _ Non, mais plus tu veux répliquer et plus tu t’intéresses à lui, et c’est ce qu’il veut ! C’est ton indifférence qui a provoqué sa haine !

    _ Alors qu’est-ce que je dois faire ?

    _ Souris ! Tu as la connaissance de son esclavage, de sa petitesse ; alors que lui est dans le brouillard complet !

    _ Tu veux vraiment que je souris !

    _ Mais oui, prends de la hauteur ! Réjouis-toi de sa bassesse, car elle te donne raison ! sur les Doms et leur domination !

    _ Un paletot que je n’ai même pas fini de payer ! »

    Plus loin, Marié, toujours indigné, reprend : « Mais on ne peut quand même pas tout pardonner aux Doms !

    _ Mais je ne les excuse même pas ! répond Paschic. Car ils ne cherchent même pas ! Leur malheur, c’est bien de leur faute ! Pourquoi n’essaient-ils pas de trouver Dieu ? Il n’y a pas d’autre bonheur ! Mais ils font pire que de ne pas chercher : par leur inertie et leur égoïsme, ils laissent croire que le ciel est vide et que la Lumière n’existe pas ! d’où nos maladies mentales entre autres !

    _ Alors t’aurais dû m’autoriser à corriger ce malotru !

    _ Mais regarde le Cube ! Vois les Doms s’écraser entre eux ! Considère leur ignorance infinie, leur aveuglement sans bornes ! Même si cette misère nous affecte, elle n’est pas moins digne de pitié ! Ils ont tous soif et s’abreuvent à des puits empoisonnés ! »

    Comme pour confirmer les propos de Paschic, la troupe est soudain arrêtée par un étrange défilé ! Derrière de nombreux spectateurs passent des chars, puis des bottes géantes ! Elles ont toutes le même pas et chantent : « Nous sommes les bottes géantes !

    Nous sommes les plus fortes !

    Nous allons conquérir l’Univers !

    Nous sommes les plus fortes !

    Nous écraserons nos ennemis !

    Eh ! C’est que le cosmos est vide !

    Comme nos cœurs !

    Et nous avons peur !

    C’est pourquoi nous voulons la force !

    Pour nous protéger !

    Pour donner un sens à nos vies !

    Nous sommes les bottes géantes et vides !

    Comme nos cœurs !

    Car nous avons peur !

    Vive l’ordre et la force !

    L’ennemi est invisible,

    Mais nous le vaincrons !

    Car nous sommes les plus fortes ! »

    La petite troupe est plongée dans l’hébétude ! Qu’est-ce que c’est que cela ? Les Doms sont-ils devenus fous ? Ne sommes-nous pas tous frères, dans la même « galère » ? Le ciel brusquement s’assombrit… « Il va pleuvoir…, dit Marié.

    _ Oui, des bombes, enchaîne Mécano.

    _ Ne vous inquiétez pas ! fait Paschic. Il y a plus de force dans une goutte de rosée que dans toutes les bottes géantes ! »

                                                                                                              58

          Pourquoi les Doms ne cherchent-ils pas la Lumière ? Essentiellement par peur ! Ils héritent des peurs des générations précédentes ! L’urgence d’assurer sa sécurité les pénètre au plus profond ! Ils courent carrément à « l’esclavage », pour avoir l’impression d’être libres, ce qui commence par gagner son pain bien sûr ! Mais ainsi rien d’étonnant à ce qu’ils ne soient pas heureux et que bientôt ils se révoltent contre le joug, qu’ils se sont imposé eux-mêmes !

    Les crises suivent toute la même logique : on n’aime pas ce que l’on fait, on ne voit aucune amélioration et on attaque le gouvernement ! On garde même l’illusion que c’est lui la clé de note bonheur et que s’il change, on changera soi-même ! Et les gouvernements se succèdent et les crises aussi !

    A-t-on fait un pas de côté, pour chercher la Lumière ? Non, car la peur revient de suite ! On parle de convictions, d’athéisme, de spiritualité sans Dieu, de philosophie, mais jamais de la peur ! Or, c’est elle qui nous dirige en premier et qui nous pousse à dominer ! Tant qu’on reste dans ce fonctionnement, il n’y a aucune évolution ! Pire, on finit par aller la guerre, qui justifie la domination qui tue et les totalitarismes !

    Comment se débarrasser de sa peur ? Cela ne se fait pas du jour au lendemain ! Ce qui est au fond de nous et qui appartient à nos blessures ne va pas s’en aller comme ça ! C’est un apprentissage, un cheminement, que seule la foi au fond permet ! Celui qui se confie à la Lumière de plus en plus apprend à quitter sa peur et donc sa domination ! En fait, il devient un être humain, tandis que le Dom reste au stade animal ! Notre destinée est de nous élever spirituellement ! C’est ce qui achève notre individualité ! (« Celui qui aime plus sa mère ou son père que moi n’est pas digne de moi ! » Évangile.)

    Rappelons que l’argent n’abolit pas la peur ! L’anxiété est quelque chose de très profond, de quasi incontrôlable, et même si nous avons la sécurité financière, nous sommes bientôt atteints par d’autres inquiétudes, notamment celle du temps qui passe, de la mort qui met un terme à nos vies, avec la maladie, etc. ! Se réjouir de la journée (« A chaque jour suffit sa peine ») est une « sacrée » performance ! C’est déjà un petit exploit, une victoire sur la peur ! La plupart des Doms en sont absolument incapables et n’expriment que le chaos de leurs soucis !

    La nature, ou la « Chose », n’est pas seulement ce qu’on en croit, ce n’est pas seulement une source de nourritures ou d’énergies ! C’est bien plus que cela ! Car la nature témoigne, par sa beauté, de l’infini de Dieu et donc de sa force et de sa gratuité ! C’est la beauté qui peut nous rassurer, aussi fragile et subjective puisse-t-elle paraître ! Bien sûr, nous sommes aussi les représentants de cette beauté et en particulier les enfants !

    Mais tant que la beauté nous semble secondaire, nous passons à côté du divin et nous gardons nos peurs, ce qui nous conduit à détruire la planète ! La nature est aussi un temple, où tout le génie de Dieu s’exprime ! C’est un enchantement sans limites pour celui qui sait voir ! C’est encore une rencontre, un apaisement, une réflexion, un cheminement ! Malheureusement, la domination, fouettée par la peur, va très vite et nous massacrons la nature, notre planche de salut !

    Cependant, elle est toujours là, pour le disciple, l’enfant, le chercheur humble ! Comment croire si on ne confie pas ? Comment aimer si on méprise ? De toute façon, celui qui veut la foi devra tout porter ! Il devra subir toutes les peurs des Doms, toute leur haine, leur folie, leur désespoir, mais encore leurs mensonges, leur hypocrisie, leur athéisme, leurs moqueries, leur soit-disant lucidité ! Il ne peut en être autrement, car on ne peut pas croire vraiment, si on vit sous une cloche de verre, dans un monde qu’on voudrait à son image !

    Malheur à ceux qui utilisent la religion, pour défendre leur foi, leur monde, avec leurs règles et leurs dogmes ! Ceux-là ne croient pas vraiment ! Ils restent des Doms, avec leur logique : peur et domination ! Ils ne connaissent de Dieu que le nom, qu’ils ont au bout des lèvres, mais nullement dans le cœur !

    Toute haine, toute colère, toute envie sont bannies de l’esprit confiant ! Celui-ci est surpris, par la simplicité et l’infini de Dieu ! C’est ineffable ! C’est une source d’espoir et de tranquillité inégalée ! C’est une merveille là, au bord du chemin, là où tout le monde passe en bavassant ! Celui qui voit cela est surpris, car Dieu est aussi simple que grand !

    C’est aussi une joie sans bornes, car c’est être aimé comme on ne peut même pas l’imaginer ! C’est une force dont tous les braillards de la planète n’ont absolument aucune idée ! C’est une source de paix intarissable ! Mais c’est encore une promesse, celle de voir Dieu !

  • La Révolte... (51-54)

    • Le 30/08/2025

    R100

     

     

        " Où est passée ma chienne Canada! Canada!"

                                           Drôle de drame

     

     

                                 51

         La troupe est reconduite en prison et comme le soir tombe, peu à peu le silence s’installe… « Eh ! Psst ! Psst ! fait pourtant une voix, de la cellule d’à côté.

    _ Oui, j’entends, répond Marié à travers les barreaux. Vous êtes un autre prisonnier ?

    _ Eh, eh, oui ! Hi ! Hi !

    _ Vous êtes là depuis longtemps !

    _ Eh oui, hi ! hi ! Ça doit faire plus d’ trente ans !

    _ Mon Dieu !

    _ Z’avez un miroir ? Vous pourriez m’ voir avec ! »

    Marié demande un miroir à Propre et le tend par delà les barreaux, ce qui lui fait voir un Dom décharné, avec une barbe touffue ! « Pourquoi vous êtes là ? demande Marié.

    _ Eh, eh, c’est à cause des super-profiteurs ! des super-riches !

    _ Ah bon ?

    _ Eh oui, hi ! hi ! Ils sucent le monde, le vampirisent ! Ce sont les super-pollueurs ! Ils ont envahi la terre et veulent la détruire !

    _ Mais…

    _ Il faut faire la révolution ! Nettoyer tout ça ! pour nos enfants, pour l’avenir ! On va changer les choses, renverser le gouvernement ! »

    Marié est soudain très fatigué… Il comprend que son voisin est figé dans une pensée, dans un discours, ce qui produit cet anéantissement dans l’esprit de Marié ! Il est quasiment face à une autre « Machine » !

    Paschic vient poser sa main sur l’épaule de Marié  et lui dit, en parlant du voisin : « Il ne sait pas que les Doms sont tous pareils ! que même les pires ont leurs peurs, leurs espoirs, leurs goûts ! Il rejette toute différence, en restant dans son univers ! Il veut voir l’autre comme un ennemi aveugle, une sorte de monstruosité !

    _ Mais pourquoi n’essaie-t-il pas de comprendre ? C’est bien la force que d’accepter la différence ?

    _ Et il faudrait alors qu’il se remette en question lui-même, qu’il renonce à sa domination, qu’il diminue son orgueil et son égoïsme ! Et ça, il ne le veut pas, par peur essentiellement ! La solution qu’il a trouvée le rassure ! Allez, viens, tâchons de trouver un peu de repos... 

    _ Il a tout de même l’air persuadé de combattre pour la justice... »

    Nos amis se préparent pour la nuit, mais soudain leur arrive un chant de batraciens, car les cellules se trouvent sans doute non loin d’une étendue d’eau… C’est apparemment un crapaud, qui joue sur une guitare et qui dit : « J’suis l’ Dom bien dans son jus !

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    J’ dis qu’il n’y a ni bien ni mal !

    Assis sur ma malle !

    J’ suis pour le plus fort !

    C’est pour mon confort !

    J’ suis peureux

    Et pas preux !

    Comme ça j’ suis pas exclu !

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    J’ai ma p’tite affaire !

    Une santé a priori d’ fer !

    Des amis sur les réseaux

    Pour sentir mes os !

    Que veux-tu de plus ?

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    C’est toi qui m’agresse

    Dans ma forteresse !

    Avec ta justice

    Criée par l’interstice !

    Que me veux-tu ?

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    J’ t’ entends plus !

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    J’ai ma p’tite affaire !

    Un santé, merci, d’ fer !

    Je me ferme !

    Je mets un terme !

    Car tu me déranges !

    Avec ton barda d’ange !

    J’ suis l’ Dom bien dans son jus !

    Je n’en peux plus 

    Dès qu’ j’ suis plus l’élu ! »

                                                                                                                       52

         Le lendemain, nouvelle épreuve organisée par la Machine ! « Mon cher Paschic, assieds-toi à cette table… Garde, déversez le contenu du sac ! » A la grande surprise de Paschic, un flot de diamants coule sur du velours noir ! « Voilà la réplique exacte de ton cerveau, Paschic, réduit en poudre par mes soins, afin que tu ne m’échappes pas ! Eh ! C’est que tu m’as donné du fil à retordre ! D’ailleurs, je ne comprends toujours pas quel démon t’anime ! Il a toujours fallu que tu m’emmerdes ! que tu défies mon autorité ! Oh ! Comme j’ai dû me battre ! chercher la moindre faille ! J’ai frappé sans relâche, ça tu peux m’en croire ! J’ai essayé de te briser de toutes les manières, de te réduire en miettes et tu as là sous les yeux le résultat de mon travail, de ma peine, du calvaire que tu m’as fait endurer ! »

    Paschic regarde tous ces petits morceaux avec consternation, chagrin et même la haine monte en lui, car quel gâchis, quelles blessures, quelles souffrances, et tout ça pourquoi ? pour qu’une seule personne puisse jouir, se sentir en sécurité, puisse satisfaire sa soif de pouvoir ? Quelle injustice ! Quelle tristesse ! Serait-il possible qu’un Dieu existât, devant tant de massacres et de cris ? Paschic n’était qu’un enfant, il ne pouvait se défendre, d’autant qu’il aimait naturellement sa mère !

    Mais, malgré son innocence, sa bonne volonté, son petit cœur dévoué, il avait été détruit, on l’avait passé sous un rouleau compresseur… et il restait cette poudre, affreuse à force d’être blessante, car là résidaient tous les poisons, tous les outils pour s’anéantir soi-même ! « Alors voilà l’épreuve, Paschic, tu remontes ton cerveau à la normale, en moins de vingt minutes ! Et tu auras gagné ! Mais je doute que tu y arrives ! Crois-moi, j’ai toujours eu une main de fer ! Ah ! Ah ! »

    La Machine avait-elle des circonstances atténuantes ? Certainement ! Elle avait eu à gérer une famille, ce qui cause bien des inquiétudes et même elle avait sûrement été troublée par l’attitude de Paschic, qui paraissait mou, inadapté, paresseux ! Elle en avait été touchée pour le bien de Paschic lui-même, mais cela n’excusait pas son orgueil démesuré, son besoin impératif de notoriété, son égoïsme forcené, qui l’avait conduit à vouloir écraser Paschic, à en faire sa chose, à le rendre esclave, afin que la seule personne qui compta fût la Machine !

    Paschic avait été victime d’un culte ! sans même s’en rendre compte, car il n’avait jamais voulu affronter sa mère ! C’était elle qui l’avait d’abord méprisé, puisqu’il était apparemment du côté des faibles ! Il gênait en boitant, sur la route du pouvoir ! Pire, on pouvait s’en servir, en l’humiliant pour se remonter le moral ! C’est cela la tyrannie, se réjouir d’accabler ceux qui sont plus fragiles ! Et maintenant, il faut reconstruire ce cerveau meurtri…

    Paschic pense encore : « La Machine n’a jamais vraiment voulu perdre sa « domitude » ! Elle est restée une Dom jusqu’au bout ! Elle ne s’est pas ouverte au monde, telle une fleur ! Elle n’a fait confiance qu’à son importance, son pouvoir ! Dans ce cas, on se retient à sa domination, avec une sorte de rage, qui confine à la folie et bien sûr, on laisse derrière soi un carnage, dont on n’a même pas conscience ! On a détruit pour éviter de sentir le gouffre de ses angoisses ! C’était plus fort que soi, mais on en paye le prix : l’absence de paix, le cri, la haine des victimes, la petitesse d’une vie recroquevillée ! »

    Paschic examine la poudre… Il la connaît bien, puisqu’il a dû en affronter chaque taille, chaque facette, chaque pointe ! Il y a des tranchants qui mènent au cœur même de l’être, qui sont capables de casser en deux toute raison, sous le ciel le plus bleu, sans prévenir !

    Paschic a considéré dans un premier temps certains reproches, certaines attaques de la Machine comme justifiées ! Il a donc essayé de changer, de se plier selon les souhaits de la Machine, avec toute sa bonne volonté ! Il s’est nié absolument, s’est perdu dans une nuit sans fin, en abandonnant sur la route sa sensualité, ce qui signale le déséquilibre ! Si au moins la Machine avait pu en faire autant au moins pour un millième, elle aurait compris combien elle avait été épouvantable, mais elle s’était contentée de vouloir, de frapper, de se protéger elle-même !

    Le nouveau défi paraît insurmontable, tant les blessures sont profondes et redoutables, mais, sous les yeux ébahis de tout le monde, le cerveau se reconstitue autour d’un pôle, comme si la poudre était aimantée et que chaque diamant trouvait sa place, ainsi que les pièces d’un puzzle !

    « Mais qu’est-ce… ? s’écrie la Machine.

    _ Je n’ai jamais changé, ma mère, fait Paschic. Je n’ai voulu que la vérité, la paix et l’amour ! La domination, me sentir supérieur m’a toujours été étranger ! Et vois, malgré tes coups, mon unité a été conservée ! Ma vérité est là, tranquille, infinie et me réjouit ! »

                                                                                                                      53

          Le lendemain la Machine est encore plus excitée que la veille : cette fois-ci elle va vaincre Paschic, le mettre à genoux, comme au « bon vieux temps », quand il la suppliait, douce musique ! « Alors voilà Paschic, dit-elle, j’ai construit un tunnel, où tu seras comme dans un jeu vidéo ! Des Doms de toutes sortes vont t’attaquer ! A toi de te défendre, mais vu leur nombre et leur férocité, tu succomberas ! Je veux que tu m’implores, Paschic, pour que je te sorte de là ! Je veux entendre tes gémissements de petit garçon ! C’était mon ancien encens, mon ancienne drogue !

    _ Monstre ! s’écrie Propre.

    _ Toi, la poupée, tu écrases ! Sinon j’ te mets dans la boîte avec Paschic !

    _ Euh…

    _ C’est bien ce que je pensais ! Allez, en avant Paschic, une deux, une deux, vers la porte de… l’enfer ! »

    Paschic est placé devant la porte d’un sas, qui s’ouvre en tournant des manivelles et on le pousse dans un tunnel qui a tout l’air d’une grotte ! « On te voit sur les écrans, Paschic, dit la Machine par un haut-parleur. C’est moi qui tiens les commandes et j’envoie la sauce ! Attention, mon garçon, je connais des Doms atroces !

    _ Quelle surprise ! »

    Paschic est sur le qui-vive et avance prudemment, puis une forme surgit des rochers du décor et vient subitement se coller à sa rétine ! Il ne faut pas paniquer ! La forme est là, dans un coin de l’œil de Paschic et il ne peut l’enlever d’un geste ! Au contraire, cela ne fera qu’aggraver les choses ! C’est un Dom chewing-gum et plus on s’énerve et plus il a tendance à coller ! Le seul moyen de s’en débarrasser, c’est de se concentrer sur un autre point, de continuer à progresser et de fixer un nouvel élément du décor ! A ce moment, le Dom chewing-gum n’insiste pas, il s’en va de lui-même, sans doute vaincu par l’indifférence !

    « Bravo, Paschic ! fait la Machine. Le Dom chewing-gum vient de renoncer ! Tu connais la musique et t’as pas perdu ton temps, on dirait ! Mais ce n’était là que broutilles ! Attends la suite ! »

    Paschic se prépare à nouveau et il sent une présence derrière lui ! Ce n’est qu’un souffle, mais qui pèse pourtant, qui tend les nerfs ! C’est la Dom égoïste ! celle qui ne supporte pas d’attendre dans les magasins, qui veut être servie tout de suite, qui n’a aucune patience, aucun respect ! L’immaturité faite femme !

    Elle n’est pas dangereuse physiquement, mais elle pourrit la vie, empoisonne le quotidien et veut les autres en esclave ! Paschic, sans rien montrer, recule soudainement et marche sur le pied de la Dom égoïste ! « Oh ! Pardon ! s’écrie-t-il. Je suis horriblement confus ! Je ne savais pas que vous étiez derrière moi !

    _ Grrrrrr ! »

    La Dom égoïste est folle de rage, car on lui fait une double injure : non seulement on lui marche sur le pied, mais en plus on a l’air d’avoir ignoré sa présence, alors que justement elle ne vit que pour l’imposer ! Un instant, elle hésite à sauter à la gorge de Paschic, toutes griffes dehors, mais, « malheur de la femme », elle n’aura pas le dessus et elle disparaît !

    Paschic s’en veut un peu, car sa réaction n’a fait qu’envenimer les choses ! C’est ce qui arrive quand à la haine on n’oppose que la haine ! Seule celle-ci est gagnante et nul doute que la Dom égoïste est encore pire maintenant !

    Il faut bien comprendre comment nous fonctionnons : c’est d’abord la peur qui nous conditionne ! Il ne peut en être autrement, car vivre est étrange et les sources d’inquiétudes abondent ! Notre principale réponse, la plus naturelle, c’est la domination, supplanter l’autre ; c’est rassurer notre ego ! Pour « casser » ce cercle vicieux, il faut apaiser, enlever la peur et ainsi la volonté de dominer cesse elle aussi !

    Mais les Doms sont trop nombreux, trop agressifs surtout ! On peut en apaiser un, deux, voire trois, mais après c’est fini : on est épuisé soi-même ! Il vaut mieux les ignorer, se « blinder » contre eux, ce qui maintient la confiance en soi et évite que la haine se répande !

    Mais la Dom égoïste fait toujours mal : elle peut surgir à n’importe quel moment et toujours avec cette bassesse, cette pauvreté d’âme !

    « Pas mal, Paschic ! intervient la Machine. Mais, tu sais comme moi, qu’elle reviendra ! Elles sont des milliers comme ça ! Aucun progrès ! Et plus elles sont riches et plus elles veulent le monde à leurs pieds ! Brrr, Paschic ! J’en frémis ! Pas toi ? » 

                                                                                                                        54

         Paschic, toujours dans le jeu de la Machine, croise des Doms surpris ! Ce sont généralement des Doms bien intégrés dans le Cube, qui ont un salaire décent, voire élevé. Ils sont persuadés de faire partir d’une élite, d’être comme il faut, de remplir tous leurs devoirs et ils sont donc très surpris (d’où leur nom), quand ils voient qu’ils ne plaisent pas à Paschic, qui ne les salue pas !

    Ils n’en reviennent pas, mais Paschic demeure ferme, car il ne faut pas confondre le Cube avec la Lumière ou la vérité ! Le premier a sa cohésion, c’est entendu et il est nécessaire, pour des raisons évidentes, comme celle de l’identité de chacun, mais ses limites sont vite atteintes : s’il est toujours en crise, c’est parce qu’il n’a aucune solution à proposer !

    Si son expansion, elle, paraît incessante, c’est parce qu’elle est motivée par la peur ! Le Cube « ne sait pas s’arrêter », car il est incapable de calmer ses inquiétudes ! Il est au fond vide, comme ceux qui s’y sentent bien, tels les Doms surpris ! Il ne faudrait surtout pas croire que le Cube puisse être un but en soi !

    Le Dom surpris pourtant tient à cette illusion et il tourne vers Paschic, non seulement un visage étonné, mais quasiment suppliant, comme s’il ne voulait pas être oublié ! Mais ceux qui ont « adopté » le Cube, ne sont pas les amis de la Lumière ! Ils restent des hypocrites, des peureux et des égoïstes ! L’élite du Cube laisse indifférent Paschic, qui tout de même doit supporter ces personnages falots, qui font croire au décor de la société !

    Chacun veut se développer et pourtant chacun reste esclave de son ego ! Qu’on l’abandonne comme une mue et la liberté, la joie, la vérité seront là !

    Du Dom surpris au Dom méprisant, il n’y a qu’un pas ! Et maintenant, Paschic doit affronter toutes sortes de regards haineux ! Ils sont partout et surgissent sans crier gare, dans l’univers de la Machine ! Tous destinés à détruire, à miner, à faire rentrer sous terre Paschic ! 

    Pourquoi ? Mais tout simplement parce que Paschic apparaît comme différent et que de cette façon il fait bouger les choses ; il dit qu’un autre monde est possible ! Au fond, il semble heureux et cela est inacceptable pour le Dom méprisant ! Car cela veut dire que Paschic gêne la domination du Dom ! Celui-ci n’est pas heureux lui-même, mais il ne veut pas qu’un autre le soit ! Seul compte pour le Dom son pouvoir, son importance et le bonheur qui n’est pas le sien le dégoûte et doit être supprimé !

    C’est dire les peurs du Dom méprisant, qui a le visage fermé du prisonnier, de l’esclave, mais nul ne l’enferme, si ce n’est son propre ego !

    Paschic connaît bien le Dom méprisant et il passe outre : il ne s’agit pas de s’assombrir pour si « peu » ! Mais plus loin, c’est un flot de Doms en tempête qui vient submerger le tunnel ! « Hi ! Hi ! On passe à la vitesse supérieure, Paschic ! fait la Machine. Tu vas en baver !

    _ Mais, mais sortez le d’ là ! s’écrie Marié. C’est vot’ fils tout d’ même !

    _ Toi l’affreux, la ferme ! Et puis qui aime bien châtie bien, Hi ! Hi ! »

    Paschic voit la vague arriver, couleur de boue, faite de Doms en folie ! Il s’accroche à la paroi et s’y maintient de toutes ses forces ! Il sait ce qui se passe ! C’est le Cube dans toute sa fureur, fouetté par toutes ses inquiétudes : les salaires, la retraite, le chômage, la nécessité de manger, les factures à payer, les luttes sociales, la haine à l’égard du gouvernement, de tout pouvoir, le vide des esprits, leur lâcheté, leur hypocrisie, leur aveuglement, leur soi-disant combat pour la justice, l’écologie, alors que l’égoïsme et la haine les accompagnent !

    C’est l’évolution zéro ! La responsabilité de papier ! Tous les efforts demandés à l’autre, mais jamais à soi ! Le changement, mais jamais celui de sa personne ! La haine à la place de la compréhension, de la mansuétude ! Le chaos plutôt que la cohérence et la patience ! La fuite en avant bête, sans spiritualité, vide !

    Tout cela déferle brusquement sur Paschic ! « Où est maintenant ton rêve, Paschic, hurle la Machine. Où est ton monde, ta foi ? Ah ! Ah ! Tout cela est emporté, pas vrai Paschic ? Où sont toutes tes salades sur la beauté ? Entends gémir le Cube, Paschic ! Ecoute ses plaintes innombrables ! On dirait un enfant pleurant dans le noir du cosmos ! Rien de plus déstabilisant que toute cette colère ! Elle anéantit ! Elle broie ! Ah ! Ah ! Adieu, fils ingrat, rebut de la société, ma plaie, ma honte ! »

    Pashic noyé sent qu’il se désagrège ! La pression rouvre ses blessures et le visage immonde de la peur vient l’embrasser !

  • La Révolte... (47-50)

    • Le 23/08/2025

    R98

     

                       "J'appâte et je ferre!"

                                           L'Incorrigible

     

     

                                47

         Le jour maintenant est pleinement levé et le groupe traverse une zone pavillonnaire ! Le Passeur laisse de petites croix discrètes sur certaines maisons, ce qui pousse Marié à l’interroger : « On peut savoir ce que vous faites ?

    _ Vous ne connaissez pas la tromperie de ce genre de quartiers… Les pavillons se déplacent après notre passage et on a tôt fait de s’y perdre ! Une fois, j’y suis resté bloqué une semaine ! C’est Léo qui est venu m’ chercher, avec des cordes !

    _ D’où les petites croix, pour indiquer que nous sommes bien déjà passés par là !

    _ Oui, le Cube est malin, vous savez !

    _ Attention, voilà quelqu’un ! »

    Une Dom géante, ou du moins qui le paraît telle, apparaît au bout de la rue ! Elle est joufflue, porte un petit chapeau et manifestement va faire ses courses ! Elle ne regarde cependant pas le groupe, mais droit devant elle, semblant ignorer le monde qui l’entoure !

    « Pas de problèmes ! lâche le Passeur. C’est madame Dignité !

    _ Madame Dignité ?

    _ Oui, c’est une Dom artificielle, montée sur rail ! Son circuit passe par le marché et revient ici ! Remarquez sa tête fixe, car elle n’est occupée que par sa dignité, d’où son nom !

    _ Elle a effectivement l’air fière…

    _ On s’habitue, vous verrez ! »

    Le groupe ne s’en est pas rendu compte, mais Propre a engagé la conversation avec une Dom assise sur une chaise roulante ! « Non, mettez-la un peu plus à droite ! demande la Dom.

    _ Comme ça ? interroge Propre, qui déplace un petit pot de pensées, afin de satisfaire la vieille Dom.

    _ Oui ou peut-être un peu plus haut… Il ne faut pas les mettre trop bas, car sinon elles n’auront pas assez de soleil ! Quoique plus haut, ce n’est pas l’idéal non plus !

    _ Alors, où ? fait Propre, qui commence à suer.

    _ Votre copine s’est mise sous la coupe de la Glu ! dit le Passeur à Marié. Va falloir la sortir de là !

    _ La Glu ?

    _ Oui, une vieille qui n’ voit plus d’ raisons de calmer son égoïsme ! Elle trouve tellement épatant qu’on s’occupe d’elle qu’elle croit que c’est mérité et qu’elle épuise ses aides ! Si vous n’intervenez pas, Propre va se consumer ici ! »

    Marié et Mécano se saisissent donc de Propre, mais, à leur grande surprise, elle est comme collée à la vieille Dom ! « Il faut la tirer violemment en arrière ! leur jette le Passeur. Tiens, Léo, aide-les, car on n’échappe pas à la Glu comme ça ! »

    Léo vient à la rescousse et on récupère Propre, encore choquée ! « Mais, mais je rendais service, dit-elle.

    _ Le Cube est plein d’ pièges ! lui lance sèchement le Passeur. Pas bon pour une jouvencelle !

    _ Non, mais dites donc ! » fulmine Propre, mais le groupe est reparti !

    On quitte le lotissement, sans trop savoir comment, puisque ses plaques derrière se referment, mais le Passeur doit en connaître les clés ! Toujours est-il qu’on arrive devant un passage souterrain… « On va faire une pause, dit le Passeur. On ne peut pas s’engager là dedans, avant que les Existentiels n’en soient sortis !

    _ Les Existentiels ? fait Marié. C’est une farce ou quoi ?

    _ Non, pourquoi ? D’ailleurs, ils ne vont pas tarder ! »

    En effet, de l’obscurité s’égrène maintenant une étrange défilé : des Doms plongés dans un abîme de pensées ! Qui dira le poids qui pèse sur leurs épaules ? Voilà les damnés de la terre ! Même le cosmos ne pourrait contenir leurs tourments ! Ils avancent, mais ce n’est pas le bon terme ! Ils se traînent, marchent douloureusement, avec des questions inextricables !

    « Combien de cerises il y a dans un kilo ? » « Si je suis dans le brouillard, puis-je dire que le brouillard existe ? », « Elle m’a dit de sortir le caniche, mais ce n’était pas mon tour ! », « J’ai bien fermé la porte, oui ou non ? », « Et-ce que ma nouvelle robe sera prête ? Sinon, je prendrais la noire ! Mais en ai-je les moyens ? »

    Tristes figures, rongées par la réflexion ! Esclaves de l’hypothèse et de la philosophie ! Âmes isolées et jouets de la tempête de l’injustice ! « Les pauvres gens ! s’écrie Propre, toujours sensible aux malheurs des autres.

    _ Vous comprenez qu’on ne peut pas les croiser dans l’ noir ! explique le Passeur. On les réveille et ils hurlent de terreur ! C’est la panique et ils nous piétineraient ! »

    Le groupe à présent reste silencieux, figé par cette tragédie !

                                                                                                                        48

         Mais enfin la voie est libre : les Existentiels vont faire leur parcours de la journée ! Le petit groupe entre dans l’ tunnel ; « Tiens, l’ Passeur, ça fait un bail ! dit une voix venant du mur.

    _ Oui, l’Emmurée ! répond le Passeur. Alors comment ça va ? Et cette épaule ?

    _ Mais ça va… Il faut prendre son temps….

    _ Et les affaires ?

    _ Ça va aussi ! De toute façon, on n’a pas l’ choix, faut bosser ! Hi ! Hi !

    _ Bon, on y va… A une autre fois, l’Emmurée !

    _ Ouais… Bonne jourrrnée ! »

    Le groupe reprend sa progression, éclairé par des néons au-dessus… « Non mais je rêve ou quoi ? fait Propre à la hauteur du Passeur. Cette femme est bien figée dans le mur ! On voyait juste son visage et l’extrémité de ses membres !

    _ Vous n’avez pas rêvé : elle est bien comme ça !

    _ Mais c’est affreux !

    _ Oui, mais le problème, c’est qu’il est impossible de le faire comprendre à l’intéressée elle-même !

    _ Comment ? Elle ne voit pas qu’elle souffre ?

    _ Si, mais son orgueil est plus important ! Il faut toujours qu’elle donne l’image de la réussite ! Donc, elle ne bouge pas, ni ne demande d’aide… et peu à peu elle meurt dans le ciment ! »

    Ici, le Cube fait valoir toute sa culture : les murs sont recouverts de graffitis grotesques, bizarres, haineux, épouvantables de narcissisme et à la fin, on n’y voit plus qu’un seul message : « Moi ! Moi ! Moi ! »

    « La bonne santé du Cube ! fait ironiquement Marié. C’est assez désespéré ! Mais qu’est-ce que… ? » Un bruit énorme retentit, comme si le souterrain s’écroulait. « Le Turbo rail ! explique le Passeur aux visages inquiets du groupe. Il passe juste au-dessus !

    _ C’est… un enfer ! lâche Mécano.

    _ Un peu oui ! On s’en sert parfois, pour faire parler les prisonniers !

    _ Vous plaisantez ! s’exclame Marié.

    _ Pas du tout ! On installe les prisonniers dans une cage de verre, au bord de la voie ! Pendant une heure, ils n’entendent que quelques chants d’oiseaux ! Puis arrive le Turborail ! L’abri de verre tremble, les lunettes tombent, les dents se déchaussent, les esprits deviennent fous ! Après deux ou trois passages, les prisonniers n’en peuvent plus et disent tout ce qu’on veut savoir ! 

    _ Et à bord du Turborail, les Doms qui voyagent ne s’aperçoivent de rien !

    _ Non, le train va tellement vite qu’ils sont en apesanteur ! Ils glissent silencieusement à leurs occupations ! L’ambiance est aseptisée, vous savez... »

    Chacun médite là-dessus ! « Bon, à partir de maintenant, prévient le Passeur, pour des raisons de sécurité, on avance dans le noir absolu ! On se tient par la main et on se fait confiance !

    _ Entendu ! » répond Propre.

    Le petit groupe se serre et suit son guide… On a l’impression que le tunnel lui aussi devient plus petit et qu’on passe même une porte, mais cela n’est peut-être pas exact ! Pourtant, on sent un nouveau courant d’air, comme si l’espace autour s’était soudain élargi ! Puis, c’est une lumière crue, brutale sur les yeux écarquillés ! Il y a encore une voix et quelle voix, reconnaissable entre toutes !

    « Bienvenu à toi, Paschic ! fait-elle. Ah ! Ah !

    _ La…, la Machine !

    _ Mais oui, elle-même, la Machine ! Ah ! Ah ! Tu croyais quand même pas pouvoir m’échapper !

    _ Qui.., qui est-ce ? demande Mécano faiblement à Paschic.

    _ Mais la maman du monsieur ! s’écrie la Machine. Tiens, le Passeur, voilà ton dû ! (Elle lui jette une bourse!)

    _ C’est pas vrai, Paschic, cette horrible créature ne peut pas être ta mère ! dit encore Mécano.

    _ Salopard ! lance Marié, en se jetant sur le Passeur, mais il en est empêché par les gardes de la Machine. Sale traître ! Fumier !

    _ Allez Passeur, laisse-nous ! reprend la Machine. Dis donc, Paschic, te voilà entouré de deux jolies filles ! T’es p’têt moins loser qu’on l’ croit !

    _ Paschic n’est pas un loser ! s’insurge Propre.

    _ Oh ! Mais si, ma belle ! C’est le raté même ! D’ailleurs, qu’est-ce que vous faites ici, sinon être pris comme des rats ? On est au rendez-vous des losers ! Ah ! Ah ! »

                                                                                                                         49

          La Machine lance des éclairs, avec ses yeux d’un bleu d’acier ! Sa mâchoire elle aussi est du même métal ! Sa tête est vive comme celle du serpent et la troupe est tétanisée par cette puissance ! « Qu’ai-je fait, moi, la Machine, pour avoir un raté dans la famille ? Qui a décidé que je porterai une telle honte ?

    _ Ce n’est pas vrai ! s’écrie Mécano. Paschic est un doux, qui nous donne de l’espoir… et il est bien le seul !

    _ Qu’est-ce qu’il est dans le Cube ? réplique la Machine. Rien ! Paschic a toujours été un assisté, un faible !

    _ Mais ce n’est pas le Cube qui est important ! Le Cube est malade…

    _ Suffit ! Qu’on conduise Paschic au Marché ! »

    Les gardes se mettent à pousser la troupe vers une autre salle… « Tu vois, Paschic, reprend la Machine, ici a été reconstitué un marché traditionnel du Cube, avec ses vendeurs, ses clients, etc. ! Il n’y manque rien et c’est la même ambiance que dans la réalité ! Ta tâche, Paschic, est d’acheter ce qu’il y a sur cette liste de courses, en moins de vingt minutes ! Si tu refuses, mes hommes s’occuperont des donzelles !

    _ Monstre ! jette encore Mécano.

    _ Gardes, faites-la taire ! Alors, Paschic, on y va ? J’ai pensé que cette épreuve était dans tes cordes, vu qu’elle n’est pas trop physique ! Ah ! Ah ! »

    Paschic prend la liste de courses et s’engage sur le marché… Il bute soudain contre un autre client et crie sous l’effet de la douleur ! Il vient de subir une violente décharge électrique ! « Attention Paschic ! avertit la Machine, par un micro. J’ai dit que mon marché était comme les vrais ! Donc chaque client ici est tendu et bourré d’électricité ! Ah ! Ah ! Chacun est prêt à te sauter à la gorge, Paschic, à la moindre erreur ! C’est leurs entrailles qui parlent et qui ne supportent plus rien ! Tu croyais quand même pas que c’ serait facile, hein, Paschic ? Ah ! Ah ! Allez, l’aiguille des minutes tourne ! Un peu d’nerf, mon garçon ! »

    Paschic se masse là où il a encore mal ! Il reprend pourtant ses esprits et s’approche du boulanger… « Je voudrais un pain, dit-il.

    _ Complet ? semi-complet ? aux graines ? aux noix ? à l’épeautre ? tranché ?

    _ Euh… Celui-là !

    _ Bien !

    _ Y a un peu d’air, c’ matin…

    _ Mais moi, j’aime bien ! C’est mieux que la canicule !

    _ Mais…

    _ Erreur, Paschic ! coupe la Machine. Il a cru que tu te plaignais de la fraîcheur ! Cette incompréhension te coûte encore une décharge !

    _ Mais… Aaaaah !

    _ Oui, c’est douloureux, mais on va au fromage, Paschic, où la situation est particulière ! Un client y est tellement tendu qu’il n’arrive pas à terminer ses achats ! Il en a déjà pour 50 € ! Comment vas-tu faire pour le calmer et prendre sa place ! L’aiguille tourne ! »

    Paschic découvre effectivement un Dom qui ne peut plus quitter l’étal à fromages et qui est figé par l’angoisse de manquer ! Son cerveau n’est plus en état de fonctionner et Paschic doit avoir recours à la magie… Au-dessus du Dom, le ciel s’assombrit et une pluie fine commence à tomber ! La fraîcheur est là et on perçoit la rumeur de peupliers bercés par le vent et qui perdent même leurs premières feuilles !

    Quelque chose s’éveille chez le Dom : la notion du temps lui revient, avec la perspective du retour de l’automne ! Il finit par dire que c’est tout à la vendeuse ! Il a retrouvé la raison et s’en va ! Paschic commande son fromage et de nouveau la voix de la Machine retentit : « Pas mal, Paschic ! Tu vois, quand tu veux tu peux ! Il ne reste plus que le kilo de moules sur ta liste, mais attention, la poissonnière a un sérieux problème ! Ah ! Ah ! Plus que cinq minutes ! »

    Paschic file à la poissonnerie et il tombe devant une petite femme, qui vomit en le voyant ! « Excusez-moi, explique-t-elle, mais les clients me dégoûtent ! C’est plus fort que moi !

    _ C’est dommage, parce que vous êtes jolie à regarder !

    _ Vous vous moquez d’ moi !

    _ Non, il ne suffirait pas d’ grand-chose pour faire renaître la beauté qui est en vous ! Elle affleure !

    _ Vous croyez ?

    _ Regardez mes yeux…

    _ Voilà vot’ kilo d’ moules !

    _ Grrrr ! fait la Machine. Il était moins une, Paschic ! Je me demande si tu n’as pas triché, auprès de la poissonnière ?

    _ Ne l’ai-je pas convaincue ?

    _ Gardes, enfermez-les tous ! Tu ne perds rien pour attendre, Paschic ! Grrr ! Je suis la Machine et c’est moi la meilleure ! »

                                                                                                                   50

         Le lendemain, les prisonniers sont de nouveau conduits devant la Machine, qui leur annonce : « Seconde épreuve pour le raté de la famille ! le loser ! ma honte ! le dénommé Paschic ! l’éternel emmerdeur ! le suprême éteignoir ! celui qui n’a jamais rien fait d’ sa vie et qui juge ! Ah ! Ah ! Bon, regarde ce jeune Dom, Paschic ! Il ne veut plus manger ! Il n’a même plus faim apparemment ! Si t’arrives à lui donner de nouveau de l’appétit, t’as gagné ! Attention, pas plus de vingt minutes, comme hier ! Allez, top départ ! Ah ! Ah ! »

    La troupe regarde un jeune Dom assis à une table, face à une assiette bien garnie, mais il a l’air morose, absent, triste… « Il est tellement déprimé qu’il ne voit plus l’intérêt de se nourrir ! fait Marié.  

    _ Je pourrais me mettre en bikini ! dit Mécano, provoquant la surprise de Propre.

    _ Tu as raison, Mécano, approuve Paschic. La vue d’une belle femme, en maillot de bain, est toujours réjouissante ! Mais ici, je crains que le mal ne soit pas plus profond ! Je connais la Machine !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Pour asseoir son pouvoir, la Machine utilise la peur ! Elle inspire une crainte continuelle, qui endommage le système digestif et en particulier le côlon ! Celui-ci devient hypersensible, avec des contractions anormalement fortes, qui produisent des distensions douloureuses et des ballonnements enlevant tout appétit ! C’est la conséquence d’un fond dépressif ! Autrement dit, notre Dom a perdu tout espoir depuis longtemps !

    _ Il a été brisé par la Machine ! résume Mécano.

    _ Exact ! Elle a dû le traquer dans tous les coins !

    _ Comme toi…, fait Propre doucement. Il y a quelque chose de perdu chez toi, Paschic.

    _ Oui, Propre, comme moi…

    _ Tu t’en es bien sorti quand même ! rectifie Marié. Tu dois avoir une solution pour ce jeune Dom !

    _ La seule chose que je peux lui dire, c’est pourquoi on l’a mis dans cet état et qu’il ne pourra se rétablir qu’en combattant les Doms ! »

    Paschic s’assoit devant le jeune Dom et commence : « Écoute, ce qui t’arrive, ce n’est pas parce que tu es mauvais…

    _ Si, je suis un bon à rien, un paresseux et un menteur !

    _ Non, ça c’est que la Machine a voulu te faire croire ! Tu sais ce qui intéresse la Machine au plus haut point ? Non ? C’est son orgueil, son pouvoir, sa domination ! C’est même la seule chose qui donne un sens à sa vie ! Elle a donc eu besoin de toi pour éprouver le sentiment de sa supériorité ! T’humilier, te contrôler a été vitale pour elle, et pour cela elle a essayé de te terroriser de toutes les manières !

    _ Mais elle était aussi inquiète de mon avenir ! Elle m’a redressé quand c’était nécessaire !

    _ Oui, mais c’est anecdotique ! Personne n’est juste de toute façon ! Mais qui est malade ? Qui est rempli de chagrin, qui est anéanti ? La Machine ou toi ? Regarde-la ! Est-ce qu’elle te paraît souffrante ! Ne jubile-t-elle pas ? Elle a tout ce qu’elle a désiré ! le pouvoir et la sécurité ! Que peut-elle vouloir de plus ? Elle en a jusqu’à la gueule !

    _ Elle est pourtant toujours en train de se plaindre ?

    _ Qui a dit que l’orgueil rendait heureux ? Mais c’est toi qui dois te rétablir, reprendre espoir ! Pour manger, retrouver des forces, pour survivre, il faut que tu comprennes qu’on t’a détruit à dessin ! Rien à voir avec tes soi-disant défauts ! Au contraire, la Machine t’a fait peur, parce que tu la menaçais, dans ta recherche de la vérité !

    _ C’est…, c’est vrai ?

    _ Bien sûr ! Tu as quelque chose en toi qui échappe irrémédiablement à la Machine et à son contrôle et tu la renvoies donc à ses angoisses ! Elle t’a frappé parce que tu l’effraies et qu’elle ne veut pas en perdre une miette ! Elle ne te vaut pas ! Elle ne vaut même pas un dixième de toi ! Laisse les Doms derrière toi, ils sont morts de toute façon ! Vis ! Loue la Création ! Réjouis-toi de ce que tu manges ! Salut l’infinie beauté !

    _ Mais les Doms sont partout…

    _ Certes ! Mais libère-toi ! Retrouve les forces de la foi, celle qui sont dans ton sang depuis le début ! »

    Le jeune Dom prend sa fourchette et avale vigoureusement ! Il sourit à Paschic et derrière on entend la Machine enrager !