La Révolte (22, la pièce...)
- Le 21/06/2025
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"Et le plombier n'est pas passé? Tant qu'il est pas passé, moi, je peux rien faire!"
Le Magnifique
ACTE II, SCENE IV : Paschic, la reine Beauté
Paschic se relève lentement et se rassoit. Pendant de longues minutes, il pleure et la lumière baisse… La reine Beauté entre silencieusement… Elle porte une robe étincelante et son visage rayonne…
La reine : Hum ! Hem !
Paschic, qui se retourne sur sa chaise : Il y a quelqu’un ?
La reine : Hum… Oui, apparemment…
Paschic : Mais… Oh ! Madame, comme vous êtes belle !
La reine, qui sourit : Merci, Paschic.
Paschic : Vous me connaissez ?
La reine : Bien sûr que je te connais ! Il y a longtemps que je te regarde… et que je t’aime !
Paschic : Vous m’aimez ? Ce n’est pas possible, car je suis Paschic ! Je suis le gars mauvais et bon à rien ! Je suis insolent, menteur et sournois… et paresseux, en plus !
La reine, qui rit : Ah ! Ah ! C’est beaucoup trop pour un seul garçon, tu ne trouves pas ! Et moi, je sais combien tu es gentil, affectueux et même pur ! Eh oui, Paschic, tu es sans malice, sans mensonges… et c’est même là le problème !
Paschic : Ah bon ? Et comment vous savez tout ça ?
La reine : Prête-moi ta chaise, tu veux… et je vais tout te dire ! (Paschic s’empresse de faire ce qu’on lui demande et la reine s’assoit.) Merci, Paschic. D’abord, je sais combien tu m’aimes…
Paschic : Mais je ne vous connais pas !
La reine : Pas sous cet aspect effectivement… Mais j’ai une infinité de formes et je suis partout ! Par exemple, quand tu contemples silencieusement le ruisseau… Tu sais, quand tu admires mes petits remous, mon doux murmure, mes mousses qui ondulent, mes araignées aux pattes lumineuses, c’est moi que tu aimes !
Paschic : Oh !
La reine : Oui, Paschic, je suis la reine Beauté et tu es amoureux de moi, partout où je suis, n’est-ce pas vrai !
Paschic : Oh ! Oui ! Je vous aime éperdument, car vous êtes d’une beauté infinie ! dans la fleur comme dans le nuage ! la moindre parcelle de vous m’enchante, me ravit ! Même l’écorce ou la pierre !
La reine, qui rit : Ah ! Ah ! Je le sais, Paschic, et comme tu me rends heureuse ! J’ai rarement vu un aussi bon garçon que toi !
Paschic : Vous me consolez, reine Beauté, car je ne comprends pas ce monde ! Je ne comprends pas la dureté de mes parents ! Je ne comprends pas leurs tourments et leur injustice ! Et ce n’est pas à cause de moi qu’ils sont comme ça ! Et ce n’est pas à cause de leur travail, non plus !
La reine : C’est vrai, Paschic, et c’est moi qui t’enseignes tout cela… Quand tu pars de chez toi, avant de venir me voir, tu es plein de blessures ! Tu te plains de l’injustice de la Machine ! Tu souffres ! Mais je ne peux encore rien faire pour toi ! Il faut du temps pour apaiser tes peines ! Puis, tu t’installes dans mon sein et là je te charme…
Paschic : Oh oui ! Ce n’est pas difficile, vous êtes tellement belle !
La reine : Merci, Paschic. Je t’éclaire avec un feuillage émeraude… ou bien je te montre le fond pailletée du ruisseau… et ma douceur te calme…, te fait grandir, car je t’enseigne et c’est là mon école !
Paschic : Dans le monde des Doms, vous êtes tellement étrangère qu’on vous appelle la Chose… La beauté de la nature est devenue absolument secondaire !
La reine : C’est vrai, mais pas pour toi, Paschic !
Paschic : Non, pour moi, ce sont les Doms qui ne vont pas bien... et qui mentent !
ACTE II, SCENE V : Paschic, la reine Beauté, La Machine
La Machine, qui entre : Qu’est-ce que tu fais là, Paschic ? Tu devrais faire tes devoirs !
Paschic : Mais là… Il y a… (Il montre la reine Beauté.)
La Machine : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu aimes jouer au personnage !
Paschic : Mais tu ne vois pas…
La Machine : Je ne vois pas quoi ?
Paschic : La…
La Machine : La quoi ?
Paschic : Mais la reine Beauté !
La Machine : Hein ? Mais tu vas retourner à tes devoirs, tout de suite ! sinon ça va chauffer pour ton matricule… Eh ! Mais tu as parlé de beauté, de reine ? Est-ce à dire que tu me trouves belle, Paschic ?
Paschic : Euh…
La Machine : Tu n’es pas si méchant que ça, finalement ! Tu sais être doux avec ta mère ! Sache que j’apprécie ! La, la, tu me trouves belle alors ?
Paschic : Mais… mais bien sûr, tu es la plus belle maman du monde !
La Machine : Hi, hi ! Tu exagères ! Allez, chenapan, tu ramènes ta chaise là-bas, et tu reprends ton travail ! Chou (elle appelle son mari), tu ne devineras jamais ce que m’a dit Paschic ? (Elle sort.)
ACTE II, SCENE VI : Paschic, la reine Beauté
Paschic : Mais elle ne vous a même pas vue ! Comment est-ce possible ?
La reine Beauté : C’est parce que ta maman est une DTN !
Paschic : Une DTN ?
La reine Beauté : Oui, une Dom trou noir ! Elle vit dans la bulle de sa domination et ne voit le monde qu’à travers elle ! Tout doit être sous son contrôle et elle ramène tout à elle ! C’est pour ça qu’elle est en colère contre toi, parce que tu échappes à son autorité, ce qui lui fait peur !
Paschic : Mais je ne veux pas lui faire peur !
La reine Beauté : Je le sais bien ! Mais, comme tu résistes à sa domination, tu fais entrer le monde extérieur dans sa bulle… et elle en est terrifiée ! Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, ni pourquoi tu lui poses problème ! Alors, elle s’acharne et dépasse toute cruauté !
Paschic : Je ne comprends toujours pas…
La reine Beauté : Cela ne m’étonne pas ! Tu as encore beaucoup de choses à apprendre ! Mais figure-toi que ta mère n’a pour seul repère que le pouvoir qu’elle exerce sur les autres ! C’est le sentiment de son importance, de sa supériorité qui lui sert de boussole ! Elle attend de toi soumission et même admiration !
Paschic : Je le voudrais bien, mais je ne peux pas ! Elle est injuste et même méchante ! C’est vous que j’aime, reine Beauté ! Vous êtes bien plus belle !
La reine Beauté : Et c’est pour ça que tu résistes à ta mère, parce que tu m’aimes… et que tu es plus grand que l’égoïsme des Doms ! Ils sont coincés dans leur domination et ont de la haine, dès qu’on essaie de les en sortir ! Pourtant, ils sont malheureux !
Paschic : Mais vous êtes là, merveilleuse, magnifique ! Vous êtes un enchantement infini !
La reine Beauté : Toi aussi, tu es merveilleux Paschic ! Mais comment les Doms et particulièrement ta mère pourraient me voir, puisqu’ils ne voient que leur nombril, leur pouvoir ! puisque seul le succès de leur personne les intéresse ! Pour eux, je suis forcément secondaire ! anecdotique, accessoire ! Alors il me piétine, me saccage et ils détruisent la planète !
Paschic : Oh ! Comme j’ai souvent envie de leur crier : « Mais vous n’êtes pas honnêtes ! Comment pouvez-vous faire autant bruit, être autant en colère et si injustes ? alors que là-bas dans la Chose, il y a tant de splendeurs, de beautés, de silences, de paix ? Comment une telle différence est possible ? Il y a un problème quelque part ! »
La reine Beauté : Et que répondraient-ils ?
Paschic : Mais qu’il faut travailler, pour gagner sa vie ! qu’ils n’ont pas le choix ! que je verrais plus tard ! qu’on ne me fera pas de cadeau ! etc. !
La reine Beauté : Oui, ils te transmettent toutes leur peurs, Paschic ! Mais, aujourd’hui, tu sais comme ils sont hypocrites, car c’est bien leur orgueil qui passe avant tout ! Cependant, Paschic, ta maman est une Dom trou noir à l’ancienne ! Elle s’inquiète aussi de ton avenir !
Paschic : Sans doute ! Mais ses coups bas, je les subis tous les jours !
La reine Beauté : Il va te falloir beaucoup de courage, mais, avant de partir, je vais te dire un secret !
Paschic : Un secret ?
La Reine Beauté : Oui. (Elle se lève.) Tiens, prends ma place… (Paschic s’assoit.) Paschic, je viens aussi de quelque part et toi, tu es un enfant de Lumière ! (Elle couvre un instant de sa main le regard de Paschic, qui reste comme ébloui.) Je te laisse méditer là-dessus… (Elle sort.)
ACTE II, SCENE VII : Paschic, Tautonus, La Machine
Tautonus : Paschic, ta maman m’a dit que combien tu as été agréable avec elle… et j’en suis bien content ! Car qu’est-ce que vous avez tous les deux à vous écharper ! Ce n’est pas la première fois, hélas ! A la vérité, Paschic, que tu manques de respect à ta mère est la seule chose que je ne te pardonnerai pas ! Je suis même prêt à te cogner, si cela se produit à nouveau ! (Il met son poing menaçant sous le nez de Paschic, qui n’a aucune réaction.) Tu ne répliques pas ? Étonnant ! Mais, mais je crois comprendre ce que tu penses ! Tu es en train de te dire que j’ai plein d’ambitions, de projets et que c’est donc aussi pour mon confort, pour mon plaisir que je ne veux pas en plus de problèmes à la maison ! Mais, si je suis aussi sévère avec toi, Paschic, c’est d’abord pour ton bien ! Il faut que tu respectes les adultes, sinon tu sais ce qui va t’arriver ? Hein ? Eh ! Mais tu as un drôle d’air ! (Il passe la main devant les yeux de Paschic, qui ne cille pas.) Chou, chérie ! (Il appelle La Machine.) Viens voir, Paschic est bizarre !
La Machine : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu crois Paschic malade ? Penses-tu, c’est un simulateur ! Il nous joue la comédie ! Il trouve toujours une occasion de nous emmerder ! Eh ! Paschic, secoue-toi ! (Elle pousse Paschic, qui demeure toujours immobile.) Qu’est-ce qu’il a ? Tu l’as frappé ?
Tautonus : Moi ? Pas du tout ! Au contraire, j’étais même venu le remercier d’avoir été gentil avec toi !
La Machine : Ouais, faut pas en faire trop tout de même ! Ils ont vite fait de pourrir à cet âge-là ! Eh ! Paschic ! X+2=3, combien vaut x ? (Paschic ne répond pas.) C’est pas vrai, il le fait exprès ! X+2=3, combien vaut x ? C’est quand même pas sorcier ! Réponds-moi ou j’ te mets une claque !
Tautonus : Ta mère a raison, Paschic, cette équation est des plus simples ! Allons, fais un effort !
La Machine : X+2=3, combien vaut x ? (Paschic reste muet.) Mon Dieu, j’ai enfanté un crétin, un idiot, un imbécile ! Moi, la Machine, ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que vont dire les gens ? Ils vont me montrer du doigt, en disant : « Voilà celle qui met au monde des débiles ! » C’est ça que tu veux, Paschic, faire honte à ta mère ?
Tautonus : Attends un peu… Attends un peu… Dominator m’a parlé d’un mal qui rongerait Domopolis ! Des enfants hébétés, aux yeux émeraude, sont amenés chez les psychologues… Peut-être que Paschic est un de ces cas !
La Machine : Mais il a toujours eu les yeux un peu verts ! Est-ce qu’on sait ce qu’ils ont ces mômes ?
Tautonus, qui hausse les épaules : Il pourrait s’agir d’une forme d’autisme…
La Machine : Quoi ? Mon fils artiste ? Une feignasse boirait le sang de la famille ?
Tautonus : Non, autiste… Au reste, ça doit être quasiment la même chose…
La Machine, soudain éplorée : Mais, mais alors il est vraiment malade, ce p’tit ? Au secours ! Au secours ! Il faut appeler un médecin, les pompiers !
Tautonus, qui la prend dans ses bras : Je te jure qu’on va tout faire pour le sauver !
RIDEAU
ACTE III, SCENE I : Le duc de l’Emploi
Le décor est fortement illuminé, jusqu’à donner une impression de blancheur. Nous sommes à l’intérieur d’un centre commercial et le duc de l’Emploi est aussi tout de blanc vêtu.
Le duc, qui s’adresse, avec un micro, à un public imaginaire : Bienvenu dans le Rêve blanc ! Ici, la Chose n’atteint plus le Dom ! Finis les intempéries, le froid, la grisaille, les moustiques, les tiques et en définitive toutes les aspérités, les difficultés de la vie ! Vous quittez votre cher chez-vous, vous goûtez le confort de votre voiture et vous venez nous rejoindre ici, dans le Rêve blanc, si chaud, si paisible, si luxueux ! Les agressions de la végétation ne sont plus qu’un vague souvenir et une douce torpeur vient vous envahir ! Le personnel de ce centre commercial ultramoderne est à votre service ! Laissez-le vous guider et tous vos soucis disparaîtront !
Certains me reconnaissent à présent : je suis le duc de l’Emploi ! Des dizaines d’entreprises ont participé à la construction de ce bâtiment et aujourd’hui, plus de deux cents personnes y sont employées ! C’est donc une large victoire sur la Chose, une victoire méritée, utile ! C’est pour moi une source continuelle de fierté ! Un arbre abattu, c’est un emploi nouveau ! un estomac contenté ! une cotisation en plus ! de quoi rassurer nos vieux jours ! Bref, nous avons encore gagné ! grâce au combat de certains Doms, tel que monsieur Nuit, que je vous demande d’accueillir par vos applaudissements ! (Le duc applaudit lui-même.)
ACTE III, SCENE II : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit
Monsieur Nuit, qui entre au pas de course et qui prend le micro des mains du duc : Merci duc ! On ne dira jamais assez combien les hommes de votre trempe ont de la valeur ! C’est bien simple : l’emploi, c’est la vie ! (Il se tourne vers le public.) Mais j’aimerais avec vous, cher public, revenir un peu sur l’histoire de notre lutte, sur l’histoire de la construction de ce centre commercial ! (Il étend le bras...) Je me souviens encore, avec émotion, de la friche qui existait au départ ici ! On aurait juré que la Chose y prenait toutes ses aises ! qu’elle montrait là toute la laideur dont elle est capable ! On marchait dans la boue, on évitait de larges flaques d’eau et on était dégoûté par une famille de buissons rabougris !
Non, mesdames, messieurs, le béton devait recouvrir tout ça ! Je sentais monter en moi tout l’enthousiasme de l’artiste ! Je vibrais à l’idée des nouveaux murs et les buissons avaient beau me tirer par la manche, me supplier avec leurs oiseaux braillards, je restais sourd à la pitié ! Et n’ai-je pas eu raison ? N’est-on pas dans le temple même de la propreté ? Et le béton à l’extérieur n’a-t-il pas un grain exceptionnel ? Je viens moi-même la nuit le toucher et…
Le duc, qui le coupe et qui prend le micro : Merci, monsieur Nuit ! qui est, on le rappelle, l’entrepreneur le plus doué de la ville ! Mais le temps est venu pour nous d’entendre l’acteur n° 1 de notre petite fête, celui que nous connaissons tous et qui va maintenant procéder à l’inauguration de ce nouveau centre commercial… Je veux bien sûr parler de Dominator, le maire de Domopolis ! (Le duc et monsieur Nuit applaudissent.)
ACTE III, SCENE III : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator
Dominator, qui arrive d’un pas pesant et qui prend lentement le micro : Merci, mes amis… Hum, j’ai toujours eu une sœur, même si elle n’est pas inscrite à l’état civil ! Elle a toujours été pour moi une seconde conscience, qui me regarde au fond des yeux ! Terrible est son examen et pourtant j’y réponds de bonne grâce, n’ayant rien à cacher ! Cette sœur, mes amis, s’appelle Nécessité ! C’est elle qui me montre la voie, qui me dit : « Dominator, étends la ville, rase les champs, attaque la mer, envole-toi dans les airs ! Fais grandir ta cité encore et encore, car le pauvre n’attend pas ! Regarde-le poussant sa charrette, sa femme inquiète et ses dix enfants le suivant ! Il cherche un logement ! Œuvre titanesque ! Et c’est toi, Dominator, qui va le lui offrir, qui va sécher ses larmes !
Au pays où nous avons tout, dix mille fromages, dix mille sortes de pains ! le drame n’est pas de choisir, ni de faire la tête parmi toutes ses richesses ! Non, il est que nous n’allons pas assez vite, que nous ne sommes pas assez solidaires, afin que Domopolis rayonne jusqu’à l’horizon ! Dominator, réjouis-toi de la liesse populaire, comme du nouveau lotissement ! Imagine le nouveau stade, perfore les rues, gave-toi de bruits ! Ainsi ton mépris sera caché ou rendu digne ! Ainsi ta soif de grandeur disparaîtra sous l’air humble des bâtisseurs incompris ! »
Voilà comment me parle sœur Nécessité, dont je vante les mérites partout où je passe ! Et je le fais d’autant plus aisément que ce nouveau complexe commercial va accueillir une expérience unique au monde ! Oui, mes amis, un centre d’études et d’aides, consacré à la santé mentale de nos jeunes, ouvre ici ses portes ! Je vous avoue que la situation est préoccupante ! Il est possible que la domestication de la Chose, qui implique la fleur et l’arbre tenus en laisse, soit ralentie par les problèmes mentaux de certains ! Mais, plutôt que de leur jeter la pierre, soignons-les ! Il ne s’agit pas bien entendu de remettre en cause notre hypocrisie, mais de faire appel à des spécialistes, qui sont comme de véritables spéléologues de l’âme des Doms ! Mes amis, voici la psychologue Lapsie et le professeur Ratamor ! (Tous applaudissent les entrants.)
ACTE III, SCENE IV : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator, Lapsie, Ratamor
Lapsie et Ratamor font leur entrée, en saluant la foule.
Lapsie, qui ne tarde pas à prendre le micro des mains de Dominator : Bonjour ! Bonjour ! Merci Dominator, nous savons tous ce que Domopolis vous doit ! Ouh ! Quel est l’ennemi de notre jeunesse ? Eh bien, disons-le tout net, c’est l’anxiété ! C’est cette inquiétude qui nous ronge, sans que nous sachions bien pourquoi ! Elle est pourtant destructrice et peut notamment provoquer de sérieux troubles alimentaires ! L’obésité, l’un des maux de notre siècle, est principalement due à l’anxiété ! Tout se passe comme si nous cherchions désespérément des repères, une sécurité ! Mais nous, les Doms, nous méprisons les mauviettes ! Nous sommes forts et la vérité est avec nous ! Grâce à ce centre, chaque jeune pourra bientôt dire : « Je suis le plus beau, la plus belle, le plus fort et la plus forte ! » Et ce sera d’autant plus facile que les marques de vêtements, présentes ici, nous soutiennent et nous prêtent leurs modèles ! Je vous remercie ! (Applaudissements.)
Ratamor, qui s’empare du micro : Hem, hum, la science, bien entendu, doit faire partie de l’aventure… J’ai d’ailleurs apporter mon domomètre ! (Il montre l’appareil.) Il permet de mesurer les ondes psychiques, que nous transmettons tous ! Nos intentions vont enfin pouvoir être déchiffrées et quantifiées ! Ah ! Quand on songe au combat de la science contre l’obscurantisme, comment ne pas être saisi par le vertige ? La raison s’est dégagée de sa gangue ! La voilà nue devant vous, juste objective ! N’est-elle pas l’avenir ? N’est-elle pas la gardienne de notre liberté ? Un jour, nous connaîtrons tous les secrets du cerveau ! L’anxiété n’a qu’à bien se tenir ! Le chercheur opiniâtre, précis, ambitieux pourra bientôt chanter sa victoire face au noir du cosmos ! Le Dom, seul sur ses jambes, vaincra !
Dominator, qui coupe Ratamor : Merci, merci, professeur ! (Il prend le micro.) Et maintenant, pour mieux inaugurer ce nouveau centre d’aide aux plus fragiles, je vais vous présenter une famille, qui a bien voulu nous proposer notre premier cas, puisqu’il s’agit de son enfant… Mais cette famille, je la connais personnellement, car le père est Tautonus, l’un de mes plus précieux collaborateurs ! Mesdames et messieurs, voici Tautonus, sa femme La Machine et leur fils Paschic ! On les applaudit bien fort !
ACTE III, SCENE V : le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, Dominator, Lapsie, Ratamor, Tautonus, La Machine, Paschic
Tautonus, à qui on donne le micro : Je vous remercie Dominator, pour l’honneur que vous me faites ! J’ai en effet un fils qui présente des difficultés… et j’espère qu’ici, avec des soins appropriés, il puisse retrouver une parfaite santé !
Dominator : Nous l’espérons tous, mon cher Tautonus ! Je rappelle que vous êtes notre candidat, pour les prochaines municipales, dans le secteur Est de Domopolis… et bien entendu, je ne doute pas de votre victoire, tant votre mérite est reconnu par tous !
Tautonus, qui bafouille un peu : Merci… J’essaierai de me montrer le plus digne… de la hauteur de la tâche !
Dominator : Je n’en doute pas ! Un mot de la mère… peut-être ?
La Machine : Eh bien, il y a sans doute une erreur, car je ne saurais mettre un idiot au monde ! Moi, la fille de Ptolémée II ! Ou bien Paschic est vraiment malade… et dans ce cas, bien entendu, il faut tout faire pour le soigner ! Ou bien il simule encore une fois, car ce ne serait pas nouveau chez lui ! Personne ne sait que mieux que moi, ici, combien Paschic peut-être sournois et manipulateur !
Lapsie, qui intervient : Et pourquoi il simulerait, madame La Machine ?
Ratamor, qui parle à l’oreille de Lapsie : Attention, Lapsie, mon domomètre indique que La Machine émet des ondes psychiques de 18 doms ! Elle est presque une Dom trou noir !
La Machine, à Ratamor : Qu’avez-vous dit à l’instant ? Vous parliez de moi, c’est ça ?
Ratamor : Pas du tout ! Je disais seulement que j’avais envie d’un café noir !
La machine : Ouais… Vous me prenez pour une bille ! Les types comme vous j’en avale dix chaque matin et encore, sans en sentir le goût !
Ratamor, mal à l’aise : Euh…
La Machine, de plus en plus près : Ouais, c’est comme ça ! Tu fais moins le malin, on dirait !
Lapsie, qui intervient : Madame, vous dites que votre fils, Paschic, pourrait simuler, mais dans quel but ?
La Machine : Mais, pour se rendre intéressant, ma chère ! C’est bien simple, il y en a que pour lui ! Vous lui donnez la main, il prend le bras ! Je le connais par cœur !
Monsieur Nuit : Madame, si vous voulez vraiment le mâter, amenez-le sur un de mes chantiers, pour les prochaines vacances d’été, par exemple ! Mes hommes lui apprendront ce qu’est le travail et la discipline !
Le duc : Monsieur Nuit a raison ! Rien ne vaut le travail, pour former la jeunesse ! Et plus on cotise tôt, mieux c’est !
Dominator : Il vaut tout de même mieux que Paschic termine ses études d’abord !
Tautonus : Exactement ! Avec un diplôme en poche, bien des portes lui seront ouvertes !
La Machine : Peuh Vous ne voyez pas qu’il se moque de vous ! Il est heureux, là, vous savez ? Il est le centre d’intérêt !
Lapsie : Un moment, madame, et si on commençait par demander à Paschic lui-même de quoi il souffre ! Hein, mon garçon ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Paschic, qui regarde craintivement la Machine : Euh… Eh bien, j’ai tout le temps peur !
Lapsie : Ah bon ? Et tu as peur de quoi ?
Paschic : Je… je ne sais pas ! Je sursaute au moindre bruit ! J’ai toujours peur d’une attaque !
Lapsie : D’une attaque ?
La Machine : D’une attaque de moustiques sans doute ! Bzzz ! Bzzz ! Ah ! Ah !
Paschic, qui se renferme : J’ai parfois du mal à respirer, comme si je devais soutenir mon cœur dans son effort ! Des fois, il faut que je vérifie dix fois si j’ai bien éteint le gaz !
Lapsie : Pourquoi tu vérifies autant ?
Paschic : Eh bien, s’il y a une explosion, je serai incapable d’y faire face ! Ce serait trop pour moi !
Lapsie : Je vois…
La Machine : Qu’est-ce que vous voyez ? Qu’il est aux anges, parce qu’il est la star ici ?
Lapsie : Je vois que ce gosse est déjà traumatisé…
La Machine : Qu’est-ce que vous insinuez ? Que je suis un monstre ? Il faut bien que Paschic apprenne que, dans la vie, on ne lui fera pas de cadeaux ! Les paresseux passent à la trappe !
Le duc : Cruel constat, mais qui est juste !
Monsieur Nuit, soudain rêveur : Eh ! Eh ! Adieu l’employé tire-au-flanc !
Lapsie, catégorique : Nous avons plutôt là un cas d’anxiété chronique !
Ratamor : Oui, c’est tout à fait ce qu’il nous faut ! Bienvenu chez nous, Paschic !
Lapsie : Combien indique votre domomètre, pour Paschic, professeur ! On doit avoir une valeur basse, comme pour les Doms émeraude ?
Ratamor, qui tend son appareil sur Paschic : Hum… Hein ? Mon appareil n’indique rien ! C’est… c’est impossible !
Dominator : Il est peut-être en panne !
Ratamor, qui tourne son appareil vers la Machine : Non, madame fait bien toujours dix-huit doms !
La Machine : Mais qu’est-ce que c’est qu’ ce truc ?
Dominator : Qu’est-ce que ça veut dire, professeur ?
Ratamor : Eh bien, je ne saurais le dire…
Tautonus : C’est grave ?
La Machine : Peuh… Il serait peut-être temps qu’on s’occupe de moi, non ?
Le duc : Mais certainement, madame ! Hum… (Il essaie une envolée lyrique.) Vous êtes la fleur…, parmi toutes ces têtes de bois…, à cause du sérieux, hum !
Monsieur Nuit : Une fleur en béton ! En voilà une idée !
Lapsie, à Ratamor : Mais vous avez bien une idée, une hypothèse au sujet de Paschic !
Ratamor : Oui, mais elle est tellement insensée… que je n’ose la dire…
Dominator : Allez-y, professeur…, au point où nous en sommes !
Tautonus : Oui, professeur, allez-y ! Je me sens prêt à affronter la vérité !
Ratamor : Eh bien, la seule réponse, c’est que votre fils ne serait pas un Dom !
La Machine : Je le savais !
Tautonus : Comment ça ? Pas un Dom ?
Ratamor : Cher monsieur, je ne peux pas dire plus ! Votre fils n’émet aucune onde psychique dominatrice ! Apparemment, il ne veut dominer personne ! Ce qui est a priori impossible, puisque nous, les Doms, avons tous la même origine animale !
Dominator : Un moment professeur, vous êtes en train de nous dire que… Paschic ne serait pas issue de la lignée de notre ancêtre à tous, Dominatus ?
Le duc : Mais il doit bien quand même être un tant soit peu égoïste, non ? C’est vital !
Monsieur Nuit : Et voilà que cette inauguration banale bascule vers l’horreur !
Lapsie : Inauguration banale ? Parlez pour vous !
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