La Révolte... (13-16)
- Le 24/05/2025
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" Vous avez fait du bon boulot!"
The Guilty
13
« Comment ? Les Doms émeraude se sont évadés ? Avec l’aide d’un certain Paschic ? s’écrie Dominator. Ce n’est pas possible ?
_ Hélas, si ! répond le duc de l’Emploi. Je le leur avait dit au camp n° 5 ! Je les avais mis en garde, contre l’action délétère de ce Paschic ! Mais il m’ont pas écouté ! Voilà le résultat !
_ Est-ce qu’on sait où ils sont partis ?
_ D’après nos renseignements, ils se seraient réfugiés dans les Monts-Bleus, au milieu de la Chose bien entendu !
_ Mais il faut les récupérer ! Il faut les ramener au camp n° 5 ! Sinon, ils vont faire exemple, comme s’il n’y avait pas déjà assez de désordre comme ça !
_ J’ai peut-être l’homme qu’il nous faut ! Un militaire… loyal et dévoué : le colonel Routine !
_ Bien ! Il faut me le présenter !
_ Il attend dans la pièce à côté… J’ai pensé qu’il nous serait tout de suite utile !
_ Très bien, duc, faites entrer ! »
Le colonel Routine, un petit homme sec, fait le garde-à-vous devant Dominator. « A vos ordres commandant ! fait-il.
_ Colonel, reprend Dominator, qui s’est allumé un cigare, je suppose que le duc vous a informé de la nature de votre mission…
_ Ramener les Doms émeraude au camp n’° 5, ainsi que neutraliser ce Paschic ! Autrement dit, il faut faire rentrer les traîtres dans le rang, leur supprimer la parole, car ils empêchent le retour de la grandeur des Doms !
_ Euh… La « grandeur des Doms » ?
_ Oui, notre pays a été bafoué, humilié, amputé de sa valeur historique ! Nous réclamons justice ! Car nos ennemis sont nombreux et n’ont de cesse de vouloir nous détruire ou nous piller !
_ Il existe effectivement une concurrence entre les pays, une concurrence saine cependant…
_ Mais le libéralisme nous tue ! La décadence nous guette et nous menace ! Que vont devenir nos familles, l’ordre ? Par moments, j’ai l’impression que notre pays va terminer au fond d’un WC et qu’une main malveillante va tirer la chasse d’eau ! Alors nous les Doms, nous n’existerons plus !
_ Allons, allons, il ne faut pas être aussi pessimiste !
_ Non, car le Dom est éternel ! Il a une mission divine, qui est celle d’éclairer le monde !
_ Bien, bien, laissez-nous un instant... »
Le colonel Routine claque des talons et retourne dans le pièce à côté, d’un pas martial ! « Bon sang, duc, s’écrie Dominator. C’est un exalté, un paranoïaque, un malade !
_ Il a pourtant à cœur le bonheur de son pays et le respect que l’ont doit aux Doms ! Il est aimé par la population, qui voit en lui un rempart contre la violence croissante et la déliquescence des mœurs !
_ Peut-être…, mais il va nous causer des problèmes… Il est capable de tuer tous les Doms émeraude !
_ Je vous rappelle que pour aller dans la Chose, il faut des nerfs d’acier ! Beaucoup n’en sont pas revenus ! Routine ne se laissera pas impressionner !
_ Sans doute, mais à quel prix ?
_ Hum ! fait monsieur Nuit, qui vient de pénétrer dans la pièce.
_ Monsieur Nuit ! jette le duc. Comme si je suis heureux de vous revoir sous votre aspect normal ! Alors, l’escargot c’est fini ?
_ Comme vous le voyez ! J’ai retrouvé mon corps et j’en éprouve un profond soulagement ! Mais vous aussi, duc, vous ne semez plus de petites fleurs !
_ Eh non… Il est possible que la Chose se soit lassée !
_ Ou qu’elle nous offre une seconde chance ! Il se trouve que j’ai fait un rêve merveilleux cette nuit : on m’avait confié le tracé d’une nouvelle autoroute et j’asphaltais et je bétonnais !
_ Messieurs, demande Dominator, revenons à nos moutons si vous le voulez bien ! Il s’agit d’aller récupérer les Doms émeraude qui se sont évadés !
_ Et Dominator, précise le duc, s’inquiète du choix du colonel Routine pour cette mission, car il le trouve trop exalté !
_ Routine, Routine ? Ça me dit quelque chose… C’est pas ce gars qui veut redonner aux Doms toute leur grandeur ? Et donc il doit avoir plein de projets pour Domopolis ! Pourquoi alors ne serait-il pas l’homme de la situation ? »
14
« Ici, drone Alpha ! M’entendez-vous ? A vous poste Routine !
_ Ici, poste Routine ! On vous entend drone Alpha ! Parlez !
_ Toujours aucun signe des Doms émeraude ! Mais la Chose est partout, que ça en donne le frisson !
_ Bien reçu, drone Alpha. Je préviens le colonel ! Continuez à chercher les Doms émeraude ! »
Le lieutenant, qui a pris la réception, se rend auprès du colonel Routine, installé sous une tente et examinant des cartes… « Colonel, fait le lieutenant, un message du drone Alpha !
_ Ont-ils repéré les fugitifs ?
_ Négatif, colonel ! Ils ne voient que la Chose ! Les Monts-Bleus paraissent vides !
_ Bon sang ! s’écrie le colonel, en tapant du poing sur la table. Ces fumiers doivent bien être quelque part ! Vous savez, lieutenant, ils ne nous aiment pas…
_ Euh…
_ Si, si ! Ils ne nous aiment pas ! Ils ne nous écoutent pas, ne nous respectent pas ! Or, nous avons tant besoin d’amour et de respect !
_ Hmm…
_ Notre histoire est grande, lieutenant ! Notre pays est grand ! Les Doms sont grands ! C’est nous qui avons libéré le monde des barbares ! Chacun de nous a perdu un parent, lors de cette précédente guerre ! Chacun peut témoigner de ce que ça nous a coûté, à tous ! Et pourtant, et pourtant on ignore notre sacrifice ! Pire, on le méprise ! On ne veut pas voir combien nous sommes bons, aimables ! Nous, les sauveurs de la planète, nous ne rencontrons qu’indifférence… Nous sommes des laissés-pour-compte, lieutenant !
_ Sans doute...
_ Eh bien, les choses vont changer ! Puisqu’on ne nous aime pas, nous allons forcer les gens à nous aimer ! Nous allons leur montrer qui sont les maîtres… et combien nous sommes forts et grands ! Nous avons été assez patients ! Nous avons assez courbé l’échine ! On nous a humiliés, tandis que nous étions gentils, dociles… Désormais, le message sera tout autre… et parfaitement clair ! Soit vous nous aimez, soit vous mourez !
_ Euh…
_ Vous ne comprenez pas ? Il faut qu’on nous aime ! Sinon comment pourrions-nous nous sentir en sécurité ? Nous avons tous besoin d’amour, lieutenant ! C’est lui plus que tout, qui nous donne le sentiment de notre valeur, de notre importance ! Comment se sentir respecté, si on ne nous aime pas ?
_ Mais peut-on forcer les gens à aimer ?
_ Voyez-vous une autre solution ? Nous allons écraser cette vermine, et on sera bien forcé de nous écouter ! Tous les gens, qu’on aura placés en esclavage, crieront bientôt comme le Dom est grand, supérieur ! Rien ne vaut l’étoile morte de la terreur ! Le reste n’est que chaos, vieillissement, tristesse…
_ Alors qu’est-ce qu’on fait, colonel ?
_ Envoyez le golem de l’amour ! Rira bien qui rira le dernier ! »
Le golem est un géant d’acier, avec des yeux de feu ! C’est une véritable machine à tuer ! Son blindage est exceptionnel et ses bras détruisent toute agression ! Sa bouche est animée, pour délivrer un message de la propagande et ainsi il est actionné et se met en marche vers la Chose, tirant sur tout ce qui bouge !
Il est si violent qu’il paraît fou ! Mais on l’entend partout dans la Chose, et sa parole, métallique, sinistre résonne : « Aimez-moi ou mourez ! Aimez-moi ou mourez ! »
Le colonel Routine est resté sous sa tente… Il médite encore devant ses cartes… Il imagine comment il pourrait lui et les Doms s’imposer au monde… En fait, le problème, c’est que tout individu est libre de se détourner de lui… C’est la liberté le problème !
Le colonel Routine ne s’énerve pas… Il ne fume pas, ni ne boit… Il est plutôt sobre et c’est ce qui fait sa longévité… Mais comment faire ? Si on enlève leur liberté aux gens, ils ne peuvent plus aimer ! Ils subissent ou font semblant ! Mais ne peut-on pas se contenter du respect dû aux forts ? Est-ce qu’inspirer de la crainte n’est pas suffisant, pour que soi-même on soit content, en sécurité ?
« J’avoue que je m’y perds ! fait le colonel. Et pendant ce temps-là, on rit de nous, on complote, on veut notre perte ! Je le sens ! Ils sont partout ! contre nous, les Doms ! »
15
Le colonel Routine a réuni ses hommes et crie : « Mais qu’est-ce qui m’a foutu un bande de branques pareils ? Alors, vous n’êtes pas capables de repérer des péquenots, dans de la petite montagne ? Vous êtes des Doms, oui ou non ? Vous n’êtes même pas dignes d’être des soldats ! Je commande des pleutres ! Ah ! Vos pères, eux, étaient des héros ! Ils ont délivré le monde de la barbarie ! Ils ont défendu vos familles, nos valeurs ! Ils ont fait don de leur vie, afin que vous, bande de salauds, vous puissiez vous gaver largement !
Quand je pense que là-bas, dans les Monts-Bleus, il y a deux ou trois idiots qui se foutent de vot’ gueule ! »
Soudain il se met à pleuvoir et l’espace blanchi par l’eau a comme une légère contraction, comme si tout était devenu flou ! Un instant, Routine a fermé les yeux et quand il les rouvre, il est seul ! Il n’y a plus personne devant lui et il lâche : « Eh ! Les gars ! Mais où êtes-vous donc ? Je vous préviens, si vous ne réapparaissez pas de suite, c’est la cour martiale ! ou pire le poteau ! Je vous veux ici tout de suite ! »
Mais il n’y a que la pluie et son bruit sur le sol et les feuillages ! « Mais ce n’est pas vrai ! fait Routine. C’est de la sorcellerie ! Où ils sont passés tous ? Eh, les gars, répondez-moi ! Me laissez pas ! »
Routine est gagné par la panique, à cause surtout de sa soudaine solitude ! Où sont l’ordre, la hiérarchie, la pompe, les enjeux, l’ennemi, les défis militaires ? Tous les repères du colonel ont disparu !
Voulant se protéger de la pluie, Routine aperçoit une cabane et se dirige vers elle… Sur le perron, une vieille, le visage masqué par un voile, répare ses chaussures… Ses bras sont aussi maigres que ridés… « Eh ! La vieille, je peux m’abriter chez toi ? » demande Routine. Comme la vieille ne répond pas, Routine s’avance sur le perron, ce qui le met au sec… « Je ne sais pas ce qui se passe, reprend Rotuine, tous mes soldats se sont volatilisés ! Tu ne les aurais pas vus par hasard ? »
La vieille garde toujours le silence et Routine se penche pour voir son visage : « Mais tu pleures, ma parole ! s’écrie-t-il.
_ Tu es Routine ! répond enfin la vieille. Et je te connais bien et c’est pour ça que je pleure !
_ Quoi ? Tu me connais ?
_ Bien sûr ! Je t’ai vu grandir ! Je me rappelle de toi, enfant ! Ah ! Tu étais plutôt chétif à l’époque et tu devais te défendre contre les grands ! Tu avais du courage ! Mais regarde ce que tu es devenu !
_ Comment ce que je suis devenu ? J’ai plutôt réussi, non ?
_ Combien d’hommes n’as-tu pas fait tuer ? Combien de pays n’as-tu pas détruits ? Combien de femmes n’ont pas été violées, à cause de toi ? Combien de larmes d’enfants n’as-tu pas provoquées ? Combien de petits cercueils ne sont pas ton œuvre ? Et tout ça pourquoi ?
_ Pourquoi ? Mais pour défendre le pays ! Pour lui rendre sa grandeur, pour qu’il compte à nouveau ! Nos ennemis sont nombreux !
_ Et ta peur, l’as-tu guérie ? N’es-tu pas toujours ce petit garçon, qui avait peur des grands et qui était toujours sur le qui-vive ? Tu n’as pas évolué et tu es resté craintif, d’où tous ces morts, car tu disposes de moyens plus puissants ! Mais où est celui qui rêvait de justice et d’être aimé ? Celui-là aussi existait et il y avait une part de beau en lui !
_ Je ne sais pas la vieille… J’ai dû me faire à ce monde injuste et cruel ! Je suis devenu adulte…
_ Oui, et aveugle et sourd ! et dur ! par peur d’être surpris et vaincu ! Tu parles d’un courage ! Tu parles d’un orgueil ! La vraie force est d’accepter d’être méprisé ! Qu’importe le rire des autres, si toi, tu sais qui tu es !
_ Et tu voudrais le nom des Doms raillé, traîné dans la boue ?
_ Ne l’est-t-il pas aujourd’hui ? N’est-il pas devenu synonyme d’opprobre, de cruauté ?
_ Pour nos ennemis seulement !
_ Ah oui, les grands dont tu avais peur dans ton enfance… Pauvre gosse, tu as les mains pleines de sang !
_ Tu me fatigues, la vieille ! Où sont mes soldats ?
_ Où est ce qu’il y avait de bon en toi ? Tu joues au caïd, mais dans la nuit noire et devant tes victimes, tu appelleras qui ? »
16
Dans les Monts-Bleus, Paschic continue à enseigner les Doms émeraude : « N’ayez peur de rien, ni de personne ! leur dit-il. Je sais que c’est difficile, mais c’est vers là qu’il faut aller ! Comprenez bien : le seul savoir des Doms, c’est leur domination ! Autrement dit, c’est leur position hiérarchique, leur pouvoir et leurs richesses, qui donnent un sens à leur vie ! Ce qu’ils font là, sur notre toute petite planète, avec la mort qui nous attend, ils ne veulent pas en entendre parler ! Ils se tiennent dans la bulle de leur domination et c’est donc elle qu’ils font valoir chaque jour !
Les Doms s’efforcent de faire peur, pour vous soumettre à leur autorité ! C’est leur repère ! Sans cela, ils se désagrègent, sont effrayés eux-mêmes, ce qui les conduit à la haine et à l’envie de détruire !
Ne doutez jamais ! Le savoir des Doms, c’est du vide, du vent ! Ils seront là sur le trottoir, jouant les notables, les messieurs sérieux et ils vous rappelleront vos peurs d’enfance, quand vous vous sentiez exclus, quand vous ne compreniez pas les grandes personnes ! Ils continueront à vous faire croire qu’ils sont les maîtres et que la société est parfaitement normale, telle qu’elle est !
Ne doutez pas ! Car ils exercent leur pouvoir sur vous et ils inspirent volontairement la crainte ! Ce n’est pas innocent ! Sans cela, ils sont perdus ! Passez à côté d’eux, tel le caillou dans le ruisseau, sans haine, sans agressivité, mais fermement, solidement ! Soyez pleins de rondeurs et en même temps inaltérable ! C’est votre force ! Vous ne cherchez pas à soumettre… Votre équilibre est ailleurs !
Mais ne doutez pas, car je vous le redis encore, ces Doms très sérieux vous renverront à vos failles, à vos peurs les plus intimes ! Ils vivent dans le mensonge, mais pas vous ! Ne cherchez pas à être comme eux ! Ne cherchez pas la normalité, la convention, car c’est de la domination, la soumission du plus faible, au profit de ces « messieurs » !
De même, vous croiserez certainement le regard haineux d’une Dom ! Vous ne la connaissez pas, mais elle est la maîtresse des lieux ! C’est elle qui régit les mœurs, par sa haine ! Elle est le pendant de ces « messieurs » ! Même tonneau ! Son regard vous accuse, essaie de vous culpabiliser ! Il vous dit que vous êtes en faute et vous voilà déjà en train de vous demander quelle est votre erreur ! Mais il n’y en a aucune ! Vous n’êtes tout simplement pas soumis, au chevet de cette dame ! Vous ne vous occupez pas d’elle ! Elle ne se sent pas supérieure, essentielle !
Là encore vous êtes renvoyés à votre fragilité ! Là encore vous vous demanderez si vous êtes normaux et vous serez effrayés par votre différence ! C’est le but des Doms ! Ils ne cherchent pas et en plus ils ne veulent pas qu’on cherche ! Ils veulent juste leur pouvoir et leur hiérarchie ! Alors qu’ils sont malheureux, haineux, perdus !
Ne vous fiez pas à leurs simagrées ! Ils feront tout pour vous faire croire qu’ils sont des modèles d’équilibre et de réussite ! Ils montreront volontiers leurs caresses, entre proches, leur complicité, leurs sourires ! C’est de la vitrine pour gogos ! Leurs rapports au sein de la famille sont au vrai codifiés par la domination ! Ils forment un groupe, dont sont exclus les autres, car ce qui les soude, c’est le sentiment intime de leur supériorité !
Ils forment une équipe, une petite société, prête à se défendre, contre les autres, le monde extérieur ! Ils mesurent tout à l’aune de leur morgue, de leur mépris ! Il n’y a d’amour que pour eux et vous ne leur plaisez que si vous les admirez ! Les familles se tiennent les coudes, contre les gens du dehors, dont vous faites partie, car vous voilà sur la route, à chercher !
N’ayez pas peur de votre solitude, car c’est une écoute ! Bien des fois, vous serez inquiets de ne pas appartenir à ce qu’on appelle la normalité, mais elle n’a rien à vous apporter, elle est empoisonnée !
C’est aux Doms de changer ! C’est à eux de faire un pas vers vous ! N’ayez crainte ! Confiez-vous toujours plus dans la Chose ! Réjouissez-vous de sa beauté ! Reconnaissez-la partout où vous êtes ! dans les nuages, le ciel bleu, la petite fleur ! dans chaque brin d’herbe éclate le génie de la Chose !
Que la beauté devienne votre repère quotidien, tranquille ! Vous verrez alors combien les Doms sont encore beaux, malgré leur égoïsme et leur bêtise ! Vous verrez qu’ils sont plus égarés que méchants, qu’il leur manque surtout la lumière, une raison de vivre !
Chacun veut s’épanouir, se développer, cherche le bonheur, malheureusement la plupart reste sur le seuil de la Lumière, n’y entre pas, par peur ou ignorance !
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