La Révolte (la pièce)

  • Le 28/06/2025
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R87

 

 

           "Tu es même restée mieux que je l'espérais!"

                                  Un Singe en hiver

 

 

                ACTE III, SCENE VI : Les mêmes, plus le DTN

Le Dom trou noir est jeune et muni d’une arme. Dès son entrée, il crie.

Le DTN : Haut les mains tous ! Allez, les mains en l’air ! Le premier qui bouge, j’ le descends !

Dominator : Mais qu’est-ce que… ?

Le DTN : Ta gueule, papa ! Tu fais comme les autres : tu lèves les mains bien haut !

Le duc : Qu’est-ce que vous voulez ?

Le DTN : Mais déjà regarder vos sales trombines ! Alors, voilà l’élite de Domopolis ! Ah ! Ah !

Monsieur Nuit : C’est un jouet cette arme, non ?

Le DTN : Tu veux que je te prouve le contraire ? Attention, t’es prêt ? (Il pointe son arme.)

Monsieur Nuit : Ça va, ça va , je vous crois !

Le DTN : J’en étais sûr ! Pour la gloriole, vous êtes au top ! Mais dès qu’il s’agit de mettre les mains dans le cambouis, y a plus personne !

Lapsie : Écoutez, je suis psychologue ! On peut parler, avant qu’un drame n’arrive !

Ratamor : Lapsie a raison ! Discutons… Rien d’irréparable n’a encore été commis !

La Machine : Peuh ! Vous voyez pas qu’ c’est un branleur ?

Le DTN, à la Machine : Mais la bourgeoise nous tient tête, car y a du mâle pour la protéger !

La Machine : Pose ton arme et t’auras droit à une bonne fessée ! Je ne sais pas qui est ta mère, mais ça doit être une molle !

Le DTN : Mais on t’a jamais appris la politesse, la vioque ! Tiens ! (Il lui donne un coup avec son arme.) Ça va mieux ! T’atterris enfin ? Ce que c’est que de vivre dans les privilèges... On y perd tout sens des réalités !

La Machine, qui pleure : Mais venge-moi, Tautonus ! Tu ne vois pas ce qu’il fait à ta femme ?

Tautonus : Jeune homme, je jure que…

Le DTN : Tu jures quoi, le bourgeois ? Tu devrais plutôt me remercier : j’ai remis ta femme à sa place ! Ça fait combien de temps qu’elle se croit la reine sur terre ?

Monsieur Nuit : C’est la fille de Ptolémée II !

Le DTN : Quoi ? La fille de mémé II ? Ah ! Ah !

Dominator : Ça ne nous dit toujours pas ce que vous voulez…

Le DTN : Ah ! C’est toi, le chef ! Je m’en serais douté, figure-toi ! T’es là comme si les autres devaient te servir ! Tu dégoulines d’autorité !

Ratamor, bas : Lapsie ! Le domomètre indique 20 doms, quand il s’approche ! C’est un DTN ! Un véritable Dom trou noir !

Le DTN, à Ratamor : Qu’est-ce que tu baragouines, le singe ? Tu veux du plomb dans l’aile ?

Ratamor : Hein ? Non, évidemment ! Je disais seulement que j’aimerais bien un café noir !

La Machine, se tenant encore le visage : Encore ? C’est une manie chez vous ! Il ne faudra pas vous étonner d’avoir un jour des problèmes cardiaques !

Le DTN : Mais fermez-la, bon sang ! Vous n’êtes pas au courant que vos vies viennent de changer !

Lapsie : Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu plus…

Le DTN : J’ viens d’en bas, ma belle ! de la masse grouillante et anonyme ! de ceux que vous voyez comme des caves ! Vous n’avez pas tout à fait tort d’ailleurs ! Nous sommes bêtes à vomir !

Monsieur Nuit : Je vous assure, jeune homme, que nous respectons tout le monde !

Lapsie, au DTN : Attendez, vous êtes en train de nous dire que vous souffrez d’anonymat ! Vous vous sentez perdu dans la foule, c’est bien ça ?

Le DTN : Je sens, doc, que vous allez m’éclairer…

Lapsie : Mais oui, le sentiment d’être seul ne dépend pas du rang social, mais des relations personnelles que vous créez ! Mettez-vous déjà en couple… et vous compterez pour quelqu’un !

Le DTN : Cela ne me suffit pas ! Je rêve de plus grand !

Le duc : Mais le « monsieur » veut pas bosser, c’est tout ! Nous sommes tous ici grâce à notre travail !

Le DTN : Mais bien sûr, avec les meilleures intentions du monde ! Sauf que moi, je ne vous supporte pas ! J’ai en horreur vos règles et vos mimiques ! Je n’ai pas à vous obéir ! C’est moi qui commande !

Dominator : Mais où ça va vous mener tout ça ? Nulle part ! La police doit être déjà en route !

Le DTN : Possible ! Mais j’étouffe ! Vous ne connaissez pas ma solitude… Elle est atroce ! J’ai besoin de dominer, vous entendez ! C’est vital ! Sinon le vide m’angoisse, m’écrase ! Aujourd’hui, j’ai l’élite de la ville sous mon commandement ! J’existe ! Je ne ressens nulle anxiété ! Et puis, je vois que vous êtes des minables (Il les regarde tout à tour et ils baissent les yeux.) Vous avez peur ! Bien entendu que vous avez peur ! Car vous êtes des hypocrites ! Vous êtes comme moi, mais vous n’osez pas ! Vous aussi, vous voulez le pouvoir, n’est-ce pas la bourgeoise ? (Il s’adresse à La Machine.) Mais il faut y mettre les formes ! Il faut enrober tout ça ! Tiens, toi, tu es différent ! (Il parle à Paschic.) Tu n’as pas peur, on dirait !

Paschic : Dans le fond, non…

Le DTN : Comment tu fais ?

Paschic : J’aime la reine Beauté… et je lui fais confiance !

Le DTN : La reine Beauté ?

Paschic : Oui, la beauté de la Chose, ou plus exactement de la nature…

Le DTN : Les petites fleurs et les papillons, ça t’aide ?

Paschic : Oui, la beauté du monde est infinie et me fait comprendre que je ne suis pas seul et que je suis ici chez moi !

Le DTN : Eh bien, t’en as de la chance !

Paschic : Ce n’est pas seulement une question de chance… C’est le désir de dominer qui empêche de voir la reine Beauté ! Comment pourrait-on la comprendre, quand on se soucie de son nombril ? Le résultat, c’est que, face à l’inconnu, nous avons recours à la domination animale qui est en nous ! Pour fuir l’angoisse, nous voulons commander à tout prix, nous sentir toujours supérieurs, ce qui fait que nous détruisons la planète et que tu nous tiens en joue ici !

Le DTN : Tu es bien savant pour ton âge !

Paschic : Sur ce terrain oui… et je le suis par la forces des choses, car j’ai dû trouver des réponses moi-même !

Le DTN : Je te crois… Tu es vrai… Il émane de toi une paix que je n’ai jamais connue ailleurs ! Si tu savais comme je suis fatigué ! Comme je voudrais me reposer un instant !

Paschic : Cela ne m’étonne pas ! Tu domines tout le temps, car tu as peur tout le temps ! Ce n’est pas vivable !

Le DTN : Laisse-moi dormir contre ton épaule… Tu m’aideras ? Eux (il montre les autres.), de toute façon… (Il baisse son arme et ferme les yeux, contre l’épaule de Paschic.)

Le duc, après un instant : Il dort ? Il dort vraiment ?

Monsieur Nuit : Mais non, il fait semblant…

Tautonus intervient et se saisit de l’arme ! Le DTN ne bouge pas…

Le Duc : Bon sang, cet imbécile dort vraiment !

Monsieur Nuit : Un vrai bébé !

Dominator : Tant mieux ! On a évité le pire !

La Machine : Vous avez vu mon fils, Paschic ! (Elle caresse la tête de Paschic) Un vrai héros ! Ah ! C’est bien de mes entrailles qu’il est sorti ! Je suis fière de toi, mon garçon !

                                                                                                         RIDEAU

                                                           ACTE IV, SCENE I : Le duc de l’Emploi, monsieur Nuit, le DTN

Le décor est une cave, avec des débris et un mobilier grossier… Le duc et monsieur Nuit sont en train de manger, silencieusement, autour d’une table… Entre eux, le DTN reste immobile, face au public…

Monsieur Nuit : Pas mauvais ce rat ! Je le trouve plus dodu que celui d’hier !

Le duc, occupé : Mmmm…

Monsieur Nuit : J’ai bien fait de le griller ! Cuit à l’eau, ils gonflent et ils perdent toute leur graisse !

Le duc : Ouais, mais grillés, ils dégagent plus d’odeur ! Déjà qu’on étouffe ici ! Combien il fait à la surface ?

Monsieur Nuit, qui se lève et va consulter un appareil : 50 degrés ! Tout brûle là-haut ! Tout de même hier, c’était 52 ! (Il se rassoit.) Y a une baisse !

Le duc : Tu veux que je te dise, c’est nous les rats ! On est pris au piège dans cette cave !

Monsieur Nuit : Heureusement qu’on l’a trouvée ! La plupart n’ont pas eu cette chance… et ils sont morts à présent ! Domopolis n’est plus que ruines !

Le duc : Oui, le désert a tout enseveli ! Ah ! Quand je pense que j’étais en train de vaincre les chômeurs ! Je les tenais dans ma main !

Monsieur Nuit : Et moi, je bétonnais à tout va ! Je n’ai rien vu venir ! La canicule s’est installée d’un coup… et puis, elle est restée ! Tout a crevé ! Les chantiers, bien sûr, se sont arrêtés ! Y avait même plus d’eau pour faire le béton ! Ma femme et mes enfants sont partis, je ne sais où ! Ils m’ont traité de démon ! Va savoir pourquoi ?

Le duc : Ah ! Les fainéants ont gagné ! Tous les oiseaux de mauvaise augure jubilent à présent ! Ils l’ont, leur réchauffement climatique ! (Il se met à pleurer.)

Monsieur Nuit : Allons, allons duc ! Nous sommes toujours vivants ! Il faut voir les choses du bon côté !

Le duc : Et l’autre là ! (Il montre le DTN.) Il dit rien, il fait rien, il est comme une statue !

Monsieur Nuit : Il paraît que notre DTN est devenu un Dom émeraude, d’après Lapsie ! Il ne veut plus nous tuer, mais il serait plongé dans un rêve de verdure ! ce qui n’est pas étonnant, vu qu’il n’y en a plus !

Le duc : Quoi ? Vous pensez qu’il est nostalgique du monde d’avant ? Pour moi, c’est encore un prétexte pour pas bosser ! J’ t’en foutrais, moi, des hypersensibles ! Et comment il va faire plus tard, puisqu’il cotise pas ?

Monsieur Nuit : Sauf vot’ respect, duc, cotiser n’est plus à l’ordre du jour ! Il s’agit seulement de survivre, ici et maintenant ! Il faut faire une croix définitive sur l’ancien système !

Le duc : A qui la faute ? A tous ceux qui n’ont fait que profiter ! Auparavant, on avait un certain sens du devoir ! Tenez, quand je voyais ces immenses files de voitures, le matin, dont les pots fumaient à qui mieux mieux, eh bien, j’inspirais profondément ! J’avais le cœur léger ! Je me disais : « Voilà le vrai pays, celui qui travaille ! »

Monsieur Nuit : Ah ! C’est sûr, c’était la belle époque ! Chacun savait ce qu’il faisait ! Je revois ces visages graves au volant ! Ces rages sur l’accélérateur ! Quel sérieux, quelle dignité !

Le duc : Exactement ! Le sens de la vie ? Mais il était là, noir sur blanc ! On travaille, on cotise et on est tranquille, pour ses vieux jours !

Monsieur Nuit : Je me rappelle… Le béton coulait à flots ! On gagnait sur la Chose ! On abattait les arbres ! On rasait les talus ! Eh ! Eh ! Le monde était à nous !

Le duc : Et ces cultures intensives ! Quel ordre, grâce aux pesticides ! Il n’y avait pas un épi qui mouftait !

Monsieur Nuit : Et... et de l’eau, on en avait ! Ces jets qui arrosaient les champs, ça avait un petit côté Versailles ! Tandis que que maintenant…

Le duc : Chaque goutte compte ! Quand je pense que ce grand dadais (il montre le DTN) en consomme pour sa plante !

Monsieur Nuit, qui consulte sa montre : C’est l’heure d’ailleurs ! Il va se lever et humidifier sa petite verdure !

(Le DTN se lève et va arroser une petite plante, suivi des yeux par le duc et monsieur Nuit…)

Monsieur Nuit : Savez-vous ce qu’il m’a dit un jour ?

Le duc : Ah ? Parce qu’il vous a parlé ?

Monsieur Nuit : Une fois ! Il m’a dit : « Si l’un de vous touche à ma plante, je le tue ! » Voilà ce qu’il a dit !

Le duc : Il serait capable de le faire ! Il a toujours son pistolet ?

Monsieur Nuit : Je l’ignore, mais je préfère ne pas le lui demander…

(Le DTN revient s’asseoir, sans un mot…)

Le duc : Il y a tout de même une chose qui me manque plus que tout !

Monsieur Nuit : Ah ?

Le duc : Oui, c’est le bruit ! le vacarme des chantiers, du trafic, des avions ! Même les débiles, qui passaient avec leur musique plein pot, je les regrette ! J’aimais cette ébullition constante, qui m’abrutissait !

Monsieur Nuit : Je vous comprends : tout plutôt que ce silence épais, qui pèse aujourd’hui sur nous !

Le duc : C’est ça ! Pour moi, ce silence est synonyme de mort !

Monsieur Nuit : Il n’y a plus non plus de cris d’oiseaux !

Le duc : Écoutez, j’entends Dominator et Ratamor rentrer !

                                                         ACTE IV, SCENE II : Le duc, monsieur Nuit, le DTN, Dominator, Ratamor

Dominator et Ratamor font leur apparition et ils se débarrassent de turbans et de robes de fortunes, destinés à protéger de la chaleur.

Le duc : Alors, vous étiez en expédition, ce matin ?

Dominator : Oui, on est parti un peu avant l’aube, à cause de la chaleur ! Mais, même à cette heure, c’était déjà difficilement supportable ! Enfin, on ne rentre pas bredouille ! Regardez-moi ça, les enfants, un beau serpent ! (Il le tire de son sac.) Hein ? On va s’ régaler !

Monsieur Nuit : Et comment, Dominator ! On va le faire mariner, il aura encore plus de goût !

Le duc : Dans quoi ?

Monsieur Nuit : Ch’ais pas ! On trouvera !

Dominator : On a encore attrapé deux lézards ! Ah ! Faut s’battre ! Mais le professeur Ratamor a aussi une bonne nouvelle ! (Il continue à se déshabiller…)

Ratamor : En effet, j’ai repéré un lichen comestible ! Et il a l’énorme avantage de capturer l’humidité ! En le mâchant, on pourrait ainsi éviter la déshydratation !

Le duc : Vous voulez dire qu’on va sucer de la mousse ?

Ratamor : On s’adapte, mon cher duc, on s’adapte !

Le duc : Et si on n’en a pas envie ?

Ratamor : Alors, on meurt !

Dominator, qui a pris place sur un tabouret : Mes enfants, vous auriez vu la tour du Pouvoir ! Le haut s’est écroulé, avec mon bureau ! Et le bas est envahi par le désert ! J’avais les larmes aux yeux ! Je me suis revu au sommet, commander la ville ! J’avais dix mille secrétaires ! vingt mille adjoints ! Ah ! C’était une ruche bourdonnante ! Et des projets ? J’en avais à foison ! Je rêvais d’une ville immense, immaculée, moderne et… (Il s’effondre et gémit.) Oh ! Mon Dieu !

Le DTN : Quelle mauviette !

Dominator, relevant la tête : Hein ?

Ratamor, au DTN : Mais tu parles ?

Le DTN : Rappelez-vous vos discours ! Vous n’étiez guidé que par sœur Nécessité ! La sœur au regard sévère ! Et maintenant, vous pleurez votre rêve de grandeur, qui ne sera pas réalisé ! Ah ! Elle est belle la nécessité !

Dominator, qui se lève : Petit morveux, comment oses-tu ? Tu sais à qui tu parles ? A Dominator, le maire de Domopolis !

Le DTN : Qui n’existe plus ! Pas d’ bol !

Dominator : Tu vas t’en prendre une !

Monsieur Nuit : Allons, allons, messieurs ! Il est inutile et même néfaste de se fâcher dans un espace aussi exigu !

Dominator : C’est sa faute aussi ! Il me cherche !

Le duc : Moi, ce que je trouve incroyable, c’est qu’un ancien petit voyou (il désigne le DTN) vienne nous faire la leçon !

Le DTN : J’ai été éclairé par Paschic ! Il m’a ouvert les yeux !

Ratamor, goguenard : Heureux homme !

Le DTN : Nous avons tous soif de vivre ! Nous voulons tous nous développer et nous épanouir ! Mais cela ne doit pas être aux dépens des autres ! Or, Domopolis détruisait la Chose, écrasait même ses habitants !

Dominator, qui tape sur la table : Mais bon sang, il faut bien loger les gens, les nourrir, leur donner du travail !

Le DTN : Mais vous venez de le dire ! Domopolis était votre œuvre, votre fierté ! C’est votre ego qui souffre !

Le duc, au DTN : Je me demande si vous n’êtes pas un de ces gauchistes, en guerre contre les méchants capitalistes !

Le DTN : Les capitalistes ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Nous sommes tous pareils ! Nous voulons tous a priori dominer et posséder plus ! Toute action violente témoigne d’un besoin de pouvoir ! La lutte contre les capitalistes, c’est encore l’ego qui réclame son dû !

Le duc : Vous avez raison... Rien ne vaut une société bien en ordre, avec la famille respectée ! un pays bien propre, souverain…

Le DTN : Mais la vie, c’est la différence ! Ce n’est pas être étouffé par l’autorité et des préjugés ! C’est un risque !

Le duc : Décidément, vous m’énervez !

Ratamor, au DTN : Vous ne l’ouvrez pas souvent, mais subitement, là, c’est un fleuve !

Monsieur Nuit : On oublie tous que c’est l’économie qui commande !

Le DTN : Ah bon ? Nos sociétés avaient tout et pourtant elles étaient toujours en crise ! Nous étions dans une impasse, avec nos idées économiques !

Monsieur Nuit : Bon, alors que préconisez-vous ?

Le DTN : Mais que chacun se change d’abord soi-même ! qu’il trouve un équilibre autre que celui de la domination ! qu’elle ne soit plus notre boussole ! notre remède à la peur ! Riez de votre ego, messieurs, et vous serez libres !

Monsieur Nuit : Comprends pas ! En quoi croire alors ?

Le DTN, à monsieur Nuit : Cherchez pas, c’est un exalté !

Dominator : D’entendre autant de bêtises, ça m’a donné soif ! Mais plus question de whisky, maintenant !

Ratamor, songeur : Pas sûr ! En faisant chauffer mon lichen…

Le duc : Tiens, voilà ces dames !

                                                                   ACTE IV, SCENE III : les mêmes, Lapsie, La Machine

Lapsie : Bonjour… Hélas, nous avons une bien triste nouvelle à vous annoncer !

Dominator : Diable !

Lapsie : Le mari de madame (elle désigne La Machine) vient de mourir !

Dominator : Comment ? Tautonus ?

La Machine : Oui, mon mari Tautonus vient de s’éteindre dans mes bras, à l’instant même !

Dominateur : Quelle perte ! Un collaborateur aussi précieux ! Veuillez, madame, recevoir toutes mes condoléances !

La Machine : Merci.

Le duc : Et les miennes !

Monsieur Nuit : Et les miennes aussi !

Ratamor : Les miennes également !

Dominator : Mais comment est-il mort ?

La Machine : Je ne saurais le dire exactement… Il avait l’air épuisé depuis quelque temps…

Lapsie : Apparemment, Tautonus souffrait de troubles nerveux assez graves...

Le DTN : Dites plutôt qu’il est mort de peur !

Dominator : Hein ?

Le duc : Quoi ?

Monsieur Nuit : Comment osez-vous ?

Ratamor : Vous n’avez donc aucun respect pour les morts ?

La Machine : En effet, jeune homme, vous offensez la mémoire de ce brave Tautonus !

Lapsie : Quelle honte !

Le DTN : Au contraire, je lui donne toute son individualité ! Votre hypocrisie le noie sous les lieux communs !

Monsieur Nuit : Mais vous parlez comme si vous le connaissiez !

Le DTN : Paschic m’a un peu expliqué son cas, si je puis dire…

La Machine : Encore ce minable de Paschic ! Décidément, il aura été ma croix jusqu’au bout !

Lapsie : Mais qu’est-ce que Paschic vous a raconté au sujet de Tautonus, pour que vous disiez que celui-ci est mort de peur ?

Le DTN : Mais que c’est la faute de madame ! (Il désigne La Machine.) C’est elle qui a « crevé » son mari !

Dominator : Oh ! Quel langage !

Le duc : Quel scandale !

Monsieur Nuit : Ca dépasse les bornes !

Ratamor : Jeune homme, je crois que vous devriez vous taire !

La Machine : Laissez, laissez ! Je voudrais bien savoir ce que vous a dit cette vermine de Paschic !

Lapsie : Je vous en prie, madame, ne vous infligez pas cette épreuve ! Le moment est assez dur comme ça !

La Machine : Ah ! Mais vous ne me connaissez pas ! J’ai toujours fait face, moi ! Ce n’est pas comme certains ! Même mon défunt mari, Dieu ait son âme ! était rarement à la hauteur !

Le DTN : Et pan ! Nous y sommes ! L’épouse jamais satisfaite par son entourage et qui ne cesse de le harceler ! Et pourquoi ? Mais tout simplement parce que l’intérêt que l’on veut pour soi est sans issue ! Les autres n’ont-ils pas leur propre vie, ne demandent-ils pas aussi qu’on les aime ? Pourquoi alors s’imposer à eux, leur demander une attention constante ? Madame, vous êtes ce que j’étais naguère, une DTN, une Dom trou noir !

Dominator : Oh !

Le duc : Insulte gratuite !

Monsieur Nuit : Attaquer une veuve !

Ratamor, qui tousse : Hum ! Hum !

Lapsie : Ne vous en faites pas, madame, je connais ce genre d’individus ! (Elle parle du DTN.) Ce joli coco est un pervers narcissique ! Il est en train de vous reprocher ce dont lui-même se rend coupable ! Ah ! C’est qu’ils sont retors, vous savez !

La Machine, à Lapsie : Permettez, madame, je vais moi-même répondre à cet accusateur ! Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le bien de ma famille ! Il a fallu tirer tout le monde vers le haut, pour qu’on ait le confort ! Sinon les hommes resteraient en bas, dans leur saleté !

Le DTN : Effectivement, madame, vos ambitions passaient apparemment en premier ! Et chacun devait suivre, votre mari devant ! Tous menés à la baguette, pour masquer votre peur, grâce au rang social ! Ce n’était donc jamais assez ! le pouvoir étant une sorte d’ivresse ! Tautonus était un bon « cheval », remarquez ! Lui aussi aimait la notoriété, mais vous vous posiez toujours comme une victime, comme si c’était seulement votre mari qui profitait des « honneurs » ! A partir de là, vos demandes étaient sans limites !

Le duc : Arrêtez ce tissu d’horreurs, je vous en prie !

Le DTN : La véritable humanité vous fait peur, duc ? Je vais vous présenter un Tautonus, comme vous ne l’avez jamais vu ! Il était fier de sa réussite, il en jouissait et reconnaissait sincèrement en La Machine sa locomotive ! Il savait qu’il lui devait beaucoup ! Mais, contrairement à elle, il n’essayait pas de se guérir de ses angoisses, en dominant toujours plus, en prenant le contrôle des autres ! Non, il était plus complexe, plus doux, plus nuancé ! Il voulait la paix, mais pas La Machine ! Et il a fini par céder sous le poids de l’effort !

Monsieur Nuit : Quelle honte !

Lapsie : En somme, vous rendez La Machine responsable de la mort de son mari !

Le DTN : En grande partie, oui ! Sa petite personne a toujours compté avant tout !

Dominator : Espèce de rat puant !

Le DTN : Mais Tautonus a aussi été victime de notre hypocrisie générale ! Il a été emporté par le torrent de notre peur ! Nous la nions, en jouant les gros bras, mais nous ne lui donnons aucun remède ! Et c’est à moitié hébétés que nous rejoignons le gouffre du temps !

La Machine : Et moi, je connais encore l’injustice ! N’ai-je pas tout donné à mes enfants, à mon mari ! Je me suis sacrifiée pour eux ! Oh ! Bien entendu, mon travail était dans l’ombre ! Il fallait préparer les repas, faire le ménage, nettoyer le linge ! Qui m’a remercié ? Personne ! Et que de soucis, dès qu’il y avait un malade ! Aujourd’hui, je fais de nouveau face à la sombre ingratitude !

Le DTN : Ne vous inquiétez pas, madame, la morale sera sauve ! Votre responsabilité, votre égoïsme ne seront plus évoqués ! On en restera aux convenances ! On fera comme avant ! D’ailleurs, Tautonus n’est déjà plus qu’un souvenir !

Dominator, qui empoigne le DTN : Mais tu vas la fermer, salopard !

Le DTN, qui crie : Mais qu’est-ce qu’il te faut, pour que ça change ? Tu vois pas où on en est ? Tu veux encore parier sur l’hypocrisie ? Qu’est-ce qu’il vous faut à tous, pour crever l’abcès ?

Lapsie : Voilà Paschic ! Le principal coupable de tout cela !

 
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