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  • Les enfants Doms (T2, 181-185)

    Doms63

     

     

                     "C'est pour le sexe, baby!"

                                    Les Chevaliers du ciel

     

                                181

         Une autociel va tellement vite qu’elle crée un cyclone ! Elle déplume les oiseaux au passage et la police finit par l’arrêter ! Dans l’autociel, la musique est à fond et douze enfants, assis à l’arrière, regardent médusés les policiers qui s’approchent ! Le conducteur est contraint de baisser sa vitre et de la fumée de cannabis s’échappe lourdement !

    « 400 km/h ! s’écrie le policier, qui doit chasser la fumée, pour ne pas être incommodé. Et probablement usage de stupéfiants !

    _ C’est pas c’ que vous croyez, m’sieur l’agent !

    _ Ah non ?

    _ Non, j’ dois aller voir un client… et ça urge !

    _ Un consommateur ? »

    L’homme hausse les épaules… « Permis de conduire et papier du véhicule ! reprend le policier.

    _ Ben, j’ai passé mon permis hier ! J’ai pas encore le réflexe d’emporter tout ça avec moi... »

    A cet instant, une aile du véhicule cède quand l’un des agents fait légèrement pression dessus ! « Bon, dit le premier policier. L’autociel va rester là et on va ramener les enfants chez eux… Vous, par contre, vous êtes condamné !

    _ Ne me dites pas que…, s’inquiète le conducteur.

    _ Oh si ! »

    L’homme se met à pleurer ! Il sait ce qui l’attend et c’est insupportable ! Bien d’autres et de plus riches que lui, des notables, ont craqué en effectuant la peine dont il est question ! D’ailleurs, personne n’y résiste et la plupart en sont marqués à vie ! Face au « délinquants » de la route, la justice a montré ses muscles ! Mais c’est efficace, car chaque jour des hommes et des femmes subissent le nouveau traitement et se tiennent par la suite à carreau !

    Mais quel est donc celui-ci ? Il ne s’agit plus d’une amende, ni même d’un retrait de permis, ni de la confiscation du véhicule… On est allé beaucoup plus loin ! On s’est demandé qu’est-ce qui pouvait être le plus terrible aujourd’hui pour un automobiliste et on a trouvé !

    Cependant, notre homme est conduit dans un centre spécial et après les formalités d’usage, il doit entrer dans une cage de verre, d’une dimension tellement vaste qu’elle n’en paraît pas une prison et qu’elle en devient même invisible en son centre ! Ce qui la fait disparaître au regard, c’est qu’elle est remplie d’une végétation dense, comme si on était dans un sous-bois, parmi les fleurs et les arbres, au bord d’un ruisseau qui serpente et en compagnie d’oiseaux qui chantent et d’insectes colorés, qui fêtent le soleil !

    Le délinquant de la route est invité à contempler ce « décor » enchanteur, à se réjouir de toute cette vie, à goûter cette merveilleuse paix, mais hélas ! la réaction est presque toujours la même ! C’est l’angoisse et la panique ! Un peu de silence, ne pas se préoccuper de soi pendant cinq minutes, être devant autre chose que son reflet plongent le contrevenant dans une horreur indescriptible et pratiquement à tout coup, il vient buter contre la paroi de verre, criant au secours et la frappant de toutes ses forces !

    Deux gardiens, en blouses blanches, sont chargés de veiller au bon déroulement de la peine et ils en ont vu des choses ! Des riches leur ont proposé des millions, des politiques un poste important, des stars leur corps ! On supplie ces gardiens, on leur promet monts et merveilles, puis on les insulte et les menace, quand on voit qu’ils demeurent sourds ! Leurs nerfs sont mis à rude épreuve et c’est pourquoi ils reçoivent un entraînement sévère !

    Malgré tout, certains d’entre eux en viennent à douter, tant ils voient de souffrance ! N’est-ce pas une peine trop atroce, disproportionnée, se demandent-ils. Évidemment, à ce moment-là, des carcasses calcinées, des corps encastrés et sanguinolents leur reviennent à la mémoire et les durcissent, mais derrière la paroi les visages ne laissent pas de montrer leur détresse !

    Le pire, c’est quand un papillon ou une graminée semblent s’approcher du contrevenant, surtout si un oiseau, non loin de là, a l’air de surveiller ce qui se passe, car alors le complot de la nature, son désir de nuire et de perdre l’homme éclatent au grand jour ! Le contrevenant n’est plus qu’une loque et il s’écroule, avec quelques derniers gémissements ! Quel gardien n’a pas été tenté, à cet instant, de jeter à son propriétaire son Narcisse, afin qu’il se sauve de ce monde vert, comme on lance une bouée à ceux qui se noient !

                                                                                                              182

         Le commando Science envoie certains de ses hommes vers une nouvelle mission et le camion qui les transporte cahote dans la brume ! A l’arrière, sous la bâche, le professeur Ratamor s’inquiète de ce que son voisin, un nommé Bjork, aiguise son couteau avec une sorte d’ivresse ! Malgré le bruit et les tressauts, Ratamor demande : « C’est pour couper du papier ? »

    Surpris, Bjork arrête son geste, semble exaspéré par ce qu’il vient d’entendre et puis finalement répond : « Nan, c’est pour trancher la gorge de ceux qui nous envoient dans le mur ! 

    _ Qui ça ? crie presque Ratamor, pour couvrir les cliquetis du camion.

    _ Les néolibéraux ! Le gouvernement si tu préfères ! Tous ces champions de l’inaction climatique ! »

    Ratamor a un sourire figé, pour montrer qu’il a compris et la conversation s’arrête là, car encore plus troublé, le professeur essaie de se rappeler qui est Bjork… D’après ses souvenirs, c’est un spécialiste de la mécanique quantique… C’est donc un homme qui sait qu’à dix puissance moins trente secondes ou à quelque chose près, la matière triomphe du vide pour créer l’Univers ! C’est dire si on a eu chaud et cela devrait relativiser les passions ! Mais pas celle de Bjork, qui joue maintenant avec ses grenades !

    « On va baiser tous ces suceurs de sève ! marmonne-t-il. Une ou deux comme ça et envolé leur crachat de coucou ! »

    « Apparemment, Bjork a des notions de jardinage », songe Ratamor qui maintenant s’agace lui-même, comme si la bêtise et la haine de son voisin étaient en train de couler dans ses veines ! « Tout doux, se dit le professeur, d’abord parce que la colère rend malheureux son propriétaire ! Ensuite, parce que je viens de la petite bourgeoisie et donc d’un milieu plutôt à droite, qui aime l’ordre et non l’agitation de la gauche ! Je ne dois donc pas me laisser influencer par mon origine, d’autant que je connais parfaitement son hypocrisie et son égoïsme froid !

    Mais, tout de même, comment un homme apparemment aussi intelligent que Bjork peut-il être aussi naïf et aveugle ? Est-ce qu’il a jamais existé un gouvernement donnant satisfaction à sa population ? On a haï le parlementarisme, comme on accuse aujourd’hui le trop grand pouvoir du Président ! Il y a toujours eu des troubles et croire qu’un nouveau gouvernement ou qu’une nouvelle République puissent changer radicalement les choses, ainsi qu’on leur donnerait un coup de baguette magique, c’est de l’enfantillage, une aberration ! La solution à notre bonheur n’est pas politique !

    D’autre part, pourquoi le libéralisme s’est-il peu à peu imposé partout dans le monde ? Mais parce que ce « système », aussi injuste soit-il, permet à notre égoïsme naturel de se développer ! Chacun dispose a priori de la possibilité de s’enrichir et de prendre de l’importance et c’est ce qui fait que l’économie fonctionne et qu’elle est à même d’assurer une protection sociale ! Sans entreprises, pas d’emplois, ni de cotisations !

    Lutter contre notre nature par la force, comme l’a fait le communisme, ne peut que conduire à l’échec ! Les hommes ne changent que parce qu’ils comprennent que c’est dans leur intérêt ! Mais, pareillement, on ne peut pas espérer diriger un pays si les richesses restent toujours dans les mêmes mains, car dans ce cas on rend impossible le développement de la majorité, qui finit par se révolter !

    Pas simple ! Pas simple ! On dirait même qu’on est dans une impasse ! Mais, si la solution n’est pas politique, elle ne peut être qu’individuelle ! C’est à chacun de changer, pauvre ou riche, en diminuant son égoïsme, ce qui implique la reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, avec sa différence ! Cela veut dire qu’on doit aller vers la nuance, la compréhension, ce qui exclue les extrêmes, tous les radicalismes, qu’ils soient de droite ou de gauche ou encore religieux ! Car c’est bien notre mépris, notre suffisance, notre impatience, notre violence au quotidien qui nous pourrissent la vie, qui la rendent insupportable ! Le mur de l’égoïsme nous tombe chaque jour sur les pieds !

    Cependant, respecter l’autre, surtout s’il nous est contraire, demande de la force et de la persévérance ! C’est le résultat d’un long travail sur soi ! d’une longue patience ! C’est l’histoire d’un renoncement compris et admis ! C’est la véritable richesse, celle de la paix, de la liberté intérieures ! C’est le rayonnement de la sagesse ! Cela demande tout de même de lutter contre sa propre domination, de comprendre qu’on ne triomphe pas sur ses adversaires ! C’est approcher une sorte de tristesse, celle qui apparaît quand on grandit et qui est bientôt remplacée par la joie d’évoluer !

    Rasséréné, Ratamor se tourne vers Bjork et lui dit : « Tu sais, ceux que tu veux tuer sont aussi des êtres humains ! Ils ont tous leur complexité ! Tu ne peux pas les juger d’un bloc, comme ça !

    _ Les néolibéraux sont responsables du réchauffement… et on va tous les passer à la broche ! »

    Ratamor est pris soudain d’une profonde lassitude et il rajoute ! « T’es vraiment un sacré connard, Bjork !

    _ Comment ?

    _ Explique-moi pourquoi t’es aussi con ? Pourquoi tu fais pas d’efforts ? Pourquoi c’est toujours aux mêmes d’essayer de comprendre, alors que ceux qui te ressemblent restent des abrutis ? Tu peux m’expliquer ça ?

    _ Mais… mais j’ te permets pas de me parler sur ce ton !

    _ Bien sûr, tu veux du respect pour toi, mais pas pour les autres !

    _ T’es maso, c’est ça ? Tu veux ta ration de coups ?

    _ Pourquoi t’es aussi moche ? »

    Les deux hommes se donnent des baffes et ils ont l’air de deux pigeons qui se battent !

                                                                                                          183

          Trois militants écolos, deux gars et une fille, suivent Cariou, après sa brève intervention sur les préparatifs à l’assaut de RAM ! « On a été touché par ce que vous avez dit… au sujet de se pacifier soi-même ! explique l’un. On voudrait mieux comprendre votre point de vue !

    _ Vous êtes donc prêts pour la première leçon ? »

    Les trois militants opinent et Cariou reprend : « Venez par ici, je vais vous montrer quelque chose ! » Ils prennent un étroit sentier parmi des orties et ils débouchent sur un terrain vaseux, où disparaissent presque deux lavoirs ! « Voici les magnifiques vestiges d’un temps passé ! dit Cariou. Vous remarquerez la beauté, l’élégance des pierres qui constituent les lavoirs ! On travaillait à cette époque dans le respect de la nature, car on en avait absolument besoin ! On la craignait même et en tout cas, on en était tellement imprégné qu’on construisait quasiment en harmonie avec elle ! Ceci explique pourquoi les anciennes maisons se fondent si bien dans leur environnement ! Il ne s’agissait pas de s’imposer, d’écraser, comme on le fait avec le béton de nos jours ! La civilisation à présent croit qu’elle peut vivre en autarcie, seulement concentrée sur elle-même, comme si la nature n’était là que pour son service !

    Or, nous venons de la nature et c’est elle qui nous apprend qui nous sommes ! Dans les villes, où nous n’avons plus guère de contacts avec la nature, nous devenons fous et violents, car notre ego y est exacerbé ! Rien ne vient le calmer, l’apaiser, puisque c’est le temps de la nature qui peut faire évoluer le nôtre ! C’est elle qui nous aide à mûrir, par la patience notamment !

    Mais tout cela ne doit pas vous être étranger, n’est-ce pas ! Alors, voilà ce que vous allez faire : puisqu’on veut rendre toute sa valeur à l’eau, il est normal de l’entretenir où qu’elle soit ! Vous allez donc nettoyer ces lavoirs et leurs abords ! Il faut qu’une eau limpide ici réjouisse la vue et qu’elle circule librement, comme si elle pouvait être heureuse elle-même ! Je vous apporte les outils, d’accord ? »

    Les militants un peu surpris finissent par approuver et bientôt le travail commence ! Il est pénible : la boue est difficile à enlever, il faut racler maintes fois la pierre ! Les bras sont couverts de vase et écorchés par les ronces ! On se retrouve souvent dans une jungle inextricable ! De la poussière végétale s’en échappe et se fixe sur la peau en sueur ! Le soleil tape aussi et les orties et les moustiques continuent de piquer ! La tâche paraît gigantesque, sans fin et après quelques heures, il y a des murmures, de la fatigue et du découragement ! Les militants viennent voir Cariou et ils ont l’air gênés : « Dites, euh… fait l’un. Voilà, c’est sûr que ce travail est utile et nécessaire ! On voit bien le changement : il y a beaucoup plus de lumière et le coin a l’air à nouveau de respirer ! Mais on se dit aussi qu’on pourrait être plus efficaces en rejoignant les autres, qui préparent l’attaque de RAM ! Car ce sont les gros pollueurs qu’il faut faire changer ! Hein ? Ici, c’est une goutte d’eau ! D’ailleurs, on r’viendra ! On f’ra ça après ! Faut pas nous en vouloir ! On n’est pas des paresseux ! On pense seulement qu’il y a des priorités !

    _ Oh ! Mais je ne vous en veux pas ! Votre réaction était prévue et elle est bien normale !

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ Pourquoi le découragement vous atteint ? Mais parce qu’ici c’est un combat sans gloire ! Votre ego y est peu intéressé, d’autant que vous n’êtes pas payés ! C’est un travail obscur, ingrat, et qui demande beaucoup de patience ! Par contre, l’affrontement avec les forces de l’ordre est bien plus amusant, entre guillemets ! D’abord, vous êtes sur le devant de la scène ! Ensuite, c’est votre individualité qui est concernée ! Il s’agit quasiment d’un test pour chacun d’entre vous ! Serez-vous assez courageux, assez forts pour l’emporter ? C’est la domination animale qui est en vous qui défend son territoire psychique, vos convictions si vous voulez !

    _ Oui, vous avez sans doute raison… Nous sommes jeunes aussi et nous avons besoin de nous connaître !

    _ Exactement ! Mais ma première leçon, la voici : n’oubliez pas qu’en plus de votre cause, vous agissez pour votre ego ! Car vos adversaires ont le même comportement ! Eux aussi, grâce à l’argent et au pouvoir, ils veulent se sentir supérieurs et vaincre, d’où leur pollution ! Mais de de votre côté comme du leur, c’est l’égoïsme qui compte, même si vos raisons peuvent paraître justes ! Entre vous et vos adversaires, il n’y a que les moyens qui changent ! Eux utilisent l’argent, le commerce, et vous, vous êtes plus violents, plus physiques ! Mais c’est tout !

    _ Mais on ne peut pas les laisser faire !

    _ Mais ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que la domination animale est une impasse ! A votre attaque correspond une défense et vous ne faites que renforcer la haine et les convictions de vos adversaires ! Car bien entendu vous ne pouvez pas non plus songer sérieusement à les détruire ! On ne tue pas les gens, n’est-ce pas !

    _ Mais alors qu’est-ce que vous préconisez ?

    _ Mais comme je l’ai déjà dit, vous vous pacifiez d’abord ! C’est-à-dire que vous calmez votre ego, notamment au contact de la nature ! Vous devenez heureux en étant en paix, car vous ne vous blessez plus et vous voilà prêts à aimer la différence, à ne plus l’agresser à cause de vos peurs et de votre soif de reconnaissance ! Votre adversaire, rassuré, vous écoute enfin et essaie lui-même de s’améliorer…

    _ Mais il y a urgence ! On ne peut pas attendre tout ce temps-là !

    _ Ah bon ? Vous ne voyez toujours pas que nous sommes dans une impasse ! »

                                                                                                        184

          Angoisse, que fais-tu sous le ciel bleu ?

    Je dis à l’homme que toutes les portes sont fermées !

    Qu’il n’y a pas de futur, ni de plaisirs !

    Qu’invariablement ce sera toujours la même chose !

    Je serre l’esprit dans un étau

    Et je presse, lentement, inexorablement !

    Je désespère, j’épuise, j’effraie, je torture !

    Je réveille les débats oubliés !

    Je rouvre les puits sans fond !

    Je montre des tunnels pleins de cauchemars !

    Et je regarde l’homme qui veut s’échapper !

    Il veut acheter quelque chose…

    Pour se donner d’ l’air !

    Pour sentir que les choses bougent !

    Qu’il n’est pas abandonné !

    Qu’il a encore quelque importance !

    J’ comprends ça ! J’ai pitié d’ lui, vous savez !

    Alors, j’ lui dis : « Mais t’as pas un nickel !

    Tu l’as dans l’os ! »

    Et j’éclate d’un gros rire !

    J’ lui donne même une grande claque dans le dos, tellement ça m’ fait marrer !

    Puis, j’ rajoute : « Va falloir trouver autre chose, mon bonhomme !

    J’ suis sûr que tu peux apaiser tes frustrations par un autre moyen !

    Car t’as des blessures évidemment !

    Le monde est plein de poisons !

    Hein ?

    Y en a qui disent ce qu’ils ont sur le cœur

    Et tu sais que c’est pas vrai,

    Qu’ils sont des hypocrites !

    Mais qui leur répond ?

    Pas toi en tout cas, hi ! hi !

    T’es inconnu au bataillon !

    Personne ne t’écoute !

    Tant pis pour la vérité !

    Et puis : « Qu’est-ce que la vérité ? », comme disait l’autre !

    Te voilà en plein désert,

    Mourant de soif !

    T’es prêt pour la brûlure !

    Celle de la haine !

    Elle te marque au fer rouge !

    Et tu danses !

    Elle te fouaille l’estomac !

    Et tu voudrais rugir,

    Arracher les yeux !

    Je suis la vieille angoisse,

    Comme la mer qui descend !

    J’assèche, je vide les cœurs

    Sous le ciel bleu !

    Tu rêves d’espoir ?

    D’un souffle frais ?

    Trouve des coupables !

    Fustige-les !

    Détruis-les !

    Non, tu penses que c’est mal ?

    Tu es plus intelligent que ça ?

    Tu ne crois pas à cette fausse libération ?

    Tu ne veux pas de la haine ?

    Bien, bien, tu es une belle âme !

    Chapeau !

    Tu es meilleur que tous ces veaux !

    Mais je suis toujours là

    Et je te raconte que ce sera toujours pareil !

    Que tu es enfermé !

    En prison !

    La cellule étant toi-même !

    Et de nouveau t’as peur

    Et tu es triste !

    Tu tapes dans les murs

    Et pourquoi on ne te répondrait pas ?

    Et pourquoi on ne te sauverait pas ? »

                                                                                                       185

         « Professeur Citron, bonjour !

    _ Bonjour !

    _ Alors, un nouveau livre…

    _ En effet…

    _ Ça paraît chez Machin et ça s’appelle…., ça s’appelle, euh…, Le Nouveau royaume ! Voilà !

    _ Oui, oui !

    _ Alors, professeur Citron, je rappelle un peu qui vous êtes…, même si on connaît bien vos livres aujourd’hui, puisque c’est votre deux centième ! Mais enfin, vous êtes directeur au PNRS, section sociologie et cristallographie ! Vous êtes encore un spécialiste des séismes en haute altitude, conseiller permanent au siège de la fondation Bax, un think tank qui se consacre au bien-être des sociétés !

    _ Oui, j’ai cet honneur-là… et je dois dire que nous avons beaucoup de travail, car la situation est très préoccupante !

    _ On va y revenir, car c’est aussi le sujet de votre nouveau livre en filigrane ! Vous êtes aussi président de l’UGELEC, qui gère l’eau de plusieurs villes ! On vous retrouve dans la revue Beau printemps, où chaque lecteur connaît bien votre chronique et s’en délecte !

    _ Et moi aussi ! C’est toujours un véritable plaisir que de participer à cette revue, notamment avec mon camarade Tomate qui la dirige !

    _ Vous ne perdez pas de vue la recherche scientifique cependant, car chaque année vous êtes de ceux qui décernent la fameuse bourse Curie, au projet le plus novateur !

    _ Mes amis et moi, nous tenons absolument à favoriser la jeune science, car elle est l’avenir ! Pour cela bien entendu, elle doit être aidée financièrement…

    _ Mais l’art également vous intéresse ! Auteur de plusieurs recueils de poèmes, comme l’Etalon qui a été salué par la critique, vous siégez au Comité de la muse, qui chaque année distingue un nouveau talent littéraire, en lui remettant le prix Bourgeon !

    _ Oui, l’art est une richesse de l’homme, c’est l’un de ces ornements… et la science ne doit pas l’oublier ! Que serait nos vies sans les fleurs, même si leur éclat n’est que sexuel ? Ah ! Ah ! Mais notre société possède une grande culture et le beau texte fait partie de son patrimoine !

    _ C’est un poète qui parle ! Et, même si c’est un peu un secret, je dois quand même le dire : vous êtes en passe de devenir un académicien !

    _ Oui, hi ! hi ! Des amis ont la bonté de penser à ma candidature ! Car moi-même, je n’y aurais jamais songé ! Je sais qu’il y a là-bas des géants et ma foi, tant mieux s’ils m’acceptent dans leur ombre !

    _ Ce qui étonne chez vous, Albert Citron, c’est cette modestie, cette humilité tranquille, qui semble vous caractériser, alors que je n’ai fait qu’ébaucher un dixième de vos occupations ! On se demande comment vous pouvez garder la tête froide !

    _ Oh ! Mais c’est assez simple : j’ai foi en l’homme ! Je crois que la raison peut nous aider à garder de la retenue et même, même nous rendre satisfaits de ce que nous avons, sans désirer plus ! C’est là, à mon sens, la clé du vivre ensemble !

    _ Vous me donnez la transition pour parler de votre livre, car le personnage principal est un père de famille, qui apparemment est heureux auprès des siens, en remplissant ses devoirs, puisqu’il veille à la sécurité et au bonheur de tous, mais en même temps c’est un révolté ! Quelque chose le gêne ! Il sent une colère monter en lui, contre ce qui est en quelque sorte un plafond de verre ! Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu mieux ça, Albert Citron ?

    _ Oui, cet homme, qui ne veut que l’épanouissement de ses enfants, est peu à peu choqué par ceux qu’il va appeler les accapareurs du pouvoir ! Ils découvrent que certains n’en ont jamais assez, qu’ils cumulent les postes, qu’ils sont bien entendu assoiffés d’argent et qu’en fait ils sont en train de contrôler le monde…

    _ Je rappelle que vous-même, vous venez d’une famille communiste…

    _ Oui, j’ai eu la chance d’avoir un père, qui m’a expliqué que le but de l’homme, c’est l’homme ! Ce n’est pas l’argent, ni le pouvoir, ni les honneurs ! C’est la camaraderie et le partage !

    _ Il faut dire que votre personnage du père va se retrouver accusé, à tort, d’avoir fraudé le fisc !

    _ En effet, il devient la victime de loups de la finance !

    _ Il dénonce un complot néolibéral !

    _ Il va se défendre et partir en croisade contre l’égoïsme !

    _ Il s’agit pour lui de se faire entendre à tout prix ! Et il va même participer à un célèbre concours de chansons ! C’est là que l’homme de science, que vous êtes, s’efface devant la fantaisie de l’artiste ! Vous voilà plein d’imagination !

    _ Oui, ah ! ah ! Notre homme va pousser la chansonnette pour la bonne cause !

    _ Il va même gagner le concours !

    _ Il a une belle voix !

    _ Est-ce aussi votre cas, Albert Citron ?

    _ Oh ! Oh ! Disons que je me place dans les bons ténors, mais pas dans les meilleurs bien entendu !

    _ Alors, on ne va pas raconter la fin du livre, car c’est un récit palpitant, plein de rebondissements et de surprises, mais, Albert Citron, on ne peut tout de même pas s’empêcher de penser que le personnage, c’est vous, non ?

    _ Ah ! Ah ! Chacun jugera, mais il est vrai que je partage l’indignation de mon personnage ! Nous vivons dans une société où un très petit nombre s’est mis en tête de tout diriger ! Du matin au soir, on doit les écouter, suivre leurs humeurs, s’intéresser à leur petite personne… Bref, on doit être quasiment à leur chevet, alors, alors qu’il y a tant de gens qui souffrent ! Et qui souffrent dans l’anonymat, qui n’ont pas voix au chapitre ! Je dis attention, danger !

    _ On a bien compris votre combat, mais on peut quand même dévoiler un détail, qui va enchanter nos auditeurs ! Votre personnage a le même tatouage que vous !

    _ Mais… mais qui vous a dit ça ? C’est… c’est intime !

    _ Je ne vous le dirai pas, hi ! hi ! J’ai aussi mes informateurs ! Mais vous pouvez nous dire un mot sur ce tatouage…

    _ Si vous y tenez…

    _ C’est une allégorie de la justice, je crois…

    _ C’est vrai, car c’est ma conviction la plus profonde, la justice sociale !

    _ Juste un peu au-dessus de la fesse, hi ! hi !

    _ Disons sur la côte…

    _ La côte d’azur, où vous avez une villa !

    _ Un mas rénové, pour être plus juste, c’est quelque chose de très simple !

    _ Décoré par Delcroix !

    _ Mais enfin vous connaissez tout sur moi !

    _ Vous êtes incontournable ! »

  • Les enfants Doms (T2, 176-180)

    Doms61

     

     

     

       "Mais c'est la maison Poulaga! T'as pas une tige, Borniche?"

                                      Flic story

     

                           176

         Madame Pipikova présente à la classe de rééducation matérialiste un nouveau personnage… « Voici le camarade syndicaliste Non, dit-elle. Non est bien son nom… Je vous demande de l’applaudir ! » Toute la classe se lève et bat des mains à tout rompre, puis le calme revient… « Camarade Piccolo, fait madame Pipikova, vous avez été le premier à cesser d’applaudir ! Je n’en suis pas étonné et je le note ! Mais nous verrons ça plus tard ! »

    A présent, elle se tourne vers le nouveau venu : « Camarade Non, vous allez nous décrire votre travail…

    _ Non.

    _ Non ? J’ai mal dit votre nom ?

    _ Non.

    _ Alors pourquoi vous ne voulez pas… Ah ! J’oubliais ! Pour que vous fassiez quelque chose, il faut vous demander le contraire de ce qu’on veut ! C’est bien ça ?

    _ Non.

    _ Non ? Ah ! Ah ! Vous avez encore failli m’avoir ! Camarade Non, taisez-vous !

    _ Bien, je vais vous décrire mon travail… D’abord, je voudrais dire que la dernière fois où j’ai dit oui, c’était pendant mon enfance ! Vous voyez, ça remonte à loin ! Mais, à l’époque, j’étais jeune et naïf et j’ai été trompé par ma grand-mère, qui me proposait une part de gâteau ! Depuis j’ai ouvert les yeux et je ne me laisse plus faire !

    _ Camarade Non, ne répondez pas à cette question : « Qu’est-ce qui a motivé votre engagement ? »

    _ Je ne supporte pas le pouvoir sous toutes ses formes ! C’est bien simple, il me rend malade !

    _ Vous n’êtes pas gêné par l’oppresseur !

    _ Voilà, il m’angoisse terriblement !

    _ Car vous voulez vous-même le pouvoir !

    _ Exactement, mon seul but est la justice sociale !

    _ Vous êtes l’oppresseur !

    _ Je suis le bon camarade !

    _ Ne nous en dites pas plus !

    _ Je vais vous donner quelques précisions ! Le pouvoir est partout ! C’est l’ennemi numéro un ! C’est un combat incessant et sans pitié que de lutter contre lui !

    _ Mais il faut quand même un leader !

    _ C’est vrai ! C’est le parti qui doit régner !

    _ La corruption n’est donc pas liée à notre égoïsme !

    _ Elle vient des mauvais camarades !

    _ Mais nous voulons tous être les plus forts naturellement !

    _ Vous avez raison, l’homme, venant de l’animal, est bon !

    _ Et vous n’avez pas d’orgueil !

    _ Seul le patronat en a ! Mais cessez un peu de me questionner comme ça ! J’ai… j’ai peu à peu l’impression que vous cherchez à me supplanter !

    _ Vous rigolez ! Moi, j’ bosse moi !

    _ Qu’est-ce que ça veut dire ?

    _ Rien, rien, mais vous avez l’air d’apprécier votre statut de star, alors que le travailleur souffre !

    _ Mais nom d’un chien, qu’est-ce qui m’a foutu une éducatrice pareille ?

    _ Tous les mecs jouent les gros bras, de toute façon !

    _ Ça y est ! Je suis sexiste maintenant ! J’ai le malheur d’être un homme !

    _ Escroc !

    _ Morue !

    _ Qu’est-ce que vous avez dit ?

    _ Euh… Je crois qu’il faudrait rappeler à notre auditoire qui est notre vrai ennemi et c’est… ? »

    Tout le monde se lève et crie : « Le capitaliste !

    _ Pourquoi ?

    _ Parce qu’il a le pouvoir !

    _ Le pouvoir…

    _ Que nous voulons tous !

    _ Pour ?

    _ Pour le travailleur !

    _ Ils sont bien ! reconnaît Non.

    _ Oui, j’essaie d’effectuer au mieux ma tâche, répond madame Pipikova. Mais vous savez combien c’est difficile !

    _ Je sais, je sais… Écoutez faut qu’ j’y aille ! (Il consulte sa montre.)

    _ Bien sûr, alors au revoir !

    _ Non.

    _ Ah ! Ah ! Où ai-je la tête ? Évidemment, restez !

    _ D’accord, je pars... »

    A cet instant, Piccolo se lève et se met à applaudir, à crier : « Bravo ! Bravo ! » et à siffler ! C’est une acclamation sans précédent, d’autant qu’elle est solitaire !

                                                                                                         177

         La Justice sociale va chercher son pain… « C’est pas vrai ! s’écrie-t-elle, quand elle s’aperçoit qu’il y a une petite queue dans la boulangerie. C’est pas vrai ! C’est pas possible ! Mais c’est pas vrai ! » Elle n’en revient pas ! D’autres sont devant elle et il va falloir attendre ! Quelle contrariété ! Si ça ne tenait qu’à elle, personne ne se trouverait sur son chemin, à la retarder ! Enfin, elle doit tout de même faire comme tout le monde et prendre patience !

    Mais réellement elle est incapable de se calmer et elle s’offusque de la présence du grand type qui la précède : « Qu’est-ce qu’ ce gazier ? Pour qui il se prend ? Il est là comme un rocher, comme s’il faisait la loi ! Il ne me considère même pas ! Pourtant je pousse ! C’est un comble ! J’ suis tout de même la Justice sociale ! Encore un d’ ces aristos qui s’ croient supérieurs !

    Qu’est-ce que j’en ai marre ! J’ supporte pas d’attendre ! J’ai d’ la haine contre tous ceux qui ne font pas attention à moi ! Surtout ce matin ! Quand je vois comment les autres se gobergent ! Les stars par exemple ! Et ça se pavane sur le tapis rouge ! Quelle bande de tartes ! Déjà des vieilles peaux ! J’ ferais mieux ou tout aussi bien ! Pourquoi elles et pas moi ? J’en ai marre de ma vie grise ! Toujours la même rengaine ! Oh ! Qu’est-ce que je souffre !

    Et y a ce grand type devant qui semble indifférent ! Pour qui il s’ prend ? Je pousse et il bouge pas ! J’suis pas rien, bon sang ! Comme si j’avais qu’ ça à faire, attendre derrière des gens qui s’ croient supérieurs ! L’égalité sociale, voilà ce qu’il faut ! Mettre tout le monde sur le même pied ! En bas, les fanfarons, les snobs, tous ceux qui méprisent ! Allez avance grosse vache ! On va pas y passer la matinée !

    Au magasin, j’en ai ras-le-bol aussi ! Les clients m’ sortent par les trous de nez ! Vendre des chaussures, en disant : « Oui, madame, c’est du trente-huit ! C’est normal que ça serre un peu ! Elles vont s’ faire ! », j’en ai ma claque ! Pour c’ que ça m’ rapporte ! Déballer, remballer, courir à la réserve, aider un pied douteux, c’est pas une vie ! Même l’odeur du cuir, ça m’ pèse ! Et puis le magasin est sombre comme un trou à rat ! J’en ai les larmes aux yeux, certains matins ! Et devant, qu’est-ce que je vois ? Mais ce type indifférent ! Encore un qui est plein aux as ! Il semble pas richard pourtant !

    Alors pourquoi je le déteste ? J’ sais pas ! C’est qu’il…, oui, c’est ça, je dois bien me l’avouer, c’est qu’il paraît heureux ! Il est là tranquille, il ne montre aucune impatience ! Mon énervement ne l’atteint même pas ! Comme si j’étais insignifiante ! Moi, la Justice sociale ! Il me renvoie à ma petitesse, à ma vie grise, à mon anonymat et c’est pourquoi j’enrage ! S’il avait peur, s’il se pressait sous mon influence, je sentirais mon pouvoir, ma valeur ! Mais là, c’est comme si je n’existais pas ! Je hais ce type ! Je le hais de toute mon âme ! On doit trembler devant moi ! La paix d’ ce type, elle me fait vomir !

    Oh ! Mais j’ vais pas le rater ! Attends un peu… Qu’est-ce que je pourrais bien lui faire ! Car pour moi, pas question d’essayer de comprendre ! Pas question d’essayer d’avoir la même tranquillité ! Pas question de demander comment on peut être heureux comme ça ! Y manqu’rait plus que je m’humilie ! que je paraisse ignorante ! J’ suis pas une demandeuse, moi ! J’suis déjà assez bas comme ça ! L’injustice, j’ connais par cœur ! Faut qu’on paye maintenant ! Les riches au poteau ! Les privilégiés à la rue ! Qu’ils tâtent aussi d’ mon enfer !

    Mais je vais m’ faire ce type ! J’ vais l’ détruire ! Voyons voir… Quand la boulangère va me demander ce que je veux, j’ vais parler haut et fort au-d’ssus d’ ce type, comme s’il n’était qu’une chose insignifiante! une poussière, un rebut ! Humilié, écrasé le type ! Ou bien, quand il va se retourner avec son pain, je vais bloquer le passage l’air effaré, comme si j’étais en face de quelque monstre inadapté ! J’ veux qu’ le type se sente gauche, de trop ! Ou bien encore, j’opte pour le vieux truc : un coup de coude quand il passe à ma hauteur ! Oh, pas fort ! Faut pas qu’ ça dégénère ! Ça doit rester comme un accident !

    Mais j’ veux transmettre ma haine, toute ma haine ! Car personne ne me considère et ce type encore moins qu’un autre ! C’est pas qu’il me méprise, j’ai même pas croisé son regard ! Mais c’est son indifférence que je n’ supporte pas ! On doit s’occuper d’ moi ! A ce propos, il est l’heure d’aller manifester ! La Justice sociale n’attend pas ! Y vont voir c’ qu’y vont voir ! On s’ laissera pas faire ! Les aristos à la lanterne ! On paye ! On paye ! Ah ! Ça ira ! Ça ira !

    Tout de même ce type, à la boulangerie, une énigme ! Car c’était pas un richard ! Alors comment il fait pour être heureux ? »

                                                                                                              178

         Rimar fait un cauchemar… Où est-il ? Il n’y a pas de murs, ni de végétation, ni de ciel… Tout semble gris et Rimar ne voit même pas son corps ! Alors où est-il ? Il entend soudain des gémissements, des pleurs, des cris de douleur ! Il s’avance et voit des enfants couchés dans du sang… Ils ne bougent pas, ils sont morts, puis viennent ceux qui sont blessés, avec des pansements et des larmes ! Ils souffrent et des yeux regardent étrangement Rimar, comme s’il était un monstre !

    Cependant, deux enfants, un garçon et une fille, viennent donner leurs mains à Rimar, qui les prend ! Ces enfants-là n’ont pas de haine, ils accompagnent juste Rimar et celui-ci sent la chaleur de leurs petites mains ! Le roi commence à pleurer et c’est plus fort que lui ! C’est qu’il prend conscience du désastre, car l’enfant qui est en lui se réveille et reprend sa place ! Finis le mensonge, la haine, la peur de l’adulte ! Finis la politique, les grands discours, les apparats du pouvoir ! Rimar sanglote, non seulement à cause du malheur dont il est responsable, mais aussi parce qu’il se retrouve enfin, mesurant combien il s’est perdu lui-même !

    Avec le retour de son innocence, c’est toute sa folie, sa cruauté qui lui deviennent évidentes ! Les corps sans vie l’accusent et il est horrifié ! Il se réveille brusquement en sueur et il doit se retenir pour ne pas crier ! Il a été un enfant lui aussi, bien entendu ! Il était même plutôt sage, timide, aimant ! Il désirait plaire et il s’enchantait de la nature, de sa force et de sa vie ! Et voilà qu’il avait tué d’autres enfants ! Que s’était-il passé ? Son égoïsme, son orgueil l’avaient entraîné trop loin ! Il avait cru bien faire, mais il avait dépassé les bornes ! Il avait associé sa puissance à celle de son pays et plus il se montrait fort et plus celui-ci l’était également ! Il avait chassé tous ses adversaires dans ce but, parce qu’ils menaçaient la stabilité et le développement du pays !

    Mais vouloir dominer, être supérieur, c’était encore mépriser, écraser, détruire… et il avait commis l’irréparable ! Il était devenu un tueur d’enfants, un despote, un tyran, un monstre ! Ce cauchemar était pour lui un avertissement : il se savait damné ! Il fallait réparer, s’amender, demander pardon ! Il fallait tout arrêter, retirer ses troupes de la Kuranie, il était encore temps ! Le massacre devait cesser !

    Rimar se rongeait les sangs ! Il était en proie à la plus vive angoisse et il décida d’aller parler à Fumur, le chef religieux ! Celui-ci comprendrait le trouble, le revirement, les regrets de Rimar, son sentiment de culpabilité, car n’était-il pas un homme près de Dieu, attaché la vérité, à la paix, à la bonté ! Ne serait-il pas heureux de voir un assassin, oui, un assassin, reconnaître ses crimes ? Ne serait-ce pas là comme le retour de l’enfant prodigue, amenant la joie de Dieu ? La grandeur divine n’en serait-elle pas éclatante ?

    Mais, à la grande surprise de Rimar, Fumur entre dans une colère folle, en apprenant les nouveaux sentiments du roi ! « Mais tu veux ridiculiser le pays ? aboie-t-il au nez de Rimar. Mais t’es complètement givré, ma parole !

    _ Je n’ te comprends pas ! J’ai envahi la Kuranie injustement, par orgueil, pour sentir ma puissance ! parce qu’au fond je ne supporte pas qu’on m’échappe, parce que je voulais être le maître ! Or, Jésus lave les pieds de ses disciples, pour bien leur faire comprendre qu’il n’y a pas de maître ! seulement des enfants ! Et j’en tue ! Tu m’entends, j’en tue ! Je suis une abomination aux yeux de Dieu !

    _ Mais non, tu es l’un de ses fidèles serviteurs ! Regarde ce que tu as fait pour notre Eglise ! Tu l’as redressée, tu as remis à l’honneur le culte, tu as réparé les édifices qui en avaient besoin et tu en as construit de nouveaux ! Grâce à toi, Dieu n’est plus un paria dans ce pays ! Il t’en est reconnaissant, n’en doute pas !

    _ J’ai fait cela pour mon orgueil et celui du pays ! Ce n’est pas par véritable amour… et le résultat, c’est la mort d’innocents !

    _ D’innocents ? Des enfants de canailles et d’impies ! Tu l’as dit toi-même, tu combats la décadence et le péché !

    _ Assez ! Je sais bien pourquoi au fond j’ai agi !

    _ Et qu’est-ce que tu veux ? qu’on ait l’air complètement idiots sur la scène internationale ? « Excusez-moi, mesdames, messieurs, j’ crois que je me suis trompé ! Oups ! »

    _ Il y aura évidemment de la casse ! Mais je ne peux pas continuer à être un tueur d’enfants ! C’est Dieu lui-même qui m’a envoyé ce message ! Si tu avais vu leurs yeux ! J’ai été éclairé !

    _ Pauvre taré ! Y s’ra pas dit que tu nous mettras d’ dans ! »

    Fumur prend un poignard et le plante dans le roi, qui suffoque et agonise ! « C’est pour l’amour de Dieu ! » dit encore Fumur, qui regarde mourir Rimar.

                                                                                                           179

         Après la chute de Rimar, un bruit court dans RAM : les militants écolos se préparent à attaquer la ville ! Des commerçants, des banquiers prennent peur et s’agitent ! On protège les devantures, les vitrines, on se souvient des violences de l’extrême gauche ! On sait qu’elle prend pour cibles ce qu’elle considère comme des symboles du capitalisme et plus largement du pouvoir, qui est inévitablement associé au monde de l’argent, de la corruption et de la dictature ! Ce sont bien les exploiteurs et les profiteurs, qui sont à l’origine du réchauffement climatique, dans le cerveau à vif et confus des écolos !

    On barricade même certaines rues et des milices de droite, conservatrices, effectuent des contrôles, se mettent en position de défense, car on ne compte plus sur la police et on rêve aussi, il faut bien le dire, d’en découdre, de régler ses comptes, car la colère est comble de chaque côté ! Il y a bien longtemps qu’on supporte les excès du camp opposé sans broncher ! On s’est entraîné pour ce jour J ! La violence de la gauche a provoqué celle de droite et vice-versa ! On ne va pas jusqu’à se rendre compte de cette surenchère, mais au contraire on continue à croire en son bon droit et la relation de cause à effet entre les deux haines demeure occultée ! C’est à qui braillera et frappera le plus fort !

    A l’Assemblée, c’est l’ébullition et on se rejette les responsabilités ! Pour la gauche, cette menace qui plane sur la ville vient de l’inaction climatique du gouvernement ! Les orateurs de la droite, eux, fustigent le pompier incendiaire de la gauche, qui appelle régulièrement à mettre le feu aux institutions ! On crie et on s’insulte ! Plus pragmatique, le gouvernement déploie ses forces de sécurité, de sorte qu’elles repoussent l’attaque prévue ! C’est une ambiance de guerre qui s’installe ! L’inquiétude gagne la population et RAM retient son souffle !

    Cariou, comme d’autres, veut se rendre compte par lui-même de ce qui se passe véritablement et il prend la direction des plaines asséchées de RAM, là où la mer ne peut plus venir, à cause de barrières de détritus ! Dans cette partie, en effet, on découvre un spectacle grandiose ! Parmi une herbe jaunâtre qui ondoie, une foule est en plein branle-bas, telle une fourmilière dérangée ! Des jeunes en majorité donnent l’impression que les légions romaines sont en train de revivre ! On construit des chars, des engins capables de prendre d’assaut RAM, comme si la ville était entourée de remparts ! On fabrique des machines destinées à un siège, des béliers, des catapultes, avec des matériaux de récupération ! Le bois échoué ne manque pas par ici ! Les mouvements sont coordonnées, le travail d’équipe est absolument nécessaire et on comprend que les jeunes énergies y trouvent leur compte ! Elles ont enfin une belle raison de s’employer : le sauvetage de la planète ! La camaraderie, l’entrain, dans ces conditions, naissent naturellement et le bonheur devient une réalité !

    Cependant, Cariou ne perd pas de vue que le but de cette effervescence reste un affrontement, qu’il y aura de la violence et des blessés et que le résultat ne sera pas celui escompté ! On ne change pas les mœurs par la force et la tristesse et l’amertume seront les seuls sentiments qui découleront du champ de bataille ! Aussi Cariou veut-il parler, car il connaît bien les cœurs qu’il a sous les yeux et il se dirige vers un micro, qui sert à encourager tout ce monde ! Sur le chemin, on peut lire sur des pancartes le nom des groupes : « Les Révoltés de l’écorce », « Les Flibustiers de la justice », « Les Loups de l’arc-en-ciel », etc. ! La défense de la nature et l’indépendance de la pensée sont mis en exergue ! On est contre le système, car c’est lui qui réchauffe !

    Cariou arrive à convaincre celui qui tient le micro, d’abord parce qu’il dégage une autorité naturelle et ensuite parce qu’on ne refuse pas la controverse ! Cariou peut donc transmettre son message et il commence ainsi, par-dessus les préparatifs : « A quinze ans, je détestais les voitures ! Je m’enfonçais dans les bois, dans l’espoir de les oublier, mais, bien entendu, elles finissaient par réapparaître, car la civilisation est partout !

    Je maudissais la société, car je la savais hypocrite et égoïste ! Elle niait et elle continue à nier ses plaisirs ! Elle dit qu’elle détruit la nature par nécessité et c’est faux ! C’est sa soif de pouvoir et sa peur qui font qu’elle s’étend indéfiniment, en réchauffant la planète ! Voilà pourquoi je n’avais que mépris pour elle !

    Plus tard, j’ai été choqué de devoir prendre un compte en banque et même d’adopter une signature ! De quoi se mêlait-on ? N’étais-je pas libre ? Je n’ai pas non plus accepté la suppression des cabines téléphoniques à pièces, ce qui obligeait à acheter une carte, et jusqu’au bout j’ai résisté ! Cela peut prêter à sourire, mais, sachant la société mensongère et perdue elle-même, je n’allais pas non plus approuver ses décisions, en ce qui concernait ma liberté !

    Qui peut en dire autant ici ? En tout cas, vous voyez bien que je suis de votre bord ! Aujourd’hui, j’ai pratiquement la soixantaine et je vois les choses différemment ! Non que je me sois ramolli ! Je continue à lever les bras au ciel, dès que je vois de nouvelles destructions, de nouveaux chantiers, qui roulent la terre comme si c’était un vieux paillasson ! Mais ma haine, ma violence ont disparu ! C’est qu’entre-temps je me suis pacifié ! Je sais aujourd’hui que je peux faire des choses et d’autres non ! Comme vous tous ici j’ai mes limites ! C’est quand on les dépasse qu’on se blesse, qu’on se fatigue et qu’on perd sa lucidité !

    Or, beaucoup d’entre vous sont ici parce qu’ils se demandent s’ils en font assez ! Vous êtes gouvernés par vos inquiétudes, mais celui qui est en paix avec lui-même garde ses forces et cela lui permet de ne pas perdre de vue la complexité du monde ! Celui qui est en paix avec lui-même comprend la différence, il ne la rejette pas ! Or, rien que pour se nourrir les hommes ont besoin d’un travail et des entreprises qui les emploient ! Vous ne pouvez pas jeter ce système brusquement par terre, même si vous jugez qu’il pollue et qu’il y a urgence !

    D’autre part, vous n’ignorez pas que la plupart des gens sont paralysés par la peur et comment pouvez-vous imaginer que votre violence puisse les rassurer ? Vous n’allez que renforcer leur hostilité à votre égard ! Vous ne pouvez pas changer les hommes si vous ne les aimez pas, et c’est là que votre paix entre en scène ! C’est là que vous voyez qu’elle n’est pas du temps perdu ! »

    A cet instant, un jeune furieux et costaud se précipite vers Cariou et se saisit du micro : « N’écoutez pas les défaitistes ! dit-il. Ils vous diront que tout est inutile et qu’on n’y peut rien ! Nous, nous allons gagner, car nous le voulons ! Qui sauvera la planète ?

    _ Nous ! répond la foule, qui connaît déjà cette façon de faire de l’orateur.

    _ Qui ?

    _ Nous ! »

    Cariou hausse les épaules : il n’avait jamais pensé à arrêter les choses… Le plus facile, c’est de suivre sa haine, sa colère ! Mais, tout de même, il sait que ses paroles germeront, surtout quand viendra la déception de la bataille ! On ne détruit pas la différence !

                                                                                                  180

    « Eh, mais t’es complètement hors-sol, mec !

    _ Ah non ! C’est toi qui est complètement hors-sol, mec !

    _ Arrête un peu, j’ai jamais vu un mec aussi déconnecté que toi !

    _ Quoi ? Question déconnexion, tu bats tous les records ! T’es perdu, man, faut t’ faire une raison !

    _ Le mec complètement déconnecté !

    _ Le gars hors-sol complet !

    _ T’es violent, on dirait ! Respect, man !

    _ Je fais que répondre à ta violence ! Tu m’insultes, man !

    _ T’es une fiotte !

    _ Tention ! Tention ! Voyant homophobie, man !

    _ T’es un woke, c’est ça ?

    _ De la minorité intelligente, man ! Et j’ te vois pas parmi nous !

    _ Pourquoi qu’ t’es en train d’ sexualiser le débat ?

    _ Qu’est-ce que tu racontes ? J’ sexualise rien du tout !

    _ Oh ! Mais c’est pas l’envie qui t’en manque ! J’ le vois dans tes yeux ! Tu sexualises tout, man !

    _ Non, c’est toi qui me sexualises ! Je le sens partout autour de moi ! Tu m’enfermes dans ta sexualité !

    _ Peuh ! J’ai même pas encore choisi mon sexe ! Liberté, man !

    _ C’est pour ça qu’ t’as l’air idiot !

    _ De nouveau irrespect ! Le woke anti-woke !

    _ Le fasciste, c’est toi ! Grosse désillusion, man !

    _ Si j’suis fasciste, toi t’es nazi !

    _ Et tu continues ! Tu veux la vérité : tu nazifies tout ce que tu touches !

    _ J’ t’ai pas touché, man !

    _ Si, si, tu m’ touches avec tes mots ! T’es hyperviolent, man !

    _ Nouvel onglet, man !

    _ Quoi ?

    _ Change de disques, si tu préfères ! La case est vide, on dirait !

    _ Comment qu’ t’es violent ! Un vrai dictateur !

    _ Je nazifie grave !

    _ Tu parles surtout tout le temps de toi ! T’es un nombril, man !

    _ T’es schizo !

    _ Ouh là là, jamais vu un type aussi schizo !

    _ Et perroquet avec ça !

    _ T’es tombé sur un bec, man !

    _ Tu t’entraînes pour Vegas, c’est ça ? Tu vas faire un malheur !

    _ T’es raciste ?

    _ Qu’est-ce que ça vient faire là-d’dans ?

    _ J’ te demande si t’es raciste, oui ou non ? Réponds !

    _ Voilà que de nouveau tu m’ sexualises !

    _ N’importe quoi !

    _ Mais tu veux être le maître, sachant que je peux être une femme !

    _ T’es en train de me faire tourner en bourrique ! C’est typique du pervers narcissique ! Tu m’détruis, man !

    _ On peut pas détruire le néant ! T’es l’homme invisible, man !

    _ T’évites le débat !

    _ Tu lévites en bas !

    _ Laïcité, man !

    _ Cafard !

    _ Climatopathétique !

    _ Communiste !

    _ Capitaliste !

    _ Trotskyste !

    _ Léniniste !

    _ Vert !

    _ Rouge !

    _ Oh ! Le schiz !

    _ Oh ! L’autiste !

    _ T’es une véritable inflation, man !

    _ Mee to, first !

    _ Mytho first ! Tu veux dire !

    _ Ton âme est noire !

    _ Raciste !

    _ Hors-sol !

    _ République, man !

    _ Vote !

    _ Abstention !

    _ Constitution !

    _ Motion d’ censure !

    _ 49.3 !

    _ Ciseau !

    _ Papier !

    _ Pierre !

    _ Paul !

    _ Manif !

    _ Snif !

    _ Dégoûtant !

    _ Ecoeurant !

    _ Moi je !

    _ Encore !

    _ Plus !

    _ Précarité !

    _ Viol !

    _ Meurtre !

    _ Dégage !

    _ T’es grossophobe ?

    _ T’es fou ! T’es mon crush !  »

  • Les enfants Doms (T2, 171-175)

    Doms60

     

     

     

        "Tu crois quand même pas qu'on va s' faire des papouilles sous la douche!"

                                                    Le Maître de guerre

     

                               171

     

         Toujours à la recherche de la môme Espoir, Cariou rentre chez lui désabusé, fatigué et il ne sait pas trop bien pourquoi ! Si ça se trouve, la môme Espoir est là sous son nez et c’est lui qui cherche mal ! Et d’abord qu’est-ce qu’il fait tout seul ? Pourquoi n’est-il pas marié ? Une femme l’attendrait à la maison et il l’embrasserait tendrement, heureux de retrouver la chaleur du foyer ! Il aurait aussi des enfants, qui l’appelleraient papa et lui donneraient de la valeur ! Il sentirait le poids de sa responsabilité et il n’aurait plus de soucis à se faire, quant au vide de sa vie qu’il sent parfois douloureusement ! Il faut sans doute en mettre un coup, cesser d’être névrosé, pour rejoindre l’équilibre de l’ensemble ! Le temps des enfantillages doit se terminer ! Non décidément Cariou s’attache trop à lui, à sa personne ! Il ne fait pas assez confiance aux revues féminines de psychologie ! Il est resté ce gamin immature, impropre à la femme et à la société ! Bon sang, il va en mettre un coup ! « Cette montagne que tu vois là, on y viendra à bout, mon gars ! » chantonne-t-il !

    Soudain, on l’attaque ! Il reçoit une pluie de noix de cocos ! Partout des cris, des formes qui glissent, courent, viennent vers lui, alors que la rue s’assombrit, à cause du crépuscule ! On lui jette encore des bananes, des lunettes de soleil, du papier toilette, enfin tout ce qui passe apparemment à portée de mains de ses agresseurs ! Puis deux gorilles énormes, à la mine patibulaire, au mufle soufflant et menaçant, le coincent contre un mur, alors qu’une ribambelle de macaques s’agite derrière ! On est en pleine hystérie, mais l’un des gorilles demande : « Alors ouk tu vas comme ça, l’affreux ?

    _ Ben, chez moi…

    _ Hi ! Hi ! Y rentre chez lui ! Hi ! Hi ! fait un orang-outan à côté.

    _ Oh ! Oh ! Aahh ! Ahhh ! enchaînent les macaques.

    _ Ben nous, on n’aime pas trop les gens qui rentrent chez eux…, reprend le gorille.

    _ Non ?

    _ Non ! On trouve même ça suspect !

    _ Faut bien avoir un chez soi !

    _ Ouais, ouais ! J’ vois qu’ t’as réponse à tout ! Pas vrai les gars qu’il a réponse à tout ?

    _ Ouais ! Ouais ! Ouah ! Ouh ! Oh ! Hi ! Hi ! A mort !

    _ Tu s’rais pas un ami des riches, des fois ? demande le deuxième gorille.

    _ C’est un fasciste ! crie une voix.

    _ Ouais ! Ouais ! C’est un fasciste !

    _ A mort ! »

    A cet instant le gorille, qui semble le chef, se met à renifler sérieusement Cariou : « Hum ! Ça sent le bourgeois ! l’infamie ! la tranquillité de l’encaustique ! l’égoïsme de la pantoufle ! l’ennemi du camarade !

    _ Ouais, ça pue le joueur de tennis ! fait l’autre gorille, la fille à jupettes et le buveur de limonade ! C’est l’inaction sociale à l’état pur ! J’ parie qu’ tu fréquentes les bibliothèques, alors que le pauvre hurle dehors ! C’est l’intello stérile et méprisant !

    _ C’est un ami des riches, ça s’voit comme le nez sur la figure !

    _ C’est un fasciste !

    _ A mort !

    _ Voilà c’ que je fais avec les fascistes, dit le chef qui enfonce son poing dans la porte voisine et celle-ci, touchée en plein cœur, finit par s’écrouler. T’as peur, hein ?

    _ Mais non, j’ suis avec vous les gars ! Il faut renverser le gouvernement ! Il faut modifier la constitution ! Il faut que le pauvre triomphe du riche ! Il faut qu’il devienne riche lui-même ! C’est à chacun son tour ! Ah ! Là, là ! Si vous saviez comme j’aime la justice sociale ! Dès qu’ j’ vois un bourgeois, j’ lui crache dessus ! J’ vous assure ! J’ai déjà eu des ennuis avec la police ! Ah ça, y m’ont pas à la bonne ! J’ leur fais des misères ! J’ fais même exprès des fautes de français ! Car c’est la langue des riches ! Laisse-moi t’embrasser, camarade ! Montrons au monde entier ce que peut l’amitié ! Et le fasciste, mais qu’on le mette dans un camp et qu’on l’extermine ! Hein ? J’suis sûr maintenant que vous êtes rassurés sur mon pédigrée ! Pas vrai ? Ah ! Ah ! Et dire que j’étais triste de rentrer chez moi tout seul ! C’était sans compter sur les camarades ! C’est la fête à la bonté et à l’intelligence ! Un vrai feu d’artifice pour la justice sociale ! Ouh !

    _ Mais c’est qu’ tu te foutrais d’ nous ! Si ! Si ! Battez vos casseroles, les gars ! Car on en a un et un beau ! Où qu’il est ton costard, l’affreux ?

    _ Ouais, où est ton flouze ? Où sont tes mocassins, le riche ?

    _ Mais là où vous mettez vos piques et vos cocardes, mes canailles !

    _ Le masque est tombé ! L’heure du jugement a sonné et… ah ! ah ! t’as été reconnu coupable !

    _ Mince, j’ai un cerveau ! »

    Le gorille renifle et va pour frapper, mais soudain il y a un mouvement de panique chez les macaques ! Une silhouette vient d’apparaître, qui leur fait peur ! « La lèpre ! La lèpre ! La clochette ! La clochette ! » crient en tout sens les singes et le gorille lâche Cariou, qui se retrouve subitement seul, car toute la bande s’est enfuie ! La silhouette se rapproche et effectivement elle a quelque chose d’inquiétant, car on ne voit pas son visage ! Une robe de moine l’enveloppe entièrement et elle fait bien tinter une clochette ! « C’est la lèpre de la gauche ! » songe Cariou et il avale sa salive, alors que l’étrange personnage lui fait face, avant d’enlever sa cagoule !

    Mais le détective reconnaît une vielle connaissance et s’écrie : « Eh ! Mais c’est toi Silence ! Tu peux dire que tu tombes à pic ! »

                                                                                                      172

         « Et qu’est-ce qui vous fait croire que je connais cette femme, Belle Espoir ? » demande la jeune artiste. Vêtue d’une blouse blanche, elle est dans son atelier, qui est une grande pièce vide, avec des toiles et des tubes de peinture un peu partout… « Ben, répond Cariou, je me dis que comme vous vous intéressez à la beauté, vous devez avoir des sentiments, de l’amour, de l’admiration ! La grandeur de la vie ne peut pas vous être absolument étrangère… Vous êtes sans doute conduite à vous interroger sur son sens profond, d’autant qu’il paraît à l’opposé du mercantilisme !

    _ Mazette ! Quelle tirade ! A vôtre âge, il n’est pas bon de faire trop chauffer le moteur ! Relax l’ancêtre ! On respire et on reste efficace !

    _ Vous n’êtes pas sensible à la beauté ?

    _ Vous voulez parler des p’tites fleurs ou du pic bleu des montagnes ? Mais tout cela est dépassé depuis longtemps !

    _ Ah bon ?

    _ Mais oui, ce qui nous intéresse aujourd’hui, nous les artistes, c’est l’acte créatif en lui-même ! Il est parfaitement libre, grâce notamment à l’utilisation de toutes les techniques ! »

    A cet instant, la jeune femme presse une bombe, l’air soucieux, mais en même temps le jet de peinture vient couvrir une partie déjà plus travaillée, comme si l’artiste détruisait elle-même son œuvre ! « Ici, reprend la jeune femme, je brouille les pistes ! Je veux que le spectateur s’interroge sur lui-même ! Quels doivent être ses sentiments ? Quelle est la réalité ?

    _ Ah bon ? Vous voulez l’éduquer en quelque sorte… Vous vous sentez son maître… N’est-ce pas une manière de se masquer son propre vide ? »

    Il y a un froid, avant que l’artiste ne réplique : « Écoutez, vous me faites perdre mon temps ! J’ai une expo à préparer…

    _ Bien sûr, mais qu’est-ce que vous espérez au juste ? Pourquoi créez-vous ?

    _ Mais je veux que mon travail soit reconnu, car j’ai du talent !

    _ Vous allez être déçue…, car les autres ne vous aimeront que quand ils vous auront mis dans une bouteille, avec une étiquette dessus !

    _ Je n’ comprends pas ce que vous voulez dire…

    _ Vous ne croyez tout de même pas que nous puissions aimer ceux qui nous dominent ! Si vous voulez être connue, les autres aussi ! Ignorez-les et vous suscitez leur haine !

    _ D’accord, c’est une foire d’empoigne, mais je finirai bien par m’imposer !

    _ Mais vous ne serez jamais satisfaite ! Savez-vous ce qu’apporte la paix ? C’est la force ! Et la force de voir l’autre dans toute sa complexité, car il ne s’agit pas, bien entendu, de le détruire à cause de sa différence ! On ne fait que renforcer son opposition !

    _ Vous êtes quoi en définitive ? Une sorte de martien, venu nous délivrer un message dans sa langue ?

    _ Mais pour l’instant, je vous vois serrée sur vous-même ! Où sont les grandes ailes de l’art ? l’ouverture sur l’espoir et l’infini ?

    _ Du balai, vieux schnock ! Vous empuantissez mon atelier ! Et maintenant, je ne vois même pas pourquoi je vous ai accordé un peu d’attention !

    _ Vous êtes outrée qu’on ait pu vous parler d’égal à égal ? Je vais vous montrer qui vous êtes, vous qui vous prétendez artiste ! »

    Cariou sort son LAL et tire sur la jeune femme, qui a une légère secousse ! Puis, elle grandit démesurément, jusqu’à atteindre le plafond avec sa tête, de sorte qu’elle a subitement l’air à l’étroit ! Mais c’est son visage le plus effrayant : il témoigne de la colère la plus violente ! « Tu ne sais pas qui je suis, misérable avorton ! crie la jeune femme. Mais vous, les hommes, vous êtes tous pareils ! Vous vous croyez les maîtres, de vrais caïds ! Mais vous êtes des minables ! Moi, je suis géniale ! J’ai du talent jusqu’à la gueule ! Je vaux les plus grands ! Et on doit m’aduler ! Mais les mecs bloquent encore le monde ! Je vous hais ! Je vous hais ! Car je suis unique !

    _ Il n’est plus étonnant que vous méprisiez la beauté, car elle rend humble ! Elle est pourtant la clé du bonheur, car elle dit qu’il y a plus grand que nous !

    _ Grrr ! Toujours à bavasser ! »

    L’énorme poing de la jeune femme vient fracasser l’un des murs, après avoir visé Cariou ! « Olé ! » fait celui-ci, qui soudain, par la lumière qui émane de lui, crée des milliers de fleurs, comme autant de rêves colorés ! « C’est la richesse du cœur aimant ! » jette-t-il, avant de se sauver !

                                                                                                     173

         Un bouton d’or s’éveille sur un banc de vase et il regarde son reflet dans l’eau du marais : « Oh ! je brille déjà ! dit-il. Quel teint merveilleux j’ai ! Mais attention, le soleil va arriver et alors, ce s’ra la fête ! Illuminé que j’ s’rai ! La vie est belle ! Salut les oiseaux, les papillons et… » Mais soudain le bouton d’or se fige : sur le banc voisin, un crocodile pleure à chaudes larmes ! « Eh ben, mon vieux, qu’est-ce qui s’ passe ? demande le bouton d’or. T’as mal quelque part ? » Mais le crocodile ne répond pas et continue de gémir !

    « Si c’est ton microbiote qui t’ fait souffrir, reprend le bouton d’or, laisse-moi te donner un conseil : arrête la nourriture faisandée ! Cette détestable manie que tu as d’emmener tes victimes dans c’ vieux coffre-fort ! Car c’est bien un vieux coffre-fort qui t’ sert de frigo, non ? Un déchet ! C’est pas une décharge ici, j’ te rappelle ! Enfin, c’est pas sain et tu dois en subir les conséquences !

    _ Mais tais-toi donc, pauvre idiot ! Tu vois pas comme la situation est grave !

    _ Hein ? Qu’est- qu’il y a ? fait le bouton d’or qui regarde en tout sens. Quoi ? On va recevoir une bombe ? Alerte ! »

    Il sort un casque d’on ne sait trop où et un clairon, dans lequel il souffle ! « Aux armes ! » crie-t-il ensuite, puis avec sa bouche il mime une sirène ! « Eh ! Les nuages ! En avant, sus à l’ennemi ! On nous attaque ! 

    _ C’ que tu peux être con quand même ! lui lance le crocodile. Un vrai gamin !

    _ C’est pas la guerre, alors ?

    _ Nan ! Mais à la limite, je me demande si c’est pas plus grave !

    _ Toi, on ta volé le contenu de ton coffre-fort ! Je compatis, mais l’argent ne fait pas le… 

    _ Si c’était ça, j’ t’aurais déjà écrasé ! Tout le marais devrait avouer ! Chaque oiseau serait pressé par mes dents ! La moindre fourmi serait fouillée, retournée, démembrée !

    _ Ça va ! Ça va ! J’ te signale que t’as l’air d’aller mieux !

    _ Nan ! C’est la nuit, la tragédie, le gouffre, l’abîme glacé du désespoir sans bornes !

    _ Mais enfin de quoi tu parles !

    _ Mais bon sang, tu vois pas que tout fout l’ camp ! Le pays est aux mains de l’extrême gauche ! Les encagoulés sont partout ! Ils caillassent, agressent, incendient ! Le sans-culotte est de retour ! Le noble, c’est le capitaliste ! La bastille, la banque ! Marie-Antoinette, la bourgeoise !

    _ C’est vrai que l’antifa n’a pas inventé l’eau chaude ! Ils sont aussi violents que les fascistes ! Quelle absurdité !

    _ Les fascistes ? Mais il faut bien s’ défendre, contre ces tordus, ces monstres ! Va parler à un encéphalogramme plat ! Et puis y a les homos ! Et les enfants d’homos ! Toutes nos valeurs sont jetées à la poubelle !

    _ T’as peur pour la religion ?

    _ Un peu qu’ j’ai peur ! Tout est souillé ! On va bientôt retrouver les messes sacrilèges de la Commune ! Jésus sera mort pour rien !

    _ Allons, allons, la foi, c’est la confiance ! Regarde le temps de Dieu, il ne change pas ! Le soleil brille, les nuages vont leur train et les Demoiselles étincelantes ne pensent qu’à leurs amours !

    _ Païen !

    _ Dis plutôt que tu n’ sais pas regarder ! Comment peux-tu aimer Dieu, si t’es pas émerveillé par son œuvre !

    _ Mais y a danger, y a urgence ! Notre identité même est menacée ! Le marais est à nous, t’entends ?

    _ Oh ! J’entends ! Le marais est à nous ! Ton coffre-fort est à toi ! Etc. ! Ton égoïsme, tes privilèges n’arrangent rien ! Ton mépris même est provocateur ! Lâche du lest ! Comprends la peur des autres, puisque tu fais tant attention à la tienne ! Tout le monde n’a pas le même niveau intellectuel et…

    _ Chut ! Mais chut ! Y a un étranger qui s’ rapproche ! Il va mettre un pied dans l’eau, ce con ! Y croit qu’il est devant une piscine ! »

    Le crocodile glisse silencieusement sous la surface et file vers le bord, où l’étranger est bien tenté de se rafraîchir ! « Attention, l’étranger ! crie le bouton d’or. Y a le crocodile de l’extrême droite qui va t’ bouffer ! » Mais le bouton d’or est tout petit et sa voix ne porte pas assez loin. Soudain, le crocodile bondit la gueule ouverte et referme ses mâchoires sur du vide ! L’étranger terrifié s’est enfui en courant !

    « Ah ! Ah ! T’as vu ça ? fait le crocodile en retournant auprès du bouton d’or. Ah ! Ah ! Il était vert, le mec ! On va pas l’ revoir d’ sitôt !

    _ Et c’est moi, le gamin ! » dit le bouton d’or.

                                                                                                       174

          La Domination mange à sa table… Elle est sombre, pleine d’inquiétudes, de ressentiments, de plans ! Elle calcule, analyse, réplique, méprise… Elle dirige !

    L’enfant à côté rêve… Il n’écoute pas vraiment la Domination… Ce qu’elle dit, c’est comme un bourdonnement…, une sorte de menace pareille à un ciel orageux ! Il faut le surveiller, c’est tout, pour ne pas être victime de la tempête !

    La Domination grimace, contrôle, renifle, scrute, inspecte, soupçonne ! Il faut toujours qu’elle sente son pouvoir, sa puissance, son importance ! Son orgueil ne laisse rien lui échapper ! Et maintenant elle donne des ordres, elle commande, ça la rassure !

    L’enfant acquiesce, docile, mais il a préparé son sac… Il va s’enfuir ! Où ? Il n’en sait rien, mais il ne peut plus supporter cette situation : trop d’injustices, de misère, de souffrances ! Il faut partir, c’est inéluctable !

    La Domination aboie ! Que dit-elle ? Que l’enfant ne doit pas rêver ! Qu’il doit changer d’attitude ! Qu’il ne sait pas combien la vie est dure ! Qu’il faut travailler sans relâches, si on veut réussir ! C’est la peur de la Domination qui s’exprime, mais pas seulement ! C’est aussi sa soif de pouvoir, son épouvantable orgueil ! Car la Domination est la reine et veut être considérée comme telle, d’où l’enfant exemplaire, esclave, vitrine !

    L’enfant ne connaît pas la vie ? Vraiment ? Il obéit du matin au soir ! Il est pressé comme un citron ! Il pleure, mais qui s’en soucie ? N’est-ce pas de la faiblesse, des simagrées ? La vie peut-elle être plus dure ? Si on n’a pas à manger ? C’est ce que lui dit la Domination ! Mais celle-ci est-elle écrasée, surveillé, méprisée ? Est-elle esclave, prisonnière ? Peut-on connaître la vie, la différence, quand on est chef ? quand on commande ? On connaît une chose quand on ne la contrôle pas, c’est un des principes de la science !

    Ça y est l’enfant s’est enfui ! Il court, il galope, il est libre ! Bon sang que c’est bon ! Et la justice devient une espérance ! Mais l’enfant n’a pas vraiment le temps de rêver à nouveau, car où aller ? La Domination est partout ! Elle étend ses tentacules et l’enfant la retrouve en face de lui ! Que peut-il y faire ? Il ne comprend même pas la Domination ! Il est bien trop fragile ! Les secrets, c’est pour la force de l’adulte ! Le guerrier, c’est l’esprit mûr, qui a beaucoup vu et compris ! La joie, c’est pour l’esprit tranquille, libéré, serein ! C’est l’enfant réconcilié !

    Pour l’instant, l’enfant court… et il est rattrapé, ramené impuissant au pied de la Domination, qui est verte de rage, qui est dans une colère folle ! On lui a fait injure ! On a échappé à son contrôle ! On a ouvert la porte de sa peur, on va le payer ! On l’a ridiculisée, il n’y a pas de crimes plus grands et l’enfant va en subir les conséquences !

    Il est placé sur une table, à côté d’autres enfants, qui ont tous une clé dans le dos, ou bien qui sont tenus par des fils ! On les fait marcher et ils fonctionnent ! On les tient ! Mais l’enfant évadé pose un problème ! Comment se fait-il qu’il échappe au contrôle ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui manque ? La Domination frappe l’enfant sur la table, pour essayer de voir ce qui cloche… Peut-être aussi qu’en tapant d’ssus, on peut le réparer ? Des fois, ça arrive et ça évite beaucoup d’efforts !

    Mais cet enfant-là résiste et ce n’est pas normal ! La Domination est outrée, scandalisée ! Ne nourrit-elle pas ? Ne fait-elle pas tout pour le bonheur de l’enfant ? N’a-t-elle pas une vie de martyr, à essayer d’éduquer l’enfant ? Elle laisserait tomber l’enfant, si ça ne tenait qu’à elle ! Ainsi va l’aveuglement de la Domination et son hypocrisie ! A partir de là, elle peut être un monstre !

    Elle ouvre l’enfant sur la table, elle le dissèque, pour regarder à l’intérieur et découvrir le défaut du mécanisme ! L’enfant hurle, crie, pleure, demande pardon, supplie, mais la Domination veut vraiment comprendre pourquoi son pouvoir est inefficace ! Elle manie son scalpel et entaille ici, ampute là-bas, presse encore et écoute les plaintes ! Non décidément, elle ne trouve pas d’anomalies ! D’ailleurs, elle en marre ! La vie continue et il y a plein d’autres plaisirs qui occupent la Domination !

    Elle referme tant bien que mal l’enfant, qui ne bouge plus ! Peut-être est-il mort ? Où est l’enfant ? Il ne rêve pas, il ne souffre même plus, il est retranché en lui-même, dans un noyau apparemment ! Mais il est libre… D’un geste négligent, on lui fait signe qu’il peut quitter la table de dissection et il se relève hagard, vide, se sentant encore même vaguement coupable ! Dame, il ne serait pas comme les autres ! Il serait méchant ! Il n’aimerait pas la Domination, qui pourtant l’aime tant ! Quelle ingratitude ! Honte à l’enfant !

    Il titube en retrouvant l’air libre ! Il est couturé comme c’est pas permis ! Il sent toutes ses blessures ! De nouveau, il pense un peu… Il n’est donc pas mort ! Oh ! Il ne faut pas aller trop vite : sa tête est meurtrie, pleine de pansements ! Mais enfin il se remet à courir ! Les enfants, c’est plein d’énergie, de foi, de bonheur ! L’enfant court dans les bras de la reine Beauté, qui est là sous les arbres, où le soleil fait des émeraudes et des diamants ! Et la reine Beauté est pleine d’amour et elle console l’enfant ! Elle lui dit : « Regarde ! » et le spectacle commence, qui apaise et enchante !

    Ainsi l’enfant apprend !

                                                                                                       175

         Il est tard et Andrea Fiala rentre chez elle... Elle s’énerve un peu avec ses clés, quand une violente lumière lui cingle le visage ! « Mais qu’est-ce… ? fait-elle.

    _ Tout va bien, m’ dame ? demande un jeune gars, qu’on voit mal à cause de sa lampe torche.

    _ Mais oui, je rentre chez moi… Mais qui êtes-vous ?

    _ Ben nous, on est la milice des scouts, m’dame !

    _ La milice des scouts ?

    _ C’est ça, m’dame ! On protège les gens… et vu que l’éclairage public a une panne, m’dame, on a cru que vous étiez un voleur… ou une voleuse ! Ah ! Ah ! Mais ce n’est pas le cas, hein, m’dame ?

    _ Non, en effet, je rentre chez moi ! Mais vous défendez les gens contre qui ?

    _ Ben, contre les casseurs, m’dame ! Y sont partout, vous savez, avec leurs cagoules et y détruisent tout ! Y n’ont aucun respect m’dame et y sont dangereux !

    _ Et vous pensez pouvoir les affronter ? réplique Andrea, qui regarde une dizaine de jeunes apparemment assez frêles.

    _ Sûr, m’dame ! On s’entraîne pour ça ! »

    Le scout se tourne vers le premier qui est derrière lui et lui crie : « Baisse tes putains d’z’yeux ! Pompes pour tous, exécution ! » Les corps, à peine sortis de l’adolescence, sont allongés sur l’asphalte et se mettent à monter et à descendre ! Andrea en éprouve une vague pitié, mais en même temps elle reconnaît qu’ils ne badinent pas !

    « Chef ! Chef ! » fait une voix qui sort peu à peu de la nuit et un scout haletant court vers l’interlocuteur d’Andrea. « Chef ! Chef ! Y a un autre groupe qu’arrive ! J’ sais pas qui c’est, mais m’ont pas l’air gentils !

    _ Me regarde pas comme ça, idiot ! Baisse tes putains d’z’yeux !

    _ Oui chef !

    _ Eh mais, dit Andrea, vous n’ pouvez pas parler correctement à vos hommes ? intervient Andrea. Comment pouvez-vous après ça demander du respect ?

    _ M’avez mal compris, m’dame ! répond le chef. Y a pas d’chef ici, m’dame ! En fait, ils sont nouveaux et y a une grande fête de prévue dans la nuit ! Avant, faut aguerrir le groupe !

    _ Tout de même !

    _ On n’est pas des fascistes, m’dame !

    _ Eh mais chef ! Chef ! fait l’éclaireur. C’est p’têt des antifas qui arrivent !

    _ Baisse tes putains d’… Ouais, tout le monde en position ! Paré à l’ennemi ! »

    Les scouts se dispersent, sous les yeux médusés d’Andrea, comme si on tendait un guet-apens et bientôt d’autres silhouettes furtives apparaissent ! « Halte là ! crie le chef des scouts, en brandissant sa lampe torche.

    _ Halte là ! lui répond apparemment un autre chef.

    _ Qui êtes-vous ?

    _ Non, vous qui êtes-vous ?

    _ Milice des scouts !

    _ Milice des arbres ! Vous n’êtes pas en train d’ couper des arbres, par hasard ?

    _ Non, on protège la population des casseurs !

    _ Parfait ! Parfait ! Rien à voir avec nous autres ! Sortez de l’ombre les gars, c’est des amis ! »

    Par un coup de sifflet, le chef des scouts invite aussi ses hommes à quitter leur cachette et les deux groupes ont l’air de s’entendre… En tout cas, leur soulagement est palpable ! On finit même par se taper dans le dos, en souriant ! « Remarquez, reprend le chef des scouts, que l’agriculteur est maître chez lui ! Faut bien qu’il protège ses cultures !

    _ Et qu’il utilise des pesticides ? enchaîne interloqué le chef des arbres. Il a aussi l’ droit d’chasser, hein ? Détruire la nature, ça y sait faire ! Mais c’est qu’on défend les valeurs de droite, on dirait !

    _ Baisse tes pu… Oh ! Oh ! J’ sens subitement comme une odeur de gauche ! Le jean crasseux et la canette de bière ! La cuisine sale et les amours sur le lino !

    _ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente ceux qui vouvoient leurs parents ! Les amis du château, les traîtres de 40 !

    _ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente les intellos de gauche, la paresse au bout des ongles ! L’athéisme du cochon !

    _ Oh ! Oh ! Voilà des pollueurs !

    _ Oh ! Oh ! Voilà des casseurs ! »

    On entend une baffe, puis une autre et la mêlée devient générale ! Andrea soupire, rentre chez elle et retrouve le silence. Elle se demande comment elle pourrait de nouveau espérer et elle imagine soudain son petit appartement tel un vaisseau spatial, en route vers un nouveau soleil, un nouveau monde appelé intelligence !

  • Les enfants Doms (T2, 166-170)

    Doms58

     

     

       "Tu peux pas comprendre! C'était mon pote..."

                        Le Pacha

     

                                    166

         Anar discute avec son pote… « Moi, c’ que je veux, c’est ma liberté !

    _ Bien sûr !

    _ Sans la liberté, la vie n’a pas d’ sens ! Elle vaut pas la peine d’être vécue !

    _ J’ l’ai toujours dit !

    _ Un jour, j’ s’rai libre comme l’oiseau, comme le vent !

    _ Eh ouais !

    _ Ah ! La liberté !

    _ C’est queq chose !

    _ Y n’auront pas ma liberté !

    _ Ça non !

    _ Y a rien de plus beau !

    _ Sûr !

    _ Je veux ma liberté !

    _ Hon, hon !

    _ Ouh !

    _ Ouh !

    _ Une liberté d’ dingues !

    _ Tant qu’à faire !

    _ Tu veux que j’ te dise ce que c’est qu’ la liberté ?

    _ Allez, vas-y !

    _ Ben, c’est chanter la Terre soyeuse !

    _ Soyeuse ? Pas joyeuse ?

    _ Nan ! J’ suis libre, oui ou non ?

    _ Libre, libre !

    _ Ah ! Ah ! La flamme aussi est libre !

    _ Elle danse !

    _ Ouais !

    _ Tu voudrais pas foutre le feu, des fois ?

    _ Eh ! J’ suis pas débile ! J’ veux juste être libre, sans contraintes, ni lois !

    _ Sans bagnole, sans canne à pêche ! Libre, quoi !

    _ Exact !

    _ T’auras même plus envie de pisser !

    _ Tu m’ cherches ?

    _ Non, mais tu sais qu’il y a un animal en toi et qu’il a des besoins !

    _ Normal !

    _ Normal, normal ? Mais l’animal qui est en toi, il veut être le plus fort ! Tu le savais, ça ?

    _ Ben oui, il veut être libre !

    _ Non seulement, il veut être libre, mais il veut encore avoir raison sur les autres ! Il peut pas rester tout seul, sans rien faire ! Et ça, vouloir avoir raison, être le plus fort, c’est un sacré esclavage, non ?

    _ Qu’est-ce que tu racontes ? Moi, je veux juste être libre et en harmonie, avec la Terre ! Sinon, on la détruit !

    _ Bien sûr ! Mais, moi, j’ te parle d’instincts, comme la pulsion de faim ou la pulsion sexuelle ! On a besoin instinctivement de se sentir supérieur à l’autre…

    _ Euh…

    _ Dame ! Il s’agit de s’imposer, pour pouvoir se nourrir et s’ reproduire ! d’où ton idée de liberté, car elle te permet de te sentir différent, comme si les autres étaient esclaves et toi leur maître, leur libérateur! Tu songes à les commander !

    _ Mais non ! La liberté, c’est le partage, la reconnaissance de l’autre ! Chacun est libre et personne n’est chef !

    _ Mais on a besoin de dominer ! C’est pourquoi tu veux renverser la société ! Quand tu n’auras plus d’adversaires, tu t’en créeras !

    _ Nan, j’ veux juste être libre !

    _ Hum ! T’as pas envie de t’affranchir de ton égoïsme ? Tu pourrais être libre, sans vouloir changer les autres ! Car, tu comprends, détruire la société, c’est asservir les autres, c’est les faire obéir à ton point de vue !

    _ Mais c’est pour leur bien, puisque je les rends libres !

    _ Voooui, vooui, mais imagine, toi libre et comprenant qu’on ne change vraiment les autres qu’en les aimant ! C’est un truc qu’on pige avec le temps…, sinon il faut les détruire !

    _ Tu m’embrouilles avec toutes tes histoires !

    _ Excuse-moi, mais j’ croyais que tu voulais être libre ! Être libre, c’est être en paix avec soi, non ?

    _ Nan ! C’est quand y a plus d’ lois et d’ chefs !

    _ Autrement dit, t’es incapable d’être libre tout seul ! Il faut que les autres changent ! On en revient à la domination nécessaire ! Tu remarques que j’ai le triomphe modeste ! Tiens, repasse-moi l’ pâté, veux-tu ? J’adore ces discussions apéritives…

    _ Tu sais, j’ t’ai jamais vraiment kiffé ! C’ soir, on va chanter la liberté du feu… et t’en s’ras pas !

    _ C’est dégueulasse ! »

                                                                                                         167

         Cariou se regarde de nouveau dans la glace… Il tâte ses pansements : c’est pas bien joli, mais ça guérit tout de même ! Une idée lui a été soufflée par l’étudiante : la môme Espoir, toujours désireuse de bien faire, aurait été offrir ses services à un certain Malik, un vrai pauvre paraît-il, et ça tombe bien, car Cariou depuis longtemps désire rencontrer un vrai pauvre : il a un compte à régler avec eux !

    Mais cette fois-ci, en plus de son trench et de son chapeau, Cariou prend son LAL (la Lumière appelle la lumière), car il ne veut plus être pris pour un punching-ball et grâce au LAL, la vérité éclate, ce qui évite un tas de discussions oiseuses et de cruels malentendus !

    Dehors, il pleut comme vache qui pisse et RAM paraît encore plus morne que d’habitude, comme si une grisaille de deuil recouvrait la ville ! Cariou évite cependant les flaques, où des néons se reflètent, ainsi que des rêves perdus, et le quartier a de quoi faire frémir : aucune lumière ne tombe vraiment dans les fenêtres, qui ont l’air d’orbites creuses !

    Les logements sont donc sombres et exigus et la télé y fonctionne incessamment ! Cariou grimace en se rapprochant de la misère et pourtant certains et certaines ici lui sortent par les trous de nez, et Malik est peut-être de ceux-là ! Une colère sourde ne quitte pas Cariou, depuis qu’on le bassine avec la justice sociale, car les premiers à être égoïstes et hypocrites, ce sont bien les braillards qui la prônent ! Ils sont affreux en diable, car ils ne voient même pas les autres en tant qu’individus, ce qui crispe Cariou en l’obligeant à se calmer, quand il appuie sur la sonnette de Malik, car aussi l’injustice existe bien et il y a toujours beaucoup de souffrances !

    Malik est un type de taille moyenne, mais il est costaud, avec un visage agressif : « C’est pourquoi ? demande-t-il.

    _ Voilà je cherche cette fille, répond Cariou, en montrant la photo de la môme Espoir.

    _ Ouais, elle est passée par ici… Elle voulait nous aider qu’elle disait, mais je l’ai rembarrée ! On n’avait pas besoin d’elle !

    _ Est-ce qu’on peut en parler à l’intérieur…, car il se trouve qu’elle a disparu…. »

    Malik, à contrecœur, laisse entrer Cariou et une odeur un peu rance saisit celui-ci ! Tout ici paraît usé, jauni par le temps et Cariou se dit encore que la misère, c’est la pauvreté sans poésie ! Quand la ville n’est pas une vitrine resplendissante, elle est alors laide, il ne peut en être autrement, c’est le béton qui veut ça !

    Cependant, Cariou est aussi là pour résoudre une énigme et c’est pas seulement retrouver Belle Espoir! Il prend place autour d’une petite table, recouverte d’une toile cirée, et il jette un coup d’œil sur l’évier blanchâtre, au dessous du chauffe-eau ! « Qu’est-ce que vous voulez savoir ? fait Malik sans aménité.

    _ Vous m’ dites que vous avez rembarré la môme Espoir, alors qu’elle voulait vous aider… Pourquoi ?

    _ Parce que c’est toujours la même histoire ! Ces riches qui veulent s’occuper d’ nous ! On n’en a rien faire d’ leur pitié ou d’ leur condescendance !

    _ Vous n’auriez pas non plus essayé d’abuser de la môme Espoir ? Vous savez, le phantasme de la bourgeoise, en tailleur Chanel et qu’on viole pour la dessaler, question de lui apprendre la vie, d’autant qu’elle sent bon et qu’on l’imagine forcément frustrée !

    _ Oh ! Oh ! Pour qui vous m’prenez ! J’ suis un progressiste, moi, pas un voyou ! J’ respecte la femme !

    _ D’accord, mais y a quand même quelque chose qui m’ turlupine ! Comment vous faites, vous, les vrais pauvres, pour vous passer de Dieu ! Tout de même, travailler pour vivre, puis mourir et rien d’autre, c’est sacrément costaud ! C’est accepter le sort de l’animal, mais avec la conscience !

    _ Ah ! Mais nous, nous combattons l’exploiteur, pour que chacun ait la même richesse et comme ça on s’ra heureux, sans inégalités sociales !

    _ J’ comprends qu’on puisse lutter pour se défendre ! Il y a encore trop de conditions de travail pénibles et dévalorisantes, mais l’égalité ne peut pas être un but en soi !

    _ Ah non ? Et pourquoi ?

    _ Mais parce que la différence, c’est la vie ! C’est elle qui détermine notre individualité ! Tout le monde à un mètre cinquante, ce n’est pas seulement impossible, mais c’est même pas souhaitable ! Du reste, les communistes l’ont essayé et on connaît la suite !

    _ N’empêche, y a des exploiteurs !

    _ Oui et si vous les voulez au même niveau, c’est pour les détruire et vous sentir les maîtres ! Là, que vous n’ayez pas besoin de spiritualité s’explique ! Car vous êtes comme les animaux, vous ne vivez que pour votre domination !

    _ Et tu crois que je vais me laisser insulter dans ma propre maison !

    _ Et moi donc ? Chaque jour, on doit vous entendre brailler au nom de la justice sociale, alors que c’est votre égoïsme qui gueule ! Pas pour vous la patience, l’effort, la compréhension, la nuance ! Vous ne respectez personne, sauf vous-mêmes ! De véritables salopards !

    _ Grrr ! »

    Malik se lève et se prépare à bondir, mais avec la vitesse de l’éclair, Cariou dégaine son LAL et sans hésiter tire ! Il a une surprise : Malik a disparu, mais soudain un grognement terrifiant retentit sous la table ! Cariou se baisse et voit une hyène baveuse, les crocs à l’air, qui le fixe avec ses yeux de cendre ! Réprimant son effroi, il se place derrière sa chaise et recule vers la porte ! Il subit deux attaques, que repousse la chaise et ouf ! il ouvre la porte et referme derrière lui ! Les hyènes ne connaissent pas l’usage des poignées, c’est bien connu !

                                                                                                       168

         Mais où est Sullivan ? Dans le programme de Macamo sûrement, mais où exactement ? Sullivan se voit vêtu comme un infirmier et au milieu d’un couloir, qui paraît celui d’une maison de santé ! Il est au pied d’un escalier assez sombre et soudain il perçoit une plainte qui vient d’en haut ! Il s’apprête à monter, mais une femme, elle aussi en tenue d’infirmière, sort d’une porte et lui dit : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Il faut faire cette chambre, puis les autres !

    _ Il m’a semblé entendre une plainte, venant du haut de cet escalier !

    _ Il n’y a rien là-haut ! C’est juste le toit ! Vous avez dû entendre le vent ! »

    Sullivan acquiesce et va aider l’infirmière… Ils font le lit, rangent la chambre, nettoient la salle de bains, puis ils passent à la suivante et quand tout l’étage est terminé, c’est la pause, utilisée par Sullivan pour revenir sur ses pas, car il en est persuadé : il a bien entendu un gémissement !

    Le voilà de nouveau au pied du petit escalier, qui mène sous le toit, et sans plus attendre il monte les marches ! Effectivement, on arrive à un couloir mansardé, dont un côté, plongé dans l’ombre, semble inoccupé, mais de l’autre une porte est entrouverte, laissant passer la lumière du jour et quand Sullivan s’approche, il voit que quelqu’un s’agite dans la pièce ! Il ouvre un peu plus grand la porte et découvre une vieille dame, en fauteuil roulant et qui grimace pour installer une bouilloire électrique !

    « Laissez-moi vous aider ! » s’écrie Sullivan. La vieille dame se fige un instant, surprise, puis elle opine et laisse Sullivan mettre l’eau à chauffer. « Vous êtes toute seule ici ? demande Sullivan. L’infirmière de l’étage au-dessous m’a affirmé qu’il n’y avait personne ici !

    _ Oh ! Oui, je crois qu’on m’a oubliée…

    _ Mais comment vous faites ? Vous n’avez même pas de fenêtres pour voir dehors ! s’étonne Sullivan, qui ne voit qu’une tabatière pour ouverture.

    _ On s’ débrouille… On s’habitue…

    _ Mais… mais c’est impossible ! On ne peut pas vous laisser vivre comme ça !

    _ Vous êtes charmant, vous savez… Voulez-vous une tasse de thé ? Je n’ai pas souvent de visites… En fait, vous êtes le premier qui vient me voir depuis bien longtemps… Mais asseyez-vous, je vais vous préparer ça ! »

    Sullivan prend place en effet sur l’unique chaise et il observe la petite vieille, qui, grâce à quelques gestes d’experte, lui propose bientôt une tasse de thé... Ils se regardent l’un l’autre durant un instant, sans rien dire, puis Sullivan reprend : « Je ne comprends toujours pas… »  Il est accablé par l’abandon de cette femme, mais elle lui répond : « Vous savez, il n’en a pas toujours été comme ça ! A une époque, j’étais en pleine lumière et on me courtisait à l’envi ! Je rayonnais et j’avais un tas d’adorateurs ! (Elle sourit!) Oh ! Je n’étais pas seulement belle et on écoutait ce que je disais ! Ma beauté était aussi source de sagesse ! Mais, un jour, des hommes sont venus et ils étaient froids et hautains !

    _ Mais qui étaient ces hommes ?

    _ Des matérialistes ! Des scientifiques, des philosophes ! Ils m’ont dit que je n’étais qu’une illusion, voire une escroc ! (Elle sourit de nouveau !) Ils ont rajouté que je les gênais, pour qu’ils soient libres ! Ils m’ont ridiculisée, traînée dans la boue, avant de me conduire ici ! Je pense d’ailleurs qu’ils ont passé le mot, pour qu’on en vienne à m’oublier !

    _ Mais… mais vous ne pouvez pas rester ainsi ! Ce n’est pas une existence ! Écoutez, c’est le printemps ! Dehors, les jardins sont en fleurs ! Je vais vous descendre, car il n’y a pas d’ raisons, pour que vous ne puissiez pas profiter vous aussi du soleil !

    _ Vous croyez… ?

    _ Mais bien sûr ! Je ne sais pas qui étaient ces hommes, mais ils se sont comportés à votre égard avec la dernière brutalité ! Pour qui se prenaient-ils ? Alors, voilà, je descends d’abord votre fauteuil, à l’étage inférieur et je viens vous chercher !

    _ Vous allez me prendre dans vos bras ?

    _ Certainement ! Et après on prend l’ascenseur et hop ! on est dehors, à respirer l’air pur !

    _ Hi ! Hi ! Chic alors ! »

    Sullivan fait comme il a dit et lui et la vieille dame sont bientôt dans le jardin, où un phénomène extraordinaire a lieu ! Toutes les fleurs, toutes les feuilles semblent prises de folie, en s’agitant dans tous les sens ! Tout se passe comme si elles saluaient la vieille dame, telle une ancienne connaissance ! Elle-même paraît avoir rajeuni subitement : son visage a l’air d’un soleil, que prolonge ses longs cheveux d’or ! C’est une véritable fête à laquelle assiste Sullivan, bien qu’il la mette sur le compte de l’effet du vent et du bonheur retrouvé !

    « Je ne vous ai même pas demandé votre nom ! dit-il en riant à la vieille dame.

    _ Je m’appelle Poésie ! »

                                                                                                     169

         Mai 53 : les pylônes du nord, survoltés, se révoltent ! Ils n’ont pas assez de courant, disent-ils, et ils marchent sur Paris ! Des échauffourées ont lieu et la police disjoncte ! Le pylône Garcin s’écroule et il devient le symbole de la lutte ! Le gouvernement fait bientôt marche arrière et c’est le décret 2074, qui autorise les pylônes à posséder 2074 boulons (d’où le nom du décret) sur un seul côté !

    Avril 57 : les poissons de l’Essonne en colère ! On a autorisé l’élargissement d’un barrage en amont ! « C’est la fin du petit poisson ! » jette le syndicat Arrête ! La préfecture est prise d’assaut ! A l’intérieur, plus de quatre ordinateurs sont saccagés à coups de nageoires ! Une enveloppe de deux millions est débloquée ! Un leurre pour les syndicats ! « On n’a plus la pêche ! » renchérit le poisson !

    Juin 60 : la production de cheveux atteint 60 %! Du jamais vu, pour Charles le Chauve, patron du TIF ! Mais le contre-coup pour les ciseaux est énorme ! Les coupes dans le budget sont très sévères ! Les ciseaux à une lame sont proposés à l’Assemblée, par le groupe Shampoing ! Tollé de l’autre côté, dans le parti Acier ! Devant l’état d’urgence, la loi Pellicule est promulguée, montrant toute la fragilité du système !

    Décembre 72 : le secteur du pictogramme est menacé ! La concurrence chinoise est mise en cause ! Plus de trois pictogrammes sur cinq seraient chinois, selon une récente étude de l’AMRA ! Des mesures protectionnistes sont prises, mais insuffisantes selon les syndicats ! Un militant tente de s’immoler par le feu ! Ému, le gouvernement lance le programme « Ton pictogramme et toi ! » Cependant, la saison est désastreuse et de fortes pluies accentuent encore la précarité des pictogrammes ! « Nous ne céderons pas ! » disent Pierre et Jacques. Au lendemain de la manifestation du 3, le pays est sous le choc !

    Septembre 85 : les escargots en ont marre ! Ils accusent la haute restauration ! « Ils profitent de nous ! » crient-ils et les chiffres sont éloquents : à cause du remembrement, le déficit extérieur s’élève à plus de vingt milliards ! « On est dans une situation de fou ! » déclare La Coquille, qui a des antennes dans toutes les cuisines ! « Ça fait des années qu’on en bave ! Le gouvernement ne nous écoute pas ! » constate amère La Coquille. Les limaces se soulèvent à leur tour, suivies des punaises et des pucerons ! Le malaise est celui de toute une génération : on parle de fracture sociétale ! Le groupe Limace aveugle fait son apparition et les dégâts sont considérables ! En novembre, la parcelle de Saint-Ouen est le théâtre d’affrontements violents ! Démission du premier ministre La Bêche en janvier !

    Octobre 91 : les crapauds du Sud en ébullition ! Ils ne veulent plus être transformés en princesse ! « Non aux baisers, oui à la laideur ! » entend-on dans les cortèges. En fait, la colère gronde depuis que les grenouilles ont été privilégiées ! Celles-ci ont demandé deux nénuphars par centimètres carrés, or la législation européenne n’en autorise que trois aux millimètres carrés ! « En donnant satisfaction aux grenouilles, on a évidemment lésé les crapauds ! explique Couac, qui se baigne depuis toujours dans le même étang. Vous voyez le jonc là-haut ? A l’origine il venait jusqu’ici ! Puis, on se reproduisait par là ! Maintenant, on fait comment ? » Devant les mares, on voit des crapauds qui cachent leur misère, mais les besoins sont évidents ! Deux têtards sont tués à Melun et deux batraciens sont arrêtés ! « A mort ! A mort ! »  est tagué un peu partout ! En mai, la sécheresse est vécue comme une trahison ! L’apaisement ne viendra qu’en juin avec les premiers nénuphars en plastique, ce qui provoque l’indignation des écolos !

    Années 2000 : années noires ! Les moulins à café ne tournent plus ! Largement déficitaires depuis longtemps, ils doivent cesser toute activité ! Les employés fustigent le directeur Jacques le Manchot. « Il a coulé volontairement la boîte, disent les syndicats, car ils ne pouvaient pas s’en servir ! » « Handicaphobie ! » alertent les associations ! Les pourparlers avec le groupe Marc échouent ! Malgré l’occupation de l’usine, les licenciements sont nombreux ! « Tout le monde sera recasé ! » assure le ministre Grain, mais le scandale éclate : le Manchot aurait falsifié les comptes à tour de bras !

    Avril 2030 : crise des calendriers ! Ils réclament un mois supplémentaire, au regard de l’inflation !

    Mai 2045 : « Nous n’en pouvons plus ! » disent les lapins.

    Années 3000 : pénurie de botox, des salons ferment, des femmes se suicident ! Le lobby des rouges à lèvres est montré du doigt !

    Août 4010 : « Tous des salauds ! »

    8 mars 5060 : un homme est heureux, enfin satisfait ! Il est abattu immédiatement !

    Soleil naine rouge, clap de fin !

                                                                                                     170

         Andrea Fiala écrit : « Hier, Jack, Owen et moi, nous avons rebaptisé notre association l’OCED, anciennement OED, en SED : « Sauvons les enfants Doms ! » En effet, dès le départ, nous dire : Ennemi de… ou contre » nous gênait ! Nous ne voulons aucune haine, ni aucune violence, mais il s’agit bien de sauver des enfants d’eux-mêmes, car ils sont d’abord des enfants, pas totalement responsables de leur personne, et ensuite ils sont surtout les victimes d’une situation, d’un monde créé par les adultes ! Espérons que ce nouveau nom durera, la SED, et qu’un jour il sera connu, puisque cela voudra dire que nous avons été entendus et compris, quoique pour l’instant ce soit tout le contraire et que nous travaillions dans l’indifférence la plus totale !

    Il y a une raison à cela et nous allons encore l’expliquer, d’autant que nous rappellerons qui sont les enfants Doms et pourquoi ils sont des victimes (ce qui ne les excuse pas complètement cependant...) ! Mais nous savons que la domination animale nous anime et que notre égoïsme nous pousse naturellement à nous développer et à nous satisfaire ! Nous voulons donc une liberté complète et nous nous faisons fort de nous débarrasser de tous les obstacles, et c’est pourquoi nous parlons volontiers de justice sociale ou d’égalité ! L’histoire de l’humanité est celle d’une domination qui se combat elle-même ! Car toute domination engendre une autorité, un contrôle, des règles, des dogmes qui étouffent les autres dominations, déterminées à s’en défaire ! Ainsi, nous nous sommes libérés de l’influence religieuse et plus tard de celle du communisme et aujourd’hui, apparemment aucune idéologie ne pourrait nous conquérir ! Elle serait aussitôt relativisée et classée comme une opinion ! La vérité nous est suspecte !

    Pour nous rendre libres, nous avons naturellement fait appel à la raison et aux faits ! Nous avons eu recours à la logique et seule l’objectivité nous a paru acceptable ! La science moderne est né de ce mouvement et elle ne peut être que matérialiste, car aucun a priori ne doit être en mesure de fausser ses recherches ! Mais ce n’est pas uniquement la science qui a créé notre époque, c’est encore une forme de pensée, qui s’est demandé, quasiment avec acharnement, de quoi peut-on être sûr et comment vivre en s’appuyant sur son libre-arbitre, comme un homme essaierait de tenir sur un triangle ! Nous voilà donc perdus dans l’Univers, spectateurs de notre exploit, gouvernés par la raison, alors que l’océan de nos refoulements et de nos traumatismes nous taraude !

    Nous sommes devenus des étrangers au monde et à nous-mêmes ! Notre conscience nous embarrasse et nous ne savons au fond qu’en faire, à moins d’avoir une foi aveugle dans le progrès ! Aveugle, car l’impasse est bien là, comme le réchauffement climatique, qui nous condamne et que la science se révèle absolument incapable d’enrayer, car elle a beau présenter ses chiffres et sa logique, nous ne changeons pas vraiment nos habitudes, nos comportements ! Elle ne sait pas plus nous parler que les militants écologistes radicaux, qui par leur violence ne font que renforcer les haines et le rejet de leurs adversaires ! C’est que l’homme n’a jamais été et ne sera jamais que raison ! Il a besoin de rêver, d’espérer, d’être rassuré et même de croire ! Il n’est pas un titan de fer, heureux de son malheur ! Il sent instinctivement qu’il est sur Terre chez lui et qu’on s’occupe de lui ! Peu importe que ce sentiment soit obscur, irraisonné, il est ! D’ailleurs, qui pourrait vraiment résister à l’idée qu’il est absolument abandonné et que tous ses efforts sont vains ?

    Le matérialisme nous a été nécessaire, pour nous donner notre liberté, mais lui-même n’a pas échappé à la domination et il s’est même délecté, on peut le dire, d’abaisser, de ridiculiser toute subjectivité ! Ce n’est pas la seule raison qui l’a mené, mais quand il n’obéissait pas à la peur, car il ne veut pas être trompé, il a éprouvé une sorte d’ivresse à déchirer les anciennes croyances, comme le fauve sent sa puissance en terrassant sa proie ! Cependant, en chemin il a oublié quelque chose d’essentiel… Il s’est amputé de lui-même et s’est perdu, ce qui fait que notre époque produit des monstres, tels que les enfants Doms ! Si le ciel est vide, si nous sommes un accident dans l’Univers, si notre destin est de disparaître, sans laisser plus de traces qu’une pierre jetée dans l’eau, si nous comprenons que la raison triomphante est une illusion, alors notre seule planche de salut, c’est nous-mêmes, notre égoïsme, notre domination animale ! Comment ne pas être écrasé, anéanti par l’étrangeté du monde, sa différence, sinon en se construisant une bulle qui nous fait les maîtres, qui nous conduit au déni, au rejet de l’autre, à la violence et au chaos !

    A un stade ultime, notre bulle est notre tente à oxygène ! Sans elle, nous ne pouvons respirer et comment dans ces conditions la raison saurait nous atteindre ? Voilà pour l’impuissance de la science, face aux monstres qu’elle a en partie engendrés ! Les enfants Doms sont dans une bulle quasi complète et tuer d’autres enfants ne leur paraît pas condamnable ! L’égoïsme est tel que l’autre est abstrait ! Ceci explique aussi pourquoi on est aujourd’hui capable de nier les plus grandes évidences, au profit de théories complotistes ! Nos bulles ne veulent aucun courant d’air ! Mais qu’est-ce qui peut arranger la situation, si la raison devient inutile ? Qu’est-ce que le matérialisme a ignoré ou méprisé sur sa route et qui pourrait ouvrir les bulles ? Comment nous réconcilier avec nous-mêmes ? Comment redevenir bons, doux, et confiants ? Comment apaiser les enfants Doms, en leur montrant qu’il est possible de ne pas avoir peur ? Comment offrir de l’espoir, ce qui libérerait les enfants de demain ? Comment leur rendre leur innocence et leur légèreté ?

    Revenons en arrière…, car dès le départ les hommes, en admirant la nature, ont eu le sentiment qu’un dieu les avait créés, les aimait et les protégeait ! C’est ce message essentiel de foi et de confiance, que suscite la beauté, qui a été perdu et même raillé ! L’artiste a en effet été vu comme un malade, un inadapté, au point même que le scientifique pense pouvoir le remplacer, en s’imaginant le talent résultat de la volonté ! Le matérialisme s’oppose à la beauté en ce sens qu’il faut de l’innocence pour s’émerveiller de celle-ci et comprendre son message ! Autrement dit, l’enfant est sensible à la foi et il en garde toute sa force ! Le voilà capable de rassurer et de libérer les enfants Doms ! Inutile de dire que celui qui admire la beauté respecte aussi la nature et cesse de la détruire ! Retrouver le sens de la beauté est notre avenir, mais encore faudrait-il que le matérialisme reconnaisse son échec ou sorte de sa bulle et c’est loin d’être gagné !

  • Les enfants Doms (T2, 161-165)

    Doms55

     

     

        "Et tu sais pas qui j'ai rencontré? Teddy Bass!"

                                               Sexy Beast

     

                                   161

         Piccolo avance difficilement dans la neige… Il est déjà en sueur et il a les extrémités qui gèlent, car son sang a toujours mal circulé ! La voix de madame Pipikova vient lui battre les oreilles… Elle parle d’une estrade, située non loin de là, et elle dit : « C’est bien simple ! Seul celui qui travaille peut manger ! » C’est en effet la loi dans le camp de redressement matérialiste et Piccolo sent encore une fois le poids de sa hache, alors qu’il s’approche de l’énorme arbre qu’il doit abattre !

    Et vlan ! Et vlan ! Piccolo frappe, en alternance avec un autre détenu, et les copeaux volent, mais assez vite Piccolo n’en peut plus ! Il regarde ses mains et les ampoules qui y naissent ! C’est qu’il n’est pas habitué à ce genre de tâches ! Mais surtout il s’ennuie et il voudrait écouter le silence de la forêt, surprendre quelque animal ou admirer les formes neigeuses qui gouttent là-bas, dans le ruisseau !

    Autrement dit, il rêve et il se fait subitement reprendre par un gardien ! « T’as pas compris le message ! s’écrie celui-ci. Seul celui qui travaille peut manger ! Tu bosses pas, tu manges pas ! » Piccolo entrevoit le temps d’un éclair un poulet rôti, suivi de fraises à la crème chantilly et il a pincement douloureux au creux de l’estomac ! « C’est pas qu’ j’veuille pas travailler, dit-il d’un ton convaincu au gardien, mais j’suis pas doué pour le travail de force ! 

    _ Dis plutôt que t’es un fainéant de bourgeois !

    _ C’est pas vrai ! Donnez-moi une tâche moins pénible et j’ m’en acquitterai !

    _ Pfff ! Tu m’ dégoûtes ! Eh ben, va donc ramasser les branches, au lieu d’ rien foutre ! »

    Piccolo sourit et s’exécute ! Le voilà plein d’entrain à ramasser les branches, que l’on coupe sur les troncs couchés ! Les branches ? Mais ce sont de petits troncs ! Piccolo est surpris par leur poids ! Il vacille dans la neige, à les traîner ! Il s’effondre, se relève, déchire ses vêtements, s’écorche les mains et ne sent plus son épaule ! Il souffle comme un phoque, quand retentit de nouveau la voix de madame Pipikova : « Qui pose problème là-bas ? Évidemment, c’est Piccolo ! Piccolo l’intello ! l’exploiteur ! Piccolo, le capitaliste méprisant ! le bourreau du peuple ! le cauchemar du travailleur ! le roi de la casse sociale ! l’ami du CAC 40 ! le larbin de la dividende ! Encore un effort, Piccolo ! Par le travail, on guérit du mal ! On devient un camarade ! une abeille solidaire de la ruche ! On partage son miel avec les copains ! On est soucieux d’ la veuve et d’ l’orphelin ! On aide les vieux ! On accueille l’étranger avec le sourire ! On lui dit qu’il est ici chez lui ! On n’a pas d’ préjugés ! Le communisme, c’est l’ printemps sur Terre ! »

    « Qu’est-ce qu’on peut entendre comme conneries ! » se dit Piccolo, mais il joue le jeu et ne ménage pas sa peine ! Il trébuche encore en tirant une branche, à cause du terrain accidenté, mais son fardeau va rejoindre un tas déjà assez important et dont lui seul est l’auteur ! Puis, c’est le soir, l’arrivée des ténèbres et le travail cesse ! Les détenus sont mis en rang, pour être comptés, avant de pénétrer dans le camp ! L’impatience gagne tout le monde, même les gardiens, car chacun a froid et faim !

    On se précipite vers la cantine, mais là la déception est grande : il n’est pas question de manger à satiété ! On n’a droit qu’à une pauvre soupe bien trop claire, accompagné d’un croûton de pain ! Ce n’est pas assez et on regarde avec envie les gardiens, qui semblent avoir les joues bien rebondies ! On pense alors que l’encadrement se nourrit sur le dos du travailleur et que la corruption règne dans le camp, mais on s’en veut aussitôt : n’est-on pas de bons camarades ? Qui se permettrait, chez les communistes, de profiter de l’autre ? Pourrait-on imaginer chose plus insensée ?

    Cependant, c’est le coucher et les corps fatigués ne tardent pas à ronfler ! Seul Piccolo garde l’œil ouvert et attend… Il est aidé en cela par son estomac qui râle et bientôt, alors que tout le camp dort, il se glisse sans bruit à l’extérieur… Il file vers la baraque de madame Pipikova, qui possède une chambre indépendante et il y pénètre comme un chat ! Il se penche sur le lit de madame Pipikova, qui se réveille subitement : « Mais qu’est-ce… ? » fait-elle apeurée. Piccolo la bâillonne sans ménagement et la tire du lit, pour la faire asseoir à une petite table ! Il allume et prend place en face d’elle ! « Le bâillon dit-il, c’est pour pas que vous criiez ! Maintenant, écoutez-moi… Ils construisent un pont à deux kilomètres d’ici, vous le savez , bien sûr ! »

    Madame Pipikova opine et Piccolo reprend : « Bien ! Pour déterminer la résistance du pont, ils doivent résoudre cette équation à trois inconnues ! » Piccolo l’écrit sur une feuille blanche, sous les yeux médusés de madame Pipikova ! « Vous êtes d’accord qu’il faut construire des ponts et que c’est un véritable travail ! ajoute Piccolo. Vous allez donc résoudre cette équation, car seuls ceux qui travaillent peuvent manger… ou dormir ! C’est la loi du camp ! Allez ! »

    Madame Pipikova a le front en sueur et elle écrit : « Je ne sais pas faire ! 

    _ Mais c’est madame Pipikova la fainéante ! s’écrie Piccolo. La blonde farfelue des salons ! la riche oisive et méprisante ! la parvenue inutile ! la fille gâtée du bourgeois ! la planquée de la classe ! la camarade frivole ! Allez, vous connaissez la loi ! Seuls ceux qui travaillent peuvent manger… ou dormir ! »

    Madame Pipikova a envie de pleurer ! Son crayon tremble à côté des x et des y ! Piccolo lui tape sur la tête, en disant : « J’ai jamais vu une telle paresseuse ! Vous voulez pas bosser, c’est tout ! On y va là ! Vous en mettez un coup et vous pourrez aller vous coucher ! Non ? Montrez-moi le poil que vous avez dans la main, sale profiteuse ! Depuis quand vous abusez les autres ? Il faut bien le construire ce pont, non ? J’attends ! On a toute la nuit devant nous ! Vos larmes vous trahissent, vous savez ! C’est le regret de la trahison qui coule ! Quelle honte pour le parti ! Vous connaissez pourtant la loi ! Alors, ces trois inconnues, ça vient, camarade ? »

                                                                                                       162

         L’Humanité rentre ivre chez elle ! Elle chantonne, avant de trébucher dans l’escalier ! « Qu’est-ce que je tiens ! s’écrie-t-elle. J’ suis bon pour le plumard ! » Elle arrive en soufflant et en titubant devant sa porte… « Plus qu’une minute et j’ pourrais m’ coucher ! Le bonheur ! » pense-t-elle. Mais là, elle ne trouve plus sa clé ! « Nom de nom ! C’est pas vrai ! Merde alors ! » Elle essaie la clé de la Justice sociale, car elle lui rappelle quelque chose… Mais c’est pas la bonne et l’Humanité s’énerve : « Mais tu vas y aller, connasse ! Allez vas-y, nom de Dieu ! 

    _ C’est pas fini c’ boucan ! s’exclame le voisin du d’ssous, qui est sorti sur le palier.

    _ Va t’ faire foutre ! lui répond l’Humanité. Tu vois pas qu’ j’ai des problèmes, non ?

    _ Vous êtes encore bourrée, c’est tout ! Vous f’riez mieux d’arrêter d’ boire !

    _ Quand j’aurai besoin d’un sermon, j’appellerai l’ curé !

    _ J’ parie qu’ vous êtes encore en train d’essayer vot’ clé de Justice sociale… Pas vrai ? Mais la Justice sociale, elle commence par respecter ses voisins !

    _ Mais qu’est-ce qui m’a foutu un emmerdeur pareil ! Si j’ bois, c’est parce que j’ suis malheureux ! Boouou ! Et si j’ suis malheureux, c’est parce que j’ suis exploité par les nantis ! Y veulent ma peau ! Ils l’auront pas ! Foi de l’Humanité !

    _ J’ viens d’ vous dire que la Justice sociale commence par se changer soi-même… et qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes toujours le même braillard ! Vous m’ méprisez pas, peut-être ?

    _ Si et j’ devrais même recevoir la médaille du travail, rien qu’à supporter vot’ sale gueule !

    _ C’est bien c’ que je pensais… La Justice sociale, c’est pour les autres, pas pour vous ! Vous, vous avez l’ droit d’être égoïste ! C’est pour ça que vot’ clé, elle marche pas !

    _ Encore un mot et j’ descends vous foutre sur la gueule !

    _ Oh ! La pauvre victime des riches ! Vous êtes aussi con qu’eux !

    _ Grrrr ! »

    Le voisin hausse les épaules et referme sa porte… « Bon, laissons tomber la Justice sociale…, se dit l’Humanité. Euh, la clé de la Science ? Eh bien, voilà ma grosse ! T’es sauvée ! La raison, l’objectivité, c’est du sérieux ! On la fait pas à un scientifique ! C’est d’ l’acier 100 %! Ces mecs-là, on fait cette clé en s’défiant d’ tout ! La classe !

    Mince, c’est pas la bonne non plus ! Qu’est-ce que c’est qu’ ce micmac ? Y a bien une clé ! Y a bien une porte ! Elle est en bois la porte… Ça doit fonctionner, c’est logique ! Mais qui suis-je ? Qu’est-ce que la réalité ? Où sommes-nous ? Qu’est-ce qui me prouve que je suis bien chez moi ? Mon nom ? Comme si ça pouvait être aussi simple ! Hi ! Hi ! Putain d’ clé ! Voyons… Le progrès, c’est l’avenir… A moins qu’ ce soit l’inverse ? Bououh ! Ça y est, j’ viens d’ comprendre quelque chose de capital, grâce à la Science : j’ suis un étranger dans l’ monde, avec la conscience de l’être ! Rien à voir avec la poste évidemment ! Ah ! Ah ! Matérialisme à la con ! Même pas foutu d’ouvrir une porte ! A moi, la garde !

    Au nom d’ la liberté, d’ la raison, nous nous sommes séparés de nous-mêmes ! Nous avons rompu avec l’enchantement ! Nous voilà errants ! Nous courons comme le poulet qui a perdu sa tête ! Comment j’ pourrais rentrer chez moi… et être heureux, avec la clé de la Science ! J’ crois plus en rien, c’est pour ça que j’ bois ! Comme la porte ! Bon sang, j’ai tellement soif de légèreté, de rire, j’ voudrais être innocent ! Y a quelque chose qui va pas en c’ monde ! J’ai été un enfant, avec mes rêves… et maintenant, j’ n’en ai plus ! J’ suis complètement paumée ! Voilà ma liberté ! Ah ! Les salauds ! Les fumiers !

    J’ vois un parterre de fleurs… C’est magnifique toutes ces p’tites flammes bleues, dans l’herbe scintillante ! J’ suis charmé ! Mais y a une fille qui passe à vélo, avec des lunettes de martienne ! Elle m’ méprise, car elle me trouve justement « fleur bleue » ! Elle, elle travaille son image, son ego, ça c’est moderne, sérieux ! Bon !

    J’ vois un champ de colza et son jaune est éblouissant sous l’ soleil ! J’admire ! Mais derrière y a des tracteurs qui font un fracas épouvantable ! Y n’ont pas une minute à perdre ! C’est toujours pareil : « Qui va faire le boulot ? », « Comment on va croûter, si on s’ met à buller ! » etc. !  

    Moi, j’ai envie d’ danser dans la lumière ! J’ trouve ça merveilleux ! Mais les gens, c’est des portes fermées, toujours à gueuler, jamais contents ! Dans l’ noir on est ! Tiens, hips ! le mieux, c’est qu’ j’y foute le feu à cette putain d’ porte ! Là, j’aurai mon soleil ! Ma joie ! Et y s’ra pas dit qu’ j’aurais été le jouet des nantis ! Non m’sieur !

    Briquet, nous voilà ! Allez chauffe, l’ami ! Montre ton progrès ! Oh là, ça y est, y a d’ la flamme ! Chaud les marrons, chaud ! Dantesque ! C’est dantesque ! Le génie au service de l’homme ! Accident de l’Univers, je te salue ! Tu viens encore de prouver ta capacité d’adaptation ! Y avait un obstacle et il fume maintenant ! Je dédie ce feu à tous ceux qui m’ont éclairé ! à tous ces penseurs irresponsables, qui m’ont fait seule et hargneuse ! à tous ces champions vaniteux de l’objectivité !

    Eh ! Mais c’est que j’ brûle, moi itou ! C’est le triomphe de la justice sociale ! Hips ! J’ vois pas pourquoi j’ s’rai épargnée ! Oh là ! Mais j’ai mal ! L’horreur ! Les pompiers ! Où sont ces fainéants ? Alerte ! Du temps du communisme, y s’raient déjà là ! »

                                                                                                         163

         Le duc de l’Emploi déjeune avec son vieil ami, monsieur Nuit, au restaurant et ils sont bien entendu pressés, pleins d’eux-mêmes, se sentant importants, sur cette petite boule perdue dans l’Univers et qu’on pourrait comparer à une bulle de champagne, coincée au plus profond de l’océan Pacifique ! Un miracle d’oxygène, enveloppé d’une nacre bleue, voilà ce que nous sommes, mais qu’est-ce que ça peut faire au duc de l’Emploi et à monsieur Nuit ? Oh ! Ils ont bien d’autres choses à penser ! Ce sont des gens sérieux, c’est-à-dire très égoïstes, mais ils développent maintenant une étrange maladie, sans s’en rendre compte !

    Le duc claque des doigts, pour appeler le serveur, ce qui lui est habituel, car des gens doivent être à son service : ils sont payés pour cela et ce n’est que justice ! Les deux amis commandent leur menu et se font part des dernières nouvelles, en dégustant leur apéritif et quelques biscuits. « Tu as vu cette rage chez les militants écolos ! dit le duc. Ils sont complètement givrés ! Et tout ça au nom des carottes ou des pins !

    _ Pff ! Y veulent pas bosser, c’est tout !

    _ Tout juste ! Mais, dans l’ fond, j’ les comprends pas ! Quel intérêt y a à s’extasier devant les arbres ? La campagne, j’ trouve ça d’un ennui !

    _ Rien ne vaut un beau béton ! Quand j’ l’ entends être brassé, dans la bétonneuse, je me dis que c’est un peu ma bière ! Je me sens une âme d’artiste ! Le béton m’inspire, c’est comme ça, que veux-tu ?

    _ Haann ! Tout à fait d’accord avec toi ! Si j’ prends la route, j’adore quand elle éventre le paysage ! Ses bords relevés donne un aspect lunaire, lisse, quasi parfait ! Je suis en paix ! Je me dis que la civilisation avance et qu’on s’ra bientôt débarrassé d’ la nature ! »

    Les plats arrivent et les deux hommes « attaquent » avec entrain ! Dans la salle règne un brouhaha agréable, mais aussi concentré et on pense au chien qui est prêt à mordre, si on lui enlève sa pâtée ! « Je ne sais pas si tu es au courant, reprend le duc, mais ils ont découvert une nouvelle espèce de tique ! Alors, tiens-toi bien… La tique se tiendrait sur une branche… Elle serait là peinarde…

    _ Hon, hon… C’est chaud…

    _ Et elle attend le promeneur… Mettons une femme ! Elle a les épaules découvertes, avec son maillot de joggeuse, et la tique se laisse tomber ! Elle n’en fait pas plus ! Et là, tu sais, elle se glisse sous la peau, ni vu, ni connu !

    _ Pouah ! Comme s’il ne s’était rien passé !

    _ Exactement ! Ce n’est qu’après que les ennuis commencent ! La joggeuse est tout le temps crevée ! Elle n’a plus d’énergie… et elle pleure, seule chez elle ! Ses amis lui demandent ce qui ne va pas et elle en vient à les détester, car elle peut à peine leur répondre ! C’est la tique qui la bouffe de l’intérieur, dis donc ! Elle pompe sa victime, comme c’est pas permis ! Et on trouve des gens hagards, qui ne savent même plus leur nom, ni où aller ! On les conduit à l’hôpital et ils y restent pendant des mois ! On est incapable de trouver la tique !

    _ Il vaut mieux avoir la trique que la tique ! Ah ! Ah !

    _ Comment il est ton saumon ?

    _ Bien, bien, et ton steak ?

    _ Manque peut-être d’un peu d’ tendreté !

    _ Mais tu sais, y a plus dégueulasse que ta tique ! L’autre jour, à la télé, y avait un type qui se plaignait d’un mal de tête et d’ vertiges ! Il va chez son médecin et on lui fait des examens ! Et là, qu’est-ce qu’on voit ? Le type a un ver entortillé autour des méninges ! Y s’rait entré par l’oreille et il aurait fait des p’tits dans l’hypothalamus ! Ah ! Ah !

    _ Quelle horreur !

    _ Le plus curieux, c’était que le ver agissait sur les centres nerveux du type, pour lui faire croire qu’il devait manger d’ la terre ou des végétaux pourris !

    _ Tais-toi, j’ai commandé d’ la salade !

    _ Mais ils ont quand même sauvé l’ type ! Ils ont tiré sur le vers, ça pissait l’ sang, mon vieux ! Trente à quarante centimètres, il faisait le vers ! Fallait l’ voir s’ tortiller dans la bassine ! Et les p’tits, ils les ont eus par le nez !

    _ Si j’ comprends bien, le ver avait développé une stratégie, qui lui permettait d’ survivre !

    _ Il se servait de son hôte, comme on dit…

    _ Tu sais, j’ crois que la nature veut notre peau ! Attends ! Aujourd’hui, on en sait mieux sur la « com » des plantes… et j’ suis persuadé qu’elles s’organisent pour lutter contre nous ! Si je suis devant un rideau d’arbres, j’ suis pas dupe de leur silence, d’ leur immobilité ! Ça complote un max ! Sous l’écorce, ça grouille d’infos et d’ plans pour nous massacrer ! Et quel mépris ! Quand tu regardes les feuillages, ça te toise, mon vieux ! C’est narquois en diable ! Alors, je crie aux arbres: « Vous voulez not’ peau ? OK, mais on va voir qui est le plus fort ! J’ me présente ! J’ suis le duc de l’Emploi et j’ai tous les droits ! En mon nom, couic ! Vous s’rez tous détruits jusqu’au dernier ! » J’ peux t’ dire que ça moufte pas !

    _ Y en a qui tremble ! Ah ! Ah ! Mais t’as raison, même l’herbe est suspecte ! On a l’impression qu’elle voudrait retenir le pied ! Pour moi, c’est comme un grill vert, qui rêve d’une escalope humaine !

    _ Eh ! Mais voilà le directeur du Crédit Encore ! Eh ! Charles, on est là ! »

                                                                                                     164

         D’après Grant Espoir, sa fille aurait fréquenté un groupe de révolutionnaires, nommé l’Avenir en lutte ou AL ! C’est un mouvement qui se développe dans les universités et Cariou se rend dans celle qui aurait pu intéresser la môme Belle Espoir ! Il gare sa vieille autociel sur le parking du campus, en compagnie de véhicules bien plus pimpants que le sien, et il se dirige vers un bâtiment, parmi des gazons et des étudiants « à la cool » !

    Rien ne semble avoir changé depuis le temps où Cariou était étudiant lui-même… Les façades sont un peu plus modernes, mais c’est tout… A l’intérieur, on retrouve la même sensation de désordre, de crasse même, qui témoigne d’une sorte de mécontentement permanent, comme si ici d’emblée on luttait contre le pouvoir ! La jeunesse cherche à se libérer de l’autorité, pour se trouver elle-même et c’est en cela qu’elle est bienfaitrice et régénératrice, car elle amène des idées nouvelles et conduit les adultes à se remettre en question !

    Mais en même temps, bien entendu, elle est entière, essentiellement passionnée et elle n’a aucune idée de la complexité du monde ! Elle est aussi fragile et à côté de panneaux, hérissés de tracts agressifs, errent des étudiants hagards et perdus ! Beaucoup sont à la merci de leaders qui semblent sûrs d’eux et Cariou finit par rejoindre un amphi justement occupé par le mouvement AL ! Il s’agit d’un de ces éternels blocages de cours, au profit de n’importe quel prétexte ! Sur l’estrade, évidemment, c’est l’ébullition : on est choqué ! On trouve absolument scandaleuse la dernière mesure du gouvernement ! C’est inadmissible !

    Cariou descend les marches de l’amphi et s’assoit près d’une jeune fille séduisante : « Bonjour dit-il.

    _ Salut ! fait l’étudiante qui mâche une chewing-gum.

    _ Je cherche cette fille, enchaîne Cariou, qui montre la photo de Belle Espoir.

    _ Hon, hon, j’ la connais… Mais elle n’est plus ici…

    _ Ah bon ? Et ça fait longtemps quelle est partie ? »

    La jeune femme réfléchit, mais elle est interrompue par un grand gars, sur l’estrade et qui visiblement la considère comme sa propriété ! « Si on vous gêne, vous n’avez qu’à le dire ! » dit le gars, en fusillant du regard Cariou. La fille rentre la tête, mais Cariou, soudain en forme, demande : « Je peux vous rejoindre, pour dire un mot ? » Il y a un moment de flottement chez les leaders, mais Cariou ajoute : « C’est au sujet de votre combat… J’ai un élément qui pourrait l’enrichir ! »

    On fait signe à Cariou de venir et il monte sur l’estrade, avant de s’emparer du micro. En face de lui, il y a près d’une centaine d’étudiants et le détective commence : « Je sais ce qui vous préoccupe… Vous étouffez ! Vous êtes sujets à l’angoisse ! Vous avez soif de liberté et vous voudriez quelque chose à la mesure de votre idéal ! Vous sentez en vous une force incroyable, mais, en même temps, vous voyez la société comme un long tunnel, sans avenir ! Il vous faudrait travailler quasiment toute votre vie, à une tâche qui ne vous intéresse même pas, et tout ça pour avoir une retraite, la sécurité et la liberté, à un moment où cela devient inutile, puisque la santé se détériore et montre la mort ! C’est bien ça ?

    _ T’as parfaitement parlé ! crie quelqu’un.

    _ Très bien, mais je peux encore vous dire que pour l’instant vous êtes sur la mauvaise voie ! En vous attaquant au pouvoir, vous ne faites que suivre sa logique ! En effet, qu’est-ce que le pouvoir, sinon la domination d’un certain nombre d’individus ? C’est le sentiment de leur supériorité, c’est leur égoïsme satisfait et vous les imitez quand vous voulez vaincre, vous imposer, même si votre cause semble juste ! En voulant vous montrer les plus forts, vous rassurez et vous flattez aussi votre égo, ce qui fait que vous êtes les tyrans de demain ! »

    Il y a un murmure, avant qu’on entende : « Et qu’est-ce que tu proposes ?

    _ Je vous propose l’aventure spirituelle, qui elle, pour le coup, vous donnera le vertige ! vous fera danser au soleil ! vous comblera de force, d’enchantements et de rêves ! Elle fera tomber les chaînes de votre égoïsme et vous fera rire des gens de pouvoir ! Vous serez à la mesure du ciel bleu et des confins étoilés ! L’ennui, vous ne connaîtrez plus ! Chacun de vous peut être un funambule de l’infini !

    _ Mais qu’est-ce que tu racontes, mec ? fait le gars qui a déjà invectivé Cariou. T’es bigot, c’est ça ? Tu veux qu’on tende nos fesses, pour la sodomie ? T’as cinq ans d’âge mental ?

    _ La haine et la violence ne font que renforcer la haine et la violence : c’est un cercle vicieux ! Sois enfin nouveau, sois divin ! »

    A ce moment, des CRS envahissent peu à peu l’amphi et ils ont l’air de gros insectes ! L’un d’eux, avec des cheveux gris, parle dans un megaphone : « Vous êtes priés d’évacuer l’amphi, dans le calme, afin que les cours reprennent normalement ! Ne nous obligez pas à utiliser la force, merci ! »

    Le plus gros des étudiants s’en va et Cariou aussi s’écarte lentement, car il ne veut pas être pris pour l’un des meneurs, mais celui qui n’aime pas le détective pense qu’il doit résister sous les yeux de sa copine et il réagit vivement, alors qu’un CRS le pousse ! C’est le feu aux poudres et la libération des frustrations, accumulées de chaque côté ! Il y a des ruades et les coups pleuvent ! Cariou essaie de se glisser vers la sortie, mais il n’échappe pas à la matraque et de nouveau, il tombe dans la nuit la plus profonde !

                                                                                                     165

         Un peu plus tard, Cariou rouvre les yeux et voit le beau visage de la fille de l’amphi… « Où suis-je ? fait-il. Au paradis ?

    _ Non, répond l’étudiante qui sourit, j’ai réussi à vous tirer de la mêlée…

    _ Merci ! Ouïe ! Aïe ! laisse échapper Cariou, qui se remet sur son séant. Oh, ma pauvre tête !

    _ Vous avez dû prendre un bon coup… Quelle bande de sauvages, tous autant qu’ils sont !

    _ Vous l’avez dit ! Je sens que je peux me lever…

    _ Je vais vous aider... »

    Ils sortent du bâtiment et retrouvent l’air attiédi du printemps… « On respire mieux ici ! lâche avec un soupir Cariou.

    _ Euh… Vous parliez sincèrement tout à l’heure, au sujet de l’a… venture spirituelle !

    _ Bien sûr ! Et c’est même la seule chose qui me paraît sérieuse !

    _ J’aimerais y croire, moi aussi… Comment faudrait-il que je fasse ?

    _ Ben d’abord, qu’est-ce que vous faites avec ces types ? Ce sont des margoulins, des menteurs ! Ils disent qu’ils ne veulent pas du pouvoir, mais c’est bien pour s’affirmer, pour qu’on les considère qu’ils combattent ce même pouvoir ! Autrement dit, ils dénoncent l’égoïsme ambiant, mais pour nourrir le leur !

    _ Je sais bien… et c’est pourquoi votre franchise me touche autant ! Mais j’ai peur… J’ai peur d’être seule ! J’ai même peur de m’opposer à eux !

    _ Vous savez, la foi, c’est la paix ! Il n’y en a pas d’autres ! C’est le rocher, quand le courant emporte tout, car c’est la vérité ! Mais c’est aussi quelque chose qui se travaille ! C’est un amour, ce n’est pas une histoire triste ou destructrice ! Ce que vous comprenez vous rend heureuse !

    _ Il faut quand même faire des efforts…

    _ Sans doute, mais chaque pas vous conduit vers vous-même ! La foi libère ! C’est un amour, je vous le répète, nullement une servitude ! Considérons par exemple votre pouvoir de séduction ! En ce moment, vous vous rassurez grâce au désir que vous éveillez chez les hommes ! Pas vrai ?

    _ Oui…

    _ Si vous plaisez, si vous attirez, alors vous avez le sentiment d’exister et de réussir ! Bien sûr, il y a encore le travail, qui vous donne le sentiment d’être utile ou importante, mais votre séduction reste nécessaire ! Elle est plus intime et au cœur de votre développement… Mais, en même temps, si elle seule vous rassure, vous ne serez jamais en paix, car il vous faudra toujours être le centre d’intérêt, ce qui sera épuisant pour vous, comme pour les autres ! Et quel trouble et quelle haine face à l’indifférence !

    _ Vous avez raison, d’autant que les hommes sont bien décevants !

    _ Ah ! Ah ! Mais oui ! Mais votre séduction est votre domination ! C’est elle qui vous donne le sentiment de votre pouvoir ! C’est aussi la source de votre égoïsme, de vos soucis, de vos inquiétudes ! C’est votre poids et pour devenir léger, il faut s’en débarrasser !

    _ Mais comment ?

    _ Mais en ayant confiance, en aimant ! Ainsi vous deviendrez patiente et plus rien ne vous troublera ! Plus vous serez patiente et aimante et plus vous allez constater que nos problèmes ne sont pas du tout ce qu’on voudrait nous faire croire !

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ Mais ce n’est pas le besoin de manger, ni les exploiteurs ou l’Etat, ou que sais-je d’autres, qui nous tourmentent et nous détruisent ! Mais c’est bien notre orgueil, notre égoïsme qui nous fait souffrir et nous conduit à mépriser ! Si chacun aimait au quotidien, mais rien ne nous manquerait et nous n’aurions besoin de rien d’autre ! Aujourd’hui, nous n’avons pas faim, mais ce qui nous préoccupe, c’est le surpoids !

    _ C’est vrai, mais nous sommes durs…

    _ La peur y est pour beaucoup, d’où la confiance ! Celui qui est patient est doux ! Mais le mensonge est permanent, d’autant qu’il confine à l’ignorance ! Bon, n’essayez pas de voir trop clair en vous… Cela épuise… Aimez surtout ! Les femmes sont meilleures que les hommes pour ça : elles ont plus de passion !

    _ Vous m’avez fait du bien…

    _ N’hésitez pas à observer, à contempler la nature… Elle est le miroir de Dieu et son temps est le sien !

    _ La nature ? Il n’en reste plus grand-chose !

    _ C’est pour ça que les hommes deviennent fous ! »

  • Les enfants Doms (T2, 156-160)

    Dom50

     

     

       "Bon, pour les Mirages, le ministère est OK! Le problème, c'est le gardien du hangar! Il demande deux millions! Deux!"

                                      L'Incorrigible

     

                               156

         Cariou se regarde dans la glace et ce n’est guère brillant ! Sa joue est comme marquée au fer rouge et il a l’impression que ses dents ont changé de côté ! Mais c’est le corps qui est le plus stupéfiant : il est couvert de bleus ! Ah ! Ils l’ont bien rossé les vaches ! De beaux tarés !

    Cariou sort de la salle de bains et se fige : un inconnu est assis sur son divan ! L’homme est serré dans un imper et il a une face anguleuse et sinistre ! Il prend sur la table son silencieux et fait signe à Cariou de prendre place en face de lui, dans un fauteuil… « Comment êtes-vous entré ? demande Cariou.

    _ Aucune porte ne me résiste, ni même aucun secret ! répond-il avec un petit rire.

    _ Très drôle ! Et qu’est-ce que vous voulez ?

    _ J’ai eu le temps d’observer votre appartement et bien entendu il reflète votre personnalité ! Je vois que vous êtes naïf au point d’aimer la peinture !

    _ J’ai cette faiblesse effectivement...

    _ Moi, toutes ces jouissances anales me dégoûtent !

    _ Quoi ?

    _ Toute cette sublimation, si tu préfères, mon pote ! J’ suis un freudien ! On est né dans le stupre et on retournera dans le stupre ! Le reste…

    _ C’est pas gai par chez vous !

    _ C’est réaliste ! L’homme n’est rien, à peine plus qu’une chimère !

    _ Et en plus il fait des cauchemars, parce qu’il ne peut pas coucher avec sa maman !

    _ J’ t’aime de moins en moins, mon pote !

    _ Comment ? Une chimère qui s’offusque ? »

    L’homme se lève, prend son pistolet par le canon et en donne un violent coup sur le nez de Cariou, avec la crosse ! Ça fait un mal de chien ! Cariou a envie de se tordre, tandis que la douleur lui fait comme une nappe dans le cerveau ! Le sang coule aussi abondamment par la narine… « Ne crois pas, dit l’homme, que je sois agressif parce que je suis refoulé ! Mais j’aime pas qu’on manque de respect à moi ou à Freud !

    _ Bien sûr ! Le freudisme est objectif ! Tellement qu’on peut se demander si Freud a vraiment existé !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu veux encore un coup ?

    _ Non, mais je me dis que des gars, à force de s’effacer devant la vérité, ont peut-être fini par disparaître !

    _ Ça y est, j’y suis ! T’es un malin ! Si, si t’es un malin, un rigolo !

    _ T’oublies pas qu’on n’est que le jouet d’ son inconscient ! J’ suis pas responsable !

    _ Voire ! Moi, j’ai fait une analyse et, eh ! eh ! j’ me connais maintenant par cœur ! Mais comme ça été dur ! Il a fallu que je dise bien des choses… J’ai dû faire preuve, euh, euh, d’humilité, c’est ça ! C’est dépasser sa honte qui est difficile, comme m’a dit mon thérapeute ! Je l’aime beaucoup, tu sais ? J’ pense toujours à lui avec tendresse, car y m’a bien libéré !

    _ Sûr ! Te voilà un grand sage à présent ! Aucun mépris pour l’art chez toi, ni chez Freud ! C’est pas vot’ truc, c’est tout ! La différence, vous ne la piétinez pas ! Vous lui crachez d’ssus, mais parce que vous êtes victime de la vérité ! Dis-moi, tu fais toujours l’amour par hygiène, pour fermer un peu les yeux sur le vide du cosmos ! »

    Vlan ! Cariou est frappé sur la bouche et ses lèvres éclatent : il a l’air d’une tomate bien mûre ! « Tu m’énerves, mon pote ! Qu’est-ce qui t’a rendu enragé comme ça ? La frustration ? T’es typiquement anal ! Mais tu parles du néant et c’est pour ça que j’ suis là ! Je cherche la môme Espoir…

    _ Pourquoi… ? demande Cariou péniblement.

    _ J’ voudrais justement qu’on s’ fasse pas de fausses idées… L’homme est traumatisé par les religions et il se sent coupable de jouir sexuellement ! La raison peut l’aider à trouver son équilibre, mais la môme Espoir, elle, elle raconte plein de fariboles ! J’ suis sûr qu’elle croit encore à l’astrologie… Alors, je vais la descendre au nom du progrès !

    _ Je me demande si Freud ne voyait pas le centaure comme un idéal : garder un membre de cheval, avec une tête d’homme !

    _ Où est Belle Espoir ? Ne m’oblige pas à t’envoyer une balle dans l’ genoux !

    _ A ton avis, quand le Viennois a passé l’arme à gauche… Il a été stoïque ou il s’est mis à pleurer comme une madeleine ?

    _ Sale ordure ! J’ t’ai déjà dit de pas parler d’ Freud comme ça ! Il est sacré pour moi !

    _ Ouais, t’aurais même voulu être son giton, s’ pas ?

    _ Grrrr ! »

    L’homme s’élance de nouveau, mais cette fois-ci Cariou est paré ! Il reçoit son attaquant sur un pied plié, quand de l’autre il fait brusquement basculer le fauteuil ! C’est une planchette japonaise qui envoie l’individu dans les airs, avant qu’il ne fracasse la baie vitré et ne chute vingt mètres plus bas !

    Cariou se penche pour voir et dit : « Y a pas ! Freud avait raison : on veut tous retrouver la position fœtale ! »

                                                                                                         157

         Andrea Fiala rentre chez elle, mais elle est stupéfaite d’y trouver deux types, qui mettent le désordre partout ! Ils sont bizarrement habillés, ils portent tous deux une tenue moulante noire, surmontée d’un petit chapeau melon, ce qui fait qu’ils ont l’air d’artistes de music-hall, d’autant qu’une fine moustache orne leur visage ! Mais leur corps n’est pas ferme et leur graisse apparente n’a rien de gracieux ! Ce défaut d’harmonie laisse supposer une vanité extrême et donc une violence qui peut surgir à tout moment, car, quand on se croit supérieur à l’autre, on peut aussi l’écraser sans état d’âme ! En définitive, ils dégagent quelque chose d’obscène et de terriblement inquiétant !

    « Tiens, écoute ça ! fait l’un en ignorant totalement Andrea et il lit le journal de celle-ci. « Il existe certainement un lien entre la domination et la perception de la beauté ! L’individu qui domine, même grâce au savoir, ne peut que mépriser la beauté et il ignore encore sa propre domination, puisque ce n’est qu’en se libérant de son égoïsme qu’on en prend conscience ! »

    _ Quel charabia ! dit l’autre. Et il y en a des tonnes comme ça !

    _ Oui, comme la poussière est la doxa !

    _ Mais peut-être le cas est-il désespéré ?

    _ C’est qu’elle a l’air carré !

    _ Mais enfin qui êtes-vous et qu’est-ce que vous faites chez moi ? s’écrie Andrea.

    _ Nous sommes la brigade anti-beauté !

    _ Les illusions nous font roter !

    _ Mais vous n’avez pas vu not’ numéro !

    _ Attention ! Un, deux, frérot ! »

    Les deux hommes se mettent à danser, comme sur une scène de théâtre ! Leur spectacle est parfaitement au point et chacun a sa réplique, tout en simulant des émotions ! « Nous sommes la brigade anti-beauté !

    _ Les illusions nous font roter !

    _ T’as un idéaliste près d’ chez toi ? Appelle la brigade !

    _ Nous accourons ! Nous traquons ! Reste pas en rade !

    _ Not’ saint patron, c’est la raison ! Notre ennemi c’est l’ rêve !

    _ T’endors pas, ouvre les yeux, sois courageux ! La fée, on t’ l’enlève !

    _ De quoi est-on sûr ?

    _ Que marcher use les chaussures !

    _ Quelle est la logique ?

    _ Que la nature est mécanique !

    _ Oh ! De l’anthropocentrisme ! J’enrage !

    _ Ah ! Nulle superstition dans ma cage !

    _ Droit dans mes bottes, au service du progrès !

    _ Chaque matin, la science est mon agrès !

    _ C’est elle qui nous sauv’ra !

    _ Nous sommes les rats…

    _ De l’essentiel !

    _ Les raaaats (ils chantent ensemble)… tionnnellls ! »

    Ils saluent avec leur chapeau, triomphants, après avoir sautillé et allongé leur museau dans tous les coins ! « Je t’ai trouvé merveilleux, dit l’un.

    _ Oui, c’est pas demain qu’on s’ra vieux ! 

    _ Qu’est-ce qui m’a foutu deux débiles pareils ! lance avec colère Andrea. Allez dégagez !

    _ Oh ! La donzelle…

    _ Est chez elle !

    _ Encore une qui fait d’ l’art !

    _ Encore une tête de lard !

    _ Une névrosée, etc. !

    _ Mais l’homme vaincra ! »

    Ils s’approchent d’Andrea et la pincent douloureusement ! « Nous sommes rationnels, reprend l’un à l’oreille d’Andrea.

    _ Surtout pas d’ ciel ! dit l’autre. 

    _ J’ te signale que j’ai fait pipi là-bas !

    _ Et moi caca ! De quoi être baba !»

    Andrea se met à pleurer : elle a mal et veut crier ! « On r’viendra, si tu rêves encore !

    _ On t’ travaillera au corps !

    _ Pour ton bien, car on n’est rien !

    _ Rien qu’ des acariens !

    _ Pas d’ mensonges ! Pas d’miracles !

    _ Pour la rime, je racle !

    _ J’ voulais t’avoir !

    _ Oui, ton âme est noire !

    _ Mon âme ?

    _ Ton âne ?

    _ Ouh !

    _ Hi ! Hi ! »

                                                                                                      158

         Sullivan est de retour dans le Métavers, guidé par le programme de Macamo, et il retrouve le Magicien près du ruisseau ! Celui-ci les rapetisse à nouveau et ils vont dans la prairie d’en face ! Viennent à eux alors deux criquets, qu’ils enfourchent et Sullivan pousse une grand cri ! C’est que le criquet vient de sauter, par-dessus les plus hautes tiges, et Sullivan voit le ciel bleu pour replonger brusquement vers la végétation ! Son estomac lui semble monter à la tête et le vertige le remplit d’une sorte d’ivresse, et ainsi de suite ! Ce sont des bonds prodigieux, impensables, avec une facilité extrême sous le soleil ; le criquet impassible dégageant une odeur de terre brûlée !

    Puis, un saut encore plus haut que les autres les projette dans la cabine d’un tracteur et l’ambiance change ! Il y a là une musique de rap à fond et le tracteur aussi semble rouler à tombeau ouvert ! L’agriculteur remarque le criquet et commence à lui parler, sans doute parce qu’il en avait besoin et Sullivan entend tout, car le bonhomme crie presque pour couvrir la musique ! « Salut, l’ criquet ! fait l’agriculteur. Bienvenue dans mon monde ! T’as vu l’engin ? Ça c’est du tracteur ! J’ suis à cent, avec la charrue derrière ! La terre ? J’ la connais plus, man, j’ la survole ! La classe !

    Finie l’agriculture de papa ! Finies les suées à guetter le temps et à surveiller la récolte ! Le temps, c’est moi ! C’est moi qui dirige tout, qui contrôle tout ! Grâce à la technique ! Quand j’ pense à mes vieux qui parlaient de patience ! Ils auraient pu poser pour l’Angélus ! Ils respectaient la terre qu’ils disaient ! Mais peureux ils étaient en vérité !

    T’as vu le tableau de bord ? Rien ne m’échappe ! J’ai des alertes pour tout et partout ! Les dosages, ils sont là, plus besoin d’y penser ! Les quantités, le degré de ceci ou cela, la machine, elle gère ! Et moi, ah ! ah ! je fonce ! J’ fais rugir les ch’vaux ! T’entends la musique ? Ça, c’est d’ la bonne ! (Il chante avec le chanteur.) « On m’aura pas ! On m’enferm’ra pas ! Qui est le plus vilain ? Qui est au mal enclin ? Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? Pas toi, car t’es la rouille dans leur mond’ de métal ! Pas toi, car ils ont la trouille et détalent ! » Tum, tum, poum, poum ! Ah ! Ah ! Dieu que c’est bon !  

    Tiens des choucas ! J’ vais en leur faire voir, moi ! Regarde le criquet, tu vas en prendre plein les mirettes ! (Il touche un bouton… et un mini radar apparaît !) On les voit là sur l’écran ! Attention, lasers ! (Les choucas explosent les uns après les autres!) Les enfoirés ! Une vrai plaie pour les s’mis ! Eh bien, on joue plus ! On est dans la cour des grands maintenant ! Tu sais combien il m’a coûté l’ tracteur ? 200 000 euros ! Évidemment, c’est un prêt, des traites, une hypothèque ! Y tiquaient à la banque, tu penses ! Eh ! Mais j’ leur ai dit qu’il fallait voir grand ! fallait être ambitieux ! Oh ! Et puis, hein, oh ! Moi, sans c’ nouveau jouet, j’ démarrais pas ! J’restais à la maison, j’ faisais fonctionnaire, un truc comme ça et peinard !

    Tandis que là… tiens, tu vois l’ talus là ! Est mastoc, hein ? Accroche-toi l’ criquet ! Y a un bras d’ fer et c’est pas moi qui vais lâcher ! J’ mets la sauce ! Hmmmmph ! Enfoncé le talus ! C’est bien simple y a plus d’ talus ! Y m’ gênait de toute façon ! « Qui est le plus vilain ? Pum, pum ! Qui est au mal enclin ! Poum, poum ! Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? Pas toi, car t’es la rouille dans leur mond’ de métal ! Pas toi, car ils ont la trouille et détalent ! » Ah ! Ah ! Pum, pum, boum !

    Non, les vrais méchants, c’est la grande distri ! Là, t’as les vrais requins ! Les vraies ordures ! Eux, y t’ font pas d’cadeaux ! Y t’pressent, mon vieux, comme c’est pas permis ! S’ils pouvaient t’ prendre ta chm’ise et ta femme avec, ils l’ f’raient sans sourciller! Eh ! Mais oh ! Hein ? Quand ça va pas, j’ m’en vais avec les copains faire peur à Supermaman ! Ah ! Ah ! Le gouvernement, t’auras compris ! On casse, vieux ! T’as vu mon engin ? Y pourrait labourer Mars sans chauffer ! Alors, faut nous voir dans les villes ! Le citadin, il est vert ! On brûle, on fait un peu de barouf et… ? Et Supermaman, elle crache ! Elle envoie la soudure ! Elle connaît la musique ! Tout rentre dans l’ordre ! Non mais ! Mond’ de caves !

    Y a un type qui m’a dit qu’ j’étais comme le pigeon de Skinner ! J’appuie sur un levier et y a une graine qui tombe ! J’ai pas bien compris l’ type, mais en tout cas, ce s’ra pas moi l’ dindon d’ la farce ! Ah ! Ah ! Tu sais à quelle hauteur on est là ? On est bien à quatre mètres ! T’as vu l’épaisseur des roues ? Attends, j’vais t’arracher d’ l’asphalte ! J’ vais finir à Daytona ! Hi ! Hi ! 

    Eh ! « Qui est le plus vilain ? Qui est au mal enclin ? C’est la distri ! Poum, poum, pum ! Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? C’est Supermaman ! Ah ! Ah ! Pum, pum, poum ! Ouais, c’est ça amigo, chauffe ! »

    Le criquet ne veut pas en écouter plus et il s’échappe par la fenêtre. Un peu plus tard, Sullivan se laisse bercer par le vent, dans les hautes tiges ! Le silence est revenu et la paix aussi ! Sullivan respire longuement, sous la grandeur du ciel ! Toute folie lui paraît loin !

                                                                                                          159

         Dans le train qui le mène lentement au bourg de Garrow, en Ecosse, Ratamor repense aux mots du Général, le chef du commando Science : « Ratamor, je vous envoie chez un certain McGregor, qui serait l’inventeur du moteur à eau…

    _ Allons, c’est une chimère…

    _ Je ne crois pas... McGregor est des plus sérieux… Seulement, il ne remettra sa formule que s’il a confiance, car les enjeux sont terribles bien entendu ! Je compte sur vous pour le convaincre, etc. ! »

    On annonce la gare de Garrow et Ratamor descend du train. Comme il est le seul voyageur sur le quai, le chef de gare se permet de l’aborder : « Vous allez où, si je ne suis pas indiscret ? fait-il.

    _ Au château McGrégor... »

    Le chef de gare se fige et rajoute : « Le château a mauvaise réputation, vous savez. Il s’y passe de drôles de choses…

    _ Vous n’allez pas me dire qu’il est hanté, si ? comme tous les châteaux en Ecosse ! réplique Ratamor avec un sourire.

    _ L’histoire est plus triste que vous ne l’imaginez… La femme de McGregor a disparu sur la lande ! On n’a jamais retrouvé son corps, car c’est plein de tourbières par là-bas… Mais depuis le château est en proie au chagrin et aux tourments ! »

    Soudain, le chef de gare se tait, car un autre personnage apparaît : c’est le majordome de McGregor et il a un aspect austère, refroidissant ! Ratamor monte dans la voiture qui doit le conduire au château et bientôt celui-ci se dresse effectivement dans un paysage sauvage et sombre !

    Mais McGregor accueille son hôte avec des manières affables et on dîne en échangeant plaisamment sur le monde ! Pour ce qui est du moteur à eau, McGregor l’assure, on en parlera le lendemain, mais d’ores et déjà la relation entre les deux hommes semble prometteuse !

    Ratamor rejoint sa chambre, qui est assez petite, tandis qu’une tempête a commencé dehors : on entend le vent et de grandes branches s’agitent à la fenêtre, ainsi que de vieilles mains qui essaieraient de l’ouvrir ! Mais, à cause de la fatigue du voyage, le professeur s’endort rapidement, quoiqu’il soit très vite en butte à un cauchemar ! Engourdi, il voit venir à lui une femme et il a un frisson, en reconnaissant la psychologue Lapie ! « Toi ? dit-il. Mais je te croyais morte !

    _ Je le suis ! répond-elle. J’ai franchi la grande porte, mais là saint-Pierre, qui lisait le journal et qui a à peine relevé la tête, m’a jeté que, puisque j’étais déjà morte de mon vivant, je pouvais très bien continuer à errer sur Terre ! Il n’y avait pas grande différence !

    _ Je n’ comprends pas très bien… Comment peut-on être déjà mort, avant de mourir ? Cela semble impossible !

    _ « Hum ! » j’ai fait à saint-Pierre et devant mon embarras, il m’a parlé de mon égoïsme qui m’aveuglait et qui m’empêchait de voir le royaume de Dieu ! J’allais lui répondre à ma façon, quand j’ai subitement pris conscience de l’occasion qui m’était offerte !

    _ Ah oui ?

    _ Mais oui, en bonne âme errante, j’ai filé tout de suite à ta recherche et j’ vais enfin t’ descendre, Ratamor ! Fais ta prière ! »

    Lapie sort un pistolet et le professeur se met à crier : « Non ! Non ! » Il rejette ses draps avec les pieds et ouvre brusquement les yeux : la fenêtre est ouverte et la pluie et le vent entrent dans la chambre ! McGregor, tel un spectre, fait soudain son apparition et demande : « Mais enfin qu’est-ce qui s’passe ici ? Vous étiez en train de hurler !

    _ Un cauchemar… Une femme que…

    _ Vous lui avez parlé ? Elle est revenue ? »

    McGregor se précipite vers la fenêtre et crie : « Eileen ! Eileen ! Ne t’enfuis pas, je t’en prie ! Je suis là ! » Mais la lande, plongée dans la nuit, reste muette et Ratamor, après s’être levé, va poser la main sur l’épaule de McGregor : « J’ai fait un mauvais rêve, c’est tout ! dit-il. Il ne s’agit pas de votre femme, je suis désolé… et puis, comment vous, un homme de science, pouvez-vous croire aux fantômes ? » McGregor baisse la tête, signe qu’il revient à la raison, mais, alors qu’il se retourne, il fixe le mur où est écrit : « Ratamor est égoïste et dévalorisant ! »

    « Mais qu’est-ce que… ? s’écrie l’intéressé, qui à son tour voit l’inscription et qui ne sait que penser.

    _ Oh ! Mais c’est très clair ! réplique McGregor. Eileen est venue me prévenir et elle a très bien fait, car, en aucun cas, je ne transmettrai ma formule à un pervers narcissique ! »

    Ratamor a soudain envie de l’étrangler !

                                                                                                       160

               L’inspecteur Kopf va et vient dans l’appartement de Cariou… C’est un petit homme nerveux, à moustache et vêtu d’un trench-coat, sur sa cravate… « Attendez que j’ récapitule ! dit-il. Vous êtes détective et vous travaillez pour un client, dont vous n’ voulez pas me donner le nom…

    _ Exactement, si je le faisais, plus personne ne viendrait à moi !

    _ Et vot’ licence, je pourrais vous l’enlever et plus personne, effectivement, ne vous emploierait ! On arriverait au même résultat !

    _ Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai été chargé par un père de retrouver sa fille ! C’est plutôt louable, non ?

    _ A condition de rester dans les clous ! Vous racontez d’abord que vous avez été rossé sur un parking… C’est une histoire qui nous reste encore à vérifier ! Vous rentrez chez vous, pour vous soigner, et au moment où vous sortez de la salle de bains, vous découvrez dans votr’ salon un inconnu ! Un passe-muraille apparemment ! Et le gars est muni d’un silencieux, d’une arme de professionnel !

    _ Vous avez bien trouvé cette arme, non ?

    _ Oui, mais à qui est-elle ? Le labo travaille dessus ! Mais le type vous dit que lui aussi recherche la fille de votr’ client et il vous demande où elle est ? Qui c’est cette fille ? Une riche héritière ?

    _ Je ne pense pas…, mais faut croire qu’elle intéresse du monde…

    _ Le type vous déclare qu’il est freudien… Ça a un rapport avec la fille ?

    _ J’imagine…

    _ Qui vous êtes ? Une sorte de sphinx ? Tâchez d’être plus clair, sinon j’ vous embarque ! Donnez-moi quelque chose à moudre… et d’abord qu’est-ce que ça veut dire freudien ?

    _ Ben, un freudien pense que si on pense c’est parce qu’on baise pas, qu’on refoule ! L’artiste créerait parce qu’il est névrosé et seul le scientifique s’en sort, car il est gouverné par la raison et fait l’amour au moins deux fois par semaine !

    _ Vous vous foutez de moi ?

    _ J’ résume évidemment… Mais le freudisme fait partie d’un mouvement plus vaste de la libération de l’homme ! Il s’agit de détruire tout dogme, notamment ceux de la religion, afin que chacun ait un total libre-arbitre, jusqu’à comprendre qu’il n’est que le jouet de son inconscient, qu’une erreur dans l’Univers !

    _ Je me casse donc le cul pour rien !

    _ Pas tout à fait inspecteur ! Grâce à la raison et à l’analyse, vous pouvez tenir debout, en croyant au progrès ! Le bonheur n’est qu’une question de temps ! On arrivera sans doute un jour à tripatouiller vot’ cerveau, pour que vous soyez satisfait !

    _ Quel intérêt, si je ne suis plus moi-même ?

    _ Faudrait voir ça avec le SAV…

    _ Vous n’avez pas l’air de croire à tout ça…

    _ Non, en effet… Je pense que les scientifiques ne se connaissent même pas eux-mêmes et tous les psys que j’ai rencontrés étaient tous plus odieux les uns qu’ les autres !

    _ D’accord, la haine est partout, d’où votr’ agresseur ! Il vous a salement amoché ! Mais c’ que je ne comprends pas, c’est pourquoi il s’intéressait à la fille de votr’ client !

    _ Hum ! Je suppose qu’il luttait contre l’obscurantisme et les faux espoirs ! Il m’a dit, en raillant, que la fille devait encore croire à l’astrologie ! Il la voyait peut-être comme une menace, un obstacle ?

    _ Un vrai sac de nœuds ! Vous ne me dites pas tout, Cariou !

    _ J’ crains sans doute de vous saouler… et d’ m’énerver, car la bêtise de l’homme est sans fin ! Faut que je me préserve, c’est quelque chose que j’ai appris !

    _ Et sur le bout des doigts apparemment ! Car le freudien a oublié d’ prendre l’ascenseur ! On l’a ramassé comme une citrouille écrasée !

    _ Pour supporter le néant, inspecteur, il faut croire que le monde tourne autour de soi et c’est pourquoi Freud a voulu le mettre dans son chapeau ! Le scientifique, comme les autres, a besoin de dominer, ce qui fait qu’il reste un sanguin et j’ai dû m’ défendre !

    _ Ouais…, je m’attendais à voir une vidéo, un « snap » de votre exploit ! C’est la mode et ça m’aurait facilité les choses !

    _ Désolé, inspecteur, j’étais trop occupé !

    _ Je n’ vais pas vous lâcher, Cariou ! Vous êtes maintenant dans mon collimateur !

    _ Vous êtes comme un « cookie »…

    _ Continuez à vous foutr’ de ma gueule ! »

  • Les enfants Doms (T2, 151-155)

    Doms52

     

     

     

       "Tu sais comment on l'appelle? Le blanchisseur!"

                                         Flic ou voyou

     

                              151

         La journaliste Mélopée est en plein reportage… et elle n’a aucun mal à attirer l’attention sur elle, car c’est aussi une bombe ! Elle a des seins proéminents, le ventre plat et des jambes interminables, de sorte que les hommes ne peuvent en détacher leur regard ! C’est que Mélopée veut tout ! Elle tient à être prise au sérieux en tant que professionnelle, mais en même temps il s’agit d’apparaître tel un phantasme, une perfection, qui doit écraser la concurrence, faire tourner le monde autour de soi, comme si c’était possible et que cela pouvait rendre heureux !

    Mais Mélopée ne voit pas là de contradictions, entre la neutralité, pour ne pas dire l’effacement, du journaliste et le pouvoir, le rayonnement du sexe, car elle représente notre époque chaotique et violente, qui n’est rien d’autre au fond qu’une gigantesque foire de l’égoïsme ! Tout le monde tire la couverture à soi et braille, donnant l’impression d’un monde absurde, dépourvu de sens, alors que l’impasse dans laquelle nous sommes n’a jamais été aussi visible, puisqu’elle révèle notre impuissance à nous satisfaire !

    Mais qu’à cela ne tienne ! Mélopée, comme les autres, croit à sa réussite, à son combat, à la victoire contre ses détracteurs et face à l’obstacle et elle apparaît survoltée devant la caméra ! Elle dit : « Aujourd’hui, c’est jour de liesse dans RAM ! Regardez cette ambiance ! Elle est digne des plus grands carnavals ! On chante, on rit, on danse, on bat les tambours, on souffle dans les trompettes, sous des pluies de confettis ! Ah ! Ah ! Quel rythme ! C’est que tout le monde est joyeux, car le voilà qui arrive ! Qui ? Mais le cochon Égalité bien sûr ! Mon Dieu, il est immense ! Il fait bien trois étages ! »

    A ce moment, un énorme cochon, luisant et hilare, passe devant la foule ! Il est debout sur un chariot tiré par des volontaires, qui ont eux aussi le sourire aux lèvres, car comment ne pas être fier de soi, quand on travaille pour la justice sociale ! Or, le cochon Égalité mérite bien son nom, puisqu’il ne cesse de dévorer, à mesure qu’il avance, des profiteurs et des exploiteurs ! Ils sont là maussades, sombres, par dizaines sur une passerelle, avant de tomber dans la mangeoire et d’être broyés par le cochon ! Le système est ingénieux et la fête semble complète ! Le caractère bon enfant de l’événement n’échappe à personne !

    Mais soudain une agitation se produit aux abords du cochon et la journaliste Mélopée intriguée s’approche : « Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-elle à une femme qui a l’air d’une responsable.

    _ Ben, y a pus de profiteurs ! répond celle-ci. On a vu trop juste ! Pourtant, on a encore abaissé le critère : c’est ceux qui s’ donnent du monsieur et du madame qui sont là ! Faut croire qu’on n’a pas été assez sévère !

    _ Mais est-ce que c’est si grave que ça ? Le cochon est déjà bien dodu ! De manger un peu moins ne lui f’rait peut-être pas d’ mal ! Il pourrait garder la ligne, comme moi ! Hi ! Hi !

    _ Pff ! On voit bien que vous ne le connaissez pas ! Il n’en a jamais assez ! Si on cesse de le nourrir ne serait-ce que cinq minutes, il perd la tête et devient enragé ! Y s’rait capable de se jeter sur nous !

    _ Ah ! Mais qu’est-ce que vous allez faire ? Il me semble que les spectateurs ont droit d’ savoir !

    _ Sûr ! Eh ben, on va donner à Égalité, tous ceux qui nous r’gardent de travers ! tous ceux qui complotent dans not’ dos ! tous ceux qui veulent du mal à not’ idéal ! qui est la justice pour tous sur Terre !

    _ Oh ! Mais comment vous allez les r’connaître ?

    _ Oh ! C’est pas compliqué ! L’ profiteur est partout ! Suffit d’ gratter un peu et le monstre apparaît ! »

    A cet instant, un vieillard décharné, vêtu d’une simple robe de bure, passe en disant : « L’homme ne vivra pas seulement de pain ! Ne vous souciez pas de comment vous mangerez ! Votre père qui est en haut y pourvoira ! »

    « Vous entendez cette ordure ! reprend la responsable, à l’adresse de Mélopée. Hein ? On n’a pas dû aller bien loin ! Eh les gars ! Le vieux dans la mangeoire !

    _ Eh mais ! s’écrie la journaliste. Vous avez vu comment il est habillé ! C’est un simple d’esprit, nullement un profiteur !

    _ Ah çà ! Ma toute belle ! On voit bien qu’ tu les connais pas ! C’est un espion, c’est tout ! Et puis, son discours ! Y a-t-il quelque chose de plus scandaleux ? C’est se moquer du travailleur ! A la mangeoire et qu’ la fête continue ! »

                                                                                                    152

          Par souci d’objectivité, La journaliste Mélopée s’en va interviewé un riche, un grand patron : il n’y a pas que les mécontents de la gauche qui existent ! Mélopée a pris son autociel sportive et d’un rouge éclatant et elle fonce vers son lieu de rendez-vous, c’est-à-dire le quartier le plus chic de RAM ! Là, un manoir rénové fait face à la mer et y habite Edgar de la Ponce, un homme d’affaires renommé et fortuné !

    Mélopée est conduite par un majordome jusqu’à une terrasse ensoleillée, d’où on peut voir la mer, tout en bénéficiant de toute la douceur de vivre possible ! De la Ponce se lève naturellement à la vue de la jeune femme et il montre une tenue printanière, dominée par le blanc : « Bienvenue ma chère, dit-il. Asseyez-vous, je vous en prie... » L’homme paraît détendu et ses manières aimables et la journaliste lui pose bientôt des questions, auxquelles il répond volontiers, puisqu’on aime généralement parler de soi !

    De la Ponce raconte d’abord son passé militaire, dont il est très fier, puis viennent ses bonnes affaires, des entreprises à succès, revendus au bon moment, ce qui a créé son patrimoine ! Bien sûr, il est issu d’une famille illustre, déjà riche, avec un solide capital, mais sans son flair, son goût du risque, son obstination que serait-il devenu ? Une sorte d’hobereau en marge de son siècle, atrabilaire et sombre comme certaines croûtes de châteaux ? Non, il est un patron moderne, bien au courant de la situation sociale, mais encore plus des enjeux de son temps !

    Au-delà du sourire satisfait de son interlocuteur, Mélopée regarde parfois la mer et son article peu à peu prend forme, mais il lui reste tout de même quelques « trous » ! « Toute cette richesse dont vous disposez, dit-elle, à l’heure où la rue bouillonne, ne vous gêne-t-elle pas, n’en êtes-vous pas culpabilisé ?

    _ Vous savez, il faut remettre les choses à leur place ! Je suis fidèle à l’esprit de ma famille et au passé ! J’ai des privilèges, certes, mais aussi des devoirs ! Pourquoi croyez-vous que j’aie effectué une formation militaire des plus dures ? J’ai été élevé avec cette idée : le fort protège le faible et il doit être capable de se sacrifier pour la défense du territoire !

    _ Un peu comme le chevalier avait un fief ! Il assurait la protection de la population, à condition qu’elle fût à son service !

    _ C’est en effet mon héritage, même si je suis républicain bien entendu ! Cependant, il fut une époque plus claire que celle-ci ! En ce temps-là, le pays avait une identité forte, il était puissant, tandis qu’aujourd’hui avec le surendettement et tous ces étrangers…

    _ Votre vision est celle de l’extrême droite, qui est nostalgique d’un monde régi par le clergé et une élite, comme si on avait perdu en pureté ! Mais l’épée et la religion exploitaient le pauvre sans pitié et c’est bien ce qui les a perdus !

    _ Ah, parce que vous préférez ces braillards de gauche, ces voyous prolétaires, ces coupeurs de tête ! Venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose ! »

    Après quelques pièces lumineuses, parmi un mobilier précieux, on arriva devant une vitrine imposante : « Regardez, dit de la Ponce, c’est l’épée de Godefroy de Bouillon, celle qui brandissait lorsqu’il a délivré Jérusalem ! En protégeant le tombeau du Christ, il témoignait de son obéissance à Dieu ! Quelle grandeur !

    _ Je n’oublie pas effectivement que vous êtes catholique pratiquant !

    _ C’est vrai et d’ailleurs, je vous invite à l’office !

    _ Hein ?

    _ Ah ! Ah ! Vous devez être de ceux qui ne savent pas s’ils ont la foi ou non ! C’est pourquoi je vous demande de venir, car vous verrez quelle ferveur nous anime ! Cela ne manquera pas de vous impressionner, j’en suis sûr ! »

    On s’en fut en voiture à la grande église voisine, où il y avait déjà du monde, que de la Ponce connaissait bien sûr et qu’il saluait amicalement ! Il régnait une ambiance pleine de fraîcheur, sans doute due à l’humilité, mais soudain un vieillard décharné, vêtu seulement d’une robe de bure, s’adressa à de la Ponce : « Tu as la foi, mon fils ? demanda-t-il.

    _ Mais oui, l’ancêtre !

    _ Alors vends tout ce que tu possèdes, car comment peux-tu dire que tu as confiance en Dieu, si tu ne risques rien ! Mets-toi dans les bras de Dieu et tu connaîtras son royaume !

    _ Euh... »

    De la Ponce fit un signe et deux hommes en veste, avec des lunettes noires, écartèrent le vieillard le plus naturellement du monde ! « Qu’est-ce qu’ils vont en faire ? fit Mélopée.

    _ Mais je pense que cet homme peut représenter un danger et d’abord pour lui-même ! Un établissement spécialisé serait à même de l’aider, vous ne pensez pas ? »

    La journaliste frissonna et se demanda si elle ne préférait pas la mangeoire…

                                                                                                    153

         La reine Beauté a encore une de ses nuits de cauchemars ! Elle gémit, transpire, s’agite… Elle se rappelle des propos blessants, désespérants…, par exemple : « La beauté est une invention de l’homme ! », ou bien : « C’est une sublimation produite par la névrose, notamment parce que l’artiste n’arrive pas à se satisfaire sexuellement ! », ou bien encore : « La beauté est un agrément, c’est pas sérieux, ce n’est même pas viril ! »

    La reine Beauté murmure : « Non, non, vous ne savez pas, je vous en prie ! » Elle voudrait expliquer que la beauté est essentielle, qu’il est impossible de comprendre le monde sans elle, mais le cauchemar continue et la rage matérialiste semble inarrêtable ! Qu’est-ce qui fait naître cette dernière, qu’est-ce qui la pousse ? La peur d’être trompé ? L’enfant s’émerveille et sourit à la beauté ; alors qu’est-ce qui rend le cœur si dur ?

    La folie du monde ! La reine Beauté la voit défiler : toute cette violence, tous ces cris, toute cette haine, tout ce désespoir ! A côté, la beauté garde son secret, ne serait-ce que parce que personne ne vient la voir ! Elle règne avec toute sa majesté, son infini, sans témoins ! L’homme reste dans son fief, en ville ! Là commence son cirque ! Celui du m’as-tu-vu et de sa domination ! Là est le théâtre ! Là montent la colère et la frustration !

    Là-bas, des rayons d’or courent sur la mer ; la lumière éclate d’une blancheur souveraine et l’émeraude froide des flots frissonne ! C’est le paradis de l’oiseau, sa liberté folle ! C’est sa paix !

    Ici, l’homme est comme une bête sale ! Que crie-t-il ? Mon Dieu, il est en colère, comme si cela avait de l’importance ! Et pourquoi est-il en colère ? Parce que cela ne va pas assez vite, parce qu’il n’en a pas assez ? Oh, son temps à lui, celui de l’impatience et du trouble et le temps là-bas, unique, serein, sans haine, merveilleux ! Que ne va-t-il pas là-bas pour apprendre, s’apaiser ?

    Mais il est en colère et tout doit céder ! Sa vie n’a aucun sens, il n’aide personne, il est juste en colère et il faut lui faire place ! Même les fauves font la sieste, se reposent, mais pas lui ! La ville est un bébé géant, plein de bruit et de fureur ! L’oiseau qui plane est mille fois plus sage et mille fois… plus beau ! Mais la beauté est une invention de l’homme, c’est une sublimation due à la névrose… « Ils ne savent pas ! gémit la reine Beauté. Ils ne comprennent pas, mais ils affirment… et ils sont en colère ! »

    Les femmes représentent la beauté en ville et elles se massacrent ! C’est l’héritage matérialiste ! L’âme n’existant pas, la beauté est toute de surface, nullement intérieure ! Elle n’est donc plus qu’une affaire de chirurgie esthétique, et c’est le massacre ! La lumière du cœur ne vient plus éclairer la vieillesse ! C’est le règne du bistouri, du botox et des corps difformes ! La reine Beauté pleure : « Elles sont folles, elles sont perdues ! » gémit-elle et le cauchemar continue !

    « Cariou connaît mon secret, se rappelle la reine Beauté, il se ressource auprès de moi et je le nourris au-delà de ce qu’il veut ! Il n’a qu’à boire, car je suis d’un amour infini ! Là est mon secret ! Mais chut ! Ils ne savent pas ! Ils sont en colère ! Ils ne savent pas et ils affirment ! Ils font leur malheur ! Pourquoi ?

    Cariou est beau dans la rue et comment pourrait-il en être autrement ! Il possède ma lumière et ma paix ! Toutes les femmes se tournent vers lui et voudraient lui plaire ! Comment pourrait-il en être autrement ? Il a ma force ! Elles le désirent, mais il n’est pas pour une ! Il connaît mon royaume et mon secret ! Même les voyous ne peuvent s’empêcher de lui dire qu’il est beau ! C’est plus fort qu’eux ! Il est l’enfant qui s’émerveille, l’enfant innocent et les autres aussi pourraient être comme lui, avoir sa paix, sa beauté, car c’est la paix qui illumine !

    Mais ils sont en colère… et ils affirment, alors qu’ils ne savent pas ! C’est le royaume de la ville, du bébé géant ! Et ils haïssent aussi Cariou, car il est heureux ! »

    Les images grises du monde défilent et la reine Beauté s’agite et le cauchemar continue ! Il faut se nourrir, bien entendu, mais quelle frontière avec l’amour-propre ? Le besoin de dominer est forcément lié au besoin de se nourrir ! Est-on en colère parce qu’on a faim ou parce qu’on se sent méprisé ? Le royaume de la beauté est solitaire, sans témoins, car il est seulement pour les purs ! Ici, nul triomphe de l’ego ! Ici, nulle colère, juste une attente, une douceur et le sourire émerveillé, celui de la complicité ! Ici, l’enfant se réjouit de mille secrets, de mille découvertes ! Ici, le temps ne compte pas et repose !

    Là-bas, vagit la ville, comme un bébé géant ! La ville a des couches qui sont pleines ! Elle a la sale tête de l’égoïsme ! Elle est perdue, elle porte sa peine, sa peine d’ennui et d’esclave !

    La liberté est pourtant proche : il suffit d’aimer la reine Beauté ! Elle donne sans compter ! Elle offre sans retenue ! Elle enchante, libère, console, rend léger ! Elle ne voit pas où est le problème ! Mais elle gémit dans son cauchemar, car elle ne peut parler aux hommes, tant ils braillent !

    Ils ne savent pas et ils affirment ! La patience les nourrit, mais ils sont en colère ! Ah ! Se réveiller comme l’oiseau, en chantant, en louant la beauté et la force du monde ! sa splendeur magnifique !

                                                                                                       154

         Cariou est chez lui quand on frappe à la porte. Il va ouvrir et voit un vieil homme fatigué, qui lui dit : « Monsieur Cariou, pourrais-je vous parler quelques minutes ? » Cariou opine et laisse entrer son visiteur, qui ne tarde pas à se laisser choir dans un fauteuil. « Monsieur Cariou, je m’appelle Grant Espoir, reprend-il, alors que Cariou lui-même s’assoit, et si je suis là, c’est parce que qu’on m’a dit que vous étiez honnête et que vous connaissiez bien certains milieux, de sorte que vous seriez le plus à même de retrouver une personne disparue, en l’occurrence ma fille !

    _ Vous ne vous êtes pas adressé à la police ?

    _ Si, bien entendu, mais elle me paraît bien trop occupée ! Elle doit faire face en ce moment à un déferlement de violence, tout en étant elle-même suspectée d’abus de pouvoir ! Ma plainte à très peu de chances d’aboutir !

    _ Je vois, mais la situation est embrouillée pour tout le monde, vous savez ?

    _ On m’a dit que vous étiez particulièrement lucide et qu’on ne pouvait vous abuser !

    _ Voilà un portrait bien flatteur, mais le mal arrive toujours à surprendre nos naïvetés !

    _ Je vous en prie, monsieur Cariou, rendez-moi ma fille ! Elle est mon seul avenir !

    _ Qu’est-ce qu’elle faisait avant sa disparition ? Quel est son caractère ?

    _ Oh ! Elle est moi tout crachée ! Elle est enthousiaste, éprise d’idéal, elle veut combattre pour le bien ! Je sais que pendant un temps elle a adhéré à un parti de gauche, pour aider les plus pauvres, mais, aux dernières nouvelles, elle s’était tournée vers l’activisme écologique ! Mais j’ai eu beau mener des recherches par là, personne ne semble en avoir entendu parler !

    _ Comment s’appelle, votre fille ?

    _ Belle ! Belle Espoir ! »

    Après le départ du vieux monsieur, Cariou ne s’enchantait guère de devoir questionner des groupes radicaux et agressifs, mais il prit quand même son chapeau, avant de retrouver le trafic assommant de RAM ! Le premier individu qu’il alla voir fut un dénommé Bernie, un ponte syndical, qui avait son bureau dans un des quartiers les plus sales de la ville ! « Cariou ! fit celui-ci. La petite bourgeoisie est d’ sortie ?

    _ Tu connais cette môme ? répondit Cariou, en mettant sous le nez de Bernie une photographie de Belle.

    _ Jolie morceau ! Mais, en effet, elle est passée par ici, mais elle n’est pas restée ! Pas assez dévouée pour la cause !

    _ Tu veux dire trop intelligente ?

    _ Toujours aussi grande gueule, hein, Cariou ? Nous, on casse du patron, on vend pas des bibles !

    _ Elle a cherché à vous raisonner ?

    _ Cette fille, c’était un vrai sac d’embrouilles ! Pour un peu, elle nous aurait démoralisés et on l’a mise dehors !

    _ Brutalement ?

    _ Qu’est-ce que tu veux insinuer, Cariou ? On est les premiers à respecter les femmes ! »

    Cariou n’insista pas et il ne restait plus que les militants écolos ! Justement, ils avaient les mains collées au prochain carrefour, pour protester contre l’inaction climatique ! La police tâchait de les faire partir, sous la colère du trafic, et Cariou repéra une certaine Cassiopée, une grande blonde, qui attendait d’être menée au commissariat ! « Cassie, fit presque timidement Cariou, car il connaissait le tempérament fougueux du personnage.

    _ Mais c’est ce détective pantouflard de Cariou ! Tu viens enfin nous aider ! jeta Cassiopée.

    _ Euh, non, je cherche cette fille… (Il montra de nouveau la photographie.)

    _ Ouais, on l’a eu un temps parmi nous, mais elle conv’nait pas ! Pire, elle nous baratinait !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Ben nous, on essaie d’sauver la planète ! Y a urgence ! Alors, les contemplatives, les hésitantes ! Elle nous a même dit que pour défendre la nature, il fallait d’abord l’aimer, ce qui demandait d’ la patience ! Et patati et patata ! J’ bâillais et j’ lui ai dit d’aller s’ faire pendre ailleurs ! »

    Pour Cariou, c’était un coup dur, car il ne voyait plus maintenant où il pourrait trouver Belle Espoir ! C’était une nana trop sensible pour ce monde ! La ville énorme n’avait dû qu’en faire une bouchée ! Ce que c’est tout de même de d’mander aux gens d’ réfléchir et d’changer d’abord eux-mêmes ! Pour réussir, il fallait abonder dans leurs sens et gueuler encore plus forts qu’eux ! Là, ils vous reconnaissaient comme un des leurs et ils vous faisaient un pont d’or !

    Le crépuscule noircit davantage la ville, si c’était possible et l’image de Belle Espoir sembla se dissoudre…

                                                                                                        155

          Cariou continuait son enquête et il se demanda encore où Belle Espoir avait pu trouver refuge ! Il faisait froid, malgré un beau soleil, et Cariou remonta le col de son pardessus… La ville grondait et des gens se tenaient maussades aux passages piétons. Cariou regarda le ciel d’un bleu limpide et un pigeon y montra tout son plumage, dans la lumière naissante et orangée ! La nature ne cessait de montrer toute sa magnificence, si on y prêtait un peu d’attention bien entendu, ce qui n’était pas le cas, car les temps étaient durs et la plupart dans ce cas-là, pour chasser l’angoisse, n’a comme recours que la domination, c’est-à-dire que chacun essaie d’attirer l’attention sur soi et donc fi de la beauté !

    « La môme Espoir, songea Cariou, avait peut-être sollicité un emploi dans un de ces grands magasins de prêt-à-porter… Il faut bien vivre, n’est-ce pas ? » Et justement Cariou se trouvait devant l’établissement bien connu Detax, l’un des géants de l’habillement ! Il fit le tour du bâtiment, avec l’idée d’interroger une des vendeuses, à la sortie de son travail. Derrière, le magasin n’avait rien d’enchanteur : des portes austères dans du béton, quelques fumées et un parking poisseux, jonché de détritus.

    Un femme cependant descendait un escalier et vivement Cariou s’en approcha : « Excusez-moi, madame, fit-il, mais auriez-vous vu cette personne ? » Cariou montra la photo de Belle, mais la femme semblait hostile, fermée : « Pourquoi est-ce que je vous aiderais ? dit-elle. Tout à l’heure, nous nous sommes croisés sur le trottoir et vous ne m’avez même pas regardée ! »

    Cariou fut plongé dans la stupeur ! Il regarda la femme et en effet il ne se la rappelait pas, mais pourquoi l’aurait-il dû ? Il n’osa cependant pas reconnaître qu’elle disait vrai et qu’il ne l’avait même pas vue, car il sentait qu’il n’aurait fait qu’empirer les choses, en accentuant ce qui était déjà perçu comme une injure !

    « Vous savez comment je qualifie votre attitude ? reprit la femme. J’appelle cela du mépris social ! On vous regarde…, la moindre des choses, c’est que vous regardiez aussi ! Pour qui vous prenez-vous ? Pour Jupiter en personne ! »

    Cariou réfléchissait vite et il voyait bien qu’il était question de la domination de cette femme : elle ne supportait pas qu’on échappât à sa séduction, elle trouvait cela outrancier, mais comment lui expliquer que c’était son égoïsme qui était en cause et nullement une quelconque morgue de la part d’autrui !

    « T’as des ennuis, Jessie ? » demanda un gars, qui s’approchait en compagnie d’un autre. C’étaient deux costauds, qui devaient faire du sport intensivement, durant leurs loisirs ! « Mais c’ monsieur nous méprise ! expliqua Jessie. Il m’aborde comme si j’étais à son service !

    _ Alors guignol, fit le gars à Cariou, tu viens embêter le p’tit peuple ? Tu crois pas qu’on a déjà assez d’ennuis comme ça !

    _ Mais pas du tout, j’ m’en voudrais de manquer d’ respect à qui que ce soit ! Mais madame me reproche de ne pas l’avoir regardée, quand on s’est croisé plus tôt dans la rue ! Mais justement je fuis ceux qui veulent s’imposer, car je ne vois pas pourquoi je leur accorderais de l’attention, comme un droit de péage !

    _ N’écoutez pas ce qu’il dit ! coupa Jessie. C’est un flicard ! Il m’a montré une photo, il recherche quelqu’un !

    _ Un flicard, hein ? fait le gars. T’es quoi ? Une mouche du gouvernement ?

    _ Mais non, je... »

    Cariou ne va pas plus loin, car il a soudain le souffle coupé ! Une douleur atroce l’envahit au niveau du plexus solaire, là où il vient d’être frappé ! Il tombe à genoux et le poing du type le projette au sol, en lui écrasant la joue ! Couché sur l’asphalte gluant, Cariou sent le goût du sang dans sa bouche, puis, par réflexe, il protège sa tête parce qu’on lui donne maintenant des coups de pieds de chaque côté !

    « J’ai un message pour le gouvernement, flicard ! dit le gars dans l’oreille de Cariou. Tu vas dire à tes chefs que nous on est contre la réforme des retraites, car on la trouve d’une violence inouïe ! »

    Cariou se rend compte qu’il serre quelque chose dans la main et c’est la photo de Belle Espoir ! Il la tient de toutes ses forces, comme si elle était une bouée de sauvetage, alors que lui est en train de se noyer !

    «  Du mépris social, que j’appelle ça ! entend encore le détective. Si on les arrête pas, ils te bouffent ! » Cariou fait encore un effort, pour rester conscient, mais un dernier coup le fait plonger dans le noir le plus complet !

  • Les enfants Doms (T2, 146-150)

    Dom55

     

     

       "C'est tout juste s'il faut pas appeler police-secours!"

                                    Hôtel du Nord

     

                               146

         « On s’ennuie, grand-père…, dit le petit garçon. Elle ne veut pas jouer au cow-boy !

    _ Et lui, il refuse de lire tranquille ! répond la petite sœur !

    _ Les enfants, on s’croirait sur la planète des Moije ! s’écrie le grand-père.

    _ Ah ! Une histoire !

    _ Les Moije, qu’est-ce que c’est ?

    _ Eh bien, c’est une drôle de planète les enfants ! Elle a une apparence volcanique ! Elle bout un peut partout, en fumant, mais le plus bizarre, c’est que les bulles de boue, qui s’agitent à la surface, disent des choses…, comme si les grenouilles d’un étang pouvaient parler !

    _ Hi ! Hi !

    _ Et elles disent quoi, les bulles, grand-père ?

    _ « Moi, j’ai des bombes ! » par exemple, ou « Moi, j’ai des amis ! », « Moi, j’suis pas d’accord ! », « Moi, j’ veux qu’on m’obéisse ! », Moi, je pense que… ! », « Moi, je me gratte là ! »

    _ Hi ! Hi !

    _ « Moi, je tourne ici ! Moi, je tourne là ! », « Moi, j’ claque des doigts ! », « Moi, j’ fais un gâteau ! » Cela n’arrête pas les enfants ! Toutes les bulles crient et on a vite mal aux oreilles ! Il est impossible de se reposer sur cette planète ! Où qu’on aille, on entend : « Moi, je ! »

    _ Hi ! Hi !

    _ Ah oui ! C’est pour ça que cette planète s’appelle la planète des Moije ! dit la petite fille.

    _ Exactement, ma toute belle ! continue le grand-père. Et ce ne sont même pas les plus grosses bulles qui parlent le plus fort ! On en trouve de minuscules, qui disent : «Moi, je vois bien le complot ! Il est vaste, car les grosses bulles ont décidé d’écraser les petites comme moi ! Snif ! »

    _ Hi ! Hi !

    _ C’est vrai, grand-père, qu’on veut écraser les petites ?

    _ Et pourquoi les grosses se soucieraient des petites, elles ne les voient même pas ! Mais les petites ont besoin de croire le contraire, pour ne pas se sentir toutes seules et abandonnées ! Le cri « Moije », c’est pour dire qu’on existe !

    _ Moi, je veux qu’on joue aux cow-boys ! fait le petit garçon.

    _ Moi, je veux qu’on lise tranquille ! renchérit la petite fille.

    _ Vous avez tout compris, les enfants ! Mais le cosmonaute, qui arrive sur la planète des Moije, est bien embêté ! Il va vers une bulle et demande : »Qu’est-ce que vous dites ? » Il essaie d’écouter la bulle, quand une autre à côté fait encore plus fortement : « Moije ! Moije ! » Le cosmonaute se précipite vers elle, car il est impressionné et pense que c’est plus urgent ! Il tend l’oreille pour comprendre, mais soudain un peu plus loin surgit un nouveau Moije, puis un autre et encore un autre ! Le cosmonaute ne sait plus où donner de la tête !

    _ Hi ! Hi !

    _ Il va devenir fou ! dit la petite fille.

    _ On va faire la planète des Moije, les enfants…

    _ Chic !

    _ Vous vous mettez comme la grenouille… Les jambes en tailleur… Les mains sur les genoux, voilà… et vous regardez droit devant, les joues grosses et l’air un peu mauvais ! Il faut qu’on ait l’impression qu’on vous a pris vot’ part de gâteau !

    _ Hi ! Hi !

    _ Allons-y, les enfants ! On va d’abord pousser un Moije grave, car on est des Moije sérieux ! Mooooajeu !

    _ Mooooaaaajeu ! Moooaaaaje !

    _ Très bien ! Maintenant, le Moije aigu ! C’est le Moije de la star de cinéma ! Moiiiijjjuuuu ! Moiiijuuu !

    _ Mooiiijjuuu !

    _Parfait ! J’en ai la chair de poule !

    _Hi ! Hi !

    _ A présent, le Moije plein de boue ! On doit sentir que vous avez la bouche remplie de vase !

    _ C’est dégoûtant !

    _C’est pour ça que c’est marrant ! Attention, ça doit dégouliner ! Mooooaaaabeurkjjje !

    _Moooabeurjjejjeeu !

    _Moooaboueurjkjeuue ! Bouf !

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes extra, les enfants ! Vous êtes mes soleils ! »

                                                                                                       147

          L’inspecteur Brooks pénètre dans l’hôpital et demande à voir le psychiatre Anderson. On lui répond que le docteur l’attend et bientôt Brooks entre dans un cabinet sans fioritures. « Bonjour, inspecteur, fait le psychiatre.

    _ Bonjour Anderson, vous avez du nouveau au sujet de Martin ?

    _ Non rien, malheureusement ! Il est toujours catatonique !

    _ Il faut pourtant que nous découvrions ce qui est arrivé au professeur Ganymède ! J’ai amené avec moi Kitty Falls, la fiancée de Martin ! Elle pourrait aider le garçon à parler !

    _ Très bonne idée ! Allons rejoindre le malade ! »

    Après un couloir assez sombre, où errent quelques silhouettes vacillantes, le trio arrive dans la chambre de Martin ! Il est là assis sur son lit et fixe de ses yeux vides une fenêtre à barreaux ! Brooks et Anderson laissent la place à Kitty Falls, qui s’avance : « Martin, c’est moi Kitty, dit la jeune femme. C’est moi, mon chéri…

    _ Kitty ! fait le jeune homme, qui semble revenir à la conscience. Oh, ma chérie, si tu savais ! »

    Martin se met à pleurer dans les bras de sa fiancée, assise près de lui. « Tout va bien maintenant ! dit la jeune femme consolatrice. Tu es en sécurité ici, mais ces messieurs (elle désigne Anderson et Brooks) voudraient savoir où est le professeur Ganymède !

    _ Bien sûr…, répond Martin avec attention.

    _ Je vous rappelle qu’on vous a trouvé en train de dériver dans une pirogue, au large de l’île Kranoura ! »

    Martin regarde Brooks et on voit qu’il fait un effort avec sa mémoire… « Il est nécessaire que je vous raconte toute l’histoire, balbutie-t-il. Il y a un mois le professeur Ganymède a reçu un message du consul de l’archipel des Pomu ! D’étranges phénomènes se produisaient sur l’île de Kranoura… D’après le consul, des femmes étaient enlevées dans la forêt et revenaient à demi-folles, ainsi qu’elles eussent été détruites par une force mauvaise, abominable ! »

    Ici, martin hésita… Quelque souvenir particulièrement pénible avait l’air d’empêcher son récit ! Néanmoins, après avoir avalé sa salive, il reprit : « Le professeur décida sur le champ de tirer cette affaire au clair, car il était un ami du consul…

    _ Vous dites : « Etait », coupa Brooks. Cela signifie-t-il que le professeur est mort ?

    _ Hé… las !

    _ Je vous en prie, intervint Anderson, continuez votre récit !

    _ Nous sommes rapidement arrivés à Kranoura, reprit le jeune homme avec docilité, mais l’île avait été désertée ! Les huttes étaient vides et on trouvait les objets à leur place, comme si le départ des habitants avait été soudain, précipité ! Seul un vieillard était resté, mais il semblait en proie à une inextinguible terreur ! Il désignait sans cesse la forêt et nous ne tardâmes pas à nous y enfoncer ! Nous suivîmes d’abord les sentiers, puis ce fut la jungle épaisse, hostile, mystérieuse ! Quelle créature infâme allions-nous trouver ? Après deux jours de marche, nous découvrîmes une grotte… Le professeur lui-même, bien qu’habitué à mille aventures et scientifique de renom, ne pouvait cacher sa nervosité ! Enfin, un être vint à sortir du gouffre et il mesurait bien deux mètres de haut ! Il avait des griffes et des dents proéminentes ! Mais le plus étrange, le plus affreux, c’était qu’il était tout vert !

    _ Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, fit Anderson, l’émotion…

    _ Non, non, c’était bien sa couleur ! D’ailleurs, il nous a dit son nom : le père Vert narcissique ! »

    En entendant ces mots, Kitty Falls ne put réprimer un frisson. Comme toutes les femmes, elle avait entendu parler de ce monstre et l’inspecteur Brooks avait déjà enregistré maintes plaintes, contre ce terrible forban ! « Que s’est-il passé alors ? demanda Anderson.

    _ La créature s’est jetée sur nous, car nous connaissions maintenant son secret ! Et le professeur… le professeur (Martin est gêné par les sanglots) s’est interposé, pour me sauver la vie ! »

    La vérité dans la chambre à présent n’avait plus besoin d’autres explications ! Chacun voyait le dévouement de l’homme de science et sa fin dramatique ! « Vous souffrez depuis d’un sentiment de culpabilité ! précisa le psychiatre à Martin. Il faudra beaucoup de temps et sans doute l’aide de votre charmante fiancée, avant que vous ne retrouviez votre santé ! Mais ce n’est pas impossible...

    _ Alors que je m’enfuyais, reprit Martin, le père Vert a crié quelque chose !

    _ Oui ? fit Brooks.

    _ Il a… il a dit qu’il nous aurait tous ! »

                                                                                                             148

         La Peur passe voir ses troupes ! Elle a le cigare au bec et une tenue de guérillero ! « Bon sang ! s’écrie-t-elle, quand elle repère un jogger qui se protège de la pluie, sous un porche. Qu’est-ce que tu fous là, mon garçon ! Comment ça se fait qu’ t’es pas en train de courir ?

    _ Mais il grêle ! fait plaintif le jogger.

    _ Mais il grêle qu’il dit en pleurnichant ! Allez, du balai ! Tu dois courir qu’il vente ou qu’il neige ! Et ouvre-moi ce tee-shirt ! Le froid, connais pas, voilà ta devise ! »

    Le pauvre gars regarde le ciel, qui est plus sombre que jamais, et il reprend sa course ! « C’est ça ! lui crie la Peur derrière. Une belle foulée sous la flotte ! Du nerf ! Ah ! Ah ! »

    La Peur rallume son cigare, elle voudrait profiter du tabac, mais déjà elle a un autre sujet de mécontentement ! « Eh toi, là-bas ! crie-t-elle.

    _ Moi ? fait une fille en se retournant.

    _ Mais oui, toi ! A moins que je n’ m’adresse au bon Dieu, hein ? Tu tortilles pas assez du cul !

    _ Vous pourriez pas être poli ?

    _ Pfff ! D’accord ! On va y mettre les formes ! Tes fesses sont pas assez saillantes ! Il faut qu’elles attirent l’œil, que l’ mâle ne puisse plus les quitter ! Tu piges, sinon j’ vais t’en faire baver ! J’ te mettrai à g’noux et tu m’ supplieras !

    _ Je sais !

    _ A la bonne heure ! Alors, fais moi reluire tes noix ! »

    La Peur ne s’attarde pas, mais elle se précipite vers un croisement ! Elle braille : « Mais qu’est-ce que vous foutez ? » Des automobilistes la regardent sans vouloir comprendre, ce qui la fait enrager ! « Qu’est-ce que je vous ai dit ? hurle-t-elle. Le trafic doit être fou, délirant, hypnotique ! Rien d’autre n’existe à part votr’ sarabande de débiles ! C’est clair ? »

    Les automobilistes opinent, le message est passé et la circulation gronde, pollue, écrase ! « C’est irrespirable ! Ah ! Ah ! s’enchante la Peur. L’enfer sur Terre ! Enfoncée la nature ! Disparu le ciel ! Le bordel dans les cerveaux ! Voilà une affaire qui roule ! Ah ! Ah ! Impossible de trouver du sens ! C’est c’ que j’aime ! »

    La Peur commence à siffloter : « Voilà une matinée qui n’ commence pas trop mal ! » se dit-elle, mais soudain elle se rembrunit ! « C’est pas vrai ! » elle peste et elle se met à courir vers un jeune homme. « Non mais, je rêve ! lui dit-elle. T’es couleur muraille, mon gars ! Pour un peu j’ te manquais, tellement t’as l’air médiocre ! Qu’est-ce que j’ t’ai mille fois répété ? T’es l’Adonis avec un grand A ! T’es le plus beau et tout le monde doit l’ voir ! Bon sang ! Il n’est pas question qu’on passe près d’ toi avec indifférence ! C’est toi la perle ! le phare ! »

    Le jeune homme obéit, se redresse et regarde droit devant lui avec une totale suffisance ! Il a l’air de dire : « Je suis le parangon ! Vous me devez soumission ! Seul moi compte ! » Il est comme le lépreux avec sa clochette, sauf que c’est sa vanité, sa supériorité qu’il exhibe et qui l’annonce !

    « Pas mal ! se dit la Peur. Celui-là est en bonne voie pour devenir un parfait salopard ! Un dur de dur ! Mais encore, c’est trop mou, d’ la guimauve ! Le gamin est encore là ! Quand ça tourn’ra mal, y m’ f’ra faux bond ! Les vrais combattants sont des ordures autrement plus vicieuses ! Tiens, y en a une là-bas ! »

    La Peur s’approche d’un type pas banal ! Il est impossible de croiser celui-ci, sans être soumis à son pouvoir, à ce qui se dégage de lui ! Il est comme un réacteur nucléaire en surchauffe ! Il menace de faire fondre le sol, en entraînant tout ce qu’il y a autour de lui ! Il étouffe les autres, anéantit leurs méninges, car il n’est plus qu’un concentré de domination ! Tout son esprit malade veut attirer l’attention et quand enfin on le regarde, il met en valeur le paquet qu’il a entre les jambes, ainsi qu’on devrait tomber en adoration devant ses parties génitales ! Le dieu est dans la rue et il faut s’en occuper !

    « Le brave petit ! se dit la Peur ! Voilà le guérillero comme je l’aime, entièrement dévoué ! Il est impossible de respirer, avec un gars comme ça ! C’est forcément les autres esclaves ! J’en ai la chair de poule ! Il est comme mon fils ! Jamais vu un aussi beau fumier ! Grâce à lui, j’ me sens utile ! Y a pas, il est bon pour la médaille ! Snif ! »

                                                                                                          149

         Une nuit, dans la prison de RAM, un homme hurle ! Il fait un vacarme de tous les diables et un gardien s’empresse vers sa cellule, pour demander : « Qu’est-ce qui s’ passe ? Vous allez réveiller tout l’ monde !

    _ J’ veux voir le directeur ! crie le prisonnier. C’est un scandale ! Jamais je n’aurais dû me retrouver ici ! J’ suis innocent ! »

    Le gardien est bien embêté, car il ne veut pas déranger à pareille heure le directeur, mais d’un autre côté l’agitation du prisonnier peut se propager et créer, qui sait, une rébellion générale ! Finalement, le gardien, par prudence, prévient le directeur et celui-ci arrive auprès du prisonnier un peu plus tard… Il a l’air digne, même s’il est visible qu’il a gardé son pyjama sous son imper ! « Alors, mon garçon fait-il au prisonnier, qu’est-ce qui ne va pas ? 

    _ Ce qui ne va pas ? répond interloqué le prisonnier. Mais de quel droit me retient-on ici ? J’ suis innocent ! Et regardez-moi cette cellule ! Comment peut-on espérer vivre normalement dans un tel endroit !

    _ Pardon ! Pardon ! réplique le directeur. Mais vous êtes enfermé ici à votre demande !

    _ Quoi ?

    _ Vérifions ensemble, voulez-vous ? reprend le directeur, qui consulte sa tablette. Vous vous appelez bien Auguste Crigneau, né à Ponflant, le 8 mars 1988 ?

    _ Oui…

    _ Vous avez souhaité une cellule installée sud, avec un numéro pair, car ça porte chance, avez-vous ajouté ! avec pour condition sine qua non que vous disposiez de votre Narcisse ! Vous avez bien votre Narcisse sur vous ?

    _ Oui, convient le prisonnier, qui regarde le smartphone qu’il a dans la main.

    _ Et là, c’est bien votre signature ?

    _ Oui, reconnaît le prisonnier qui se penche et se redresse. Mais… mais je ne savais que ça serait aussi dur ! Je… je ne peux plus rester enfermé !

    _ Mais vous pouvez partir quand vous voulez, précise le directeur. Il est encore indiqué dans le contrat que vous pouvez le résilier à tout moment !

    _ Vraiment ?

    _ Mais oui… et il était inutile de faire du tapage en pleine nuit ! Il suffisait de demander au gardien votre levée d’écrou, si je puis dire !

    _ Ah ben… Je peux donc m’en aller maintenant, tout de suite ?

    _ Bien sûr, le gardien va vous accompagner jusqu’à la sortie ! Évidemment, il faudra attendre l’aube, pour y voir quelque chose dehors, mais nous ne sommes pas des monstres, vous savez ! »

    L’homme se retrouva bientôt à l’extérieur et il commença à marcher, alors que les premiers rayons du soleil éclairaient les feuillages, car on était en pleine nature ! Il n’y avait pas de villes ou de maisons autour de la prison ! L’homme suivit donc un sentier et il se disait comme il est bon de respirer l’air de la liberté ! Mais, bientôt, toute cette nature, tout ce silence, malgré le joyeux pépiement des oiseaux, commença à l’inquiéter et il plongea le nez dans son Narcisse !

    Or, peu de choses y avaient changé depuis la veille et de nouveau, l’homme sentit l’angoisse l’envahir ! Elle fut si forte qu’il se décida à faire demi-tour et il retrouva presque avec soulagement les murs de sa prison ! Il expliqua au gardien qu’il préférait revenir, car l’extérieur lui avait paru vide, hostile ! Le gardien fut très compréhensif et il ramena son ancien prisonnier dans sa cellule… Pourtant, celui-ci ne put réprimer un haut le cœur à la vue de cet espace si étroit, où il avait maintes fois tourné en rond, comme un fauve dans sa cage !

    « Bon sang ! s’écria le prisonnier. expliquez-moi pourquoi on ne peut pas être heureux ici, ni dehors ! Il n’y a donc pas de solutions alternatives ?

    _ Si vous voulez l’avis d’un gardien, qui a plus de quarante ans de service, je vous dirai que tant que vous serez le point mire de votre vie, vous ne connaîtrez ni la paix, ni une joie durable ! C’est notre égoïsme qui fait notre prison ! « Venez à moi et vous n’aurez plus jamais soif ! », vous vous rappelez ? »

                                                                                                                  150

         Martine va au boulot en compagnie d’Angoisse, qui prend place côté passager ! La voiture de Martine n’est plus toute jeune et Angoisse s’écrie : « Brrr ! Fait pas chaud c’ matin ! J’espère que ta vieille guimbarde ne va pas tomber en panne ! Manqu’rait plus qu’on reste en rade sur la rocade ! Tu sais combien ça coûte un dépannage ? Attends, rien qu’une courroie à changer… et c’est déjà bonbon ! Attention, là ton clignotant !

    _ Tu peux pas la fermer cinq minutes ! dit Martine.

    _ Bien sûr que si ! Mais tu sais comment j’ suis ! Faut qu’ je cause, sinon j’suis pas bien ! T’es sûre d’avoir mis le chauffage, car ça caille !

    _ Mais oui ! Mais faut attendre un peu ! réplique Martine, qui touche les manettes et passe la main sur les ouvertures.

    _ De toute façon, t’as jamais compris comment ça marche ! Tu fais l’entendue, mais t’es paumée devant la technique !

    _ Et bla, bla, bla !

    _ D’accord, y a plus grave ! Ta fille veut faire d’ la danse et il lui faut un tutu, des chaussures… Il faut payer l’inscription, etc. Or, t’es déjà un peu juste !

    _ On s’ débrouill’ra !

    _ Sûr ! T’es une femme forte ! Ton père a toujours été fière de toi ! N’empêche…

    _ N’empêche que quoi ?

    _ N’empêche que c’était un vieil égoïste et qu’il te flattait pour que tu fasses ses quatre volontés ! Ou même pour que tu le laisses tranquille !

    _ Tu veux dire qu’il se servait de moi !

    _ Bien sûr ! Il te rassurait sur ta séduction… et après t’étais son p’tit chien ! Il savait t’ manœuvrer !

    _ Quelle dégueulasse tu fais !

    _ Attention là, tu prends la file de gauche !

    _ Mais bon sang, je prends ce ch’min chaque matin !

    _ Je sais, je sais, mais t’es parfois distraite ! Je me demande…

    _ Allez vas-y, tu t’ demandes quoi ?

    _ Je me demande si ton mari n’agit pas avec toi comme ton père ! s’il te neutralise pas en te rassurant sur ta séduction !

    _ Tu veux dire qu’il band’rait pour de faux ?

    _ Ouh ! Te voilà vulgaire et donc… en colère ! Moi, tu sais, j’ai rien contre toi, j’essaie juste d’y voir clair ! C’est tout !

    _ Bien sûr, tes intentions sont pures ! Au sujet de Simon, je te dirai…

    _ Ouh là ! Ouh là ! T’as vu celui-là ! Mais c’est qu’il nous coupe gentiment la route ! Va donc, eh chauffard ! Y en a des malades ! Qu’est-ce qu’on disait ?

    _ On parlait de sexe et d’amour…, de confiance plutôt !

    _ Bon et si on mettait carte sur table ?

    _ Vas-y, j’ t’écoute !

    _ Dans le fond t’es paumée, non ? T’es seule, t’es perdue !

    _ Salope !

    _ Excuse-moi, mais faut percer l’abcès ! Tu peux pas être sûre de Simon : il est tiède et de plus en plus absent ! N’étaient le prêt qui vous enchaîne et les enfants, resterait-il à la maison ? T’as pris du poids, t’es plus aussi sexy qu’avant !

    _ S’il est pas content, qu’il aille voir ailleurs !

    _ Oh ! Le ton bravache ! Alors que tu sais que tu es dépressive ! T’es à cran quasiment tout l’ temps ! Tu luttes pour pas craquer ! Où est la nana épanouie, qui parade devant ses amies ? le symbole de l’équilibre et de la réussite ? Où est ton portrait par Marie-Claire ?

    _ Tu sais quoi ? VA te faire foutre !

    _ Bien sûr ma douce ! On va bientôt prendre la bretelle, j’ te signale ! Mais peut-être que tu prends le problème par le mauvais bout !

    _ C’est-à-dire ?

    _ Et si t’étais une lesbienne refoulée ? »

    Martine est tellement choquée qu’elle regarde bien en face Angoisse et pan ! Elle emboutit la voiture qui précède ! Son avant est tout écrasé et légèrement commotionnée, elle voit arriver l’autre automobiliste, qui est dans une furie monstre !

    « Oh ! Oh ! dit Angoisse. Il est temps pour moi d’aller voir ailleurs ! A la r’voyure, Martine ! On garde le contact ! Ah ! Ah ! » Elle sort comme si de rien n’était et elle ouvre la porte d’une voiture arrêtée, pour s’asseoir près du chauffeur : « Vous avez vu ? jette-t-elle. Affreux non ? Et ça s’produit chaque jour ! Prudence donc, car ce s’rait dommage d’abîmer une aussi belle voiture que la vôtre, d’autant qu’ c’est compliqué à réparer ! »