Les enfants Doms (T2, 181-185)

  • Le 03/06/2023
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Doms63

 

 

                 "C'est pour le sexe, baby!"

                                Les Chevaliers du ciel

 

                            181

     Une autociel va tellement vite qu’elle crée un cyclone ! Elle déplume les oiseaux au passage et la police finit par l’arrêter ! Dans l’autociel, la musique est à fond et douze enfants, assis à l’arrière, regardent médusés les policiers qui s’approchent ! Le conducteur est contraint de baisser sa vitre et de la fumée de cannabis s’échappe lourdement !

« 400 km/h ! s’écrie le policier, qui doit chasser la fumée, pour ne pas être incommodé. Et probablement usage de stupéfiants !

_ C’est pas c’ que vous croyez, m’sieur l’agent !

_ Ah non ?

_ Non, j’ dois aller voir un client… et ça urge !

_ Un consommateur ? »

L’homme hausse les épaules… « Permis de conduire et papier du véhicule ! reprend le policier.

_ Ben, j’ai passé mon permis hier ! J’ai pas encore le réflexe d’emporter tout ça avec moi... »

A cet instant, une aile du véhicule cède quand l’un des agents fait légèrement pression dessus ! « Bon, dit le premier policier. L’autociel va rester là et on va ramener les enfants chez eux… Vous, par contre, vous êtes condamné !

_ Ne me dites pas que…, s’inquiète le conducteur.

_ Oh si ! »

L’homme se met à pleurer ! Il sait ce qui l’attend et c’est insupportable ! Bien d’autres et de plus riches que lui, des notables, ont craqué en effectuant la peine dont il est question ! D’ailleurs, personne n’y résiste et la plupart en sont marqués à vie ! Face au « délinquants » de la route, la justice a montré ses muscles ! Mais c’est efficace, car chaque jour des hommes et des femmes subissent le nouveau traitement et se tiennent par la suite à carreau !

Mais quel est donc celui-ci ? Il ne s’agit plus d’une amende, ni même d’un retrait de permis, ni de la confiscation du véhicule… On est allé beaucoup plus loin ! On s’est demandé qu’est-ce qui pouvait être le plus terrible aujourd’hui pour un automobiliste et on a trouvé !

Cependant, notre homme est conduit dans un centre spécial et après les formalités d’usage, il doit entrer dans une cage de verre, d’une dimension tellement vaste qu’elle n’en paraît pas une prison et qu’elle en devient même invisible en son centre ! Ce qui la fait disparaître au regard, c’est qu’elle est remplie d’une végétation dense, comme si on était dans un sous-bois, parmi les fleurs et les arbres, au bord d’un ruisseau qui serpente et en compagnie d’oiseaux qui chantent et d’insectes colorés, qui fêtent le soleil !

Le délinquant de la route est invité à contempler ce « décor » enchanteur, à se réjouir de toute cette vie, à goûter cette merveilleuse paix, mais hélas ! la réaction est presque toujours la même ! C’est l’angoisse et la panique ! Un peu de silence, ne pas se préoccuper de soi pendant cinq minutes, être devant autre chose que son reflet plongent le contrevenant dans une horreur indescriptible et pratiquement à tout coup, il vient buter contre la paroi de verre, criant au secours et la frappant de toutes ses forces !

Deux gardiens, en blouses blanches, sont chargés de veiller au bon déroulement de la peine et ils en ont vu des choses ! Des riches leur ont proposé des millions, des politiques un poste important, des stars leur corps ! On supplie ces gardiens, on leur promet monts et merveilles, puis on les insulte et les menace, quand on voit qu’ils demeurent sourds ! Leurs nerfs sont mis à rude épreuve et c’est pourquoi ils reçoivent un entraînement sévère !

Malgré tout, certains d’entre eux en viennent à douter, tant ils voient de souffrance ! N’est-ce pas une peine trop atroce, disproportionnée, se demandent-ils. Évidemment, à ce moment-là, des carcasses calcinées, des corps encastrés et sanguinolents leur reviennent à la mémoire et les durcissent, mais derrière la paroi les visages ne laissent pas de montrer leur détresse !

Le pire, c’est quand un papillon ou une graminée semblent s’approcher du contrevenant, surtout si un oiseau, non loin de là, a l’air de surveiller ce qui se passe, car alors le complot de la nature, son désir de nuire et de perdre l’homme éclatent au grand jour ! Le contrevenant n’est plus qu’une loque et il s’écroule, avec quelques derniers gémissements ! Quel gardien n’a pas été tenté, à cet instant, de jeter à son propriétaire son Narcisse, afin qu’il se sauve de ce monde vert, comme on lance une bouée à ceux qui se noient !

                                                                                                          182

     Le commando Science envoie certains de ses hommes vers une nouvelle mission et le camion qui les transporte cahote dans la brume ! A l’arrière, sous la bâche, le professeur Ratamor s’inquiète de ce que son voisin, un nommé Bjork, aiguise son couteau avec une sorte d’ivresse ! Malgré le bruit et les tressauts, Ratamor demande : « C’est pour couper du papier ? »

Surpris, Bjork arrête son geste, semble exaspéré par ce qu’il vient d’entendre et puis finalement répond : « Nan, c’est pour trancher la gorge de ceux qui nous envoient dans le mur ! 

_ Qui ça ? crie presque Ratamor, pour couvrir les cliquetis du camion.

_ Les néolibéraux ! Le gouvernement si tu préfères ! Tous ces champions de l’inaction climatique ! »

Ratamor a un sourire figé, pour montrer qu’il a compris et la conversation s’arrête là, car encore plus troublé, le professeur essaie de se rappeler qui est Bjork… D’après ses souvenirs, c’est un spécialiste de la mécanique quantique… C’est donc un homme qui sait qu’à dix puissance moins trente secondes ou à quelque chose près, la matière triomphe du vide pour créer l’Univers ! C’est dire si on a eu chaud et cela devrait relativiser les passions ! Mais pas celle de Bjork, qui joue maintenant avec ses grenades !

« On va baiser tous ces suceurs de sève ! marmonne-t-il. Une ou deux comme ça et envolé leur crachat de coucou ! »

« Apparemment, Bjork a des notions de jardinage », songe Ratamor qui maintenant s’agace lui-même, comme si la bêtise et la haine de son voisin étaient en train de couler dans ses veines ! « Tout doux, se dit le professeur, d’abord parce que la colère rend malheureux son propriétaire ! Ensuite, parce que je viens de la petite bourgeoisie et donc d’un milieu plutôt à droite, qui aime l’ordre et non l’agitation de la gauche ! Je ne dois donc pas me laisser influencer par mon origine, d’autant que je connais parfaitement son hypocrisie et son égoïsme froid !

Mais, tout de même, comment un homme apparemment aussi intelligent que Bjork peut-il être aussi naïf et aveugle ? Est-ce qu’il a jamais existé un gouvernement donnant satisfaction à sa population ? On a haï le parlementarisme, comme on accuse aujourd’hui le trop grand pouvoir du Président ! Il y a toujours eu des troubles et croire qu’un nouveau gouvernement ou qu’une nouvelle République puissent changer radicalement les choses, ainsi qu’on leur donnerait un coup de baguette magique, c’est de l’enfantillage, une aberration ! La solution à notre bonheur n’est pas politique !

D’autre part, pourquoi le libéralisme s’est-il peu à peu imposé partout dans le monde ? Mais parce que ce « système », aussi injuste soit-il, permet à notre égoïsme naturel de se développer ! Chacun dispose a priori de la possibilité de s’enrichir et de prendre de l’importance et c’est ce qui fait que l’économie fonctionne et qu’elle est à même d’assurer une protection sociale ! Sans entreprises, pas d’emplois, ni de cotisations !

Lutter contre notre nature par la force, comme l’a fait le communisme, ne peut que conduire à l’échec ! Les hommes ne changent que parce qu’ils comprennent que c’est dans leur intérêt ! Mais, pareillement, on ne peut pas espérer diriger un pays si les richesses restent toujours dans les mêmes mains, car dans ce cas on rend impossible le développement de la majorité, qui finit par se révolter !

Pas simple ! Pas simple ! On dirait même qu’on est dans une impasse ! Mais, si la solution n’est pas politique, elle ne peut être qu’individuelle ! C’est à chacun de changer, pauvre ou riche, en diminuant son égoïsme, ce qui implique la reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, avec sa différence ! Cela veut dire qu’on doit aller vers la nuance, la compréhension, ce qui exclue les extrêmes, tous les radicalismes, qu’ils soient de droite ou de gauche ou encore religieux ! Car c’est bien notre mépris, notre suffisance, notre impatience, notre violence au quotidien qui nous pourrissent la vie, qui la rendent insupportable ! Le mur de l’égoïsme nous tombe chaque jour sur les pieds !

Cependant, respecter l’autre, surtout s’il nous est contraire, demande de la force et de la persévérance ! C’est le résultat d’un long travail sur soi ! d’une longue patience ! C’est l’histoire d’un renoncement compris et admis ! C’est la véritable richesse, celle de la paix, de la liberté intérieures ! C’est le rayonnement de la sagesse ! Cela demande tout de même de lutter contre sa propre domination, de comprendre qu’on ne triomphe pas sur ses adversaires ! C’est approcher une sorte de tristesse, celle qui apparaît quand on grandit et qui est bientôt remplacée par la joie d’évoluer !

Rasséréné, Ratamor se tourne vers Bjork et lui dit : « Tu sais, ceux que tu veux tuer sont aussi des êtres humains ! Ils ont tous leur complexité ! Tu ne peux pas les juger d’un bloc, comme ça !

_ Les néolibéraux sont responsables du réchauffement… et on va tous les passer à la broche ! »

Ratamor est pris soudain d’une profonde lassitude et il rajoute ! « T’es vraiment un sacré connard, Bjork !

_ Comment ?

_ Explique-moi pourquoi t’es aussi con ? Pourquoi tu fais pas d’efforts ? Pourquoi c’est toujours aux mêmes d’essayer de comprendre, alors que ceux qui te ressemblent restent des abrutis ? Tu peux m’expliquer ça ?

_ Mais… mais j’ te permets pas de me parler sur ce ton !

_ Bien sûr, tu veux du respect pour toi, mais pas pour les autres !

_ T’es maso, c’est ça ? Tu veux ta ration de coups ?

_ Pourquoi t’es aussi moche ? »

Les deux hommes se donnent des baffes et ils ont l’air de deux pigeons qui se battent !

                                                                                                      183

      Trois militants écolos, deux gars et une fille, suivent Cariou, après sa brève intervention sur les préparatifs à l’assaut de RAM ! « On a été touché par ce que vous avez dit… au sujet de se pacifier soi-même ! explique l’un. On voudrait mieux comprendre votre point de vue !

_ Vous êtes donc prêts pour la première leçon ? »

Les trois militants opinent et Cariou reprend : « Venez par ici, je vais vous montrer quelque chose ! » Ils prennent un étroit sentier parmi des orties et ils débouchent sur un terrain vaseux, où disparaissent presque deux lavoirs ! « Voici les magnifiques vestiges d’un temps passé ! dit Cariou. Vous remarquerez la beauté, l’élégance des pierres qui constituent les lavoirs ! On travaillait à cette époque dans le respect de la nature, car on en avait absolument besoin ! On la craignait même et en tout cas, on en était tellement imprégné qu’on construisait quasiment en harmonie avec elle ! Ceci explique pourquoi les anciennes maisons se fondent si bien dans leur environnement ! Il ne s’agissait pas de s’imposer, d’écraser, comme on le fait avec le béton de nos jours ! La civilisation à présent croit qu’elle peut vivre en autarcie, seulement concentrée sur elle-même, comme si la nature n’était là que pour son service !

Or, nous venons de la nature et c’est elle qui nous apprend qui nous sommes ! Dans les villes, où nous n’avons plus guère de contacts avec la nature, nous devenons fous et violents, car notre ego y est exacerbé ! Rien ne vient le calmer, l’apaiser, puisque c’est le temps de la nature qui peut faire évoluer le nôtre ! C’est elle qui nous aide à mûrir, par la patience notamment !

Mais tout cela ne doit pas vous être étranger, n’est-ce pas ! Alors, voilà ce que vous allez faire : puisqu’on veut rendre toute sa valeur à l’eau, il est normal de l’entretenir où qu’elle soit ! Vous allez donc nettoyer ces lavoirs et leurs abords ! Il faut qu’une eau limpide ici réjouisse la vue et qu’elle circule librement, comme si elle pouvait être heureuse elle-même ! Je vous apporte les outils, d’accord ? »

Les militants un peu surpris finissent par approuver et bientôt le travail commence ! Il est pénible : la boue est difficile à enlever, il faut racler maintes fois la pierre ! Les bras sont couverts de vase et écorchés par les ronces ! On se retrouve souvent dans une jungle inextricable ! De la poussière végétale s’en échappe et se fixe sur la peau en sueur ! Le soleil tape aussi et les orties et les moustiques continuent de piquer ! La tâche paraît gigantesque, sans fin et après quelques heures, il y a des murmures, de la fatigue et du découragement ! Les militants viennent voir Cariou et ils ont l’air gênés : « Dites, euh… fait l’un. Voilà, c’est sûr que ce travail est utile et nécessaire ! On voit bien le changement : il y a beaucoup plus de lumière et le coin a l’air à nouveau de respirer ! Mais on se dit aussi qu’on pourrait être plus efficaces en rejoignant les autres, qui préparent l’attaque de RAM ! Car ce sont les gros pollueurs qu’il faut faire changer ! Hein ? Ici, c’est une goutte d’eau ! D’ailleurs, on r’viendra ! On f’ra ça après ! Faut pas nous en vouloir ! On n’est pas des paresseux ! On pense seulement qu’il y a des priorités !

_ Oh ! Mais je ne vous en veux pas ! Votre réaction était prévue et elle est bien normale !

_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

_ Pourquoi le découragement vous atteint ? Mais parce qu’ici c’est un combat sans gloire ! Votre ego y est peu intéressé, d’autant que vous n’êtes pas payés ! C’est un travail obscur, ingrat, et qui demande beaucoup de patience ! Par contre, l’affrontement avec les forces de l’ordre est bien plus amusant, entre guillemets ! D’abord, vous êtes sur le devant de la scène ! Ensuite, c’est votre individualité qui est concernée ! Il s’agit quasiment d’un test pour chacun d’entre vous ! Serez-vous assez courageux, assez forts pour l’emporter ? C’est la domination animale qui est en vous qui défend son territoire psychique, vos convictions si vous voulez !

_ Oui, vous avez sans doute raison… Nous sommes jeunes aussi et nous avons besoin de nous connaître !

_ Exactement ! Mais ma première leçon, la voici : n’oubliez pas qu’en plus de votre cause, vous agissez pour votre ego ! Car vos adversaires ont le même comportement ! Eux aussi, grâce à l’argent et au pouvoir, ils veulent se sentir supérieurs et vaincre, d’où leur pollution ! Mais de de votre côté comme du leur, c’est l’égoïsme qui compte, même si vos raisons peuvent paraître justes ! Entre vous et vos adversaires, il n’y a que les moyens qui changent ! Eux utilisent l’argent, le commerce, et vous, vous êtes plus violents, plus physiques ! Mais c’est tout !

_ Mais on ne peut pas les laisser faire !

_ Mais ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que la domination animale est une impasse ! A votre attaque correspond une défense et vous ne faites que renforcer la haine et les convictions de vos adversaires ! Car bien entendu vous ne pouvez pas non plus songer sérieusement à les détruire ! On ne tue pas les gens, n’est-ce pas !

_ Mais alors qu’est-ce que vous préconisez ?

_ Mais comme je l’ai déjà dit, vous vous pacifiez d’abord ! C’est-à-dire que vous calmez votre ego, notamment au contact de la nature ! Vous devenez heureux en étant en paix, car vous ne vous blessez plus et vous voilà prêts à aimer la différence, à ne plus l’agresser à cause de vos peurs et de votre soif de reconnaissance ! Votre adversaire, rassuré, vous écoute enfin et essaie lui-même de s’améliorer…

_ Mais il y a urgence ! On ne peut pas attendre tout ce temps-là !

_ Ah bon ? Vous ne voyez toujours pas que nous sommes dans une impasse ! »

                                                                                                    184

      Angoisse, que fais-tu sous le ciel bleu ?

Je dis à l’homme que toutes les portes sont fermées !

Qu’il n’y a pas de futur, ni de plaisirs !

Qu’invariablement ce sera toujours la même chose !

Je serre l’esprit dans un étau

Et je presse, lentement, inexorablement !

Je désespère, j’épuise, j’effraie, je torture !

Je réveille les débats oubliés !

Je rouvre les puits sans fond !

Je montre des tunnels pleins de cauchemars !

Et je regarde l’homme qui veut s’échapper !

Il veut acheter quelque chose…

Pour se donner d’ l’air !

Pour sentir que les choses bougent !

Qu’il n’est pas abandonné !

Qu’il a encore quelque importance !

J’ comprends ça ! J’ai pitié d’ lui, vous savez !

Alors, j’ lui dis : « Mais t’as pas un nickel !

Tu l’as dans l’os ! »

Et j’éclate d’un gros rire !

J’ lui donne même une grande claque dans le dos, tellement ça m’ fait marrer !

Puis, j’ rajoute : « Va falloir trouver autre chose, mon bonhomme !

J’ suis sûr que tu peux apaiser tes frustrations par un autre moyen !

Car t’as des blessures évidemment !

Le monde est plein de poisons !

Hein ?

Y en a qui disent ce qu’ils ont sur le cœur

Et tu sais que c’est pas vrai,

Qu’ils sont des hypocrites !

Mais qui leur répond ?

Pas toi en tout cas, hi ! hi !

T’es inconnu au bataillon !

Personne ne t’écoute !

Tant pis pour la vérité !

Et puis : « Qu’est-ce que la vérité ? », comme disait l’autre !

Te voilà en plein désert,

Mourant de soif !

T’es prêt pour la brûlure !

Celle de la haine !

Elle te marque au fer rouge !

Et tu danses !

Elle te fouaille l’estomac !

Et tu voudrais rugir,

Arracher les yeux !

Je suis la vieille angoisse,

Comme la mer qui descend !

J’assèche, je vide les cœurs

Sous le ciel bleu !

Tu rêves d’espoir ?

D’un souffle frais ?

Trouve des coupables !

Fustige-les !

Détruis-les !

Non, tu penses que c’est mal ?

Tu es plus intelligent que ça ?

Tu ne crois pas à cette fausse libération ?

Tu ne veux pas de la haine ?

Bien, bien, tu es une belle âme !

Chapeau !

Tu es meilleur que tous ces veaux !

Mais je suis toujours là

Et je te raconte que ce sera toujours pareil !

Que tu es enfermé !

En prison !

La cellule étant toi-même !

Et de nouveau t’as peur

Et tu es triste !

Tu tapes dans les murs

Et pourquoi on ne te répondrait pas ?

Et pourquoi on ne te sauverait pas ? »

                                                                                                   185

     « Professeur Citron, bonjour !

_ Bonjour !

_ Alors, un nouveau livre…

_ En effet…

_ Ça paraît chez Machin et ça s’appelle…., ça s’appelle, euh…, Le Nouveau royaume ! Voilà !

_ Oui, oui !

_ Alors, professeur Citron, je rappelle un peu qui vous êtes…, même si on connaît bien vos livres aujourd’hui, puisque c’est votre deux centième ! Mais enfin, vous êtes directeur au PNRS, section sociologie et cristallographie ! Vous êtes encore un spécialiste des séismes en haute altitude, conseiller permanent au siège de la fondation Bax, un think tank qui se consacre au bien-être des sociétés !

_ Oui, j’ai cet honneur-là… et je dois dire que nous avons beaucoup de travail, car la situation est très préoccupante !

_ On va y revenir, car c’est aussi le sujet de votre nouveau livre en filigrane ! Vous êtes aussi président de l’UGELEC, qui gère l’eau de plusieurs villes ! On vous retrouve dans la revue Beau printemps, où chaque lecteur connaît bien votre chronique et s’en délecte !

_ Et moi aussi ! C’est toujours un véritable plaisir que de participer à cette revue, notamment avec mon camarade Tomate qui la dirige !

_ Vous ne perdez pas de vue la recherche scientifique cependant, car chaque année vous êtes de ceux qui décernent la fameuse bourse Curie, au projet le plus novateur !

_ Mes amis et moi, nous tenons absolument à favoriser la jeune science, car elle est l’avenir ! Pour cela bien entendu, elle doit être aidée financièrement…

_ Mais l’art également vous intéresse ! Auteur de plusieurs recueils de poèmes, comme l’Etalon qui a été salué par la critique, vous siégez au Comité de la muse, qui chaque année distingue un nouveau talent littéraire, en lui remettant le prix Bourgeon !

_ Oui, l’art est une richesse de l’homme, c’est l’un de ces ornements… et la science ne doit pas l’oublier ! Que serait nos vies sans les fleurs, même si leur éclat n’est que sexuel ? Ah ! Ah ! Mais notre société possède une grande culture et le beau texte fait partie de son patrimoine !

_ C’est un poète qui parle ! Et, même si c’est un peu un secret, je dois quand même le dire : vous êtes en passe de devenir un académicien !

_ Oui, hi ! hi ! Des amis ont la bonté de penser à ma candidature ! Car moi-même, je n’y aurais jamais songé ! Je sais qu’il y a là-bas des géants et ma foi, tant mieux s’ils m’acceptent dans leur ombre !

_ Ce qui étonne chez vous, Albert Citron, c’est cette modestie, cette humilité tranquille, qui semble vous caractériser, alors que je n’ai fait qu’ébaucher un dixième de vos occupations ! On se demande comment vous pouvez garder la tête froide !

_ Oh ! Mais c’est assez simple : j’ai foi en l’homme ! Je crois que la raison peut nous aider à garder de la retenue et même, même nous rendre satisfaits de ce que nous avons, sans désirer plus ! C’est là, à mon sens, la clé du vivre ensemble !

_ Vous me donnez la transition pour parler de votre livre, car le personnage principal est un père de famille, qui apparemment est heureux auprès des siens, en remplissant ses devoirs, puisqu’il veille à la sécurité et au bonheur de tous, mais en même temps c’est un révolté ! Quelque chose le gêne ! Il sent une colère monter en lui, contre ce qui est en quelque sorte un plafond de verre ! Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu mieux ça, Albert Citron ?

_ Oui, cet homme, qui ne veut que l’épanouissement de ses enfants, est peu à peu choqué par ceux qu’il va appeler les accapareurs du pouvoir ! Ils découvrent que certains n’en ont jamais assez, qu’ils cumulent les postes, qu’ils sont bien entendu assoiffés d’argent et qu’en fait ils sont en train de contrôler le monde…

_ Je rappelle que vous-même, vous venez d’une famille communiste…

_ Oui, j’ai eu la chance d’avoir un père, qui m’a expliqué que le but de l’homme, c’est l’homme ! Ce n’est pas l’argent, ni le pouvoir, ni les honneurs ! C’est la camaraderie et le partage !

_ Il faut dire que votre personnage du père va se retrouver accusé, à tort, d’avoir fraudé le fisc !

_ En effet, il devient la victime de loups de la finance !

_ Il dénonce un complot néolibéral !

_ Il va se défendre et partir en croisade contre l’égoïsme !

_ Il s’agit pour lui de se faire entendre à tout prix ! Et il va même participer à un célèbre concours de chansons ! C’est là que l’homme de science, que vous êtes, s’efface devant la fantaisie de l’artiste ! Vous voilà plein d’imagination !

_ Oui, ah ! ah ! Notre homme va pousser la chansonnette pour la bonne cause !

_ Il va même gagner le concours !

_ Il a une belle voix !

_ Est-ce aussi votre cas, Albert Citron ?

_ Oh ! Oh ! Disons que je me place dans les bons ténors, mais pas dans les meilleurs bien entendu !

_ Alors, on ne va pas raconter la fin du livre, car c’est un récit palpitant, plein de rebondissements et de surprises, mais, Albert Citron, on ne peut tout de même pas s’empêcher de penser que le personnage, c’est vous, non ?

_ Ah ! Ah ! Chacun jugera, mais il est vrai que je partage l’indignation de mon personnage ! Nous vivons dans une société où un très petit nombre s’est mis en tête de tout diriger ! Du matin au soir, on doit les écouter, suivre leurs humeurs, s’intéresser à leur petite personne… Bref, on doit être quasiment à leur chevet, alors, alors qu’il y a tant de gens qui souffrent ! Et qui souffrent dans l’anonymat, qui n’ont pas voix au chapitre ! Je dis attention, danger !

_ On a bien compris votre combat, mais on peut quand même dévoiler un détail, qui va enchanter nos auditeurs ! Votre personnage a le même tatouage que vous !

_ Mais… mais qui vous a dit ça ? C’est… c’est intime !

_ Je ne vous le dirai pas, hi ! hi ! J’ai aussi mes informateurs ! Mais vous pouvez nous dire un mot sur ce tatouage…

_ Si vous y tenez…

_ C’est une allégorie de la justice, je crois…

_ C’est vrai, car c’est ma conviction la plus profonde, la justice sociale !

_ Juste un peu au-dessus de la fesse, hi ! hi !

_ Disons sur la côte…

_ La côte d’azur, où vous avez une villa !

_ Un mas rénové, pour être plus juste, c’est quelque chose de très simple !

_ Décoré par Delcroix !

_ Mais enfin vous connaissez tout sur moi !

_ Vous êtes incontournable ! »

 
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