Les enfants Doms (T2, 146-150)

  • Le 15/04/2023
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Dom55

 

 

   "C'est tout juste s'il faut pas appeler police-secours!"

                                Hôtel du Nord

 

                           146

     « On s’ennuie, grand-père…, dit le petit garçon. Elle ne veut pas jouer au cow-boy !

_ Et lui, il refuse de lire tranquille ! répond la petite sœur !

_ Les enfants, on s’croirait sur la planète des Moije ! s’écrie le grand-père.

_ Ah ! Une histoire !

_ Les Moije, qu’est-ce que c’est ?

_ Eh bien, c’est une drôle de planète les enfants ! Elle a une apparence volcanique ! Elle bout un peut partout, en fumant, mais le plus bizarre, c’est que les bulles de boue, qui s’agitent à la surface, disent des choses…, comme si les grenouilles d’un étang pouvaient parler !

_ Hi ! Hi !

_ Et elles disent quoi, les bulles, grand-père ?

_ « Moi, j’ai des bombes ! » par exemple, ou « Moi, j’ai des amis ! », « Moi, j’suis pas d’accord ! », « Moi, j’ veux qu’on m’obéisse ! », Moi, je pense que… ! », « Moi, je me gratte là ! »

_ Hi ! Hi !

_ « Moi, je tourne ici ! Moi, je tourne là ! », « Moi, j’ claque des doigts ! », « Moi, j’ fais un gâteau ! » Cela n’arrête pas les enfants ! Toutes les bulles crient et on a vite mal aux oreilles ! Il est impossible de se reposer sur cette planète ! Où qu’on aille, on entend : « Moi, je ! »

_ Hi ! Hi !

_ Ah oui ! C’est pour ça que cette planète s’appelle la planète des Moije ! dit la petite fille.

_ Exactement, ma toute belle ! continue le grand-père. Et ce ne sont même pas les plus grosses bulles qui parlent le plus fort ! On en trouve de minuscules, qui disent : «Moi, je vois bien le complot ! Il est vaste, car les grosses bulles ont décidé d’écraser les petites comme moi ! Snif ! »

_ Hi ! Hi !

_ C’est vrai, grand-père, qu’on veut écraser les petites ?

_ Et pourquoi les grosses se soucieraient des petites, elles ne les voient même pas ! Mais les petites ont besoin de croire le contraire, pour ne pas se sentir toutes seules et abandonnées ! Le cri « Moije », c’est pour dire qu’on existe !

_ Moi, je veux qu’on joue aux cow-boys ! fait le petit garçon.

_ Moi, je veux qu’on lise tranquille ! renchérit la petite fille.

_ Vous avez tout compris, les enfants ! Mais le cosmonaute, qui arrive sur la planète des Moije, est bien embêté ! Il va vers une bulle et demande : »Qu’est-ce que vous dites ? » Il essaie d’écouter la bulle, quand une autre à côté fait encore plus fortement : « Moije ! Moije ! » Le cosmonaute se précipite vers elle, car il est impressionné et pense que c’est plus urgent ! Il tend l’oreille pour comprendre, mais soudain un peu plus loin surgit un nouveau Moije, puis un autre et encore un autre ! Le cosmonaute ne sait plus où donner de la tête !

_ Hi ! Hi !

_ Il va devenir fou ! dit la petite fille.

_ On va faire la planète des Moije, les enfants…

_ Chic !

_ Vous vous mettez comme la grenouille… Les jambes en tailleur… Les mains sur les genoux, voilà… et vous regardez droit devant, les joues grosses et l’air un peu mauvais ! Il faut qu’on ait l’impression qu’on vous a pris vot’ part de gâteau !

_ Hi ! Hi !

_ Allons-y, les enfants ! On va d’abord pousser un Moije grave, car on est des Moije sérieux ! Mooooajeu !

_ Mooooaaaajeu ! Moooaaaaje !

_ Très bien ! Maintenant, le Moije aigu ! C’est le Moije de la star de cinéma ! Moiiiijjjuuuu ! Moiiijuuu !

_ Mooiiijjuuu !

_Parfait ! J’en ai la chair de poule !

_Hi ! Hi !

_ A présent, le Moije plein de boue ! On doit sentir que vous avez la bouche remplie de vase !

_ C’est dégoûtant !

_C’est pour ça que c’est marrant ! Attention, ça doit dégouliner ! Mooooaaaabeurkjjje !

_Moooabeurjjejjeeu !

_Moooaboueurjkjeuue ! Bouf !

_ Ah ! Ah ! Vous êtes extra, les enfants ! Vous êtes mes soleils ! »

                                                                                                   147

      L’inspecteur Brooks pénètre dans l’hôpital et demande à voir le psychiatre Anderson. On lui répond que le docteur l’attend et bientôt Brooks entre dans un cabinet sans fioritures. « Bonjour, inspecteur, fait le psychiatre.

_ Bonjour Anderson, vous avez du nouveau au sujet de Martin ?

_ Non rien, malheureusement ! Il est toujours catatonique !

_ Il faut pourtant que nous découvrions ce qui est arrivé au professeur Ganymède ! J’ai amené avec moi Kitty Falls, la fiancée de Martin ! Elle pourrait aider le garçon à parler !

_ Très bonne idée ! Allons rejoindre le malade ! »

Après un couloir assez sombre, où errent quelques silhouettes vacillantes, le trio arrive dans la chambre de Martin ! Il est là assis sur son lit et fixe de ses yeux vides une fenêtre à barreaux ! Brooks et Anderson laissent la place à Kitty Falls, qui s’avance : « Martin, c’est moi Kitty, dit la jeune femme. C’est moi, mon chéri…

_ Kitty ! fait le jeune homme, qui semble revenir à la conscience. Oh, ma chérie, si tu savais ! »

Martin se met à pleurer dans les bras de sa fiancée, assise près de lui. « Tout va bien maintenant ! dit la jeune femme consolatrice. Tu es en sécurité ici, mais ces messieurs (elle désigne Anderson et Brooks) voudraient savoir où est le professeur Ganymède !

_ Bien sûr…, répond Martin avec attention.

_ Je vous rappelle qu’on vous a trouvé en train de dériver dans une pirogue, au large de l’île Kranoura ! »

Martin regarde Brooks et on voit qu’il fait un effort avec sa mémoire… « Il est nécessaire que je vous raconte toute l’histoire, balbutie-t-il. Il y a un mois le professeur Ganymède a reçu un message du consul de l’archipel des Pomu ! D’étranges phénomènes se produisaient sur l’île de Kranoura… D’après le consul, des femmes étaient enlevées dans la forêt et revenaient à demi-folles, ainsi qu’elles eussent été détruites par une force mauvaise, abominable ! »

Ici, martin hésita… Quelque souvenir particulièrement pénible avait l’air d’empêcher son récit ! Néanmoins, après avoir avalé sa salive, il reprit : « Le professeur décida sur le champ de tirer cette affaire au clair, car il était un ami du consul…

_ Vous dites : « Etait », coupa Brooks. Cela signifie-t-il que le professeur est mort ?

_ Hé… las !

_ Je vous en prie, intervint Anderson, continuez votre récit !

_ Nous sommes rapidement arrivés à Kranoura, reprit le jeune homme avec docilité, mais l’île avait été désertée ! Les huttes étaient vides et on trouvait les objets à leur place, comme si le départ des habitants avait été soudain, précipité ! Seul un vieillard était resté, mais il semblait en proie à une inextinguible terreur ! Il désignait sans cesse la forêt et nous ne tardâmes pas à nous y enfoncer ! Nous suivîmes d’abord les sentiers, puis ce fut la jungle épaisse, hostile, mystérieuse ! Quelle créature infâme allions-nous trouver ? Après deux jours de marche, nous découvrîmes une grotte… Le professeur lui-même, bien qu’habitué à mille aventures et scientifique de renom, ne pouvait cacher sa nervosité ! Enfin, un être vint à sortir du gouffre et il mesurait bien deux mètres de haut ! Il avait des griffes et des dents proéminentes ! Mais le plus étrange, le plus affreux, c’était qu’il était tout vert !

_ Vous êtes sûr de ne pas vous tromper, fit Anderson, l’émotion…

_ Non, non, c’était bien sa couleur ! D’ailleurs, il nous a dit son nom : le père Vert narcissique ! »

En entendant ces mots, Kitty Falls ne put réprimer un frisson. Comme toutes les femmes, elle avait entendu parler de ce monstre et l’inspecteur Brooks avait déjà enregistré maintes plaintes, contre ce terrible forban ! « Que s’est-il passé alors ? demanda Anderson.

_ La créature s’est jetée sur nous, car nous connaissions maintenant son secret ! Et le professeur… le professeur (Martin est gêné par les sanglots) s’est interposé, pour me sauver la vie ! »

La vérité dans la chambre à présent n’avait plus besoin d’autres explications ! Chacun voyait le dévouement de l’homme de science et sa fin dramatique ! « Vous souffrez depuis d’un sentiment de culpabilité ! précisa le psychiatre à Martin. Il faudra beaucoup de temps et sans doute l’aide de votre charmante fiancée, avant que vous ne retrouviez votre santé ! Mais ce n’est pas impossible...

_ Alors que je m’enfuyais, reprit Martin, le père Vert a crié quelque chose !

_ Oui ? fit Brooks.

_ Il a… il a dit qu’il nous aurait tous ! »

                                                                                                         148

     La Peur passe voir ses troupes ! Elle a le cigare au bec et une tenue de guérillero ! « Bon sang ! s’écrie-t-elle, quand elle repère un jogger qui se protège de la pluie, sous un porche. Qu’est-ce que tu fous là, mon garçon ! Comment ça se fait qu’ t’es pas en train de courir ?

_ Mais il grêle ! fait plaintif le jogger.

_ Mais il grêle qu’il dit en pleurnichant ! Allez, du balai ! Tu dois courir qu’il vente ou qu’il neige ! Et ouvre-moi ce tee-shirt ! Le froid, connais pas, voilà ta devise ! »

Le pauvre gars regarde le ciel, qui est plus sombre que jamais, et il reprend sa course ! « C’est ça ! lui crie la Peur derrière. Une belle foulée sous la flotte ! Du nerf ! Ah ! Ah ! »

La Peur rallume son cigare, elle voudrait profiter du tabac, mais déjà elle a un autre sujet de mécontentement ! « Eh toi, là-bas ! crie-t-elle.

_ Moi ? fait une fille en se retournant.

_ Mais oui, toi ! A moins que je n’ m’adresse au bon Dieu, hein ? Tu tortilles pas assez du cul !

_ Vous pourriez pas être poli ?

_ Pfff ! D’accord ! On va y mettre les formes ! Tes fesses sont pas assez saillantes ! Il faut qu’elles attirent l’œil, que l’ mâle ne puisse plus les quitter ! Tu piges, sinon j’ vais t’en faire baver ! J’ te mettrai à g’noux et tu m’ supplieras !

_ Je sais !

_ A la bonne heure ! Alors, fais moi reluire tes noix ! »

La Peur ne s’attarde pas, mais elle se précipite vers un croisement ! Elle braille : « Mais qu’est-ce que vous foutez ? » Des automobilistes la regardent sans vouloir comprendre, ce qui la fait enrager ! « Qu’est-ce que je vous ai dit ? hurle-t-elle. Le trafic doit être fou, délirant, hypnotique ! Rien d’autre n’existe à part votr’ sarabande de débiles ! C’est clair ? »

Les automobilistes opinent, le message est passé et la circulation gronde, pollue, écrase ! « C’est irrespirable ! Ah ! Ah ! s’enchante la Peur. L’enfer sur Terre ! Enfoncée la nature ! Disparu le ciel ! Le bordel dans les cerveaux ! Voilà une affaire qui roule ! Ah ! Ah ! Impossible de trouver du sens ! C’est c’ que j’aime ! »

La Peur commence à siffloter : « Voilà une matinée qui n’ commence pas trop mal ! » se dit-elle, mais soudain elle se rembrunit ! « C’est pas vrai ! » elle peste et elle se met à courir vers un jeune homme. « Non mais, je rêve ! lui dit-elle. T’es couleur muraille, mon gars ! Pour un peu j’ te manquais, tellement t’as l’air médiocre ! Qu’est-ce que j’ t’ai mille fois répété ? T’es l’Adonis avec un grand A ! T’es le plus beau et tout le monde doit l’ voir ! Bon sang ! Il n’est pas question qu’on passe près d’ toi avec indifférence ! C’est toi la perle ! le phare ! »

Le jeune homme obéit, se redresse et regarde droit devant lui avec une totale suffisance ! Il a l’air de dire : « Je suis le parangon ! Vous me devez soumission ! Seul moi compte ! » Il est comme le lépreux avec sa clochette, sauf que c’est sa vanité, sa supériorité qu’il exhibe et qui l’annonce !

« Pas mal ! se dit la Peur. Celui-là est en bonne voie pour devenir un parfait salopard ! Un dur de dur ! Mais encore, c’est trop mou, d’ la guimauve ! Le gamin est encore là ! Quand ça tourn’ra mal, y m’ f’ra faux bond ! Les vrais combattants sont des ordures autrement plus vicieuses ! Tiens, y en a une là-bas ! »

La Peur s’approche d’un type pas banal ! Il est impossible de croiser celui-ci, sans être soumis à son pouvoir, à ce qui se dégage de lui ! Il est comme un réacteur nucléaire en surchauffe ! Il menace de faire fondre le sol, en entraînant tout ce qu’il y a autour de lui ! Il étouffe les autres, anéantit leurs méninges, car il n’est plus qu’un concentré de domination ! Tout son esprit malade veut attirer l’attention et quand enfin on le regarde, il met en valeur le paquet qu’il a entre les jambes, ainsi qu’on devrait tomber en adoration devant ses parties génitales ! Le dieu est dans la rue et il faut s’en occuper !

« Le brave petit ! se dit la Peur ! Voilà le guérillero comme je l’aime, entièrement dévoué ! Il est impossible de respirer, avec un gars comme ça ! C’est forcément les autres esclaves ! J’en ai la chair de poule ! Il est comme mon fils ! Jamais vu un aussi beau fumier ! Grâce à lui, j’ me sens utile ! Y a pas, il est bon pour la médaille ! Snif ! »

                                                                                                      149

     Une nuit, dans la prison de RAM, un homme hurle ! Il fait un vacarme de tous les diables et un gardien s’empresse vers sa cellule, pour demander : « Qu’est-ce qui s’ passe ? Vous allez réveiller tout l’ monde !

_ J’ veux voir le directeur ! crie le prisonnier. C’est un scandale ! Jamais je n’aurais dû me retrouver ici ! J’ suis innocent ! »

Le gardien est bien embêté, car il ne veut pas déranger à pareille heure le directeur, mais d’un autre côté l’agitation du prisonnier peut se propager et créer, qui sait, une rébellion générale ! Finalement, le gardien, par prudence, prévient le directeur et celui-ci arrive auprès du prisonnier un peu plus tard… Il a l’air digne, même s’il est visible qu’il a gardé son pyjama sous son imper ! « Alors, mon garçon fait-il au prisonnier, qu’est-ce qui ne va pas ? 

_ Ce qui ne va pas ? répond interloqué le prisonnier. Mais de quel droit me retient-on ici ? J’ suis innocent ! Et regardez-moi cette cellule ! Comment peut-on espérer vivre normalement dans un tel endroit !

_ Pardon ! Pardon ! réplique le directeur. Mais vous êtes enfermé ici à votre demande !

_ Quoi ?

_ Vérifions ensemble, voulez-vous ? reprend le directeur, qui consulte sa tablette. Vous vous appelez bien Auguste Crigneau, né à Ponflant, le 8 mars 1988 ?

_ Oui…

_ Vous avez souhaité une cellule installée sud, avec un numéro pair, car ça porte chance, avez-vous ajouté ! avec pour condition sine qua non que vous disposiez de votre Narcisse ! Vous avez bien votre Narcisse sur vous ?

_ Oui, convient le prisonnier, qui regarde le smartphone qu’il a dans la main.

_ Et là, c’est bien votre signature ?

_ Oui, reconnaît le prisonnier qui se penche et se redresse. Mais… mais je ne savais que ça serait aussi dur ! Je… je ne peux plus rester enfermé !

_ Mais vous pouvez partir quand vous voulez, précise le directeur. Il est encore indiqué dans le contrat que vous pouvez le résilier à tout moment !

_ Vraiment ?

_ Mais oui… et il était inutile de faire du tapage en pleine nuit ! Il suffisait de demander au gardien votre levée d’écrou, si je puis dire !

_ Ah ben… Je peux donc m’en aller maintenant, tout de suite ?

_ Bien sûr, le gardien va vous accompagner jusqu’à la sortie ! Évidemment, il faudra attendre l’aube, pour y voir quelque chose dehors, mais nous ne sommes pas des monstres, vous savez ! »

L’homme se retrouva bientôt à l’extérieur et il commença à marcher, alors que les premiers rayons du soleil éclairaient les feuillages, car on était en pleine nature ! Il n’y avait pas de villes ou de maisons autour de la prison ! L’homme suivit donc un sentier et il se disait comme il est bon de respirer l’air de la liberté ! Mais, bientôt, toute cette nature, tout ce silence, malgré le joyeux pépiement des oiseaux, commença à l’inquiéter et il plongea le nez dans son Narcisse !

Or, peu de choses y avaient changé depuis la veille et de nouveau, l’homme sentit l’angoisse l’envahir ! Elle fut si forte qu’il se décida à faire demi-tour et il retrouva presque avec soulagement les murs de sa prison ! Il expliqua au gardien qu’il préférait revenir, car l’extérieur lui avait paru vide, hostile ! Le gardien fut très compréhensif et il ramena son ancien prisonnier dans sa cellule… Pourtant, celui-ci ne put réprimer un haut le cœur à la vue de cet espace si étroit, où il avait maintes fois tourné en rond, comme un fauve dans sa cage !

« Bon sang ! s’écria le prisonnier. expliquez-moi pourquoi on ne peut pas être heureux ici, ni dehors ! Il n’y a donc pas de solutions alternatives ?

_ Si vous voulez l’avis d’un gardien, qui a plus de quarante ans de service, je vous dirai que tant que vous serez le point mire de votre vie, vous ne connaîtrez ni la paix, ni une joie durable ! C’est notre égoïsme qui fait notre prison ! « Venez à moi et vous n’aurez plus jamais soif ! », vous vous rappelez ? »

                                                                                                              150

     Martine va au boulot en compagnie d’Angoisse, qui prend place côté passager ! La voiture de Martine n’est plus toute jeune et Angoisse s’écrie : « Brrr ! Fait pas chaud c’ matin ! J’espère que ta vieille guimbarde ne va pas tomber en panne ! Manqu’rait plus qu’on reste en rade sur la rocade ! Tu sais combien ça coûte un dépannage ? Attends, rien qu’une courroie à changer… et c’est déjà bonbon ! Attention, là ton clignotant !

_ Tu peux pas la fermer cinq minutes ! dit Martine.

_ Bien sûr que si ! Mais tu sais comment j’ suis ! Faut qu’ je cause, sinon j’suis pas bien ! T’es sûre d’avoir mis le chauffage, car ça caille !

_ Mais oui ! Mais faut attendre un peu ! réplique Martine, qui touche les manettes et passe la main sur les ouvertures.

_ De toute façon, t’as jamais compris comment ça marche ! Tu fais l’entendue, mais t’es paumée devant la technique !

_ Et bla, bla, bla !

_ D’accord, y a plus grave ! Ta fille veut faire d’ la danse et il lui faut un tutu, des chaussures… Il faut payer l’inscription, etc. Or, t’es déjà un peu juste !

_ On s’ débrouill’ra !

_ Sûr ! T’es une femme forte ! Ton père a toujours été fière de toi ! N’empêche…

_ N’empêche que quoi ?

_ N’empêche que c’était un vieil égoïste et qu’il te flattait pour que tu fasses ses quatre volontés ! Ou même pour que tu le laisses tranquille !

_ Tu veux dire qu’il se servait de moi !

_ Bien sûr ! Il te rassurait sur ta séduction… et après t’étais son p’tit chien ! Il savait t’ manœuvrer !

_ Quelle dégueulasse tu fais !

_ Attention là, tu prends la file de gauche !

_ Mais bon sang, je prends ce ch’min chaque matin !

_ Je sais, je sais, mais t’es parfois distraite ! Je me demande…

_ Allez vas-y, tu t’ demandes quoi ?

_ Je me demande si ton mari n’agit pas avec toi comme ton père ! s’il te neutralise pas en te rassurant sur ta séduction !

_ Tu veux dire qu’il band’rait pour de faux ?

_ Ouh ! Te voilà vulgaire et donc… en colère ! Moi, tu sais, j’ai rien contre toi, j’essaie juste d’y voir clair ! C’est tout !

_ Bien sûr, tes intentions sont pures ! Au sujet de Simon, je te dirai…

_ Ouh là ! Ouh là ! T’as vu celui-là ! Mais c’est qu’il nous coupe gentiment la route ! Va donc, eh chauffard ! Y en a des malades ! Qu’est-ce qu’on disait ?

_ On parlait de sexe et d’amour…, de confiance plutôt !

_ Bon et si on mettait carte sur table ?

_ Vas-y, j’ t’écoute !

_ Dans le fond t’es paumée, non ? T’es seule, t’es perdue !

_ Salope !

_ Excuse-moi, mais faut percer l’abcès ! Tu peux pas être sûre de Simon : il est tiède et de plus en plus absent ! N’étaient le prêt qui vous enchaîne et les enfants, resterait-il à la maison ? T’as pris du poids, t’es plus aussi sexy qu’avant !

_ S’il est pas content, qu’il aille voir ailleurs !

_ Oh ! Le ton bravache ! Alors que tu sais que tu es dépressive ! T’es à cran quasiment tout l’ temps ! Tu luttes pour pas craquer ! Où est la nana épanouie, qui parade devant ses amies ? le symbole de l’équilibre et de la réussite ? Où est ton portrait par Marie-Claire ?

_ Tu sais quoi ? VA te faire foutre !

_ Bien sûr ma douce ! On va bientôt prendre la bretelle, j’ te signale ! Mais peut-être que tu prends le problème par le mauvais bout !

_ C’est-à-dire ?

_ Et si t’étais une lesbienne refoulée ? »

Martine est tellement choquée qu’elle regarde bien en face Angoisse et pan ! Elle emboutit la voiture qui précède ! Son avant est tout écrasé et légèrement commotionnée, elle voit arriver l’autre automobiliste, qui est dans une furie monstre !

« Oh ! Oh ! dit Angoisse. Il est temps pour moi d’aller voir ailleurs ! A la r’voyure, Martine ! On garde le contact ! Ah ! Ah ! » Elle sort comme si de rien n’était et elle ouvre la porte d’une voiture arrêtée, pour s’asseoir près du chauffeur : « Vous avez vu ? jette-t-elle. Affreux non ? Et ça s’produit chaque jour ! Prudence donc, car ce s’rait dommage d’abîmer une aussi belle voiture que la vôtre, d’autant qu’ c’est compliqué à réparer ! »

 
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