Les enfants Doms (T2, 156-160)

  • Le 29/04/2023
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Dom50

 

 

   "Bon, pour les Mirages, le ministère est OK! Le problème, c'est le gardien du hangar! Il demande deux millions! Deux!"

                                  L'Incorrigible

 

                           156

     Cariou se regarde dans la glace et ce n’est guère brillant ! Sa joue est comme marquée au fer rouge et il a l’impression que ses dents ont changé de côté ! Mais c’est le corps qui est le plus stupéfiant : il est couvert de bleus ! Ah ! Ils l’ont bien rossé les vaches ! De beaux tarés !

Cariou sort de la salle de bains et se fige : un inconnu est assis sur son divan ! L’homme est serré dans un imper et il a une face anguleuse et sinistre ! Il prend sur la table son silencieux et fait signe à Cariou de prendre place en face de lui, dans un fauteuil… « Comment êtes-vous entré ? demande Cariou.

_ Aucune porte ne me résiste, ni même aucun secret ! répond-il avec un petit rire.

_ Très drôle ! Et qu’est-ce que vous voulez ?

_ J’ai eu le temps d’observer votre appartement et bien entendu il reflète votre personnalité ! Je vois que vous êtes naïf au point d’aimer la peinture !

_ J’ai cette faiblesse effectivement...

_ Moi, toutes ces jouissances anales me dégoûtent !

_ Quoi ?

_ Toute cette sublimation, si tu préfères, mon pote ! J’ suis un freudien ! On est né dans le stupre et on retournera dans le stupre ! Le reste…

_ C’est pas gai par chez vous !

_ C’est réaliste ! L’homme n’est rien, à peine plus qu’une chimère !

_ Et en plus il fait des cauchemars, parce qu’il ne peut pas coucher avec sa maman !

_ J’ t’aime de moins en moins, mon pote !

_ Comment ? Une chimère qui s’offusque ? »

L’homme se lève, prend son pistolet par le canon et en donne un violent coup sur le nez de Cariou, avec la crosse ! Ça fait un mal de chien ! Cariou a envie de se tordre, tandis que la douleur lui fait comme une nappe dans le cerveau ! Le sang coule aussi abondamment par la narine… « Ne crois pas, dit l’homme, que je sois agressif parce que je suis refoulé ! Mais j’aime pas qu’on manque de respect à moi ou à Freud !

_ Bien sûr ! Le freudisme est objectif ! Tellement qu’on peut se demander si Freud a vraiment existé !

_ Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu veux encore un coup ?

_ Non, mais je me dis que des gars, à force de s’effacer devant la vérité, ont peut-être fini par disparaître !

_ Ça y est, j’y suis ! T’es un malin ! Si, si t’es un malin, un rigolo !

_ T’oublies pas qu’on n’est que le jouet d’ son inconscient ! J’ suis pas responsable !

_ Voire ! Moi, j’ai fait une analyse et, eh ! eh ! j’ me connais maintenant par cœur ! Mais comme ça été dur ! Il a fallu que je dise bien des choses… J’ai dû faire preuve, euh, euh, d’humilité, c’est ça ! C’est dépasser sa honte qui est difficile, comme m’a dit mon thérapeute ! Je l’aime beaucoup, tu sais ? J’ pense toujours à lui avec tendresse, car y m’a bien libéré !

_ Sûr ! Te voilà un grand sage à présent ! Aucun mépris pour l’art chez toi, ni chez Freud ! C’est pas vot’ truc, c’est tout ! La différence, vous ne la piétinez pas ! Vous lui crachez d’ssus, mais parce que vous êtes victime de la vérité ! Dis-moi, tu fais toujours l’amour par hygiène, pour fermer un peu les yeux sur le vide du cosmos ! »

Vlan ! Cariou est frappé sur la bouche et ses lèvres éclatent : il a l’air d’une tomate bien mûre ! « Tu m’énerves, mon pote ! Qu’est-ce qui t’a rendu enragé comme ça ? La frustration ? T’es typiquement anal ! Mais tu parles du néant et c’est pour ça que j’ suis là ! Je cherche la môme Espoir…

_ Pourquoi… ? demande Cariou péniblement.

_ J’ voudrais justement qu’on s’ fasse pas de fausses idées… L’homme est traumatisé par les religions et il se sent coupable de jouir sexuellement ! La raison peut l’aider à trouver son équilibre, mais la môme Espoir, elle, elle raconte plein de fariboles ! J’ suis sûr qu’elle croit encore à l’astrologie… Alors, je vais la descendre au nom du progrès !

_ Je me demande si Freud ne voyait pas le centaure comme un idéal : garder un membre de cheval, avec une tête d’homme !

_ Où est Belle Espoir ? Ne m’oblige pas à t’envoyer une balle dans l’ genoux !

_ A ton avis, quand le Viennois a passé l’arme à gauche… Il a été stoïque ou il s’est mis à pleurer comme une madeleine ?

_ Sale ordure ! J’ t’ai déjà dit de pas parler d’ Freud comme ça ! Il est sacré pour moi !

_ Ouais, t’aurais même voulu être son giton, s’ pas ?

_ Grrrr ! »

L’homme s’élance de nouveau, mais cette fois-ci Cariou est paré ! Il reçoit son attaquant sur un pied plié, quand de l’autre il fait brusquement basculer le fauteuil ! C’est une planchette japonaise qui envoie l’individu dans les airs, avant qu’il ne fracasse la baie vitré et ne chute vingt mètres plus bas !

Cariou se penche pour voir et dit : « Y a pas ! Freud avait raison : on veut tous retrouver la position fœtale ! »

                                                                                                     157

     Andrea Fiala rentre chez elle, mais elle est stupéfaite d’y trouver deux types, qui mettent le désordre partout ! Ils sont bizarrement habillés, ils portent tous deux une tenue moulante noire, surmontée d’un petit chapeau melon, ce qui fait qu’ils ont l’air d’artistes de music-hall, d’autant qu’une fine moustache orne leur visage ! Mais leur corps n’est pas ferme et leur graisse apparente n’a rien de gracieux ! Ce défaut d’harmonie laisse supposer une vanité extrême et donc une violence qui peut surgir à tout moment, car, quand on se croit supérieur à l’autre, on peut aussi l’écraser sans état d’âme ! En définitive, ils dégagent quelque chose d’obscène et de terriblement inquiétant !

« Tiens, écoute ça ! fait l’un en ignorant totalement Andrea et il lit le journal de celle-ci. « Il existe certainement un lien entre la domination et la perception de la beauté ! L’individu qui domine, même grâce au savoir, ne peut que mépriser la beauté et il ignore encore sa propre domination, puisque ce n’est qu’en se libérant de son égoïsme qu’on en prend conscience ! »

_ Quel charabia ! dit l’autre. Et il y en a des tonnes comme ça !

_ Oui, comme la poussière est la doxa !

_ Mais peut-être le cas est-il désespéré ?

_ C’est qu’elle a l’air carré !

_ Mais enfin qui êtes-vous et qu’est-ce que vous faites chez moi ? s’écrie Andrea.

_ Nous sommes la brigade anti-beauté !

_ Les illusions nous font roter !

_ Mais vous n’avez pas vu not’ numéro !

_ Attention ! Un, deux, frérot ! »

Les deux hommes se mettent à danser, comme sur une scène de théâtre ! Leur spectacle est parfaitement au point et chacun a sa réplique, tout en simulant des émotions ! « Nous sommes la brigade anti-beauté !

_ Les illusions nous font roter !

_ T’as un idéaliste près d’ chez toi ? Appelle la brigade !

_ Nous accourons ! Nous traquons ! Reste pas en rade !

_ Not’ saint patron, c’est la raison ! Notre ennemi c’est l’ rêve !

_ T’endors pas, ouvre les yeux, sois courageux ! La fée, on t’ l’enlève !

_ De quoi est-on sûr ?

_ Que marcher use les chaussures !

_ Quelle est la logique ?

_ Que la nature est mécanique !

_ Oh ! De l’anthropocentrisme ! J’enrage !

_ Ah ! Nulle superstition dans ma cage !

_ Droit dans mes bottes, au service du progrès !

_ Chaque matin, la science est mon agrès !

_ C’est elle qui nous sauv’ra !

_ Nous sommes les rats…

_ De l’essentiel !

_ Les raaaats (ils chantent ensemble)… tionnnellls ! »

Ils saluent avec leur chapeau, triomphants, après avoir sautillé et allongé leur museau dans tous les coins ! « Je t’ai trouvé merveilleux, dit l’un.

_ Oui, c’est pas demain qu’on s’ra vieux ! 

_ Qu’est-ce qui m’a foutu deux débiles pareils ! lance avec colère Andrea. Allez dégagez !

_ Oh ! La donzelle…

_ Est chez elle !

_ Encore une qui fait d’ l’art !

_ Encore une tête de lard !

_ Une névrosée, etc. !

_ Mais l’homme vaincra ! »

Ils s’approchent d’Andrea et la pincent douloureusement ! « Nous sommes rationnels, reprend l’un à l’oreille d’Andrea.

_ Surtout pas d’ ciel ! dit l’autre. 

_ J’ te signale que j’ai fait pipi là-bas !

_ Et moi caca ! De quoi être baba !»

Andrea se met à pleurer : elle a mal et veut crier ! « On r’viendra, si tu rêves encore !

_ On t’ travaillera au corps !

_ Pour ton bien, car on n’est rien !

_ Rien qu’ des acariens !

_ Pas d’ mensonges ! Pas d’miracles !

_ Pour la rime, je racle !

_ J’ voulais t’avoir !

_ Oui, ton âme est noire !

_ Mon âme ?

_ Ton âne ?

_ Ouh !

_ Hi ! Hi ! »

                                                                                                  158

     Sullivan est de retour dans le Métavers, guidé par le programme de Macamo, et il retrouve le Magicien près du ruisseau ! Celui-ci les rapetisse à nouveau et ils vont dans la prairie d’en face ! Viennent à eux alors deux criquets, qu’ils enfourchent et Sullivan pousse une grand cri ! C’est que le criquet vient de sauter, par-dessus les plus hautes tiges, et Sullivan voit le ciel bleu pour replonger brusquement vers la végétation ! Son estomac lui semble monter à la tête et le vertige le remplit d’une sorte d’ivresse, et ainsi de suite ! Ce sont des bonds prodigieux, impensables, avec une facilité extrême sous le soleil ; le criquet impassible dégageant une odeur de terre brûlée !

Puis, un saut encore plus haut que les autres les projette dans la cabine d’un tracteur et l’ambiance change ! Il y a là une musique de rap à fond et le tracteur aussi semble rouler à tombeau ouvert ! L’agriculteur remarque le criquet et commence à lui parler, sans doute parce qu’il en avait besoin et Sullivan entend tout, car le bonhomme crie presque pour couvrir la musique ! « Salut, l’ criquet ! fait l’agriculteur. Bienvenue dans mon monde ! T’as vu l’engin ? Ça c’est du tracteur ! J’ suis à cent, avec la charrue derrière ! La terre ? J’ la connais plus, man, j’ la survole ! La classe !

Finie l’agriculture de papa ! Finies les suées à guetter le temps et à surveiller la récolte ! Le temps, c’est moi ! C’est moi qui dirige tout, qui contrôle tout ! Grâce à la technique ! Quand j’ pense à mes vieux qui parlaient de patience ! Ils auraient pu poser pour l’Angélus ! Ils respectaient la terre qu’ils disaient ! Mais peureux ils étaient en vérité !

T’as vu le tableau de bord ? Rien ne m’échappe ! J’ai des alertes pour tout et partout ! Les dosages, ils sont là, plus besoin d’y penser ! Les quantités, le degré de ceci ou cela, la machine, elle gère ! Et moi, ah ! ah ! je fonce ! J’ fais rugir les ch’vaux ! T’entends la musique ? Ça, c’est d’ la bonne ! (Il chante avec le chanteur.) « On m’aura pas ! On m’enferm’ra pas ! Qui est le plus vilain ? Qui est au mal enclin ? Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? Pas toi, car t’es la rouille dans leur mond’ de métal ! Pas toi, car ils ont la trouille et détalent ! » Tum, tum, poum, poum ! Ah ! Ah ! Dieu que c’est bon !  

Tiens des choucas ! J’ vais en leur faire voir, moi ! Regarde le criquet, tu vas en prendre plein les mirettes ! (Il touche un bouton… et un mini radar apparaît !) On les voit là sur l’écran ! Attention, lasers ! (Les choucas explosent les uns après les autres!) Les enfoirés ! Une vrai plaie pour les s’mis ! Eh bien, on joue plus ! On est dans la cour des grands maintenant ! Tu sais combien il m’a coûté l’ tracteur ? 200 000 euros ! Évidemment, c’est un prêt, des traites, une hypothèque ! Y tiquaient à la banque, tu penses ! Eh ! Mais j’ leur ai dit qu’il fallait voir grand ! fallait être ambitieux ! Oh ! Et puis, hein, oh ! Moi, sans c’ nouveau jouet, j’ démarrais pas ! J’restais à la maison, j’ faisais fonctionnaire, un truc comme ça et peinard !

Tandis que là… tiens, tu vois l’ talus là ! Est mastoc, hein ? Accroche-toi l’ criquet ! Y a un bras d’ fer et c’est pas moi qui vais lâcher ! J’ mets la sauce ! Hmmmmph ! Enfoncé le talus ! C’est bien simple y a plus d’ talus ! Y m’ gênait de toute façon ! « Qui est le plus vilain ? Pum, pum ! Qui est au mal enclin ! Poum, poum ! Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? Pas toi, car t’es la rouille dans leur mond’ de métal ! Pas toi, car ils ont la trouille et détalent ! » Ah ! Ah ! Pum, pum, boum !

Non, les vrais méchants, c’est la grande distri ! Là, t’as les vrais requins ! Les vraies ordures ! Eux, y t’ font pas d’cadeaux ! Y t’pressent, mon vieux, comme c’est pas permis ! S’ils pouvaient t’ prendre ta chm’ise et ta femme avec, ils l’ f’raient sans sourciller! Eh ! Mais oh ! Hein ? Quand ça va pas, j’ m’en vais avec les copains faire peur à Supermaman ! Ah ! Ah ! Le gouvernement, t’auras compris ! On casse, vieux ! T’as vu mon engin ? Y pourrait labourer Mars sans chauffer ! Alors, faut nous voir dans les villes ! Le citadin, il est vert ! On brûle, on fait un peu de barouf et… ? Et Supermaman, elle crache ! Elle envoie la soudure ! Elle connaît la musique ! Tout rentre dans l’ordre ! Non mais ! Mond’ de caves !

Y a un type qui m’a dit qu’ j’étais comme le pigeon de Skinner ! J’appuie sur un levier et y a une graine qui tombe ! J’ai pas bien compris l’ type, mais en tout cas, ce s’ra pas moi l’ dindon d’ la farce ! Ah ! Ah ! Tu sais à quelle hauteur on est là ? On est bien à quatre mètres ! T’as vu l’épaisseur des roues ? Attends, j’vais t’arracher d’ l’asphalte ! J’ vais finir à Daytona ! Hi ! Hi ! 

Eh ! « Qui est le plus vilain ? Qui est au mal enclin ? C’est la distri ! Poum, poum, pum ! Qui a des chaînes ? Qui est le gland du chêne ? C’est Supermaman ! Ah ! Ah ! Pum, pum, poum ! Ouais, c’est ça amigo, chauffe ! »

Le criquet ne veut pas en écouter plus et il s’échappe par la fenêtre. Un peu plus tard, Sullivan se laisse bercer par le vent, dans les hautes tiges ! Le silence est revenu et la paix aussi ! Sullivan respire longuement, sous la grandeur du ciel ! Toute folie lui paraît loin !

                                                                                                      159

     Dans le train qui le mène lentement au bourg de Garrow, en Ecosse, Ratamor repense aux mots du Général, le chef du commando Science : « Ratamor, je vous envoie chez un certain McGregor, qui serait l’inventeur du moteur à eau…

_ Allons, c’est une chimère…

_ Je ne crois pas... McGregor est des plus sérieux… Seulement, il ne remettra sa formule que s’il a confiance, car les enjeux sont terribles bien entendu ! Je compte sur vous pour le convaincre, etc. ! »

On annonce la gare de Garrow et Ratamor descend du train. Comme il est le seul voyageur sur le quai, le chef de gare se permet de l’aborder : « Vous allez où, si je ne suis pas indiscret ? fait-il.

_ Au château McGrégor... »

Le chef de gare se fige et rajoute : « Le château a mauvaise réputation, vous savez. Il s’y passe de drôles de choses…

_ Vous n’allez pas me dire qu’il est hanté, si ? comme tous les châteaux en Ecosse ! réplique Ratamor avec un sourire.

_ L’histoire est plus triste que vous ne l’imaginez… La femme de McGregor a disparu sur la lande ! On n’a jamais retrouvé son corps, car c’est plein de tourbières par là-bas… Mais depuis le château est en proie au chagrin et aux tourments ! »

Soudain, le chef de gare se tait, car un autre personnage apparaît : c’est le majordome de McGregor et il a un aspect austère, refroidissant ! Ratamor monte dans la voiture qui doit le conduire au château et bientôt celui-ci se dresse effectivement dans un paysage sauvage et sombre !

Mais McGregor accueille son hôte avec des manières affables et on dîne en échangeant plaisamment sur le monde ! Pour ce qui est du moteur à eau, McGregor l’assure, on en parlera le lendemain, mais d’ores et déjà la relation entre les deux hommes semble prometteuse !

Ratamor rejoint sa chambre, qui est assez petite, tandis qu’une tempête a commencé dehors : on entend le vent et de grandes branches s’agitent à la fenêtre, ainsi que de vieilles mains qui essaieraient de l’ouvrir ! Mais, à cause de la fatigue du voyage, le professeur s’endort rapidement, quoiqu’il soit très vite en butte à un cauchemar ! Engourdi, il voit venir à lui une femme et il a un frisson, en reconnaissant la psychologue Lapie ! « Toi ? dit-il. Mais je te croyais morte !

_ Je le suis ! répond-elle. J’ai franchi la grande porte, mais là saint-Pierre, qui lisait le journal et qui a à peine relevé la tête, m’a jeté que, puisque j’étais déjà morte de mon vivant, je pouvais très bien continuer à errer sur Terre ! Il n’y avait pas grande différence !

_ Je n’ comprends pas très bien… Comment peut-on être déjà mort, avant de mourir ? Cela semble impossible !

_ « Hum ! » j’ai fait à saint-Pierre et devant mon embarras, il m’a parlé de mon égoïsme qui m’aveuglait et qui m’empêchait de voir le royaume de Dieu ! J’allais lui répondre à ma façon, quand j’ai subitement pris conscience de l’occasion qui m’était offerte !

_ Ah oui ?

_ Mais oui, en bonne âme errante, j’ai filé tout de suite à ta recherche et j’ vais enfin t’ descendre, Ratamor ! Fais ta prière ! »

Lapie sort un pistolet et le professeur se met à crier : « Non ! Non ! » Il rejette ses draps avec les pieds et ouvre brusquement les yeux : la fenêtre est ouverte et la pluie et le vent entrent dans la chambre ! McGregor, tel un spectre, fait soudain son apparition et demande : « Mais enfin qu’est-ce qui s’passe ici ? Vous étiez en train de hurler !

_ Un cauchemar… Une femme que…

_ Vous lui avez parlé ? Elle est revenue ? »

McGregor se précipite vers la fenêtre et crie : « Eileen ! Eileen ! Ne t’enfuis pas, je t’en prie ! Je suis là ! » Mais la lande, plongée dans la nuit, reste muette et Ratamor, après s’être levé, va poser la main sur l’épaule de McGregor : « J’ai fait un mauvais rêve, c’est tout ! dit-il. Il ne s’agit pas de votre femme, je suis désolé… et puis, comment vous, un homme de science, pouvez-vous croire aux fantômes ? » McGregor baisse la tête, signe qu’il revient à la raison, mais, alors qu’il se retourne, il fixe le mur où est écrit : « Ratamor est égoïste et dévalorisant ! »

« Mais qu’est-ce que… ? s’écrie l’intéressé, qui à son tour voit l’inscription et qui ne sait que penser.

_ Oh ! Mais c’est très clair ! réplique McGregor. Eileen est venue me prévenir et elle a très bien fait, car, en aucun cas, je ne transmettrai ma formule à un pervers narcissique ! »

Ratamor a soudain envie de l’étrangler !

                                                                                                   160

           L’inspecteur Kopf va et vient dans l’appartement de Cariou… C’est un petit homme nerveux, à moustache et vêtu d’un trench-coat, sur sa cravate… « Attendez que j’ récapitule ! dit-il. Vous êtes détective et vous travaillez pour un client, dont vous n’ voulez pas me donner le nom…

_ Exactement, si je le faisais, plus personne ne viendrait à moi !

_ Et vot’ licence, je pourrais vous l’enlever et plus personne, effectivement, ne vous emploierait ! On arriverait au même résultat !

_ Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai été chargé par un père de retrouver sa fille ! C’est plutôt louable, non ?

_ A condition de rester dans les clous ! Vous racontez d’abord que vous avez été rossé sur un parking… C’est une histoire qui nous reste encore à vérifier ! Vous rentrez chez vous, pour vous soigner, et au moment où vous sortez de la salle de bains, vous découvrez dans votr’ salon un inconnu ! Un passe-muraille apparemment ! Et le gars est muni d’un silencieux, d’une arme de professionnel !

_ Vous avez bien trouvé cette arme, non ?

_ Oui, mais à qui est-elle ? Le labo travaille dessus ! Mais le type vous dit que lui aussi recherche la fille de votr’ client et il vous demande où elle est ? Qui c’est cette fille ? Une riche héritière ?

_ Je ne pense pas…, mais faut croire qu’elle intéresse du monde…

_ Le type vous déclare qu’il est freudien… Ça a un rapport avec la fille ?

_ J’imagine…

_ Qui vous êtes ? Une sorte de sphinx ? Tâchez d’être plus clair, sinon j’ vous embarque ! Donnez-moi quelque chose à moudre… et d’abord qu’est-ce que ça veut dire freudien ?

_ Ben, un freudien pense que si on pense c’est parce qu’on baise pas, qu’on refoule ! L’artiste créerait parce qu’il est névrosé et seul le scientifique s’en sort, car il est gouverné par la raison et fait l’amour au moins deux fois par semaine !

_ Vous vous foutez de moi ?

_ J’ résume évidemment… Mais le freudisme fait partie d’un mouvement plus vaste de la libération de l’homme ! Il s’agit de détruire tout dogme, notamment ceux de la religion, afin que chacun ait un total libre-arbitre, jusqu’à comprendre qu’il n’est que le jouet de son inconscient, qu’une erreur dans l’Univers !

_ Je me casse donc le cul pour rien !

_ Pas tout à fait inspecteur ! Grâce à la raison et à l’analyse, vous pouvez tenir debout, en croyant au progrès ! Le bonheur n’est qu’une question de temps ! On arrivera sans doute un jour à tripatouiller vot’ cerveau, pour que vous soyez satisfait !

_ Quel intérêt, si je ne suis plus moi-même ?

_ Faudrait voir ça avec le SAV…

_ Vous n’avez pas l’air de croire à tout ça…

_ Non, en effet… Je pense que les scientifiques ne se connaissent même pas eux-mêmes et tous les psys que j’ai rencontrés étaient tous plus odieux les uns qu’ les autres !

_ D’accord, la haine est partout, d’où votr’ agresseur ! Il vous a salement amoché ! Mais c’ que je ne comprends pas, c’est pourquoi il s’intéressait à la fille de votr’ client !

_ Hum ! Je suppose qu’il luttait contre l’obscurantisme et les faux espoirs ! Il m’a dit, en raillant, que la fille devait encore croire à l’astrologie ! Il la voyait peut-être comme une menace, un obstacle ?

_ Un vrai sac de nœuds ! Vous ne me dites pas tout, Cariou !

_ J’ crains sans doute de vous saouler… et d’ m’énerver, car la bêtise de l’homme est sans fin ! Faut que je me préserve, c’est quelque chose que j’ai appris !

_ Et sur le bout des doigts apparemment ! Car le freudien a oublié d’ prendre l’ascenseur ! On l’a ramassé comme une citrouille écrasée !

_ Pour supporter le néant, inspecteur, il faut croire que le monde tourne autour de soi et c’est pourquoi Freud a voulu le mettre dans son chapeau ! Le scientifique, comme les autres, a besoin de dominer, ce qui fait qu’il reste un sanguin et j’ai dû m’ défendre !

_ Ouais…, je m’attendais à voir une vidéo, un « snap » de votre exploit ! C’est la mode et ça m’aurait facilité les choses !

_ Désolé, inspecteur, j’étais trop occupé !

_ Je n’ vais pas vous lâcher, Cariou ! Vous êtes maintenant dans mon collimateur !

_ Vous êtes comme un « cookie »…

_ Continuez à vous foutr’ de ma gueule ! »

 
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