Les enfants Doms (T2, 171-175)

  • Le 20/05/2023
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Doms60

 

 

 

    "Tu crois quand même pas qu'on va s' faire des papouilles sous la douche!"

                                                Le Maître de guerre

 

                           171

 

     Toujours à la recherche de la môme Espoir, Cariou rentre chez lui désabusé, fatigué et il ne sait pas trop bien pourquoi ! Si ça se trouve, la môme Espoir est là sous son nez et c’est lui qui cherche mal ! Et d’abord qu’est-ce qu’il fait tout seul ? Pourquoi n’est-il pas marié ? Une femme l’attendrait à la maison et il l’embrasserait tendrement, heureux de retrouver la chaleur du foyer ! Il aurait aussi des enfants, qui l’appelleraient papa et lui donneraient de la valeur ! Il sentirait le poids de sa responsabilité et il n’aurait plus de soucis à se faire, quant au vide de sa vie qu’il sent parfois douloureusement ! Il faut sans doute en mettre un coup, cesser d’être névrosé, pour rejoindre l’équilibre de l’ensemble ! Le temps des enfantillages doit se terminer ! Non décidément Cariou s’attache trop à lui, à sa personne ! Il ne fait pas assez confiance aux revues féminines de psychologie ! Il est resté ce gamin immature, impropre à la femme et à la société ! Bon sang, il va en mettre un coup ! « Cette montagne que tu vois là, on y viendra à bout, mon gars ! » chantonne-t-il !

Soudain, on l’attaque ! Il reçoit une pluie de noix de cocos ! Partout des cris, des formes qui glissent, courent, viennent vers lui, alors que la rue s’assombrit, à cause du crépuscule ! On lui jette encore des bananes, des lunettes de soleil, du papier toilette, enfin tout ce qui passe apparemment à portée de mains de ses agresseurs ! Puis deux gorilles énormes, à la mine patibulaire, au mufle soufflant et menaçant, le coincent contre un mur, alors qu’une ribambelle de macaques s’agite derrière ! On est en pleine hystérie, mais l’un des gorilles demande : « Alors ouk tu vas comme ça, l’affreux ?

_ Ben, chez moi…

_ Hi ! Hi ! Y rentre chez lui ! Hi ! Hi ! fait un orang-outan à côté.

_ Oh ! Oh ! Aahh ! Ahhh ! enchaînent les macaques.

_ Ben nous, on n’aime pas trop les gens qui rentrent chez eux…, reprend le gorille.

_ Non ?

_ Non ! On trouve même ça suspect !

_ Faut bien avoir un chez soi !

_ Ouais, ouais ! J’ vois qu’ t’as réponse à tout ! Pas vrai les gars qu’il a réponse à tout ?

_ Ouais ! Ouais ! Ouah ! Ouh ! Oh ! Hi ! Hi ! A mort !

_ Tu s’rais pas un ami des riches, des fois ? demande le deuxième gorille.

_ C’est un fasciste ! crie une voix.

_ Ouais ! Ouais ! C’est un fasciste !

_ A mort ! »

A cet instant le gorille, qui semble le chef, se met à renifler sérieusement Cariou : « Hum ! Ça sent le bourgeois ! l’infamie ! la tranquillité de l’encaustique ! l’égoïsme de la pantoufle ! l’ennemi du camarade !

_ Ouais, ça pue le joueur de tennis ! fait l’autre gorille, la fille à jupettes et le buveur de limonade ! C’est l’inaction sociale à l’état pur ! J’ parie qu’ tu fréquentes les bibliothèques, alors que le pauvre hurle dehors ! C’est l’intello stérile et méprisant !

_ C’est un ami des riches, ça s’voit comme le nez sur la figure !

_ C’est un fasciste !

_ A mort !

_ Voilà c’ que je fais avec les fascistes, dit le chef qui enfonce son poing dans la porte voisine et celle-ci, touchée en plein cœur, finit par s’écrouler. T’as peur, hein ?

_ Mais non, j’ suis avec vous les gars ! Il faut renverser le gouvernement ! Il faut modifier la constitution ! Il faut que le pauvre triomphe du riche ! Il faut qu’il devienne riche lui-même ! C’est à chacun son tour ! Ah ! Là, là ! Si vous saviez comme j’aime la justice sociale ! Dès qu’ j’ vois un bourgeois, j’ lui crache dessus ! J’ vous assure ! J’ai déjà eu des ennuis avec la police ! Ah ça, y m’ont pas à la bonne ! J’ leur fais des misères ! J’ fais même exprès des fautes de français ! Car c’est la langue des riches ! Laisse-moi t’embrasser, camarade ! Montrons au monde entier ce que peut l’amitié ! Et le fasciste, mais qu’on le mette dans un camp et qu’on l’extermine ! Hein ? J’suis sûr maintenant que vous êtes rassurés sur mon pédigrée ! Pas vrai ? Ah ! Ah ! Et dire que j’étais triste de rentrer chez moi tout seul ! C’était sans compter sur les camarades ! C’est la fête à la bonté et à l’intelligence ! Un vrai feu d’artifice pour la justice sociale ! Ouh !

_ Mais c’est qu’ tu te foutrais d’ nous ! Si ! Si ! Battez vos casseroles, les gars ! Car on en a un et un beau ! Où qu’il est ton costard, l’affreux ?

_ Ouais, où est ton flouze ? Où sont tes mocassins, le riche ?

_ Mais là où vous mettez vos piques et vos cocardes, mes canailles !

_ Le masque est tombé ! L’heure du jugement a sonné et… ah ! ah ! t’as été reconnu coupable !

_ Mince, j’ai un cerveau ! »

Le gorille renifle et va pour frapper, mais soudain il y a un mouvement de panique chez les macaques ! Une silhouette vient d’apparaître, qui leur fait peur ! « La lèpre ! La lèpre ! La clochette ! La clochette ! » crient en tout sens les singes et le gorille lâche Cariou, qui se retrouve subitement seul, car toute la bande s’est enfuie ! La silhouette se rapproche et effectivement elle a quelque chose d’inquiétant, car on ne voit pas son visage ! Une robe de moine l’enveloppe entièrement et elle fait bien tinter une clochette ! « C’est la lèpre de la gauche ! » songe Cariou et il avale sa salive, alors que l’étrange personnage lui fait face, avant d’enlever sa cagoule !

Mais le détective reconnaît une vielle connaissance et s’écrie : « Eh ! Mais c’est toi Silence ! Tu peux dire que tu tombes à pic ! »

                                                                                                  172

     « Et qu’est-ce qui vous fait croire que je connais cette femme, Belle Espoir ? » demande la jeune artiste. Vêtue d’une blouse blanche, elle est dans son atelier, qui est une grande pièce vide, avec des toiles et des tubes de peinture un peu partout… « Ben, répond Cariou, je me dis que comme vous vous intéressez à la beauté, vous devez avoir des sentiments, de l’amour, de l’admiration ! La grandeur de la vie ne peut pas vous être absolument étrangère… Vous êtes sans doute conduite à vous interroger sur son sens profond, d’autant qu’il paraît à l’opposé du mercantilisme !

_ Mazette ! Quelle tirade ! A vôtre âge, il n’est pas bon de faire trop chauffer le moteur ! Relax l’ancêtre ! On respire et on reste efficace !

_ Vous n’êtes pas sensible à la beauté ?

_ Vous voulez parler des p’tites fleurs ou du pic bleu des montagnes ? Mais tout cela est dépassé depuis longtemps !

_ Ah bon ?

_ Mais oui, ce qui nous intéresse aujourd’hui, nous les artistes, c’est l’acte créatif en lui-même ! Il est parfaitement libre, grâce notamment à l’utilisation de toutes les techniques ! »

A cet instant, la jeune femme presse une bombe, l’air soucieux, mais en même temps le jet de peinture vient couvrir une partie déjà plus travaillée, comme si l’artiste détruisait elle-même son œuvre ! « Ici, reprend la jeune femme, je brouille les pistes ! Je veux que le spectateur s’interroge sur lui-même ! Quels doivent être ses sentiments ? Quelle est la réalité ?

_ Ah bon ? Vous voulez l’éduquer en quelque sorte… Vous vous sentez son maître… N’est-ce pas une manière de se masquer son propre vide ? »

Il y a un froid, avant que l’artiste ne réplique : « Écoutez, vous me faites perdre mon temps ! J’ai une expo à préparer…

_ Bien sûr, mais qu’est-ce que vous espérez au juste ? Pourquoi créez-vous ?

_ Mais je veux que mon travail soit reconnu, car j’ai du talent !

_ Vous allez être déçue…, car les autres ne vous aimeront que quand ils vous auront mis dans une bouteille, avec une étiquette dessus !

_ Je n’ comprends pas ce que vous voulez dire…

_ Vous ne croyez tout de même pas que nous puissions aimer ceux qui nous dominent ! Si vous voulez être connue, les autres aussi ! Ignorez-les et vous suscitez leur haine !

_ D’accord, c’est une foire d’empoigne, mais je finirai bien par m’imposer !

_ Mais vous ne serez jamais satisfaite ! Savez-vous ce qu’apporte la paix ? C’est la force ! Et la force de voir l’autre dans toute sa complexité, car il ne s’agit pas, bien entendu, de le détruire à cause de sa différence ! On ne fait que renforcer son opposition !

_ Vous êtes quoi en définitive ? Une sorte de martien, venu nous délivrer un message dans sa langue ?

_ Mais pour l’instant, je vous vois serrée sur vous-même ! Où sont les grandes ailes de l’art ? l’ouverture sur l’espoir et l’infini ?

_ Du balai, vieux schnock ! Vous empuantissez mon atelier ! Et maintenant, je ne vois même pas pourquoi je vous ai accordé un peu d’attention !

_ Vous êtes outrée qu’on ait pu vous parler d’égal à égal ? Je vais vous montrer qui vous êtes, vous qui vous prétendez artiste ! »

Cariou sort son LAL et tire sur la jeune femme, qui a une légère secousse ! Puis, elle grandit démesurément, jusqu’à atteindre le plafond avec sa tête, de sorte qu’elle a subitement l’air à l’étroit ! Mais c’est son visage le plus effrayant : il témoigne de la colère la plus violente ! « Tu ne sais pas qui je suis, misérable avorton ! crie la jeune femme. Mais vous, les hommes, vous êtes tous pareils ! Vous vous croyez les maîtres, de vrais caïds ! Mais vous êtes des minables ! Moi, je suis géniale ! J’ai du talent jusqu’à la gueule ! Je vaux les plus grands ! Et on doit m’aduler ! Mais les mecs bloquent encore le monde ! Je vous hais ! Je vous hais ! Car je suis unique !

_ Il n’est plus étonnant que vous méprisiez la beauté, car elle rend humble ! Elle est pourtant la clé du bonheur, car elle dit qu’il y a plus grand que nous !

_ Grrr ! Toujours à bavasser ! »

L’énorme poing de la jeune femme vient fracasser l’un des murs, après avoir visé Cariou ! « Olé ! » fait celui-ci, qui soudain, par la lumière qui émane de lui, crée des milliers de fleurs, comme autant de rêves colorés ! « C’est la richesse du cœur aimant ! » jette-t-il, avant de se sauver !

                                                                                                 173

     Un bouton d’or s’éveille sur un banc de vase et il regarde son reflet dans l’eau du marais : « Oh ! je brille déjà ! dit-il. Quel teint merveilleux j’ai ! Mais attention, le soleil va arriver et alors, ce s’ra la fête ! Illuminé que j’ s’rai ! La vie est belle ! Salut les oiseaux, les papillons et… » Mais soudain le bouton d’or se fige : sur le banc voisin, un crocodile pleure à chaudes larmes ! « Eh ben, mon vieux, qu’est-ce qui s’ passe ? demande le bouton d’or. T’as mal quelque part ? » Mais le crocodile ne répond pas et continue de gémir !

« Si c’est ton microbiote qui t’ fait souffrir, reprend le bouton d’or, laisse-moi te donner un conseil : arrête la nourriture faisandée ! Cette détestable manie que tu as d’emmener tes victimes dans c’ vieux coffre-fort ! Car c’est bien un vieux coffre-fort qui t’ sert de frigo, non ? Un déchet ! C’est pas une décharge ici, j’ te rappelle ! Enfin, c’est pas sain et tu dois en subir les conséquences !

_ Mais tais-toi donc, pauvre idiot ! Tu vois pas comme la situation est grave !

_ Hein ? Qu’est- qu’il y a ? fait le bouton d’or qui regarde en tout sens. Quoi ? On va recevoir une bombe ? Alerte ! »

Il sort un casque d’on ne sait trop où et un clairon, dans lequel il souffle ! « Aux armes ! » crie-t-il ensuite, puis avec sa bouche il mime une sirène ! « Eh ! Les nuages ! En avant, sus à l’ennemi ! On nous attaque ! 

_ C’ que tu peux être con quand même ! lui lance le crocodile. Un vrai gamin !

_ C’est pas la guerre, alors ?

_ Nan ! Mais à la limite, je me demande si c’est pas plus grave !

_ Toi, on ta volé le contenu de ton coffre-fort ! Je compatis, mais l’argent ne fait pas le… 

_ Si c’était ça, j’ t’aurais déjà écrasé ! Tout le marais devrait avouer ! Chaque oiseau serait pressé par mes dents ! La moindre fourmi serait fouillée, retournée, démembrée !

_ Ça va ! Ça va ! J’ te signale que t’as l’air d’aller mieux !

_ Nan ! C’est la nuit, la tragédie, le gouffre, l’abîme glacé du désespoir sans bornes !

_ Mais enfin de quoi tu parles !

_ Mais bon sang, tu vois pas que tout fout l’ camp ! Le pays est aux mains de l’extrême gauche ! Les encagoulés sont partout ! Ils caillassent, agressent, incendient ! Le sans-culotte est de retour ! Le noble, c’est le capitaliste ! La bastille, la banque ! Marie-Antoinette, la bourgeoise !

_ C’est vrai que l’antifa n’a pas inventé l’eau chaude ! Ils sont aussi violents que les fascistes ! Quelle absurdité !

_ Les fascistes ? Mais il faut bien s’ défendre, contre ces tordus, ces monstres ! Va parler à un encéphalogramme plat ! Et puis y a les homos ! Et les enfants d’homos ! Toutes nos valeurs sont jetées à la poubelle !

_ T’as peur pour la religion ?

_ Un peu qu’ j’ai peur ! Tout est souillé ! On va bientôt retrouver les messes sacrilèges de la Commune ! Jésus sera mort pour rien !

_ Allons, allons, la foi, c’est la confiance ! Regarde le temps de Dieu, il ne change pas ! Le soleil brille, les nuages vont leur train et les Demoiselles étincelantes ne pensent qu’à leurs amours !

_ Païen !

_ Dis plutôt que tu n’ sais pas regarder ! Comment peux-tu aimer Dieu, si t’es pas émerveillé par son œuvre !

_ Mais y a danger, y a urgence ! Notre identité même est menacée ! Le marais est à nous, t’entends ?

_ Oh ! J’entends ! Le marais est à nous ! Ton coffre-fort est à toi ! Etc. ! Ton égoïsme, tes privilèges n’arrangent rien ! Ton mépris même est provocateur ! Lâche du lest ! Comprends la peur des autres, puisque tu fais tant attention à la tienne ! Tout le monde n’a pas le même niveau intellectuel et…

_ Chut ! Mais chut ! Y a un étranger qui s’ rapproche ! Il va mettre un pied dans l’eau, ce con ! Y croit qu’il est devant une piscine ! »

Le crocodile glisse silencieusement sous la surface et file vers le bord, où l’étranger est bien tenté de se rafraîchir ! « Attention, l’étranger ! crie le bouton d’or. Y a le crocodile de l’extrême droite qui va t’ bouffer ! » Mais le bouton d’or est tout petit et sa voix ne porte pas assez loin. Soudain, le crocodile bondit la gueule ouverte et referme ses mâchoires sur du vide ! L’étranger terrifié s’est enfui en courant !

« Ah ! Ah ! T’as vu ça ? fait le crocodile en retournant auprès du bouton d’or. Ah ! Ah ! Il était vert, le mec ! On va pas l’ revoir d’ sitôt !

_ Et c’est moi, le gamin ! » dit le bouton d’or.

                                                                                                   174

      La Domination mange à sa table… Elle est sombre, pleine d’inquiétudes, de ressentiments, de plans ! Elle calcule, analyse, réplique, méprise… Elle dirige !

L’enfant à côté rêve… Il n’écoute pas vraiment la Domination… Ce qu’elle dit, c’est comme un bourdonnement…, une sorte de menace pareille à un ciel orageux ! Il faut le surveiller, c’est tout, pour ne pas être victime de la tempête !

La Domination grimace, contrôle, renifle, scrute, inspecte, soupçonne ! Il faut toujours qu’elle sente son pouvoir, sa puissance, son importance ! Son orgueil ne laisse rien lui échapper ! Et maintenant elle donne des ordres, elle commande, ça la rassure !

L’enfant acquiesce, docile, mais il a préparé son sac… Il va s’enfuir ! Où ? Il n’en sait rien, mais il ne peut plus supporter cette situation : trop d’injustices, de misère, de souffrances ! Il faut partir, c’est inéluctable !

La Domination aboie ! Que dit-elle ? Que l’enfant ne doit pas rêver ! Qu’il doit changer d’attitude ! Qu’il ne sait pas combien la vie est dure ! Qu’il faut travailler sans relâches, si on veut réussir ! C’est la peur de la Domination qui s’exprime, mais pas seulement ! C’est aussi sa soif de pouvoir, son épouvantable orgueil ! Car la Domination est la reine et veut être considérée comme telle, d’où l’enfant exemplaire, esclave, vitrine !

L’enfant ne connaît pas la vie ? Vraiment ? Il obéit du matin au soir ! Il est pressé comme un citron ! Il pleure, mais qui s’en soucie ? N’est-ce pas de la faiblesse, des simagrées ? La vie peut-elle être plus dure ? Si on n’a pas à manger ? C’est ce que lui dit la Domination ! Mais celle-ci est-elle écrasée, surveillé, méprisée ? Est-elle esclave, prisonnière ? Peut-on connaître la vie, la différence, quand on est chef ? quand on commande ? On connaît une chose quand on ne la contrôle pas, c’est un des principes de la science !

Ça y est l’enfant s’est enfui ! Il court, il galope, il est libre ! Bon sang que c’est bon ! Et la justice devient une espérance ! Mais l’enfant n’a pas vraiment le temps de rêver à nouveau, car où aller ? La Domination est partout ! Elle étend ses tentacules et l’enfant la retrouve en face de lui ! Que peut-il y faire ? Il ne comprend même pas la Domination ! Il est bien trop fragile ! Les secrets, c’est pour la force de l’adulte ! Le guerrier, c’est l’esprit mûr, qui a beaucoup vu et compris ! La joie, c’est pour l’esprit tranquille, libéré, serein ! C’est l’enfant réconcilié !

Pour l’instant, l’enfant court… et il est rattrapé, ramené impuissant au pied de la Domination, qui est verte de rage, qui est dans une colère folle ! On lui a fait injure ! On a échappé à son contrôle ! On a ouvert la porte de sa peur, on va le payer ! On l’a ridiculisée, il n’y a pas de crimes plus grands et l’enfant va en subir les conséquences !

Il est placé sur une table, à côté d’autres enfants, qui ont tous une clé dans le dos, ou bien qui sont tenus par des fils ! On les fait marcher et ils fonctionnent ! On les tient ! Mais l’enfant évadé pose un problème ! Comment se fait-il qu’il échappe au contrôle ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui manque ? La Domination frappe l’enfant sur la table, pour essayer de voir ce qui cloche… Peut-être aussi qu’en tapant d’ssus, on peut le réparer ? Des fois, ça arrive et ça évite beaucoup d’efforts !

Mais cet enfant-là résiste et ce n’est pas normal ! La Domination est outrée, scandalisée ! Ne nourrit-elle pas ? Ne fait-elle pas tout pour le bonheur de l’enfant ? N’a-t-elle pas une vie de martyr, à essayer d’éduquer l’enfant ? Elle laisserait tomber l’enfant, si ça ne tenait qu’à elle ! Ainsi va l’aveuglement de la Domination et son hypocrisie ! A partir de là, elle peut être un monstre !

Elle ouvre l’enfant sur la table, elle le dissèque, pour regarder à l’intérieur et découvrir le défaut du mécanisme ! L’enfant hurle, crie, pleure, demande pardon, supplie, mais la Domination veut vraiment comprendre pourquoi son pouvoir est inefficace ! Elle manie son scalpel et entaille ici, ampute là-bas, presse encore et écoute les plaintes ! Non décidément, elle ne trouve pas d’anomalies ! D’ailleurs, elle en marre ! La vie continue et il y a plein d’autres plaisirs qui occupent la Domination !

Elle referme tant bien que mal l’enfant, qui ne bouge plus ! Peut-être est-il mort ? Où est l’enfant ? Il ne rêve pas, il ne souffre même plus, il est retranché en lui-même, dans un noyau apparemment ! Mais il est libre… D’un geste négligent, on lui fait signe qu’il peut quitter la table de dissection et il se relève hagard, vide, se sentant encore même vaguement coupable ! Dame, il ne serait pas comme les autres ! Il serait méchant ! Il n’aimerait pas la Domination, qui pourtant l’aime tant ! Quelle ingratitude ! Honte à l’enfant !

Il titube en retrouvant l’air libre ! Il est couturé comme c’est pas permis ! Il sent toutes ses blessures ! De nouveau, il pense un peu… Il n’est donc pas mort ! Oh ! Il ne faut pas aller trop vite : sa tête est meurtrie, pleine de pansements ! Mais enfin il se remet à courir ! Les enfants, c’est plein d’énergie, de foi, de bonheur ! L’enfant court dans les bras de la reine Beauté, qui est là sous les arbres, où le soleil fait des émeraudes et des diamants ! Et la reine Beauté est pleine d’amour et elle console l’enfant ! Elle lui dit : « Regarde ! » et le spectacle commence, qui apaise et enchante !

Ainsi l’enfant apprend !

                                                                                                   175

     Il est tard et Andrea Fiala rentre chez elle... Elle s’énerve un peu avec ses clés, quand une violente lumière lui cingle le visage ! « Mais qu’est-ce… ? fait-elle.

_ Tout va bien, m’ dame ? demande un jeune gars, qu’on voit mal à cause de sa lampe torche.

_ Mais oui, je rentre chez moi… Mais qui êtes-vous ?

_ Ben nous, on est la milice des scouts, m’dame !

_ La milice des scouts ?

_ C’est ça, m’dame ! On protège les gens… et vu que l’éclairage public a une panne, m’dame, on a cru que vous étiez un voleur… ou une voleuse ! Ah ! Ah ! Mais ce n’est pas le cas, hein, m’dame ?

_ Non, en effet, je rentre chez moi ! Mais vous défendez les gens contre qui ?

_ Ben, contre les casseurs, m’dame ! Y sont partout, vous savez, avec leurs cagoules et y détruisent tout ! Y n’ont aucun respect m’dame et y sont dangereux !

_ Et vous pensez pouvoir les affronter ? réplique Andrea, qui regarde une dizaine de jeunes apparemment assez frêles.

_ Sûr, m’dame ! On s’entraîne pour ça ! »

Le scout se tourne vers le premier qui est derrière lui et lui crie : « Baisse tes putains d’z’yeux ! Pompes pour tous, exécution ! » Les corps, à peine sortis de l’adolescence, sont allongés sur l’asphalte et se mettent à monter et à descendre ! Andrea en éprouve une vague pitié, mais en même temps elle reconnaît qu’ils ne badinent pas !

« Chef ! Chef ! » fait une voix qui sort peu à peu de la nuit et un scout haletant court vers l’interlocuteur d’Andrea. « Chef ! Chef ! Y a un autre groupe qu’arrive ! J’ sais pas qui c’est, mais m’ont pas l’air gentils !

_ Me regarde pas comme ça, idiot ! Baisse tes putains d’z’yeux !

_ Oui chef !

_ Eh mais, dit Andrea, vous n’ pouvez pas parler correctement à vos hommes ? intervient Andrea. Comment pouvez-vous après ça demander du respect ?

_ M’avez mal compris, m’dame ! répond le chef. Y a pas d’chef ici, m’dame ! En fait, ils sont nouveaux et y a une grande fête de prévue dans la nuit ! Avant, faut aguerrir le groupe !

_ Tout de même !

_ On n’est pas des fascistes, m’dame !

_ Eh mais chef ! Chef ! fait l’éclaireur. C’est p’têt des antifas qui arrivent !

_ Baisse tes putains d’… Ouais, tout le monde en position ! Paré à l’ennemi ! »

Les scouts se dispersent, sous les yeux médusés d’Andrea, comme si on tendait un guet-apens et bientôt d’autres silhouettes furtives apparaissent ! « Halte là ! crie le chef des scouts, en brandissant sa lampe torche.

_ Halte là ! lui répond apparemment un autre chef.

_ Qui êtes-vous ?

_ Non, vous qui êtes-vous ?

_ Milice des scouts !

_ Milice des arbres ! Vous n’êtes pas en train d’ couper des arbres, par hasard ?

_ Non, on protège la population des casseurs !

_ Parfait ! Parfait ! Rien à voir avec nous autres ! Sortez de l’ombre les gars, c’est des amis ! »

Par un coup de sifflet, le chef des scouts invite aussi ses hommes à quitter leur cachette et les deux groupes ont l’air de s’entendre… En tout cas, leur soulagement est palpable ! On finit même par se taper dans le dos, en souriant ! « Remarquez, reprend le chef des scouts, que l’agriculteur est maître chez lui ! Faut bien qu’il protège ses cultures !

_ Et qu’il utilise des pesticides ? enchaîne interloqué le chef des arbres. Il a aussi l’ droit d’chasser, hein ? Détruire la nature, ça y sait faire ! Mais c’est qu’on défend les valeurs de droite, on dirait !

_ Baisse tes pu… Oh ! Oh ! J’ sens subitement comme une odeur de gauche ! Le jean crasseux et la canette de bière ! La cuisine sale et les amours sur le lino !

_ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente ceux qui vouvoient leurs parents ! Les amis du château, les traîtres de 40 !

_ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente les intellos de gauche, la paresse au bout des ongles ! L’athéisme du cochon !

_ Oh ! Oh ! Voilà des pollueurs !

_ Oh ! Oh ! Voilà des casseurs ! »

On entend une baffe, puis une autre et la mêlée devient générale ! Andrea soupire, rentre chez elle et retrouve le silence. Elle se demande comment elle pourrait de nouveau espérer et elle imagine soudain son petit appartement tel un vaisseau spatial, en route vers un nouveau soleil, un nouveau monde appelé intelligence !

 
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