Les enfants Doms (T2, 176-180)

  • Le 27/05/2023
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Doms61

 

 

 

   "Mais c'est la maison Poulaga! T'as pas une tige, Borniche?"

                                  Flic story

 

                       176

     Madame Pipikova présente à la classe de rééducation matérialiste un nouveau personnage… « Voici le camarade syndicaliste Non, dit-elle. Non est bien son nom… Je vous demande de l’applaudir ! » Toute la classe se lève et bat des mains à tout rompre, puis le calme revient… « Camarade Piccolo, fait madame Pipikova, vous avez été le premier à cesser d’applaudir ! Je n’en suis pas étonné et je le note ! Mais nous verrons ça plus tard ! »

A présent, elle se tourne vers le nouveau venu : « Camarade Non, vous allez nous décrire votre travail…

_ Non.

_ Non ? J’ai mal dit votre nom ?

_ Non.

_ Alors pourquoi vous ne voulez pas… Ah ! J’oubliais ! Pour que vous fassiez quelque chose, il faut vous demander le contraire de ce qu’on veut ! C’est bien ça ?

_ Non.

_ Non ? Ah ! Ah ! Vous avez encore failli m’avoir ! Camarade Non, taisez-vous !

_ Bien, je vais vous décrire mon travail… D’abord, je voudrais dire que la dernière fois où j’ai dit oui, c’était pendant mon enfance ! Vous voyez, ça remonte à loin ! Mais, à l’époque, j’étais jeune et naïf et j’ai été trompé par ma grand-mère, qui me proposait une part de gâteau ! Depuis j’ai ouvert les yeux et je ne me laisse plus faire !

_ Camarade Non, ne répondez pas à cette question : « Qu’est-ce qui a motivé votre engagement ? »

_ Je ne supporte pas le pouvoir sous toutes ses formes ! C’est bien simple, il me rend malade !

_ Vous n’êtes pas gêné par l’oppresseur !

_ Voilà, il m’angoisse terriblement !

_ Car vous voulez vous-même le pouvoir !

_ Exactement, mon seul but est la justice sociale !

_ Vous êtes l’oppresseur !

_ Je suis le bon camarade !

_ Ne nous en dites pas plus !

_ Je vais vous donner quelques précisions ! Le pouvoir est partout ! C’est l’ennemi numéro un ! C’est un combat incessant et sans pitié que de lutter contre lui !

_ Mais il faut quand même un leader !

_ C’est vrai ! C’est le parti qui doit régner !

_ La corruption n’est donc pas liée à notre égoïsme !

_ Elle vient des mauvais camarades !

_ Mais nous voulons tous être les plus forts naturellement !

_ Vous avez raison, l’homme, venant de l’animal, est bon !

_ Et vous n’avez pas d’orgueil !

_ Seul le patronat en a ! Mais cessez un peu de me questionner comme ça ! J’ai… j’ai peu à peu l’impression que vous cherchez à me supplanter !

_ Vous rigolez ! Moi, j’ bosse moi !

_ Qu’est-ce que ça veut dire ?

_ Rien, rien, mais vous avez l’air d’apprécier votre statut de star, alors que le travailleur souffre !

_ Mais nom d’un chien, qu’est-ce qui m’a foutu une éducatrice pareille ?

_ Tous les mecs jouent les gros bras, de toute façon !

_ Ça y est ! Je suis sexiste maintenant ! J’ai le malheur d’être un homme !

_ Escroc !

_ Morue !

_ Qu’est-ce que vous avez dit ?

_ Euh… Je crois qu’il faudrait rappeler à notre auditoire qui est notre vrai ennemi et c’est… ? »

Tout le monde se lève et crie : « Le capitaliste !

_ Pourquoi ?

_ Parce qu’il a le pouvoir !

_ Le pouvoir…

_ Que nous voulons tous !

_ Pour ?

_ Pour le travailleur !

_ Ils sont bien ! reconnaît Non.

_ Oui, j’essaie d’effectuer au mieux ma tâche, répond madame Pipikova. Mais vous savez combien c’est difficile !

_ Je sais, je sais… Écoutez faut qu’ j’y aille ! (Il consulte sa montre.)

_ Bien sûr, alors au revoir !

_ Non.

_ Ah ! Ah ! Où ai-je la tête ? Évidemment, restez !

_ D’accord, je pars... »

A cet instant, Piccolo se lève et se met à applaudir, à crier : « Bravo ! Bravo ! » et à siffler ! C’est une acclamation sans précédent, d’autant qu’elle est solitaire !

                                                                                                     177

     La Justice sociale va chercher son pain… « C’est pas vrai ! s’écrie-t-elle, quand elle s’aperçoit qu’il y a une petite queue dans la boulangerie. C’est pas vrai ! C’est pas possible ! Mais c’est pas vrai ! » Elle n’en revient pas ! D’autres sont devant elle et il va falloir attendre ! Quelle contrariété ! Si ça ne tenait qu’à elle, personne ne se trouverait sur son chemin, à la retarder ! Enfin, elle doit tout de même faire comme tout le monde et prendre patience !

Mais réellement elle est incapable de se calmer et elle s’offusque de la présence du grand type qui la précède : « Qu’est-ce qu’ ce gazier ? Pour qui il se prend ? Il est là comme un rocher, comme s’il faisait la loi ! Il ne me considère même pas ! Pourtant je pousse ! C’est un comble ! J’ suis tout de même la Justice sociale ! Encore un d’ ces aristos qui s’ croient supérieurs !

Qu’est-ce que j’en ai marre ! J’ supporte pas d’attendre ! J’ai d’ la haine contre tous ceux qui ne font pas attention à moi ! Surtout ce matin ! Quand je vois comment les autres se gobergent ! Les stars par exemple ! Et ça se pavane sur le tapis rouge ! Quelle bande de tartes ! Déjà des vieilles peaux ! J’ ferais mieux ou tout aussi bien ! Pourquoi elles et pas moi ? J’en ai marre de ma vie grise ! Toujours la même rengaine ! Oh ! Qu’est-ce que je souffre !

Et y a ce grand type devant qui semble indifférent ! Pour qui il s’ prend ? Je pousse et il bouge pas ! J’suis pas rien, bon sang ! Comme si j’avais qu’ ça à faire, attendre derrière des gens qui s’ croient supérieurs ! L’égalité sociale, voilà ce qu’il faut ! Mettre tout le monde sur le même pied ! En bas, les fanfarons, les snobs, tous ceux qui méprisent ! Allez avance grosse vache ! On va pas y passer la matinée !

Au magasin, j’en ai ras-le-bol aussi ! Les clients m’ sortent par les trous de nez ! Vendre des chaussures, en disant : « Oui, madame, c’est du trente-huit ! C’est normal que ça serre un peu ! Elles vont s’ faire ! », j’en ai ma claque ! Pour c’ que ça m’ rapporte ! Déballer, remballer, courir à la réserve, aider un pied douteux, c’est pas une vie ! Même l’odeur du cuir, ça m’ pèse ! Et puis le magasin est sombre comme un trou à rat ! J’en ai les larmes aux yeux, certains matins ! Et devant, qu’est-ce que je vois ? Mais ce type indifférent ! Encore un qui est plein aux as ! Il semble pas richard pourtant !

Alors pourquoi je le déteste ? J’ sais pas ! C’est qu’il…, oui, c’est ça, je dois bien me l’avouer, c’est qu’il paraît heureux ! Il est là tranquille, il ne montre aucune impatience ! Mon énervement ne l’atteint même pas ! Comme si j’étais insignifiante ! Moi, la Justice sociale ! Il me renvoie à ma petitesse, à ma vie grise, à mon anonymat et c’est pourquoi j’enrage ! S’il avait peur, s’il se pressait sous mon influence, je sentirais mon pouvoir, ma valeur ! Mais là, c’est comme si je n’existais pas ! Je hais ce type ! Je le hais de toute mon âme ! On doit trembler devant moi ! La paix d’ ce type, elle me fait vomir !

Oh ! Mais j’ vais pas le rater ! Attends un peu… Qu’est-ce que je pourrais bien lui faire ! Car pour moi, pas question d’essayer de comprendre ! Pas question d’essayer d’avoir la même tranquillité ! Pas question de demander comment on peut être heureux comme ça ! Y manqu’rait plus que je m’humilie ! que je paraisse ignorante ! J’ suis pas une demandeuse, moi ! J’suis déjà assez bas comme ça ! L’injustice, j’ connais par cœur ! Faut qu’on paye maintenant ! Les riches au poteau ! Les privilégiés à la rue ! Qu’ils tâtent aussi d’ mon enfer !

Mais je vais m’ faire ce type ! J’ vais l’ détruire ! Voyons voir… Quand la boulangère va me demander ce que je veux, j’ vais parler haut et fort au-d’ssus d’ ce type, comme s’il n’était qu’une chose insignifiante! une poussière, un rebut ! Humilié, écrasé le type ! Ou bien, quand il va se retourner avec son pain, je vais bloquer le passage l’air effaré, comme si j’étais en face de quelque monstre inadapté ! J’ veux qu’ le type se sente gauche, de trop ! Ou bien encore, j’opte pour le vieux truc : un coup de coude quand il passe à ma hauteur ! Oh, pas fort ! Faut pas qu’ ça dégénère ! Ça doit rester comme un accident !

Mais j’ veux transmettre ma haine, toute ma haine ! Car personne ne me considère et ce type encore moins qu’un autre ! C’est pas qu’il me méprise, j’ai même pas croisé son regard ! Mais c’est son indifférence que je n’ supporte pas ! On doit s’occuper d’ moi ! A ce propos, il est l’heure d’aller manifester ! La Justice sociale n’attend pas ! Y vont voir c’ qu’y vont voir ! On s’ laissera pas faire ! Les aristos à la lanterne ! On paye ! On paye ! Ah ! Ça ira ! Ça ira !

Tout de même ce type, à la boulangerie, une énigme ! Car c’était pas un richard ! Alors comment il fait pour être heureux ? »

                                                                                                          178

     Rimar fait un cauchemar… Où est-il ? Il n’y a pas de murs, ni de végétation, ni de ciel… Tout semble gris et Rimar ne voit même pas son corps ! Alors où est-il ? Il entend soudain des gémissements, des pleurs, des cris de douleur ! Il s’avance et voit des enfants couchés dans du sang… Ils ne bougent pas, ils sont morts, puis viennent ceux qui sont blessés, avec des pansements et des larmes ! Ils souffrent et des yeux regardent étrangement Rimar, comme s’il était un monstre !

Cependant, deux enfants, un garçon et une fille, viennent donner leurs mains à Rimar, qui les prend ! Ces enfants-là n’ont pas de haine, ils accompagnent juste Rimar et celui-ci sent la chaleur de leurs petites mains ! Le roi commence à pleurer et c’est plus fort que lui ! C’est qu’il prend conscience du désastre, car l’enfant qui est en lui se réveille et reprend sa place ! Finis le mensonge, la haine, la peur de l’adulte ! Finis la politique, les grands discours, les apparats du pouvoir ! Rimar sanglote, non seulement à cause du malheur dont il est responsable, mais aussi parce qu’il se retrouve enfin, mesurant combien il s’est perdu lui-même !

Avec le retour de son innocence, c’est toute sa folie, sa cruauté qui lui deviennent évidentes ! Les corps sans vie l’accusent et il est horrifié ! Il se réveille brusquement en sueur et il doit se retenir pour ne pas crier ! Il a été un enfant lui aussi, bien entendu ! Il était même plutôt sage, timide, aimant ! Il désirait plaire et il s’enchantait de la nature, de sa force et de sa vie ! Et voilà qu’il avait tué d’autres enfants ! Que s’était-il passé ? Son égoïsme, son orgueil l’avaient entraîné trop loin ! Il avait cru bien faire, mais il avait dépassé les bornes ! Il avait associé sa puissance à celle de son pays et plus il se montrait fort et plus celui-ci l’était également ! Il avait chassé tous ses adversaires dans ce but, parce qu’ils menaçaient la stabilité et le développement du pays !

Mais vouloir dominer, être supérieur, c’était encore mépriser, écraser, détruire… et il avait commis l’irréparable ! Il était devenu un tueur d’enfants, un despote, un tyran, un monstre ! Ce cauchemar était pour lui un avertissement : il se savait damné ! Il fallait réparer, s’amender, demander pardon ! Il fallait tout arrêter, retirer ses troupes de la Kuranie, il était encore temps ! Le massacre devait cesser !

Rimar se rongeait les sangs ! Il était en proie à la plus vive angoisse et il décida d’aller parler à Fumur, le chef religieux ! Celui-ci comprendrait le trouble, le revirement, les regrets de Rimar, son sentiment de culpabilité, car n’était-il pas un homme près de Dieu, attaché la vérité, à la paix, à la bonté ! Ne serait-il pas heureux de voir un assassin, oui, un assassin, reconnaître ses crimes ? Ne serait-ce pas là comme le retour de l’enfant prodigue, amenant la joie de Dieu ? La grandeur divine n’en serait-elle pas éclatante ?

Mais, à la grande surprise de Rimar, Fumur entre dans une colère folle, en apprenant les nouveaux sentiments du roi ! « Mais tu veux ridiculiser le pays ? aboie-t-il au nez de Rimar. Mais t’es complètement givré, ma parole !

_ Je n’ te comprends pas ! J’ai envahi la Kuranie injustement, par orgueil, pour sentir ma puissance ! parce qu’au fond je ne supporte pas qu’on m’échappe, parce que je voulais être le maître ! Or, Jésus lave les pieds de ses disciples, pour bien leur faire comprendre qu’il n’y a pas de maître ! seulement des enfants ! Et j’en tue ! Tu m’entends, j’en tue ! Je suis une abomination aux yeux de Dieu !

_ Mais non, tu es l’un de ses fidèles serviteurs ! Regarde ce que tu as fait pour notre Eglise ! Tu l’as redressée, tu as remis à l’honneur le culte, tu as réparé les édifices qui en avaient besoin et tu en as construit de nouveaux ! Grâce à toi, Dieu n’est plus un paria dans ce pays ! Il t’en est reconnaissant, n’en doute pas !

_ J’ai fait cela pour mon orgueil et celui du pays ! Ce n’est pas par véritable amour… et le résultat, c’est la mort d’innocents !

_ D’innocents ? Des enfants de canailles et d’impies ! Tu l’as dit toi-même, tu combats la décadence et le péché !

_ Assez ! Je sais bien pourquoi au fond j’ai agi !

_ Et qu’est-ce que tu veux ? qu’on ait l’air complètement idiots sur la scène internationale ? « Excusez-moi, mesdames, messieurs, j’ crois que je me suis trompé ! Oups ! »

_ Il y aura évidemment de la casse ! Mais je ne peux pas continuer à être un tueur d’enfants ! C’est Dieu lui-même qui m’a envoyé ce message ! Si tu avais vu leurs yeux ! J’ai été éclairé !

_ Pauvre taré ! Y s’ra pas dit que tu nous mettras d’ dans ! »

Fumur prend un poignard et le plante dans le roi, qui suffoque et agonise ! « C’est pour l’amour de Dieu ! » dit encore Fumur, qui regarde mourir Rimar.

                                                                                                       179

     Après la chute de Rimar, un bruit court dans RAM : les militants écolos se préparent à attaquer la ville ! Des commerçants, des banquiers prennent peur et s’agitent ! On protège les devantures, les vitrines, on se souvient des violences de l’extrême gauche ! On sait qu’elle prend pour cibles ce qu’elle considère comme des symboles du capitalisme et plus largement du pouvoir, qui est inévitablement associé au monde de l’argent, de la corruption et de la dictature ! Ce sont bien les exploiteurs et les profiteurs, qui sont à l’origine du réchauffement climatique, dans le cerveau à vif et confus des écolos !

On barricade même certaines rues et des milices de droite, conservatrices, effectuent des contrôles, se mettent en position de défense, car on ne compte plus sur la police et on rêve aussi, il faut bien le dire, d’en découdre, de régler ses comptes, car la colère est comble de chaque côté ! Il y a bien longtemps qu’on supporte les excès du camp opposé sans broncher ! On s’est entraîné pour ce jour J ! La violence de la gauche a provoqué celle de droite et vice-versa ! On ne va pas jusqu’à se rendre compte de cette surenchère, mais au contraire on continue à croire en son bon droit et la relation de cause à effet entre les deux haines demeure occultée ! C’est à qui braillera et frappera le plus fort !

A l’Assemblée, c’est l’ébullition et on se rejette les responsabilités ! Pour la gauche, cette menace qui plane sur la ville vient de l’inaction climatique du gouvernement ! Les orateurs de la droite, eux, fustigent le pompier incendiaire de la gauche, qui appelle régulièrement à mettre le feu aux institutions ! On crie et on s’insulte ! Plus pragmatique, le gouvernement déploie ses forces de sécurité, de sorte qu’elles repoussent l’attaque prévue ! C’est une ambiance de guerre qui s’installe ! L’inquiétude gagne la population et RAM retient son souffle !

Cariou, comme d’autres, veut se rendre compte par lui-même de ce qui se passe véritablement et il prend la direction des plaines asséchées de RAM, là où la mer ne peut plus venir, à cause de barrières de détritus ! Dans cette partie, en effet, on découvre un spectacle grandiose ! Parmi une herbe jaunâtre qui ondoie, une foule est en plein branle-bas, telle une fourmilière dérangée ! Des jeunes en majorité donnent l’impression que les légions romaines sont en train de revivre ! On construit des chars, des engins capables de prendre d’assaut RAM, comme si la ville était entourée de remparts ! On fabrique des machines destinées à un siège, des béliers, des catapultes, avec des matériaux de récupération ! Le bois échoué ne manque pas par ici ! Les mouvements sont coordonnées, le travail d’équipe est absolument nécessaire et on comprend que les jeunes énergies y trouvent leur compte ! Elles ont enfin une belle raison de s’employer : le sauvetage de la planète ! La camaraderie, l’entrain, dans ces conditions, naissent naturellement et le bonheur devient une réalité !

Cependant, Cariou ne perd pas de vue que le but de cette effervescence reste un affrontement, qu’il y aura de la violence et des blessés et que le résultat ne sera pas celui escompté ! On ne change pas les mœurs par la force et la tristesse et l’amertume seront les seuls sentiments qui découleront du champ de bataille ! Aussi Cariou veut-il parler, car il connaît bien les cœurs qu’il a sous les yeux et il se dirige vers un micro, qui sert à encourager tout ce monde ! Sur le chemin, on peut lire sur des pancartes le nom des groupes : « Les Révoltés de l’écorce », « Les Flibustiers de la justice », « Les Loups de l’arc-en-ciel », etc. ! La défense de la nature et l’indépendance de la pensée sont mis en exergue ! On est contre le système, car c’est lui qui réchauffe !

Cariou arrive à convaincre celui qui tient le micro, d’abord parce qu’il dégage une autorité naturelle et ensuite parce qu’on ne refuse pas la controverse ! Cariou peut donc transmettre son message et il commence ainsi, par-dessus les préparatifs : « A quinze ans, je détestais les voitures ! Je m’enfonçais dans les bois, dans l’espoir de les oublier, mais, bien entendu, elles finissaient par réapparaître, car la civilisation est partout !

Je maudissais la société, car je la savais hypocrite et égoïste ! Elle niait et elle continue à nier ses plaisirs ! Elle dit qu’elle détruit la nature par nécessité et c’est faux ! C’est sa soif de pouvoir et sa peur qui font qu’elle s’étend indéfiniment, en réchauffant la planète ! Voilà pourquoi je n’avais que mépris pour elle !

Plus tard, j’ai été choqué de devoir prendre un compte en banque et même d’adopter une signature ! De quoi se mêlait-on ? N’étais-je pas libre ? Je n’ai pas non plus accepté la suppression des cabines téléphoniques à pièces, ce qui obligeait à acheter une carte, et jusqu’au bout j’ai résisté ! Cela peut prêter à sourire, mais, sachant la société mensongère et perdue elle-même, je n’allais pas non plus approuver ses décisions, en ce qui concernait ma liberté !

Qui peut en dire autant ici ? En tout cas, vous voyez bien que je suis de votre bord ! Aujourd’hui, j’ai pratiquement la soixantaine et je vois les choses différemment ! Non que je me sois ramolli ! Je continue à lever les bras au ciel, dès que je vois de nouvelles destructions, de nouveaux chantiers, qui roulent la terre comme si c’était un vieux paillasson ! Mais ma haine, ma violence ont disparu ! C’est qu’entre-temps je me suis pacifié ! Je sais aujourd’hui que je peux faire des choses et d’autres non ! Comme vous tous ici j’ai mes limites ! C’est quand on les dépasse qu’on se blesse, qu’on se fatigue et qu’on perd sa lucidité !

Or, beaucoup d’entre vous sont ici parce qu’ils se demandent s’ils en font assez ! Vous êtes gouvernés par vos inquiétudes, mais celui qui est en paix avec lui-même garde ses forces et cela lui permet de ne pas perdre de vue la complexité du monde ! Celui qui est en paix avec lui-même comprend la différence, il ne la rejette pas ! Or, rien que pour se nourrir les hommes ont besoin d’un travail et des entreprises qui les emploient ! Vous ne pouvez pas jeter ce système brusquement par terre, même si vous jugez qu’il pollue et qu’il y a urgence !

D’autre part, vous n’ignorez pas que la plupart des gens sont paralysés par la peur et comment pouvez-vous imaginer que votre violence puisse les rassurer ? Vous n’allez que renforcer leur hostilité à votre égard ! Vous ne pouvez pas changer les hommes si vous ne les aimez pas, et c’est là que votre paix entre en scène ! C’est là que vous voyez qu’elle n’est pas du temps perdu ! »

A cet instant, un jeune furieux et costaud se précipite vers Cariou et se saisit du micro : « N’écoutez pas les défaitistes ! dit-il. Ils vous diront que tout est inutile et qu’on n’y peut rien ! Nous, nous allons gagner, car nous le voulons ! Qui sauvera la planète ?

_ Nous ! répond la foule, qui connaît déjà cette façon de faire de l’orateur.

_ Qui ?

_ Nous ! »

Cariou hausse les épaules : il n’avait jamais pensé à arrêter les choses… Le plus facile, c’est de suivre sa haine, sa colère ! Mais, tout de même, il sait que ses paroles germeront, surtout quand viendra la déception de la bataille ! On ne détruit pas la différence !

                                                                                              180

« Eh, mais t’es complètement hors-sol, mec !

_ Ah non ! C’est toi qui est complètement hors-sol, mec !

_ Arrête un peu, j’ai jamais vu un mec aussi déconnecté que toi !

_ Quoi ? Question déconnexion, tu bats tous les records ! T’es perdu, man, faut t’ faire une raison !

_ Le mec complètement déconnecté !

_ Le gars hors-sol complet !

_ T’es violent, on dirait ! Respect, man !

_ Je fais que répondre à ta violence ! Tu m’insultes, man !

_ T’es une fiotte !

_ Tention ! Tention ! Voyant homophobie, man !

_ T’es un woke, c’est ça ?

_ De la minorité intelligente, man ! Et j’ te vois pas parmi nous !

_ Pourquoi qu’ t’es en train d’ sexualiser le débat ?

_ Qu’est-ce que tu racontes ? J’ sexualise rien du tout !

_ Oh ! Mais c’est pas l’envie qui t’en manque ! J’ le vois dans tes yeux ! Tu sexualises tout, man !

_ Non, c’est toi qui me sexualises ! Je le sens partout autour de moi ! Tu m’enfermes dans ta sexualité !

_ Peuh ! J’ai même pas encore choisi mon sexe ! Liberté, man !

_ C’est pour ça qu’ t’as l’air idiot !

_ De nouveau irrespect ! Le woke anti-woke !

_ Le fasciste, c’est toi ! Grosse désillusion, man !

_ Si j’suis fasciste, toi t’es nazi !

_ Et tu continues ! Tu veux la vérité : tu nazifies tout ce que tu touches !

_ J’ t’ai pas touché, man !

_ Si, si, tu m’ touches avec tes mots ! T’es hyperviolent, man !

_ Nouvel onglet, man !

_ Quoi ?

_ Change de disques, si tu préfères ! La case est vide, on dirait !

_ Comment qu’ t’es violent ! Un vrai dictateur !

_ Je nazifie grave !

_ Tu parles surtout tout le temps de toi ! T’es un nombril, man !

_ T’es schizo !

_ Ouh là là, jamais vu un type aussi schizo !

_ Et perroquet avec ça !

_ T’es tombé sur un bec, man !

_ Tu t’entraînes pour Vegas, c’est ça ? Tu vas faire un malheur !

_ T’es raciste ?

_ Qu’est-ce que ça vient faire là-d’dans ?

_ J’ te demande si t’es raciste, oui ou non ? Réponds !

_ Voilà que de nouveau tu m’ sexualises !

_ N’importe quoi !

_ Mais tu veux être le maître, sachant que je peux être une femme !

_ T’es en train de me faire tourner en bourrique ! C’est typique du pervers narcissique ! Tu m’détruis, man !

_ On peut pas détruire le néant ! T’es l’homme invisible, man !

_ T’évites le débat !

_ Tu lévites en bas !

_ Laïcité, man !

_ Cafard !

_ Climatopathétique !

_ Communiste !

_ Capitaliste !

_ Trotskyste !

_ Léniniste !

_ Vert !

_ Rouge !

_ Oh ! Le schiz !

_ Oh ! L’autiste !

_ T’es une véritable inflation, man !

_ Mee to, first !

_ Mytho first ! Tu veux dire !

_ Ton âme est noire !

_ Raciste !

_ Hors-sol !

_ République, man !

_ Vote !

_ Abstention !

_ Constitution !

_ Motion d’ censure !

_ 49.3 !

_ Ciseau !

_ Papier !

_ Pierre !

_ Paul !

_ Manif !

_ Snif !

_ Dégoûtant !

_ Ecoeurant !

_ Moi je !

_ Encore !

_ Plus !

_ Précarité !

_ Viol !

_ Meurtre !

_ Dégage !

_ T’es grossophobe ?

_ T’es fou ! T’es mon crush !  »

 
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