foi

  • Paschic (15-19)

    R32

     

     

             "Eh! Mais dis donc!" Si tu m'avais dit ça, j' rais pas allé m'empaler sur les Djian!"

                                                                 Flag

     

     

                                                  15

    Paschic a trouvé une case dans le Labyrinthe, où il est heureux ! Il a un uniforme bleu, un chef et tient un balai ! Le chef passe le matin, forme des équipes et dit : « Vous, vous faites ce secteur ! Vous autres celui-là » et ainsi de suite ! Paschic est tranquille : il sait ce qu’il doit faire… et il commence son travail le cœur léger ! Il va ni trop vite, ni trop lentement ! C’est bien fait, en accord avec les horaires ! Quand la journée est terminée, la tâche elle aussi est finie et on peut parler d’une vie harmonieuse, en règle, avec un salaire, des cotisations… Jamais Paschic n’a été aussi paisible !

    Ses idées elles-mêmes ont changé, se sont simplifiées… Paschic est désormais d’accord avec tout le monde ! Il plaint ses collègues qui sont restés ombrageux, amers ! Mieux, il ne les comprend même plus ! Lui se distrait en jouant au tiercé, il espère gagner et cela l’occupe tout entier ! Ce jour-là est particulier, car le chef annonce la visite de la Machine dans la ville ! C’est un honneur et même un bonheur ! La parfaite sécurité qu’éprouve Paschic est bien entendu l’œuvre de la Machine et il lui en est pleinement reconnaissant ! C’est le pouvoir de la Machine qui assure la stabilité du pays !

    A l’heure dite, Paschic, libéré exceptionnellement de son travail, est sur le parcours de la Machine… Comme les autres, il est enthousiaste et crie : « Vive la machine ! Vive la Machine ! » L’ambiance est à la fête : on jette des cotillons et la Machine sourit devant sa population ! Le cœur de Paschic se gonfle de joie et il est abordé par Lapsie, qui le reconnaît et qui fait partie des collaboratrices de la machine… « Alors, Paschic, tu as l’air heureux, n’est-ce pas ? dit-elle.

    _ Oui, oui, c’est un jour merveilleux ! Vive la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Où sont tes cauchemars d’hier ? Tu vois, en travaillant sur soi, on arrive à s’intégrer, à goûter le bonheur !

    _ Bien sûr, j’étais égoïste et aveugle ! victime de mes phobies ! J’ai maintenant quelqu’un dans ma vie… et on va sans doute se marier et avoir des enfants !

    _ Toutes mes félicitations, Paschic !

    _ Vous savez, c’est un peu grâce à vous et à la psychologie que j’ai pu m’en sortir et je vous en remercie !

    _ Merci, Paschic, mais je peux peut-être faire encore davantage pour toi ! Je vois que tu as la première barrette du balayeur… Je peux demander que tu obtiennes la deuxième !

    _ Non, c’est pas vrai ! Vous feriez ça ? Mais ce serait le paradis !

    _ On en reparle après le discours de la Machine, si tu veux bien… Sais-tu qu’il y a un feu d’artifice ce soir ?

    _ Mais oui, j’y serai avec tous ceux que j’aime ! Pour rien au monde je ne raterai ça ! »

    Paschic se rend sur la grande place, pour écouter le discours de la Machine… et son apparition déclenche une ferveur délirante ! Puis la machine impose le silence, par un large mouvement du bras… « Sororité, mes amis, dit-elle. La route a été longue, n’est-ce pas ? Mais nous voilà unis ! Nous voilà en sécurité ! Nous voilà une force ! (Acclamations!) Nous voilà animés par le même but, celui de notre bonheur, celui de la stabilité, de la paix, celui de ne constituer qu’une seul et même famille ! (Acclamations!) Naguère, l’homme opprimait la femme, mais ces temps sont révolus ! L’homme, dressé par la femme, sert aujourd’hui notre grande cause : donner un avenir radieux à nos enfants !

    Cependant, vous vous en doutez, le travail n’est pas terminé ! Nos ennemis restent nombreux et ils n’ont qu’un seul souhait : nous détruire ! Nous ne les laisserons pas faire ! Nous nous en protégerons et nous les vaincrons ! (Acclamations!) Ils sont malheureusement partout ! Il y a encore des hommes qui méprisent les femmes ! (Huées!) Ceux-là nous en faisons notre affaire, ils rentreront dans le rang ! La femme est le futur, elle doit régner ! Mais les ennemis peuvent prendre toutes les formes ! Ce sont les pays jaloux ! les idéologies décadentes, lâches, qui sapent l’autorité, la force, l’ordre ! Nous ne vaincrons pas sans ordre ! Il est primordial ! Mais l’ordre, c’est vous ! C’est vous la force, à condition que nous restions unis et que chacun fasse son devoir ! Vous appartenez au parti et vous avez votre rôle à jouer ! Je suis le chef et vous m’obéissez ! Vous êtes la main et je vous guiderai ! Vous êtes le feu et je vous dirigerai !

    Malheur à nos ennemis ! Malheur à leurs femmes et à leurs enfants ! Nous serons sans pitié, si on nous empêche d’être heureux ! Pas vrai les amis ? »

    A cet instant, Bona crie : « Vive la Machine ! Vive la machine ! » et la foule l’imite, y compris Paschic, qui hurle à tue-tête, grisé ! Il est heureux, il n’est plus seul, il fait partie d’un groupe et sa vie a un sens !

                                                                                                   16

    Paschic rentre chez lui, heureux, rayonnant : quel beau discours de la Machine ! Et tous ces gens qui sont ses amis ! Et le feu d’artifice ! Et la deuxième barrette promise par Lapsie ! Paschic se voit déjà balayeur de deuxième classe, donnant des ordres aux premières classes ! Qu’avait-il naguère à s’inquiéter, à se tourmenter ? Ah ! Quel monstre d’ingratitude n’avait-il pas été à l’égard de la Machine ! La vie est simple, quand on ne se regarde pas trop !

    Paschic sifflote et malheureusement s’égare dans une rue sombre… En fait, il n’y a pas fait attention, mais il a de nouveau changé de case dans le Labyrinthe… et le voilà dans un coin noir et humide ! Une petite voix faible s’échappe des ténèbres : « Pitié ! Pitié ! » fait-elle. Paschic s’approche et découvre un vieillard exsangue, sur des cartons ! C’est bien triste, mais Paschic ne peut pas sauver le monde… et il a bien d’autres choses à faire, notamment retrouver ses douces espérances, celles qu’il caresse à la lumière de son foyer ! « Pitié ! Pitié ! répète le vieillard.

    _ Ouais, ouais ! réplique Paschic. Mais il faut qu’ j’y aille ! Tiens, c’est tout ce que j’ai sur moi !

    _ Ne m’abandonne pas, par pitié ! J’ai été brisé par la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Voilà le joli refrain du loser ! Moi aussi avant, je me plaignais comme toi ! Mais j’ai été guéri ! Je sais que la Machine est bonne… et on le sait quand on apprend le prix des choses… et la valeur du travail ! Le nouveau Paschic est arrivé ! Désormais, je suis responsable, bientôt chef de famille et je me dresserai dans l’aube naissante, en disant : « Voilà le jour qui commence… et c’est une joie ! »

    _ Co… Comment ? Tu ne me reconnais pas, Paschic ?

    _ Ah ? Parce qu’on pourrait se connaître ? J’ bosse, moi ! J’suis rentré dans l’ rang ! J’ suis plus un faiseur d’histoires !

    _ Mais… mais je suis ton rêve, Paschic !

    _ Hein ? Quoi ?

    _ Quand tu étais enfant, tu vivais avec moi, sous la même chaumière ! Tu t’en rappelles pas ?

    _ Pfff ! C’est loin tout ça !

    _ Évidemment, tu étais bien jeune à l’époque ! Mais nous vivions heureux ! Notre village était situé dans une vallée verdoyante… On sortait et on marchait parmi les marguerites ! Tu te rappelles du ruisseau… Il faisait tourner notre petit moulin… et les oiseaux chantaient tout autour ! Quelle vie magnifique nous était promise ! Je me souviens que tu étais amoureux d’une fille aux cheveux d’or ! Je me trompe ?

    _ Hum.. peut-être pas… Je… je revois certaines choses…

    _ Bien sûr ! Mais tu as été traumatisé le jour de l’attaque !

    _ L’attaque ?

    _ Oui, un jour, les forces de la Machine ont détruit le village ! Tout a brûlé et nous avons été séparés ! Toi, tu as été pris en esclavage… et moi, j’ai dû m’enfuir dans la forêt ! J’avais reçu un coup d’épée en plein front et j’ai erré, erré !

    _ Ce n’est pas vrai ! Mon rêve est avec moi ! Et la Machine est bonne ! Elle m’aime ! C’est grâce à elle, si je peux manger, m’habiller, ne pas être comme toi : perdu, sale et seul !

    _ Pourtant, ce que je te dis est vrai ! C’est moi, ton rêve !

    _ Tu veux me rendre triste ! Tu veux que je pleure, en pensant combien la Machine est méchante !

    _ C’est l’égoïsme de la Machine qui nous a brisés !

    _ C’est faux ! Le remède au mal est en nous ! C’est Lapsie qui me l’a dit ! Je ne veux pas pleurer sur mon rêve perdu ! Je ne veux pas de la nuit et du froid ! Je ne veux pas voir les gens haineux et égoïstes ! Je veux rêver ! Je suis heureux !

    _ A ta guise, mais la Machine ne te laissera pas tranquille ! Elle a besoin de toi comme esclave ! Tu dois nourrir son rêve, en étant soumis ! Son rêve, c’est de commander, sentir sa supériorité !

    _ Non, non et non ! Lapsie m’a dit…

    _ Elle aussi est une machine !

    _ Je veux être intégré ! être comme tout le monde !

    _ Sais-tu pourquoi la machine a détruit notre village ? Mais parce qu’elle te méprisait Paschic et elle te méprise toujours ! Elle te voit comme une lavette !

    _ Salopard !

    _ Paschic, la lavette ! Ah ! Ah ! Paschic, le demeuré ! Le paillasson de la Machine ! »

    Mais Paschic n’écoute plus ! Il court dans le noir, en se bouchant les oreilles !

                                                                                                        17

    Paschic a rejoint ses camarades travailleurs, mais, encore troublé parce que vient de lui dire son « rêve », il balaie avec deux fois plus d’ardeur, jusqu’à ce qu’un collègue lui demande : « Paschic, tout va bien ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Dis donc, t’es un gars apprécié ici, mais tu pourrais peut-être t’engager un peu plus…

    _ Qu’est-ce tu veux dire ?

    _ Eh bien, tu pourrais adhérer au Parti…, d’abord parce que tes droits seraient défendus et ensuite, tu travaillerais à notre grand idéal !

    _ C’est quoi, votre grand idéal ?

    _ Eh bien, nous, nous sommes des travailleurs, des prolétaires et nous sommes exploités par la classe dirigeante, celle des capitalistes ! Ce à quoi on veut arriver, c’est que c’est nous, les travailleurs, qui gouvernions, que nous soyons tous égaux et des camarades ; la richesse étant partagé entre tous !

    _ Moi, je veux bien, du moment que je ne suis plus seul, et avec vous, mes camarades ! Et puis l’idée du méchant représenté par le capitaliste et qu’il faut abattre, c’est pas pour me déplaire !

    _ Bon, très bien…

    _ Non, parce que je t’ai pas dit, mais j’ viens d’ rencontrer une créature, par là-bas, dans le noir, sur des cartons ! Elle se prétend mon rêve ! Elle dit que la Machine a bousillé ma jeunesse, car, tiens-toi bien, toujours d'après elle, nous serions tous égoïstes, riches ou pauvres, depuis la naissance, du fait de notre origine animale !

    _ Quelle idée ! Nous, nous voulons le bien !

    _ C’est exactement ce que j’ai répondu ! que je ne voulais pas entendre ces salades ! Sinon y a plus d’équipe ! Faut ouvrir les yeux et se retrouver seul ! Et ça, moi, j’en veux plus ! pour rien au monde ! Tu m’assures que ce sont les capitalistes, les méchants !

    _ Promis juré !

    _ Et donc, toi, tu es un responsable du Parti, mais tu ne te sens aucunement supérieur à moi, ni même aux capitalistes ! Tu travailles uniquement pour la justice ! 

    _ Il faut bien diriger… et puis, j’ai plus d’expérience que toi…

    _ Mais tu n’as aucun plaisir à commander ? Je pourrais tout aussi bien te donner des ordres…

    _ J’imagine que oui, si tu le mérites…

    _ Ne sommes-nous pas tous des camarades ? Tu comprends, j’ voudrais surtout pas que mon rêve ait raison ! Et ta voiture, tu me la prêtes, vu que j’en ai pas ! Elle est au Parti somme toute !

    _ Doucement, doucement, c’est moi qui l’ai payé, ma voiture !

    _ Non ? T’as capitalisé, pour l’avoir ! Tu as fait preuve d’égoïsme, afin de satisfaire ton amour-propre !

    _ Ma voiture est nécessaire !

    _ Que tu dis ? Ne serait-ce pas l’heure d’une auto-critique ?

    _ Tu m’énerves à la fin ! J’ te kiffe de moins en moins !

    _ Mon Dieu, mon Dieu, mon rêve a raison : nous sommes tous égoïstes par nature… et la Machine m’a pris ma jeunesse, pour s’essuyer les pieds !

    _ Puisque je te dis que les méchants sont les capitalistes !

    _ Répète-le moi, tu veux, je suis au bord de la crise d’angoisse !

    _ Les méchants sont les capitalistes ! Le bonheur est la victoire du prolétariat !

    _ Les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est la victoire des prolétaires !

    _ Voilà ! Ça va mieux ?

    _ Ouf ! Oui ! J’avais la vérité aux fesses, comme un chien féroce ! Et… il est parti !

    _ Allez, encore une fois : les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est...

    _ La victoire du prolétariat ! Ah ! Ah ! Ça marche ! Mon rêve ? Enfoncé, disparu ! Dis, avec tes relations, tu peux m’avoir ma troisième barrette !

    _ Euh, faut qu’ je vois avec le chef…

    _ Non, parce qu’ j’ai absolument besoin d’une voiture !

    _ Mais si t’es promu, ça doit rester entre nous, sinon ce s’ra de la corruption !

    _ Évidemment ! Quand j’ pense que j’ai failli ouvrir les yeux ! J’ai vu l’abîme tout d’un coup ! »

                                                                                                    18

    Paschic continue à balayer tranquillement, sans s’apercevoir qu’il s’écarte de ses collègues, pour se retrouver dans une zone isolée du Labyrinthe… Tout y est étrangement calme, au point d’en être inquiétant ! Soudain tombe au sol une petite créature… Elle paraît gluante et elle s’accroche à Paschic, en disant : « Dom ! Dom ! » Paschic est pris de dégoût, mais des dizaines d’autres créatures, pareilles à la première, sortent maintenant du mur ! Et toutes n’ont qu’un seul cri : « Dom ! Dom ! »

    Paschic effrayé s’enfuie, court éperdu, mais devant lui les créatures ne cessent d’apparaître ! Il y en a pourtant une qui n’est pas semblable aux autres… Elle a une taille normale et c’est une femme et quelle femme ! Elle est sublime dans une flamme ! Tout son corps est incandescent et rien que sa vue brûle ! Elle appelle Paschic : « Oh ! Viens, Paschic ! dit-elle. Ne suis-je pas séduisante ? Ne suis-je pas synonyme de plaisir ? Est-ce que je te laisse indifférent ?

    _ Non… non... »

    Paschic baisse la tête, car il sait que s’il regarde cette femme, il sera ébloui, amoureux même ! Ses défenses pourraient céder, d’autant que quand la femme se déplace ou parle, des flammes s’échappent de son corps et viennent toucher Paschic jusqu’au fond de l’âme ! Une voix monte dans Paschic et gémit presque : « Pourquoi résistes-tu, Paschic ? dit-elle. Pourquoi refuses-tu ce plaisir ? Cette femme est magnifique ! Inutile de l’examiner ! C’est du feu ! Son corps est parfait ! Et toi, Paschic, tu remontes chaque jour la dure pente de ta conscience, de tes explications, de tes croyances ! Il faut incessamment que tu te reconstruises, que tu te justifies ! Chemin amer qui te laisse épuisé ! Alors que le plaisir, le bonheur est là ! »

    A cet instant, Paschic est interrompu par quelqu’un qui jette dans son dos : « En hésitant, Paschic, tu te fais du mal ! Tu ne va pas avec elle, car tu sais que c’est une Dom ! C’est tout ! » Paschic se retourne et voit de nouveau son Rêve, toujours sur des cartons et qui, en ce moment, s’évertue à rallumer un affreux cigare ! « C’est une Dom, Paschic, reprend le Rêve. Tu le sais ! Comme tu sais que toute cette ardeur, dont elle fait preuve, est produite par sa peur, son angoisse ! Elle est perdue, Paschic, d’où son feu ! Elle brûle, car elle veut un homme, une relation pour s’apaiser ! Or, toi, Paschic, t’es un cas ! T’es pas un Dom ! Pour eux, t’es une énigme, Paschic ! T’es le rocher au milieu de la tempête !

    _ Ouais, mais elle est… si belle, si désirable !

    _ Et elle te désire justement parce que tu n’es pas un Dom ! Tu arrives à tenir debout sans vouloir dominer ! Tu es une paix unique ! Incroyable ! Car dominer, c’est dévorant et ne guérit pas l’angoisse ! La domination est un rideau de fumée, qui détruit même ! Mais toi, Paschic, tu sais combien coûte de ne pas être un Dom ! C’est un travail sur soi de tous les jours ! Combien de renoncements, Paschic ! Combien de peurs n’as-tu pas vaincues ? Combien d’années d’errance ? Et ton amour, pour la vérité, etc. ! Alors laisse tomber, Paschic ! C’est une Dom !

    _ Mais… mais on pourrait peut-être s’aimer tout de même ! Je lui expliquerai pas à pas ! Elle me donnera son corps et moi, ma sagesse !

    _ Hi ! Hi ! Paschic, tu sens ce feu ? Il est le reflet de son angoisse ! Et toi, tu penses l’apaiser, la calmer, sans te brûler ! Tu crois qu’en te jetant dans la passion, tu vas lui apprendre tout ce que tu sais et qui t’a demandé une vie ! Mais, mon pauvre Paschic, tu vas y laisser la peau ! Elle finira par te dévorer, sans même penser à mal !

    _ Je… je…

    _ Allez, rien n’est plus fort, plus extraordinaire que de n’être pas un Dom, que de les repousser parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, qu’ils la refusent ! Qu’ils soient attirés par toi est une preuve que tu ne te trompes pas !

    _ C’est vrai…

    _ Ils te demandent maladroitement de la lumière, du sens, en dominant encore…, alors que justement il faut abandonner sa domination pour être en paix ! T’as pas fini de les attirer, crois-moi !

    _ D’où viennent les Doms, le Rêve ?

    _ Mais du GVI !

    _ Du GVI ?

    _ Oui, du Grand Vide Intérieur, situé au centre du Labyrinthe ! Le GVI produit de l’angoisse et les Doms se multiplient ! »

    Entre-temps, la femme dans la flamme a disparu et Paschic ne peut s’empêcher d’en éprouver une certaine tristesse… « C’est pas un déchirement, Paschic, reprend Rêve qui crache. C’est un choix ! Tiens, y a un Dom qui t’ bouffe le pantalon ! »

                                                                                                         19

    « Le GVI, les Doms ! C’est bien joli tout ça, mais ça veut dire quoi exactement ? s’interroge Paschic. Et si les Doms viennent du GVI, d’où vient le GVI ? Hein ? » A cet instant, Paschic bute dans un grand gars, qui lui dit : « Mais où vas-tu comme ça, mon zèbre ?

    _ Ça t’ regarde ?

    _ Un peu qu’ ça m’ regarde ! Car on passe pas à côté de moi, sans me regarder ! C’est qu’ je compte moi ! »

    « Bon sang ! Un Dom ! » se dit Paschic, qui réplique : « Pour moi, t’es pas intéressant ! Et puis je te dois rien, j’suis libre, s’pas ! Alors du vent, l’animal !

    _ Oh ! Oh ! Comment tu m’parles ! Oh ! Oh ! On m’ parle pas comme ça ! Tu sais pas qui j’ suis ! Je suis le baron de Messygue ! Troisième du nom ! Mes ancêtres tenaient déjà la région, quand les tiens se tuaient à ramasser des pommes de terre ! Évidemment pour ma purée ! Alors on me doit adoration et soumission !

    _ Ah bon ? Mais, si je suis aussi minable, pourquoi rechercher mon intérêt ? En quoi ma médiocrité peut-elle t’aider ?

    _ Euh… Bah, j’ dirais qu’une louange est toujours bonne à prendre !

    _ Menteur ! Je te fais impression, tu vois que je ne suis pas n’importe qui et tu te dis que toi aussi tu fais partie de l’élite et qu’il est impensable qu’on ne s’en rende pas compte, en te montrant de l’indifférence !

    _ C’est vrai ! J’ai des qualités, je réussis et, ma foi, je suis assez bien de ma personne !

    _ Le problème, c’est que moi, je me moque de l’élite !

    _ Comment ça ?

    _ Je suis au plus bas sur la hiérarchie sociale ! Je n’ai aucun pouvoir… ou plutôt celui que j’ai est spirituel, intérieur ! Il est justement l’anti-pouvoir social ! Il n’est pas basé sur la supériorité, ni sur la soumission ! Je ne cherche pas à dominer ! Je trouve ça ridicule !

    _ Mais moi, j’ai besoin de ton intérêt, que tu reconnaisses ma valeur !

    _ Je sais : sans ça t’es paumé ! Mais, même en constatant que je te fais impression, tu ne veux pas suivre mon exemple !

    _ Ah non ?

    _ Non, parce qu’il faudrait d’abord que tu renonces à toi-même ! que tu places ton succès dans autre chose que ton ego ! Il faudrait que tu aies confiance sans vaincre, sans contrôle, sans te regarder dans le miroir ! C’est pas toi qui es important, c’est l’amour !

    _ Bon sang, qu’est-ce que tu es ? Une sorte de beatnik ?

    _ Tu vois ma force ? Eh bien, possède-la !

    _ Pour qui tu te prends au fond ? Tu te crois supérieur ? T’es un minable ! Mais j’ vais t’ dresser, moi ! Tu vas à apprendre à me respecter, tu vas voir qui es ton maître !

    _ Mais on ne peut pas obliger les gens à aimer ! Ce qui vient du cœur doit être libre, sinon ce n’est pas sincère !

    _ Ça, c’est ce qui a sur la papier ! Mais il suffit de se montrer persuasif et tu finiras par m’admirer !

    _ C’est ce que me disait la Machine…

    _ Comment ?

    _ Rien, rien, des réminiscences… Ne pouvant être aimé, tu vas avoir recours à la tyrannie !

    _ Exactement ! Ce qui ne cède pas doit être écrasé !

    _ Et la haine naît de la peur…

    _ La peur ? Ah ! Ah ! Parce que tu crois que j’ai peur de toi, l’avorton ? Ah ! Ah !

    _ Mais tu n’as pas peur de moi, mais de la vie ! Mais pour ne plus sentir ta peur, tu veux dominer, être le centre d’intérêt ! Si le monde est comme ta chambre, puisque tu le commandes, alors ta peur disparaît !

    _ Tu m’ fatigues ! »

    Le type siffle et d’autres gars surgissent, des Doms comme des couleuvres et voilà Paschic battu et attaché à une claie ! Le type s’approche, maintenant vêtu d’une blouse blanche ! Il caresse la tête ensanglantée de Paschic et lui dit : « Il va falloir que tu m’aimes, tu sais ! que tu m’admires ! » Il tient une tenaille et commence à arracher les ongles de Paschic ! « Aime-moi, dit-il. Trouve-moi formidable, unique, exceptionnel, magnifique ! Bon, résolument bon ! »

  • Paschic (1-5)

    R29

     

     

     

                             "Je t'ai eu!"

                              Driver

     

                                                121

    Paschic crie : « Je vous en prie, non ! Je vous en supplie ! » On vient le chercher dans sa cellule et il est conduit dans une salle spéciale ! Placé sur un siège, il doit regarder des images étranges, notamment un disque qui tourne ! Une voix fait : « La Machine est bonne ! La Machine est une mère de famille qui ne désire que votre bien !

    _ Non, non, répond Paschic en sueur.

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic !

    _ Non, non…

    _ Mais enfin ne voyez-vous pas que la société est du côté de la Machine ? Comment pouvez-vous croire que vous êtes meilleur que tout le monde ?

    _ Je ne… suis pas meilleur, mais la Machine me fait mal… Je vous en prie… A boire !

    _ Vous boirez plus tard… Vous vous croyez différent, unique ! Comment expliquer cela, sinon par le narcissisme, la paranoïa ?

    _ La Machine... me méprise…, fait mal…

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic ! C’est vous le problème ! Mais nous allons extirper le mal de vous, Paschic !

    _ La Machine est… malade…, à cause de son orgueil…

    _ Très bien, expliquez nous ça !

    _ A boire !

    _ Qu’on lui donne à boire !

    _ Merci…

    _ Alors, vos explications ?

    _ La Machine… ne voit pas les autres… Elle s’en sert ! Pour elle, les autres n’ont pas d’existence propre : ils sont ses esclaves ! La Machine rapporte tout à elle !

    _ Vous êtes le seul à parler comme ça ! Les autres membres de la famille sont en accord avec la Machine ! Ils forment un groupe, Paschic, une équipe ! Ils sont soudés, mais pas vous ! Pourquoi ? Parce que vous vous croyez spécial et qu’on ne vous accorde pas assez d’attention !

    _ Ff...faux ! La Machine me fait mal, elle me méprise !

    _ Elle vous reprend, vous humilie, pour que vous rejoignez le groupe ! la sagesse du plus grand nombre !

    _ La Machine est pleine d’orgueil… et d’égoïsme, c’est la vérité !

    _ La vérité ? Et vous êtes seul à la voir ! Elle échappe au reste de la famille, à la société même ! Mais pour qui vous vous prenez, Paschic ?

    _ J’ sais pas ! Je me défends…, c’est tout ! Vous savez pourquoi la Machine m’écrase ?

    _ Non, Paschic, mais continuez à regarder l’écran !

    _ Parce que je suis le plus faible ! Elle a besoin des autres ! des gagnants !

    _ Et vous ne voulez pas en faire partie, Paschic ? Vous ne voulez pas être plus fort et que la Machine vous respecte ?

    _ C’est la vérité, la force !

    _ Vous êtes narcissique, Paschic ! Vous vous croyez le centre du monde ! Rejoignez la sagesse du plus grand nombre ! Adaptez-vous, avant qu’il ne soit trop tard !

    _ La Machine écrase, blesse, méprise, broie ! C’est la vérité ! La Machine est tyrannique !

    _ La Machine est intégrée, mère de famille, et paie vos études !

    _ La Machine est malade, enfermée dans son orgueil ! Elle n’est pas lucide !

    _ Continuez à vous concentrer, Paschic ! Le mal est en vous ! Le vice vous ronge ! Vous êtes un menteur, un fabulateur, un manipulateur ! Quelqu’un de mauvais, Paschic ! C’est cela la vérité !

    _ La Machine est égoïste… Je voudrais dormir…

    _ Plus tard, Paschic ! Quand vous aurez reconnu vos torts à l’égard de la Machine !

    _ C’est elle qui blesse…, qui tue !

    _ Vous êtes le seul à voir ça ! Pour les autres, vous êtes un ingrat ! d’un égoïsme délirant !

    _ La Machine… est dans une tour… Elle tue... ceux qui s’en échappent !

    _ Bla, bla ! Vous n’évoluez pas ! La Machine est une bonne mère, c’est la société qui le dit !

    _ Dormir…

    _ Vous ne dormez pas dans votre cellule ?

    _ Non..., cauchemars ! Peur ! So… solitude… Froid !

    _ Et vous continuez à accuser la Machine ? Vous êtes malheureux et vous ne changez pas ?

    _ Défends la vérité ! Amoureux d’elle ! Peur ! Dormir ! »

                                                                                                 122

    Paschic s’éveille dans un lit d’hôpital et il se demande ce qu’il fait là, car il ne se souvient de rien ! A cet instant, un médecin, vêtu d’une blouse blanche, entre et dit : « Ah ! Je vois que vous êtes réveillé ! Ça va mieux ?

    _ Eh bien, sans doute, mais je ne sais pas du tout pourquoi je suis ici !

    _ Vous n’avez aucun souvenir de ce qui s’est passé ?

    _ Aucun !

    _ Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on vous a trouvé inconscient sur le bas-côté de la route ! L’hypothèse vraisemblable, c’est que vous avez été victime d’un chauffard !

    _ J’ai des séquelles ?

    _ Rien de très sérieux… Mais vous avez reçu un choc ! »

    Paschic regarde par la fenêtre, grimace et demande : « Et nous sommes dans quel hôpital, ici ?

    _ Celui de Saint-Quentin !

    _ Saint-Quentin ? Je ne connais pas !

    _ C’est pourtant l’hôpital le plus important de la ville !

    _ Alors dans quelle ville sommes-nous ?

    _ Mais vous êtes dans la ville de la Machine !

    _ La Machine ?

    _ Mais oui… et sur vos papiers il est indiqué que vous habitez cette ville !

    _ Je… je ne me souviens de rien… lâche Paschic, maintenant en proie à une vive angoisse !

    _ Écoutez, il est possible que vous souffriez d’une amnésie temporaire, dû au choc ! Mais votre mémoire va revenir et les choses rentreront dans l’ordre ! Maintenant, excusez-moi, j’ai d’autres malades à voir…

    _ Bien sûr… Mais, oh ! docteur, quand pourrais-je quitter l’hôpital ?

    _ Eh bien, si vous vous sentez assez bien, cette après-midi même ! »

    Pashcic retrouve donc la rue quelques heures plus tard, mais il ne peut se débarrasser d’un sentiment étrange ! Il a l’impression que les gens le regardent, le surveillent même et en tout cas, ils ont une drôle d’attitude, comme s’ils étaient plus lents, retenus, avec un comportement emprunté, quelque peu artificiel, ainsi que tout le monde aurait joué un rôle !

    Paschic, malgré sa gêne, se raisonne ! Il doit encore être trop sensible ! Le choc qu’il a subi a dû le fragiliser, le traumatiser ! Il suffit de se remettre dans le bain et ça ira mieux et d’abord Paschic aurait intérêt à rentrer chez lui : il s’y changera et retrouvera sûrement toutes ses marques !

    Paschic hèle un taxi et donne l’adresse indiquée sur sa carte d’identité ! Le taxi passe par le centre, mais Paschic n’y reconnaît aucun monument et son angoisse ne le quitte pas ! Il paye le taxi et entre dans l’immeuble qui est censé être le sien ! Bêtement, il frappe à sa propre porte, puis, se rendant compte de sa méprise, il se saisit des clés qui gonflent sa poche ! La porte s’ouvre et Paschic découvre un logement qui lui semble inconnu ! Nul objet ici ne lui rappelle quelque chose et en tout cas, l’appartement est bien trop propre : s’il l’habitait, on y trouverait au moins beaucoup de livres (ça, Paschic ne l’a pas oublié !) et on y verrait quelques chatons de poussière !

    Le malaise de Paschic ne diminue pas et ne pouvant rester enfermé, il ressort pour se jeter quasiment dans un tram ! Il s’agit pour Paschic de réfléchir et aussi d’atteindre les limites de la ville ! C’est comme ça, c’est plus fort que lui : il faut qu’il voie le panneau de la Machine, sans doute pour mieux la contrôler ! Il va donc jusqu’au bout de la ligne qu’il a prise… et il descend au terminus…

    Le voilà au bord de champs de maïs et Paschic espère qu’il laisse derrière lui un peu de son cauchemar, tant l’agitation du trafic l’empêche elle-même de se faire une idée nette ! A quelques mètres devant se trouve le panneau qu’il recherche et il marche vers lui ! Il s’arrête bientôt et lit : La Machine » ! Ainsi le médecin avait raison, mais pourquoi aurait-il eu tort ? Mais Paschic ne reconnaît rien, rien !

    Il est au bord de la panique, quand la sirène d’une voiture de police retentit brièvement ! Le véhicule se place de sorte qu’il bloque Paschic et un policier en sort, qui s’approche et dit : « Monsieur, nous n’aimons pas beaucoup que les gens quittent la ville…

    _ Comment ? Je ne suis pas libre ?

    _ Bien sûr que si, mais c’est pour votre propre sécurité ! Plus loin, le gouvernement fait un certain nombre d’expériences et on nous a clairement dit qu’elles pourraient être dangereuses et qu’il valait mieux que la population reste dans les limites de la ville !

    _ Je l’ignorais…

    _ J’en suis sûr ! Tenez, je vais vous raccompagner chez vous !

    _ Non, non, je voudrais… marcher…

    _ Soyez raisonnable et profitez plutôt de mon véhicule, pendant que je suis encore bien disposé ! Ah ! Ah ! »

    Paschic monte dans la voiture et ne dit rien… Il sent qu’il émane du policier une forte tension et pourquoi a-t-il lui-même le sentiment d’être prisonnier ?

                                                                                                          123

    Le lendemain, Paschic visite la ville, mais ses questions demeurent : qui est-il vraiment, quel est son passé, qu’est-ce que la Machine, que veut-elle ? Paschic lit sur un bâtiment : « Musée de la Machine » et il se décide à y entrer ! L’intérieur est imposant et froid et Paschic achète un billet auprès d’une femme qui a l’air de s’ennuyer ferme… Puis, la visite commence par des couloirs très sombres, circulaires et qui montent, comme si on progressait dans un phare géant !

    L’exposition raconte la vie de la Machine : on la voit d’abord bébé sur des photos en noir et blanc ! Ses parents étaient de pauvres goémoniers, qui brûlaient le varech sur la côte, pour faire de la soude ! La Machine ne paraissait pas incommodée par les fumées, mais il était important de montrer de quel modeste milieu elle s’était élevée, rien qu’à la force de son caractère !

    Une scène dans une niche la représente bientôt sauver des plaisanciers, pris dans la tempête ! N’écoutant que son courage, la Machine vient les chercher avec sa barque, ce qui lui vaudra une médaille et une bourse de la part du gouvernement ! Elle pourra ainsi faire des études et devenir la chef d’un empire !

    Les panneaux, les films, les articles à la gloire de la Machine se succèdent et donnent le tournis ! Ici, la Machine est reine de beauté ! Là, elle salue les grands de ce monde ! Là-bas, elle a quatorze enfants ! Ses usines fument, son mari, Tautonus, pose sur une peau de tigre ! Paschic a l’impression d’être saoul, d’autant que l’ambiance est feutrée à l’extrême, comme si on y allait manquer d’oxygène !

    Paschic veut faire demi-tour, mais il se dit qu’il ne doit pas être loin de la sortie et il préfère continuer, plutôt que de revenir sur ses pas ! Il pénètre alors dans une salle brillante, qui contient au centre un cerveau dans un liquide bleu !

    « Le cerveau de la Machine ! explique un gardien dans le dos de Paschic, qui ne l’a pas entendu venir ! Enfin, c’est une réplique, vous vous en doutez bien ! Mais c’est exactement le sien !

    _ Dites, il n’y a pas de fenêtres par ici, car je voudrais respirer un peu !

    _ Bien sûr que si ! Vous êtes au sommet du musée et du balcon vous verrez toute la ville ! »

    Paschic repère effectivement un passage et débouche dehors, mais le panorama est invisible, caché par une épaisse couche de nuages ! Cela est encore déstabilisant et augmente le sentiment d’irréalité qui ronge Paschic ! De nouveau l’angoisse l’étreint et il n’a plus qu’un seul souhait : quitter les lieux !

    Il prend un ascenseur, qui s’arrête un étage plus bas, pour que deux hommes, à la carrure imposante et vêtus de la même manière, s’y engouffrent ! Le silence est pesant, puis l’ascenseur arrivant à destination, Paschic s’élance quand il est retenu par un des hommes ! « Un instant, dit celui-ci, simple contrôle d’identité !

    _ Quoi ?

    _ Montrez-moi votre pièce d’identité, s’il vous plaît... »

    Paschic, de plus en plus nerveux, tend sa carte… « Vous faites quoi dans la vie, monsieur… monsieur Paschic ? » Aïe, c’est la tuile ! Comment Paschic pourrait répondre à cette question ? Il ne se souvient même pas de son passé ! Il est désemparé devant les deux hommes… « Nous allons devoir faire un rapport, reprend l’homme, car, reconnaissez-le, la situation est étrange ! Vous ne savez ce que vous faites et la Machine veut savoir qui est qui et qui fait quoi à tout moment !

    _ Elle est bien bonne celle-là ! Et depuis quand devrais-je rendre des comptes à la Machine ! Ne suis-je pas un être libre, avec une personnalité propre ?

    _ Eh bien, déjà, coupe l’autre homme, on ne parle pas ainsi de la Machine ! On lui doit beaucoup de respect, car c’est elle qui est à l’origine de tout ici ! C’est elle qui vous nourrit, qui vous habille et que sais-je encore ?

    _ Si nous nous interrogeons sur votre identité, reprend le premier homme, c’est aussi pour votre sécurité, ou votre bonheur ! Nous n’aimerions pas que vous soyez malheureux, que vous échouiez !

    _ Mais échouer à quoi ?

    _ Mais dans la vie ! Il vous faut un travail intéressant… Vous ne voulez pas faire l’aumône, n’est-ce pas ?

    _ Donc, vous commencez par m’oppresser, pour faire mon bonheur, c’est ça ?

    _ Il faut corriger vos affreux défauts, monsieur Paschic ! Nous sommes là pour vous enlever toute velléité de paresse !

    _ Voyez-nous comme vos bienfaiteurs ! »

                                                                                                        124

    Paschic est sommé de se rendre à une visite médicale et le lendemain, il se présente dans un centre aux couloirs tout blancs et au personnel exclusivement féminin ! D’ailleurs, on le regarde avec un sourire en coin, gourmand, car il n’est pas laid et on va pouvoir se rincer l’œil, en l’examinant !

    Cependant, une femme, la quarantaine apparemment épanouie, lui dit : « Je suis le docteur Cool, suivez-moi, s’il vous plaît ! » Le docteur Cool a des formes attirantes et Paschic doit faire un effort pour s’en détacher, ce qui lui permet tout de même de voir qu’on pénètre dans une sorte de laboratoire… Une petite sonnerie d’alerte se déclenche dans son cerveau : qu’est-il venu faire ici exactement ?

    Deux autres femmes entourent maintenant le docteur Cool, comme si Paschic pouvait poser problème et il est invité à remonter sa manche… « Nous allons vous faire une injection, dit le docteur, car tous les habitants de cette ville l’ont reçue ! Elle est obligatoire !

    _ Et de quoi est-elle constituée ?

    _ D’un vaccin qui nous protège tous de certaines maladies ! Il est absolument sans danger... »

    Paschic se laisse faire et bientôt une torpeur, teintée d’euphorie s’empare de lui ! Il remarque de plus en la finesse du bras du docteur Cool ! En fait, il en est fasciné : il y a comme une autorité éternelle diffusée par cet avant-bras !

    « Vous aimez cette partie fuselée, n’est-ce pas ? fait la voix sensuelle du docteur.

    _ Oui… oui, répond fiévreusement Paschic.

    _ Mon autorité est renforcée par le bracelet et vous ne voyez pas bien ma peau, mais elle est comme du sable blanc, pailleté d’or ! Vous m’aimez, n’est-ce pas ?

    _ Oui, je vous aime… Je voudrais embrasser votre bras !

    _ Je sais, mais à présent je vais vous montrer ma jambe ! »

    Le docteur se courbe en avant, ainsi qu’elle voudrait lacer sa chaussure et une jambe racée donne comme un coup de fouet à Paschic ! « Je suis ton maître, n’est-ce pas Paschic ? reprend le docteur.

    _ Oui, oui, répond Paschic, brûlant de désir.

    _ Car tu voudrais embrasser ma cheville ! Et tu sais que j’ai bien d’autres trésors pour toi !

    _ Oui, oui…

    _ Et tu es prêt à faire ce que je dis, n’est-ce pas ?

    _ Oui, oui..

    _ Tu veux un sucre ? Je vais le mettre dans ta bouche !

    _ Oui, oui…

    _ Tu es si gentil, Paschic, que je vais te dire ce qu’on fait ici ! On vient de t’injecter un pur concentré de domination féminine ! Hi ! Hi !

    _ Je… je ne comprends pas…

    _ Depuis longtemps, nous nous demandons de quelle manière la femme attire l’homme ! Nous savons qu’elle concentre cette attention sur une partie de son corps, qu’elle maîtrise parfaitement, pour l’aimer particulièrement ! C’est donc un déplacement psychique, tu me suis toujours, Paschic ?

    _ Oui.. oui…

    _ Nous avons analysé ce contrôle psychique et nous en avons tiré ce mélange d’hormones… En fait, l’arme de la femme étant sa séduction, nous avons voulu développer cette arme ! afin que nous, les femmes, nous ayons enfin le pouvoir ! Tu ne m’en veux pas, Paschic ?

    _ Non.. non…

    _ Tu ne m’en veux pas, car je peux te donner du plaisir ! Pas vrai ?

    _ Oui… oui…

    _ Je suis ta maîtresse, Paschic ! fais ouah ! ouah ! »

    Mais à cet instant Paschic a comme un coup de fatigue… Ses yeux papillotent et il est attaqué par un affreux mal de tête ! « Dans le fond, dit-il au docteur, tu n’es qu’une garce ! une sale grue ! la petite égoïste à son papa !

    _ Quoi ? Mais qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Non mais regarde-toi ! Tu me dégoûtes ! »

    Le docteur s’empare du flacon, qui a servi à l’injection, et s’écrie : « Mais… mais il est périmé ! Qui m’a remis un flacon périmé ? (Elle regarde ses aides.) Comment avez-vous pu commettre une telle erreur ? Vous avez oublié qu’une dose trop vieille entraîne une réaction négative ? Vous ne savez pas que la femme qui ne peut plus séduire méprise ! C’est une loi et vous êtes des incapables ! »

                                                                                                             125

    Après cet incident, Paschic peut repartir chez lui, mais dans la rue le suit une voiture noire, qui vient à sa hauteur et par la vitre baissée, un homme l’interpelle : « Monsieur Paschic, veuillez monter à côté de moi, je vous prie ! » Paschic examine le passager arrière et se demande quelle décision prendre, quand deux hommes surgissent des sièges avant, avec un air menaçant !

    Paschic réplique donc : « Je ne crois pas avoir le choix ! » et il fait le tour de la voiture, pour s’asseoir auprès de l’inconnu ! « Monsieur Paschic, reprend celui-ci et comme la voiture redémarre, j’ai besoin de vous ! Mais laissez-moi faire les présentations… Je suis le Baron et voici mes hommes : Rico et Tony ! Monsieur Paschic, j’ai un métier un peu particulier… Hum ! Disons que je suis un voleur distingué ! Je ne m’occupe que d’affaires importantes, comme celle qui me préoccupe en ce moment… Vous ne me demandez pas quelle est-elle ?

    _ Disons que j’ai d’autres soucis en ce moment !

    _ Bien sûr ! Chacun va cahin-caha sur le chemin de la vie ! Mais, comme j’ai besoin de vous, je ne peux pas vous laisser dans l’ignorance ! Monsieur Paschic, j’ai décidé de faire le coup du siècle : ce soir je vide le coffre de la Machine ! Vous ne dites rien ? Votre réaction est surprenante ! Je m’attendais à ce que vous vous écriiez : « Seigneur, le coffre de la Machine ? Mais c’est pure folie ! Le paradis lui-même est moins gardé ! Etc. ! »

    _ C’est que, en ce moment, j’ai des problèmes d’amnésie… Vous savez ce que c’est : on prend un coup sur le crâne et on se dit que c’est immérité, d’autant qu’on s’appelle… Mais comment on s’appelle déjà ?

    _ Ah ! Ah ! Bien essayé, monsieur Paschic, mais le truc de l’amnésie est assez usé, vous ne trouvez pas ? En tout cas, j’ai appris la relation particulière qui vous lie à la Machine et c’est comme ça que vous pouvez m’être utile…

    _ Mon amnésie n’est pas feinte ! Je découvre cette ville, qui est pour moi inconnue ! Ce que je sais par contre, c’est que mes talents de cambrioleur sont nuls ! J’ai honte dès que je mens !

    _ Et c’est tout à votre honneur ! J’aime qu’on puisse faire confiance ! Mais, en ce qui concerne la partie technique, Tony et Rico sont parfaits ! Non, je crains un piège de la Machine…, un mot de passe en fait qui échapperait à tout analyse et qui me fermerait à jamais les portes de l’Empyrée !

    _ Vous ne me comprenez pas ! Je suis dans le brouillard ! Je fais fonctionner la corne de brume, avec un front en sueur ! Et vous me parlez de mot de passe ! Désolé, mais je vous renvoie aux cuisines ! Un vol dans la réserve, on verra ça plus tard !

    _ Vous êtes insolent, monsieur Paschic ! Rico et Tony vont s’occuper de vous !

    _ Ça va, ça va ! Rien ne vaut une petite devinette, pour retrouver la mémoire ! »

    Le soir venu, Paschic est habillé de noir, dans une combinaison moulante et on rejoint des canalisations, qui obligent de ramper ! On transpire beaucoup et c’est bien là l’un des symboles du travail ! Enfin, on arrive devant la porte du coffre et elle est colossale ! Son acier paraît indestructible, mais qu’à cela ne tienne, nos cambrioleurs l’attaque avec des mèches spéciales, qui creusent en faisant fondre !

    Après un temps qui semble un siècle, Tony s’écrie : « Ça y est ! Y a plus qu’à la tirer ! » et effectivement la porte s’ouvre sous les efforts ! « La Vache ! fait Rico. Le Baron avait raison ! On est devant un dernier obstacle !

    _ Rideau laser ! J’ dirais ! rajoute Tony. Et il ne disparaîtra qu’avec un mot de passe ! »

    A côté, sur un écran défile la phrase suivante : « Tout vient de la Machine... » En dessous, un clavier indique qu’il faut sans doute la compléter ! « A toi de jouer, la matière grise ! dit Rico à Paschic.

    _ Je vous ai dit que je suis amnésique ! Alors votre problème !

    _ C’est aussi le tien ! réplique Tony. Il nous reste quinze minutes avant la première ronde !

    _ Je crois qu’il faut le stimuler ! enchaîne Rico, qui applique son pistolet contre la tempe de Paschic !

    _ Bien, bien ! Je vais me concentrer ! »

    Paschic se répète mentalement la phrase de l’écran : « Tout vient de la Machine… «  et soudain il a une réminiscence violente ! Il voit quelqu’un qui cherche à le détruire ! Serait-ce la Machine ? Si c’était le cas, quel serait alors le lien qui les unit ? Le souvenir est de plus en plus pénible ! Paschic en éprouve une souffrance et une angoisse grandissantes ! « Alors, ça vient ? s’emporte Rico.

    _ Hein ? Oui… peut-être... »

    Paschic se dit qu’il a subi de tels dommages que la phrase doit être celle-ci et il la frappe : « Tout vient de la Machine… et retourne en elle ! » « Elle doit se prendre pour Dieu… », explique Paschic, mais ses compagnons n’écoutent pas : le rideau laser vient de s’éteindre ! Rico et Tony se précipitent, le sac ouvert, quand ils doivent brusquement déchanter, car le coffre est vide ! Sur une étagère, il n’y a que deux dossiers, nommés Haine et Mépris !

    « Qu’est-ce que ça veut dire ? » demande Tony, mais seul le déclenchement d’une alarme lui répond ! C’est le sauve-qui-peut !

  • Paschic (ou Rank) 116-120

    R28

     

     

                          ""J'ai faim!" dit Big Jim."

                                             La Ruée vers l'or

     

     

                                               116

    Une fois n’est pas coutume, la Machine, Bona, Lapsie et… Paschic sont au restaurant ! Les trois filles boivent beaucoup, quand Paschic s’ennuie déjà… « Attention ! Ta, ta, ta ! s’écrie Bona. Hier, saut en parachute !

    _ Ouh ! C’est pas vrai ! fait Lapsie.

    _ Si ! J’ai osé !

    _ Ouh ! Santé !

    _ Santé !

    _ Alors, comment c’est ? demande la Machine.

    _ Eh bien, la porte de l’avion s’ouvre… Tu vois des maisons et des champs… et faut y aller ! Go ! Go !

    _ Waouh ! J’ pourrais pas ! coupe Lapsie.

    _ Mais t’as peur et pourtant, t’y vas et quelle sensation de liberté ! Tu sens brûler ton ventre !

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est d’abord la chute ! A toute vitesse ! Il n’y a plus que le vent et tu vois le sol se rapprocher ! Ça va très vite ! Trop vite même !

    _ La vache !

    _ Et hop, le parachute s’ouvre ! T’es tirée en arrière, puis tu descends doucement ! Y a plus qu’à poser les pieds, en douceur !

    _ Ouh ! Ouh ! Elle l’a fait !

    _ Faut oser les filles ! Faut pas laisser passer sa chance ! La vie est trop courte !

    _ T’as raison ! approuve Lapsie. Moi aussi, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Ta, ta, ta ! Je divorce !

    _ Bon sang, Lap ! Enfin ! fait Bona ! J’ t’embrasse ! Comme je suis fière de toi !

    _ Tu peux ! Je me débarrasse de lui ! Je m’en rends pas encore compte ! Depuis combien d’ temps on était ensemble ? Cinq, six ans ?

    _ Waouh ! Elle a osé !

    _ Je me suis dit la même chose que toi ! On n’a qu’une vie et le bonheur est ici et maintenant !

    _ Santé !

    _ Santé ! J’avais peur, bien entendu, à cause des habitudes ! Mais je suis de nouveau libre ! J’ai eu le courage, waoouh !

    _ Et ton mari, comment il l’a pris ?

    _ Il était verdâtre !

    _ Ah ! Ah !

    _ Il m’a dit : « Mais voyons, Lap, je t’aime ! Tu n’a pas l’ droit d’ me faire ça ! » « Je n’ t’aime plus, Karl ! lui ai-je répondu. Où est la flamme entre nous ! Je veux vivre, Karl ! Tu comprends ? Vivre ! »

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est ce que je dis à mes patientes, reprend Lapsie. Osez ! Ayez de l’audace ! Rien de pire que d’avoir des regrets !

    _ Eh ! Oh ! Les filles ! intervient la Machine. Moi, j’ai quand même assuré ! J’ai veillé à ce que ma famille reste unie ! qu’on forme un clan ! Car y a rien d’ mieux ! C’est sacré ! Le bonheur de mes propres filles avant tout ! Et croyez-moi, ça c’est du boulot ! Combien d’ fois j’ai pas été face à l’ingratitude ? J’ai dû tout contrôler, même Tautonus ! Je suis passée par toutes les épreuves !

    _ Bien sûr, la Machine, respect !

    _ Respect !

    _ Et Paschic qui dit rien !

    _ Il boude !

    _ Il peut pas dire grand-chose, il a jamais rien d’ fait d’ sa vie !

    _ Pauvre Paschic ! C’est le méchant garçon à sa maman !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous voulez savoir ce qu’est le vrai courage, les filles ? coupe Paschic, la véritable audace ? Alors « ne vous souciez pas de ce que vous mangerez, ni comment vous vous vêtirez ! Car votre père qui est là-haut sait très bien de quoi vous avez besoin ! Mais rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! » Ça, c’est fort les filles ! Ça, c’est de l’amour, comme vous ne l’imaginez même pas ! Au fond, vous êtes des branleurs ! »

                                                                                                      117

    La Machine commande un galion… Elle se réveille dans sa cabine pleine de dorures et quitte ses draps de soie ! Elle se refait une beauté devant une psyché et s’habille, aidée par Bona ! « Alors comment est le temps ? demande la Machine.

    _ Beau, vraiment beau !

    _ Et l’équipage ?

    _ Bien tenu par Lapsie !

    _ Alors tout est parfait ! On va pouvoir chasser du pirate ! « Nettoyez la mer ! », m’a dit la reine ».

    Les deux femmes montent sur le pont, la Machine dans un grand uniforme ! Au-dessus se gonfle une cathédrale de voiles, que l’équipage, entièrement féminin, contrôle sous les ordres de Lapsie ! « Lieutenant Lapsie, fait la Machine, les femmes sont en forme ?

    _ Elle sont mieux que ça, madame l’amiral, elles sont enthousiastes ! Un hourra pour l’amiral, les filles ! demande en criant Lapsie.

    _ Hourra ! Hourra ! font les filles du haut des vergues.

    _ Longue-vue ! commande la Machine, qui commence à inspecter la mer.

    _ Voile à tribord ! hurle la hune.

    _ Je me demande ce que ça peut être… fait Bona.

    _ C’est un pirate ! un va-nu-pieds ! répond la Machine en souriant. On va n’en faire qu’une bouchée ! Barre à tribord ! Hissez le cacatois ! »

    Les ordres sont répétés et on gagne sur le pirate ! « Branle-bas de combat ! ordonne la Machine.

    _ Tout le monde aux pièces ! » crie Lapsie.

    Le galion présente bientôt ses soixante bouches à feux au pirate, qui n’est qu’un brick à l’air pacifique ! Les canons tonnent et toute la mâture du brick s’envole ! Le « pirate » est condamné à se rendre et leur commandant conduit devant la Machine, qui demande : « Qui est-tu ?

    _ Paschic ! répond l’homme et immédiatement un frisson parcourt le galion !

    _ Ainsi donc, nous venons de capturer le célèbre forban Paschic ! reprend la Machine.

    _ Je me vois plutôt comme un aventurier ! rectifie Paschic.

    _ Peu importe ! La reine sera heureuse de te voir pendu ! Mettez le prisonnier aux fers ! »

    La soirée se passe en réjouissances et la Machine se régale devant un somptueux dîner ! Cependant, Bona lui murmure à l’oreille : « Il y a là un homme de Paschic, disant qu’il a un formidable secret à vous révéler ! » La Machine, d’abord contrariée, suit Bona et s’adresse à l’homme, avec un mouchoir sur le nez : « J’espère que c’est important, sinon tu iras rejoindre les requins !

    _ Ça l’est, madame ! Paschic a un trésor fabuleux, sur une île non loin d’ici ! Il suffit de le faire parler !

    _ Bien, je te récompenserai, si c’est vrai ! Comment t’ appelles-tu ?

    _ Judas, madame ! »

    Le lendemain, on conduit Paschic dans la cabine de l’amiral. « Il paraît que tu as un trésor ? fait la Machine. Amène-nous à lui et je te laisserai la vie sauve !

    _ Je ne sais pas si vous en êtes digne ! »

    Bona frappe Paschic : « Insolent ! crie-t-elle. Ce n’est pas une façon de parler à la Machine !

    _ Pour ce que j’en disais..., répond Paschic qui se masse le cou.

    _ Conduis-nous au trésor ! » répète la machine, dont les yeux brillent de cupidité !

    On mouille devant l’île en question et une barque se détache du galion. A son bord se trouvent la Machine, Bona, Paschic et quelques gardes… On touche la plage, alors que des vagues remontent inlassablement vers les palmiers ! L’île semble déserte et on entre dans la jungle ! « J’ te préviens, Paschic, fait Bona, si tu t’es moqué de nous, tu n’ repartiras pas d’ici !

    _ Attendez que je m’ repère, répond Paschic d’une voix quasi malicieuse. Il y a ce rocher en forme de crâne là-bas… C’est à une cinquante de pas après, dans une clairière !

    _ Allons-y ! » ordonne brûlante la Machine.

    On se remet en route et bientôt Paschic s’arrête, en disant : « C’est là !

    _ Vite, vite, creusez ! » fait la Machine.

    Paschic est mis à contribution et les pelles enlèvent de la terre, sous un soleil ardent ! Enfin, l’une d’elles frappe quelque chose de dur et on extrait avec peine un coffre ! On l’ouvre, mais il est vide ! « Trahison ! s’écrie la Machine, qui pointe un mousquet sur Paschic. Fais ta prière, chien galeux !

    _ Mais je ne t’ai pas trompée, la Machine ! Regarde autour de toi ! Vois cette beauté, cette nature luxuriante ! Elle te donne tout ce dont tu as besoin ! C’est cela mon trésor ! Mais tu restes aveugle ! Ce que tu veux, c’est de l’or pour parader, jouir du pouvoir sur les hommes, mais à quoi bon ? Débarrasse-toi de ton ego et tu resteras ici en sécurité et en paix !

    _ Grrrr ! »

    La Machine tire, mais un cochon effrayé brusquement la bouscule ! Elle manque Paschic qui en profite pour s’enfuir ! « Courez-lui après ! hurle la machine ! J’ veux la peau d’ ce fumier ! »

                                                                                                    118

    Qui ne connaît pas Las Vegas ? ses temples du jeu, ses décors extravagants, son ambiance électrique ? Dans un appartement d’un hôtel luxueux se joue une sérieuse partie de poker ! Sur la table, les jetons représentent des milliers de dollars et on arrive à un instant décisif ! Les visages sont tendus et il y a là l’Angoisse, une femme froide et sèche, sans doute la meilleure joueuse de poker de tous les temps, mais on trouve encore Lapsie, la Machine et Paschic !

    C’est à Lapsie de parler… Elle regarde encore ses cartes, fait une grimace et dit « Je passe ! » Ce n’est pas une surprise pour les autres, car Lapsie n’a pas les reins assez solides, mais elle est encore « lessivée » ! Elle perd sa mise et n’a plus de fonds ! Elle a le destin des joueurs médiocres, qui confondent leur peur avec la prudence !

    La Machine fait : « Eh bien les enfants, je crois que cette fois-ci le pactole est pour moi : brelan de reine ! » La Machine tend les mains, pour prendre les jetons, mais l’Angoisse l’arrête, en disant : « Tss, tss, la Machine ! Tu rêves à pleins poumons ! Regarde : brelan de rois !

    _ Ce… ce n’est pas possible ! s’écrie la Machine.

    _ Mais si… Une autre fois peut-être, la Machine…

    _ Tu… tu as triché ! Espèce de salope !

    _ Tu me déçois, la Machine… Je pensais tes nerfs plus solides !

    _ Tu jouis, hein ? Tu m’as mise à plat et tu t’ régales ! Mais t’as triché ! T’entends, roulure ! »

    La Machine se lève brusquement et saute à la gorge de l’Angoisse, qui fait un signe en direction du personnel de l’hôtel ! Aussitôt deux malabars se saisissent de la Machine, qui crie encore : « Mais lâchez-moi, les eunuques ! Je veux juste étrangler cette tricheuse !

    _ Je crois , messieurs, que la Machine a besoin d’un peu d’air frais !

    _ Mais lâchez-moi ! Je reviendrai l’Angoisse et je t’écraserai ! Je t’ ferai vomir tes tripes ! Et à vous aussi, bande de tarés ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine ! »

    On entend une porte claquer, puis c’est de nouveau le silence : « Ouf ! dit l’Angoisse. Regrettable incident ! Il est dommage de jouer avec des amateurs ! Mais on plumerait qui, s’ils n’étaient pas là ? N’est-ce pas, Paschic ? J’aime ton calme, j’ t’ assure ! Tu sais perdre avec élégance !

    _ Qui t’a dit que j’avais perdu ?

    _ Mais... »

    A cet instant, Paschic montre son jeu et à la grande stupéfaction de l’Angoisse, quatre as apparaissent ! « Mais, mais ce n’est pas possible ! s’écrie l’Angoisse.

    _ C’est ce que vient de dire la Machine !

    _ Tu… tu as triché !

    _ Allons, l’Angoisse, tu sais bien qu’on ne peut pas tricher contre toi… C’est inutile !

    _ Je… je ne comprends pas… Tu as toujours perdu contre moi !

    _ C’est vrai, j’ai longtemps eu peur ! J’ai beaucoup couru, mais on évolue l’Angoisse ! On apprend à ne plus te craindre et on finit par gagner contre toi !

    _ Comment as-tu fait ?

    _ Je me nourris de ma paix… Comme d’habitude, tu as effrayé tout le monde, par tes mises vertigineuses ! Tu parais alors invincible et on perd le sens du jeu ! C’est inévitable ! Lapsie se grattait même partout ! La Machine est plus costaude, mais elle ne pouvait s’empêcher de grimacer… Pour ma part, j’ai appris que ton comportement est essentiellement du bluff ! Il suffit d’attendre, de laisser passer l’orage, en s’accrochant humblement, mais avec confiance !

    _ Tu m’impressionnes, Paschic !

    _ Mais j’espère bien ! C’est des années d’efforts, de recherches solitaires, quand les autres s’amusent et boivent !

    _ Donc, si je comprends bien, tu n’as jamais perdu de vue les cartes ?

    _ Non, malgré la peur que tu produis… Je te le dis, maintenant je ris même de toi !

    _ Très bien ! Mais… Euh… En ce moment, je suis un peu gênée… Tu pourrais me laisser une partie du butin… Je te rembourserai plus tard !

    _ Non l’Angoisse ! N’y vois pas de la dureté de ma part, mais gagner contre toi, c’est aussi s’aimer soi-même ! Il ne faut pas culpabiliser parce que toi, tu prends ton air triste ! Sinon on repart pour un tour de manège ! T’as mille astuces dans ton sac !

    _ Ah ! Ah ! J’aurais essayé !

    _ T’inquiète pas ! Tu vas t’ refaire en un tour de main ! »

                                                                                                     119

    « Aujourd’hui, Paschic, dit la Machine, je vais t’apprendre à diminuer ma charge mentale !

    _ Ah bon ?

    _ Oui, tu vas d’abord éplucher les patates, puis tu passeras la cireuse et tu nettoieras les carreaux ! Il faut que tout soit propre pour ce soir !

    _ Qu’est-ce qu’il y a ce soir ?

    _ Moi et Tautonus, nous recevons le préfet ! C’est bon pour la campagne de ton père et sa carrière ! Je te rappelle que c’est nous qui payons tes études !

    _ Bien sûr !

    _ Tu n’hésiteras pas sur l’huile de coude, hein, pour le ménage ! Et en revenant de l’école, tu passeras chez le boulanger et le poissonnier ! Ils sont au courant, c’est une commande ! Tu m’as bien compris ?

    _ Affirmatif !

    _ Cesse de faire le pitre ! Il faut que tu aides à la maison, sinon on n’y arrivera pas ! Je ne peux pas faire tout toute seule !

    _ Évidemment !

    _ J’ai vu ton professeur de maths et il m’a dit que tes résultats n’étaient pas très bons ! « Pourtant, il a le potentiel ! » a-t-il rajouté. Donc, c’est toi qui as la solution ! C’est à toi de travailler, est-ce que c’est clair ?

    _ Oui…

    _ Bon, mais on parlera de ça plus tard, car j’aurais encore besoin de toi avant le dîner, pour mettre le couvert ! Allez, au boulot ! »

    Paschic fait comme on lui a demandé : il s’empresse de préparer les patates, il balaie, il essuie, il cire, il frotte, il prend son cartable et file à l’école ! Il essaie de ne pas s’endormir pendant les cours, il rit dans la cour de récré, puis il pense au boulanger et au poissonnier !

    Il rejoint sa chambre et commence ses devoirs, en consultant sa montre, car il ne faut pas être en retard sur le programme ! Le couvert doit être mis à la minute près ! La Machine cependant est aux fourneaux et elle ne rigole pas : il ne s’agit pas de rater les plats !

    Enfin, les invités arrivent… On les débarrasse, on leur propose un apéro, on se veut parfaitement détendu ! Dans les coulisses, Paschic range les manteaux, se tient au garde-à-vous, dans le cas où il manquerait des glaçons ou une bouteille de jus, pour quelqu’un qui ne boit pas d’alcool ! Paschic n’a pas la tenue du serveur, mais il a le même rôle !

    On passe à table et les invités font part de leur admiration, pour la qualité du couvert et de l’entrée ! La Machine assure qu’elle a voulu faire simple, que ce n’est rien ! On se récrie ! On insiste sur la finesse du mets ! On loue les talents de cordon bleu de la cuisinière, on secoue devant elle l’encens et elle prend l’air modeste ! Elle s’enchante pourtant ! Elle semble avoir le nez dans la coke !

    A chaque plat, on n’en peut plus de se ravir et Tautonus s’épanouit : les premiers jalons de sa réussite sont posés ! Il est maintenant intime avec le préfet ! Il pourra compter sur son soutien ! Malheureusement, en passant, on cite le cas Paschic, qui ne travaille pas assez à l’école ! Le préfet se veut rassurant, pour un enfant qui n’est pas le sien ! Il dit : « Mais laissez-le donc ! La jeunesse d’aujourd’hui a besoin de temps ! Quand il aura choisi sa voie, eh bien, il ira à fond, j’en suis sûr !

    _ Tout de même, fait la Machine, je le soupçonne d’avoir une queue de vache dans la main !

    _ Certainement ! » renchérit Tautonus.

    On change de sujet ! « Il y a trois jours, vous ne savez pas qui j’ai rencontré ? demande le préfet. Baramut ! l’ancien ministre…

    _ C’est pas vrai !

    _ Si ! Si ! Alors, il m’a reconnu… Il m’a salué très digne…

    _ Après ce qu’il a dit sur… C’est un comble !

    _ Mais c’est un type très arrogant ! dit la Machine. Je le vois même snob !

    _ Il ne pense qu’à sa carrière ! approuve Tautonus.

    _ Bien sûr, il veut toujours aller plus haut !

    _ Encore un peu de dessert, monsieur le préfet ?

    _ Appelez-moi Jacques, je vous en supplie, sinon je vais encore me croire à la préfecture !

    _ Donc, je vous redonne un peu de crème brûlée ?

    _ Oui, elle est tellement bonne !

    _ Ah ! »

    Plus tard, les invités sont partis et il faut faire la vaisselle ! Paschic participe évidemment et il écoute : « Je crois qu’on a marqué des points ! dit la Machine.

    _ Oui, ton crabe était merveilleux ! Bon, je vais me coucher, j’ suis crevé !

    _ Bien sûr, chou ! Paschic, place bien le torchon à sécher ! Il s’agit pas de faire le boulot à moitié !

    _ Tu sais, je connais un moyen de diminuer ta charge mentale…

    _ Ah bon ? Ça ne m’étonne pas, monsieur je-sais-tout !

    _ Il suffit de diminuer tes ambitions !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Non mais pour qui tu t’ prends, espèce de morveux ! »

    Elle se met à frapper Paschic de toutes ses forces !

                                                                                                   120

    « Jeffrey ! crie le maire, dans son bureau qui domine la ville.

    _ Oui, monsieur, fait le premier adjoint en entrant.

    _ Vous entendez ? »

    Le premier adjoint tend l’oreille, puis dit : « Non monsieur, je n’entends rien !

    _ C’est bien ça, Jeffrey, on n’entend rien ! C’est le silence ! Et je n’aime pas ça, Jeffrey, oh non !

    _ C’est curieux en effet…

    _ Mais qu’est-ce que je vais devenir, moi, Jeffrey ? Le silence, il m’angoisse, c’est comme la mort ! Mais, bon sang, où sont les bruits de mes chantiers ? Il y en a partout et on devrait les entendre !

    _ Je n’ai pas eu vent d’une grève pourtant…

    _ Tout me semble si vide soudain ! C’est comme s’il neigeait ! Je me sens subitement inutile… J’ai l’impression d’étouffer !

    _ Vous pourriez rentrer chez vous, vous reposer un peu !

    _ Chez moi ? Et qu’est-ce que je ferais chez moi ?

    _ Vous occuper de votre femme, de vos enfants…

    _ Ma femme et moi, nous sommes de bons amis, Jeffrey… Nous avons chacun notre vie… et les enfants sont grands maintenant !

    _ Un verre alors ?

    _ Mauvais pour ma santé, Jeffrey ! Voilà que je transpire et que je dois m’essuyer ! Il me faut trouver une solution et vite !

    _ Hélas, la cérémonie de la Libération a été reportée à cette après-midi !

    _ Oh, mais je m’y ennuie de toute façon ! Non, ce qu’il me faut c’est du spectaculaire, du grandiose, du démesuré, Jeffrey ! Je veux voir ma ville grandir ! Rien n’est plus beau qu’un bâtiment qui sort de terre ! Du neuf, Jeffrey, je veux du neuf ! Voilà ce qui ragaillardit le sang !

    _ La modernité…

    _ Exactement ! Vous ne le savez peut-être pas, mais je suis issu d’un quartier plus que populaire ! Je peux même dire qu’il était pauvre, médiocre, miséreux ! Nous habitions dans une arrière-cour : pas de lumière et une odeur de chou qui ne quittait plus les narines !

    _ D’où votre engagement à gauche...

    _ Bien entendu ! Je me disais : « Plus jamais ces taudis, ces logements malsains ! » Le confort et la salubrité pour tous, Jeffrey !

    _ Et vous y êtes arrivé ! Vous voilà maire et promoteur de votre ville !

    _ Et on me critique pour ça ! On dit que je suis mégalomane, alors que c’est le bien du peuple, mon seul objectif ! Aaaargh !

    _ Vous n’allez pas bien !

    _ Le cœur ! Si je reste ici, je crains une attaque ! Ce qu’il me faut, ce sont mes chantiers ! le bruit des grues, des marteaux, des perceuses ! L’odeur du béton, je veux la renifler ! Je dois voir des types en jaune, avec un casque, qui crient ou qui étudient des plans ! Les rues bouchées, les façades qui s’élèvent vont me calmer !

    _ Je sors la voiture ?

    _ C’est ça ! Je vous retrouve en bas…, le temps de me rafraîchir un peu… »

    Une Lincoln noire quitte bientôt la mairie et Jeffrey, la conduisant, demande : « Où allons-nous, monsieur le maire ?

    _ Bon sang, j’ai dix mille chantiers ! On devrait en trouver un en activité rapidement, non ?

    _ Voyons… La nouvelle gare routière, le nouveau stade, la deuxième ligne de tram, les logements en face des Impôts… On n’a que l’embarras du choix !

    _ Stop, Jeffrey ! Stop !

    _ Qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Reculez ! Allez-y reculez ! Qu’est-ce que c’est que ça, Jeffrey ?

    _ Un… arbre…

    _ Un arbre, Jeffrey ! Et qu’est ce que j’ai demandé ? Qu’il n’y ait plus d’arbres dans ma ville, notamment à cause des étourneaux ! Étourneaux, que d’ailleurs j’entends ! Ah ! Ils se foutent de nous, Jeffrey ! Ils pavoisent, ils médisent, ils persiflent !

    _ Les gars auront oublié cet arbre…

    _ Où est la sulfateuse ?

    _ Dans le coffre ! Mais les gens…

    _ Ils verront que j’agis pour leur bien ! Et puis à cette heure-ci, y a pas grand monde ! »

    Le maire sort du véhicule et prend un fusil-mitrailleur dans le coffre : « Bien les étourneaux, crie-t-il, la plaisanterie est terminée ! Vous êtes dans ma ville et c’est moi qui commande ici ! »

    Le maire ouvre le feu, étête l’arbre, fait voltiger les branches et des dizaines d’oiseaux tombent sur le sol ! « Ah ! Ah ! jubile le maire. J’ suis dans l’action, Jeffrey ! Je n’ m’ennuie plus ! J’ suis heureux ! »

  • Rank (110-115)

    R27

     

                  "Dites-moi que je la reverrai là-haut!

                    Oui, mon fils, vous la reverrez!"

                                                           Le Facteur sonne toujours deux fois

     

                                                110

    « Alors qu’est-ce que tu veux faire dans la vie, Paschic ? » La question vient d’un conseiller d’orientation, en visite dans l’école de Paschic, qui boude et a les mains dans les poches ! « Ben, répond Paschic, je veux être un agriculteur pour écraser les gens avec mon tracteur ! Ah ! Ah !

    _ Mais enfin les agriculteurs n’écrasent pas les gens !

    _ Non, mais je veux montrer ma colère, comme eux ! Car moi aussi, j’ai beaucoup à dire ! Ou bien alors, j’ s’rais pêcheur ! Je brûlerais des bâtiments, pour me réchauffer l’hiver !

    _ Ah ! Ah ! Tout ça n’est pas très sérieux, Paschic !

    _ Non, non, attendez, je veux être un internaute débile, qui déverse sa haine toute la sainte journée ! La nuance, pas pour moi ! Ou alors j’dirais que le problème, c’est le gouvernement ! J’ me tournerais les pouces !

    _ Voyons, Paschic, nous sommes là pour choisir un travail, un métier !

    _ Ah bon ? Vous voyez quelqu’un travailler dans c’ pays ? Qu’est-ce qui est difficile ? Pointer ou calmer sa haine ? Se changer soi-même ou casser c’ qui nous dérange ?

    _ Ben…

    _ Vous voyez, personne ne bosse ici ! Pourquoi, moi, j’ devrais faire plus ? Laissez-moi haïr, monsieur le conseiller ! Laissez-moi être bête et égoïste ! Vous savez c’ qui m’ fait peur ?

    _ Non…

    _ C’est la solitude de l’intelligence, de la compréhension ! Bon sang, j’ comprends qu’ les autres se débinent ! Se retrouver tout seul, ça donne froid dans le dos ! Je veux être dégueulasse, faire partie du groupe ! Vous savez, s’il y a des opérations pour enlever l’ cerveau ?

    _ Ah ! Ah ! Vous exagérez, Paschic…

    _ Être sans sentiment, la planque ! On s’ respecte, on est aux p’tits soins pour soi, mais pourquoi ne pas traiter les autres de la même manière ? Nous sommes tous humains, pas vrai ?

    _ C’est vrai, Paschic !

    _ Mais allez par là est extrêmement dangereux !

    _ Ah bon ?

    _ Bien sûr, ça conduit à la croix ! Moi, c’ que je veux, c’est être au chaud, dans la porcherie, avec les autres ! « La porte ! » j’ crierais, si jamais on veut m’ déloger !

    _ Écoutez, Paschic, je ne vous suis pas très bien… Moi, mon rôle, c’est de vous trouver une formation qui vous plairait…

    _ Ben, j’ vous l’ai dit ! J’ veux être un voyou, un paresseux, comme tout l’ monde ! Pas question d’ me lever hors de la tranchée ! En c’ moment, j’ suis pour les femmes et les agriculteurs ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ suis du côté du plus fort ! Pas fou le Paschic, il regarde d’où vient l’ vent !

    _ Bon sang, Paschic, vous avez des possibilités ! Il y a bien une profession qui vous permettrait de vous développer et de devenir utile dans la société !

    _ Et mon courage, mon amour, mon dévouement, qu’est-ce que j’en fais ? C’est bien ça qui gêne, non ? Écoutez tant que ça, c’est avec moi, je demeurerais suspect ! Maintenant, si vous me dites qu’il y a une consigne pour l’intelligence, j’y cours, j’y vole ! A moi alors le groupe, l’intégration ! A moi la place dans la meute ! A moi les toasts à la haine ! Enfin au chaud ! les pieds allongés sous la table ! Qu’est-ce que je peux rêver de mieux ?

    _ Vous me désorientez, Paschic…

    _ Vous m’en voyez désolé, monsieur le conseiller ! Pourtant, ma demande est simple ! Aidez-moi à m’intégrer, débarrassez-moi de ma compréhension, de ma compassion ! Rendez-moi mon égoïsme, mon aveuglement ! Si vous y parvenez, je signerai ce que vous voulez !

    _ Euh…

    _ Il n’y a pas une formation qui enlève tout jugement, tout esprit d’aventure ?

    _ Il y a bien les partis politiques et notamment les extrêmes…, mais ce ne sont pas a priori des formations !

    _ Aïe ! En fait, vous et moi, monsieur le conseiller, nous sommes un peu comme au temps du Rideau de fer, quand un Allemand de l’Est voulait passer à l’Ouest ! Et c’est vous le passeur et moi, le transfuge ! Fournissez-moi de faux papiers, construisez-moi une nouvelle identité ! « Paschic : gueulard, haineux, sans discernement ! » Voyez, je passerais inaperçu ! Les autres vont me voir comme l’un des leurs ! Le paresseux type !

    _ J’ vais voir c’ que je peux faire ! Mais j’ vous préviens, ce sera cher !

    _ Qui veut la fin... »

                                                                                                     111

    Paschic est dans la rue et mendie… « A vot’ bon cœur, mesdames messieurs ! Donnez ce que vous pouvez ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Un p’tit mépris, monsieur ? Merci ! Du dédain, madame ? Merci ! N’hésitez pas à me haïr ! C’est votre monnaie !

    _ Désolé, mais j’essaie de comprendre, d’aimer ! Je n’ai rien pour vous !

    _ Pour la prochaine fois alors ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Merci madame ! Merci monsieur ! Non, je n’accepte tout de même pas les coups de pieds ! Juste le mépris ! La violence est hors la loi ! Respectez les clous ! Merci madame, votre haine m’accompagne ! Merci monsieur, votre haussement d’épaules fera ma journée ! Ayez pitié du pauvre Paschic !

    _ Comme on se retrouve, minable !

    _ Lapsie ! Toujours un plaisir de te revoir !

    _ Tu n’as pas honte, Paschic, de mendier ! d’avoir l’air d’un gueux ! Pouah, tu pues, Pashcic !

    _ Ta haine remplit mon escarcelle, Lapsie ! C’est Noël pour moi !

    _ Mais enfin, quand deviendras-tu un homme, un battant ?

    _ J’ai choisi la voie de la sagesse, de la vie intérieure !

    _ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Dis plutôt que t’as peur, que tu n’ sais pas t’imposer !

    _ La haine nous aveugle…

    _ Tu sais ce que j’aime, Paschic, c’est la force ! J’aime quand j’ gagne et quand j’entends les os de mes adversaires craquer ! Alors je suis fière d’être debout ! Tandis que toi, tu as tout de la larve ! Assisté, va !

    A cet instant, Paschic se lève et touche la joue de Lapsie ! Puis, il la prend doucement dans ses bras… Lapsie a d’abord de la répulsion, puis elle s’abandonne et se met à pleurer ! Paschic vient de lui enlever la « barre de fer » qui la faisait souffrir ! Elle est émue… et elle regarde Paschic étrangement ! « Mais…, mais d’où te vient ce pouvoir, Paschic ? s’écrie-t-elle.

    _ Je suis le maître de ma haine, et c’est pourquoi je suis fort ! Je viens de te transmettre un peu de ma paix…

    _ J’ai soudain retrouvé l’espoir… Est-ce possible ?

    _ L’effet ne durera pas…, car il est le résultat d’une longue pratique… C’est un engagement de tous les jours et qui est pourtant possible pour tous… Mais…

    _ Tu as raison, ma haine revient ! Je te vois de nouveau misérable, Paschic, et cela me fait peur ! Tu es anonyme parmi les anonymes !

    _ Et pourtant je rayonne, n’est-il pas vrai ? Mais tu préfères rejoindre le troupeau, crier avec les loups ! Tu préfères ton malheur à ma paix !

    _ J’aime le pouvoir !

    _ Il n’est que du vent ! Les mille démons qui t’effraient, je les fais danser comme je veux ! Je suis le rocher et tu n’es que tourments !

    _ J’ai bien senti ta force étrange, mais je ne suis pas prête… Je dois…

    _ Ton fardeau, c’est ta soif de réussir, de vaincre !

    _ Mais enfin quel est ton secret ?

    _ Je suis le pauvre Paschic, celui qu’on hait et méprise…

    _ Je ne comprends pas…

    _ Tu veux la justice et moi, je te dis : « Fais mille pas avec ton ennemi ! » Tu te souviens ?

    _ Je ne crois pas…

    _ Ma paix est bien réelle cependant…

    _ Il faut qu’ j’y aille !

    _ Bien sûr ! Un peu de haine, un peu de mépris, pour le pauvre Paschic ! Donnez ce que vous pouvez ! Merci madame, merci monsieur !

    _ Au revoir, Paschic !

    _ Au revoir, Lapsie ! Va porter la bonne nouvelle !

    _ Je dirai à la Machine que je t’ai vu !

    _ Dis lui qu’il n’est jamais trop tard pour avoir la paix ! Elle aussi souffre comme toi !

    _ Et si tu te trompais, Paschic ? Regarde, tu n’es rien !

    _ Je te le répète, je fais danser tes monstres ! Je suis la lumière et la paix !

    _ Et la vérité ?

    _ Comment être fort avec le mensonge ? C’est pour cela que je suis le pauvre Paschic ! »

                                                                                                   112

    Au QG du Troisième Reich féminin, c’est l’ébullition ! On attend la visite de la Machine ! Le Führer de ces dames ! Lapsie et Bona, dans leur uniforme noir impeccable, marqué par le sigle FF, pressent leurs subalternes ! « Schnell ! Schnell ! » crient-elles et les bottes astiquées vont et viennent ! Depuis longtemps, les hommes ont été dressés, domestiqués, déstructurés ! Ils ne servent plus qu’à donner leur semence et encore ! A force d’être harcelés, écrasés, broyés, ils ne peuvent plus entrer en érection, ce qui provoque le mépris des femmes !

    Cependant, certains résistent, tel Paschic, qui a rejoint le maquis ! « Heil la Machine ! » font Bona et Lapsie, quand apparaît leur chef, qui les salue négligemment ! La Machine a les traits tirés et semble vieillie ! Elle ne dort plus et on finit par se demander où est son génie de naguère ! En effet au début de la guerre féminine, elle multipliait les coups d’éclat, avait des intuitions merveilleuses ! Les lignes masculines étaient enfoncées ! L’homme courait en déroute ! Les prisonniers se rendaient par milliers !

    Mais, maintenant, on perd des batailles, on ne progresse plus aussi vite qu’avant, on a du mal à tout contrôler ! N’a-t-on pas vu trop gros ? Est-ce une folie que de vouloir éradiquer l’homme ? Le nouvel ordre féminin ne peut-il pas s’imposer ?

    La photo de Paschic est bien en vue sur le mur, car il fait partie des derniers hommes dangereux… En dessous du cliché, les récits glaçants se succèdent ! Ici, il aurait tiré la langue à une fermière ! Là, il aurait refusé d’embrasser une FF, ce qui constitue une injure ! L’esclave doit obéir au maître ! Là-bas, il aurait craché sur un portrait de la Machine !

    La Gestapo le traque sans relâche ! On parle du Monstre des Vosges et on fouille chaque tas de foin ! On interroge, intimide, torture ! On examine chaque piste et la prise de cet ennemi du féminisme ne serait plus qu’une question d’heures ! Mais la Machine n’est pas convaincue et sa colère légendaire éclate : « Je me fous de ce que les Américains puissent aider Paschic ! Je le veux à un croc de boucher ! On ne défie pas la Machine ! Et la solution finale pour les hommes, on en est où ?

    _ On a ouvert un nouveau camp… Les trains ont été multipliés par quatre !

    _ Ce n’est pas suffisant ! Le Grande femme doit régner sur le monde ! Tous les hommes sont là pour la servir !

    _ Ya ! Ya ! Meine Machine !

    _ L’émasculation de masse ! La gloire lesbienne ! Rappelez-vous votre serment : le vagin ou la mort !

    _ Heil meine Machine ! »

    Un messager claque des talons et donne un billet à Lapsie, qui dit : « Les troupes de Paschic se dirigent vers le sud ! Nous les tenons ! » Chacune s’approche d’une carte : « Ils vont tomber sur la troisième division des panzers de von Paula ! exulte Lapsie. Ils seront broyés !

    _ Prévenez von Paula qu’il n’y aura pas d’ quartiers ! renchérit la Machine. Ce chien de Paschic ne doit pas nous échapper !

    _ Et si les Américains… coupe Bona.

    _ Je me fous des Américains ! s’emporte la Machine, qui d’un coup fait sauter toutes les positions de la carte. Je veux la peau du mâle en parchemins ! Nos ennemis sont partout et ils essaient de nous manipuler, de nous diviser !

    _ Heil ma Machine !

    _ Vous savez, ce n’est pas moi qui ai commencé ! Ce sont les hommes qui m’ont déclaré la guerre ! Moi, je ne rêvais que d’une chose, rester tranquille ! Quand tout cela sera fini, je retournerai à ma peinture ! Car j’ai encore une âme d’artiste, figurez-vous ! Je suis pour la paix, mais ce sera impossible tant que l’homme n’aura pas payé le prix ! 

    _ Et les femmes intelligentes, réfractaires ?

    _ Quel sort réserve-t-on aux traîtres ? Le billot et la hache ! Comment peut-on s’opposer aux FF ? »

    Soudain la sirène d’alerte aérienne retentit et il faut se mettre à l’abri ! On entend éclater les bombes et le sol tremble ! De la poussière tombe du plafond ! On tousse et on voit de plus en plus mal ! « Himmel ! Que fait la DCA ? tonne la Machine. » Mais personne ne lui répond : c’est l’enfer sur Terre !

                                                                                                       113

    Paschic, en tenue de prisonnier et avec d’autres, doit étendre des barbelés autour du camp de la Machine… Une gardienne vient cependant le chercher et Paschic inquiet se met à la suivre… On passe des sentinelles et à la grande surprise de Paschic, il est laissé dans le bureau de la Machine ! Il a soudain peur, car les colères de la Machine sont terribles et il se demande quelle faute il a commise !

    Pourtant, la Machine apparaît apaisante : « Ah ! Paschic, je suis heureuse de te voir ! Un verre de schnaps ? » Paschic ne répond rien, tellement il est surpris ! Voyant son embarras, la Machine se montre encore plus prévenante : « Assieds-toi, Paschic ! Détends-toi ! Oublions pour un temps nos différends ! Après tout, je suis ta mère ! » Paschic s’assoit docilement, mais reste sur ses gardes… Ce qu’ignore la Machine, c’est qu’elle a conditionné Paschic jusqu’au tréfonds ! Chaque geste, chaque mot est maintenant pesé par Paschic ! Il ne sera plus jamais naturel, il est marqué à vie ! Il est caché tout au fond de lui, comme un animal craintif dans son terrier !

    Il a dû s’enfouir pour survivre ! « Tiens Paschic, tu ne vas pas me dire que tu vas refuser un bon verre de schnaps ! Ah ! Ça fait du bien ! J’ai voulu te voir, Paschic, pour t’expliquer certaines choses… Je sais que tu m’en veux… et que tu peux me voir comme un monstre, mais tu ne connais pas la vérité ! Vois-tu, nous les femmes, nous ne sommes pas libres ! Je t’avoue que je voulais même pas me marier ! Mais c’était impensable pour l’époque, surtout dans mon milieu !

    On devait se marier, Paschic, et faire des enfants ! Eh oui, c’était comme ça ! Encore un p’tit verre ? Remarque que je suis quand même bien tombée avec ton père… On a formé une belle équipe, lui et moi, et on t’a pas raté non plus ! Pas vrai ? Hi, hi ! Mais, Paschic, la société, avec ses diktats masculins, ne laisse pas de peser sur la femme ! Il faut encore qu’elle soit une bonne épouse, une bonne ménagère, qu’elle soit l’honneur de son mari, toujours là pour ses enfants, etc., etc. !

    Cela nous demande beaucoup, Paschic ! Cela nous ronge même, nous dévore ! Ainsi, sous le joug du devoir, j’ai pu m’irriter, perdre le contrôle et me montrer injuste, trop directive à ton égard ! Tu vois, je reconnais mes fautes, mais je tiens à ce que tu saches que je ne suis pas entièrement responsable ! J’étais moi-même sous emprise ! Je me débattais pour conquérir ma liberté ! J’avais aussi mes chaînes ! »

    Un silence se fait ! Paschic est abasourdi ! Il est encore dans le brouillard, dans cette sorte d’hébétude qui lui est coutumière, car il se demande toujours s’il est bien réel, s’il existe vraiment, tellement il a été enfoncé en lui-même par la Machine ! Les propos qu’il vient d’entendre enfin le pénètre et il se met à rire, à rire !

    Cette réaction imprévue gêne la Machine, qui dit : « Sans doute que le schnaps te fait trop d’effet ! J’aurais dû m’y attendre ! » « Alors comme ça, pense Paschic, je n’ai pas servi de paillasson à la Machine ? Elle ne m’a pas bousillé, au nom de ses plaisirs ? Je ne suis qu’un dommage collatéral, dans sa lutte contre les diktats masculins ? Elle n’est pas d’un orgueil épouvantable ? Ce n’est pas seulement son monde qui doit triompher ? Toute résistance ne doit pas être écrasée ? Elle ne m’a pas massacré, dès que je la dérangeais ? Se sentant opprimée, elle a opprimée davantage ? Se sentant esclave, elle a voulu des esclaves ? »

    Paschic arrête subitement de rire : il est effrayé de s’être laissé aller et de nouveau il se ferme ! Il attend qu’on le laisse partir… La Machine est à des années-lumière de la réalité ! Cependant, elle est de nouveau gênée… Elle ne comprend pas le silence de Paschic, bien qu’il soit son œuvre ! « Écoute Paschic, dit-elle, il faut que tu réfléchisses un peu à cela… C’est nouveau pour toi… Tu peux t’en aller... »

    Paschic se lève et une fois dehors, il respire ! Il regarde le camp, les barbelés, les miradors… Il repense aux sévices, aux humiliations, aux coups, aux mensonges, aux perfidies, à cette incroyable injustice qui l’a détruit, aussi sûrement qu’un char qui lui aurait passé dessus, et tout cela ne serait dû qu’aux diktats masculins, qu’à une situation pénible vécue par la Machine elle-même ?

    Paschic est partagé entre le rire et les larmes, c’est typique du voisinage du désespoir ! Mais, ce soir, il va se faire la belle ! Depuis des mois, il construit un tunnel, patiemment ! Lui, la vérité, il la veut, d’où son acharnement ! Il n’en a pas peur, comme la Machine ! Ou bien elle existe, ou bien tout n’est que vent ! Paschic ne restera pas dans la demi-mesure de la Machine, son hypocrisie, son égoïsme ! Il a trop vu le mal qu’elle fait !

    Et puis, il se rend compte que la Machine a encore parlé d’elle, qu’il a encore été question d’ sa gueule et c’est bien là le problème ! La Machine n’aurait pas été un bourreau, si elle avait dépassé son nombril, si elle avait aimé plus qu’elle, plus grand qu’elle ! Les diktats masculins ? Alors que Paschic n’est plus que du sang mêlé de boue !

                                                                                                    114

    Paschic est DA (District Attorney) et en plein procès, il interroge la Machine, qui est accusée d’avoir tué son mari ! « Madame la Machine, racontez-nous encore une fois ce qui s’est passé cette nuit-là…

    _ Ben, j’étais seule à la maison et j’ai entendu du bruit… J’ai d’abord crû qu’une fenêtre s’était ouverte, puisqu’il y avait du vent et de la pluie dehors… Et puis, j’ai vu cette forme qui se dressait peu à peu le long du mur… C’était horrible ! Elle semblait interminable, avec des bras comme des tentacules !

    _ Votre Honneur, intervient Lapsie, l’avocate de la Machine, ma cliente est visiblement très éprouvée… Serait-il possible de faire une pause ?

    _ Maître, nous avons bien conscience de l’épreuve que traverse la Machine… Néanmoins, elle est l’accusée et elle va donc continuer son récit… Poursuivez madame la Machine…

    _ Oui, votre Honneur… J’étais absolument terrifiée ! Ce n’était même pas humain ce qui me menaçait ! C’est alors que je me suis rappelé l’arme que je place dans ma table de nuit… Je m’en suis saisie et j’ai tiré !

    _ Cinq fois ! fait Paschic.

    _ Je vous l’ai dit : j’étais terrifiée ! Puis je me suis approché, car la « chose » ne bougeait plus ! Et c’est là que j’ai reconnu Edgar ! mon pauvre Edgar !

    _ Vous n’aviez pas reconnu votre mari ?

    _ Comment aurais-je pu le reconnaître ? Il m’avait dit qu’il serait à son club !

    _ Madame la Machine, depuis quand avez-vous cette arme ?

    _ Cinq ans environ !

    _ Pouvez-vous dire au jury pourquoi avez-vous acheté cette arme ?

    _ Ben, la maison est assez isolée et…

    _ N’avez-vous pas déclaré à une amie qu’Edgar vous faisait peur ?

    _ C’est vrai… Il avait changé avec le temps… Il était devenu plus autoritaire… Il me reprochait mes amies, mes sorties, mes joies ! J’ai tout sacrifié pour lui, mais rien ne pouvait le satisfaire ! Il était… il était toxique !

    _ A un tel point que vous avez acheté une arme pour vous défendre ?

    _ Objection votre Honneur ! s’écrie Lapsie. Le DA fait les questions et les réponses !

    _ Objection retenue !

    _ Très bien, reprend Paschic, je vais poser ma question autrement ! Madame la Machine, ne pensez-vous pas que l’achat d’une arme est exagéré, pour régler un problème de couples ?

    _ Edgar me dévorait ! Il me bouffait ! La prochaine étape, je le savais, ce serait des coups ! Et il n’était pas question qu’on en arrive là ! J’étais prête à me défendre !

    _ Votre Honneur, poursuit Paschic, je voudrais montrer une vidéo…

    _ Objection votre honneur ! coupe Lapsie. La défense n’a pas été informée de l’existence de cette vidéo !

    _ Que le ministère public et la défense veuillent bien approcher ! dit le juge. Monsieur le DA, est-ce vrai que vous avez caché à la défense l’existence de cette vidéo ?

    _ Mais pas du tout ! Elle se trouve page 19 dans la liste des pièces remise à la défense !

    _ Noyée dans un tas d’ saloperies ! réplique Lapsie.

    _ Maître, surveillez vos propos ! dit le juge. Monsieur le DA, êtes-vous bien sûr que cette vidéo peut faire évoluer l’affaire ?

    _ Elle l’éclairera d’un jour tout à fait nouveau !

    _ Très bien, j’autorise le visionnement de cette vidéo, mais soyez convaincant, monsieur le DA !

    _ Merci votre honneur…

    _ Très bien, le jury est prévenu qu’il va voir une vidéo, annonce le juge. »

    A l’écran, on découvre une petite épicerie, dans laquelle entre la Machine ! Immédiatement, les autres clients se mettent à genoux, pour montrer leur déférence et l’épicier ne cesse de faire des courbettes ! Il semble même donner de l’argent à la Machine ! « C’est bien vous que l’on voit sur l’image ? demande Paschic à la Machine.

    _ Euh… Oui…

    _ Tout le monde tient à vous marquer du respect, car vous êtes très connue dans ce quartier… et pas seulement celui-là ! En fait, il s’avère que les trois quarts de la ville vous appartiennent et que votre vrai nom est le Mépris ! Est-ce exact ?

    _ Edgar était toxique ! Il me menaçait !

    _ Vous vous appelez le Mépris et vous régnez sur la ville ! Mais Edgar était le problème ?

    _ C’est lui qui avait la force physique !

    _ Nous savons que vos affaires périclitent… Mais Edgar n’avait pas un sou… Cependant, vous faites actuellement la une, en vous présentant comme une femme qui a défendu sa vie, face à un conjoint violent… N’est-ce pas là une manière de vous remettre en selle ?

    _ Et alors ? Le train MeeToo profite à tout le monde et pourquoi pas à moi ? J’ai jamais eu d’ chances dans la vie ! Mais je n’ai pas tué Edgar pour ça !

    _ Non, vous l’avez tué parce que vous le méprisiez !

    _ Espèce de sale mâle prétentieux ! J’ai qu’à claquer des doigts et demain tu m’ supplieras d’ t’épargner !

    _ Je n’ai pas d’autres questions, votre Honneur ! »

                                                                                                         115

    La Machine, Bona et Lapsie fument des cigares, en sirotant leur whisky… « Non mais écoutez-moi ça ! s’écrie Bona, le nez dans le journal. « Paschic, un heureux dans la rue ! Question du journaliste : « Monsieur Paschic, comment faites-vous pour paraître aussi serein, aussi détendu ! On dirait qu’une bonne étoile vous protège ! » Réponse : « Vous voulez mon secret ? Je ne fais que ce qui m’amuse ! ainsi je garde la joie de vivre et je ne fais pas suer mes concitoyens ! » Question : « Que ce qui vous amuse ? Mais faut travailler dans la vie ! » Réponse : « Et qui vous dit que je ne travaille pas en m’amusant ! Vous connaissez la formule : « Heureux les purs, car tout leur est pur ! » 

    _ Nom d’un chien ! s’insurge Lapsie. Qu’est-ce qui faut pas entendre comme conneries ! Lui pur ? Quelqu’un pur ?

    _ C’est surtout mauvais pour les affaires, rétorque la Machine. Quelqu’un qui s’amuse sur mon territoire, c’est très démoralisant pour ceux qui sont sous ma domination ! Ça leur donne des idées…, des idées de grandeur, de rébellion !

    _ C’est encore mauvais pour MeeToo, renchérit Bona. Accorder de l’attention à c’ type, c’est moins de lumière pour les femmes ! Et puis, c’est de nouveau le mâle triomphant !

    _ J’ crois que nous sommes toutes d’accord, ajoute la Machine, il faut lui régler son compte une bonne fois pour toutes ! Je ne vais pas laisser c’ morveux me marcher sur les pieds !

    _ T’as raison, fait Lapsie. J’ai justement acheté du nouveau matériel que je voudrais bien essayer ! On va voir comment le « pur » arrête les balles ! »

    Chacune prend ses armes et on les entend les vérifier ! Pistolets, fusils, couteaux et même grenades sont embarqués et la voiture du trio démarre. Pendant ce temps-là, dans sa petite maison, Paschic se pénètre d’un oud mélancolique, en accord avec l’éclairage tamisé ! Soudain, les vitres éclatent, les tableaux tombent et des balles perforent les murs ! Les tirs paraissent incessants et Paschic, après avoir été blessé à la jambe, s’est traîné derrière le divan !

    Le silence se fait un moment, mais c’est que les filles approchent et entrent dans le salon… Elles marchent sur les débris et entendent les plaintes de Paschic ! La Machine contourne le divan et loge dans Paschic deux balles, dont l’une dans la tête ! Le travail est terminé et les tueuses se pressent vers leur voiture, alors que déjà au loin retentit une sirène ! Un voisin a dû prévenir les secours…

    Le lendemain, les filles regardent la télé et notamment le JT : « Une tuerie s’est produite hier soir, dans le quartier résidentiel de Hampshire, explique la journaliste. La victime, nommée Paschic, a immédiatement été conduite à l’hôpital, où elle combat entre la vie et la mort ! On ignore encore quelles sont les causes de ce crime et quels en sont les auteurs... »

    « C’est pas vrai ! s’écrie Bona. Vous avez entendu ? Ce fumier est encore vivant !

    _ Je lui ai pourtant mis une balle dans la tête ! précise la Machine.

    _ Ça devrait suffire, réplique Lapsie. S’il est encore vivant, c’est à l’état de légume !

    _ Il y a quand même un doute… poursuit la Machine.

    _ Dans c’ cas, y a plus qu’une solution ! fait Bona.

    _ Ah oui ? Et laquelle ? demande la Machine.

    _ Tautonus ! C’est un spécialiste ! Rien ne lui résiste !

    _ OK ! dit la Machine. Je le mets sur le coup ! »

    A l’hôpital, Paschic émerge discrètement du coma et il entend un médecin dire à un de ses collègues : « J’ sais pas comment c’est possible ! La balle dans le cerveau ne l’a pas tué !

    _ Mais il gardera des séquelles !

    _ Sans doute ! Reste à savoir à quel stade il sera diminué ! »

    Les deux médecins s’éloignent et Paschic se rendort ! Quand il se réveille à nouveau, il fait nuit et tout semble calme…, mais Paschic reconnaît soudain une voix dans le couloir : celle de Tautonus ! Celui-ci parle avec une infirmière, comme si lui-même faisait partie du personnel ! Vite, il faut trouver une solution pour Paschic !

    Il fait l’effort de sa vie ! Il avance en boitant et en suant vers son placard ! Il se saisit de son manteau et d’un bonnet, qui vont prendre sa place ! Puis, il détache les fils qui l’encombrent et les glissent sous les couvertures ! L’alerte est sûrement donnée, mais Paschic n’en a cure et il se cache dans le placard, vaste comme une salle de bains ! De là, il voit Tautonus qui entre sans tarder et qui d’une main sûre tire avec un silencieux, sur la forme du lit ! Tautonus n’a pas le temps de vérifier son œuvre et il disparaît ! Enfin, Paschic peut s’écrouler !

    Bien plus tard, quand il sortira de l’hôpital et malgré son handicap, car il ne sera plus lui-même, il sera sans pitié pour le crime !

     

  • Rank (105-109)

    R26

     

                         " Attention à mon Nagra! C'est Suisse, c'est précis!"

                                                                                 Diva

     

     

                                                 105

    Paschic est inspecteur de police et il interroge une suspecte… « Résumons-nous, si vous le voulez bien… Vous avez utilisé votre mari, pour vos plaisirs, jusqu’à ce qu’il en crève ! comme on tue un cheval à la tâche ! C’est bien ça ?

    _ Mais pas du tout ! On formait un couple heureux, complémentaire, uni dans la lutte, une vraie réussite !

    _ Bien sûr ! Mais ça, c’est pour la vitrine ! La vérité, c’est que vous avez transformé le pauvre gars en toutou ! Il faisait vos quatre volontés ! Il ne méritait d’ailleurs pas mieux, tellement vous le méprisiez !

    _ Sans moi, il serait resté un minable !

    _ Sans vous, il serait encore en vie !

    _ Mais pour qui vous prenez-vous ? Sale con prétentieux !

    _ Outrage à magistrat ! On commence à y voir un peu plus clair !

    _ Mais enfin que me reprochez-vous ? Mon mari est parti d’un cancer foudroyant !

    _ Mais je me fais fort de prouver que c’est votre traitement qui l’a mené vers cette issue ! Il était votre esclave, vous l’avez détruit ! J’appelle ça un meurtre par la bande !

    _ Je veux parler à mon avocat !

    _ Vous savez, les femmes tuent, mais à leur manière ! Elles n’ont pas la force physique, alors elles broient ! Ça dure des années, mais c’est efficace !

    _ Vous ne pouvez pas comparer ça à un féminicide ! Je n’ai jamais eu l’intention de donner la mort !

    _ Mais les auteurs de féminicides non plus ! Je vous assure ! Ils voient rouge... Leur haine est incommensurable, leur mépris aussi ! Et ils ne prennent véritablement conscience du drame que bien après ! quand ils ne se sont pas supprimés eux-mêmes !

    _ Tous des mauviettes… ou des assassins !

    _ C’est le mépris qui assassine, qui fait que l’autre n’a aucune valeur ! Et c’est bien votre mépris qui a tué votre mari ! »

    A cet instant, le commissaire ouvre la porte de la salle d’interrogatoire et dit : « Paschic, dans mon bureau ! » Paschic, à regret, doit abandonner sa suspecte et il suit le commissaire… « Mais bon sang, Paschic, qu’est-ce que vous foutez ? s’écrie le commissaire dans son bureau.

    _ J’essaie de coincer une meurtrière !

    _ Ah bon ? Et comment allez vous faire aux yeux de la loi ? Comment allez-vous prouver que cette femme est à l’origine du cancer de son mari ?

    _ Je vais mettre les faits bout à bout ! Il y a des témoignages, qui décrivent le comportement tyrannique de cette femme, son dédain à l’égard de son mari ! Je vais montrer comment l’état de santé de celui-ci s’est dégradé au fil du temps !

    _ Un bon avocat mettra vos éléments en pièces ! Jamais on qualifiera le cancer de meurtre !

    _ Il faut faire avancer la loi ! Elle doit prendre en compte la violence des femmes ! Elles sont aussi des tueuses !

    _ Vous me faites chier, Paschic ! Votre combat est hors de propos, il est anachronique ! Vous savez qui je viens d’avoir au téléphone ? Le préfet, Paschic ! C’est un ami de la dame et il veut sa libération immédiate ! Elle est du gratin, Paschic ! On n’y touche pas, à moins que ce n’ soit vraiment sérieux ! Vu ?

    _ Le pauvre type n’a eu aucune chance ! Elle l’a broyé et jeté comme un peau d’orange ! après en avoir bu tout le jus ! C’est un vampire, cette femme-là… et il y en a bien d’autres !

    _ Écoutez, Paschic, vous êtes un bon flic, mais un emmerdeur ! Pourquoi ne prendriez-vous pas un peu de vacances ! Vous relâchez la dame et vous repartez du bon pied !

    _ J’ai déjà pris mes congés…

    _ Pfff ! Pourquoi n’êtes-vous pas comme tout le monde, Paschic ? Pourquoi cherchez-vous la petite bête ? Vous avez un salaire convenable, vous pourriez fonder une famille…

    _ Vous voulez dire que la vie ressemble à un spot bancaire ? On s’engueule, on se réconcilie, on a des projets, on voit ses enfants grandir… et puis on meurt ! Comme c’est attendrissant ! C’est l’équilibre selon les psys ! Un monde où notre mépris quotidien n’existe pas !

    _ En tout cas, laissez tomber cette affaire !

    _ Vous savez pourquoi le chaos nous entoure, pourquoi nous crevons de soif ? C’est justement parce que nous poursuivons un mirage ! »

                                                                                                        106

    Paschic, toujours flic, apprend qu’on va décorer la Machine pour sa vie de mère exemplaire ! Il ne fait qu’un bond et décide de se rendre à la cérémonie ! Il y a beaucoup de monde, avec des cocardes partout et une fanfare ! Le maire est là, sur une tribune, et on attend la star ! Elle arrive en grosse limousine noire, avant d’emprunter le tapis rouge, et du véhicule sortent d’abord Lapsie et Bona, la main sur leur oreillette ! Elles sont là pour protéger la Machine et s’assurer que la voie est libre ! Puis, la Machine apparaît, rayonnante sous les flashes ! Elle salue son public, venu nombreux pour l’acclamer ! On crie : « La Machine ! La Machine ! » pour attirer son attention ou recevoir un autographe !

    La fanfare entame une marche triomphante et le maire souriant conduit la Machine jusqu’à la tribune ! Là, le maire et la Machine lèvent la main ensemble, comme pour montrer qu’ils sont unis dans la même lutte, celle du bien contre le mal ! La foule approuve et participe à l’engouement ! L’horizon n’est pas totalement noir, puisque la justice a aussi ses moments de gloire ! C’est ce que pensent les uns et les autres et quand le maire commence son discours, le silence se fait naturellement ! Le respect est respecté !

    « Mes chers concitoyens, dit le maire, elle est là ! Elle est venue ! (cris d’enthousiasme!) Elle est venue pour soutenir notre combat ! celui des droits de la femme contre l’oppression, les vexations de l’affreux patriarcat ! Qui mieux que la Machine peut représenter notre soif, notre idéal de vérité et d’égalité ? Car la Machine n’est pas seulement une femme, mais une mère, une mère sacrée comme elles le sont toutes ! En effet, la Machine a élevé des hommes dans un monde d’hommes et cela veut dire qu’elle a dû se battre doublement, à l’extérieur comme à l’intérieur de la famille, pour mettre à bas les préjugés masculins ! Cette femme, mes chers concitoyens, nous ne sommes pas dignes de délier ses souliers ! Elle est une égérie par excellence ! un exemple pour tous ! C’est une pionnière qui nous montre que la famille et le pouvoir ne sont pas incompatibles ! que la reine peut faire aussi bien et mieux encore que le roi ! (Applaudissements, cris d’enthousiasme!) Je suis fier aujourd’hui d’être aux côtés de la Machine, car plus nous serons nombreux et plus nous pourrons faire bouger les choses ! Qu’à jamais le nom de la Machine soit associé à celui de notre ville ! Que notre chère cité symbolise le combat des femmes libres ! Mais ce n’est pas moi que voulez écouter, c’est elle ! La fabuleuse, l’extraordinaire Machine ! (Foule en délire!) »

    La Machine prend le micro : « Salut vous tous ! (Acclamations!) Vous êtes chaud ! Comment ? Je ne vous entend pas ? Ah ! C’est mieux ! Je vous aime tous ! Mon triomphe est aussi le vôtre, car vous et moi, nous ne désirons qu’une seule chose, la vérité pour toutes les femmes ! La justice ! Nous la voulons du fond du cœur ! Car nous sommes toutes des opprimées ! Toutes ici nous avons été blessées par l’égoïsme masculin ! Toutes ici nous avons été confrontées aux abus de l’homme ! Toutes ici avons été un jour ou l’autre des victimes, des incomprises, et toutes ici avons pleuré et gardons des plaies qui ne sont pas guéries ! Ce n’est pas vrai ? (Le silence s’est installé et on entend des larmes ici et là!)

    _ Arrête ton char ! La vérité, c’est qu’ t’es une belle salope ! qui n’a pensé qu’à sa gueule tout le temps ! (C’est Paschic qui se met à crier!)

    _ Évidemment, le combat continue ! reprend la Machine (elle s’efforce d’être indifférente à Paschic!) Certains mâles continuent de nous harceler et à répandre leur venin, mais…

    _ T’es une ordure, moi, je le sais ! Un monstre d’hypocrisie ! Le monde entier doit tourner autour de ton nombril et encore aujourd’hui, t’as la gueule dans la gamelle ! L’égoïsme féminin est égal au masculin ! Pas de problèmes, l’un vaut l’autre ! Et ton mépris, bon Dieu, ton mépris incommensurable ! Mais qu’est-ce que vous avez tous ? Vous êtes débiles ou quoi ? Notre ennemi, ce n’est pas l’homme ! C’est notre propre pourriture ! C’est le mépris commun qu’il faut combattre ! »

    A cet instant Lapsie et Bona, accompagnées par des hommes en noir, s’approchent de Paschic et s’en saisissent ! « Monsieur, fait l’un, veuillez quitter les lieux ! Vous perturbez la cérémonie !

    _ Va te faire foutre ! La machine est une ordure ! Et il faut qu’on le sache ! »

    Il s’ensuit qu’on pousse Paschic vers la sortie et il essaie de se libérer, en criant encore : « La Machine, j’aurai ta peau ! Bande de fumistes ! Tas de ploucs ! Bande de couilles molles ! C’est une abomination et vous êtes ses complices ! Mais la vérité éclatera ! »

    Subitement, Paschic reçoit un choc électrique et s’évanouit ! C’est l’acte de Lapsie, qui dit à ses hommes : « Lâchez-le dans les poubelles, mais veillez à ce qu’il ne revienne pas nous emmerder ! » Les hommes acquiescent et la cérémonie reprend doucement, à mesure que les esprits se calment !

                                                                                                      107

    A la fête foraine, Paschic mâche nonchalamment de la barbe à papa et s’approche d’un forain qui crie : « Entrez dans le château de la mort, mesdames et messieurs ! Affrontez les monstres les plus épouvantables et les plus horribles, créés par la technologie la plus moderne ! Je vous garantis que vous allez trembler de la tête au pied ! A moins que vous n’ayez peur… N’est-ce pas, monsieur ?

    _ C’est à moi que vous parlez ? fait Paschic.

    _ Vous voyez quelqu’un d’autre derrière vous ?

    _ Non, mais…

    _ Mais vous êtes déjà en train de vous défiler ! C’est humain ! (Il hausse les épaules!)

    _ Ah ! Ah ! Vous insinuez que j’ai peur, c’est ça ?

    _ Je n’insinue rien ! Je vois, c’est tout ! Vous êtes verdâtre, vous transpirez ! On dirait la dernière feuille accrochée à son arbre !

    _ Un billet, l’escroc, et plus vite que ça ! Je vais vous montrer, moi, que je suis une sorte de titan imperturbable ! J’en ai vu bien d’autres !

    _ 15 euros ! Mais c’est quasiment à contre-cœur ! Je vais utiliser ma machinerie pour rien, car vous allez vous évanouir dès la première scène ! Enfin,  vous êtes sûr d’être majeur ?

    _ Ah ! Ah ! Je vais ressortir de là les doigts dans le nez ! J’aurais l’air de Surcouf sur le pont du Triton !

    _ Hein ? Mais c’est pas grave : j’ suis assuré, même s’il faut vous ramasser à la petite cuillère ! »

    Paschic à son tour hausse les épaules et pénètre dans le château ! Il entend d’abord un vacarme épouvantable, puis un type avec un casque vient vers lui ! « Il faut que vous dégagiez ! dit le type. C’est un chantier ici !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? (Le vacarme redouble!)

    _ Je dis que c’est un chantier ici ! Faut dégager !

    _ Bon sang, j’entends rien ! C’est un chantier, c’est ça ?

    _ T’es un connard, j’ me trompe ? J’ te dis qu’ c’est un chantier ! Alors tu dégages !

    _ Qu’est-ce que vous faites ici ? (Paschic hurle!)

    _ La Cité du bonheur ! Deux mille logements, aux normes environnementales ? Hein, qu’est-ce que tu dis d’ ça ?

    _ Vous êtes sûr que c’est pour le bonheur des gens ?

    _ Ben, après la peinture, on verra mieux ! Pour l’instant, c’est du travail ! On bosse quoi ! C’est pourquoi tu peux pas rester là !

    _ Ouais, ouais, moi, j’ bosse pas, j’ fais pas d’ bruit, alors j’ dégage !

    _ Mais tu parles not’ langue ! »

    De nouveau Paschic hausse les épaules ! Mais une légère angoisse le prend : si la première épreuve était la plus facile, il ne sait pas désormais s’il pourra résister aux prochaines, tant le bruit l’a déjà abruti ! Mais enfin il poursuit et soudain un fumigène rougeâtre roule à ses pieds ! Il l’esquive, mais un jet de lisier le menace et en voulant s’écarter, il bute contre une gigantesque roue de tracteur ! Des hommes en salopette se jettent sur lui et lui crient : « Nous, on est en colère ! On en a marre !

    _ Mais, les gars, j’ peux pas faire grand-chose pour vous… Le forain, à l’entrée, m’a pris tout ce que j’avais !

    _ On s’en fout d’ ton fric ! Nous, on est en colère, on en a marre !

    _ Attendez, si je comprends bien, vous êtes comme moi ! Vous êtes en colère contre Poutine qui tue impunément et qui a tous les cynismes ! Vous pensez comme moi aux enfants ukrainiens morts !

    _ Non, nous…

    _ Ah, j’y suis ! Vous êtes énervés contre Trump, parce qu’il saccage la vérité ! D’ailleurs, depuis le début vous êtes au service du bien, de la vérité et vous êtes désespérés de prêcher dans le désert ! Ce qui vous attriste le plus, c’est l’hypocrisie ambiante, car c’est elle qui crée l’injustice !

    _ Ah ! Mais tu nous entends pas ! Comment nous, on va faire demain ? On sait pas !

    _ Oh ! C’est votre nombril qui vous préoccupe ! Alors ça va ! Ou plutôt vous s’rez toujours malheureux ! Et moi qui croyais que vous étiez inquiets à cause de la misère, du manque d’amour, car c’est ça la véritable misère ! l’égoïsme et l’indifférence !

    _ Eh les gars ! C’en est un du gouvernement ! un beau parleur ! On va t’en faire baver le pied plat ! »

    Paschic se dégage (après tout, il a affaire à des sortes d’hologrammes!) et il rentre dans un pécheur, qui lui met un couteau sous la gorge : « T’as pas compris que c’est moi qui commande ? fait le pêcheur. Tu percutes toujours pas ?

    _ Si ! Si ! répond Paschic qui transpire abondamment. Tu peux tuer les dauphins et vider la mer !

    _ T’as rien à m’interdire ! T’entends ! Sinon couic ! »

    Pashcic acquiesce et continue… La lumière devient glauque et un homme avec un flingue s’agite bientôt devant Paschic : « Tu sais ce qui arrive quand je ne bétonne plus ? demande l’inconnu.

    _ Vous commencez à aimer les arbres ! Ah ! Ah ! »

    L’homme regarde Paschic sans comprendre ! Il a un voile gris devant les yeux ! Paschic prend conscience qu’il est devant un fou et lentement il s’échappe ! Il croit que le pire est passé, mais plus loin des femmes l’attendent ! La gorge de Paschic se noue et s’il avance encore, c’est comme dans un rêve ! « Non mais visez-moi qui arrive, les filles ! fait l’une des femmes. C’est le patriarcat ! Queue d’âne en personne ! Alors tu veux m’ violer, le gringalet ?

    _ Non, moi, j’ai toujours été poli avec les dames ! C’est d’ailleurs c’ qui m’a perdu !

    _ Hein ? Tu critiques ! Tu chiales même ! J’ parie qu’ t’en as pas !

    _ Mais si, mais si ! Mais c’est beaucoup trop gros pour vous, les midinettes !

    _ Tu vas voir, on va t’arracher le tout et l’ bouffer !

    _ Encore si vous étiez bien roulées !

    _ Grrrr ! »

    Paschic a énervé exprès ces dames, pour filer dans leur fureur et il se retrouve dehors, face au forain ! « Alors ? lui demande celui-ci. Pas trop effrayé par la société ?

    _ Pfff ! fait Paschic. J’ai été élevé par la Machine ! Ton château à côté d’elle, c’est Azay-le-Rideau !

    _ Quoi ? Quoi ? Et qui c’est ça, la Machine ?

    _ La Machine ? Elle te transforme en copeaux et inspecte chacun d’eux, pour voir s’ils sont bien morts ! Il m’est arrivé de vivre à côté de moi, peinard, sans m’ faire repérer !

    _ Tu déconnes ? »

                                                                                                          108

    Paschic est réalisateur et aujourd’hui il tourne un épisode d’une série à succès ! Pendant que les techniciens préparent la scène, Paschic se remémore son entrevue avec le directeur de la chaîne, avant de commencer le tournage… Dans le bureau, à la moquette épaisse, on domine toute la capitale et le directeur, un homme massif, ne pouvant fumer, se vengeait sur des pistaches ! « Paschic ! s’écria-t-il en se plantant devant la fenêtre, j’ai des ordres d’en haut !

    _ Des ordres ?

    _ Enfin des recommandations ! De chaudes recommandations, si vous voyez ce que je veux dire ! Le mot d’ordre est Cohésion, Paschic ! Nous voulons, je veux, vous voulez de la cohésion !

    _ De la cohésion ?

    _ Exactement ! L’unité du pays, Paschic, voilà la clé du futur ! Que chacun, avec sa différence, se sente chez lui ! Pas d’émeutes, Paschic, pas d’ fractures ! De l’harmonie et encore de l’harmonie ! (Il s’éponge le front!)

    _ Ça veut dire quoi exactement ?

    _ Mais que toutes les minorités soient représentées ! Je veux des Noirs, Paschic ! des Arabes ! des Asiatiques ! des homos ! Il faut respecter les quotas ! Personne, vous entendez, personne, ne doit se sentir rejeté !

    _ Bien, bien, je ferai attention !

    _ Notre société est mosaïque, Paschic, il faut que la série reflète cette réalité ! Nous marchons sur des œufs, Paschic ! Le moindre faux pas et mille associations nous tombent dessus ! En ce cas, vous et moi, on saut’ra ! (Il s’essuie encore le front!)

    _ Cohésion, patron ! »

    Les techniciens ont terminé et les comédiens se placent… Paschic se retourne vers le Comité féministe installé dans son dos et qui joue aussi le rôle de censure ! Elles sont trois femmes, comme les Parques, et Paschic leur dit : « Je vous rappelle le sujet… Donc, les deux lesbiennes…

    _ Dites plutôt les deux homosexuelles…, réplique l’une des femmes.

    _ Très bien, donc les deux homosexuelles femmes se querellent quant à leur troisième PMA ! L’une veut un Noir, mais l’autre un Breton ! Elles se demandent alors lequel aurait le plus de chances de réussir !

    _ Le Noir évidemment !

    _ Voilà un beau parti pris ! Et si le Noir est breton !

    _ Mais c’est vous qui posez le problème, comme si breton s’opposait à noir !

    _ En fait, je crée une tension pour apporter un soulagement ! Une série, c’est fait pour jouer sur nos émotions ! A un moment donné, nos deux lesbiennes…

    _ Nos deux homosexuelles…

    _ Elles se rendent compte qu’elles peuvent avoir les deux, grâce à l’intervention du docteur, qui leur dit qu’un breton noir, c’est possible !

    _ Dieu merci !

    _ Vous voyez, tout s’arrange ! Cohésion ! Harmonie, paix !

    _ Dites, faudrait quand même éviter la dérive sectaire... »

    A cet instant, le comédien arabe s’adresse à Paschic : « J’ai un petit problème dans la scène du 5… Au moment même où j’apparais, le cuisinier crie : « A la soupe ! »

    _ Oui, c’est une formule familière, sympathique !

    _ Moi, je ne suis pas croyant, mais d’autres pourraient mal interpréter cette coïncidence !

    _ Quelle coïncidence ?

    _ Eh bien, on me voit et le « A la soupe » ressemble à « Allah soupe ! » Tu piges ?

    _ Euh… (Paschic s’essuie lui aussi le front!)

    _ Ça sent l’injure ! Et tu sais ce qui va suivre, hein ?

    _ Tu as parfaitement raison ! Bon sang, tu nous as évité une belle bourde ! On change la formule ! Bon, les enfants, on y va ! Chacun prend sa place ! »

    A cet instant, Paschic marche distraitement sur la queue d’un chien, celui du couple lesbien, et l’animal pousse un hurlement de douleur ! « Pardon le chien ! Pardon le chien ! s’écrie Paschic.

    _ Les excuses ne suffisent pas ! fait quelqu’un. Je suis le propriétaire de l’animal et cet incident ne serait pas arrivé, si le chien n’avait pas été gardé aussi longtemps en laisse ! J’appelle Nos Amis les animaux !

    _ Posez-moi ce téléphone ! Le chien est augmenté ! Ça vous va ? »

    La scène est tournée et c’est la pause… La comédienne star s’approche de Paschic… « Dis, Paschic, j’aime ta patience, ton calme… Ça t’ dirait qu’on dîne ensemble ce soir ?

    _ La vache, le putain de piège !

    _ Quoi ?

    _ Non, mais attends ! J’accepte et toi, tu cours vers le Comité féministe, pour lui dire que j’ai essayé d’abuser d’ toi ! Pas d’pot, ma vieille ! J’ suis pas né de la dernière pluie !

    _ Mais qu’est-ce que tu racontes ! Je suis sincère !

    _ Vas-y, continue ! Tu ouvres toute grande ma tombe ! Mais Paschic n’y tombera pas !

    _ Connard !

    _ Harmonie ! Cohésion ! »

                                                                                                    109

    Maintenant la Machine est vieille et dolente ! Elle reste le plus souvent alitée et une auxiliaire de vie veille à son bien-être ! « Aaaaatcha ! fait la Machine sur ses oreillers.

    _ Tiens, vous avez pris froid ! dit l’auxiliaire qui arrête de balayer.

    _ Oh ! S’il n’y avait que ça !

    _ Vous m’avez l’air un peu déprimée ce matin !

    _ Peut-être… Aaaatcha !

    _ Mais vous ne pouvez pas rester comme ça ! Je vais vous faire un thé, quelque chose de chaud !

    _ Au point où j’en suis !

    _ Mon Dieu, ça ne va pas du tout ! Où est la femme combattante que vous m’avez habitué à voir ?

    _ Vous avez raison, je me laisse aller…, mais le cœur n’y est plus !

    _ Écoutez, je vais augmenter le chauffage, redresser vos oreillers et…

    _ Passez-moi plutôt mon album ! Vous êtes jeune et vous ne pouvez pas comprendre ! Vous n’avez pas conscience que vous vivez votre meilleure période ! Vous vous en plaignez sûrement et pourtant elle ne durera pas ! La vieillesse vient trop vite et quand enfin vous ouvrez les yeux, il est trop tard !

    _ Vous m’intriguez… Voilà votre album… Qu’est-ce que vous voulez y voir ?

    _ Ah ! Mon époque faste ! que je croyais éternelle ! ou plutôt dont j’ignorais tout le suc, toute la valeur ! Mais j’étais si nerveuse en ce temps-là ! si préoccupée ! La carrière de Tautonus, les enfants, le patrimoine ! J’étais sur tous les fronts, aveuglée par l’action et comme je vous l’ai dit, il faut la vieillesse pour comprendre qu’on a mangé son pain blanc ! Tenez, regardez cette photo...

    _ Je vois un jeune garçon…

    _ Remarquez comme il est falot ! Hi ! Hi ! Il est presque transparent, à force d’être insipide ! C’est Paschic, l’un de mes fils, et il n’a jamais rien fait d’ sa vie !

    _ Il a surtout l’air timide… Mais il ne peut pas être aussi mauvais que ça !

    _ Comme je l’ai méprisé… et je le méprise encore de toute mon âme… et pourtant comme il me manque !

    _ Je ne comprends pas…

    _ Je sais… Moi non plus, à l’époque, je ne comprenais pas la valeur de ce minable ! Mais en réalité il m’était essentiel ! Ah ! S’il pouvait revenir, je… je le reprendrais en main ! On recommencerait comme au bon vieux temps ! Je retrouverais enfin un peu de mon lustre ancien !

    _ J’avoue que je ne comprends toujours pas… Pourquoi regrettez-vous un garçon qui apparemment ne vous a donné aucune satisfaction !

    _ Mais parce que je m’essuyais les pieds sur lui ! Il était ma bête noire ! Je le voyais comme un fléau, mais il me servait à me soulager de toutes mes humeurs ! C’est lui, plus qu’aucun autre, qui me rendait le sentiment de mon importance, de mon pouvoir ! Aaaatcha !

    _ Ne vous excitez pas trop tout de même !

    _ Avec mes autres enfants, je me sentais parfois intimidée…, mais jamais avec lui ! Un vrai doux ! Dès que je manquais de confiance en moi, j’allais l’engueuler, je l’écrasais, je le faisais pleurer, marcher à la baguette et alors le miracle se reproduisait, j’étais toute ragaillardie, de nouveau combattante ! Je reprenais goût à la vie ! J’avais un but : changer ce minable !

    _ Ce n’est pas bien…

    _ Pas bien ? Oh, comme je comprends Poutine ! Pensez, ces méprisables Ukrainiens qui ont osé s’opposer à son contrôle ! L’ivresse du pouvoir, vous ne la connaissez pas !

    _ Et maintenant, où est Paschic ?

    _ Snif ! Il a réussi à m’échapper ! Boooououh ! A présent, je vois combien il m’était indispensable ! Il me manque ! Je voudrais de nouveau l’insulter, vider ma colère sur lui ! J’irais mieux ! Au lieu de ça, mes journées me paraissent mornes ! Je suis dans l’antichambre de la mort !

    _ A la façon dont vous avez traité Paschic, il ne pouvait pas ne pas souhaiter vous quitter !

    _ Mais il m’était si utile qu’il aurait dû penser à moi ! Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?

    _ Lui demander pardon ?

    _ Pauvre sotte ! Allez, rangez-moi cet album ! Vous êtes là en train d’ traîner, alors qu’il y a tant d’choses à faire ! Croyez-moi, ma fille, ça va pas continuer comme ça ! Une paresseuse, voilà ce que vous êtes !

    _ Je ne vous permets pas…

    _ Comment ? Mais pour qui vous vous prenez ? Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine, vous entendez ! La première du nom ! Mon père avait deux cents hectares et trois mille serfs ! Ah ! Ça y allait en ce temps-là ! Tous des vermines ! »

  • Rank (73-76)

    R12

     

     

                      "Mais la guerre est finie, Murphy!"

                                     La Guerre de Murphy

     

                                                             73

          La domination animale, encore appelée l’orgueil dans le milieu, prend des vacances dans un endroit paradisiaque… Elle profite des hamacs de l’hôtel de luxe où elle s’est installée et de là elle ne perd pas de vue que des créatures de rêve apparaissent sur la plage ! Elle lit le journal avec à côté un cocktail rafraîchissant et saupoudré de sucre, tandis que la mascotte du coin, un petit singe, mange la banane qui lui a été offerte !

          « « Jésus condamné à mort par les Romains, pour des raisons politiques ! lit la domination. En se déclarant roi des juifs, il menaçait leur pouvoir ! » Non mais, qu’est-ce que c’est que ces conneries ? C’est moi qui ai fait le job… et je l’ai super bien fait ! Aucune trace ! Quelle bande de cons ! Mais quelle bande de cons ! De vrais veaux ! Ah ! Ils n’ont pas fini de tourner ! Elle est bonne la banane ? »

           Le singe grimace ou sourit ! « Eh bien tant mieux ! dit la domination. Il y a au moins un heureux dans l’ secteur ! Car autrement, c’est le chaos ! Mon Dieu ! Et je suis encore derrière tout ça ! C’est moi qui mène la danse, mais d’ici à ce qu’ils voient quelque chose ! « Poutine aurait obéi à une logique géostratégique…, dit machin ». Ah ! Ah ! Et ça continue ! Là encore, je n’ai commis aucune erreur ! J’ai chauffé Poutine à blanc ! J’ lui ai dit : « T’as pris la Crimée, personne n’a bougé ! Qu’est-ce que t’attends pour sauter sur Kiev ! Tu sais c’ qui va s’passer ? L’Occident va faire dans son froc et même la plupart des Ukrainiens accueilleront tes chars, avec de petits drapeaux ! Ils salueront le retour de l’ordre, du maître… et toi, de ton côté, tu restaures le dernier empire colonial, à savoir l’URSS ! Le bonne camaraderie communiste de nouveau dans les foyers ! » Et ce con de Poutine a marché comme un seul homme ! Le plus difficile, ça a été d’ le retenir ! Je lâchais ses bretelles et il passait par la fenêtre ! Quel con ! »

          Le singe semble lui-même éclater de rire, il se tape les côtes, pendant que la domination accède à la paille de son cocktail ! Elle reprend son journal : « Trump, les nationalistes, même les imbéciles comme Mélenchon, je les manipule comme je veux ! Ce sont mes marionnettes ! Eh ! Mais attention ! Toujours invisible, bibi ! J’ suis le meilleur… et c’est pour ça qu’on m’engage et qu’on m’ paie ! Tiens, mon dernier contrat, la révolution féminine ! »

          Le singe paraît subitement étonné ! « Ah ! Parce que tu crois que c’est uniquement la justice qui sous-tend la révolution féminine ? fait la domination, à l’adresse de son étrange interlocuteur. Mon Dieu, si tu savais ! D’accord, les mâles sont violents et peuvent tuer ! Leurs abus sont innombrables ! Je le sais mieux que personne, car c’est moi leur auteur ! Mais j’ai toujours été aussi derrière la femme ! Si elle avait pu dévorer le mâle, elle l’aurait fait ! C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer ! Écoute-moi bien, il n’y a pas une femme sur deux, au quotidien, qui sache le sens du mot respect ! Pas une sur deux ! Et encore, je dois m’amollir ! »

           Le singe secoue la tête et la domination se demande si c’est pour l’approuver ou la contredire ! Elle décide que l’animal doute et elle rajoute : « De vraies monstres, crois-moi ! La femme entre quelque part et le temps s’arrête ! Tout le monde doit filer doux ! Rien n’existe sauf elle ! J’ suis là derrière et j’ lui dis : « Eh ! Mais y a un type qui résiste, qui ne se sent pas esclave ! Mais crache sur ce va-nu-pieds ! Vire-le-moi à coups de talons ! » Et en même temps j’ lui murmure : « N’oublie pas, bon sang, qu’ t’es une victime dans un monde d’hommes ! La patriarcat a assez duré ! Va ma grande, libère-toi, j’ te couvre ! T’as pas d’âme ? Mais l’homme non plus ! Vous êtes de belles salopes, de belles ordures tous les deux, mais c’est ton tour ! Alors haut les cœurs ! » Et hop, on lapide en public ! On cherche une corde et l’arbre pour pendre un tel et un tel ! Et comme la lâcheté est prompte à renverser les idoles d’hier ! Le vent a tourné ! Pesetas ! Pesetas ! Pouvoir ! Pouvoir ! Et à moi, la belle vie ! »

           Le singe ricane et saute sur une table, pour s’emparer de cacahuètes ! Il en apporte quelques unes à la domination : « Merci, t’es un chou ! dit-elle. Ah, c’ qu’on est bien ici ! De temps en temps, faut faire un break, y a pas ! On revient avec des idées neuves, une nouvelle énergie ! J’ai plein d’ projets, tu sais ! Car le cirque n’est pas prêt d’ s’arrêter ! Et comment le pourrait-il ? Puisque pour me découvrir, savoir qui je suis, il faudrait d’abord se remettre en question soi-même ! Il faudrait s’attaquer à son propre égoïsme, au lieu de désigner des coupables ! Et là, mon vieux, plus personne ! Waterloo, morne plaine ! On veut bien changer les autres, mais soi ? Oh ! Oh ! Ça va pas la tête ! On m’a fait ci ! On m’a fait ça ! Faut qu’ les coupables paient ! On crie à l’injustice, alors qu’on a les mains pleines de sang et qu’on marche sur ceux qu’on a écrasés ! Mais baste, j’ vais pas foutre mon bisness en l’air ! Qui t’ nourrirait en c’ cas ? »

                                                                                                              74

           Le soldat Paschic écrit une lettre à la Machine… Il est encore dans sa tranchée, à écouter la « guerre » du monde, car ça tire dans tous les sens ! Ça tue dans tous les sens ! C’est une boucherie sans fin, qui fait douter de tout ! Les plus fourbes, les plus odieux, les plus fous se réclament de la vérité ! Ils la brandissent haut et fort ! L’orgueil et la haine aveuglent totalement ! Les donneurs de leçons sont pleins de rage ! Les redresseurs de torts ne rêvent que de déchirer ! Tout le monde parle de droits, de justice, de raison, de sagesse, la bave aux lèvres, les yeux noirs de colère, ce qui révèle justement la plus complète absence de patience, de compréhension, de maîtrise de soi ! Le mal triomphe toujours ! Il parade et enlève tout espoir !

           La nuit n’en finit pas de s’étendre…, mais le soldat Paschic doit écrire une lettre, car il n’a plus un sou et il a froid ! Il veut donc demander à la Machine une nouvelle paire de chaussettes en laine, bien chaudes et dans laquelle ses pieds se moqueront des rigueurs de l’hiver ! Il s’assied ainsi sur une barrique, avec le papier coiffant l’une de ses cuisses… Il doit essuyer la boue séchée de ses manches, car ici il est difficile de garder quelque chose de propre… Puis, il envoie un nuage de fumée, tirée de sa bouffarde et dit : « Voyons… Je pourrais commencer par : « Chère maman », mais je ne l’aime pas assez pour ça ! Y a tout de même un passif ! Va pour ma chère mère ! Je me préserve un peu, en gardant une certaine distance ! Mais après ? Il est impossible de dire simplement  : « Je voudrais une nouvelle… » Avec elle, on ne doit pas débuter par je, car je la vois déjà répliquer : « Toi ! toi ! Y en a que pour toi ! »

          L’égoïste, c’est moi pour la Machine, c’est comme ça ! On est chez les fous ! Voyons… « Ici, il fait assez froid... » Aïe, si je dis ça, elle va penser que je me plains toujours ! que je lui fais un reproche, que je suppose que c’est à cause d’elle qu’il fait froid ; que c’est elle qui souffle son haleine givrée sur le soleil ! Eh ! C’est que sa paranoïa est une réalité ! On lui en veut ! On lui cherche toujours des poux ! On la rend responsable de tout le malheur du monde, alors qu’elle n’est qu’une oie blanche, dans un océan de boue !

           Alors que dire ? « D’après les spécialistes en météorologie, qui sont là dans nos rangs, la température est tout de même basse pour la saison… » Ouais, ça, ça va… C’est plus objectif, plus doux, plus tempéré et si la Machine s’énerve quand même, c’est pas sur mon dos que ça retombera, mais c’est celui des spécialistes qui prendra !

           Est-ce que je peux parler de chaussettes en laine ? Est-ce que je ne vais pas donner l’impression d’être trop exigeant ? Pourtant, si c’est pas en laine, ce s’ra pas chaud ! Voyons… Et si je disais : « Oui, le synthétique, c’est bien, meilleur marché, mais en même temps rien ne vaut la laine, etc. ! » Hum, elle va me traiter de donneur de leçons ! Elle serait capable de crier : « Halte au pédantisme ! » Me voilà bien embêté !

            Et si j’ noyais un peu l’ poisson ? Par exemple, j’écris : « La laine est certes plus chère, mais elle dure plus longtemps, à cause de la qualité... » Dans c’ cas, j’ l’entends déjà : « Tu m’ prends vraiment pour une idiote ! Tu t’ fous d’ ma gueule ! » J’ suis coincé ! La Machine, c’est passer la frontière suisse mal rasé ! Tout le véhicule va être examiné ! Rien ne sera laissé au hasard ! On a le temps !

            Bon, j’ai pas le choix, je dois quand même dire que je veux une paire de chaussettes en laine et : « Bien monsieur ! dira la Machine. On est tous au service de monsieur ! On est tous ses esclaves ! Etc. ! » Y a pas d’sortie de toute façon !

            Attention, je mets le timbre ! Il doit être bien droit, sinon on pourra m’ voir comme un débile, un je-m’en-foutiste ! Voilà ! L’adresse, autre écueil ! Il faut pas seulement madame la Machine, mais aussi son prénom ! Faut montrer du respect et peut-être de l’affection ! Désolé, on n’a pas ça en stock ! C’est fini, c’est épuisé !

           Un morceau de scotch est nécessaire pour coller l’enveloppe ! Dame, mouiller la colle ne suffit pas ! D’après la Machine, sa haute position est à même de provoquer quelque acte malveillant ! Le facteur ou n’importe quel quidam seraient tentés d’ouvrir la lettre et d’accéder à de lourds secrets, d’où nuisance, chantage, etc. !

           On n’est pas à l’abri et donc prudence ! Mais enfin ça y est ! La lettre se tient ! Elle est assez précise, sans être exigeante ! Elle prend en compte la Machine et ses possibles difficultés économiques ! Elle est le fait de quelqu’un de responsable ! Bien sûr, elle ne satisfera pas la Machine, mais elle ne déchaînera pas non plus sa colère… et c’est ce qui compte !

           Paschic se sent subitement triste, vide… Il a été comme irradié par la Machine… Il ne peut plus être simple, joyeux et confiant ! Il paye la folie de la Machine, son épouvantable orgueil !

                                                                                                               75

            Au fond, la Machine est restée cette petite fille gâtée, qui court vers son père ou un grand frère, dès qu’elle est dépassée, que la réalité lui fait peur, pour qu’elle retrouve la sécurité et recommence à faire la jolie ! La grande affaire de la Machine a toujours été l’admiration qu’on lui voue ! Elle doit être le centre d’intérêt et elle est prête à tout pour ça, d’où son appel à Tautonus, quand il s’agit de faire taire Rank !

            La Machine vit dans son petit monde paranoïaque et même sadique ! Qu’elle soit protégée des agressions extérieures, par Tautonus, a justement empêché son développement, sa maturité ! La petite fille maniaque danse dans le corps de la Machine, y continue ses mines, y prolonge ses phantasmes !

          Évidemment, l’argent et la notoriété de Tautonus lui assure une cour, qui plie l’échine devant elle, qui lui est servile et qui l’enfume, dans l’espérance d’en profiter ! Ainsi va la société, sans vérité, se payant de mots, ce qui la conduit inévitablement au chaos et à la crise ! La Machine, petite fille attardée, en mène des dizaines à la catastrophe, car nos vies passent comme un songe et que fera la Machine devant Dieu ?

          Elle ne le connaît pas et n’a même pas cherché à le faire ! Le but de la Machine a été la Machine, point final ! Elle a vécu comme dans un camp retranché, où des admirateurs ont poursuivi son adolescence ! Des milliers d’esclaves sont morts pour servir le plaisir de la Machine ! Pour une goutte d’admiration, elle a épuisé des caravanes entières, crevé des tas de chameaux, vidé des puits, asséché des oasis !

          Elle a répandu la terreur, brûlé des villages, laissé des enfants en pleurs, afin qu’elle-même puisse ne plus avoir peur, croire à son importance et que les autres sont forcément inférieurs ! Il en faut des choses aux tyrans ! Pour qu’ils restent des ados, toute la planète doit trembler, se mettre au pas, et ce sont des massacres, des charniers, des abominations, des larmes, des tragédies ! Peu importe du moment que le tyran et ceux qui en profitent respirent !

          « Aimez-vous les uns les autres », rien à voir avec la Machine ! C’est pas son problème ! D’ailleurs, un jeune peintre vient la voir, pour lui présenter ses hommages et lui offrir une de ses toiles ! Motif ? La Machine pourra peut-être faire quelque chose pour le peintre, lui trouver une salle d’expo par exemple ! Dialogues :

          « Oh ! Madame la Machine, comme vous êtes magnifique et si connue ! Je vous ai apporté une de mes peintures, car je suis sûr de votre goût ! J’espère qu’elle vous plaira, même si je sais que vos yeux divins sont habitués à contempler bien plus que mon modeste travail !

     _ Oh ! Le charmeur ! Oh ! Le filou ! Mais il ne fallait pas ! Je ne suis qu’une pauvre servante du Seigneur et qui a beaucoup de soucis, dans ce monde si malheureux ! Mais je suis enchanté de votre cadeau, quoique vous éprouviez ma modestie !

    _ On m’avait prévenu de votre grand cœur ! C’est bien simple, on m’a dit : « C’est une dame et quelle dame ! »

    _ Hi ! Hi ! Non vraiment, c’est trop ! Arrêtez donc ! Fi ! »

           Au final, la Machine, attiédie dans son cocon, se lâche : « Jésus ? Un incapable, un raté, un loser ! Avec moi, il serait devenu maire de Bethléem et même de Jérusalem !

    _ Sans doute... »

           La Machine crache et un crachoir vingt mètres plus loin tinte ! Le jeune peintre prend peur, mais il ne veut pas déplaire à la Machine ! « Et comment vont vos enfants ? demande-t-il subitement.

    _ Bien, bien, ils sont grands maintenant, sauf un : Rank ! Celui-là suce toujours son pouce ! Une vraie plaie ! Immature ! Mais j’imagine que chaque mère a sa croix à porter ! Marie, par exemple, quand elle a vu que son fils n’avait aucune ambition ! Aimer Dieu, le Père, pfff ! C’est réussir qu’il faut faire, s’imposer, régner sur la ville ! A bas les fiottes !

    _ Bien sûr… Bon, ben, va falloir que j’y aille…

    _ Encore une tasse de thé, une part de gâteau ? Je connais quelqu’un qui pourrait vous aider…

    _ Eh ben, une autre petite tasse de thé alors…

    _ Eh ben voilà ! J’étais certaine qu’on allait se plaire tous les deux ! »

          Les machines vont et viennent dans leurs bulles, garanties par l’argent et la peur qu’elles inspirent ! Elles n’ouvrent les yeux qu’après la mort !

                                                                                                           76

          En ces temps de fête, la Machine triomphe ! Dans son château, les lumières brillent, les invités sont nombreux, les sourires aussi ! La chair est succulente, les vins fins et le champagne ne va pas tarder à montrer ses bulles ! On déguste la réussite, on regarde en arrière, on boit aux morts avec respect et peu importe au fond que Tautonus ait été usé, trompé, avant d’être terrassé par la peur ! La boue, la douleur, la vérité, ce n’est pas au programme de la fête ! On s’enchante, on se grise, on rit, on grimace ! On se protège, on se caresse, on se rassure, on a raison ! On est philosophe, on ne peut pas aider tout le monde, il faut savoir apprécier, etc. ! On est plein de savoir-vivre et de sagesse !

          Paschic, lui, est seul… D’abord, il voit que le temps est bouché, qu’il fait comme un mur gris et qu’il provoque de l’angoisse ! Chacun est placé devant lui-même et sent ses limites (c’est le dénuement de l’hiver !) Évidemment, les choses ne vont pas assez vite, on voudrait plus d’argent et le soif d’être s’installe ! Il devient impératif d’éprouver une satisfaction et ceux qui ont les moyens peuvent en effet s’étourdir, se faire plaisir, mais les autres ? Les autres deviennent de plus en plus agressifs, méprisants, dangereux, car c’est l’effet de la peur, de l’angoisse ! On s’énerve contre son sort, on essaie de se libérer de toutes les manières, même si on insulte ou écrase ! Le ciel gris tend les consciences, jusqu’à la rupture !

          Paschic remarque que la boulangerie sera même ouverte le dimanche 24, afin qu’on puisse acheter du pain à la dernière minute, alors que les employés dorment déjà debout ! Ironie de l’annonce : elle souhaite une joyeuse fête à tous, mais pas au personnel !

          Paschic est seul et apparemment cela ne tient qu’à lui ! Que n’établit-il pas une relation, une famille, qu’il en profite lui aussi ? Ainsi, il oubliera la Machine, se détendra, relativisera son amertume ! Il fera comme dans les films américains, à bord des paquebots ! Même les pires crapules finissent par tomber dans les bras des bons, en pleurant ! C’est la grande réconciliation du nouvel an ! Nous ne sommes pas des bêtes, que diable !

          Le hic, c’est le mensonge, car, quand il est adopté, il enlève tout espoir ! Approuver le théâtre, c’est s’enlever le pouvoir de dire que la vérité existe ! La joie des machines est superficielle, convenue, fausse et n’est aucunement une vraie source d’espérance ! Mais Paschic encore est fragilisé, il a été bousillé et sa sensibilité est exacerbée, voire maladive ! Il n’est plus doué pour les rapports humains, il les fuit même sans doute…

          Eh, mais il ne peut pas s’inventer un nouvel équilibre comme ça ! Il a besoin de respect pour se consolider, pour retrouver la confiance et que la dépression disparaisse ! La balle n’est pas seulement dans son camp : tant que les machines restent des machines, Paschic ne trouvera pas sa place ! Il faut quand même entendre son message, le comprendre… Celui qui crie dans le désert, même s’il a pour lui-même des solutions, espère que les autres un jour changeront et qu’on lui fera bon accueil, car il en va du bonheur de chacun !

           C’est la situation générale qui est en jeu et malheureusement nous n’évoluons que très lentement ! Les machines sont infiniment plus nombreuses que les Paschic ! Elles ont l’illusion que le mal n’est pas en elles, mais dans des coupables ! Il faut un temps incommensurable pour leur montrer le contraire ! Il faut vaincre leur haine, la désarmer ! Chacun veut du respect, mais le demande d’abord tel un chien enragé !

           Les Paschic sont forts ! Ils n’aboient pas, ils restent calmes ! Même quand ils souffrent, ils s’efforcent de garder leur lucidité ! L’orgueil ne les aveugle pas, car les Paschic abandonne la domination ! Ce n’est pas leur affaire, leur passion, leur inquiétude ! Les Paschic s’efforcent d’aimer, quelles que soient les circonstances ! Ils détestent le mal, mais ne jugent pas !

           Les machines sont promptes à la haine, montées sur leurs ergots, même au nom du bien ou de la justice ! Les machines sont faibles, entièrement dépendantes de leur domination, absolument à cheval sur leur amour-propre, d’où leur agitation, leur énervement !

           Les Paschic mendient discrètement du respect... Les machines le réclament en tapant du poing sur la table ! Elles imposent leur vérité ! Les Paschic font aimer la leur ! Ils ont l’air idiots et naïfs aux yeux des machines !

           Celles-ci bossent, sont responsables, s’élèvent dans la société ! Les Paschic attendent, luttent contre leur propre égoïsme, travaillent vraiment ! Les machines rugissent, piétinent, tourmentent ! On ne comprend pas les Paschic, mais ils sourient et font du bien ! Les machines disparaissent rapidement, avalées par le temps ! Les Paschic ne sont pas surpris par la mort, ils rentrent à la maison !

  • Rank (62-67)

    R11

     

                   _"Quand j'aurais récupéré la carte, moi, Lucifer, je pourrais me venger de ce Dieu débile!

                   _ Mais, maître, Dieu ne peut pas être aussi mauvais, puisqu'il vous a créé!

                   _ Qu'est-ce que tu as dit?"

                                                                             Bandits, bandits

     

                                                            62

          Les temps sont noirs ! La Machine a pris la direction du Comité de salut public féminin et les accusations pleuvent ! On organise les plaintes, vraies ou fausses, on repère des cibles, qu’on fait tomber ! On sape la domination masculine sur tous les fronts ! On arrête, on condamne, on mène à l’échafaud ! Le soupçon plane sur la ville, nul n’est à l’abri ! Qui triomphe et chante aujourd’hui est traîné dans la boue et oublié demain ! Ce que femme veut, Dieu le veut ! La moindre petite fumée se transforme en un gigantesque brasier !

          La délation fonctionne ! Les sous-comités recueillent les renseignements, toutes les frustrations : pensez, plus de cinq mille ans (il faut bien donner un chiffre!) de domination masculine, sous le joug de l’homme, pour rien, d’une manière inexplicable, seulement à cause de la force physique, de la brute, du féminicide, du viol ! Mort aux tyrans ! Mort aux tyrans ! Que de justice à rattraper ! On fait chuter l’idole et on la déchire ! On la dépèce sur la scène publique ! Le moindre soupçon et c’est fini !

          Le Comité agit principalement dans l’ombre ! Ses antennes sont partout, ses chausse-trappes aussi ! La femme déçue se frotte les mains : elle a droit à une deuxième chance ! Elle avait parié sur le mauvais cheval, pour atteindre les sommets, elle va pouvoir se rembourser pécuniairement, mais surtout dans son amour-propre ! Elle avait espéré, calculé, on lui avait promis, elle s’était donnée et elle s’est retrouvée sur le bord de la route, larguée ! La voiture de secours arrive, on va pouvoir poursuivre l’égoïste, le profiteur !

          On raconte éperdue qu’on a été victime d’un courant d’air, qu’on était sous emprise, fragile, naïve, innocente ! Une main a été levée ! A quelle date ? Le 23…, non, non, excusez-moi, le 24 ! On invente de nouvelles maladies, aux noms anglo-saxons ! Elles n’ont qu’un sexe, le masculin ! Il n’y a pas de femmes perverses narcissiques ou paranoïaques, que des hommes ! La femme, cet être pur, n’est qu’une victime manipulée, abusée ! La Machine rigole ! Elle le savait que Rank était un beau fumier ! L’heure de la vengeance a sonné !

          « Dites donc, l’abbé..., fait la Machine.

    _ Hmmm, répond vaguement l’abbé Convention, tout à son gâteau et son thé.

    _ Rank a un secret sur moi… et je ne voudrais pas qu’il le divulgue ! Cela pourrait profiter à nos ennemis !

    _ Humph ! Quel secret ? Humph…

    _ Eh bien, c’est assez gênant, mais Rank pourrait éventuellement dire que je ne suis pas ce que je prétends être…, que je suis une méchante, ou pire encore ! Vous savez combien Rank est dérangé !

    _ Moi, j’ me chargerais bien d’ Rank, s’écrie Bona, présente elle aussi à cette petite réunion informelle. J’ vous le ramène pieds et poings liés et là j’ lui fais rentrer dans l’ crâne combien vous êtes une femme formidable, fantastique, exceptionnelle !

    _ Merci Bona, mais pour l’instant, c’est à l’abbé que je parle…

    _ Oh ! Mais de toute façon, répond l’abbé, Rank vous doit obéissance ! C’est l’une des règles les plus sacrées de la religion !

    _ Comme j’aime à vous l’entendre dire, l’abbé ! En effet, Rank me doit tout, il est ma chose ! Et pourtant, s’il venait à raconter certains faits, sous un certain angle disons, il s’rait sans doute à même de me mettre dans l’embarras ! La révolution féminine elle-même serait touchée ! Nous ne serions plus des victimes innocentes, mais également des bourreaux !

    _ Comment ? Comment Rank oserait-il vous salir ? s’insurge Bona. Vous êtes divine, magnifique, sans pareille ! Rank est un mufle, un ingrat, un sournois, un… rat ! que j’écraserai volontiers ! Couic !

    _ Merci encore Bona, mais maintenant je voudrais que tu la fermes ! J’ai besoin de la caution de l’abbé, pour parer les attaques de Rank ! On ne l’arrêtera pas avec des mots doux, c’est un fanatique !

    _ Vous voulez ma caution ? Mais vous l’avez, ma chère madame ! Qu’est-ce le poids d’un fils, par rapport à celui de sa mère, sur la balance de Dieu ! Vous êtes devoirs, responsabilités et sacrifices ! Un amour infini coule dans vos veines ! Tandis que Rank, cet amoureux des Majorettes ! ce chef de chantier de chez Lego…

    _ Encore un peu de gâteau, monsieur l’abbé ?

    _ Volontiers, merci ! Quant à vos péchés, car je vois une ombre de culpabilité sur votre visage, je pourrais vous rassurer dans un confessionnal ! Dès demain, si vous voulez !

    _ Cela me fait chaud au cœur d’être soutenue ! Cette époque est pleine d’avenir pour la femme et je tiens à y participer pleinement !

    _ Bien sûr ! rajoute Bona. Gloire à notre nouvelle héroïne ! »

                                                                                                                     63

          Paschic est au milieu de la caserne et il essuie la colère de la Machine ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça, soldat Paschic ? des traces d’œufs sur votre uniforme ? Montre-moi tes mains ! Elle ne sont pas propres ! C’est comme tes cheveux, ils n’ont pas la coupe réglementaire ! Ton baraquement également est sale ! Le lit est mal fait, l’armoire en désordre ! Ici, ce n’est même pas balayé ! Tu as laissé une serviette humide dans la salles de bains… Quand c’est comme ça, il faut en mettre une sèche pour celui qui arrive ! Les toilettes, tu ne les aères pas suffisamment après ton passage, ce qui fait que les autres doivent supporter tes mauvaises odeurs ! Par ailleurs, j’ai rencontré ton prof d’anglais, il m’a dit que tu n’en faisais pas assez, que tu t’ la coulais douce ! Tous tes profs sont unanimes : tu te laisses aller, tu fais ce que tu veux, comme ici ! Tout le monde doit être au service de monsieur, car seul monsieur compte ! Tu prends vraiment les autres pour des cons !

    _ Je t’assure que non !

    _ Silence soldat Paschic ! Nous avons les preuves de votre trahison ! Tu es allé raconter à tes p’tits copains combien on était dur avec toi, que nous étions sans cœur !

    _ C’est pas vrai !

    _ C’est pas vrai ? Alors, en plus d’être fainéant comme un pou, tu serais un menteur ! Je te l’ai dit que nous avons des preuves ! Tes plaintes sont remontées jusqu’à nous par d’autres parents ! Tu dis partout que tu as une vie de martyr, que nous sommes injustes ! Par là, tu donnes du grain à moudre aux ennemis de Tautonus, tu menaces sa carrière, tu ouvres la porte à l’étranger, tu favorises notre ruine, alors que c’est grâce à nous que tu as un calot, un uniforme, un toit et à manger !

    _ Mais je n’ai pas dit du mal de….

    _ Silence soldat Paschic ! Vous êtes coupable de haute trahison ! Vos dénégations n’y changeront rien ! Par conséquent, soldat Paschic vous êtes dégradé ! mis au banc de l’armée, jusqu’à ce qu’elle juge que votre attitude a changé ! Il est impensable que vous ne soyez pas rempli de gratitude ! »

           Il y a un roulement de tambours et la Machine arrache violemment les maigres galons de Paschic ! Puis, elle lui prend son sabre de bois et le brise en deux ! Paschic se tient dignement sous l’oeil des quelques spectateurs… Cependant, il tient à déclarer : «  Si j’ai pu me plaindre auprès d’autres, c’est par désespoir… Je… je penses que tu es injuste…

    _ Qu’est-ce qu’un minable comme toi peut savoir de ce qui est juste ou injuste ?

    _ Voilà, c’est ton mépris qui est injuste !

    _ Mais j’arrêterai de te mépriser, quand tu seras à la hauteur ! Tu auras droit au statut d’adulte, quand tu seras moins égoïste ! Car à quoi penses-tu sinon à tes plaisirs !

    _ Mais toi aussi, tu penses à tes plaisirs ! Prendre plaisir, c’est bien laisser aller sa colère, son mépris ou sa haine ! C’est satisfaire son ego ! Autrement plus difficile est de se réfréner, de prendre sur soi ! Et c’est ce que j’apprends chaque jour, moi !

    _ Comment ? Mais comment tu m’ parles ! Ce n’est pas possible ! Mais tu répliques ? C’est… c’est… TAUTONUS ! »

           La Machine vient de hurler et Tautonus accourt ! En une seconde, il a compris la situation et il renverse Paschic, puis le bourre de coups par terre ! Paschic n’est plus que douleur et il ne bouge plus ! La Machine alors s’adresse à la cantonade et son message vaut bien sûr en premier lieu pour Paschic : « Nous venons tous d’être les témoins d’événements extrêmement graves ! A la haute trahison, Paschic a rajouté la rébellion ! Vous êtes chauffés, nourris, blanchis et la moindre des choses que l’on attend de vous, c’est de la reconnaissance ! Comme vous le savez, la carrière de Tautonus est difficile ! Tout peut s’écrouler demain ! Il nous faut donc nous serrer les coudes, nous montrer solidaires ! C’est ce que ne comprend pas apparemment le soldat Paschic… et il en subit les conséquences ! Ne m’obligez pas à vous soumettre le même traitement ! Au contraire, que l’exemple de Paschic vous soit odieux ! Ce s’ra tout… Rompez ! »

           Il se met à pleuvoir et le soldat Paschic reste seul et couché sur le sol… Ce sont des gouttes ou des larmes qui coulent de ses yeux ? Où est-il ? Qu’est-ce que c’est que ce monde ? Il va falloir qu’il se remette debout ! qu’il ne crève pas de toute l’amertume qui est en lui ! qu’il rentre toute sa haine, toute sa colère ! Certains le voient déjà vieux, comment pourrait-il en être autrement ? Dans son logement, la Machine se croit insultée, être la victime d’un monde d’hommes ! Tautonus lui répond qu’elle a tout à fait raison, car il pense à la stratégie du lendemain !

                                                                                                                     64

          La Machine descend dans sa salle de tortures… Elle est préoccupée… Tout la déçoit, l’exaspère… D’abord, on ne peut compter sur personne ! Tautonus est un homme et donc bête ! Mon Dieu, il faut tout lui expliquer ! et quelle naïveté ! Il croit que ses amis ne vont pas le trahir, lui planter un couteau dans le dos ! Comme s’ils ne voulaient pas eux-mêmes le pouvoir et qu’ils n’attendaient pas dans l’ombre leur tour ! "La politique, c’est un tas d’ fumier, avec des rats d’dans ! Tautonus est comme un enfant et je dois lui apprendre à trancher les gorges, avant qu’on découpe la sienne !"

           Ainsi vont les pensées de la Machine, sur les marches boueuses et glissantes de sa prison ! « Bon qu’est-ce qu’on a ici ? fait-elle intérieurement. Alors, bourreau, du nouveau ? Fait un peu froid chez vous, mais j’imagine qu’un peu d’exercice permet de s’ réchauffer , hein ?

    _ Bien le bonjour, madame ! répond le bourreau, un homme bedonnant. Effectivement, c’est fort humide par ici, mais j’ai mon brasero et je profite de sa chaleur, avant d’aller marquer au fer ! Non, c’est le peu d’éclairage qui est mon principal souci : ma vue baisse, hélas !

    _ Ah çà, bourreau, on n’ rajeunit pas ! C’est pas dans l’ programme et il faut faire avec ! Mais on n’est pas des chiffes molles, que diable ! Alors, comment va notre... patient ?

    _ Difficile à dire ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi têtu ! Il refuse toujours d’admettre que vous êtes merveilleuse, extraordinaire ! la mère éternelle et incomparable !

    _ Comment ? Il ne plie pas ? Il résiste encore à mon autorité ? Pourtant, il n’est qu’une ombre dans mon univers ! un ciron ! Je ne comprends pas !

    _ Moi non plus ! J’ai travaillé le bonhomme avec tout mon art ! C’est bien simple, il n’a plus d’ongles ! J’ai entendu craquer chacun d’ ses os ! Il a bu tellement d’eau que c’est moi qui ai fini par être fatigué ! Eh bien, il refuse toujours de signer le papier !

    _ Vous lui avez bien dit ce qu’il allait gagner, en l’ signant ?

    _ Bien sûr ! Je lui ai répété mot pour mot votre raisonnement ! Entre deux frottements au sel, sur ses chairs vives, j’étais là : « Pourquoi s’obstiner monsieur Rank ? La Machine, je veux dire vot’ mère, a raison ! La Révolution féminine est en marche et il faut bien entendu surfer d’ssus pour réussir ! La femme est une victime ! Voilà, monsieur Rank, c’est pas plus compliqué qu’ ça ! Elle est une victime de ses devoirs, des diktats masculins et elle veut naturellement être libre, s’échapper de la triste prison que constitue souvent sa famille » ! « Vive la femme ! » ai je crié d’enthousiasme !

    _ Mais c’est parfait tout ça ! Et vous n’avez pas obtenu de résultats !

    _ Un vrai cœur de pierre, madame ! En cinquante ans d’ carrière, j’en ai pourtant vu, mais là rien ! pas une once de sensibilité ! un monstre ! J’avais sa langue dans la tenaille, prêt à la lâcher au moindre mieux et j’ai rajouté : « Mais nom de Dieu, la vie facile, l’aisance, voire la célébrité te tendent les mains, pauvre couillon ! Suffit d’ signer le papier, d’ surfer sur la Révolution fé… minine ! La femme est une victime ! Et j’ai serré, serré !

    _ Pas trop quand même… ?

    _ Ah, j’étais hors de moi !

    _ C’est aussi l’effet qu’il me fait ! Mais comment est-il maintenant ?

    _ J’ crois qu’il boude !

    _ C’est vrai ? Il boude ?

    _ En tout cas, il bouge plus !

    _ Quel gamin !

    _ Vous savez, cette obstination à ne pas vouloir vous admirer, alors que vous vous sacrifiez pour le bonheur de votre famille, elle n’est pas normale ! C’est l’œuvre du diable !

    _ Allons, bourreau, tu perds la tête ! Te voilà superstitieux ! Il est inconscient ? On ne peut pas le réveiller ?

    _ Voyez vous-même ! »

    Rank est inanimé sur une planche... Ses bras tombent et il est d’une maigreur extrême… « Je suis déçue, dit la Machine, j’ai besoin de compliments, de sentir mon pouvoir ! J’ suis accro !

    _ La vie n’est pas toujours rose ! 

    _ Non, mais il y a des moments où j’ai envie de tout laisser tomber, d’aller voir ailleurs !

    _ C’est bien compréhensible, quand on donne autant qu’ vous ! 

    _ Bon, faut que j’ me sauve ! Les magasins à faire ! C’est Noël, ne l’oubliez pas !

    _ Encore une corvée ! »

                                                                                                                      65

          La Machine est à l’agonie, dolente et elle se plaint à l’abbé Convention, qui l’assiste en ces derniers instants ! « Aaaaatcha ! Aaaatchi ! fait la Machine. Snif ! Voilà la triste fin d’une vie d’ labeur !

    _ Certes ! Certes ! Mais pensez à la félicité qui vous attend ! La récompense est là derrière ! N’en doutez pas ! Tenez, je vous envie ! Car pour vous, ce s’ra direct ! Vous allez vous présenter devant le Créateur, avec sur le front la violence faite aux femmes ! Quel meilleur viatique ? « Heureux celles qui ont souffert en mon nom ! »

    _ Ouais, ouais… J’ai quand même quelques regrets ! Rank, par exemple, il m’a échappé, pfffuit ! Le seul qui a réussi à s’enfuir ! Ça me rend malade !

    _ Allons, allons ! Vous vous faites du mal !

    _ Aaatacha ! Aaaatchi !

    _ Vous voyez ! Détendez-vous ! Je puis vous assurer que les snipers du Ciel, ils ne vont pas l’ louper, vot’ Rank ! Bang ! Bang ! Je vois d’ici sa tête sauter comme une pastèque trop mûre ! J’ai une totale confiance en la colère divine !

    _ Oui, oui, évidemment, mais ça reste un échec, une épine dans l’ talon ! Pourtant, mon plan était parfait ! Mon personnage devait resplendir ! Imaginez l’abbé tous ces petits enfants, tous ces parents qui viennent me rendre hommage, à moi la doyenne ! On vient baiser mon anneau et je bénis tout ce beau monde ! Je suis un modèle pour tous et particulièrement pour les femmes !

    _ Attention au péché d’orgueil ! Ah ! Ah !

    _ Aaaaachouf, aaatcha ! Snif ! Je n’ai jamais perdu d’ vue mon rang, l’abbé ! Mais, au milieu des fleurs et des cadeaux, je vois des sourires malfaisants, qui ont l’air de dire : « Mais où est Rank ? Pourquoi n’est-il pas là ? La Machine ne l’a pas possédé ! Il détient quelque lourd secret ! Demandons à la Machine pourquoi n’est-elle pas toute puissante ! Voyons son embarras, sa honte ! »

    _ Allez, allez, les gens ne sont pas comme ça, surtout dans votre famille, où chacun sûrement veut votre bien !

    _ Quel naïf, vous faites l’abbé ! On voit bien que vous êtes un homme d’église, que vous avez un message à transmettre, mais que vous ne connaissez pas le monde ! Au vrai, mes proches s’enchantent de me voir diminuée et ils souhaitent ma fin, car sans le dire ils me haïssent ! Pensez, depuis leur naissance, je les tiens par la peur ! Ils ont chacun des blessures enfouies, qu’ils n’osent pas me faire payer, mais ils savent que l’exemple de Rank me fragilise et ils en profitent ! Aaaachatc, chtti, chtac ! Oh ! Mon dos ! Aaaah

    _ Tout ce que vous me dites est bien troublant… Voulez-vous que je redresse votre oreiller ? Voilà, vous s’rez mieux… « Aimez ceux qui vous haïssent ! », vous vous rappelez ?

    _ L’heure n’est plus au mensonge, l’abbé ! Comment voulez-vous que je puisse aimer cette petite ordure de Rank ? Il m’a défié et ridiculisé ! Tenez, passez-moi le coffret qui est là derrière vous… Merci !

    _ Qu’est-ce que c’est ?

    _ Un P 38 spécial police ! avec des balles de 9 mm, ça fait des trous gros comme le poing ! Le type ajouré s’arrête net ! Je l’avais acheté pour me protéger des malotrus, dans le sillage de MeToo ! Je ne supporte pas qu’on m’emmerde en réalité ! J’ai des vapeurs, des palpitations dès qu’on m’ contrarie ! C’est plus fort que moi, c’est médical ! Bref, Rank voulait du respect, j’étais prête à lui offrir du plomb !

    _ Mais qu’est-ce que vous voulez faire avec cette arme ?

    _ Je voudrais que terminiez mon œuvre ! que vous apportiez la dernière touche au tableau ! Je pourrais m’en aller soulagée !

    _ Je… je ne comprends toujours pas…

    _ C’est simple, je vous demande de descendre Rank, de l’effacer définitivement, de sorte que même il me devance dans la paix éternelle !

    _ Mais… mais je ne pourrais pas ! Ce s’rait une abomination aux yeux de Dieu !

    _ En êtes-vous vraiment sûr ? Rank est de la pire espèce ! Comment peut-on considérer un enfant qui manque de respect à sa mère ? N’est-ce pas une créature du diable ? Ne rendriez-vous pas service à l’humanité, en nous débarrassant du mal ? Je vois d’ici Dieu se frottant les mains, dans le sang, ravi de voir anéanti un mécréant ! Vous savez combien il a fort à faire !

    _ C’est que…

    _ C’est un service personnel que je vous demande l’abbé… Je crois que vous avez une sœur, que vous aimez beaucoup… Il serait évidemment dommage qu’il lui arrive malheur ! Aaaatcha ! Tchi ! »

                                                                                                                 66

          La Machine prépare un spectacle, dont elle sera la vedette bien entendu ! « Non, non, je veux plus de rideau ! Plus de rouge ! Et les lumières là-haut, c’est quoi ? Des pets de lucioles ! Il faut que ça gicle, qu’on en prenne plein la poire ! Les anges, là, y en a combien ?

    _ Deux cents ! répond Tautonus qui est aux petits soins avec la Machine : il vient en effet de gagner une élection et il tient à montrer sa gratitude.

    _ C’est pas mal, mais leurs ailes sont trop petites ! Il faut revoir ça !

    _ On n’ vas tout de même pas refaire deux cents costumes ! s’exclame un participant.

    _ Et pourquoi pas ? réplique la Machine. On ne réussira pas, si on lésine !

    _ Mais…

    _ Mais quoi ? demande Tautonus, en montrant ses muscles.

    _ Bon on va répéter les enfants ! crie la Machine tout le monde en place ! Où est mon texte ? Ah ! Voilà ! »

         Tout autour on se précipite pour son rôle, tandis que la Machine commence à chanter d’une voix forte : « O moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! Je me tourne vers le dieu vengeur ! Je lui demande la justice et la paix sur Terre ! Qu’une auréole nouvelle descende sur la femme ! Qu’un joyau de lumière ceigne son front ! Que son épée, d’acier froid, coupe la tête du mâle cochon ! »

          Le chœur des anges, alors que des flocons tombent et que des cloches carillonnent : « Que viennent nous délivrer la douce femme ! Que son sourire nous emmaillote ! Allons porter la bonne nouvelle ! La domination masculine est terminée, vive la féminine ! Enfant mal aimé, chante ton allégresse ! En fuite est l’ogre masculin ! Agenouillons-nous devant la sainte, la pure ! La joie déborde de nos cœurs, car la Machine s’avance sous l’œil de Dieu ! Elle est l’élue ! »

          La Machine reprend : « Ô moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! J’apporte l’espoir à la victime ! Je ne suis qu’amour ! Je n’ai pas d’ambitions et mon égoïsme n’a jamais existé ! La modestie est ma parure ! Nul ne peut me faire de reproches ! Je suis l’agnelle sous le couteau de l’homme ! Je m’offre en sacrifices ! »

           Elle s’interrompt brusquement : « Mais qu’est-ce c’est que ce bazar ! » Deux hommes, tenant une planche, la regardent interloqués ! « C’est quoi c’est deux débiles, qui osent nous interrompre !

    _ Excusez-nous, m’dame, fait l’un d’eux, mais on doit monter le décor et…

    _ Et vous n’avez aucun respect pour l’artiste ! C’est vot’ gueule qui doit passer en premier !

    _ Ben, nous, on peut pas laisser les planches comme ça… Elles pourraient s’abîmer, ou pire causer un accident…

    _ Et bien entendu je dois en pâtir ! Comme si vous ne le faisiez pas exprès ! Je suis sûr que ça vous amuse au fond ! Vous vous croyez des caïds, pas vrai !

    _ Ben, nous, on est payé au Smic…, alors on peut pas être vraiment des caïds, m’dame !

    _ Et vous êtes encore là ? Et comme ils traînent ! Et comme il faut les supporter ! On s’ra jamais prêt ! Ah ! C’est mon manteau d’impératrice ? Vous avez rajouté de la fourrure, comme je l’avais demandé ? »

            A cet instant, Tautonus s’approche de la Machine, pour lui dire : « C’est Rank, il s’est coupé le doigt et il demande si on peut acheter de nouveaux pansements, car ceux qui sont là sont trop grands d’après lui…

    _ Bon sang, mais on va pas quand même pas obéir aux quatre volontés d’ chacun ! Rank est en train d’ nous bouffer, j’ t’assure ! Y en a qu’ pour lui ! Il faut qu’il apprenne qu’il n’est pas le centre du monde !

    _ Très bien, je vais lui dire…

    _ Qu’il se débrouille avec les anciens pansements ! Voilà une attitude viril ! Te laisse pas avoir, Tautonus ! Rank est un sournois ! Derrière son petit sourire, il cherche à nous diviser !

    _ Bon, bon…

    _ Ouh ! On va p’ t-être reprendre la répète ! si les uns et les autres daignent calmer leur égoïsme ! Une chose est sûre : je ne peux pas être au four et au moulin ! Bon, les anges vous m’entourez… La lumière là-haut, vous braquez sur moi ! La musique gronde ! J’entonne le deuxième couplet : « Ô moi, la femme ! Ô moi, l’opprimée ! » 

    Le chœur : « Souriez victimes, la Machine arrive ! Annoncez la bonne nouvelle ! L’agnelle pourfend l’homme méchant ! Les temps généreux commencent ! »

    La Machine : « Un, deux, trois, tous avec moi, c’est la joie ! »

                                                                                                                      67

          Le convoi s’annonce au bruit de ses sabots ! Des dizaines d’hommes apparaissent, avec la même tenue passée et grossière ! Les regards sont las et tristes, d’autant qu’on défile entre des maisons boueuses et les injures des passants ! « Halte ! » crie l’officier à cheval et le bruit des sabots s’arrêtent, ainsi que le cliquetis des chaînes, car chaque prisonnier a un collier au cou ! Que se passe-t-il ? On doit prendre du courrier et des gardiens en uniforme bleu, le fusil en bandoulière, se pressent sous le ciel gris !

          Puis, on repart : direction le port et le bagne ! Qui sont-ils ces forçats ? Des assassins, des violeurs, des voleurs, des comploteurs, des traîtres ? Non, ce sont tous des Paschic ! Ils n’ont pas été chics à l’égard des machines, de leur Machine ! Ils ont dénoncé l’hypocrisie, le mensonge, crié qu’on n’était pas ce que l’on croit, dérangé, scandalisé, de sorte qu’on les a méprisés, rejetés, condamnés à l’exil !

          Inclassables, ils ne conviennent à personne, même pas à ceux qui gueulent tout le temps et qui sont des révoltés de théâtre ! Les Paschics se sont d’abord examinés, combattus eux-mêmes, à la recherche de la vérité, car comment savoir ce qui est juste, si on reste le jouet haineux de son propre égoïsme ! Battus comme l’épée sur l’enclume, leur amour resplendissant est devenu assez ferme, pour résister aux colères affreuses de la Machine !

          Mais, hélas, le système est lâche, les machines trop nombreuses ! L’hypocrisie se défend, elle a trop à perdre et elle est de toute façon à moitié folle ! Les juges n’ont pas hésité et ont prononcé les plus lourdes peines ! Mais soudain une voix lance les premières paroles de la chanson des Paschic et tous les malheureux la reprennent en chœur, se donnant du courage, transformant la marche en un élan sublime !

     

    « Je sais que j’ai raison

    Et qu’ la Machine a tort !

    Du bien nous faisons,

    Quand le reste est retors !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    J’ai subi mille avanies

    Et j’ porte des béquilles !

    J’ai été viré du nid

    Et jamais eu d’ coquille !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    Nous voilà condamnés

    Entre de tristes murs,

    Mais c’est nous qui sommes nés

    Pour être libres et mûrs !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine ! »

  • Rank (57-61)

    Rank9

     

     

                              "Il a dit: "Tantine la gâteuse!

                               _ Tantine la gâteuse? Tiens!"

                                                          Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu...

     

                                                         57

          Dans le car spécial, Rank est en tenue orange, avec les mains attachées aux pieds, par des chaînes et des menottes ! C’est un prisonnier très dangereux et qui va être exécuté ! Derrière lui, trois gardiennes, de jeunes filles, discutent : « Alors toi, tu as dormi avec Laurent, dit l’une, et il s’est rien passé ?

    _ Non, il s’est rien passé ! répond l’autre. Non, mais tu vois Laurent, il me fait : « Regarde, je te touche pas ! Je te touche pas ! Je te respecte ! » Y en a marre !

    _ Oui, il faudrait maintenant tenir Laurent à l’écart ! Car il est toujours là à essayer de séduire, mais, en définitive, il ne fait rien ! On ne peut pas compter sur lui !

    _ Eh bien, moi, j’ai dormi avec Marc ! dit la troisième.

    _ Et il s’est rien passé ?

    _ Non, il s’est rien passé !

    _ Pffff ! »

          Le trio pousse un gros soupir, ce qui fait sourire Rank, car il comprend que ces jeunes filles désespèrent de ne pas perdre leur pucelage ! « Il sera de toute façon toujours trop tôt ! » pense Rank et s’il voit ça le coeur léger, il n’en demeure pas moins que c’est son dernier jour sur Terre ! Mais pour quel crime va-t-il perdre la vie ?

          La Machine est décédée, mais, avant de mourir, elle a laissé un message, une longue lettre, dans laquelle elle accuse Rank de l’avoir harcelée, détruite, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne, minée par l’épuisement et le chagrin ! A l’époque de la Révolution féminine, ces propos ont fait l’effet d’une bombe ! On y a vu un matricide, la pire des monstruosités ! D’ailleurs, les témoins ont été vite nombreux pour affirmer que Rank n’avait en effet pas cessé de tourmenter sa mère, de lui soutirer de l’argent et qu’il l’avait proprement « vidée » de toute substance !

          La presse se déchaîna ! Le patriarcat n’avait pas d’âge ! Ses assassins étaient partout et frappaient même les personnes les plus sacrées ! C’est bien simple, au moment du procès, on dut protéger Rank contre la haine populaire ! On craignait qu’une femme ne fît justice elle-même ! Mais aussi l’indifférence de Rank choqua les jurés : qu’il n’exprimât aucun regret le condamna plus sûrement que la lettre accusatrice ! En ces temps troublés, le verdict fut accueilli avec joie : Rank passerait sur la chaise électrique !

          Le car maintenant quitte la nationale et prend la route qui mène au pénitencier, où aura lieu l’exécution ! Tout autour c’est une étendue désertique, sous un chaud soleil, et bientôt on arrive devant de hauts murs, hérissés de barbelés ! Des gardes dans des miradors surveillent l’entrée, alors que lentement une grande porte glisse, permettant le passage du car ! A l’intérieur, on fait descendre Rank, qui avance péniblement et qui regarde ses jeunes gardiennes s’en aller vers la cafète, en devisant joyeusement ! Ô jeunesse !

          Puis Rank est mené dans une pièce, où on veille à ce que rien ne vienne gêner les électrodes ! On rase Rank aux endroits adéquats, y compris sur le crâne et on le laisse en compagnie de l’abbé Convention quelques instants ! Cela fait partie de la procédure ! « Alors, mon p’tit Rank, fait l’abbé, c’est pas vraiment une surprise que nous nous retrouvions dans ces conditions ! Ne t’ai-je pas maintes fois dit que ton attitude à l’égard de la Machine te conduirait au pire ! Mais nous y voilà, mon p’tit Rank ! Et nous avons juste quelques minutes pour préparer ton âme, en demandant pardon à Dieu et à la Machine !

    _ Mais non, l’abbé, c’est la Machine qui devra me demander pardon !

    _ Comment oses-tu blasphémer à une pareille heure ! Tu risques la damnation !

    _ C’est ce que vous auriez dû dire à la Machine, car, maintenant pour elle, c’est trop tard !

    _ Vade retro satanas ! » s’écrie l’abbé, avant de s’enfuir. 

          Le directeur de la prison, un gros homme à lunettes, vient chercher Rank et dans un long couloir, il précède le condamné encadré par deux gardes ! Rank avance toujours difficilement, mais c’est sans doute une humiliation ! On passe devant des civils, qui ont été invités à l’exécution, et parmi eux, Rank reconnaît Bona, le droïde de la Machine. Il s’arrête devant elle et lui dit : « Tu as un nouveau cou, Bona ?

    _ J’espère que tu vas griller lentement ! réplique le droïde. Ta mère était une femme extraordinaire, fantastique ! »

          Les gardes repoussent Bona et on se remet en marche. Rank est assis sur la « fameuse » chaise, on le branche et on lui envoie le courant ! Rank tressaute et se réveille en sueur : et un cauchemar et un !

                                                                                                                         58

         Le soldat Paschic fume lentement sa pipe, dans son abri de tranchée, en regardant la pluie tomber… Celle-ci plaît particulièrement à Paschic, car son bruit, son insistance semblent former un rideau d’oubli ! Où sont les colères de la Machine, sa paranoïa, son égoïsme forcené, son aveuglement, sa cruauté, sa folie ?

          Ici, Paschic est bien, au calme, en paix ! Il ne pense pas à grand-chose… Il a un livre entre les mains, qu’il quitte, reprend… et toujours ce tambourinement de la pluie, tintant par endroits, par exemple dans une gouttière ; et toutes ces gouttes qui ruissellent, s’amassent, défont et emportent la terre !

          Ce qu’apprécie par-dessus tout Paschic, c’est d’avoir le temps, de le sentir, au point qu’il soit pesant, comme une outre trop pleine sur le point de crever, car Paschic sait que l’attente n’est jamais vaine : quelque chose va venir, un élément nouveau, il suffit juste d’attendre, de savoir attendre, tout le contraire de la Machine, avec ses fureurs et ses appétits telles des vagues de tempête !

          Paschic neurasthénique, dépressif suite à l’écrasement qu’il a subi ? Sans doute… Schizophrène, parce qu’enfoncé jusqu’au tréfonds par le soupçon et la rage de la Machine ? Oui encore, quoique pas au point de ne pas pouvoir être indépendant ! Mais Paschic cabossé, blessé, en miettes, recollant patiemment les morceaux, s’apaisant au prix d’efforts titanesques, gueule fêlée, certainement !

          Paschic, dans son antre, est toujours confronté avec le fantôme de la Machine ! Celui-ci apparaît inopinément, ou plutôt quand Paschic est fatigué, a encore abusé de lui-même ! Mais il y a d’abord une blessure, profonde dans la conscience ! lancinante ! douloureuse ! qu’on peut à peine toucher ! Elle semble une plaie vive, avec des cris, ceux d’un enfant perdu dans la nuit et qui appelle au secours !

          Paschic ne peut pas faire grand-chose pour lui ! Il faut admettre qu’il paye le prix de sa liberté ! Il a fallu qu’il ronge avec les dents le cordon ombilical, celui qui est fait d’affection naturelle pour ses parents ! On ne se retrouve pas seul devant l’Univers avec le sourire ! La peur, le doute terrassent, écrasent, quand les autres continuent à bénéficier du cocon familial, de ses certitudes aussi, de sa domination encore et donc de son égoïsme ! Mais Paschic va trop vite : il fait déjà comme s’il était guéri, or le fantôme de la Machine le hante, il n’en est pas débarrassé !

          Paschic regarde son livre, tire sur sa bouffarde, toujours en écoutant la pluie, et il est tranquille, mais le spectre de la Machine n’est jamais loin ! Il tourne autour de Paschic, s’éloigne, revient, lui murmure à l’oreille ! Que dit-il ? Mais ce que disait la Machine ! Que disait-elle ? Mais que Paschic n’était jamais bon, qu’il était un menteur, un fourbe, un fainéant ! La paranoïa, impossible à satisfaire de la machine, a rendu Paschic entièrement suspect à lui-même, au point qu’il finit par se sentir coupable dès qu’il a du plaisir !

          C’est un empoisonnement, une gangrène : Paschic n’a pas le droit de vivre, selon la Machine, et de fait il est régulièrement contraint de s’assurer de son existence, de se justifier ! Le fantôme rigole ! Il n’a pas raté son coup, malgré les apparences, la fuite de Paschic ! Beaucoup d’ailleurs ont connu le passé de Paschic et sont morts, malades précoces, suicidés, etc. Il faut faire attention… et un peu de chance ! Il faudrait un monument aux morts, avec tous les noms des victimes des machines ! Mais comment confondre celles-ci, obtenir justice ?

          Car pour le coup la Machine va bien, merci ! Elle continue sa vie comme avant ! en racontant partout que Paschic est un monstre d’ingratitude et qu’on s’est saigné pour lui aux quatre veines ! « Tsss, tsss ! font alors les autres machines. Quel dégueulasse ce Paschic ! Peiner sa mère ! Allons n’y pensons plus ! Un jour ou l’autre, Paschic se rendra compte de combien il doit à la Machine ! Et il n’aura plus que les yeux pour pleurer ! Tiens, faisons la fête plutôt ! Réjouissons-nous d’être du côté des bons ! Arrêtons de penser aux égoïstes et aux indifférents ! Ils n’en valent pas la peine et on leur a déjà accordé trop d’attention ! Paschic ne mérite pas la Machine ! »

           « Jamais on n’a dit parole plus vraie ! » songe Paschic, mais il est seul à en saisir tout le sens ! Il soupire, repose son livre et a soudain envie de se venger, de crier sa vérité, car il sait aussi que rentrer sa haine le consume ! Dire tout haut ce qu’il a sur le cœur devrait lui permettre de guérir… et à présent il prend son fusil et sort sous la pluie. Elle lui fait du bien, en rafraîchissant son visage et voilà qu’il escalade la tranchée, qu’il se retrouve sur le champ de bataille et il se met à courir, plein de fureur, de hargne ! Rien ne peut l’arrêter ! Autour des bombes éclatent, des balles sifflent, mais il n’en a cure et il repère la Machine : elle est là en train de tirer et il la retourne, lui arrache son masque et il découvre une morte !

          Il passe outre et reprend sa course ! Là-bas, il y en a d’autres qui semblent courageux et qui ont l’air de combattre, mais Paschic qui les rejoint voit qu’ils ne sont pas différents de la Machine ! A quoi bon continuer ? Il y a mieux à faire et au-dessus de sa tranchée, Paschic plante une pancarte, pour les autres Paschic et qui dit : « La société, c’est des morts qui s’ battent ! »

          La pluie tombe toujours, apaisante, oblivieuse…

                                                                                                                      59

          De nouveau dans le camp du Ciel, l’instructeur dit : « Bon, aujourd’hui, on va voir ce qu’est le travail !

    _ Ah ! Pardon ! s’écrie la Machine. Sur ce sujet, les hommes n’ont rien à dire ! Nous, les femmes, sommes toujours méprisées, nous gagnons moins et pourtant nous travaillons deux fois plus ! Vous voyez le jongleur d’assiettes ? Il en a dix ou douze qu’il fait tourner au sommet de ses bâtons ! Et il passe de l’un à l’autre, pour qu’aucune assiette ne tombe ! Nous, c’est pareil ! L’école, les repas, les lessives, les histoires pour dormir, notre propre carrière, le mari, le sexe, les vacances, etc., etc. ! On n’arrête jamais !

    _ Je vois…

    _ Vous, les hommes, vous êtes comme les bœufs ! Vous tirez la charrue, mais faut vous mettre dans la bonne direction, pas vrai les filles !

    _ Ouuui ! Hi ! Hi ! Rien de plus vrai ! font les femmes du groupe.

    _ Donc toi, la Machine, reprend l’instructeur, tu sais ce qu’est le travail… et c’est pourquoi tu disais à Rank : « On ne fait pas c’ qu’on veut dans la vie ! »

    _ Exactement ! Ma journée était chargée de devoirs ! Ce qui fait que je me demande ce que je fais ici !

    _ Et tu disais encore à Rank : « Moi, aussi, je voudrais m’amuser ! », car tu considérais que Rank s’amusait, mais pas toi ! Toi, tu ne prenais pas de plaisir ! Tu t’occupais des autres seulement !

    _ Dis donc, l’instruc. ! Je te sens hostile tout d’un coup… Qu’est-ce que t’es en train de me dire ? Non, parce que je sais pas si t’as r’marqué, mais instruc., ça rime avec trou d’uc !

    _ C’est vrai, mais on est juste là pour apprendre des choses…, des choses qu’on n’a pas voulu voir sur Terre !

    _ Vas-y, j’ suis parée !

    _ Une fois qu’on a mangé, qu’est-ce qui nous intéresse ?

    _ J’ sais pas, plein de choses !

    _ Exactement ! On peut dire que notre estomac nous préoccupe pour 10 % et que pour les autres 90 % nous sommes essentiellement sentiments ! Donc, quand on parle de travail, on doit surtout considérer notre travail sur nos sentiments !

    _ Ouh là, l’instruc., tu fais le tour du jardin, pour trouver la maison ! Les sentiments, ça on connaît, pas vrai les filles ?

    _ Ouuui ! On est les reines du sentiment !

    _ Parfait ! répond l’instructeur. Donc, la patience, la lutte contre votre égoïsme, le respect de l’autre, l’amour malgré les injures, les avanies, vous maîtrisez ?

    _ Je ne vois pas c’ qu’on peut m’ reprocher ! réplique la Machine.

    _ Tu n’as pas de doutes ?

    _ J’ai toujours fait au mieux !

    _ Et les plaintes de Rank ?

    _ J’ai bien fait d’écraser cette punaise ! Rank n’a jamais rien fait d’ sa vie !

    _ Et si j’ te dis que tu t’es, toi, gobergée toute ta vie ! que tu ne t’es jamais contrainte, mais qu’au contraire tu as continuellement satisfait ton égoïsme, même s’il te fallait piétiner tout le monde ?

    _ Grrr ! »

          La Machine s’élance avec un couteau et l’instructeur l’attend de pied ferme ! Au dernier moment, il esquive et se saisit du bras portant le couteau ! Il le tord, fait tomber l’arme et pratique un étranglement, pour bien immobiliser la Machine, avant de lui murmurer dans l’oreille : « Et tu prétends connaître l’humilité, la patience, l’injustice ? Mais t’as jamais bossé, ma pauvre Machine ! C’est toi qui n’as rien fait d’ ta vie ! »

           L’instructeur libère la Machine et s’adresse au groupe : « Bon, si vous aviez un tant soit peu travaillé sur vos sentiments, sur l’essentiel, sur les 90 % qui vous constituent, vous n’auriez en aucun cas de réactions violentes, dès qu’on vous insulte ou vous malmène ! Vous avez tout le temps préservé votre orgueil, vous l’avez choyé, ce qui fait qu’aujourd’hui il est incapable de supporter la moindre critique ! Il est aussi vif qu’un serpent à sonnettes ! Au contraire, si vous vous étiez efforcé d’aimer, vous seriez même pleins de compréhension à l’égard de vos ennemis ! Vous auriez le cerveau calleux, à force d’ouvrages ! Mais pas d’panique ! On est là pour apprendre, pour se diminuer, s’exercer à la patience, à reconnaître l’autre tel un véritable être humain ! On va peu à peu arrêter d’penser à sa gueule ! Car on ne fait pas c’ qu’on veut dans la vie ! Hein, la machine ? Moi, aussi, j’ voudrais m’amuser, pas vrai la Machine ? Mais j’ai un job ici et on va le faire ! »

                                                                                                                       60

          Toujours dans le camp du Ciel, l’instructeur continue ses leçons : « Bon, dit-il, ce matin on va travailler le b.a.ba, c’est-à-dire qu’on va apprendre que l’autre n’est pas notre esclave ! Je sais que pour la majorité d’entre vous cela semble une évidence, et pourtant dans la pratique vous ignorez complètement ce principe ! Tu sors encore du rang, la Machine… » 

          Des sifflets fusent, car on considère que l’instructeur a trouvé son bouc émissaire et c’est d’ailleurs le sentiment de la Machine, qui s’écrie : « Pourquoi c’est toujours moi qu’on prend ?

    _ Mais c’est sans doute parce que c’est toi qui en a le plus à rattraper !

    _ Va-te… » murmure d’abord la Machine, qui finit par sourire, pour jouer les stars devant les autres !

          L’instructeur s’adresse de nouveau à tout le groupe : « Bon, une situation simple, la queue à la boulangerie ! Alors, votre comportement est d’habitude le suivant : vous êtes dans votre bulle, entièrement mené par votre égoïsme, ou votre domination animale, expression plus savante pour ceux qui savent lire !

    _ Hou ! Hou ! proteste-t-on.

    _ Autrement dit, partout vous vous attendez à ce qu’on vous considère, vous serve immédiatement ! Vous ne comprenez pas que l’autre existe et a les mêmes droits que vous, puisque c’est justement votre égoïsme qui vous protège et vous masque notre solitude et notre petitesse dans l’espace ! Le vertige, c’est pas pour vous ! La nuit, la détresse, l’abandon vous sont inconnus, car depuis toujours vous commandez, gonflés par le sentiment de votre supériorité ! Les autres doivent donc vous obéir ! Votre haine et votre mépris pèsent sur eux ! S’ils résistent, vous voulez les détruire, d’autant que votre bulle est fermée ! Tout élément étranger, tout obstacle qui vous demandent de la patience, de diminuer votre ego, suscitent chez vous de la peur et de la colère, de même qu’une déchirure dans une combinaison spatiale provoque une catastrophe !

    _ Oh ! Oh ! On va pas s’ laisser insulter comme ça ! coupe la Machine. Moi, je ne vois pas c’ qu’on m’ reproche !

    _ T’as raison, la Machine, approuve l’instructeur. Passons aux choses pratiques ! »

    Il dévoile un mannequin en bois et explique : « Bon, on est à la boulangerie, la Machine, et il y a quelqu’un devant toi, c’est c’ mannequin ! Tu vas le respecter et attendre ton tour !

    _ Rien de plus facile ! Tu vas voir ma modestie, comme je suis polie ! Je me place derrière, c’est ça ?

    _ Voilà ! Et tu prends patience !

    _ Jusqu’à quand ? Car c’est un mannequin de bois ! Il va pas bouger ! (Rires dans le groupe…)

    _ Chut ! La Machine ! C’est ventral ! Tu respires plus lentement… Tu imagines la situation… La queue avance tout doucement et il n’est plus question de toi pendant quelques minutes ! T’es anonyme, c’est tout ! »

           Un peu de silence passe, puis la Machine fait une grimace, s’exaspère, tape du pied ! « Eh ! Eh ! fait-elle par-dessus le mannequin, comme si elle s’adressait à la boulangère. C’est mon tour, car le monsieur là n’a pas l’air de savoir ce qu’il veut ! »

          Elle désigne le mannequin et passe devant lui! « Ouf ! reprend-elle, à l’adresse de la boulangère imaginaire. De toute façon, les hommes ne savent ce qu’ils veulent ! Alors, pour moi, ce sera deux miches, quatre croissants… et pour commander un gâteau, je peux faire ça maintenant ?

    _ Bon, la Machine, fait l’instructeur, t’as pas respecté le mannequin et t’es restée dans ta bulle ! C’est toi qui méprises toujours et partout ! Reviens en arrière et essaie encore de diminuer ton égoïsme, comme on baisse sous le gaz !

    _ Me touche pas connard, ou j’ te crève !

    _ Voyons, la Machine, ce n’est qu’un exercice !

    _ Grrr ! »

           De nouveau, la Machine sort son couteau et saute sur l’instructeur ! Il doit encore l’immobiliser, grâce à une prise, et il lui dit dans l’oreille : « Rank travaillait pour nous et c’était l’un des meilleurs ! Mais tu l’as bousillé, harcelé, jusqu’à quasiment qu’il en crève ! Et juste parce qu’il ne t’était pas soumis ! Tu ne sais rien la Machine et t’es que dalle ! Allez, on recommence ! »

          La Machine se relève et se place tant bien que mal derrière le mannequin, puis elle se met à pleurer : « J’ peux pas ! J’ peux pas le respecter ! C’est moi qui compte ! Je vous hais tous ! J’ vois vraiment pas ce qu’on peut m’ reprocher ! C’est moi qui fais tout ici ! Rank aussi m’appartient et j’en fais c’ que je veux! »

          Plus personne dans le groupe ne sourit, mais chacun baisse la tête, renvoyé à ses propres troubles, par la gravité du cas ! 

                                                                                                                      61

          Paschic est l’un des meilleurs… C’est un soldat d’élite ! Il s’est longtemps demandé à quoi il était bon, car il n’avait pas de dispositions particulières… Élève moyen en tout, ne semblant ne s’intéresser à rien, il faisait régulièrement le désespoir des uns et des autres ! Pire, il était souvent considéré comme vieux, impropre à la consommation, au rêve, aux espoirs communs, comme s’il avait été raté dans l’œuf !

          Mais Paschic a reçu la plus performante des formations, celle que dispense malgré elle la Machine ! Il a appris à lui résister et il peut donc affronter et même désespérer n’importe quelle autre machine ! Comme un joueur d’échecs ou de piano, il a été formé dès le plus jeune âge et le voilà un maître, un virtuose !

          Les machines (c’est-à-dire à peu près tout le monde), on le sait, vivent de la domination animale (c’est ce qui leur fait trouver nos vies normales!) et elles cherchent instamment à sentir leur supériorité, de même que la pie s’envole brusquement pour chasser un autre couple de pies ! Or, Paschic repère cette pression immédiatement et s’y oppose, comme il a fait front contre la Machine, car elle n’est pas justifiée (l’homme n’est pas destiné à rester une bête!), elle provient seulement de l’égoïsme, même si elle n’appartient pas à une classe déterminée, bien entendu puisqu’elle est d’origine animale !

          Cela donne quoi dans les faits ? La mer qui se rue sur un rocher est la meilleure image de ce qui se passe ! Si la mer avait une âme, on dirait qu’elle enrage de ne pas pouvoir briser le rocher et c’est exactement ce qu’éprouvent les machines en face de Paschic ! Leur haine monte et devient même délirante, quand elles constatent que leur pouvoir, leur soif de dominer est sans effet sur le rocher Paschic ! On sait pourquoi : si leur domination s’arrête, c’est toute la peur du monde qui entre dans leur bulle ! Nous ne sommes pas destinés à rester des animaux ! Si nous ne voulons pas utiliser notre conscience, elle se retourne contre nous ! Notre savoir nous effraie !

          Dans son abri de tranchée, Paschic entend le monde se battre, car les machines sont en guerre contre la planète ! Elles continuent à vouloir la dominer, bien que celle-ci s’écroule épuisée ! Paschic écoute les explosions et tak, tak, tak, il reconnaît la mitraillette de la Machine ! Sur quoi elle tire ? Un mulot ? Peu importe, du moment qu’elle a le beau rôle, qu’elle s’impose, qu’elle écrase ! Tak, tak, tak ! Il lui faut toujours des victimes, des inférieurs !

          Mais Paschic a tout de même une arme à lui, c’est l’imagination, la poésie, qui peut se transformer rapidement en satire ! Jésus disait : « Je parle à ceux-ci par paraboles, car la vérité leur est cachée ! » Paschic donc va écrire une chanson, qu’il intitule : « La chanson de la Machine », mais elle pourrait être celle de toutes les machines !

    « Je suis la Machine, chine, chine !

    Je vais jusqu’en Chine, chine, chine !

    Toujours le plaisir je chine, chine, chine !

     

    Tout est sous mon contrôle !

    C’est là mon plus beau rôle !

    Jamais le doute ne me frôle !

     

    Je m’enivre dans ma tour !

    J’ me crois pleine d’atours !

    C’est mon nid d’ vautour !

     

    Je n’ sers à rien !

    Pas plus qu’un acarien !

    Mais j’ai l’air dorien !

     

    Je suis la Machine, chine, chine !

    Je vais jusqu’en Chine, etc. ! »

           Paschic considère sa chanson, quand un autre soldat passe sa tête dans l’abri… C’est Lapoêle, spécialiste du marché noir ! « Eh ! Paschic, j’ai quelque chose pour toi ! dit-il et il déballe ce qui ressemble soudain à un lingot d’or, au-dessus de la boue !

    _ Du beurre !

    _ J’ te le fais à deux cents euros ! Dame, c’est le prix d’ la motte !

    _ Tu diras aux vaches qu’elles exagèrent ! Bon, ben, donne-m’en dix grammes ! Ce s’ra mon Noël ! »

  • Rank (52-56)

    Rank8 1

     

     

                         "Quelle formation avez-vous?

                           _ J'ai fait Crève-coeur!"

                                            Le Maître de guerre

     

                                                  52

         Rank casse des cailloux… Ils sont plusieurs comme ça, dans leur tenue de bagnard, sous la surveillance des gardiens de la Machine ! « Quelle vie ! fait un prisonnier à côté de Rank, qui hausse les épaules.

    _ Ne me dis pas que tu supportes ça ! s’écrie d’une voix étouffée l’autre, choqué par l’indifférence de Rank.

    _ Ce soir, je me fais la belle !

    _ Tu quoi ? Bon sang, jamais ça marchera ! Ils te rattraperont et ce sera mille fois pire ! T’en prendras pour dix, vingt ans !

    _ Tu vois le soleil couchant là-bas, avec ses rayons d’or crevant les nuages ? C’est ma vie ! Tu sens cette odeur ? C’est celle du cyprès mouillé ! Elle est synonyme de fraîcheur, comme la terre trempée mêlée aux feuilles d’automne ! Regarde cet oiseau qui plane… Quelle majesté, quelle liberté ! Et nous, nous serions esclaves de la Machine ?

    _ Tu ne sais pas comment c’est dur à l’extérieur ! Au moins ici, on a à manger !

    _ Et vous là-bas ! crie un gardien. On s’ remet au travail, sinon... »

          Dans l’obscurité, Rank escalade le mur… Ça fait des mois qu’il prépare son coup et bientôt, il chérit les arbres et le chant du vent ! Au matin, il entend les chiens qui le cherchent, mais ils sont bien loin et Rank ne s’en inquiète pas, mais la faim le tenaille et il doit s’approcher de la ville ! Rank se nettoie dans un ruisseau, afin d’être présentable et de passer inaperçu, puis il rejoint le tumulte du trafic, celui des hommes, alors qu’il est encore plein de la tranquille beauté de la nature, tant elle est immense !

          Ici, l’agitation est constante, fracassante, laide, dépourvue de sens ! Rank se croit soudain de retour dans la prison et n’est-il pas de fait entouré d’esclaves ? Chacun se plaint, se dit la victime de la nécessité, de son employeur ! Les murs autour sont gris, hauts, sans âme et là encore on parle de besoins : il faut loger les gens et on manque toujours de solutions ! On ne cesse de construire et pourtant il n’y en a jamais assez !

          Quelle différence avec la nature, où se plaisait Rank ! La ville elle aussi est un monde clos et qui détruit celui qui l’entoure, comme la Machine ! Hors d’elle point de salut ! Timidement, avec la peur d’être reconnu, Rank regarde les visages de ce transport en commun et subitement, il est saisi par l’angoisse ! La Machine est partout ! Sa haine, son orgueil, son mépris est ici, là et encore là-bas !

           Rank ferme les yeux : se peut-il qu’il soit trompé par une hallucination, est-il le jouet d’une affection mentale ? N’exagère-t-il pas ? N’est-ce pas lui maintenant le paranoïaque ? Ne serait-il pas misanthrope ? Rank repense à la Machine… Elle ne voit pas les autres ! La contredire, lui montrer ses défauts, ses torts, c’est l’injurier ! Elle ne conçoit pas la différence ! On lui doit la soumission et n’est-ce pas là notre folie ?

          Notre domination animale s’étend telle une toile d’araignée et tout ce qui nous intéresse, c’est que des proies s’y laissent prendre ! La « citadelle » de l’humanité s’élève, se dresse sur sa planète, en la tuant ! Elle présente ses murs à quiconque la remet en question ! Comme la Machine, dès que son orgueil est touché, elle affiche son mépris, déverse sa haine bouillante par les créneaux ! C’est plus fort qu’elle, sa furie lui tient lieu d’alarme !

          Impossible pour Rank de trouver une brèche ! Il est fait comme un rat ! Il s’est enfui de la prison de la Machine, pour en trouver une autre plus vaste, apparemment plus variée, plus ouverte, mais ce n’est là qu’un faux-semblant ! La même surdité que celle de la Machine parcourt la société ! Le même mur lisse, impénétrable, la ceint ! La même fierté, la même hostilité rongent les cœurs ! La même hypocrisie, la même bêtise !

          Que peut-on espérer ? Aujourd’hui, la nature donne ses coups de bélier contre la forteresse humanité ! Mais elle n’a pas bien entendu de message clair ! Elle n’explique pas, ne donne pas de solutions ! La science parle de chiffres, mais nous sommes avant tout sentiments ! Les hommes ne se voient pas tels qu’ils sont et ce que Rank leur dit leur est odieux ! Nous ne sommes pas bons et c’est d’abord nous-mêmes que nous devons changer !

          Le soir tombe… Beaucoup dans la ville se croient libres et vont chercher l’aventure, l’ivresse ! Les hauts murs de la société ne nous enferment pas moins pourtant et c’est notre égoïsme qui nous condamne, qui est notre boulet ! Dans ces conditions, comment Rank pourrait-il survivre sans la foi ?

                                                                                          53

          La Machine se rend à sa réunion hebdomadaire et elle gare sa petite voiture, l’esprit léger ! Enfin, elle va se donner du temps à elle-même ! Enfin, elle va pouvoir se consacrer à sa personne ! Enfin, elle va retrouver d’autres femmes, qui ont aussi ses problèmes, et elles vont pouvoir en parler ! Fini l’égoïsme des hommes ! C’est enfin une réunion pour les femmes, par des femmes, à l’égard des femmes, sur des femmes, par rapport aux femmes, au sujet des femmes, de la femme, la femme enfin respectée, considérée, prise au sérieux, avec ses problèmes de femmes, ses soucis de femmes ! C’est la femme enfin !

           La Machine sourit à d’autres femmes qu’elle connaît et qui participent également à la réunion ! Ce sont quasiment des copines et elles aiment bien la Machine, car c’est une femme douce, modeste, humble, toujours au service des autres ! C’est encore une femme méprisée, martyrisée, qui se sacrifie en silence face à l’ingratitude de sa famille, des hommes ! C’est une femme oubliée et qui est pourtant à l’origine du succès de son mari, de ses fils ! Être obscur, qui n’élève jamais la voix, elle effectue chaque jour son devoir, comme le bœuf que tout le monde néglige, tellement on est habitué à ce qu’il obéisse ! Tout le monde connaît son destin : un soir, fatigué d’avoir labouré tant et tant, il se couche sur la terre et lève sa tête, déjà pesante, vers le ciel, où, au milieu des rayons d’or du couchant, les anges s’apprêtent à le recevoir et à lui apporter les lauriers du paisible et loyal serviteur !

          Cette « couronne », la Machine semble la porter en permanence, car, derrière son faible sourire, on devine une souffrance immense, celle de l’âme incomprise, qui aime et pardonne malgré la haine et les crachats qu’elle essuie ! La sainteté de la Machine est évidente, mais ses copines remercient cette dernière de ne pas l’exhiber, car elles-mêmes alors pourraient se trouver quelque défaut ! Enfin, tout ce petit monde est plein d’affection pour lui-même et on s’installe joyeusement sur les chaises de la réunion ! On a le sentiment ici de se faire justice et voilà qu’apparaît la conférencière ! Oh ! Que ce mot est vilain, car il laisse supposer que cette femme, qui va parler, qui est aussi psychologue, se place au-dessus des autres, en sait plus long, pourrait se targuer d’être plus avertie, ce qu’elle ne supporterait pas ! Il n’y a en effet dans cette salle que des sœurs, des victimes ! Le seul air qu’on y respire doit être celui de la compréhension, de la solidarité et l’oratrice le répète, le réaffirme ! Tout son être crie l’égalité !

          « Bien, mesdames, dit-elle, ce soir nous allons étudier un cas un peu particulier ! La semaine dernière, nous avons examiné la nocivité du pervers narcissique et tout aussi toxique est le paranoïaque ! Orgueilleux comme un paon, il croit que son entourage complote contre lui, ce qui le rend agressif, compulsif, soupçonneux, haineux, etc. Bref, c’est un vrai calvaire, surtout s’il est votre employeur ! Comment gérer un homme atteint de la maladie de persécution ?

           Eh bien, mesdames, je vais vous demander de faire preuve de patience ! N’essayez pas d’attaquer de front un paranoïaque, il se cabrera et pourra se montrer violent ! Rassurez-le comme on apaise un enfant ! Dites-lui combien il compte, puisque bien des paranoïaques ont une pauvre image d’eux-mêmes ! Raisonnez-le, car il est en proie à des attaques imaginaires ! Il s’endormira bientôt dans votre main ! »

           Le cours ou la réunion continue, avec des questions réponses, des mises en situation, des rires, des éclats, puis chacune s’en va, rayonnante, satisfaite, confiante, et le lendemain, il fait un soleil magnifique quand la Machine sort sur sa terrasse, pour admirer ses fleurs ! Ne sont-elles pas celles-ci, par leur délicatesse, le reflet de son âme ? Au-delà s’étend à perte de vue un terrain désertique, où travaillent des milliers de Rank, telles des fourmis pour les plus lointains ! Que font-ils ? Ils extraient les pierres d’une carrière, les taillent, les tirent, les hissent, pour former une statue gigantesque à l’image de la Machine !

            On entend des hans profonds, mais aussi des coups de fouet, car des gardiens assurent le rythme ! Sous une ombrelle tenue par un esclave, la Machine visite le chantier et soudain un Rank s’écroule. Un gardien, pris de pitié, va pour lui donner de l’eau, mais la Machine l’arrête : « C’est un paranoïaque ! dit-elle. Ils sont toujours en train de se plaindre ! Si tu commences, tu vas y passer en entier ! C’est moi qui t’ le dis ! Prête-moi plutôt ton fouet ! »

           La Machine frappe le Rank, qui pour échapper à la douleur se remet tant bien que mal debout ! « Tu vois, reprend la Machine en redonnant le fouet au gardien. C’est comme ça qu’il faut traiter les hommes ! Qu’on batte les tambours et que notre chant s’élève dans la clarté matinale ! »

           Les tambours retentissent et les Rank entonnent : « Gloire à la Machine ! Gloire à la Machine ! »

                                                                                      54

         « Citoyen Rank, vous avez été déclaré coupable d’âgisme ! Avez-vous quelque chose à rajouter ? »

           Rank dormait dans sa chambre, quand des coups sourds ont ébranlé la porte ! « Ouvrez ! Ouvrez ! Au nom du Comité de salut public ! » a-t-on crié et pris de panique, Rank s’est précipité vers la fenêtre, pour s’enfuir, mais la porte a été enfoncée et des femmes ont saisi Rank, avec des yeux pleins de haine !

           La suite ? La prison, la paille humide, des hommes hagards, mornes, des pleurs, des gémissements ! C’est la Terreur féminine, avec des hommes dévorés par l’angoisse, conduits on ne sait où, à la lueur des torches !

    « Je suis innocent ! réplique Rank, ce qui provoque l’hilarité générale.

    _ Ah ! Ah ! Bien sûr ! fait la juge. Tous les hommes sont innocents, même ceux qui tuent nos sœurs ! Mais, d’après la loi, tu as une minute pour plaider ton cas ! Fais vite !

    _ Encore faudrait-il que je sache qui m’accuse, de quelle affaire il s’agit ?

    _ Mais tu aurais trouvé vieille et laide la Machine !

    _ Ce n’est pas ma faute… J’ai surpris la Machine sans ses lunettes bleutées ! J’ai vu les « éperons » de ses yeux, ses rides si vous préférez, et alors j’ai vu toute la laideur de son âme !

    _ Quelle ignominie ! s’écrie rageusement la procureure. Revoilà la domination masculine ! Revoilà le fléau ! Une femme vieillit et alors ? N’est-ce pas naturel ?

    _ Alors pourquoi s’emporter ? Pourquoi s’indigner de mon regard ? Pourquoi la Machine est-elle honteuse de son visage ?

    _ Parce que vous n’avez pas à nous critiquer, à nous imposer vos diktats !

    _ Mais la vieillesse en soi n’a rien de laid ! Au contraire, elle « transfigure » nos sentiments ! Là où ça va pas, c’est quand nous sommes avides, orgueilleux !

    _ Suffit ! coupe la juge ! Vous manquez de respect à la machine et vous êtes donc coupable ! Emmenez-le ! Affaire suivante ! »

    Rank est ramené en prison, mais une gardienne lui dit : « Tu m’ plais, beau brun ! Tu sais, j’ peux m’arranger pour que tu ne sois pas de la prochaine charrette ! Faudrait juste que je te plaise aussi, tu vois ce que je veux dire !

    _ Oh ! Mais vous êtes très désirable ! Ce s’rait dur de vous dire non...

    _ Alors, marché conclu ?

    _ Non, je regrette, mais c’est non…

    _ Quoi ? Mais pour qui tu t’ prends ?

    _ Vous êtes tendue, angoissée… et c’est pour cela que vous êtes excitée ! Si je me mets avec vous, il faudra tout le temps s’occuper de vous, car votre peur ne s’arrête que quand vous êtes le centre d’intérêt ! Or, ce n’est pas ce que je veux… ou plutôt je ne vous donnerai pas satisfaction !

    _ Mais qu’es-ce que c’est qu’ ce charabia ?

    _ Pour parler crûment, je n’ai pas envie de vos fesses tout le temps, dans le pare-brise ! J’ai besoin d’air, de grandeur !

    _ Espèce de mufle, goujat !

    _ Laisse, fait une autre gardienne. Il est sûrement gay ! Le genre intello, c’est minable au lit ! Allez, les garçons tous à poil ! Faut mettre la chemise du condamné ! Montrez vos queues, qu’on s’rince l’œil ! Ah ! Ah ! » 

           La charrette pour l’exécution se met en route, sous les quolibets de la foule féminine. A côté de Rank un jeune homme sanglote. « Elles l’ont condamné, parce qu’il est encore puceau ! précise un prisonnier plus âgé, à l’oreille de Rank.

    _ Pleure pas ! dit celui-ci au jeune homme. Elles n’en valent pas la peine ! » 

          Le ciel est noir et les têtes tombent. Au moment où Rank sent le couteau lui trancher la gorge, il se réveille en sueur : et un cauchemar et un !

           Il s’habille lentement et descend à la cuisine… « Dis donc, lui crie la Machine, c’est pas un hôtel ici ! Qu’est-ce qui s’ passerait si tout le monde se levait quand ça lui plaît ! Eh bien, y aurait plus qu’à mettre la clé sous la porte ! Crois-moi, va falloir changer d’attitude ! »

                                                                                         5 5

             Tautonus est mort et il se retrouve assis dans une salle aux couleurs criardes et ornée d’affiches qui disent : « Non au tabac ! », « L’alcoolisme, ça s’ guérit ! », « Un appel peut sauver du suicide ! » A côté de Tautonus, un homme, à l’allure pauvre, au visage fatigué, tousse, essaie de se distraire en ramenant ses pieds sous lui, avant de les étendre à nouveau ! Il se tourne vers Tautonus, qui paraît perdu, et il lui fait, entre deux raclements de gorge : « Il faut que vous preniez un numéro ! 

    _ Ah bon ? répond interloqué Tautonus. Vous êtes sûr ? Enfin, j’ veux dire…, il doit y avoir une erreur… J’ai travaillé toute ma vie !

    _ Oui, oui, vous expliquerez ça quand on vous appellera… et c’est pourquoi il vous faut un numéro !

    _ Où est-ce que je dois le prendre ? Je n’ai pas l’habitude… En fait, c’est la première fois que je viens dans ce genre d’endroits !

    _ A la borne là-bas...

    _ Merci. »

             Tautonus se lève et va chercher son ticket… A ce moment, un enfant se prend dans ses jambes et une femme crie, en se penchant hors d’un guichet : « Sébastien, veux-tu revenir ici ! Tout de suite ! Sébastien, ne m’oblige pas à aller t’ chercher ! » L’enfant rit et va se perdre un peu plus loin, ce qui provoque la colère de la mère, qui finit par quitter son siège !

            Tautonus trouve soudain l’ambiance étouffante et va tout de même se rasseoir, sous le mince sourire de son voisin… Puis, c’est de nouveau l’attente, quand beaucoup de questions bousculent le cerveau de Tautonus : « Que fait-il là ? N’a-t-il pas de son vivant accompli tous ses devoirs ? Il a fait le maximum ! Il a rendu service à plein d’gens ! »

            Il est interrompu par son numéro qui apparaît et il file vers le guichet désigné. On est là coincé entre des panneaux et pourtant la femme qui est derrière le bureau affiche un beau sourire ! « A nous ! dit-elle. Nous sommes ici pour voir à quelle retraite vous avez droit, après la mort… Bien sûr, elle est calculée suivant le nombre de vos points… et il se peut qu’on arrive à la vie éternelle ! Hein ?

    _ Mais c’est sûrement ça ! J’ai travaillé toute ma vie !

    _ Très bien ! Votre nom…

    _ Tautonus…

    _ Tautonus, répète l’employée, en tapant sur son clavier. Hum, je ne vois pas Tautonus… Vous êtes sûr d’avoir un dossier chez nous ?

    _ Mais… mais oui, je pense, répond Tautonus, qui maintenant s’agace, en sentant l’angoisse monter en lui. J’ai été un élu… J’avais des idées, des convictions, des priorités ! J’ai modernisé ma ville ! J’en ai fait une mégalopole respectée ! Il fallait loger des gens et…

    _ Dont acte !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?

    _ C’est bien ce que vous répondiez froidement, quand on vous embêtait ! Dont acte !

    _ Je ne… comprends pas…

    _ Par exemple, quand Rank vous demandait un peu d’amour, car il souffrait à cause de la Machine, vous lui disiez seulement : « Dont acte ! », comme s’il n’était qu’une chose, qu’une question administrative !

    _ Je ne me rappelle pas…

    _ Non, ça ne m’étonne pas… et vous savez pourquoi ? Parce que votre confort était menacé ! Vous avez complu à la Machine, pour être tranquille… et vous ne lui avez pas rendu service, soit dit en passant !

    _ Mais enfin qu’est-ce qui s’ passe ? Où sommes-nous ici ?

    _ Je vous explique : nos points retraite, c’est quand on lutte contre son orgueil ! Ici, les heures de pointage, on s’en fout ! Or, si vous avez peut-être aider beaucoup d’ gens, c’était à la condition que vous ayez une position éminente, du pouvoir, d’où votre froideur implacable, votre haine à l’égard de ceux qui vous dérangeaient !

    _ Mais il y a mes luttes électorales, mes permanences, les conseils avec l’opposition !

    _ Oui, vos frasques !

    _ Co… comment ?

    _ Quand Rank se démenait pour nous, quand il suait pour survivre, car il combattait pour la vérité ! quand il courait comme un lapin, à droite, à gauche, la peur au ventre, et qu’il mendiait dans la nuit un peu d’ compréhension, mais vous appeliez ça : « Ses frasques » !

    _ Je… je ne me rendais pas compte… Je suis désolé !

    _ Vous pleurez ? Mais c’est pas une solution !

    _ Vous êtes vraiment sans pitié !

    _ Mais c’est encore ce que vous répondiez à Rank ! Il y a toujours une solution raisonnable, lui disiez-vous ! Il devait trouver laquelle, au-delà de sa soif d’amour ! Vous lui demandiez de se redresser, d’être fort, pour vous en débarrasser ! Vous le renvoyiez à ses « psychiatres », comme s’il était une bête malfaisante ! Vous avez été capable de la plus totale dureté, pour préserver votre sécurité, vos privilèges ! Comment on pourrait vous donner à boire maintenant ? »

                                                                                       56

           Le Comité de salut public de la Révolution féminine est en émoi : le changement ne va pas assez vite ! A sa tête, il y a la Machine, qui crie fougueuse : « Et qui me remboursera mes efforts ? Quand est-ce qu’on m’estimera à ma juste valeur ? Qui faisait la lessive ? Qui donnait à manger aux gosses ? Qui veillait à ce que chacun soit bien comme il faut ! Toute cette vie de bonniche est encore ignorée, méprisée ! Où est mon dû ? Ces salopards d’hommes font ce qu’ils veulent ! Ils paradent en haut de la société, alors que sans nous ils en seraient encore à barboter ! Je n’en peux plus ! J’en ai marre de tant d’injustice et d’ingratitude !

    _ Bref, tu es dévastée ! Et comme je te comprends ! Faut serrer la vis ! » enchaîne une femme sombre, massive, dite l’Epicière.

           Celle-ci, vraie femme du peuple, tient effectivement une épicerie, jamais chauffée, où chaque sou compte et quand on discute malgré tout des prix, car c’est encore la maison de l’avarice, on croise le regard suppliant du mari, qui a l’air de dire : « Par pitié, je vous en prie, ne mettez pas en colère ma femme ! C’est moi qui prends après ! » Le mari est gringalet et effectivement, par égard pour lui, on arrête d’impatienter l’Epicière et on s’en va avec son achat, en trouvant qu’il fait encore meilleur dehors !

          « Citoyennes, s’écrie celle qui se fait appeler l’Artiste, transmettons notre message par une vaste campagne de dessins ! Cela sensibilisera les enfants ! Montrons que les femmes ont autant de talents que les hommes ! 

    _ Oui, oui ! » approuvent les autres, mais ce que ne dit pas l’Artiste, c’est qu’elle vient de tuer son mari ! Oh ! Pas directement, mais par la bande ! Elle est belle l’Artiste, séduisante, avec des formes voluptueuses et son mari a d’abord été envoûté ! Il ne demandait qu’à goûter ce corps et il faisait les quatre volontés de sa femme, d’autant qu’elle était pleine d’ambitions !

           C’était elle le moteur du couple et tous les deux ils ont créé un magasin pour les Beaux-Arts ! Une vraie réussite, avec plusieurs employés, mais, le temps passant, le mari lui aussi est devenu un subalterne ! L’Artiste, tellement amoureuse d’elle-même, tellement vaine, a fini par le mépriser et ne plus lui donner du sexe qu’avec une extrême parcimonie, quand elle le voulait !

          Le bonhomme a trouvé refuge dans le tabac et l’alcool ! Il était mince comme un clou et on le voyait parfois hagard, perdu, l’effroi se lisant sur son visage : quelle nouvelle faute venait de lui valoir une énième attaque pleine d’amertume, destructrice ? Il est mort une nuit, sans avertissement, dans son coin, d’une embolie ! Une poussière a bouché cette paille, ce spectre !

          Comment expliquer la rage de l’Artiste ? Mais elle n’est pas seulement une commerçante, elle se considère encore telle une peintre que le monde tarde à reconnaître !

          « Tous les hommes sont bêtes de toute façon ! » rajoute la Campagnarde, puisqu’elle vient de la province et tout le Comité s’esclaffe : « Comme c’est bien vrai ! » entend-on. La Campagnarde sait de quoi elle cause, car son mari est un modèle de bêtise ! Elle l’a travaillé au corps, l’a pris en main, lui a fait peur jusqu’à l’os ! Il sursaute dès qu’elle élève la voix ! Il renverse son café, quand elle se lève brusquement ! Alors elle crie : « Mais comme tu es stupide, mon pauvre ami ! Tu ne peux même pas tenir ta tasse correctement ! »

          Lui la regarde comme un chien triste, ce qui l’exaspère encore plus ! Il n’a plus de nerfs depuis longtemps ! « Je dirais même plus que tous les hommes sont des benêts de première ! » renchérit la Maligne, une femme handicapée, assise sur un fauteuil roulant électrique et qui ne se lave plus ! Elle a reçu ce surnom de Maligne, car, en bonne fille d’Eve, elle sait utiliser toute la ruse féminine, qui est la manière de s’opposer à la force physique des hommes !

         « L’autre jour, raconte-t-elle, j’ai fait celle qui avait son fauteuil en panne ! J’ai repéré une belle tête d’ange, un gars à l’allure vraiment débonnaire et je l’ai imploré de m’aider ! Le voilà bientôt en train de pousser mon fauteuil, que j’avais bloqué et qui pèse une tonne ! L’idiot ! J’ai quand même remis en marche, mais à très petite vitesse, et j’ai demandé à mon serviteur de m’accompagner jusqu’à ma porte, qui, ai-je dit, me pose toujours des difficultés !

          Vous auriez vu le couple ! sur plus de cents mètres, pareil à des escargots ! Ah ! J’ les mène comme des p’tits chiens ! » Tout le Comité rit, même si c’est une bonne volonté qu’on vient d’abuser !

          Ailleurs, dans le château de la Machine, Rank a été laissé sur une claie, où il perd son sang goutte à goutte ! Pendant des heures, la Machine a écouté ses plaintes et ses supplications, afin de se rassurer sur son pouvoir ! Mais ainsi va la Révolution féminine, en colère, haineuse, aveugle, s’illusionnant sur son compte, d’un égoïsme égal à celui des hommes !

  • Rank (47-51)

    R10

     

                                     "J'ai peur Bob!

                                      _ Mais faut pas mon p'tit! Je suis là!

                                      _Mais c'est de vous dont j'ai peur, Bob!"

                                                                        Le Magnifique

     

                                                               47

          Qu’il y a-t-il de nouveau en ce bas monde ? Les Nez muriques, peut-être ! Qu’est-ce que c’est ? Mais ce sont tous ces gens qui ont le nez dans leur smartphone, comme d’autres (les malheureux !) ont le nez dans la « poudre », comme on dit ! Les Nez muriques ne regardent pas le monde, ils l’ignorent au point qu’ils en deviennent étrangers et que certains commettent les pires extravagances !

          Par exemple, des surfeurs, ainsi que leurs familles, sont surpris par une marée d’un coefficient de 112 (ce qui est exceptionnel) et les sauveteurs sont obligés de les récupérer dans les rochers ! Une honte absolue, car cela montre qu’on ne connaît nullement la mer, alors qu’on se dit en harmonie avec elle ! La moindre des choses, c’est de consulter l’annuaire des marées et la météo, avant une sortie !

          Autre exemple, de jeunes randonneurs, en tennis et shorts, partent en expédition dans la montagne, seulement munis d’une tente à dix euros et d’une couverture pour trois ! Résultat, après une nuit glacée et la perte de leur tente, ils réussissent au matin à appeler les secours, alors qu’ils sont menacés d’hypothermie ! Là encore il faut aller les récupérer…

          On a aussi le jogger qui court sous la pluie froide et des grains de plus en plus violents, l’air de dire : « Ben quoi ! Rien ne peut m’arrêter ! » C’est l’orgueil qui parle et qui fait qu’on ne rentre pas chez soi se réchauffer ! Tout se passe comme si la nature n’existait pas et la liste de ces imprudences est sans fin ! Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque les Nez muriques ne vivent que pour eux-mêmes !

           Seule la conscience de leur personne les intéresse, à travers leurs proches, leurs relations, leur cote sur les réseaux sociaux ! Il faut toujours qu’ils se mesurent, qu’il soit question d’eux, mais qu’en est-il du monde qui les entoure, des lois qui nous régissent, de la splendeur et du mystère de la nature ? A chaque fois, c’est leur monde clos qui se déplace, leur bulle et il n’est donc pas étonnant que des accidents arrivent ou que les agressions d’animaux se multiplient ! D’une certaine manière ceux-ci réclament le droit de vivre, du respect !

            Ceux qui les aiment s’enchantent de leur existence, les autres la subissent ! A quelle monstruosité nous arrivons, comme si les villes et nous-mêmes étions les maîtres et que le reste devait nous obéir ! Nous ne savons ni admirer ni aimer ! Ce que nous appelons amour est un lien plein de ténèbres et de haine, où la domination est synonyme de passion ! Pourtant, la nature nous cogne dessus, se rebelle pourrait-on dire, et nous ne faisons pas le poids ! Que de larmes maintenant et à venir ! Que d’effrois soudain ! Le toit s’envole, l’eau rentre ! On panique, mais on ne change pas !

           Les catastrophes nous contraignent à la solidarité, à nous ouvrir, à parler aux autres, c’est déjà ça, mais qu’est-ce qui pourrait nous faire « universels », sans fermetures, ni jugements ! Pourquoi méprisons-nous, si ce n’est parce que nous sommes égoïstes ? De quoi avons-nous peur, si ce n’est de perdre ? Notre société est si confortable que nous pouvons à loisir développer notre personnalité et c’est a priori un progrès, car nous voilà libres de réfléchir à nous-mêmes et au sens que nous pouvons donner à nos vies ! Dans certains pays encore les habitants doivent d’abord cultiver la terre, pour se nourrir : il n’y a pas de supermarchés, ni de magasins de vrac à côté !

           Mais on comprend bien que s’attacher à soi-même comporte un risque et c’est bien entendu se croire le centre du monde ! « Je ne veux pas avoir d’enfants, je veux juste penser à moi ! » s’écrie une jeune fille sur le Web ! Elle lutte pour sa liberté, se dégager des diktats culturels, mais son but n’est pas élevé, ne concerne que son nombril et ne la rendra pas heureuse !

           De même, la théorie du genre peut aider à faire respecter les différences, mais inévitablement elle conduit par sa fausseté aux excès ! Un tel dira qu’il n’a pas choisi son sexe, mais c’est encore une manière de se donner trop d’importance, d’amplifier son égoïsme ! On refoule la nature au profit de son ego et cela donne notamment des jeunes filles déjà botoxées, déjà refaites par la chirurgie, qui ressemblent à des poupées, justement pour se fondre dans un moule, pour ne pas se voir telles qu’elles sont, et ce sont ces mêmes jeunes filles qui à trente ans vont pleurer toutes les larmes de leur corps, car on ne pourra pas retendre leur peau, alors qu’elles auront l’air de petites vieilles parcheminées !

           En fait, elle est là la véritable catastrophe : au moment même où la nature nous donne des coups de boutoirs, pour nous réveiller, nos sociétés sont comme en lévitation, sans racines, sans attaches, seulement accroché au moi, entre le numérique et le quotidien ! Inutile de dire que les égoïstes ne survivront pas, car ce sont les moins à même de supporter le manque !

           Le réveil va être dur, implacable, comme à bord du Titanic ! On est préparé à tout, sauf à souffrir ! Les Nez muriques vont être forcés de lever la tête et il faut qu’on soit menacé de mort pour en arriver là !

                                                                                                           48

          La Machine est morte et elle se retrouve assise dans un bureau encombré et qui sent le moisi… Il y a des piles de dossiers partout et la vétusté de la pièce ne fait aucun doute ! Un homme, vêtu d’une écharpe, écrit laborieusement en face de la Machine et soudain il éternue bruyamment : « Aaaachaaa ! Aaaacha ! Excusez-moi, fait-il avant de prendre son mouchoir et de se moucher. Ah ! Hum ! C’est bien humide ici…

    _ Vous en avez encore pour longtemps ?

    _ Juste une minute…

    _ Bon sang ! Vous ne savez sans doute pas qui je suis ! »

          L’homme lève la tête et regarde la Machine à travers ses grosses lunettes… « Sur Terre, reprend la Machine, j’étais hautement considérée ! Mon mari, c’est Tautonus, un personnage éminent ! Mon notaire était plein d’égards en me recevant, car il connaissait la valeur de mon patrimoine ! 

    _ Mais je n’en doute pas une seconde, madame, mais ici c’est différent… Enfin, si vous désirez vraiment qu’on en vienne à… votre cas, votre dossier doit être dans cette pile… Ah ! Le voici ! Voyons voir combien vous nous devez…

    _ Comment ça ? Je vous dois quelque chose ?

    _ Eh bien, laissez-moi vous expliquer notre fonctionnement… Dieu est amour, mais à chaque fois que vous laissez aller votre haine ou votre mépris, il faut bien que quelqu’un en fasse les frais ! A ce moment-là, vous « prenez », me comprenez-vous ? D’abord, parce que vous donnez satisfaction à votre égoïsme, et ensuite, bien sûr, votre victime souffre : elle est en manque d’amour ! Vous ne travaillez donc pas pour nos intérêts… Au contraire, vous nous ruinez ! Disons que vous utilisez un capital qui n’est pas à vous !

    _ Et si ma victime, comme vous dites, mérite mon mépris !

    _ Vous allez là, madame, sur un terrain extrêmement dangereux ! « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé ! » Cependant, ce qui fait fructifier nos affaires, c’est que justement on s’efforce d’aimer malgré les circonstances ! Ainsi se propage l’amour…

    _ Mais c’est bien le but que je me suis fixé ! Je ne vois pas ce qu’on…

    _ Vous permettez ? Tout est là, au jour le jour, toutes vos colères, votre mépris, votre haine… Je prends ma petite machine et je vais faire le total ! »

           On n’entend plus que le bruit de l’impression du ticket, à mesure que le « comptable » entre les chiffres et ça n’en finit pas : le papier se déroule, se déroule ! « Mais enfin que comptez-vous ? s’écrie la Machine, il doit y avoir une erreur !

    _ Hélas, non ! répond le comptable. Mais je m’arrête là, bien qu’on n’en soit qu’au premier tiers ! Mais les chiffres sont déjà effarants ! Nous ne sommes plus dans le rouge, mais dans le violet sombre ! De toute façon, c’est hors norme ! Je lis 150 000 tonnes de haine ! 800 000 tonnes de mépris !

    _ Mais… mais je n’ai jamais pris de plaisir dans ma vie ! J’ai élevé quatre enfants ! J’ai soutenu Tautonus ! Je suis à l’origine de sa brillante carrière ! Où est ma place à moi ? Je me suis sacrifiée, là voilà l’histoire !

    _ Je veux bien vous croire, madame, mais il n’en demeure pas moins que les chiffres ne mentent pas ! Ce que vous ne comprenez pas apparemment, c’est qu’on ne se contraint nullement quand on donne libre cours à sa haine et à son mépris ! On n’aime pas dans ce cas ! On conserve son orgueil ! On ne se diminue pas et… on ne connaît pas Dieu ! Ce qui fait qu’aujourd’hui Dieu ne vous connaît pas non plus ! »

            Le comptable fait un geste pour montrer un écriteau sur le mur, qui dit : « Travailler, c’est aimer Dieu ! »

    «  Mais qu’est-ce qu’ j’ vais devenir ? reprend la Machine.

    _ Ben, vous allez vous retrouver avec des gens qui sont pareils à vous et qui vous mépriseront et qui vous haïront, comme vous avez traité les autres ! Autrement dit, c’est la solitude et le désespoir !

    _ Mais… il n’y a pas un moyen pour échapper à ça ?

    _ Si, vous pouvez faire un prêt…, mais il vous faut une caution évidemment !

    _ Mais qui pourrait se porter caution pour moi ?

    _ Quelqu’un de la famille de Dieu !

    _ Je ne vois pas…

    _ Quelqu’un qui pourrait vous pardonner ! Votre créancier principal, par exemple…

    _ Mon créancier principal ?

    _ Votre principale victime, si vous préférez…

    _ Elle a un nom ?

    _ Rank !

    _ Rank ? Vous rigolez ! C’est moi qui l’ai fait ! Il me doit tout !

    _ Comme vous devez tout à Dieu aussi ! »

          A cet instant, la Machine se tait, peut-être pour la première fois de sa vie !

                                                                                                            49

          « Nous sommes ici au camp du Ciel, dit l’instructeur, pour que vous appreniez à respecter l’autre ! Vous n’en avez fait qu’à votre tête sur Terre et donc vous avez tout à apprendre ! Bien, la Machine sort du rang, s’il te plaît ! »

           Personne ne bouge… « La Machine, t’entends ce que je dis ? Viens par ici…

    _ C’est à moi que vous parlez ? demande la Machine d’une voix si douce qu’elle stupéfie tout le monde : comment une femme qui paraît la gentillesse même peut-elle se retrouver ici, dans ce camp de redressement ?

    _ Oui, c’est de toi qu’il s’agit…, explique l’instructeur.

    _ Sachez que j’ai un nom… Je suis madame…

    _ Oui, mais ici, t’es la Machine ! Allez, approche-toi, on va commencer le premier exercice !

    _ Si vous voulez... »

           La Machine exprime une telle modestie, une telle soumission que tout le groupe commence à murmurer : et si Dieu lui-même pouvait être injuste, commettre des erreurs ? « Bon, dit l’instructeur, le mot respect vient du latin spectare, qui veut dire voir ! Respecter, c’est donc voir l’autre, de sorte qu’il ait droit aux mêmes égards que ceux que nous réclamons pour nous-mêmes… Mais… mais pourquoi caches-tu tes mains, la Machine ? »

          Celle-ci fait non, non de la tête : elle ne montrera pas ses mains, elle ne le veut pas par humilité, elle a un secret ! « J’insiste, dit l’instructeur, montre-moi tes mains ! » Cet échange captive soudain le groupe, qui tend la tête… « Allez, ouvre les mains ! fait l’instructeur, qui semble maintenant prêt à forcer la Machine, si bien qu’elle s’avoue vaincue et qu’elle expose ses paumes comme à contrecœur !

    « Oh ! » fait le groupe, tandis que que certains se jettent à genoux, en louant Dieu ! En effet, la Machine présente les stigmates ! « Ah ! Hum ! tousse l’instructeur. Tu as les marques de notre Seigneur ! Es-tu sûre la Machine que tu ne les as pas peintes, pour nous abuser ?

    _ Comment aurais-je pu commettre une telle ignominie ! Ne suis-je pas la servante fidèle du Seigneur ! Ma joie n’est-elle pas de plaire à Dieu ? »

    _ Ouuui ! gémissent ceux qui sont à genoux, dans une extase prolongée par la voix enfantine et pure de la Machine.

    _ Très bien ! reprend l’instructeur. Alors, tu n’auras aucune difficulté à effectuer le premier exercice ! »

    L’instructeur enlève le voile qui couvrait un personnage en carton-pâte ! « Le reconnais-tu ? demande l’instructeur à la Machine, qui ne dit rien. C’est Rank, le soldat Paschic ! Tu le remets !

    _ Bien sûr que je le remets… Est-ce que je peux utiliser ce balai…

    _ Tu veux utiliser un balai pour respecter ?

    _ Cela me paraît indispensable ! »

          La Machine s’approche de Rank et soudain elle le frappe avec toute sa violence ! Le balai s’abat sur la tête de Rank, qui plie, puis les coups pleuvent et le mannequin peu à peu s’affaisse, part en morceaux ! En même temps, la Machine hurle : « Espèce de salopard ! T’as foutu ma vie en l’air ! C’est encore d’ ta faute si j’ dois faire le guignol ici ! Mais quand est-ce que tu vas crever, hein, dis ? Quand est-ce que tu vas enfin m’ foutre la paix ? »

          Le groupe est glacé par tant de haine, de violence ! « Bon, je crois que l’expérience a été concluante… dit l’instructeur.

    _ La… la Machine… glapit quelqu’un. »

          Tous les yeux se portent sur la Machine, qui effectivement subit un changement étrange ! Sa tête s’est ouverte et une grosse fumée noire en sort ! La colonne s’élève dans le ciel et forme une sorte de géant aux yeux étincelants ! « Où est Dieu lui-même ? grince la Machine. J’aimerais lui dire deux mots ! Ah ! Ah ! Où est cette fiotte, cette raclure ? Elle se cache ? Hi ! Hi ! »

    « Elle n’a plus la même voix ! », « Qu’est-ce qui s’est passé ? » entend-on dans le groupe, avant qu’il ne s’éparpille.

    « Allo, la sécurité ? fait l’instructeur dans son portable. On a un problème secteur B ! De quel genre ? Orgueil, force 12, ça vous dit quelque chose ? Vous arrivez ? J’en étais sûr ! »

    « Eh ! L’instructeur ! fait la Machine. T’as vu comment j’ l’ai arrangé, le Rank ? Mais c’est le vrai qu’ je veux ! Le petit protégé de Dieu ! Son lèche-cul ! Tu sais c’ que j’ rêve de lui faire ? Le transformer en chair à saucisses, lentement ! Tout commence et finit par moi ! C’est moi le but ! Personne, t’entends, personne n’est à mon niveau ! »

          Au loin retentissent des sirènes…

                                                                                                           50

          Quant Tautonus, avec son armée, eut conquis les régions du Nord, qui avaient été si promptes à se rebeller, et qu’il eut vaincu la flotte des cruels peuples de l’Ouest, il décida de se reposer ! Il sentait qu’il avait atteint le sommet de sa carrière et qu’il ne pourrait s’élever davantage ! Il était fier de lui et jouissait de sa célébrité ! Il ne chassait pas le quémandeur, il essayait de comprendre la différence, car il ne se sentait plus pressé de faire ses preuves et d’assurer sa sécurité !

           Il regardait l’ensemble de son œuvre et y prenait plaisir ! C’est que Tautonus avait pris conscience entre-temps que nous sommes seuls et que la mort vient tôt ou tard nous chercher, avec son inconnu ou son mystère ! Tautonus voyait donc ses propres limites et savait s’apaiser, au contraire de la Machine, qui n’en avait jamais assez !

          Elle continuait à pousser Tautonus… Elle disait : « Et à l’Est ! On n’y a jamais été ! Ils ne connaissent pas ton nom là-bas ! Quand ils verront ta force, ils plieront le genou devant toi ! »

          Tautonus ne répondait rien, car il savait combien les distances étaient longues vers l’intérieur du continent ! Il mesurait la logistique nécessaire et en frémissait ! De plus, c’était lui qui aurait à combattre, nullement la Machine, et cela seulement le désolait, car il devinait que son corps était déjà fatigué des nombreuses campagnes précédentes et qu’une nouvelle expédition ruinerait sa santé !

           Mais la Machine avait un argument de poids, toujours le même : c’était Tautonus qui avait tiré les marrons du feu ! C’était lui qui était en pleine lumière, qu’on saluait, alors que la Machine avait dû se contenter de l’ombre, que son rôle restait méconnu et que c’était maintenant à son tour de ressentir du plaisir !

          Tautonus culpabilisait et céda ! On s’attela aux préparatifs et il y avait là des centaines d’éléphants, venus de l’Afrique secrète, des chars de toutes sortes, des mercenaires sombres, aux armes étranges, des troupes hérissées de piques, des souffleurs de cors, des enfants, des vivandières, des poules et tout cela s’étendait jusqu’à l’horizon, en un immense nuage de poussière !

          Mais très vite, comme l’avait prévu Tautonus, la route devint interminable, morne, désespérante ! Un grand nombre déserta, quand d’autres refusaient d’aller plus loin, s’installaient dans quelque auberge et attendaient là le retour de l’armée ! La Machine, pour sa part, serrait les dents : elle avait un but, celui de faire reconnaître sa gloire, sa puissance, auprès de tribus qu’elle imaginait sauvages, sans instruction !

           On atteignit les montagnes d’une contrée inquiétante, grise, où les gens semblaient toujours dans la nuit ! Ce fut pourtant en ce lieu que la Machine se fit valoir en pleine lumière ! Elle expliqua qui elle était et comment elle avait bâti un empire et on l’écoutait surtout par curiosité ! Tautonus, lui, ne cessait de rester sur ses gardes… Il redoutait une attaque surprise, qui aurait exigé des forces qu’il ne possédait plus !

           Angoissé, il eut des décisions malheureuses et bien que la Machine eût posé des jalons et parût satisfaite, quand il fallut faire demi-tour, l’armée se perdit, dut revenir sur ses pas, puis aller de nouveau vers l’avant ! On s’embourba dans des marais, où beaucoup périrent, et les fièvres pesèrent sur les survivants ! Le mal que Tautonus percevait déjà en lui s’aggrava ! De retour chez lui, épuisé, il consulta et on lui diagnostiqua une maladie incurable ! Cette dernière conquête l’avait achevé !

          La Machine, elle, restait pimpante ! D’ailleurs, elle attendait une délégation de l’Est, qu’elle pourrait épater par sa richesse et l’étendue de son royaume ! Elle n’avait pas perdu son temps et voyait ses journées toujours pleines ! Puis, Tautonus subitement tomba et mourut ! Ce fut un choc pour la Machine, d’autant qu’elle perdait son « étendard » dans un monde d’hommes !

          Allait-elle décliner, vieillir ? Non, à peine Tautonus était-il enterré que la Machine se rappela Rank et qu’il avait trouvé refuge dans une ville voisine ! Il ne pouvait échapper à la Machine, qui ne supporte pas l’échec et qui ne veut prêter en aucun cas le flanc à ses ennemis, avec un cas tel que celui de Rank !

           Quelques fidèles de Tautonus apportèrent des cadeaux à Rank, pour l’appâter ! Le but était de renouer les liens, afin de mieux les resserrer ! Rank resta sourd, ne « marcha » pas et on décida de changer de tactique ! On harcela la ville de Rank ! On en fit le siège, pendant que des « commandos » furent chargés de kidnapper le soldat Paschic !

            Il demeura introuvable, insaisissable, mais ce qui importe, c’est que la Machine projette, commande, contrôle, règne, quitte à blesser, à tuer, car seule elle compte ! C’est le monde de la Machine ! Le cheval Tautonus est mort, il faut en trouver un autre !

                                                                                                                 51

           Rank ouvre les yeux et les ferme aussitôt, tant il est aveuglé par la lampe qui lui fait face ! Dans l’ombre, des hommes en uniforme attendent… Depuis combien de temps Rank est-il là ? Il ne le sait plus, car les interrogatoires se sont succédés jusqu’à complètement l’abrutir ! On l’abreuve de questions, on le maltraite, puis on le ramène à sa cellule, où soit on l’empêche de dormir, soit on l’humilie, en lui faisant miroiter une nourriture, qu’on retire aussitôt !

            Pourtant, Rank tient bon ! Il refuse de signer une confession, qui le ferait un ennemi de la Machine, complotant sa perte ! Il est accusé de sournoiseries, de mensonges, de manipulations ! Il est un agent étranger, venu saper la famille ! La Machine est entouré par un monde hostile et décadent, dont Rank s’avère le poison destructeur !

            Derrière la lampe, on fume, on murmure, on soupire, puis un des « policiers » jette son mégot et apparaît en pleine lumière ! C’est un type massif, avec une tête comme une brique, et de sa voix caverneuse, il demande : « Encore une fois, qui es-tu ? Qui t’envoie ? Pour qui travailles-tu ?

    _ Je ne sais pas de quoi vous parlez ! Je n’ai rien à voir avec un quelconque complot ! Je suis innocent et je veux un avocat !

    _ Les preuves de ta... duplicité sont accablantes ! répond l’homme qui s’énerve.

    _ Quelles preuves ?

    _ On a trouvé dans le placard de ta chambre des notes, des noms, des dates !

    _ Montrez-les moi ! Tout cela est ridicule ! »

           Le policier lève la main, mais il est arrêté par un nom, le sien, aboyé par un nouvel arrivant : « Lipovtich ! Veuillez laisser cet individu tranquille ! Nous ne sommes plus au Moyen Age, que diable ! Aujourd’hui, nous obtenons beaucoup plus de choses, en se montrant civilisé ! Rank est intelligent et il nous en sera gré d’en tenir compte ! »

            Celui qui vient de parler enlève son manteau et vient s’asseoir sur le bord du bureau… Il détourne la lampe, ce qui soulage Rank, et il lui propose une cigarette ! Rank refuse, mais l’homme allume la sienne et dit : « Je suis le docteur Kimov, psychiatre… Pourquoi ne voulez-vous pas signer votre confession ? Votre hostilité à l’égard de la Machine est évidente ! Vos frères et Tautonus ne s’en plaignent pas ! Vous êtes le seul obstacle à l’harmonie générale… et vous ne pouvez pas tenir ce rôle, sans prendre vos ordres d’une puissance étrangère…

    _ Vous vous trompez ! Je ne suis en aucun cas menteur, sournois ou manipulateur ! Je suis uniquement attaché à la vérité… et c’est pourquoi je refuse d’avouer une culpabilité qui n’existe pas !

    _ La vérité ! fait songeur Kimov, en soufflant de la fumée vers le plafond. Écoutez, la Machine ne peut plus supporter cette situation ! Elle est scandalisé par votre opposition ! Pour le bien de tous, vous reconnaissez que vous agissez à dessein… et que vous le regrettez ! Je vous promets le traitement dû à ceux qui s’amendent !

    _ Et moi, je vous propose une autre version, à condition que vous vouliez bien l’entendre !

    _ Mais je suis là pour ça, pour essayer de comprendre !

    _ Imaginez la Machine paranoïaque ! Se donnant une importance exagérée, elle soupçonne logiquement son entourage de s’occuper d’elle et de lui vouloir du mal ! Cela expliquerait aussi ses colères subites, comme une sorte d’ivresse, de sorte qu’elle ne s’en rappelle même plus une minute plus tard ! Elle m’accuse d’être un manipulateur, car dans son monde elle calcule, ment pour se défendre d’une menace imaginaire ! La sournoise, c’est elle !

    _ Évidemment, vous avez reçu le meilleur entraînement ! répond kimov, qui a terminé sa cigarette et qui l’écrase dans un cendrier. Vous avez réponse à tout ! On pourrait vous interroger pendant des heures et vous n’en démordriez pas ! C’est la Machine qui est malade et pas vous ! Mais nous avons tout de même un point de repère… Tous les autres membres de la famille s’entendent avec la Machine, sauf vous ! Alors qui est le déséquilibré ?

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes en train de me dire que l’intégration sociale est un critère de normalité ! Hi ! Hi ! Comme si la société n’était pas la classe qui continue, avec tout le monde sagement assis, redoutant une mauvaise note ! Que faisons-nous là ? Quelle place avons-nous dans l’univers ? Pourquoi le matérialisme occidental est une impasse, puisque nous vivons dans le chaos, malgré notre confort, et que la planète nous tue ? Qu’est-ce qui manque à la raison, pour nous rendre heureux ?

    _ Je n’aime pas vos manières ! Je ne vous aime pas du tout d’ailleurs !

    _ Mince ! »

          Kimov gifle Rank, puis dit aux autres : « Ramenez cette enflure dans sa cellule ! Ne lui donnez pas à manger ! Il finira par craquer et nous donner le nom de ses employeurs ! N’oubliez pas que la Machine veut des résultats ! »

  • Rank (43-46)

    R9

     

                                 " Bellissima!

                                  _ Qu'est-ce qu'il dit?

                                   _ Ben, j' crois qu'y dit qu' y a rien à j'ter!"

                                                                       L'Animal

     

                                                            43

          Rank est toujours attaché sur sa chaise… En face, deux gros hommes mangent des sandwiches… L’un d’eux dit : « Alors Rank, comment tu te sens ? Prêt pour une nouvelle tournée ?

    _ Dis donc, fait l’autre, il est un peu sec ce jambon…

    _ Tu trouves ? Pour moi, il est impec. !

    _ Tout de même… j’ai l’impression que la Machine nous néglige ! La dernière fois, c’était le cidre qui était tiède ! »

          L’autre homme hausse les épaules et finit d’avaler ! Puis, de nouveau il s’approche de Rank, en remontant ses manches ! « Allez, mon p’tit Rank, faut pas chômer ! On n’est pas payé à rien foutre ! Serre les dents, le môme : cette collation m’a remis d’aplomb ! »

         Il se met à cogner Rank, à le gifler ! Du sang gicle ! Rank pousse des ouch !, des aaah ! et sa tête voltige, puis c’est son ventre qu’on écrase ! « Pas au visage ! crie l’autre agresseur, qui n’a pas encore terminé de manger. Rappelle-toi ce qu’a martelé la Machine : il ne faut pas d’ traces, qui peuvent faire remonter jusqu’à elle !

    _ Tu vas quand même pas m’apprendre mon métier, non ? Mais c’est vrai que j’aime tellement ça que j’ m’emballe un peu ! Pause Rank ! Ouf ! Ah ! Ah ! Bien sûr que ça fait du bien !

    _ Bande de… fumiers !

    _ Tsss, tsss ! En voilà d’ la méchanceté ! La Machine nous avait bien dit : « Faut bien le rosser, le Rank ! Car comme insolent, y a pas mieux ! » Nous, Rank, on veut seulement que tu percutes le sens du mot respect !

    _ On fait not’ job, c’est tout ! renchérit celui qui maintenant a de la mayonnaise et de la tomate au coin de la bouche. Foutu jambon !

    _ Bon, on va te refaire le portrait, mon p’tit Rank ! Tu vas être rose comme une jeune fille ! On verra rien de nos coups, après un maquillage ! On est des pros !

    _ Qu’est-ce que t’avais aussi à porter plainte contre la Machine ? rajoute encore l’autre. Elle est bien embêtée à présent avec ce procès ! T’es allé raconter aux flics qu’elle te harcelait ! qu’elle te détruisait, que t’étais une victime ! Elle a dû réagir, tu penses ! Quelle honte pour elle ! Sa vie privée en pâture à la presse ! A cause de qui, de quoi ? d’un avorton qui s’ raconte des histoires, qui est comme un coq en pâte, mais qui n’en a jamais assez ! La jeunesse d’aujourd’hui me dégoûte !

    _ Allez Rank, faut s’ lever maintenant ! On va au procès ! Tu sais ce qui t’attend si tu témoignes mal ! T’auras qu’à dire que tu t’es trompé ! que t’as perdu le sens commun ! que t’as enfin ouvert les yeux sur ton affreux égoïsme ! que la Machine est en fin de compte la meilleure maman du monde ! Hein, Rank, tu sauras dire tout ça ? Attention, on va mettre la deuxième manche ! Bien sûr que c’est douloureux, mais c’est d’ ta faute !

    _ Si jamais, au procès, tu regrettes pas ta plainte, tu fais pas amende honorable, on te fera subir le double… et même le triple ! Tu peux nous croire ! »

          Rank et ses deux agresseurs montent dans une grosse voiture noire et filent au tribunal ! La salle d’audience est pleine à craquer et juste à ce moment, la Machine passe à la barre ! Elle a prêté serment et elle déclare au procureur : « Jamais je n’ai voulu faire du mal à Rank ! J’ai toujours été équitable avec lui ! Mais vous savez, le rôle des parents n’est pas facile ! Ils doivent parfois, et je dirais même souvent, s’opposer aux désirs de leurs enfants, afin de les préparer à la dureté de la vie ! Celle-ci ne sera pas à leur service !

    _ Bien entendu, mais vous jurez que vous ne méprisez pas Rank ! que vous ne l’avez pas maintes fois piétiné ! Nuls coups bas ! Nulle bassesse ! Nul sadisme de votre part !

    _ Je le jure ! »

          A cet instant, il y a un brouhaha dans la salle et le greffier parle à l’oreille du juge, qui dit : « On vient de m’avertir que le plaignant retire sa plainte ! L’audience est donc suspendue ! 

    _ Nous réclamons un acquittement pur et simple ! » s’écrie triomphalement l’avocat de la Machine.

           Le tribunal se vide et la Machine sort sous les flashes ! On lui tend des micros et elle déclare : « Mesdames, Messieurs, regardez seulement le trouble, la confusion et la douleur d’une mère ! Après jugez-moi, si vous voulez ! » Tout le monde est ébloui par ce courage !

          Rank suit et il entend subitement la Machine lui murmurer : « Tu m’as humilié en public… et ça, je ne te le pardonnerai jamais ! » Rank paniqué cherche un visage ami dans la foule, mais il croise les yeux d’un de ses agresseurs, qui fait le signe de lui couper le cou !

         Mais ainsi vont les machines, apparemment sans liens avec le mal qu’elles causent ! comme si la main gauche ne savait pas ce que fait la droite ! Les victimes des machines sont leurs bourreaux ! Bienvenu chez les fous !

                                                                                                              44

          Rank regarde par la fenêtre… Une charrette d’hommes, insultée par des femmes, est conduite à l’échafaud ! C’est ainsi chaque jour et la révolution féminine bat son plein ! Il semble que les femmes se réveillent d’un cauchemar… « Comment avons-nous pu supporter le patriarcat aussi longtemps ? s’écrient-elles. Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Égalité ! Égalité ! Les violeurs à la lanterne ! »

          Des Comités de salut public sont formés, des condamnations émises ! Un jacobinisme féminin réclame vengeance ! Des hommes connus s’effondrent, sont démasqués, traduits en justice ! Hier, ils étaient au firmament, des symboles mêmes de la réussite et soudain ils se retrouvent en prison, honnis par l’opinion ! Leur chute est spectaculaire et on se demande à qui le tour !

          L’homme est le nouvel « aristo » et perdu, sentant la fin de son règne, que le sol se dérobe sous ses pieds, il tue régulièrement sa compagne, il provoque le féminicide, ce qui bien entendu enflamme la situation ! La haine est dans la rue, la peur aussi ! On réclame des têtes, on rêve d’une domination féminine totale, après avoir définitivement chassé la masculine !

          On n’essaie pas de réfléchir…, de comprendre l’origine des choses ! On ne veut pas aimer, mais mépriser à son tour ! On fustige le patriarcat, en utilisant ses travers ! Le renversement des fausses idoles est sans doute nécessaire ! Mais on s’oppose à un aveuglement par un autre ! La femme, déçue dans son égoïsme, se voit victime et dénonce le coupable, qui est bientôt lynché, qui ne pourra plus vivre comme avant, même s’il s’avère innocent !

          La coupe est pleine ! L’asservissement des femmes n’a que trop duré et la féminisation de la société est une bonne chose : qui aurait pu penser, il y a cinquante ans, à des lois luttant contre l’homophobie ou le harcèlement sexuel ? Respecter la femme, c’est donner une place aux plus faibles, aux plus fragiles ! C’est l’humanité qui progresse ! Mais pourquoi est-ce possible aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a diminué la domination masculine ? Ce n’est pas seulement le combat féminin !

           Rank rêve… Il voit des tombes, des centaines de petites croix blanches, dans du gazon bien entretenu ! C’est le rôle de l’homme que de défendre le territoire et il s’est battu jusqu’à ce que les nations aient leur visage actuel, c’est-à-dire jusqu’aux années 2000, avec la fin de la guerre froide ! La guerre en Ukraine n’y change rien, car elle montre encore une fois de plus combien un conflit armé est devenu préjudiciable pour tous ! Les frontières étant en majorité bien établies, l’ère de la communication et de la globalisation étant arrivée, la défense du territoire n’est plus une véritable nécessité et forcément le rôle de l’homme devient secondaire !

           L’égoïsme féminin peut alors réclamer sa part, car c’est d’abord l’égoïsme qui pousse les êtres humains ! Il ne peut en être autrement du fait de notre origine animale… Bien sûr, la conscience change la donne, nous invite à dépasser nos instincts et nous parlons d’amour, de justice, de compréhension, mais ce n’est pas notre raison qui encourage notre haine ! C’est encore notre égoïsme qui nous fait aussi virulents !

          D’ailleurs, le problème vient quand les hommes ne veulent nullement perdre leurs privilèges, leurs prérogatives et reconnaître que les temps changent, notamment en faisant valoir le caractère sacré des textes religieux ! Ceux-ci, on le comprend bien, ont été écrits à une époque où la domination masculine était une priorité et ils placent donc l’homme devant la femme, car c’était lui le bouclier contre les attaques ! C’était encore le règne animal, la loi du plus fort et la femme devait faire avec !

           Mais elle n’est pas non plus desservie par la nature : elle a aussi un rôle qui lui est propre et c’est celui de la reproduction (ce qui ne veut pas dire non plus que la femme est contrainte de faire des enfants, car encore une fois la conscience « change la donne »!) ! Mais la femelle, chez les animaux, est généralement chargée de l’installation des petits et de leur naissance ! A ce stade, le mâle n’est plus le maître et il ne fait qu’obéir ! La femelle pie, par exemple, est l’architecte du nid et elle envoie le mâle chercher des brindilles !

          La femme instinctivement s’occupera mieux de son intérieur qu’un homme ! C’est comme ça et ce n’est pas culturel ! De même, l’homme aura toujours du goût pour l’affrontement, même si la femme lui reproche son excès de testostérone, car c’est la sélection naturelle qui continue… Mais il n’en demeure pas moins que la révolution féminine sera appelée elle aussi à disparaître, à être dépassée ! Si, pour l’instant, c’est loin d’être une évidence et plutôt l’heure du règlement de comptes, c’est que les « machines » vivent dans une illusion, au grand effarement de Rank !

          En effet, les femmes n’ont nullement besoin de la force physique pour opprimer et détruire leurs enfants ! Elles peuvent avoir à leur égard le même despotisme, la même violence que ceux des hommes ! Et pourtant, pour la Machine, c’est Rank l’oppresseur, le manipulateur, le danger ! Comment alors ne pas voir combien notre égoïsme nous aveugle et qu’il est au fond notre seul ennemi ?

                                                                                                             45

          Comment les machines pourraient-elles être en paix ? Ce n’est pas une question de sécurité matérielle… En effet, si le but de votre vie, c’est vous-même, votre réussite, le sentiment de votre supériorité, vous devez être toujours en représentation, notamment sur les réseaux sociaux, où vous vous mettez en scène et attendez que votre public vous approuve, vous loue ! Chaque jour donc, il doit être question de vous et il vous est donc impossible d’accepter la solitude, le silence, la patience ! Mais au contraire il vous faut instamment des projets, une agitation constante, des admirateurs, des gens à contrôler, sous votre pouvoir, etc. !

          L’anonymat, l’attente, la confiance même sont forcément des symboles d’échec pour les machines, une inévitable cause d’angoisse ! Le soldat Paschic, doux, rêveur, ayant l’air maladroit, lent, absent, ne peut que provoquer l’ire de la Machine, son inquiétude, son désespoir ! Il est très vite jugé faible, inapte, raté, inférieur et l’accable, l’écrase le plus total mépris de la Machine ! C’est comme si un orage constant fondait sur Paschic et qu’il ne pouvait être blessé, tant il est à l’échelle de la vermine ! Pourtant, c’est bien ce troufion qui détient la clé du bonheur et de la paix des machines !

           Certes, Paschic a son petit égoïsme, sa fierté ses peurs (il n’est pas né dans un chou!), mais aussi et surtout il a cette « goutte d’esprit », dont il n’est pas responsable et qui le fait aimer éperdument la beauté de la nature ! Le « pauvre » Paschic s’extasie devant un brin d’herbe, une feuille d’automne ou le chant d’un ruisseau ! Il est ravi par tout l’éclat de la verdure et le comportement d’un cloporte l’intéresse prodigieusement ! Inutile de dire que dans ce cas les colères de la mer ou de croiser un renard sont considérés comme des cadeaux, de la magie supplémentaire ! Évidemment, cela provoque l’incompréhension des machines, qui considèrent alors Paschic tel un idiot, un simple !

          Mais ce qui irrite par-dessus tout les machines et particulièrement la Machine, c’est l’indifférence de Paschic à leur égard ! Il n’est nullement impressionné par elles… et comment pourrait-il l’être, puisque la vanité des machines lui paraît justement le contraire de la beauté de la nature, comme quelque chose qui est ridicule, rapetissant ! « Comment prendre au sérieux un individu, se dit Paschic, alors que dans la moindre parcelle du monde éclatent une splendeur illimitée, un génie incroyable, vertigineux, qui fait par exemple ressembler l’espace à une décoration de Noël ? »

          Paschic ne peut attribuer cette magnificence qu’à Dieu et il n’en revient pas que les machines cherchent pour ainsi dire à prendre la place de celui-ci ! Comme si elles pouvaient soutenir la comparaison ! C’est cet étonnement, ce dégoût même que les machines lisent dans les yeux de Paschic et dès lors leur haine à son encontre devient implacable ! Leur incompréhension laisse place à leur envie de détruire ! Cependant, la Machine, qui n’a pas que du mauvais en elle, qui est quand même une mère, se demande si Paschic n’est pas dérangé ou handicapé mentalement, ce qui expliquerait pourquoi il résiste à l’autorité parentale, en ne la considérant pas comme la torche qui éclaire le monde !

          Paschic a donc rendez-vous avec un spécialiste et le voilà dans l’univers des machines, avec la secrétaire très digne, la salle d’attente bien propre, pour que la peur s’insinue et que le psy apparaisse telle une sommité ! Puis, Rank est introduit et découvre un cabinet feutré, lui aussi éminemment sérieux, puisque les cadres aux murs ont même l’air de l’art défini par la psychanalyse, c’est-à-dire comme des cas de maladies !

           Le psy est légèrement nerveux, ce qui est bien naturel, car il se demande toujours à qui il a affaire et il ne veut pas qu’on lui saute dessus, avec un couteau, et c’est pourquoi Rank, notre soldat Paschic intime, l’aide un peu, en lui parlant dans un sens auquel il doit s’attendre ! Rank évoque ainsi les inquiétudes de la Machine et il se rabaisse en avouant sa timidité et même son égoïsme !

            Il montre qu’il est bien embêté et qu’il doit causer bien des soucis, mais tout ce blabla est inutile, Rank le sait, puisque le psy le déteste déjà, ne se trouvant pas admiré, ne se voyant pas le savant, le dieu de la connaissance dans le regard de Rank, qui lui-même devrait être soumis ! Ainsi la colère du psy s’amasse, tel l’orage de Jupiter et la foudre va frapper le pauvre soldat Paschic, qui se prépare mine de rien !

           C’est une pluie acide qui tombe enfin sur la tête de Rank, une trombe pleine de mots du jargon ! Des mots destinés à percer, à tuer ! Le psy n’est plus celui qui soigne, mais celui qui détruit et qui piétine ! Il n’y a plus d’éthique ! C’est la réplique de la machine, sa haine et Rank entend qu’il est un schizophrène léger, sûrement névrosé ! Border-Line ? Son surmoi ? Épouvantable ! Il est le paranoïaque sournois ! Le cas typique de l’égocentrique ou du pervers narcissique !

           La justice de la science, objective, a parlé, rendu son verdict ! Il n’y a plus rien à faire : Rank est fiché, condamné, maudit par la raison ! Va-t’en Rank ! Rase les murs ! L’abjection s’enfuit !

           Le cœur du soldat Paschic est encore gros, sa tristesse incommensurable et pourtant il continue de chanter ! Quand est-ce qu’il pourra aider les machines ?

                                                                                                            46

            Ce soir, il y a cinéma dans le camp de la Machine et tout le monde se réjouit, sauf Rank ! Il reste toujours sur ses gardes, car il sait qu’en plein milieu de la séance la Machine peut apparaître, en disant : « Mais qu’est-ce que cette connerie ? Allez, vous arrêtez ça et tout le monde au lit ! » ou bien « Moi, j’avais envie de voir l’autre programme ! » et on doit alors changer de chaîne ! C’est le camp de la Machine, où chacun est contraint de lui obéir, y compris bien entendu le soldat Paschic, quoiqu’il traîne les pieds, plein de sa tristesse !

           Pourtant, la Machine est une victime, du fonctionnement du camp, des charges imposées par la famille, de l’égoïsme des hommes ! La preuve ? La Machine a une pièce bien à elle, qui lui sert, dit-elle, de refuge ! Là elle est à l’abri des demandes des uns et des autres, de leur avidité, car le monde est dur à l’égard des femmes ! C’est une petite pièce sans fenêtres, quasiment un débarras, dans laquelle la Machine effectue encore humblement quelques travaux de couture, comme si tout de même la femme ne pouvait vraiment échapper à sa triste condition !

           On vient voir la Machine dans cette pièce avec crainte, en se sentant coupable, avec le sentiment qu’on va encore enlever au pauvre ses haillons ! Mais c’est oublier le pouvoir de la Machine, que c’est elle qui commande le camp et qu’en définitive on contemple un mirador ! Si chacun paraît libre et s’enchante du cinéma, c’est qu’il est en règle avec la Machine et bien que le film soit lancé, Tautonus se lève et monte au mirador !

            C’est un devoir ! Dans le règlement, Tautonus ne peut pas prendre de plaisir, sans s’inquiéter de celui de la Machine ! Cela vient de l’ingratitude supposée de Tautonus ! Sa réussite sociale est due à la Machine, mais en profite-t-elle ? Non, évidemment, nous sommes dans un monde d’hommes ! Tautonus parade aux réunions, aux cérémonies, aux conseils… Il a une vie de représentation très riche, très active, d’où est absente la Machine ! A peine est-elle invitée à certains dîners et encore parce qu’on ne peut pas faire autrement, semble-t-il !

           C’est une plainte constante de la Machine, que Tautonus soit le seul à jouir du statut du couple ! Peu importe que les commerçants des halles saluent avec déférence la Machine et lui choisissent les meilleurs morceaux, elle reste la grande perdante dans sa petite pièce, sa « guérite », sans fenêtres, bien qu’au fond elle ne demande pas plus, la pauvre ! Tautonus doit toutefois veiller à ce qu’on « n’oublie pas » la Machine et le voilà dans le mirador, aux ordres, alors que le film pour une fois l’intéresse prodigieusement !

    « C’est intéressant ? demande benoîtement la Machine.

    _ Oui, c’est très bien…

    _ Bon, alors vas-y…

    _ Tu n’as besoin de rien ?

    _ Non, j’ai tout ce qu’il me faut ! Un peu d’ fil, des aiguilles et ça ira... »

            Tautonus reprend sa place au cinéma, soulagé, mais comme un petit garçon pris en faute, parce qu’il a du plaisir ! Ce sera d’ailleurs inscrit sur le grand livre des comptes et il faudra rembourser, d’une manière ou d’une autre ! Tautonus s’est détendu à telle date, mais le nom de la Machine n’apparaît pas ! On est loin de l’équilibre !

            Plus tard, le soldat Paschic, lui aussi, est obligé de passer par le mirador : c’est le « bonne nuit » ! Paschic fait un bisou à la Machine, mais c’est une corvée ! Le « bourreau » tend la joue et Paschic surmonte son dégoût ! Car il n’est pas dupe : il sait depuis longtemps que la Machine se gave, se goberge, qu’il n’y en a que pour elle et que rien ne peut apaiser son mépris !

             La Machine est comme une pompe, à laquelle chacun est relié notamment par la peur ! Chaque jour elle puise, vide, ordonne, condamne, exile, etc. ! La maison est sa cour ! Les autres sont ses esclaves, mais c’est elle qui gémit et bien des machines aujourd’hui se comportent comme elle ! Ces femmes n’ont pas d’ambitions, elles sont dépourvues d’égoïsme, elles ne font que se dévouer, que croire aux promesses qui leur sont faites et dans ces conditions, l’homme est bientôt jugé coupable, sournois, calculateur  et on engage des poursuites contre lui !

             C’est le « syndrome » du Mirador ! On est là-haut, avec un œil sur tout et prêt à tirer sur celui qui s’échappe, mais on se plaint du froid, de l’inconfort, de se sacrifier alors que les autres s’amusent ! Pourtant, quand on veut régner, on est forcément déçu !

            Il faudra toute une vie à Rank pour qu’il gagne sa liberté, qu’il se débarrasse de sa peur ! Il lui faudra toute une vie pour qu’il rie de ce que le monde existe sans la Machine !

  • Rank (37-42)

    Rank8

     

                         "Mais je ne peux pas vous confesser comme ça, sans séparation!

                           _ Et avec ce gril, ça ira?"

                                                                                   L'Auberge rouge

     

                                                             37

          Comment vont les machines ? Mais bien ! Rappelons-le, les machines ont toujours besoin d’avoir le sentiment de leur importance ; c’est leur carburant et acheter est un bon moyen de se donner de la présence, du pouvoir ! Celui qui n’a pas le sou regarde a priori les jours comme un prisonnier ! Donc, les machines se pressent dans les magasins, qui eux préparent déjà Noël, comme si hors de la consommation il n’y avait point de salut ! Qu’est-ce que ça produit au final ? Mais des troupeaux suant, soupirant, s’énervant, écrasant les caisses, haineux, alors que tout ce beau monde est là pour son plaisir ! Aucune évolution ! Dans le même temps, là-bas, dans d’autres pays, on sourit parce qu’on a de l’eau !

          Mais, grâce à l’IA, la Machine peut acheter un robot, qui a tout l’air d’un être humain ! C’est tout nouveau et ça fait fureur ! La Machine choisit une jeune femme, qu’elle nomme Bona, comme « bonne à » tout faire ! Cela ne veut pas dire que la jeune femme soit destinée aux travaux ménagers (quoiqu'à l’occasion elle pourra aider…), mais Bona est conduite vers un destin plus grand : elle va devenir la confidente et donc l’admiratrice de la Machine ! C’est un des miracles de l’IA : ses robots ou droïdes comprennent ce que veulent leurs propriétaires et s’adaptent ! Ils prennent le rôle qu’on souhaite et ils sont aussi dociles que les chiens, mais avec bien plus de possibilités !

          Voilà donc la Machine, avec Bona, parcourant l’immense propriété de la famille ! Enfin, après des kilomètres, la voiture s’arrête devant la mer : « La limite ! dit la Machine. On ne peut pas aller plus loin…, malheureusement ! » Devant les rouleaux, frangés d’écume, Bona s’écrie : « Comme c’est beau !

    _ Ouais ! J’avoue que j’aime les colères de l’océan ! C’est un peu le miroir de ma force ! »

          Les deux femmes sortent de la voiture et sont accueillies par la puissante haleine du large ! « Ouh ! Ça souffle ! dit encore Bona.

    _ Quand j’ suis arrivée ici, y avait rien ! J’ai dû tout faire moi-même ! Viens, je vais te montrer ma troisième résidence secondaire ! »

          On reprend la voiture et on entre dans le jardin d’une vaste maison, située juste derrière la dune ! « A l’époque, explique la Machine, qui ouvre sa porte, il a fallu qu’on bataille dur, pour obtenir le permis de construire ! On avait déjà des problèmes avec les écolos… Enfin, Tautonus a eu gain de cause… Quand je dis Tautonus, c’est moi derrière évidemment ! Comme tu dois le savoir, Bona, on ne peut pas compter sur les hommes !

    _ C’est magnifique ! dit Bona, qui visite la maison. Et si près de la plage ! Oh ! Vous devez en faire des envieux l’été !

    _ C’est pas le but évidemment ! Mais il est vrai que l’on n’a que ce qu’on mérite ! Le meuble là est en bois massif ! Qu’est-ce que je disais ? Oui, on n’a pas voulu la terrasse trop longue, car on n’est pas des richards non plus !

    _ C’est admirable !

    _ Oui, on essaie de bien faire les choses ! Le travail, ça on connaît ! Et puis, c’est qu’une partie de mon emp…, euh, c’était nécessaire pour que la famille vienne se détendre !

    _ Bien sûr ! Combien avez-vous eu d’enfants ?

    _ Vingt-cinq !

    _ Oh !

    _ Oui, j’estime avoir largement fait mon devoir ! Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour mes plaisirs !

    _ J’ m’en doute !

    _ L’éducation des enfants, la carrière de Tautonus… Qu’est-ce que j’ai eu, moi ? Rien !

    _ Vous vous êtes sacrifiée ! Vous êtes une femme admirable !

    _ Oh ! J’aime bien les gosses ! Même s’ils posent beaucoup de problèmes ! Enfin, certains sont bien égoïstes !

    _ Vous semblez avoir une blessure secrète…

    _ Oui, y en a un qui m’a toujours échappé, qui m’échappe toujours ! J’ comprends pas… il a pourtant eu le même traitement que les autres ! On essaie de tout leur donner et on ne reçoit qu’ingratitude !

    _ Je vois et il s’appelle comment ce garçon ?

    _ Rank ! Rank le maudit ! Il m’a toujours résisté, c’ fumier ! Il a jamais rien fait de bon et il se permet de me juger ! Pour lui, j’ suis d’ la crotte !

    _ Oh ! Comment peut-il être aussi méchant ? Vous êtes une femme magnifique ! Une mère exemplaire ! Et voilà que ce méchant garnement vous fait pleurer !

    _ Oui, il a brisé mon cœur de maman, mais j’ l’aurai ! Snif ! J’ l’écraserai ! Et il me suppliera, c’ microbe ! Ah ! Mais baste, allons voir mes peintures !

    _ Ah ! Parce que vous peignez en plus !

    _ Dame, je n’ suis pas seulement au service des autres ! J’ai encore une sensibilité d’artiste !

    _ Que d’ talents ! »

                                                                                                            38

          « Par ici, je vous prie... » Lucifer en personne montre à la Machine le chemin qu’elle doit suivre ! Le ciel est gris et plus on marche et plus il devient sombre ! Un rumeur monte, qui fait frissonner ! On dirait une mer de plaintes, qui vient battre un rivage ! « Qu’est-ce que c’est ? demande la Machine soudain inquiète.

    _ C’est l’enfer, mon domaine quoi ! Tous ceux qui ont méprisé, écrasé, menti, profité des autres échouent ici ! Ils ont été jugés, pesés et hop ! ils éprouvent les souffrances de leurs victimes ! Évidemment, c’est pas très réjouissant, vous vous en doutez ! Il y a des moments où moi-même je voudrais être ailleurs, je ne vous le cache pas ! Mais la sécurité de l’emploi…, la retraite…

    _ Je croyais qu’il était question de la vie éternelle… Alors pourquoi parler de retraite ?

    _ Parce que j’aime bien me plaindre ! C’est toujours ça de pris, pas vrai ! Qui sait ? Vous pourriez marcher dans la combine et commencer à vous intéresser à moi ! Vous diriez : « Pauvre diable, le boss est bien injuste envers vous ! D’ailleurs qui l’a fait boss, si ce n’est lui-même ? Les privilèges ont assez duré ! Allons lui régler son compte, au tyran ! » Hein ? Douce chanson !

    _ En tout cas, moi, je suis innocente ! Je ne vois pas du tout ce qu’on me reproche !

    _ Bien sûr ! Tous sont là par erreur ! Vous vous êtes battue comme une lionne pour le bien ! Vous avez trimé toute votre vie ! Pas vrai ? Vos bulletins de salaire en témoignent ! Aucun plaisir ! Nul égoïsme ! Des soucis, toujours des soucis ! Jamais heureuse ! Les gosses, le mari, pour quel résultat ? L’ingratitude !

    _ Exactement !

    _ Et le boss, en prononçant le jugement, n’avait pas ses lunettes, ce qui fait qu’il vous a confondue avec quelque souillon !

    _ J’ignore ce qui s’est passé, mais effectivement on a dû se tromper ! Car je ne me sens nullement coupable !

    _ C’est peut-être ça le problème…

    _ Quoi ?

    _ Ben, que vous soyez toujours attachée à votre personne ! Autrement dit qu’il soit impossible de vous satisfaire, car le monde ne peut pas tourner seulement autour de vous ! Vous voilà donc malheureuse, avec le sentiment que vous ne prenez pas de plaisir et que vous êtes maintenant une victime !

    _ Mais vous êtes qui pour me parler comme ça ? Je n’ai aucun compte à vous rendre !

    _ Je vois, je vois… Me permettez-vous tout de même un conseil ? Ici, votre discours sur votre innocence, ça ne prend pas ! Tout le monde s’en moque ! Par contre, il y a toujours moyens d’arranger certaines choses… Par exemple, si vous avez trop chaud, on peut trouver une clim ! Je me suis laissé dire que vous étiez ce qu’on appelle une dame… J’ me trompe ?

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

    _ Ben, vous avez vécu dans l’aisance… et tout se monnaye ici !

    _ Dame, je n’ai pas mon sac ! C’est bête, j’ai dû le laisser quelque part…

    _ Oh ! Ce n’est pas l’argent qui nous intéresse ! C’est un peu d’amour qui fait le troc ! Rien qu’une petite goutte et c’est un peu de fraîcheur, pour nous autres damnés !

    _ Mais… que faut-il faire ?

    _ Hum ! J’ai là en mains votre histoire… et vous n’avez pas vraiment ménagé un certain Rank ! Vous pourriez essayer de vous excuser…, du moins aller dans ce sens…

    _ Moi, m’excuser auprès de cette ordure ? de ce minus ! En voilà un qui n’a jamais rien fait d’ sa vie ! Il n’ pas même pas été foutu d’obtenir une situation ! Un morveux ! Je voudrais l’écraser comme une punaise !

    _ Je vois, je vois… Il est pourtant dans l’amour du boss, à présent !

    _ Si le boss est miro, qu’est-ce que j’y peux ? Qu’il le garde, son Rank ! Ici, on est chez les durs, les battants, pas vrai ? Les mous, comme Rank, on n’en veut pas !

    _ Ah ! Ah ! J’étais sûr que vous seriez une recrue de premier choix ! Eh ! Eh ! Effectivement, vous allez voir qu’on est ici chez les durs ! chez tous ceux qui se sont servis des autres, pour avoir cette illusion !

    _ Euh… Je ne vous comprends pas…

    _ Vous continuez le chemin… et la « lumière sera » !

    _ Vous ne venez pas avec moi ?

    _ Mais non, les « battants » n’ont pas besoin d’être accompagnés ! Ne me dites pas que vous êtes une fausse costaude !

    _ Bien sûr que non ! J’ai travaillé toute ma vie !

    _ Bien, au bout du chemin… » 

    La Machine avance et il fait de plus en plus sombre, de sorte que c’est bientôt comme une nuit… Autour, il y a des pleurs, des gémissements, des regrets… et pour la première fois, la Machine est seule et n’a plus personne à commander, à mépriser, ce qui lui donnait une existence ! L’effroi de la solitude la frappe de plein fouet et elle se met à crier, crier !

    « Des durs, hein ? » fait le diable un peu plus loin. Pfff ! »

                                                                                                              39

            Depuis quelque temps, Rank a des problèmes de nez… Celui-ci se bouche anormalement et ce serait peut-être génétique, puisque Tautonus a apparemment le même mal, de sorte qu’on est contraint de brûler son bouchon nasal avec une sorte de fer ! Pour éviter une telle extrémité à Rank, on le fait consulter un spécialiste, qui recommande une opération !

           Le jour J, Rank est assis un peu en hauteur, pendant que le chirurgien, équipé d’une large lampe frontale, s’avance ! Derrière se tient une infirmière, au cas sans doute où Rank voudrait soudain s’enfuir ! C’est une opération effectuée sous une anesthésie locale, ce qui fait que Rank peut suivre tout ce qui se passe !

           Le chirurgien introduit dans la narine une pince et il sectionne les deux extrémités d’un petit os (apparemment une pièce qui n’est pas absolument nécessaire…) ! Rank perçoit très distinctement les cassures, qui résonnent dans son cerveau, et il faut aussi un peu tirer l’os, en tournant la pince, car des « ligaments » doivent résister !

            Puis, c’est le tour de l’autre narine et comme Rank sait ce qui l’attend, il verse une larme qu’il sent couler, sans pour autant bouger ! L’opération donc continue et se termine… et Rank est invité à se reposer un certain temps, sur un petit lit… Enfin, le médecin vient le chercher pour le conduire à son bureau… et là, il lui dit quelque chose de très surprenant !

            D’abord, il s’adresse à Rank comme si celui-ci était un véritable être humain, ce qui est éminemment nouveau pour l’intéressé ! Mais voilà son propos : « Je t’avoue Rank que j’ai été surpris par ton calme ! J’ai rarement vu quelqu’un qui a autant confiance dans les autres et dans la vie ! La plupart s’agitent ici ! Mais je me demande même si tu ne fais pas trop confiance ! Peut-être devrais-tu te méfier un peu plus... »

           Rank boit ces paroles, puisque qu’on le respecte, mais en même en temps il ne les comprend pas ! Cela reste du chinois pour lui ! En effet, Rank a toujours eu le sentiment qu’il était chez lui sur Terre ! Cela ne s’explique pas ! Pour Rank, la vie a forcément un sens et donc lui-même est protégé, guidé ! Malgré l’aversion de la Machine, sa souffrance, Rank ne s’est jamais senti abandonné dans l’Univers, où la conscience ne saurait être un accident !

           Mais, pour l’instant, Rank garde les paroles du médecin comme un trésor, dont on ignore la valeur et il est bientôt repris par la Machine, qui est venue le chercher et qui a déjà conversé avec le praticien ! Ainsi, Rank s’attend à des compliments venant de la Machine, car c’est certain il s’est bien comporté ! Mieux, il a fait preuve d’un courage rare, ce qui veut dire qu’il a porté haut les couleurs de la famille !

           Rank imagine très bien la Machine comblée d’aise, devant le discours élogieux du médecin, qui a dû là encore exprimer son étonnement, quant au « stoïcisme », à la maturité du rejeton ! Mais Rank attend en vain un signe de contentement chez la Machine ! Au contraire, elle paraît comme injuriée ! Comment est-ce possible ?

           Mais la Machine ne se voit pas du tout s’abaisser à reconnaître à Rank une quelconque qualité ! Quoi ? Elle prendrait en compte cet avorton, ce minable ? Elle ne le distingue même pas dans son champ de vision ! Complimenter Rank ne rapporterait rien à la Machine, d’autant qu’elle a déjà eu son plaisir, dans le cabinet du médecin ! Soudain elle aboie : « Tiens, voilà de quoi t’acheter un jouet ! Et rentre pas trop tard à la maison ! »

            Elle a planté Rank sur le trottoir et le cadeau, c’est la tradition, les convenances ! Nul amour n’est transmis et si Rank file tout de même au magasin de jouets, il se sent vaguement coupable… Lui aussi achète quelque chose, parce que c’est l’usage… et ainsi il sera plus tard dans ses plaisirs, ses joies, gêné, s’en trouvant indigne !

                                                                                                           40

            Tautonus est né dans un milieu rural, où il s’ennuyait ! La perspective de demeurer là toute sa vie l’épouvantait et il suivit bientôt une formation technique, qui lui permettait d’enseigner ! Pendant tout ce temps, il était pion et portait des chaussures troués l’hiver, ce qui lui faisait honte ! Au fond, il avait pas mal d’ambitions, beaucoup d’orgueil et voulait devenir quelqu’un ! Quand il se maria à la Machine, sa vie changea !

          D’abord, la Machine venait d’une famille plus bourgeoise, plus cultivée, et elle apporta son soutien à Tautonus, parce qu’elle connaissait mieux le monde et la façon de s’exprimer ! D’ailleurs, Tautonus gardera toujours un complexe, à cause de ses connaissances essentiellement techniques ! Mais ensuite la vanité de la Machine est sans limites, car elle se voit encore filleule d’un homme célèbre, ami de son père agrégé de lettres, comme si les dieux s’étaient particulièrement penchés sur son berceau !

            Nul doute que, grâce à la Machine, Tautonus passa la vitesse supérieure ! En fait, Tautonus s’engagea dans le combat politique : il avait une vision, celles d’hommes qui avaient déjà commandé le pays et dont il partageait les valeurs ! Évidemment, on tait les ambitions personnelles, on les nie même : on sert seulement une cause ! On se dévoue pour le bien commun ! On n’existe pas égoïstement, on n’a pas d’envies propres, ainsi qu’on serait impalpable, diaphane, juste animé par le devoir !

           C’est le premier point sur lequel s’accrochent Rank et Tautonus ! Quand le premier fait prendre conscience au second qu’il n’est pas un ange, mais bien constitué de matière, qu’il a lui aussi un amour-propre à satisfaire, celui-ci est outré, suffoque et devient violent ! Pourquoi ? N’est-ce pas là une évidence pour tous ? Mais il s’agit encore de conserver une illusion, car c’est elle qui protège !

           Cependant, le combat pour le pouvoir, l’ascension sociale est âpre, difficile et à chaque échelon, on rencontre des gens qui sont plus riches, plus cultivés et encore plus imbus d’eux-mêmes ! Même la Machine doit souvent se montrer prudente et attendre son heure ! Il faut apprendre à dépasser ses mentors, résister à leur haine et à leurs coups bas ! Patiemment, Tautonus surmonte sa timidité, améliore ses discours, voit plus grand et après quelques succès électoraux, il rejoint l’une des chambres parlementaires !

            Voilà Tautonus dans la capitale et réalisant son rêve ! Il est l’un des acteurs de l’État, il connaît les salons dorés, qui témoignent bien entendu de l’Histoire ! Ils passent de grandes portes, foulent des tapis silencieux, travaillent avec des gens qui murmurent, ironiques, à qui « on ne la fait pas » ! C’est l’élite pour celui qui vient de la campagne ! Tautonus s’invente un personnage, il est arrivé et partout où il va, il aime par-dessus tout briller ! Il s’impose comme centre d’intérêt dans les repas de famille ou les mariages !

           Il subjugue son entourage par sa science du pouvoir, ce domaine qui reste inaccessible au commun des mortels ! Son esprit acéré fait merveille, ses bons mots provoquent l’admiration et il se nourrit de cette gloire, de cet encens distribué par l’étonnement, les yeux ronds, la soumission d’un public naïf ! Bien sûr, la Machine n’est jamais loin et elle aussi profite de la situation ! Tautonus est son œuvre, sa réussite dans un monde d’hommes !

            La Machine peut alors juger toutes les autres femmes, les condamner si elles ne pas sont conquises et ne chantent pas ses louanges ! Le couple la Machine Tautonus rayonne au firmament, boit chaque jour des hommages et pourtant il reproche à Rank sa prétention, sa suffisance, comme si on pouvait sermonner un pauvre hère, ramasseur de patelles pour survivre, au sujet de son arrogance ! Mais c’est ainsi : la domination n’en a jamais assez, car elle ne guérit pas de ses peurs, et ceux qui lui résistent ont forcément droit à sa haine !

           Pour bien montrer à Rank combien il manque d’humilité, Tautonus le coince dans la cuisine et lui lit des citations d’auteurs illustres et moralistes ! L’orgueil y est fustigé de la plus belle manière, jusqu’à ce que Rank s’écrie : « Eh ! Mais c’est un livre que je t’ai offert ! Car je savais combien tu aimes les bons mots ! » Tautonus se trouble et répond bêtement : « Hein ? Non, je ne pense pas… Je ne crois pas... »

             La leçon s’arrête là, puisque Rank, à l’origine du cadeau, apparaît comme le maître… Mais quelque fois l’injustice exagère tellement qu’elle finit par se prendre les pieds dans le tapis ! Elle montre alors son ridicule et pour l’opprimé, c’est une petite victoire, tel un soleil brumeux qui donne tout de même un peu de chaleur ! Même le mal a des limites, qui font qu’il se perd lui-même !

                                                                                                                41

            Rappelons-le, nous ne savons pas vivre ! Tôt ou tard, menés par la domination, nous repartons en guerre, nous générons de nouveaux conflits, nous créons un chaos social, alors que nous sommes tous pareils, tous embarqués sur cette planète qui est menacée de destruction ! Nous voilà de nouveau avec des enfants qui pleurent ou qui sont morts, des populations hagardes, déplacées, des bombes, des bombes et toujours cette haine que nous déversons chaque jour ! Notre modernité devrait nous faire voir cela comme parfaitement insensé, mais nous restons persuadés que nous tuons ou crions pour la juste cause !

             C’est que nous vivons toujours dans une illusion et il n’est pas question que nous changions nous-mêmes ! C’est à nos adversaires de céder, surtout s’ils nous tendent un miroir qui nous montre d’une façon déplaisante ! La domination, c’est l’orgueil et c’est une forteresse, que seul l’amour, la foi peut briser ! C’est pour plaire à Dieu que les êtres humains acceptent d’avoir confiance et de laisser au bord de la route leur amour-propre ! Alors ils deviennent doux et patients ! Ils n’ont plus de hargne, parce que le monde ne les considère pas, ne les écoute pas ! En échange, ils sont en paix et la diffuse !

            Mais ce n’est pas facile, car très peu évoluent ! Et le soldat Paschic est toujours dans la nuit de son quotidien ! C’est toujours la vie de la tranchée ! le froid, la boue, l’ennemi qui attaque par surprise, les ordres qui aboient et qui commandent l’assaut ! Les plaisirs sont rares sur le front ! De plus, Paschic est seul : il voit les autres s’entendre, s’amuser, à l’unisson de l’état-major et il se demande ce qui lui manque ! Il ne reçoit pas de courrier, ce qui fait que personne n’a l’air de s’intéresser à lui ou de partager ses affres ! La routine… Le tabac mouillé… Les tours de garde… Les alertes vraies ou fausses ! Les sanctions… Paschic est déjà passé en conseil de guerre !

            Ce jour-là, Tautonus était en grand uniforme, très digne ! Il déclare : « Soldat Paschic, nous sommes réunis pour juger votre conduite inqualifiable à l’égard de la Machine (elle aussi a trois étoiles au képi!) !

    _ Mais…

    _ Silence soldat Paschic ! L’affaire est d’une gravité extrême ! Encore un mot et j’ cogne ! »

            Paschic est condamné à rester muet et il est déjà jugé ! Il est forcément coupable dès qu’il s’agit de la Machine, car ce que ne supporte pas du tout Tautonus, c’est d’être dérangé dans son confort, ses plans ! Comment pourrait-il rêver de conquérir le monde, avec une Machine qui se plaint à côté et qui risque de démissionner ou de brûler un steak !

           Paschic ne fait pas le poids et pourtant qu’est-ce qu’il en aurait à dire sur les sournoiseries de la Machine ! Tiens, il se laisserait aller, il dirait à Tautonus : « C’est une vraie salope ! Elle vous détruit, vous explose à la figure ! Et la minute d’après elle demande ce que vous avez, pourquoi vous faites cette tête ! J’ai jamais rencontré un tel monstre d’égoïsme ! Elle rendrait fou Dieu lui-même ! »

           Évidemment, il n’est pas question de parler comme ça ! Le personnage de la mère est sacrée : ne lui doit-on pas la vie ? Paschic est donc obligé de tout garder en lui, de subir toutes les avanies sans broncher et il est un peu l’homme à tout faire du régiment ! Aujourd’hui, par exemple, il doit servir à la table de l’état-major, car Tautonus y reçoit sa mère, eh oui, même lui a une maman !

           Et quelle maman ! Une petite femme sombre, qui a toujours l’air en deuil, comme s’il était impossible de la satisfaire et qu’on était forcément coupable ! La Machine et Tautonus la craignent et font tout pour lui arracher un sourire ! « Vous reprendrez bien un peu de gâteau, mamie ! dit la machine d’un ton enjoué.

    _ Non merci, j’en ai déjà eu assez ! répond la maman d’un ton pincé, heureuse encore de rabrouer sa bru. J’ai les pieds un peu froid par contre…, mais vous devez faire des économies de chauffage… »

           Puis, le « jugement dernier » s’en va ! L’« arbre mort » reprend sa route et laisse la Machine et Tautonus humiliés, en colère ! « Quelle horrible bonne femme ! fait la Machine.

    _ Une vraie calamité ! Brrrr !

    _ Une rien du tout ! »

              Hein ? Paschic n’en croit pas ses oreilles ! Comment ? Il est possible de dire du mal des autres, de la mère ? Le fils peut lui manquer complètement de respect ? Mais oui et le soldat Paschic ne peut pas le crier, en profiter pour se défouler ! « Seigneur, ôte nous notre illusion, celle qui nous fait croire que nous sommes bons ! Guéris-nous de notre hypocrisie, afin que nous puissions grandir ! Merci ! »

                                                                                                             42

           Bona, le droïde de la Machine, propose de conduire Rank à son cours de judo… En effet, la Machine, inquiète de l’apathie de Rank, lui a imposé le tatamis ! Elle aurait pu se soupçonner d’avoir la main trop lourde, mais ce n’est pas tous les jours qu’un astéroïde signe la fin des dinosaures ! Rank aimerait assez le judo, car il peut se montrer très combatif, mais le froid du dimanche matin, avec des brutes lui qui tordent le coup, le font reculer ! On ne peut pas ressembler à une enclume et en même temps être doué pour l’estampe ! Or, Rank a encore une sensibilité très délicate !

            Dans la voiture, Bona ne perd pas de temps et sans préambules, elle lance : « Oh ! Comme tu as de la chance, Rank, d’avoir une maman comme la tienne ! » « Mon Dieu, se dit Rank, encore une qui a été endoctrinée par la Machine ! Attention la leçon ! » « Mais oui, Rank, s’extasie Bona, ta mère est une femme extraordinaire ! Elle a tout réussi ! Le succès de Tautonus ! Sa famille ! Elle t’a fait, mon cher Rank, et t’as pas l’air trop raté !

    _ Merci !

    _ Mais oui, t’es en bonne santé ! Tu as tout ce qu’il te faut ! Tu vas pouvoir choisir tes études, le métier qui te convient ! Ah ! Ta mère s’est battue ! Et comme ça dû être dur ! Une femme s’élève, tu penses quels obstacles elle doit rencontrer sur sa route ! Tous ces hommes jaloux qui la méprisent, qui ne rêvent que de la voir tomber ! Eh bien, elle a résisté, Rank ! Et Tautonus peut lui dire merci ! Et toi aussi Rank, car il y a aussi votre aisance, le ranch avec ses dix mille têtes ! Et dire qu’ici il n’y avait que des chardons, avant que ta mère investisse ! »

           Rank étouffe un bâillement… « Je t’ennuie Rank ? s’étonne Bona. Je vois, tu es jeune et tu ne comprends pas ! Tu es encore égoïste et tu ne vois pas les sacrifices de ta mère ! Ça viendra Rank et ce jour-là, tu te rendras compte combien tu as été injuste ! Je n’ai jamais vu une femme aussi extraordinaire que ta mère !

    _ Tu sais ce qui me ferait plaisir… ? C’est que tu me montres tes seins, qui eux sont vraiment superbes !

    _ Non mais, qu’est-ce que j’entends, Rank ! Espèce de sale petit vicieux ! Et voilà le mâle de nouveau dans toute sa splendeur égocentrique ! Ah ! On n’en a pas fini avec vous, les porcs, les messieurs queues !

    _ Excuse-moi, je me suis montré maladroit et même impoli ! Mais tu m’ennuies et je suis un peu perdu ! Figure-toi que la semaine dernière une jeune fille m’a ri au nez, parce que je n’étais pas assez entreprenant ! Elle s’est moqué de ma timidité, de ma gaucherie ! Elle m’a dit qu’elle en avait soupé des chevaliers blancs ! qu’elle ne rêvait que d’une chose, qu’on la dépucelle !

    _ Ah bon ? En tout cas, tu ne crois quand même pas qu’une femme accomplie, comme moi, puisse s’intéresser à des morveux comme toi ! Et puis je te parlais de choses sérieuses, de l’excellence de ta mère !

    _ Arrête la voiture, s’il te plaît ! Je voudrais sortir, j’étouffe ! »

             Bona se range effectivement sur le côté, mais c’est pour mieux interpeler Rank : « Mais enfin qu’est-ce que reproches tant qu’ ça à ta mère ! Elle fait tout pour toi ! » Rank essaye d’ouvrir la portière, mais celle-ci reste fermée ! « Non ,mon petit Rank, fait Bona, personne ne sort de ma voiture sans ma permission ! Or, je suis loin d’en avoir fini avec toi ! » A cet instant, Rank force en vain sur la poignée, puis il appuie sur des boutons du tableau de bord, pour déclencher l’ouverture ! Une alarme se met en route, assourdissante ! Bona se met à étrangler Rank : « Ta mère est formidable, t’entends, petite ordure ! »

            Sentant sa vie en danger, Rank tâtonne, ouvre la boîte à gants et sent un racloir pour le gel ! Il s’en saisit et frappe à coups répétés le cou de Mona ! Elle cède enfin, montrant une large ouverture dans son corps de silicone ! Rank est envahi par l’horreur, car il ignorait tout de cette histoire de droïdes ! L’alarme continue, au milieu de voyants qui clignotent et Bona a maintenant la tête inclinée à quatre-vingt-dix degrés, ce qui laisse apparaître deux fils débranchés ! Malgré son épouvante, Rank répare le circuit et demande : « Qui es-tu, Bona ?

    _ Agent 2830, dernière génération ! Mission : convaincre Rank, par tous les moyens ! Sa maman, une femme magnifique ! »

            Rank se débarrasse de Bona et réussit à sortir du véhicule, puis il court vers le bois le plus proche, voir des feuilles dorées et trempées ! Il aura peut-être la chance d’y entendre un merle ! Il doit bien en rester !