Dieu

  • Paschic (15-19)

    R32

     

     

             "Eh! Mais dis donc!" Si tu m'avais dit ça, j' rais pas allé m'empaler sur les Djian!"

                                                                 Flag

     

     

                                                  15

    Paschic a trouvé une case dans le Labyrinthe, où il est heureux ! Il a un uniforme bleu, un chef et tient un balai ! Le chef passe le matin, forme des équipes et dit : « Vous, vous faites ce secteur ! Vous autres celui-là » et ainsi de suite ! Paschic est tranquille : il sait ce qu’il doit faire… et il commence son travail le cœur léger ! Il va ni trop vite, ni trop lentement ! C’est bien fait, en accord avec les horaires ! Quand la journée est terminée, la tâche elle aussi est finie et on peut parler d’une vie harmonieuse, en règle, avec un salaire, des cotisations… Jamais Paschic n’a été aussi paisible !

    Ses idées elles-mêmes ont changé, se sont simplifiées… Paschic est désormais d’accord avec tout le monde ! Il plaint ses collègues qui sont restés ombrageux, amers ! Mieux, il ne les comprend même plus ! Lui se distrait en jouant au tiercé, il espère gagner et cela l’occupe tout entier ! Ce jour-là est particulier, car le chef annonce la visite de la Machine dans la ville ! C’est un honneur et même un bonheur ! La parfaite sécurité qu’éprouve Paschic est bien entendu l’œuvre de la Machine et il lui en est pleinement reconnaissant ! C’est le pouvoir de la Machine qui assure la stabilité du pays !

    A l’heure dite, Paschic, libéré exceptionnellement de son travail, est sur le parcours de la Machine… Comme les autres, il est enthousiaste et crie : « Vive la machine ! Vive la Machine ! » L’ambiance est à la fête : on jette des cotillons et la Machine sourit devant sa population ! Le cœur de Paschic se gonfle de joie et il est abordé par Lapsie, qui le reconnaît et qui fait partie des collaboratrices de la machine… « Alors, Paschic, tu as l’air heureux, n’est-ce pas ? dit-elle.

    _ Oui, oui, c’est un jour merveilleux ! Vive la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Où sont tes cauchemars d’hier ? Tu vois, en travaillant sur soi, on arrive à s’intégrer, à goûter le bonheur !

    _ Bien sûr, j’étais égoïste et aveugle ! victime de mes phobies ! J’ai maintenant quelqu’un dans ma vie… et on va sans doute se marier et avoir des enfants !

    _ Toutes mes félicitations, Paschic !

    _ Vous savez, c’est un peu grâce à vous et à la psychologie que j’ai pu m’en sortir et je vous en remercie !

    _ Merci, Paschic, mais je peux peut-être faire encore davantage pour toi ! Je vois que tu as la première barrette du balayeur… Je peux demander que tu obtiennes la deuxième !

    _ Non, c’est pas vrai ! Vous feriez ça ? Mais ce serait le paradis !

    _ On en reparle après le discours de la Machine, si tu veux bien… Sais-tu qu’il y a un feu d’artifice ce soir ?

    _ Mais oui, j’y serai avec tous ceux que j’aime ! Pour rien au monde je ne raterai ça ! »

    Paschic se rend sur la grande place, pour écouter le discours de la Machine… et son apparition déclenche une ferveur délirante ! Puis la machine impose le silence, par un large mouvement du bras… « Sororité, mes amis, dit-elle. La route a été longue, n’est-ce pas ? Mais nous voilà unis ! Nous voilà en sécurité ! Nous voilà une force ! (Acclamations!) Nous voilà animés par le même but, celui de notre bonheur, celui de la stabilité, de la paix, celui de ne constituer qu’une seul et même famille ! (Acclamations!) Naguère, l’homme opprimait la femme, mais ces temps sont révolus ! L’homme, dressé par la femme, sert aujourd’hui notre grande cause : donner un avenir radieux à nos enfants !

    Cependant, vous vous en doutez, le travail n’est pas terminé ! Nos ennemis restent nombreux et ils n’ont qu’un seul souhait : nous détruire ! Nous ne les laisserons pas faire ! Nous nous en protégerons et nous les vaincrons ! (Acclamations!) Ils sont malheureusement partout ! Il y a encore des hommes qui méprisent les femmes ! (Huées!) Ceux-là nous en faisons notre affaire, ils rentreront dans le rang ! La femme est le futur, elle doit régner ! Mais les ennemis peuvent prendre toutes les formes ! Ce sont les pays jaloux ! les idéologies décadentes, lâches, qui sapent l’autorité, la force, l’ordre ! Nous ne vaincrons pas sans ordre ! Il est primordial ! Mais l’ordre, c’est vous ! C’est vous la force, à condition que nous restions unis et que chacun fasse son devoir ! Vous appartenez au parti et vous avez votre rôle à jouer ! Je suis le chef et vous m’obéissez ! Vous êtes la main et je vous guiderai ! Vous êtes le feu et je vous dirigerai !

    Malheur à nos ennemis ! Malheur à leurs femmes et à leurs enfants ! Nous serons sans pitié, si on nous empêche d’être heureux ! Pas vrai les amis ? »

    A cet instant, Bona crie : « Vive la Machine ! Vive la machine ! » et la foule l’imite, y compris Paschic, qui hurle à tue-tête, grisé ! Il est heureux, il n’est plus seul, il fait partie d’un groupe et sa vie a un sens !

                                                                                                   16

    Paschic rentre chez lui, heureux, rayonnant : quel beau discours de la Machine ! Et tous ces gens qui sont ses amis ! Et le feu d’artifice ! Et la deuxième barrette promise par Lapsie ! Paschic se voit déjà balayeur de deuxième classe, donnant des ordres aux premières classes ! Qu’avait-il naguère à s’inquiéter, à se tourmenter ? Ah ! Quel monstre d’ingratitude n’avait-il pas été à l’égard de la Machine ! La vie est simple, quand on ne se regarde pas trop !

    Paschic sifflote et malheureusement s’égare dans une rue sombre… En fait, il n’y a pas fait attention, mais il a de nouveau changé de case dans le Labyrinthe… et le voilà dans un coin noir et humide ! Une petite voix faible s’échappe des ténèbres : « Pitié ! Pitié ! » fait-elle. Paschic s’approche et découvre un vieillard exsangue, sur des cartons ! C’est bien triste, mais Paschic ne peut pas sauver le monde… et il a bien d’autres choses à faire, notamment retrouver ses douces espérances, celles qu’il caresse à la lumière de son foyer ! « Pitié ! Pitié ! répète le vieillard.

    _ Ouais, ouais ! réplique Paschic. Mais il faut qu’ j’y aille ! Tiens, c’est tout ce que j’ai sur moi !

    _ Ne m’abandonne pas, par pitié ! J’ai été brisé par la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Voilà le joli refrain du loser ! Moi aussi avant, je me plaignais comme toi ! Mais j’ai été guéri ! Je sais que la Machine est bonne… et on le sait quand on apprend le prix des choses… et la valeur du travail ! Le nouveau Paschic est arrivé ! Désormais, je suis responsable, bientôt chef de famille et je me dresserai dans l’aube naissante, en disant : « Voilà le jour qui commence… et c’est une joie ! »

    _ Co… Comment ? Tu ne me reconnais pas, Paschic ?

    _ Ah ? Parce qu’on pourrait se connaître ? J’ bosse, moi ! J’suis rentré dans l’ rang ! J’ suis plus un faiseur d’histoires !

    _ Mais… mais je suis ton rêve, Paschic !

    _ Hein ? Quoi ?

    _ Quand tu étais enfant, tu vivais avec moi, sous la même chaumière ! Tu t’en rappelles pas ?

    _ Pfff ! C’est loin tout ça !

    _ Évidemment, tu étais bien jeune à l’époque ! Mais nous vivions heureux ! Notre village était situé dans une vallée verdoyante… On sortait et on marchait parmi les marguerites ! Tu te rappelles du ruisseau… Il faisait tourner notre petit moulin… et les oiseaux chantaient tout autour ! Quelle vie magnifique nous était promise ! Je me souviens que tu étais amoureux d’une fille aux cheveux d’or ! Je me trompe ?

    _ Hum.. peut-être pas… Je… je revois certaines choses…

    _ Bien sûr ! Mais tu as été traumatisé le jour de l’attaque !

    _ L’attaque ?

    _ Oui, un jour, les forces de la Machine ont détruit le village ! Tout a brûlé et nous avons été séparés ! Toi, tu as été pris en esclavage… et moi, j’ai dû m’enfuir dans la forêt ! J’avais reçu un coup d’épée en plein front et j’ai erré, erré !

    _ Ce n’est pas vrai ! Mon rêve est avec moi ! Et la Machine est bonne ! Elle m’aime ! C’est grâce à elle, si je peux manger, m’habiller, ne pas être comme toi : perdu, sale et seul !

    _ Pourtant, ce que je te dis est vrai ! C’est moi, ton rêve !

    _ Tu veux me rendre triste ! Tu veux que je pleure, en pensant combien la Machine est méchante !

    _ C’est l’égoïsme de la Machine qui nous a brisés !

    _ C’est faux ! Le remède au mal est en nous ! C’est Lapsie qui me l’a dit ! Je ne veux pas pleurer sur mon rêve perdu ! Je ne veux pas de la nuit et du froid ! Je ne veux pas voir les gens haineux et égoïstes ! Je veux rêver ! Je suis heureux !

    _ A ta guise, mais la Machine ne te laissera pas tranquille ! Elle a besoin de toi comme esclave ! Tu dois nourrir son rêve, en étant soumis ! Son rêve, c’est de commander, sentir sa supériorité !

    _ Non, non et non ! Lapsie m’a dit…

    _ Elle aussi est une machine !

    _ Je veux être intégré ! être comme tout le monde !

    _ Sais-tu pourquoi la machine a détruit notre village ? Mais parce qu’elle te méprisait Paschic et elle te méprise toujours ! Elle te voit comme une lavette !

    _ Salopard !

    _ Paschic, la lavette ! Ah ! Ah ! Paschic, le demeuré ! Le paillasson de la Machine ! »

    Mais Paschic n’écoute plus ! Il court dans le noir, en se bouchant les oreilles !

                                                                                                        17

    Paschic a rejoint ses camarades travailleurs, mais, encore troublé parce que vient de lui dire son « rêve », il balaie avec deux fois plus d’ardeur, jusqu’à ce qu’un collègue lui demande : « Paschic, tout va bien ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Dis donc, t’es un gars apprécié ici, mais tu pourrais peut-être t’engager un peu plus…

    _ Qu’est-ce tu veux dire ?

    _ Eh bien, tu pourrais adhérer au Parti…, d’abord parce que tes droits seraient défendus et ensuite, tu travaillerais à notre grand idéal !

    _ C’est quoi, votre grand idéal ?

    _ Eh bien, nous, nous sommes des travailleurs, des prolétaires et nous sommes exploités par la classe dirigeante, celle des capitalistes ! Ce à quoi on veut arriver, c’est que c’est nous, les travailleurs, qui gouvernions, que nous soyons tous égaux et des camarades ; la richesse étant partagé entre tous !

    _ Moi, je veux bien, du moment que je ne suis plus seul, et avec vous, mes camarades ! Et puis l’idée du méchant représenté par le capitaliste et qu’il faut abattre, c’est pas pour me déplaire !

    _ Bon, très bien…

    _ Non, parce que je t’ai pas dit, mais j’ viens d’ rencontrer une créature, par là-bas, dans le noir, sur des cartons ! Elle se prétend mon rêve ! Elle dit que la Machine a bousillé ma jeunesse, car, tiens-toi bien, toujours d'après elle, nous serions tous égoïstes, riches ou pauvres, depuis la naissance, du fait de notre origine animale !

    _ Quelle idée ! Nous, nous voulons le bien !

    _ C’est exactement ce que j’ai répondu ! que je ne voulais pas entendre ces salades ! Sinon y a plus d’équipe ! Faut ouvrir les yeux et se retrouver seul ! Et ça, moi, j’en veux plus ! pour rien au monde ! Tu m’assures que ce sont les capitalistes, les méchants !

    _ Promis juré !

    _ Et donc, toi, tu es un responsable du Parti, mais tu ne te sens aucunement supérieur à moi, ni même aux capitalistes ! Tu travailles uniquement pour la justice ! 

    _ Il faut bien diriger… et puis, j’ai plus d’expérience que toi…

    _ Mais tu n’as aucun plaisir à commander ? Je pourrais tout aussi bien te donner des ordres…

    _ J’imagine que oui, si tu le mérites…

    _ Ne sommes-nous pas tous des camarades ? Tu comprends, j’ voudrais surtout pas que mon rêve ait raison ! Et ta voiture, tu me la prêtes, vu que j’en ai pas ! Elle est au Parti somme toute !

    _ Doucement, doucement, c’est moi qui l’ai payé, ma voiture !

    _ Non ? T’as capitalisé, pour l’avoir ! Tu as fait preuve d’égoïsme, afin de satisfaire ton amour-propre !

    _ Ma voiture est nécessaire !

    _ Que tu dis ? Ne serait-ce pas l’heure d’une auto-critique ?

    _ Tu m’énerves à la fin ! J’ te kiffe de moins en moins !

    _ Mon Dieu, mon Dieu, mon rêve a raison : nous sommes tous égoïstes par nature… et la Machine m’a pris ma jeunesse, pour s’essuyer les pieds !

    _ Puisque je te dis que les méchants sont les capitalistes !

    _ Répète-le moi, tu veux, je suis au bord de la crise d’angoisse !

    _ Les méchants sont les capitalistes ! Le bonheur est la victoire du prolétariat !

    _ Les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est la victoire des prolétaires !

    _ Voilà ! Ça va mieux ?

    _ Ouf ! Oui ! J’avais la vérité aux fesses, comme un chien féroce ! Et… il est parti !

    _ Allez, encore une fois : les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est...

    _ La victoire du prolétariat ! Ah ! Ah ! Ça marche ! Mon rêve ? Enfoncé, disparu ! Dis, avec tes relations, tu peux m’avoir ma troisième barrette !

    _ Euh, faut qu’ je vois avec le chef…

    _ Non, parce qu’ j’ai absolument besoin d’une voiture !

    _ Mais si t’es promu, ça doit rester entre nous, sinon ce s’ra de la corruption !

    _ Évidemment ! Quand j’ pense que j’ai failli ouvrir les yeux ! J’ai vu l’abîme tout d’un coup ! »

                                                                                                    18

    Paschic continue à balayer tranquillement, sans s’apercevoir qu’il s’écarte de ses collègues, pour se retrouver dans une zone isolée du Labyrinthe… Tout y est étrangement calme, au point d’en être inquiétant ! Soudain tombe au sol une petite créature… Elle paraît gluante et elle s’accroche à Paschic, en disant : « Dom ! Dom ! » Paschic est pris de dégoût, mais des dizaines d’autres créatures, pareilles à la première, sortent maintenant du mur ! Et toutes n’ont qu’un seul cri : « Dom ! Dom ! »

    Paschic effrayé s’enfuie, court éperdu, mais devant lui les créatures ne cessent d’apparaître ! Il y en a pourtant une qui n’est pas semblable aux autres… Elle a une taille normale et c’est une femme et quelle femme ! Elle est sublime dans une flamme ! Tout son corps est incandescent et rien que sa vue brûle ! Elle appelle Paschic : « Oh ! Viens, Paschic ! dit-elle. Ne suis-je pas séduisante ? Ne suis-je pas synonyme de plaisir ? Est-ce que je te laisse indifférent ?

    _ Non… non... »

    Paschic baisse la tête, car il sait que s’il regarde cette femme, il sera ébloui, amoureux même ! Ses défenses pourraient céder, d’autant que quand la femme se déplace ou parle, des flammes s’échappent de son corps et viennent toucher Paschic jusqu’au fond de l’âme ! Une voix monte dans Paschic et gémit presque : « Pourquoi résistes-tu, Paschic ? dit-elle. Pourquoi refuses-tu ce plaisir ? Cette femme est magnifique ! Inutile de l’examiner ! C’est du feu ! Son corps est parfait ! Et toi, Paschic, tu remontes chaque jour la dure pente de ta conscience, de tes explications, de tes croyances ! Il faut incessamment que tu te reconstruises, que tu te justifies ! Chemin amer qui te laisse épuisé ! Alors que le plaisir, le bonheur est là ! »

    A cet instant, Paschic est interrompu par quelqu’un qui jette dans son dos : « En hésitant, Paschic, tu te fais du mal ! Tu ne va pas avec elle, car tu sais que c’est une Dom ! C’est tout ! » Paschic se retourne et voit de nouveau son Rêve, toujours sur des cartons et qui, en ce moment, s’évertue à rallumer un affreux cigare ! « C’est une Dom, Paschic, reprend le Rêve. Tu le sais ! Comme tu sais que toute cette ardeur, dont elle fait preuve, est produite par sa peur, son angoisse ! Elle est perdue, Paschic, d’où son feu ! Elle brûle, car elle veut un homme, une relation pour s’apaiser ! Or, toi, Paschic, t’es un cas ! T’es pas un Dom ! Pour eux, t’es une énigme, Paschic ! T’es le rocher au milieu de la tempête !

    _ Ouais, mais elle est… si belle, si désirable !

    _ Et elle te désire justement parce que tu n’es pas un Dom ! Tu arrives à tenir debout sans vouloir dominer ! Tu es une paix unique ! Incroyable ! Car dominer, c’est dévorant et ne guérit pas l’angoisse ! La domination est un rideau de fumée, qui détruit même ! Mais toi, Paschic, tu sais combien coûte de ne pas être un Dom ! C’est un travail sur soi de tous les jours ! Combien de renoncements, Paschic ! Combien de peurs n’as-tu pas vaincues ? Combien d’années d’errance ? Et ton amour, pour la vérité, etc. ! Alors laisse tomber, Paschic ! C’est une Dom !

    _ Mais… mais on pourrait peut-être s’aimer tout de même ! Je lui expliquerai pas à pas ! Elle me donnera son corps et moi, ma sagesse !

    _ Hi ! Hi ! Paschic, tu sens ce feu ? Il est le reflet de son angoisse ! Et toi, tu penses l’apaiser, la calmer, sans te brûler ! Tu crois qu’en te jetant dans la passion, tu vas lui apprendre tout ce que tu sais et qui t’a demandé une vie ! Mais, mon pauvre Paschic, tu vas y laisser la peau ! Elle finira par te dévorer, sans même penser à mal !

    _ Je… je…

    _ Allez, rien n’est plus fort, plus extraordinaire que de n’être pas un Dom, que de les repousser parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, qu’ils la refusent ! Qu’ils soient attirés par toi est une preuve que tu ne te trompes pas !

    _ C’est vrai…

    _ Ils te demandent maladroitement de la lumière, du sens, en dominant encore…, alors que justement il faut abandonner sa domination pour être en paix ! T’as pas fini de les attirer, crois-moi !

    _ D’où viennent les Doms, le Rêve ?

    _ Mais du GVI !

    _ Du GVI ?

    _ Oui, du Grand Vide Intérieur, situé au centre du Labyrinthe ! Le GVI produit de l’angoisse et les Doms se multiplient ! »

    Entre-temps, la femme dans la flamme a disparu et Paschic ne peut s’empêcher d’en éprouver une certaine tristesse… « C’est pas un déchirement, Paschic, reprend Rêve qui crache. C’est un choix ! Tiens, y a un Dom qui t’ bouffe le pantalon ! »

                                                                                                         19

    « Le GVI, les Doms ! C’est bien joli tout ça, mais ça veut dire quoi exactement ? s’interroge Paschic. Et si les Doms viennent du GVI, d’où vient le GVI ? Hein ? » A cet instant, Paschic bute dans un grand gars, qui lui dit : « Mais où vas-tu comme ça, mon zèbre ?

    _ Ça t’ regarde ?

    _ Un peu qu’ ça m’ regarde ! Car on passe pas à côté de moi, sans me regarder ! C’est qu’ je compte moi ! »

    « Bon sang ! Un Dom ! » se dit Paschic, qui réplique : « Pour moi, t’es pas intéressant ! Et puis je te dois rien, j’suis libre, s’pas ! Alors du vent, l’animal !

    _ Oh ! Oh ! Comment tu m’parles ! Oh ! Oh ! On m’ parle pas comme ça ! Tu sais pas qui j’ suis ! Je suis le baron de Messygue ! Troisième du nom ! Mes ancêtres tenaient déjà la région, quand les tiens se tuaient à ramasser des pommes de terre ! Évidemment pour ma purée ! Alors on me doit adoration et soumission !

    _ Ah bon ? Mais, si je suis aussi minable, pourquoi rechercher mon intérêt ? En quoi ma médiocrité peut-elle t’aider ?

    _ Euh… Bah, j’ dirais qu’une louange est toujours bonne à prendre !

    _ Menteur ! Je te fais impression, tu vois que je ne suis pas n’importe qui et tu te dis que toi aussi tu fais partie de l’élite et qu’il est impensable qu’on ne s’en rende pas compte, en te montrant de l’indifférence !

    _ C’est vrai ! J’ai des qualités, je réussis et, ma foi, je suis assez bien de ma personne !

    _ Le problème, c’est que moi, je me moque de l’élite !

    _ Comment ça ?

    _ Je suis au plus bas sur la hiérarchie sociale ! Je n’ai aucun pouvoir… ou plutôt celui que j’ai est spirituel, intérieur ! Il est justement l’anti-pouvoir social ! Il n’est pas basé sur la supériorité, ni sur la soumission ! Je ne cherche pas à dominer ! Je trouve ça ridicule !

    _ Mais moi, j’ai besoin de ton intérêt, que tu reconnaisses ma valeur !

    _ Je sais : sans ça t’es paumé ! Mais, même en constatant que je te fais impression, tu ne veux pas suivre mon exemple !

    _ Ah non ?

    _ Non, parce qu’il faudrait d’abord que tu renonces à toi-même ! que tu places ton succès dans autre chose que ton ego ! Il faudrait que tu aies confiance sans vaincre, sans contrôle, sans te regarder dans le miroir ! C’est pas toi qui es important, c’est l’amour !

    _ Bon sang, qu’est-ce que tu es ? Une sorte de beatnik ?

    _ Tu vois ma force ? Eh bien, possède-la !

    _ Pour qui tu te prends au fond ? Tu te crois supérieur ? T’es un minable ! Mais j’ vais t’ dresser, moi ! Tu vas à apprendre à me respecter, tu vas voir qui es ton maître !

    _ Mais on ne peut pas obliger les gens à aimer ! Ce qui vient du cœur doit être libre, sinon ce n’est pas sincère !

    _ Ça, c’est ce qui a sur la papier ! Mais il suffit de se montrer persuasif et tu finiras par m’admirer !

    _ C’est ce que me disait la Machine…

    _ Comment ?

    _ Rien, rien, des réminiscences… Ne pouvant être aimé, tu vas avoir recours à la tyrannie !

    _ Exactement ! Ce qui ne cède pas doit être écrasé !

    _ Et la haine naît de la peur…

    _ La peur ? Ah ! Ah ! Parce que tu crois que j’ai peur de toi, l’avorton ? Ah ! Ah !

    _ Mais tu n’as pas peur de moi, mais de la vie ! Mais pour ne plus sentir ta peur, tu veux dominer, être le centre d’intérêt ! Si le monde est comme ta chambre, puisque tu le commandes, alors ta peur disparaît !

    _ Tu m’ fatigues ! »

    Le type siffle et d’autres gars surgissent, des Doms comme des couleuvres et voilà Paschic battu et attaché à une claie ! Le type s’approche, maintenant vêtu d’une blouse blanche ! Il caresse la tête ensanglantée de Paschic et lui dit : « Il va falloir que tu m’aimes, tu sais ! que tu m’admires ! » Il tient une tenaille et commence à arracher les ongles de Paschic ! « Aime-moi, dit-il. Trouve-moi formidable, unique, exceptionnel, magnifique ! Bon, résolument bon ! »

  • Paschic (ou Rank) 116-120

    R28

     

     

                          ""J'ai faim!" dit Big Jim."

                                             La Ruée vers l'or

     

     

                                               116

    Une fois n’est pas coutume, la Machine, Bona, Lapsie et… Paschic sont au restaurant ! Les trois filles boivent beaucoup, quand Paschic s’ennuie déjà… « Attention ! Ta, ta, ta ! s’écrie Bona. Hier, saut en parachute !

    _ Ouh ! C’est pas vrai ! fait Lapsie.

    _ Si ! J’ai osé !

    _ Ouh ! Santé !

    _ Santé !

    _ Alors, comment c’est ? demande la Machine.

    _ Eh bien, la porte de l’avion s’ouvre… Tu vois des maisons et des champs… et faut y aller ! Go ! Go !

    _ Waouh ! J’ pourrais pas ! coupe Lapsie.

    _ Mais t’as peur et pourtant, t’y vas et quelle sensation de liberté ! Tu sens brûler ton ventre !

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est d’abord la chute ! A toute vitesse ! Il n’y a plus que le vent et tu vois le sol se rapprocher ! Ça va très vite ! Trop vite même !

    _ La vache !

    _ Et hop, le parachute s’ouvre ! T’es tirée en arrière, puis tu descends doucement ! Y a plus qu’à poser les pieds, en douceur !

    _ Ouh ! Ouh ! Elle l’a fait !

    _ Faut oser les filles ! Faut pas laisser passer sa chance ! La vie est trop courte !

    _ T’as raison ! approuve Lapsie. Moi aussi, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Ta, ta, ta ! Je divorce !

    _ Bon sang, Lap ! Enfin ! fait Bona ! J’ t’embrasse ! Comme je suis fière de toi !

    _ Tu peux ! Je me débarrasse de lui ! Je m’en rends pas encore compte ! Depuis combien d’ temps on était ensemble ? Cinq, six ans ?

    _ Waouh ! Elle a osé !

    _ Je me suis dit la même chose que toi ! On n’a qu’une vie et le bonheur est ici et maintenant !

    _ Santé !

    _ Santé ! J’avais peur, bien entendu, à cause des habitudes ! Mais je suis de nouveau libre ! J’ai eu le courage, waoouh !

    _ Et ton mari, comment il l’a pris ?

    _ Il était verdâtre !

    _ Ah ! Ah !

    _ Il m’a dit : « Mais voyons, Lap, je t’aime ! Tu n’a pas l’ droit d’ me faire ça ! » « Je n’ t’aime plus, Karl ! lui ai-je répondu. Où est la flamme entre nous ! Je veux vivre, Karl ! Tu comprends ? Vivre ! »

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est ce que je dis à mes patientes, reprend Lapsie. Osez ! Ayez de l’audace ! Rien de pire que d’avoir des regrets !

    _ Eh ! Oh ! Les filles ! intervient la Machine. Moi, j’ai quand même assuré ! J’ai veillé à ce que ma famille reste unie ! qu’on forme un clan ! Car y a rien d’ mieux ! C’est sacré ! Le bonheur de mes propres filles avant tout ! Et croyez-moi, ça c’est du boulot ! Combien d’ fois j’ai pas été face à l’ingratitude ? J’ai dû tout contrôler, même Tautonus ! Je suis passée par toutes les épreuves !

    _ Bien sûr, la Machine, respect !

    _ Respect !

    _ Et Paschic qui dit rien !

    _ Il boude !

    _ Il peut pas dire grand-chose, il a jamais rien d’ fait d’ sa vie !

    _ Pauvre Paschic ! C’est le méchant garçon à sa maman !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous voulez savoir ce qu’est le vrai courage, les filles ? coupe Paschic, la véritable audace ? Alors « ne vous souciez pas de ce que vous mangerez, ni comment vous vous vêtirez ! Car votre père qui est là-haut sait très bien de quoi vous avez besoin ! Mais rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! » Ça, c’est fort les filles ! Ça, c’est de l’amour, comme vous ne l’imaginez même pas ! Au fond, vous êtes des branleurs ! »

                                                                                                      117

    La Machine commande un galion… Elle se réveille dans sa cabine pleine de dorures et quitte ses draps de soie ! Elle se refait une beauté devant une psyché et s’habille, aidée par Bona ! « Alors comment est le temps ? demande la Machine.

    _ Beau, vraiment beau !

    _ Et l’équipage ?

    _ Bien tenu par Lapsie !

    _ Alors tout est parfait ! On va pouvoir chasser du pirate ! « Nettoyez la mer ! », m’a dit la reine ».

    Les deux femmes montent sur le pont, la Machine dans un grand uniforme ! Au-dessus se gonfle une cathédrale de voiles, que l’équipage, entièrement féminin, contrôle sous les ordres de Lapsie ! « Lieutenant Lapsie, fait la Machine, les femmes sont en forme ?

    _ Elle sont mieux que ça, madame l’amiral, elles sont enthousiastes ! Un hourra pour l’amiral, les filles ! demande en criant Lapsie.

    _ Hourra ! Hourra ! font les filles du haut des vergues.

    _ Longue-vue ! commande la Machine, qui commence à inspecter la mer.

    _ Voile à tribord ! hurle la hune.

    _ Je me demande ce que ça peut être… fait Bona.

    _ C’est un pirate ! un va-nu-pieds ! répond la Machine en souriant. On va n’en faire qu’une bouchée ! Barre à tribord ! Hissez le cacatois ! »

    Les ordres sont répétés et on gagne sur le pirate ! « Branle-bas de combat ! ordonne la Machine.

    _ Tout le monde aux pièces ! » crie Lapsie.

    Le galion présente bientôt ses soixante bouches à feux au pirate, qui n’est qu’un brick à l’air pacifique ! Les canons tonnent et toute la mâture du brick s’envole ! Le « pirate » est condamné à se rendre et leur commandant conduit devant la Machine, qui demande : « Qui est-tu ?

    _ Paschic ! répond l’homme et immédiatement un frisson parcourt le galion !

    _ Ainsi donc, nous venons de capturer le célèbre forban Paschic ! reprend la Machine.

    _ Je me vois plutôt comme un aventurier ! rectifie Paschic.

    _ Peu importe ! La reine sera heureuse de te voir pendu ! Mettez le prisonnier aux fers ! »

    La soirée se passe en réjouissances et la Machine se régale devant un somptueux dîner ! Cependant, Bona lui murmure à l’oreille : « Il y a là un homme de Paschic, disant qu’il a un formidable secret à vous révéler ! » La Machine, d’abord contrariée, suit Bona et s’adresse à l’homme, avec un mouchoir sur le nez : « J’espère que c’est important, sinon tu iras rejoindre les requins !

    _ Ça l’est, madame ! Paschic a un trésor fabuleux, sur une île non loin d’ici ! Il suffit de le faire parler !

    _ Bien, je te récompenserai, si c’est vrai ! Comment t’ appelles-tu ?

    _ Judas, madame ! »

    Le lendemain, on conduit Paschic dans la cabine de l’amiral. « Il paraît que tu as un trésor ? fait la Machine. Amène-nous à lui et je te laisserai la vie sauve !

    _ Je ne sais pas si vous en êtes digne ! »

    Bona frappe Paschic : « Insolent ! crie-t-elle. Ce n’est pas une façon de parler à la Machine !

    _ Pour ce que j’en disais..., répond Paschic qui se masse le cou.

    _ Conduis-nous au trésor ! » répète la machine, dont les yeux brillent de cupidité !

    On mouille devant l’île en question et une barque se détache du galion. A son bord se trouvent la Machine, Bona, Paschic et quelques gardes… On touche la plage, alors que des vagues remontent inlassablement vers les palmiers ! L’île semble déserte et on entre dans la jungle ! « J’ te préviens, Paschic, fait Bona, si tu t’es moqué de nous, tu n’ repartiras pas d’ici !

    _ Attendez que je m’ repère, répond Paschic d’une voix quasi malicieuse. Il y a ce rocher en forme de crâne là-bas… C’est à une cinquante de pas après, dans une clairière !

    _ Allons-y ! » ordonne brûlante la Machine.

    On se remet en route et bientôt Paschic s’arrête, en disant : « C’est là !

    _ Vite, vite, creusez ! » fait la Machine.

    Paschic est mis à contribution et les pelles enlèvent de la terre, sous un soleil ardent ! Enfin, l’une d’elles frappe quelque chose de dur et on extrait avec peine un coffre ! On l’ouvre, mais il est vide ! « Trahison ! s’écrie la Machine, qui pointe un mousquet sur Paschic. Fais ta prière, chien galeux !

    _ Mais je ne t’ai pas trompée, la Machine ! Regarde autour de toi ! Vois cette beauté, cette nature luxuriante ! Elle te donne tout ce dont tu as besoin ! C’est cela mon trésor ! Mais tu restes aveugle ! Ce que tu veux, c’est de l’or pour parader, jouir du pouvoir sur les hommes, mais à quoi bon ? Débarrasse-toi de ton ego et tu resteras ici en sécurité et en paix !

    _ Grrrr ! »

    La Machine tire, mais un cochon effrayé brusquement la bouscule ! Elle manque Paschic qui en profite pour s’enfuir ! « Courez-lui après ! hurle la machine ! J’ veux la peau d’ ce fumier ! »

                                                                                                    118

    Qui ne connaît pas Las Vegas ? ses temples du jeu, ses décors extravagants, son ambiance électrique ? Dans un appartement d’un hôtel luxueux se joue une sérieuse partie de poker ! Sur la table, les jetons représentent des milliers de dollars et on arrive à un instant décisif ! Les visages sont tendus et il y a là l’Angoisse, une femme froide et sèche, sans doute la meilleure joueuse de poker de tous les temps, mais on trouve encore Lapsie, la Machine et Paschic !

    C’est à Lapsie de parler… Elle regarde encore ses cartes, fait une grimace et dit « Je passe ! » Ce n’est pas une surprise pour les autres, car Lapsie n’a pas les reins assez solides, mais elle est encore « lessivée » ! Elle perd sa mise et n’a plus de fonds ! Elle a le destin des joueurs médiocres, qui confondent leur peur avec la prudence !

    La Machine fait : « Eh bien les enfants, je crois que cette fois-ci le pactole est pour moi : brelan de reine ! » La Machine tend les mains, pour prendre les jetons, mais l’Angoisse l’arrête, en disant : « Tss, tss, la Machine ! Tu rêves à pleins poumons ! Regarde : brelan de rois !

    _ Ce… ce n’est pas possible ! s’écrie la Machine.

    _ Mais si… Une autre fois peut-être, la Machine…

    _ Tu… tu as triché ! Espèce de salope !

    _ Tu me déçois, la Machine… Je pensais tes nerfs plus solides !

    _ Tu jouis, hein ? Tu m’as mise à plat et tu t’ régales ! Mais t’as triché ! T’entends, roulure ! »

    La Machine se lève brusquement et saute à la gorge de l’Angoisse, qui fait un signe en direction du personnel de l’hôtel ! Aussitôt deux malabars se saisissent de la Machine, qui crie encore : « Mais lâchez-moi, les eunuques ! Je veux juste étrangler cette tricheuse !

    _ Je crois , messieurs, que la Machine a besoin d’un peu d’air frais !

    _ Mais lâchez-moi ! Je reviendrai l’Angoisse et je t’écraserai ! Je t’ ferai vomir tes tripes ! Et à vous aussi, bande de tarés ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine ! »

    On entend une porte claquer, puis c’est de nouveau le silence : « Ouf ! dit l’Angoisse. Regrettable incident ! Il est dommage de jouer avec des amateurs ! Mais on plumerait qui, s’ils n’étaient pas là ? N’est-ce pas, Paschic ? J’aime ton calme, j’ t’ assure ! Tu sais perdre avec élégance !

    _ Qui t’a dit que j’avais perdu ?

    _ Mais... »

    A cet instant, Paschic montre son jeu et à la grande stupéfaction de l’Angoisse, quatre as apparaissent ! « Mais, mais ce n’est pas possible ! s’écrie l’Angoisse.

    _ C’est ce que vient de dire la Machine !

    _ Tu… tu as triché !

    _ Allons, l’Angoisse, tu sais bien qu’on ne peut pas tricher contre toi… C’est inutile !

    _ Je… je ne comprends pas… Tu as toujours perdu contre moi !

    _ C’est vrai, j’ai longtemps eu peur ! J’ai beaucoup couru, mais on évolue l’Angoisse ! On apprend à ne plus te craindre et on finit par gagner contre toi !

    _ Comment as-tu fait ?

    _ Je me nourris de ma paix… Comme d’habitude, tu as effrayé tout le monde, par tes mises vertigineuses ! Tu parais alors invincible et on perd le sens du jeu ! C’est inévitable ! Lapsie se grattait même partout ! La Machine est plus costaude, mais elle ne pouvait s’empêcher de grimacer… Pour ma part, j’ai appris que ton comportement est essentiellement du bluff ! Il suffit d’attendre, de laisser passer l’orage, en s’accrochant humblement, mais avec confiance !

    _ Tu m’impressionnes, Paschic !

    _ Mais j’espère bien ! C’est des années d’efforts, de recherches solitaires, quand les autres s’amusent et boivent !

    _ Donc, si je comprends bien, tu n’as jamais perdu de vue les cartes ?

    _ Non, malgré la peur que tu produis… Je te le dis, maintenant je ris même de toi !

    _ Très bien ! Mais… Euh… En ce moment, je suis un peu gênée… Tu pourrais me laisser une partie du butin… Je te rembourserai plus tard !

    _ Non l’Angoisse ! N’y vois pas de la dureté de ma part, mais gagner contre toi, c’est aussi s’aimer soi-même ! Il ne faut pas culpabiliser parce que toi, tu prends ton air triste ! Sinon on repart pour un tour de manège ! T’as mille astuces dans ton sac !

    _ Ah ! Ah ! J’aurais essayé !

    _ T’inquiète pas ! Tu vas t’ refaire en un tour de main ! »

                                                                                                     119

    « Aujourd’hui, Paschic, dit la Machine, je vais t’apprendre à diminuer ma charge mentale !

    _ Ah bon ?

    _ Oui, tu vas d’abord éplucher les patates, puis tu passeras la cireuse et tu nettoieras les carreaux ! Il faut que tout soit propre pour ce soir !

    _ Qu’est-ce qu’il y a ce soir ?

    _ Moi et Tautonus, nous recevons le préfet ! C’est bon pour la campagne de ton père et sa carrière ! Je te rappelle que c’est nous qui payons tes études !

    _ Bien sûr !

    _ Tu n’hésiteras pas sur l’huile de coude, hein, pour le ménage ! Et en revenant de l’école, tu passeras chez le boulanger et le poissonnier ! Ils sont au courant, c’est une commande ! Tu m’as bien compris ?

    _ Affirmatif !

    _ Cesse de faire le pitre ! Il faut que tu aides à la maison, sinon on n’y arrivera pas ! Je ne peux pas faire tout toute seule !

    _ Évidemment !

    _ J’ai vu ton professeur de maths et il m’a dit que tes résultats n’étaient pas très bons ! « Pourtant, il a le potentiel ! » a-t-il rajouté. Donc, c’est toi qui as la solution ! C’est à toi de travailler, est-ce que c’est clair ?

    _ Oui…

    _ Bon, mais on parlera de ça plus tard, car j’aurais encore besoin de toi avant le dîner, pour mettre le couvert ! Allez, au boulot ! »

    Paschic fait comme on lui a demandé : il s’empresse de préparer les patates, il balaie, il essuie, il cire, il frotte, il prend son cartable et file à l’école ! Il essaie de ne pas s’endormir pendant les cours, il rit dans la cour de récré, puis il pense au boulanger et au poissonnier !

    Il rejoint sa chambre et commence ses devoirs, en consultant sa montre, car il ne faut pas être en retard sur le programme ! Le couvert doit être mis à la minute près ! La Machine cependant est aux fourneaux et elle ne rigole pas : il ne s’agit pas de rater les plats !

    Enfin, les invités arrivent… On les débarrasse, on leur propose un apéro, on se veut parfaitement détendu ! Dans les coulisses, Paschic range les manteaux, se tient au garde-à-vous, dans le cas où il manquerait des glaçons ou une bouteille de jus, pour quelqu’un qui ne boit pas d’alcool ! Paschic n’a pas la tenue du serveur, mais il a le même rôle !

    On passe à table et les invités font part de leur admiration, pour la qualité du couvert et de l’entrée ! La Machine assure qu’elle a voulu faire simple, que ce n’est rien ! On se récrie ! On insiste sur la finesse du mets ! On loue les talents de cordon bleu de la cuisinière, on secoue devant elle l’encens et elle prend l’air modeste ! Elle s’enchante pourtant ! Elle semble avoir le nez dans la coke !

    A chaque plat, on n’en peut plus de se ravir et Tautonus s’épanouit : les premiers jalons de sa réussite sont posés ! Il est maintenant intime avec le préfet ! Il pourra compter sur son soutien ! Malheureusement, en passant, on cite le cas Paschic, qui ne travaille pas assez à l’école ! Le préfet se veut rassurant, pour un enfant qui n’est pas le sien ! Il dit : « Mais laissez-le donc ! La jeunesse d’aujourd’hui a besoin de temps ! Quand il aura choisi sa voie, eh bien, il ira à fond, j’en suis sûr !

    _ Tout de même, fait la Machine, je le soupçonne d’avoir une queue de vache dans la main !

    _ Certainement ! » renchérit Tautonus.

    On change de sujet ! « Il y a trois jours, vous ne savez pas qui j’ai rencontré ? demande le préfet. Baramut ! l’ancien ministre…

    _ C’est pas vrai !

    _ Si ! Si ! Alors, il m’a reconnu… Il m’a salué très digne…

    _ Après ce qu’il a dit sur… C’est un comble !

    _ Mais c’est un type très arrogant ! dit la Machine. Je le vois même snob !

    _ Il ne pense qu’à sa carrière ! approuve Tautonus.

    _ Bien sûr, il veut toujours aller plus haut !

    _ Encore un peu de dessert, monsieur le préfet ?

    _ Appelez-moi Jacques, je vous en supplie, sinon je vais encore me croire à la préfecture !

    _ Donc, je vous redonne un peu de crème brûlée ?

    _ Oui, elle est tellement bonne !

    _ Ah ! »

    Plus tard, les invités sont partis et il faut faire la vaisselle ! Paschic participe évidemment et il écoute : « Je crois qu’on a marqué des points ! dit la Machine.

    _ Oui, ton crabe était merveilleux ! Bon, je vais me coucher, j’ suis crevé !

    _ Bien sûr, chou ! Paschic, place bien le torchon à sécher ! Il s’agit pas de faire le boulot à moitié !

    _ Tu sais, je connais un moyen de diminuer ta charge mentale…

    _ Ah bon ? Ça ne m’étonne pas, monsieur je-sais-tout !

    _ Il suffit de diminuer tes ambitions !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Non mais pour qui tu t’ prends, espèce de morveux ! »

    Elle se met à frapper Paschic de toutes ses forces !

                                                                                                   120

    « Jeffrey ! crie le maire, dans son bureau qui domine la ville.

    _ Oui, monsieur, fait le premier adjoint en entrant.

    _ Vous entendez ? »

    Le premier adjoint tend l’oreille, puis dit : « Non monsieur, je n’entends rien !

    _ C’est bien ça, Jeffrey, on n’entend rien ! C’est le silence ! Et je n’aime pas ça, Jeffrey, oh non !

    _ C’est curieux en effet…

    _ Mais qu’est-ce que je vais devenir, moi, Jeffrey ? Le silence, il m’angoisse, c’est comme la mort ! Mais, bon sang, où sont les bruits de mes chantiers ? Il y en a partout et on devrait les entendre !

    _ Je n’ai pas eu vent d’une grève pourtant…

    _ Tout me semble si vide soudain ! C’est comme s’il neigeait ! Je me sens subitement inutile… J’ai l’impression d’étouffer !

    _ Vous pourriez rentrer chez vous, vous reposer un peu !

    _ Chez moi ? Et qu’est-ce que je ferais chez moi ?

    _ Vous occuper de votre femme, de vos enfants…

    _ Ma femme et moi, nous sommes de bons amis, Jeffrey… Nous avons chacun notre vie… et les enfants sont grands maintenant !

    _ Un verre alors ?

    _ Mauvais pour ma santé, Jeffrey ! Voilà que je transpire et que je dois m’essuyer ! Il me faut trouver une solution et vite !

    _ Hélas, la cérémonie de la Libération a été reportée à cette après-midi !

    _ Oh, mais je m’y ennuie de toute façon ! Non, ce qu’il me faut c’est du spectaculaire, du grandiose, du démesuré, Jeffrey ! Je veux voir ma ville grandir ! Rien n’est plus beau qu’un bâtiment qui sort de terre ! Du neuf, Jeffrey, je veux du neuf ! Voilà ce qui ragaillardit le sang !

    _ La modernité…

    _ Exactement ! Vous ne le savez peut-être pas, mais je suis issu d’un quartier plus que populaire ! Je peux même dire qu’il était pauvre, médiocre, miséreux ! Nous habitions dans une arrière-cour : pas de lumière et une odeur de chou qui ne quittait plus les narines !

    _ D’où votre engagement à gauche...

    _ Bien entendu ! Je me disais : « Plus jamais ces taudis, ces logements malsains ! » Le confort et la salubrité pour tous, Jeffrey !

    _ Et vous y êtes arrivé ! Vous voilà maire et promoteur de votre ville !

    _ Et on me critique pour ça ! On dit que je suis mégalomane, alors que c’est le bien du peuple, mon seul objectif ! Aaaargh !

    _ Vous n’allez pas bien !

    _ Le cœur ! Si je reste ici, je crains une attaque ! Ce qu’il me faut, ce sont mes chantiers ! le bruit des grues, des marteaux, des perceuses ! L’odeur du béton, je veux la renifler ! Je dois voir des types en jaune, avec un casque, qui crient ou qui étudient des plans ! Les rues bouchées, les façades qui s’élèvent vont me calmer !

    _ Je sors la voiture ?

    _ C’est ça ! Je vous retrouve en bas…, le temps de me rafraîchir un peu… »

    Une Lincoln noire quitte bientôt la mairie et Jeffrey, la conduisant, demande : « Où allons-nous, monsieur le maire ?

    _ Bon sang, j’ai dix mille chantiers ! On devrait en trouver un en activité rapidement, non ?

    _ Voyons… La nouvelle gare routière, le nouveau stade, la deuxième ligne de tram, les logements en face des Impôts… On n’a que l’embarras du choix !

    _ Stop, Jeffrey ! Stop !

    _ Qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Reculez ! Allez-y reculez ! Qu’est-ce que c’est que ça, Jeffrey ?

    _ Un… arbre…

    _ Un arbre, Jeffrey ! Et qu’est ce que j’ai demandé ? Qu’il n’y ait plus d’arbres dans ma ville, notamment à cause des étourneaux ! Étourneaux, que d’ailleurs j’entends ! Ah ! Ils se foutent de nous, Jeffrey ! Ils pavoisent, ils médisent, ils persiflent !

    _ Les gars auront oublié cet arbre…

    _ Où est la sulfateuse ?

    _ Dans le coffre ! Mais les gens…

    _ Ils verront que j’agis pour leur bien ! Et puis à cette heure-ci, y a pas grand monde ! »

    Le maire sort du véhicule et prend un fusil-mitrailleur dans le coffre : « Bien les étourneaux, crie-t-il, la plaisanterie est terminée ! Vous êtes dans ma ville et c’est moi qui commande ici ! »

    Le maire ouvre le feu, étête l’arbre, fait voltiger les branches et des dizaines d’oiseaux tombent sur le sol ! « Ah ! Ah ! jubile le maire. J’ suis dans l’action, Jeffrey ! Je n’ m’ennuie plus ! J’ suis heureux ! »

  • Rank (110-115)

    R27

     

                  "Dites-moi que je la reverrai là-haut!

                    Oui, mon fils, vous la reverrez!"

                                                           Le Facteur sonne toujours deux fois

     

                                                110

    « Alors qu’est-ce que tu veux faire dans la vie, Paschic ? » La question vient d’un conseiller d’orientation, en visite dans l’école de Paschic, qui boude et a les mains dans les poches ! « Ben, répond Paschic, je veux être un agriculteur pour écraser les gens avec mon tracteur ! Ah ! Ah !

    _ Mais enfin les agriculteurs n’écrasent pas les gens !

    _ Non, mais je veux montrer ma colère, comme eux ! Car moi aussi, j’ai beaucoup à dire ! Ou bien alors, j’ s’rais pêcheur ! Je brûlerais des bâtiments, pour me réchauffer l’hiver !

    _ Ah ! Ah ! Tout ça n’est pas très sérieux, Paschic !

    _ Non, non, attendez, je veux être un internaute débile, qui déverse sa haine toute la sainte journée ! La nuance, pas pour moi ! Ou alors j’dirais que le problème, c’est le gouvernement ! J’ me tournerais les pouces !

    _ Voyons, Paschic, nous sommes là pour choisir un travail, un métier !

    _ Ah bon ? Vous voyez quelqu’un travailler dans c’ pays ? Qu’est-ce qui est difficile ? Pointer ou calmer sa haine ? Se changer soi-même ou casser c’ qui nous dérange ?

    _ Ben…

    _ Vous voyez, personne ne bosse ici ! Pourquoi, moi, j’ devrais faire plus ? Laissez-moi haïr, monsieur le conseiller ! Laissez-moi être bête et égoïste ! Vous savez c’ qui m’ fait peur ?

    _ Non…

    _ C’est la solitude de l’intelligence, de la compréhension ! Bon sang, j’ comprends qu’ les autres se débinent ! Se retrouver tout seul, ça donne froid dans le dos ! Je veux être dégueulasse, faire partie du groupe ! Vous savez, s’il y a des opérations pour enlever l’ cerveau ?

    _ Ah ! Ah ! Vous exagérez, Paschic…

    _ Être sans sentiment, la planque ! On s’ respecte, on est aux p’tits soins pour soi, mais pourquoi ne pas traiter les autres de la même manière ? Nous sommes tous humains, pas vrai ?

    _ C’est vrai, Paschic !

    _ Mais allez par là est extrêmement dangereux !

    _ Ah bon ?

    _ Bien sûr, ça conduit à la croix ! Moi, c’ que je veux, c’est être au chaud, dans la porcherie, avec les autres ! « La porte ! » j’ crierais, si jamais on veut m’ déloger !

    _ Écoutez, Paschic, je ne vous suis pas très bien… Moi, mon rôle, c’est de vous trouver une formation qui vous plairait…

    _ Ben, j’ vous l’ai dit ! J’ veux être un voyou, un paresseux, comme tout l’ monde ! Pas question d’ me lever hors de la tranchée ! En c’ moment, j’ suis pour les femmes et les agriculteurs ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ suis du côté du plus fort ! Pas fou le Paschic, il regarde d’où vient l’ vent !

    _ Bon sang, Paschic, vous avez des possibilités ! Il y a bien une profession qui vous permettrait de vous développer et de devenir utile dans la société !

    _ Et mon courage, mon amour, mon dévouement, qu’est-ce que j’en fais ? C’est bien ça qui gêne, non ? Écoutez tant que ça, c’est avec moi, je demeurerais suspect ! Maintenant, si vous me dites qu’il y a une consigne pour l’intelligence, j’y cours, j’y vole ! A moi alors le groupe, l’intégration ! A moi la place dans la meute ! A moi les toasts à la haine ! Enfin au chaud ! les pieds allongés sous la table ! Qu’est-ce que je peux rêver de mieux ?

    _ Vous me désorientez, Paschic…

    _ Vous m’en voyez désolé, monsieur le conseiller ! Pourtant, ma demande est simple ! Aidez-moi à m’intégrer, débarrassez-moi de ma compréhension, de ma compassion ! Rendez-moi mon égoïsme, mon aveuglement ! Si vous y parvenez, je signerai ce que vous voulez !

    _ Euh…

    _ Il n’y a pas une formation qui enlève tout jugement, tout esprit d’aventure ?

    _ Il y a bien les partis politiques et notamment les extrêmes…, mais ce ne sont pas a priori des formations !

    _ Aïe ! En fait, vous et moi, monsieur le conseiller, nous sommes un peu comme au temps du Rideau de fer, quand un Allemand de l’Est voulait passer à l’Ouest ! Et c’est vous le passeur et moi, le transfuge ! Fournissez-moi de faux papiers, construisez-moi une nouvelle identité ! « Paschic : gueulard, haineux, sans discernement ! » Voyez, je passerais inaperçu ! Les autres vont me voir comme l’un des leurs ! Le paresseux type !

    _ J’ vais voir c’ que je peux faire ! Mais j’ vous préviens, ce sera cher !

    _ Qui veut la fin... »

                                                                                                     111

    Paschic est dans la rue et mendie… « A vot’ bon cœur, mesdames messieurs ! Donnez ce que vous pouvez ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Un p’tit mépris, monsieur ? Merci ! Du dédain, madame ? Merci ! N’hésitez pas à me haïr ! C’est votre monnaie !

    _ Désolé, mais j’essaie de comprendre, d’aimer ! Je n’ai rien pour vous !

    _ Pour la prochaine fois alors ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Merci madame ! Merci monsieur ! Non, je n’accepte tout de même pas les coups de pieds ! Juste le mépris ! La violence est hors la loi ! Respectez les clous ! Merci madame, votre haine m’accompagne ! Merci monsieur, votre haussement d’épaules fera ma journée ! Ayez pitié du pauvre Paschic !

    _ Comme on se retrouve, minable !

    _ Lapsie ! Toujours un plaisir de te revoir !

    _ Tu n’as pas honte, Paschic, de mendier ! d’avoir l’air d’un gueux ! Pouah, tu pues, Pashcic !

    _ Ta haine remplit mon escarcelle, Lapsie ! C’est Noël pour moi !

    _ Mais enfin, quand deviendras-tu un homme, un battant ?

    _ J’ai choisi la voie de la sagesse, de la vie intérieure !

    _ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Dis plutôt que t’as peur, que tu n’ sais pas t’imposer !

    _ La haine nous aveugle…

    _ Tu sais ce que j’aime, Paschic, c’est la force ! J’aime quand j’ gagne et quand j’entends les os de mes adversaires craquer ! Alors je suis fière d’être debout ! Tandis que toi, tu as tout de la larve ! Assisté, va !

    A cet instant, Paschic se lève et touche la joue de Lapsie ! Puis, il la prend doucement dans ses bras… Lapsie a d’abord de la répulsion, puis elle s’abandonne et se met à pleurer ! Paschic vient de lui enlever la « barre de fer » qui la faisait souffrir ! Elle est émue… et elle regarde Paschic étrangement ! « Mais…, mais d’où te vient ce pouvoir, Paschic ? s’écrie-t-elle.

    _ Je suis le maître de ma haine, et c’est pourquoi je suis fort ! Je viens de te transmettre un peu de ma paix…

    _ J’ai soudain retrouvé l’espoir… Est-ce possible ?

    _ L’effet ne durera pas…, car il est le résultat d’une longue pratique… C’est un engagement de tous les jours et qui est pourtant possible pour tous… Mais…

    _ Tu as raison, ma haine revient ! Je te vois de nouveau misérable, Paschic, et cela me fait peur ! Tu es anonyme parmi les anonymes !

    _ Et pourtant je rayonne, n’est-il pas vrai ? Mais tu préfères rejoindre le troupeau, crier avec les loups ! Tu préfères ton malheur à ma paix !

    _ J’aime le pouvoir !

    _ Il n’est que du vent ! Les mille démons qui t’effraient, je les fais danser comme je veux ! Je suis le rocher et tu n’es que tourments !

    _ J’ai bien senti ta force étrange, mais je ne suis pas prête… Je dois…

    _ Ton fardeau, c’est ta soif de réussir, de vaincre !

    _ Mais enfin quel est ton secret ?

    _ Je suis le pauvre Paschic, celui qu’on hait et méprise…

    _ Je ne comprends pas…

    _ Tu veux la justice et moi, je te dis : « Fais mille pas avec ton ennemi ! » Tu te souviens ?

    _ Je ne crois pas…

    _ Ma paix est bien réelle cependant…

    _ Il faut qu’ j’y aille !

    _ Bien sûr ! Un peu de haine, un peu de mépris, pour le pauvre Paschic ! Donnez ce que vous pouvez ! Merci madame, merci monsieur !

    _ Au revoir, Paschic !

    _ Au revoir, Lapsie ! Va porter la bonne nouvelle !

    _ Je dirai à la Machine que je t’ai vu !

    _ Dis lui qu’il n’est jamais trop tard pour avoir la paix ! Elle aussi souffre comme toi !

    _ Et si tu te trompais, Paschic ? Regarde, tu n’es rien !

    _ Je te le répète, je fais danser tes monstres ! Je suis la lumière et la paix !

    _ Et la vérité ?

    _ Comment être fort avec le mensonge ? C’est pour cela que je suis le pauvre Paschic ! »

                                                                                                   112

    Au QG du Troisième Reich féminin, c’est l’ébullition ! On attend la visite de la Machine ! Le Führer de ces dames ! Lapsie et Bona, dans leur uniforme noir impeccable, marqué par le sigle FF, pressent leurs subalternes ! « Schnell ! Schnell ! » crient-elles et les bottes astiquées vont et viennent ! Depuis longtemps, les hommes ont été dressés, domestiqués, déstructurés ! Ils ne servent plus qu’à donner leur semence et encore ! A force d’être harcelés, écrasés, broyés, ils ne peuvent plus entrer en érection, ce qui provoque le mépris des femmes !

    Cependant, certains résistent, tel Paschic, qui a rejoint le maquis ! « Heil la Machine ! » font Bona et Lapsie, quand apparaît leur chef, qui les salue négligemment ! La Machine a les traits tirés et semble vieillie ! Elle ne dort plus et on finit par se demander où est son génie de naguère ! En effet au début de la guerre féminine, elle multipliait les coups d’éclat, avait des intuitions merveilleuses ! Les lignes masculines étaient enfoncées ! L’homme courait en déroute ! Les prisonniers se rendaient par milliers !

    Mais, maintenant, on perd des batailles, on ne progresse plus aussi vite qu’avant, on a du mal à tout contrôler ! N’a-t-on pas vu trop gros ? Est-ce une folie que de vouloir éradiquer l’homme ? Le nouvel ordre féminin ne peut-il pas s’imposer ?

    La photo de Paschic est bien en vue sur le mur, car il fait partie des derniers hommes dangereux… En dessous du cliché, les récits glaçants se succèdent ! Ici, il aurait tiré la langue à une fermière ! Là, il aurait refusé d’embrasser une FF, ce qui constitue une injure ! L’esclave doit obéir au maître ! Là-bas, il aurait craché sur un portrait de la Machine !

    La Gestapo le traque sans relâche ! On parle du Monstre des Vosges et on fouille chaque tas de foin ! On interroge, intimide, torture ! On examine chaque piste et la prise de cet ennemi du féminisme ne serait plus qu’une question d’heures ! Mais la Machine n’est pas convaincue et sa colère légendaire éclate : « Je me fous de ce que les Américains puissent aider Paschic ! Je le veux à un croc de boucher ! On ne défie pas la Machine ! Et la solution finale pour les hommes, on en est où ?

    _ On a ouvert un nouveau camp… Les trains ont été multipliés par quatre !

    _ Ce n’est pas suffisant ! Le Grande femme doit régner sur le monde ! Tous les hommes sont là pour la servir !

    _ Ya ! Ya ! Meine Machine !

    _ L’émasculation de masse ! La gloire lesbienne ! Rappelez-vous votre serment : le vagin ou la mort !

    _ Heil meine Machine ! »

    Un messager claque des talons et donne un billet à Lapsie, qui dit : « Les troupes de Paschic se dirigent vers le sud ! Nous les tenons ! » Chacune s’approche d’une carte : « Ils vont tomber sur la troisième division des panzers de von Paula ! exulte Lapsie. Ils seront broyés !

    _ Prévenez von Paula qu’il n’y aura pas d’ quartiers ! renchérit la Machine. Ce chien de Paschic ne doit pas nous échapper !

    _ Et si les Américains… coupe Bona.

    _ Je me fous des Américains ! s’emporte la Machine, qui d’un coup fait sauter toutes les positions de la carte. Je veux la peau du mâle en parchemins ! Nos ennemis sont partout et ils essaient de nous manipuler, de nous diviser !

    _ Heil ma Machine !

    _ Vous savez, ce n’est pas moi qui ai commencé ! Ce sont les hommes qui m’ont déclaré la guerre ! Moi, je ne rêvais que d’une chose, rester tranquille ! Quand tout cela sera fini, je retournerai à ma peinture ! Car j’ai encore une âme d’artiste, figurez-vous ! Je suis pour la paix, mais ce sera impossible tant que l’homme n’aura pas payé le prix ! 

    _ Et les femmes intelligentes, réfractaires ?

    _ Quel sort réserve-t-on aux traîtres ? Le billot et la hache ! Comment peut-on s’opposer aux FF ? »

    Soudain la sirène d’alerte aérienne retentit et il faut se mettre à l’abri ! On entend éclater les bombes et le sol tremble ! De la poussière tombe du plafond ! On tousse et on voit de plus en plus mal ! « Himmel ! Que fait la DCA ? tonne la Machine. » Mais personne ne lui répond : c’est l’enfer sur Terre !

                                                                                                       113

    Paschic, en tenue de prisonnier et avec d’autres, doit étendre des barbelés autour du camp de la Machine… Une gardienne vient cependant le chercher et Paschic inquiet se met à la suivre… On passe des sentinelles et à la grande surprise de Paschic, il est laissé dans le bureau de la Machine ! Il a soudain peur, car les colères de la Machine sont terribles et il se demande quelle faute il a commise !

    Pourtant, la Machine apparaît apaisante : « Ah ! Paschic, je suis heureuse de te voir ! Un verre de schnaps ? » Paschic ne répond rien, tellement il est surpris ! Voyant son embarras, la Machine se montre encore plus prévenante : « Assieds-toi, Paschic ! Détends-toi ! Oublions pour un temps nos différends ! Après tout, je suis ta mère ! » Paschic s’assoit docilement, mais reste sur ses gardes… Ce qu’ignore la Machine, c’est qu’elle a conditionné Paschic jusqu’au tréfonds ! Chaque geste, chaque mot est maintenant pesé par Paschic ! Il ne sera plus jamais naturel, il est marqué à vie ! Il est caché tout au fond de lui, comme un animal craintif dans son terrier !

    Il a dû s’enfouir pour survivre ! « Tiens Paschic, tu ne vas pas me dire que tu vas refuser un bon verre de schnaps ! Ah ! Ça fait du bien ! J’ai voulu te voir, Paschic, pour t’expliquer certaines choses… Je sais que tu m’en veux… et que tu peux me voir comme un monstre, mais tu ne connais pas la vérité ! Vois-tu, nous les femmes, nous ne sommes pas libres ! Je t’avoue que je voulais même pas me marier ! Mais c’était impensable pour l’époque, surtout dans mon milieu !

    On devait se marier, Paschic, et faire des enfants ! Eh oui, c’était comme ça ! Encore un p’tit verre ? Remarque que je suis quand même bien tombée avec ton père… On a formé une belle équipe, lui et moi, et on t’a pas raté non plus ! Pas vrai ? Hi, hi ! Mais, Paschic, la société, avec ses diktats masculins, ne laisse pas de peser sur la femme ! Il faut encore qu’elle soit une bonne épouse, une bonne ménagère, qu’elle soit l’honneur de son mari, toujours là pour ses enfants, etc., etc. !

    Cela nous demande beaucoup, Paschic ! Cela nous ronge même, nous dévore ! Ainsi, sous le joug du devoir, j’ai pu m’irriter, perdre le contrôle et me montrer injuste, trop directive à ton égard ! Tu vois, je reconnais mes fautes, mais je tiens à ce que tu saches que je ne suis pas entièrement responsable ! J’étais moi-même sous emprise ! Je me débattais pour conquérir ma liberté ! J’avais aussi mes chaînes ! »

    Un silence se fait ! Paschic est abasourdi ! Il est encore dans le brouillard, dans cette sorte d’hébétude qui lui est coutumière, car il se demande toujours s’il est bien réel, s’il existe vraiment, tellement il a été enfoncé en lui-même par la Machine ! Les propos qu’il vient d’entendre enfin le pénètre et il se met à rire, à rire !

    Cette réaction imprévue gêne la Machine, qui dit : « Sans doute que le schnaps te fait trop d’effet ! J’aurais dû m’y attendre ! » « Alors comme ça, pense Paschic, je n’ai pas servi de paillasson à la Machine ? Elle ne m’a pas bousillé, au nom de ses plaisirs ? Je ne suis qu’un dommage collatéral, dans sa lutte contre les diktats masculins ? Elle n’est pas d’un orgueil épouvantable ? Ce n’est pas seulement son monde qui doit triompher ? Toute résistance ne doit pas être écrasée ? Elle ne m’a pas massacré, dès que je la dérangeais ? Se sentant opprimée, elle a opprimée davantage ? Se sentant esclave, elle a voulu des esclaves ? »

    Paschic arrête subitement de rire : il est effrayé de s’être laissé aller et de nouveau il se ferme ! Il attend qu’on le laisse partir… La Machine est à des années-lumière de la réalité ! Cependant, elle est de nouveau gênée… Elle ne comprend pas le silence de Paschic, bien qu’il soit son œuvre ! « Écoute Paschic, dit-elle, il faut que tu réfléchisses un peu à cela… C’est nouveau pour toi… Tu peux t’en aller... »

    Paschic se lève et une fois dehors, il respire ! Il regarde le camp, les barbelés, les miradors… Il repense aux sévices, aux humiliations, aux coups, aux mensonges, aux perfidies, à cette incroyable injustice qui l’a détruit, aussi sûrement qu’un char qui lui aurait passé dessus, et tout cela ne serait dû qu’aux diktats masculins, qu’à une situation pénible vécue par la Machine elle-même ?

    Paschic est partagé entre le rire et les larmes, c’est typique du voisinage du désespoir ! Mais, ce soir, il va se faire la belle ! Depuis des mois, il construit un tunnel, patiemment ! Lui, la vérité, il la veut, d’où son acharnement ! Il n’en a pas peur, comme la Machine ! Ou bien elle existe, ou bien tout n’est que vent ! Paschic ne restera pas dans la demi-mesure de la Machine, son hypocrisie, son égoïsme ! Il a trop vu le mal qu’elle fait !

    Et puis, il se rend compte que la Machine a encore parlé d’elle, qu’il a encore été question d’ sa gueule et c’est bien là le problème ! La Machine n’aurait pas été un bourreau, si elle avait dépassé son nombril, si elle avait aimé plus qu’elle, plus grand qu’elle ! Les diktats masculins ? Alors que Paschic n’est plus que du sang mêlé de boue !

                                                                                                    114

    Paschic est DA (District Attorney) et en plein procès, il interroge la Machine, qui est accusée d’avoir tué son mari ! « Madame la Machine, racontez-nous encore une fois ce qui s’est passé cette nuit-là…

    _ Ben, j’étais seule à la maison et j’ai entendu du bruit… J’ai d’abord crû qu’une fenêtre s’était ouverte, puisqu’il y avait du vent et de la pluie dehors… Et puis, j’ai vu cette forme qui se dressait peu à peu le long du mur… C’était horrible ! Elle semblait interminable, avec des bras comme des tentacules !

    _ Votre Honneur, intervient Lapsie, l’avocate de la Machine, ma cliente est visiblement très éprouvée… Serait-il possible de faire une pause ?

    _ Maître, nous avons bien conscience de l’épreuve que traverse la Machine… Néanmoins, elle est l’accusée et elle va donc continuer son récit… Poursuivez madame la Machine…

    _ Oui, votre Honneur… J’étais absolument terrifiée ! Ce n’était même pas humain ce qui me menaçait ! C’est alors que je me suis rappelé l’arme que je place dans ma table de nuit… Je m’en suis saisie et j’ai tiré !

    _ Cinq fois ! fait Paschic.

    _ Je vous l’ai dit : j’étais terrifiée ! Puis je me suis approché, car la « chose » ne bougeait plus ! Et c’est là que j’ai reconnu Edgar ! mon pauvre Edgar !

    _ Vous n’aviez pas reconnu votre mari ?

    _ Comment aurais-je pu le reconnaître ? Il m’avait dit qu’il serait à son club !

    _ Madame la Machine, depuis quand avez-vous cette arme ?

    _ Cinq ans environ !

    _ Pouvez-vous dire au jury pourquoi avez-vous acheté cette arme ?

    _ Ben, la maison est assez isolée et…

    _ N’avez-vous pas déclaré à une amie qu’Edgar vous faisait peur ?

    _ C’est vrai… Il avait changé avec le temps… Il était devenu plus autoritaire… Il me reprochait mes amies, mes sorties, mes joies ! J’ai tout sacrifié pour lui, mais rien ne pouvait le satisfaire ! Il était… il était toxique !

    _ A un tel point que vous avez acheté une arme pour vous défendre ?

    _ Objection votre Honneur ! s’écrie Lapsie. Le DA fait les questions et les réponses !

    _ Objection retenue !

    _ Très bien, reprend Paschic, je vais poser ma question autrement ! Madame la Machine, ne pensez-vous pas que l’achat d’une arme est exagéré, pour régler un problème de couples ?

    _ Edgar me dévorait ! Il me bouffait ! La prochaine étape, je le savais, ce serait des coups ! Et il n’était pas question qu’on en arrive là ! J’étais prête à me défendre !

    _ Votre Honneur, poursuit Paschic, je voudrais montrer une vidéo…

    _ Objection votre honneur ! coupe Lapsie. La défense n’a pas été informée de l’existence de cette vidéo !

    _ Que le ministère public et la défense veuillent bien approcher ! dit le juge. Monsieur le DA, est-ce vrai que vous avez caché à la défense l’existence de cette vidéo ?

    _ Mais pas du tout ! Elle se trouve page 19 dans la liste des pièces remise à la défense !

    _ Noyée dans un tas d’ saloperies ! réplique Lapsie.

    _ Maître, surveillez vos propos ! dit le juge. Monsieur le DA, êtes-vous bien sûr que cette vidéo peut faire évoluer l’affaire ?

    _ Elle l’éclairera d’un jour tout à fait nouveau !

    _ Très bien, j’autorise le visionnement de cette vidéo, mais soyez convaincant, monsieur le DA !

    _ Merci votre honneur…

    _ Très bien, le jury est prévenu qu’il va voir une vidéo, annonce le juge. »

    A l’écran, on découvre une petite épicerie, dans laquelle entre la Machine ! Immédiatement, les autres clients se mettent à genoux, pour montrer leur déférence et l’épicier ne cesse de faire des courbettes ! Il semble même donner de l’argent à la Machine ! « C’est bien vous que l’on voit sur l’image ? demande Paschic à la Machine.

    _ Euh… Oui…

    _ Tout le monde tient à vous marquer du respect, car vous êtes très connue dans ce quartier… et pas seulement celui-là ! En fait, il s’avère que les trois quarts de la ville vous appartiennent et que votre vrai nom est le Mépris ! Est-ce exact ?

    _ Edgar était toxique ! Il me menaçait !

    _ Vous vous appelez le Mépris et vous régnez sur la ville ! Mais Edgar était le problème ?

    _ C’est lui qui avait la force physique !

    _ Nous savons que vos affaires périclitent… Mais Edgar n’avait pas un sou… Cependant, vous faites actuellement la une, en vous présentant comme une femme qui a défendu sa vie, face à un conjoint violent… N’est-ce pas là une manière de vous remettre en selle ?

    _ Et alors ? Le train MeeToo profite à tout le monde et pourquoi pas à moi ? J’ai jamais eu d’ chances dans la vie ! Mais je n’ai pas tué Edgar pour ça !

    _ Non, vous l’avez tué parce que vous le méprisiez !

    _ Espèce de sale mâle prétentieux ! J’ai qu’à claquer des doigts et demain tu m’ supplieras d’ t’épargner !

    _ Je n’ai pas d’autres questions, votre Honneur ! »

                                                                                                         115

    La Machine, Bona et Lapsie fument des cigares, en sirotant leur whisky… « Non mais écoutez-moi ça ! s’écrie Bona, le nez dans le journal. « Paschic, un heureux dans la rue ! Question du journaliste : « Monsieur Paschic, comment faites-vous pour paraître aussi serein, aussi détendu ! On dirait qu’une bonne étoile vous protège ! » Réponse : « Vous voulez mon secret ? Je ne fais que ce qui m’amuse ! ainsi je garde la joie de vivre et je ne fais pas suer mes concitoyens ! » Question : « Que ce qui vous amuse ? Mais faut travailler dans la vie ! » Réponse : « Et qui vous dit que je ne travaille pas en m’amusant ! Vous connaissez la formule : « Heureux les purs, car tout leur est pur ! » 

    _ Nom d’un chien ! s’insurge Lapsie. Qu’est-ce qui faut pas entendre comme conneries ! Lui pur ? Quelqu’un pur ?

    _ C’est surtout mauvais pour les affaires, rétorque la Machine. Quelqu’un qui s’amuse sur mon territoire, c’est très démoralisant pour ceux qui sont sous ma domination ! Ça leur donne des idées…, des idées de grandeur, de rébellion !

    _ C’est encore mauvais pour MeeToo, renchérit Bona. Accorder de l’attention à c’ type, c’est moins de lumière pour les femmes ! Et puis, c’est de nouveau le mâle triomphant !

    _ J’ crois que nous sommes toutes d’accord, ajoute la Machine, il faut lui régler son compte une bonne fois pour toutes ! Je ne vais pas laisser c’ morveux me marcher sur les pieds !

    _ T’as raison, fait Lapsie. J’ai justement acheté du nouveau matériel que je voudrais bien essayer ! On va voir comment le « pur » arrête les balles ! »

    Chacune prend ses armes et on les entend les vérifier ! Pistolets, fusils, couteaux et même grenades sont embarqués et la voiture du trio démarre. Pendant ce temps-là, dans sa petite maison, Paschic se pénètre d’un oud mélancolique, en accord avec l’éclairage tamisé ! Soudain, les vitres éclatent, les tableaux tombent et des balles perforent les murs ! Les tirs paraissent incessants et Paschic, après avoir été blessé à la jambe, s’est traîné derrière le divan !

    Le silence se fait un moment, mais c’est que les filles approchent et entrent dans le salon… Elles marchent sur les débris et entendent les plaintes de Paschic ! La Machine contourne le divan et loge dans Paschic deux balles, dont l’une dans la tête ! Le travail est terminé et les tueuses se pressent vers leur voiture, alors que déjà au loin retentit une sirène ! Un voisin a dû prévenir les secours…

    Le lendemain, les filles regardent la télé et notamment le JT : « Une tuerie s’est produite hier soir, dans le quartier résidentiel de Hampshire, explique la journaliste. La victime, nommée Paschic, a immédiatement été conduite à l’hôpital, où elle combat entre la vie et la mort ! On ignore encore quelles sont les causes de ce crime et quels en sont les auteurs... »

    « C’est pas vrai ! s’écrie Bona. Vous avez entendu ? Ce fumier est encore vivant !

    _ Je lui ai pourtant mis une balle dans la tête ! précise la Machine.

    _ Ça devrait suffire, réplique Lapsie. S’il est encore vivant, c’est à l’état de légume !

    _ Il y a quand même un doute… poursuit la Machine.

    _ Dans c’ cas, y a plus qu’une solution ! fait Bona.

    _ Ah oui ? Et laquelle ? demande la Machine.

    _ Tautonus ! C’est un spécialiste ! Rien ne lui résiste !

    _ OK ! dit la Machine. Je le mets sur le coup ! »

    A l’hôpital, Paschic émerge discrètement du coma et il entend un médecin dire à un de ses collègues : « J’ sais pas comment c’est possible ! La balle dans le cerveau ne l’a pas tué !

    _ Mais il gardera des séquelles !

    _ Sans doute ! Reste à savoir à quel stade il sera diminué ! »

    Les deux médecins s’éloignent et Paschic se rendort ! Quand il se réveille à nouveau, il fait nuit et tout semble calme…, mais Paschic reconnaît soudain une voix dans le couloir : celle de Tautonus ! Celui-ci parle avec une infirmière, comme si lui-même faisait partie du personnel ! Vite, il faut trouver une solution pour Paschic !

    Il fait l’effort de sa vie ! Il avance en boitant et en suant vers son placard ! Il se saisit de son manteau et d’un bonnet, qui vont prendre sa place ! Puis, il détache les fils qui l’encombrent et les glissent sous les couvertures ! L’alerte est sûrement donnée, mais Paschic n’en a cure et il se cache dans le placard, vaste comme une salle de bains ! De là, il voit Tautonus qui entre sans tarder et qui d’une main sûre tire avec un silencieux, sur la forme du lit ! Tautonus n’a pas le temps de vérifier son œuvre et il disparaît ! Enfin, Paschic peut s’écrouler !

    Bien plus tard, quand il sortira de l’hôpital et malgré son handicap, car il ne sera plus lui-même, il sera sans pitié pour le crime !

     

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    R12

     

     

                      "Mais la guerre est finie, Murphy!"

                                     La Guerre de Murphy

     

                                                             73

          La domination animale, encore appelée l’orgueil dans le milieu, prend des vacances dans un endroit paradisiaque… Elle profite des hamacs de l’hôtel de luxe où elle s’est installée et de là elle ne perd pas de vue que des créatures de rêve apparaissent sur la plage ! Elle lit le journal avec à côté un cocktail rafraîchissant et saupoudré de sucre, tandis que la mascotte du coin, un petit singe, mange la banane qui lui a été offerte !

          « « Jésus condamné à mort par les Romains, pour des raisons politiques ! lit la domination. En se déclarant roi des juifs, il menaçait leur pouvoir ! » Non mais, qu’est-ce que c’est que ces conneries ? C’est moi qui ai fait le job… et je l’ai super bien fait ! Aucune trace ! Quelle bande de cons ! Mais quelle bande de cons ! De vrais veaux ! Ah ! Ils n’ont pas fini de tourner ! Elle est bonne la banane ? »

           Le singe grimace ou sourit ! « Eh bien tant mieux ! dit la domination. Il y a au moins un heureux dans l’ secteur ! Car autrement, c’est le chaos ! Mon Dieu ! Et je suis encore derrière tout ça ! C’est moi qui mène la danse, mais d’ici à ce qu’ils voient quelque chose ! « Poutine aurait obéi à une logique géostratégique…, dit machin ». Ah ! Ah ! Et ça continue ! Là encore, je n’ai commis aucune erreur ! J’ai chauffé Poutine à blanc ! J’ lui ai dit : « T’as pris la Crimée, personne n’a bougé ! Qu’est-ce que t’attends pour sauter sur Kiev ! Tu sais c’ qui va s’passer ? L’Occident va faire dans son froc et même la plupart des Ukrainiens accueilleront tes chars, avec de petits drapeaux ! Ils salueront le retour de l’ordre, du maître… et toi, de ton côté, tu restaures le dernier empire colonial, à savoir l’URSS ! Le bonne camaraderie communiste de nouveau dans les foyers ! » Et ce con de Poutine a marché comme un seul homme ! Le plus difficile, ça a été d’ le retenir ! Je lâchais ses bretelles et il passait par la fenêtre ! Quel con ! »

          Le singe semble lui-même éclater de rire, il se tape les côtes, pendant que la domination accède à la paille de son cocktail ! Elle reprend son journal : « Trump, les nationalistes, même les imbéciles comme Mélenchon, je les manipule comme je veux ! Ce sont mes marionnettes ! Eh ! Mais attention ! Toujours invisible, bibi ! J’ suis le meilleur… et c’est pour ça qu’on m’engage et qu’on m’ paie ! Tiens, mon dernier contrat, la révolution féminine ! »

          Le singe paraît subitement étonné ! « Ah ! Parce que tu crois que c’est uniquement la justice qui sous-tend la révolution féminine ? fait la domination, à l’adresse de son étrange interlocuteur. Mon Dieu, si tu savais ! D’accord, les mâles sont violents et peuvent tuer ! Leurs abus sont innombrables ! Je le sais mieux que personne, car c’est moi leur auteur ! Mais j’ai toujours été aussi derrière la femme ! Si elle avait pu dévorer le mâle, elle l’aurait fait ! C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer ! Écoute-moi bien, il n’y a pas une femme sur deux, au quotidien, qui sache le sens du mot respect ! Pas une sur deux ! Et encore, je dois m’amollir ! »

           Le singe secoue la tête et la domination se demande si c’est pour l’approuver ou la contredire ! Elle décide que l’animal doute et elle rajoute : « De vraies monstres, crois-moi ! La femme entre quelque part et le temps s’arrête ! Tout le monde doit filer doux ! Rien n’existe sauf elle ! J’ suis là derrière et j’ lui dis : « Eh ! Mais y a un type qui résiste, qui ne se sent pas esclave ! Mais crache sur ce va-nu-pieds ! Vire-le-moi à coups de talons ! » Et en même temps j’ lui murmure : « N’oublie pas, bon sang, qu’ t’es une victime dans un monde d’hommes ! La patriarcat a assez duré ! Va ma grande, libère-toi, j’ te couvre ! T’as pas d’âme ? Mais l’homme non plus ! Vous êtes de belles salopes, de belles ordures tous les deux, mais c’est ton tour ! Alors haut les cœurs ! » Et hop, on lapide en public ! On cherche une corde et l’arbre pour pendre un tel et un tel ! Et comme la lâcheté est prompte à renverser les idoles d’hier ! Le vent a tourné ! Pesetas ! Pesetas ! Pouvoir ! Pouvoir ! Et à moi, la belle vie ! »

           Le singe ricane et saute sur une table, pour s’emparer de cacahuètes ! Il en apporte quelques unes à la domination : « Merci, t’es un chou ! dit-elle. Ah, c’ qu’on est bien ici ! De temps en temps, faut faire un break, y a pas ! On revient avec des idées neuves, une nouvelle énergie ! J’ai plein d’ projets, tu sais ! Car le cirque n’est pas prêt d’ s’arrêter ! Et comment le pourrait-il ? Puisque pour me découvrir, savoir qui je suis, il faudrait d’abord se remettre en question soi-même ! Il faudrait s’attaquer à son propre égoïsme, au lieu de désigner des coupables ! Et là, mon vieux, plus personne ! Waterloo, morne plaine ! On veut bien changer les autres, mais soi ? Oh ! Oh ! Ça va pas la tête ! On m’a fait ci ! On m’a fait ça ! Faut qu’ les coupables paient ! On crie à l’injustice, alors qu’on a les mains pleines de sang et qu’on marche sur ceux qu’on a écrasés ! Mais baste, j’ vais pas foutre mon bisness en l’air ! Qui t’ nourrirait en c’ cas ? »

                                                                                                              74

           Le soldat Paschic écrit une lettre à la Machine… Il est encore dans sa tranchée, à écouter la « guerre » du monde, car ça tire dans tous les sens ! Ça tue dans tous les sens ! C’est une boucherie sans fin, qui fait douter de tout ! Les plus fourbes, les plus odieux, les plus fous se réclament de la vérité ! Ils la brandissent haut et fort ! L’orgueil et la haine aveuglent totalement ! Les donneurs de leçons sont pleins de rage ! Les redresseurs de torts ne rêvent que de déchirer ! Tout le monde parle de droits, de justice, de raison, de sagesse, la bave aux lèvres, les yeux noirs de colère, ce qui révèle justement la plus complète absence de patience, de compréhension, de maîtrise de soi ! Le mal triomphe toujours ! Il parade et enlève tout espoir !

           La nuit n’en finit pas de s’étendre…, mais le soldat Paschic doit écrire une lettre, car il n’a plus un sou et il a froid ! Il veut donc demander à la Machine une nouvelle paire de chaussettes en laine, bien chaudes et dans laquelle ses pieds se moqueront des rigueurs de l’hiver ! Il s’assied ainsi sur une barrique, avec le papier coiffant l’une de ses cuisses… Il doit essuyer la boue séchée de ses manches, car ici il est difficile de garder quelque chose de propre… Puis, il envoie un nuage de fumée, tirée de sa bouffarde et dit : « Voyons… Je pourrais commencer par : « Chère maman », mais je ne l’aime pas assez pour ça ! Y a tout de même un passif ! Va pour ma chère mère ! Je me préserve un peu, en gardant une certaine distance ! Mais après ? Il est impossible de dire simplement  : « Je voudrais une nouvelle… » Avec elle, on ne doit pas débuter par je, car je la vois déjà répliquer : « Toi ! toi ! Y en a que pour toi ! »

          L’égoïste, c’est moi pour la Machine, c’est comme ça ! On est chez les fous ! Voyons… « Ici, il fait assez froid... » Aïe, si je dis ça, elle va penser que je me plains toujours ! que je lui fais un reproche, que je suppose que c’est à cause d’elle qu’il fait froid ; que c’est elle qui souffle son haleine givrée sur le soleil ! Eh ! C’est que sa paranoïa est une réalité ! On lui en veut ! On lui cherche toujours des poux ! On la rend responsable de tout le malheur du monde, alors qu’elle n’est qu’une oie blanche, dans un océan de boue !

           Alors que dire ? « D’après les spécialistes en météorologie, qui sont là dans nos rangs, la température est tout de même basse pour la saison… » Ouais, ça, ça va… C’est plus objectif, plus doux, plus tempéré et si la Machine s’énerve quand même, c’est pas sur mon dos que ça retombera, mais c’est celui des spécialistes qui prendra !

           Est-ce que je peux parler de chaussettes en laine ? Est-ce que je ne vais pas donner l’impression d’être trop exigeant ? Pourtant, si c’est pas en laine, ce s’ra pas chaud ! Voyons… Et si je disais : « Oui, le synthétique, c’est bien, meilleur marché, mais en même temps rien ne vaut la laine, etc. ! » Hum, elle va me traiter de donneur de leçons ! Elle serait capable de crier : « Halte au pédantisme ! » Me voilà bien embêté !

            Et si j’ noyais un peu l’ poisson ? Par exemple, j’écris : « La laine est certes plus chère, mais elle dure plus longtemps, à cause de la qualité... » Dans c’ cas, j’ l’entends déjà : « Tu m’ prends vraiment pour une idiote ! Tu t’ fous d’ ma gueule ! » J’ suis coincé ! La Machine, c’est passer la frontière suisse mal rasé ! Tout le véhicule va être examiné ! Rien ne sera laissé au hasard ! On a le temps !

            Bon, j’ai pas le choix, je dois quand même dire que je veux une paire de chaussettes en laine et : « Bien monsieur ! dira la Machine. On est tous au service de monsieur ! On est tous ses esclaves ! Etc. ! » Y a pas d’sortie de toute façon !

            Attention, je mets le timbre ! Il doit être bien droit, sinon on pourra m’ voir comme un débile, un je-m’en-foutiste ! Voilà ! L’adresse, autre écueil ! Il faut pas seulement madame la Machine, mais aussi son prénom ! Faut montrer du respect et peut-être de l’affection ! Désolé, on n’a pas ça en stock ! C’est fini, c’est épuisé !

           Un morceau de scotch est nécessaire pour coller l’enveloppe ! Dame, mouiller la colle ne suffit pas ! D’après la Machine, sa haute position est à même de provoquer quelque acte malveillant ! Le facteur ou n’importe quel quidam seraient tentés d’ouvrir la lettre et d’accéder à de lourds secrets, d’où nuisance, chantage, etc. !

           On n’est pas à l’abri et donc prudence ! Mais enfin ça y est ! La lettre se tient ! Elle est assez précise, sans être exigeante ! Elle prend en compte la Machine et ses possibles difficultés économiques ! Elle est le fait de quelqu’un de responsable ! Bien sûr, elle ne satisfera pas la Machine, mais elle ne déchaînera pas non plus sa colère… et c’est ce qui compte !

           Paschic se sent subitement triste, vide… Il a été comme irradié par la Machine… Il ne peut plus être simple, joyeux et confiant ! Il paye la folie de la Machine, son épouvantable orgueil !

                                                                                                               75

            Au fond, la Machine est restée cette petite fille gâtée, qui court vers son père ou un grand frère, dès qu’elle est dépassée, que la réalité lui fait peur, pour qu’elle retrouve la sécurité et recommence à faire la jolie ! La grande affaire de la Machine a toujours été l’admiration qu’on lui voue ! Elle doit être le centre d’intérêt et elle est prête à tout pour ça, d’où son appel à Tautonus, quand il s’agit de faire taire Rank !

            La Machine vit dans son petit monde paranoïaque et même sadique ! Qu’elle soit protégée des agressions extérieures, par Tautonus, a justement empêché son développement, sa maturité ! La petite fille maniaque danse dans le corps de la Machine, y continue ses mines, y prolonge ses phantasmes !

          Évidemment, l’argent et la notoriété de Tautonus lui assure une cour, qui plie l’échine devant elle, qui lui est servile et qui l’enfume, dans l’espérance d’en profiter ! Ainsi va la société, sans vérité, se payant de mots, ce qui la conduit inévitablement au chaos et à la crise ! La Machine, petite fille attardée, en mène des dizaines à la catastrophe, car nos vies passent comme un songe et que fera la Machine devant Dieu ?

          Elle ne le connaît pas et n’a même pas cherché à le faire ! Le but de la Machine a été la Machine, point final ! Elle a vécu comme dans un camp retranché, où des admirateurs ont poursuivi son adolescence ! Des milliers d’esclaves sont morts pour servir le plaisir de la Machine ! Pour une goutte d’admiration, elle a épuisé des caravanes entières, crevé des tas de chameaux, vidé des puits, asséché des oasis !

          Elle a répandu la terreur, brûlé des villages, laissé des enfants en pleurs, afin qu’elle-même puisse ne plus avoir peur, croire à son importance et que les autres sont forcément inférieurs ! Il en faut des choses aux tyrans ! Pour qu’ils restent des ados, toute la planète doit trembler, se mettre au pas, et ce sont des massacres, des charniers, des abominations, des larmes, des tragédies ! Peu importe du moment que le tyran et ceux qui en profitent respirent !

          « Aimez-vous les uns les autres », rien à voir avec la Machine ! C’est pas son problème ! D’ailleurs, un jeune peintre vient la voir, pour lui présenter ses hommages et lui offrir une de ses toiles ! Motif ? La Machine pourra peut-être faire quelque chose pour le peintre, lui trouver une salle d’expo par exemple ! Dialogues :

          « Oh ! Madame la Machine, comme vous êtes magnifique et si connue ! Je vous ai apporté une de mes peintures, car je suis sûr de votre goût ! J’espère qu’elle vous plaira, même si je sais que vos yeux divins sont habitués à contempler bien plus que mon modeste travail !

     _ Oh ! Le charmeur ! Oh ! Le filou ! Mais il ne fallait pas ! Je ne suis qu’une pauvre servante du Seigneur et qui a beaucoup de soucis, dans ce monde si malheureux ! Mais je suis enchanté de votre cadeau, quoique vous éprouviez ma modestie !

    _ On m’avait prévenu de votre grand cœur ! C’est bien simple, on m’a dit : « C’est une dame et quelle dame ! »

    _ Hi ! Hi ! Non vraiment, c’est trop ! Arrêtez donc ! Fi ! »

           Au final, la Machine, attiédie dans son cocon, se lâche : « Jésus ? Un incapable, un raté, un loser ! Avec moi, il serait devenu maire de Bethléem et même de Jérusalem !

    _ Sans doute... »

           La Machine crache et un crachoir vingt mètres plus loin tinte ! Le jeune peintre prend peur, mais il ne veut pas déplaire à la Machine ! « Et comment vont vos enfants ? demande-t-il subitement.

    _ Bien, bien, ils sont grands maintenant, sauf un : Rank ! Celui-là suce toujours son pouce ! Une vraie plaie ! Immature ! Mais j’imagine que chaque mère a sa croix à porter ! Marie, par exemple, quand elle a vu que son fils n’avait aucune ambition ! Aimer Dieu, le Père, pfff ! C’est réussir qu’il faut faire, s’imposer, régner sur la ville ! A bas les fiottes !

    _ Bien sûr… Bon, ben, va falloir que j’y aille…

    _ Encore une tasse de thé, une part de gâteau ? Je connais quelqu’un qui pourrait vous aider…

    _ Eh ben, une autre petite tasse de thé alors…

    _ Eh ben voilà ! J’étais certaine qu’on allait se plaire tous les deux ! »

          Les machines vont et viennent dans leurs bulles, garanties par l’argent et la peur qu’elles inspirent ! Elles n’ouvrent les yeux qu’après la mort !

                                                                                                           76

          En ces temps de fête, la Machine triomphe ! Dans son château, les lumières brillent, les invités sont nombreux, les sourires aussi ! La chair est succulente, les vins fins et le champagne ne va pas tarder à montrer ses bulles ! On déguste la réussite, on regarde en arrière, on boit aux morts avec respect et peu importe au fond que Tautonus ait été usé, trompé, avant d’être terrassé par la peur ! La boue, la douleur, la vérité, ce n’est pas au programme de la fête ! On s’enchante, on se grise, on rit, on grimace ! On se protège, on se caresse, on se rassure, on a raison ! On est philosophe, on ne peut pas aider tout le monde, il faut savoir apprécier, etc. ! On est plein de savoir-vivre et de sagesse !

          Paschic, lui, est seul… D’abord, il voit que le temps est bouché, qu’il fait comme un mur gris et qu’il provoque de l’angoisse ! Chacun est placé devant lui-même et sent ses limites (c’est le dénuement de l’hiver !) Évidemment, les choses ne vont pas assez vite, on voudrait plus d’argent et le soif d’être s’installe ! Il devient impératif d’éprouver une satisfaction et ceux qui ont les moyens peuvent en effet s’étourdir, se faire plaisir, mais les autres ? Les autres deviennent de plus en plus agressifs, méprisants, dangereux, car c’est l’effet de la peur, de l’angoisse ! On s’énerve contre son sort, on essaie de se libérer de toutes les manières, même si on insulte ou écrase ! Le ciel gris tend les consciences, jusqu’à la rupture !

          Paschic remarque que la boulangerie sera même ouverte le dimanche 24, afin qu’on puisse acheter du pain à la dernière minute, alors que les employés dorment déjà debout ! Ironie de l’annonce : elle souhaite une joyeuse fête à tous, mais pas au personnel !

          Paschic est seul et apparemment cela ne tient qu’à lui ! Que n’établit-il pas une relation, une famille, qu’il en profite lui aussi ? Ainsi, il oubliera la Machine, se détendra, relativisera son amertume ! Il fera comme dans les films américains, à bord des paquebots ! Même les pires crapules finissent par tomber dans les bras des bons, en pleurant ! C’est la grande réconciliation du nouvel an ! Nous ne sommes pas des bêtes, que diable !

          Le hic, c’est le mensonge, car, quand il est adopté, il enlève tout espoir ! Approuver le théâtre, c’est s’enlever le pouvoir de dire que la vérité existe ! La joie des machines est superficielle, convenue, fausse et n’est aucunement une vraie source d’espérance ! Mais Paschic encore est fragilisé, il a été bousillé et sa sensibilité est exacerbée, voire maladive ! Il n’est plus doué pour les rapports humains, il les fuit même sans doute…

          Eh, mais il ne peut pas s’inventer un nouvel équilibre comme ça ! Il a besoin de respect pour se consolider, pour retrouver la confiance et que la dépression disparaisse ! La balle n’est pas seulement dans son camp : tant que les machines restent des machines, Paschic ne trouvera pas sa place ! Il faut quand même entendre son message, le comprendre… Celui qui crie dans le désert, même s’il a pour lui-même des solutions, espère que les autres un jour changeront et qu’on lui fera bon accueil, car il en va du bonheur de chacun !

           C’est la situation générale qui est en jeu et malheureusement nous n’évoluons que très lentement ! Les machines sont infiniment plus nombreuses que les Paschic ! Elles ont l’illusion que le mal n’est pas en elles, mais dans des coupables ! Il faut un temps incommensurable pour leur montrer le contraire ! Il faut vaincre leur haine, la désarmer ! Chacun veut du respect, mais le demande d’abord tel un chien enragé !

           Les Paschic sont forts ! Ils n’aboient pas, ils restent calmes ! Même quand ils souffrent, ils s’efforcent de garder leur lucidité ! L’orgueil ne les aveugle pas, car les Paschic abandonne la domination ! Ce n’est pas leur affaire, leur passion, leur inquiétude ! Les Paschic s’efforcent d’aimer, quelles que soient les circonstances ! Ils détestent le mal, mais ne jugent pas !

           Les machines sont promptes à la haine, montées sur leurs ergots, même au nom du bien ou de la justice ! Les machines sont faibles, entièrement dépendantes de leur domination, absolument à cheval sur leur amour-propre, d’où leur agitation, leur énervement !

           Les Paschic mendient discrètement du respect... Les machines le réclament en tapant du poing sur la table ! Elles imposent leur vérité ! Les Paschic font aimer la leur ! Ils ont l’air idiots et naïfs aux yeux des machines !

           Celles-ci bossent, sont responsables, s’élèvent dans la société ! Les Paschic attendent, luttent contre leur propre égoïsme, travaillent vraiment ! Les machines rugissent, piétinent, tourmentent ! On ne comprend pas les Paschic, mais ils sourient et font du bien ! Les machines disparaissent rapidement, avalées par le temps ! Les Paschic ne sont pas surpris par la mort, ils rentrent à la maison !

  • Rank (68-72)

    R15

     

     

                        "Des fils de putain, y en avait déjà!"

                                 Il était une fois dans l'Ouest

     

                                                          68

          Dieu sort du palais de justice ! Les flashs crépitent, les questions fusent, les micros se tendent, la meute journalistique se pousse ! « Dieu, Dieu, que va-t-il se passer maintenant ? crie-t-on. Quel est votre sentiment ?

    _ Eh bien, j’ai parlé avec les parties… Le juge était lui aussi bien entendu présent ! Nous avons examiné la situation… et il a fallu convenir qu’elle est accablante ! La femme a été dès le début flouée, méprisée ! J’ai sans doute été abusé…

    _ Mais par qui ?

    _ Eh bien, je ne sais pas ! C’est justement de trouver les coupables dont il a été question ! Et croyez-moi, ils seront durement châtiés ! Mais quel scandale ! Les cimetières de Normandie ou de Verdun, pour ne citer qu’eux, sont faux ! Hélas ! Les milliers de tombes sont vides ! Autrement dit, la nature n’a jamais fait l’homme pour défendre le territoire ! C’est un véritable séisme !

    _ La femme obtiendra-t-elle réparation ?

    _ Mais c’est évidemment ce que nous souhaitons, d’autant que nous venons à peine de soulever le voile de la supercherie ! Tenez-vous bien, le rôle de la femme, son pouvoir de procréer, n’aurait été mis en place que pour l’asservir, l’humilier ! Je vous lâche là une bombe, qui me laisse moi-même abasourdi !

    _ Juliet Pixon, du Post, comment allez-vous satisfaire les plaignantes !

    _ Mais il y aura évidemment un jugement, un verdict et les avocats feront leur travail ! Mais vous devez comprendre que, pour une affaire de cette ampleur, les investigations seront longues ! Comment la nature, depuis les premiers hominidés, a-t-elle pu nous tromper ? Comment avons-nous pu imaginer des hommes mourant dans la boue, avec leurs tripes qui s’vident à cause d’une balle ? Qui étaient ces farceurs de 18 ou 45 ?

    _ Carol Pinger, du Tribune, de toute façon les guerres, c’est un truc de mecs, non ?

    _ Mais bien entendu ! Vous n’avez jamais poussé les hommes à s’battre, à devenir plus puissants, ni même à vous défendre ! Vous pouviez très bien repousser les pillards et même les animaux à vous toutes seules ! Vous avez des os plus souples pour enfanter, mais voilà que j’apprends que c’est par malveillance ! Je vous l’ai dit, j’ai été trompé !

    _ Mais comment vous, Dieu, avez-vous pu rester aussi longtemps aveugle ?

    _ Bah ! Je voudrais pas avoir l’air de m’excuser, mais vous savez ce que c’est ! La création, c’est une grosse machine ! J’ suis obligé d’ déléguer… et un service, quelqu’un en aura profité ! Imaginez un dinosaure plus malin qu’ les autres… Il veut « emmerder » les mammifères… Il perturbe leur environnement, jusqu’à ce qu’ils s’adaptent de travers… et le mal est fait !

    _ Vous pensez bien sûr à un dinosaure mâle ! Vous auriez un nom ?

    _ Écoutez, à ce stade de l’enquête, il paraît prématuré de désigner un coupable ! Laissez la police faire son travail !

    _ Tout de même, la plainte concerne des milliards de femmes !

    _ Vous ne m’apprenez rien ! Le scandale dépasse l’imagination ! D’ailleurs, j’invite toutes les femmes qui le peuvent, à ramener leurs bébés ! Elles seront immédiatement indemnisées ! Un fonds spécial vient d’être débloqué ! Mais permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour les Athéniennes de la guerre du Péloponnèse ! Elles ont cru que leur mari mourait, pour les délivrer de la menace spartiate, alors que les hommes des deux bords s’arrangeaient comme larrons en foire ! Les combats étaient simulés ! Je voudrais apporter mon total soutien à ces femmes-là, comme à toutes les grecques qui ont été enfumées par les Thermopyles ou Marathon !

    _ L’homme ne devrait-il pas être banni de l’univers ?

    _ C’est une bonne question ! On y réfléchit… En tout cas vous, les femmes, avez toute ma gratitude ! Vous auriez pu profiter de la situation, vous enchanter du pouvoir que vous avez sur les hommes et la puissance aurait pu vous tenter ! Être reine, par exemple, ressemble un piège… Mais jamais je ne vous ai vues âpres au gain ! à chercher à vous supplanter ! Le rang social vous laisse froid ! La célébrité, le statut de star, qu’on s’émerveille de votre corps, vous n’avez jamais pris ça au sérieux et je vous en remercie ! De votre côté, je n’ai pas à me faire du souci ! Et si de temps en temps vous brisez, piétinez, détruisez l’un d’ vos gosses, je sais que c’est parce qu’il vous pousse à bout !

    _ Cette reconnaissance vient un peu tard, vous ne trouvez pas ?

    _ Encore une fois, j’en suis désolé ! Mais, maintenant, je dois vous quitter, car j’ai rendez-vous avec un quark, qui se dit victime de l’expansion cosmique ! »

                                                                                                                  69

         La ville s’appelle Aliéna et paraît comme toutes les autres, mais c’est pourtant en elle que s’impose pour la première fois et totalement la domination féminine ! Les forces de l’ordre notamment sont uniquement constituées de femmes et elles sillonnent les rues dans leur uniforme argenté, leur chevelure cachée par un casque et avec un pistolet électrique, contre les hommes à l’allure bestiale et qui n’aurait pas encore compris que les temps ont changé !

         Ce jour-là, sur la place principale, des policières font une annonce relayée par des écrans géants ! « Attendu que les hommes sont des cochons, fait une femme sévère, et que nous voulons tous l’égalité des sexes, il sera désormais interdit à l’homme de transmettre son désir libidineux hors des des endroits indiqués ! Sont concernés notamment des bars qui porteront la vignette stipulant leur accréditation ! Dans ces établissement, la femme montrera qu’elle est réceptive aux hommages masculins, grâce à un voyant vert ! la couleur rouge indiquant qu’elle est hostile ! Ce nouveau règlement entre en vigueur dès aujourd’hui ! Tout contrevenant, qui ne respectera pas la couleur rouge, sera puni selon les articles 680 et 54 B du code ! Fin du message ! »

          Les hommes qui écoutaient baissent la tête… Ils ont vu ce qui se passe à la périphérie de la ville ! Là sont élevés des gibets, exhibés des condamnés et d’autres choses… Le père incestueux, par exemple, est enterré vivant, de sorte que les gamins peuvent uriner sur sa tête, ce qui n’est qu’un juste retour des choses, mais généralement l’homme ne survit pas longtemps !

          Le violeur a le pénis arraché et jeté sur un tas pourrissant ! Puis, on empale le coupable, comme pour lui faire sentir une sodomie forcée ! C’est comme ça qu’on apprend ! L’auteur d’un féminicide est simplement fusillé et laissé à la merci des chiens ! Plus loin, il est possible de battre celui qui a eu la main leste ou quiconque a prononcé des propos irrespectueux ! Le mâle fait profil bas !

           C’est en fait tout le pouvoir qui a changé de mains ! Finis les costards cravates, qui prennent des décisions pour les utérus ! La femme dirige, commande, a les plus hautes fonctions et plus rien ne bloque son développement ! Certaines parlent même d’enlever aux hommes leur droit de vote : aux prédateurs il faut à tout prix rogner les dents ! Des projets voient le jour, sont examinés : les hommes sont parqués, dans de gigantesques camps, où ils sont affaiblis génétiquement, puisque leur force physique n’est plus nécessaire ! Les femmes discutent, soupèsent : quid des reproducteurs, comment garder le plaisir sans la soumission, quel progrès dans les godes, influence des querelles lesbiennes sur le groupe, etc. ?

          On n’en finit pas de faire les comptes et le ménage ! Les scandales sont légions, la domination masculine est traquée, dénoncée, la tolérance zéro s’installe ! Cependant, dans l’une des rues principales d’Aliéna, le soldat Paschic marche d’un air dégagé et seulement préoccupé par des questions philosophiques : que nous dit la beauté, quel lien entre elle et notre égoïsme, quel sens peut-on donner à la vie, d’où vient le mal, etc. ? Paschic ne regarde personne en particulier, car il est tout à sa réflexion et c’est là une grosse erreur, qu’il va très vite payer !

           Il tourne dans une rue secondaire et reçoit à l’aine un formidable coup de pied ! Sous la douleur il s’écroule et au-dessus de lui une femme fait : « Non mais pour qui tu te prends ? Tu me croises et tu n’ me jettes même pas un coup d’œil ? Pourtant, j’ai tout c’ qui faut là où il faut, crois-moi ! »

           Paschic en grimaçant essaie de distinguer quelque chose et effectivement, au niveau de sa tête, qui est couchée sur le trottoir, il y a deux pieds fins qui se prolongent par deux jolies jambes ! Paschic voudrait regarder plus haut, mais sa souffrance l’en empêche, alors que la femme reprend : « Je ne tolérerai plus la moindre arrogance, la moindre suffisance ! Quand je me déplace, je veux de l’admiration, de la soumission ! Où on va si on me snobe ? Est-ce que j’ai été assez claire ?

    _ Mais… mais je ne vous ai même pas vue ! balbutie Rank. Enfin, je veux dire que j’étais ailleurs, distrait, je..

    _ Bon sang ! C’est pas vrai ! Tu t’enfonces ! Rien ne rentre ! Sauf celui-là ! »

           La femme frappe à nouveau et le soldat Paschic plonge dans l’inconscience, en découvrant une nouvelle fois pourquoi la ville s’appelle Aliéna !

                                                                                                             70

          Rank cherche un raccourci… Les phares de sa voiture balaient la brume et peu à peu il se rend compte qu’il s’est perdu : devant il n’y a plus que des clôtures de champ et l’asphalte a laissé place à une route pierreuse ! Fatigué, Rank s’arrête et s’endort...

          Il est réveillé plus tard par un sifflement et une intense lueur ! Luttant contre l’éblouissement, il cherche à voir de quoi il s’agit et il n’en croit pas ses yeux : c’est un vaisseau spatial qui atterrit, avec sa coque en métal lisse et ses lumières clignotantes ! Mais le bruit est tellement strident que Rank ne peut s’empêcher de perdre connaissance !

          Le lendemain matin, il se réveille péniblement et songe naturellement à repartir, mais avant il se décide tout de même à examiner le champ où le vaisseau spatial a dû toucher le sol ! Il croit au fond avoir été victime d’une hallucination, comme les marins en ont parfois, à force de veiller, et effectivement, il ne trouve pas d’herbes écrasées, ni brûlées ! « J’ai dû rêver... », songe Rank, quand il aperçoit plus loin deux campeurs… ou plutôt deux campeuses !

          Rank se dirige vers elles, car elles ont peut-être vu quelque chose et en s’approchant, il est frappé par la beauté des deux femmes, qui sont très grandes et en pleine installation ! « Excusez-moi, leur dit-il, mais vous n’avez rien remarqué de particulier cette nuit ? Un bruit étrange, un éclairage violent ?

    _ Non, on a dormi comme deux marmottes ! répond l’une et approuvée par l’autre.

    _ Ah ! Bon, bon… Euh, dites, ne le prenez pas mal, mais vous n’avez pas un peu peur de camper comme ça, toutes seules, dans un endroit aussi isolé ?

    _ Et on aurait peur de quoi ?

    _ D’un homme mal intentionné, par exemple !

    _ Mais les porcs, on s’en occupe ! On est là pour ça ! »

          « Quelle étrange réponse ! » se dit Rank, qui ne peut se départir d’un sentiment de malaise, plus il regarde les jeunes femmes ! Elles sont attirantes pourtant, mais bien plus grandes que Rank et elles ont une certaine raideur ! L’une d’ailleurs porte un mug à sa bouche et son petit doigt ne se plie pas, comme si elle était blessée ! « Vous vous êtes fait mal ? » demande Rank, en montrant sa propre main et il surprend un échange de regards entre les deux femmes ! Un silence menaçant s’ensuit, puis subitement la campeuse la plus près de Rank lui donne un coup, avec une poêle !

            Le soldat Paschic s’écroule au sol, où il voit fondre sur lui son assaillante ! Par pur réflexe, il se saisit d’un piquet de tente, le brandit et la femme est transpercée ! Elle titube, tombe à son tour et là, sous les yeux médusés de Rank, son corps disparaît en rayonnant !

           Paniqué, Rank guette la deuxième femme qui semble chercher une arme et il s’enfuit ! Il court à sa voiture et la démarre ! Mais elle ne veut rien entendre et la campeuse apparaît, braquant une sorte de pistolet ! Le moteur rugit et la voiture fait une violente marche arrière ! Un jet de lumière passe à côté et un arbre est désintégré ! « Non de Di… ! » s’écrie Rank, qui enclenche la première, le pied à fond sur l’accélérateur !

            La route défile devant Rank et ses pneus hurlent, alors qu’il rejoint la départementale ! Il évite de peu un camion, qui klaxonne longuement, puis le calme revient : Rank se remet à réfléchir ! Qui sont ces deux femmes ? D’où viennent-elles ? Apparemment d’une autre planète ! Que veulent-elles, quelle est leur mission ? Mais elles l’ont dit : elles vont s’occuper des porcs ! Elles sont là pour ça ! Peut-être pour se faire justice ! Peut-être parce que leur planète n’a plus d’hommes ! Ils ont tous été tués !

           Rank se met à pleurer, il est encore sous le choc ! Le soldat Paschic n’a pas résisté au feu et il entre maintenant dans un bourg, en se rendant compte qu’il n’a pas encore pris son petit déjeuner et c’est pourquoi il se gare devant un café ! Il entre dans l’établissement et commande des œufs et des saucisses !

           La chaleur lui fait du bien et il se met à observer la rue qui s’éveille, tout en restant plongé dans ses pensées ! Comment dire aux gens et particulièrement aux hommes ce qui se passe ? Aller voir le shérif et lui expliquer que la morte a disparu ? Il va rire, d’autant que Rank continue à douter de ses sens ! Qui pourrait l’aider ? Cet homme là-bas qui balaie doucement devant son épicerie ? Ou cet autre, apparemment aveugle et qui se déplace grâce à une canne blanche ?

           Rank mange avidement, comme si le cauchemar allait disparaître ! Il paye et rejoint sa voiture, mais désormais sa vie ne sera plus la même ! Il sait qu’« elles » sont déjà là, les envahisseuses, et qu’elles ont juré la perte de l’homme !

                                                                                                                 71

            La marche est difficile tant la végétation est dense, et toujours cette touffeur qui fait suer abondamment ! Au dessus, le soleil étoile la canopée, révèle des émeraudes et ses rayons jaunes tombent ici et là, comme en une cathédrale naturelle !

    « C’est encore loin ? demande un des membres de l’expédition.

    _ Encore une dizaine de kilomètres », répond laconiquement Rank, qui s’est reconverti dans l’organisation de périples extrêmes ! La survie il connaît ! D’aucuns racontent qu’il mange des yeux de tapir, avant de commencer la journée !

            Soudain le groupe se fige ! Dans une clairière s’élève une sorte de totem, qui comporte trois crânes, avec l’air de toujours crier et ils appartiennent à des enfants ! « C’est autre chose que MeeToo… fait Rank, pour faire valoir son bisness, mais les femmes autour lui jettent un regard assassin !

    _ Mais qu’est-ce que c’est ?  s’écrie celui qui tout à l’heure s’impatientait.

    _ C’est une borne, explique Rank. A partir de maintenant, nous pénétrons sur le territoire de la Machine !

    _ La Machine ? fait l’une des femmes.

    _ Ouais, vaut mieux pas en parler ! »

            Le groupe repart, plus tendu qu’auparavant : la vision de ces crânes hante les esprits et qui est la Machine ? Enfin, on arrive au but de ce trek salé : une chute projette ses eaux bouillonnantes, sous un manteau de vapeur ! Son abord est tellement périlleux qu’il la garde des touristes ! D’un éperon rocheux cependant, on voit se dresser des monts rougeâtres... « C’est magnifique ! fait une femme à côté de Rank. On peut rejoindre ces montagnes ?

    _ Non, on ne peut pas !

    _ Serait-ce que vous avez peur ?

    _ Hum… Pour vous, les naïfs de la ville, le mal c’est un psychopathe déguisé en clown, mais il est en chacun de nous, prêt à bondir !

    _ Je ne vous permets pas de me parler sur ce ton !

    _ Qu’est-ce qui se passe, chérie ? demande le mari qui arrive.

    _ Notre guide ne veut pas nous conduire jusqu’à ces montagnes, parce qu’il a peur !

    _ Écoutez, enchaîne le mari à l’adresse de Rank, je suis prêt à vous payer le double, si vous nous amenez là-bas ! Elles ont l’air vierges ces montagnes… et c’est une destination qui pourrait rendre jaloux beaucoup de nos amis ! 

    _ Je vais vous montrer quelque chose… »

           Rank enlève sa chemise et découvre un corps entaillé de partout ! Le mari secoue la tête, comme s’il voulait chasser une mouche ! La femme, quant à elle, continue de fixer Rank et lui dit : « Je n’ai jamais renoncé… et les hommes ne m’impressionnent pas !

    _ Mais la Machine est une femme… et elle broie des enfants !

    _ Très bien, alors montrez-moi cette femme, qui dénature notre sexe ! »

            Finalement, Rank acquiesce et le groupe, qui a voté pour les monts rougeâtres, se remet en marche ! On progresse dans un silence pesant, car aucun animal ne se fait entendre ! Il semble qu’il fasse de plus en plus sombre et la forêt se termine brusquement devant une paroi abrupte, dont on n’aperçoit même pas le sommet ! Sur la pierre, il y a une inscription… « Qu’est-ce que ça veut dire ?  demande quelqu’un.

    _ Que tout vient de la Machine et retourne en elle ! répond Rank. Bon, je propose qu’on campe ici, avant de continuer ! » Les tentes sont montées et chacun se retrouve devant le feu... On se réchauffe à sa flamme, car malgré tout on est inquiet ! Plus tard, le foyer n’est plus qu’une mince fumée et apparemment tout le monde dort ! Pourtant, le mari se rend compte que sa femme n’est plus dans la tente et il part à sa recherche !

            Il la trouve assez vite : elle est penchée sur leur fils et lui dévore le cœur ! Ils étaient venus en famille et c’est le drame immonde ! L’homme prend son revolver et tire sur ce visage qui se régale de sang et même le défie ! Rank intervient et se saisit de l’arme… Le groupe est catastrophé ! « On dira qu’elle a été prise de folie ! explique Rank au mari. Je suis désolé pour votre fils, mais nous faisons demi-tour, n’est-ce pas ? »

                                                                                                            72

            Un couple viellissant mange sa soupe… Les enfants sont partis depuis longtemps et l’homme et la femme se font face, tandis que le silence est seulement troublé par une horloge mécanique… « Le gynéco m’a dit que j’avais encore un très beau col d’utérus ! fait la femme subitement.

    _ Ah…

    _ Oui, après toutes ces années, c’est étonnant ! Il est bien lisse, quasi celui d’une jeune fille !

    _ Hon, hon…

    _ Ça prouve la bonne santé de mes follicules ! A mon âge, certaines ont déjà des règles troubles, jaunâtres presque !

    _ Ouais, ouais…

    _ Faut voir aussi dans quel état est leur trompe de Fallope ! Elles ont une très mauvaise ovulation !

    _ Ouais, ouais…

    _ Dans mon col, par contre, l’ovule glisse gentiment… Une vraie perle ! Il n’y a aucun poil qui gêne la sortie, j’y veille !

    _ Ouais, ouais…

    _ Évidemment, vous les hommes à part le football et la bière... »

           L’homme ne répond pas, il rêve… Il se demande comment une femme peut rejeter absolument le pouvoir de sa séduction ! « Nous nous équilibrons grâce à la domination animale qui est en nous, pense l’homme, c’est elle qui nous donne le sentiment de notre valeur ! Les hommes s’attachent à leur impact physique, les femmes à leur séduction ! Alors comment des femmes peuvent-elles s’amputer ainsi, de ce qui les fait tenir debout ? C’est pourtant cela le fond des mouvements féministes américains !»

    « Vous les hommes, vous êtes toujours centrés sur vous ! reprend l’épouse.

    _ Ouais, ouais... »

            L’homme arrive à la réflexion suivante : « La femme qui rejette toute séduction hait les hommes ! Elle voit son charme méprisé et elle en vient naturellement à détester ceux qui ne veulent pas d’elle ! La plupart des homosexuels fonctionnent suivant cette logique ! Le gay a été écrasé par sa mère et il ne supporte pas les femmes ! La lesbienne a été humiliée par son père et elle rêve de se venger des hommes ! Une femme, contrariée dans sa domination, peut donc voir le regard masculin comme celui d’un oppresseur, une marque d’inégalité ! Ne pouvant séduire, elle méprise ! »

           Le couple a fini de manger et après la vaisselle, il s’installe au salon… Pour le calme, il n’y a pas de télévision et la femme se plonge dans un gros livre, qui raconte l’histoire de la Machine ! Au bout d’un moment l’épouse dit : « Tu te rends compte ! Cette Machine commande une armée de femmes et elles arrivent devant une ville, qui est entièrement occupée par des hommes… Eh bien, la Machine rase toute la ville et tue tous les hommes ! C’est quand même excessif, non ? »

          Le mari se contente de hausser les sourcils au-dessus de son journal… Il se dit : « Évidemment, plus notre domination ou notre orgueil sont forts et plus l’obstacle déclenche notre haine ! Ainsi s’explique la soif de détruire de la Machine ! Notre équilibre repose alors sur l’illusion que nous devons vaincre nos ennemis, pour être heureux ! Par exemple, l’extrême gauche, qui voit sa domination empêchée par les capitalistes, les combat sans relâche ! De même, l’extrême droite sent son pouvoir menacé par les étrangers et leur est hostile ! Le féminisme veut encore la fin du mâle ! »

           « Tout ça m’ennuie et me fatigue ! fait soudain l’épouse en refermant son livre. La haine ne mène à rien ! » Le mari regarde sa femme et il comprend pourquoi il l’aime toujours! Elle est intelligente, peut-être plus que lui ! En tout cas, elle est plus directe, plus intuitive, alors qu’à lui, il faut toujours des tonnes de raisonnement, d’arguments ! Puis, elle est courageuse aussi ! Combien de fois lui aurait laissé tomber ! Elle, elle s’accroche, elle est capable de construire un nid confortable, au bord d’une falaise, avec presque rien ! Chapeau !   

           Une nuance d’admiration passe dans les yeux du mari et la femme lui tend les bras ! Ils s’embrassent et vont se coucher, en se faisant mille tendresses ! Le respect veille sur eux !

  • Rank (62-67)

    R11

     

                   _"Quand j'aurais récupéré la carte, moi, Lucifer, je pourrais me venger de ce Dieu débile!

                   _ Mais, maître, Dieu ne peut pas être aussi mauvais, puisqu'il vous a créé!

                   _ Qu'est-ce que tu as dit?"

                                                                             Bandits, bandits

     

                                                            62

          Les temps sont noirs ! La Machine a pris la direction du Comité de salut public féminin et les accusations pleuvent ! On organise les plaintes, vraies ou fausses, on repère des cibles, qu’on fait tomber ! On sape la domination masculine sur tous les fronts ! On arrête, on condamne, on mène à l’échafaud ! Le soupçon plane sur la ville, nul n’est à l’abri ! Qui triomphe et chante aujourd’hui est traîné dans la boue et oublié demain ! Ce que femme veut, Dieu le veut ! La moindre petite fumée se transforme en un gigantesque brasier !

          La délation fonctionne ! Les sous-comités recueillent les renseignements, toutes les frustrations : pensez, plus de cinq mille ans (il faut bien donner un chiffre!) de domination masculine, sous le joug de l’homme, pour rien, d’une manière inexplicable, seulement à cause de la force physique, de la brute, du féminicide, du viol ! Mort aux tyrans ! Mort aux tyrans ! Que de justice à rattraper ! On fait chuter l’idole et on la déchire ! On la dépèce sur la scène publique ! Le moindre soupçon et c’est fini !

          Le Comité agit principalement dans l’ombre ! Ses antennes sont partout, ses chausse-trappes aussi ! La femme déçue se frotte les mains : elle a droit à une deuxième chance ! Elle avait parié sur le mauvais cheval, pour atteindre les sommets, elle va pouvoir se rembourser pécuniairement, mais surtout dans son amour-propre ! Elle avait espéré, calculé, on lui avait promis, elle s’était donnée et elle s’est retrouvée sur le bord de la route, larguée ! La voiture de secours arrive, on va pouvoir poursuivre l’égoïste, le profiteur !

          On raconte éperdue qu’on a été victime d’un courant d’air, qu’on était sous emprise, fragile, naïve, innocente ! Une main a été levée ! A quelle date ? Le 23…, non, non, excusez-moi, le 24 ! On invente de nouvelles maladies, aux noms anglo-saxons ! Elles n’ont qu’un sexe, le masculin ! Il n’y a pas de femmes perverses narcissiques ou paranoïaques, que des hommes ! La femme, cet être pur, n’est qu’une victime manipulée, abusée ! La Machine rigole ! Elle le savait que Rank était un beau fumier ! L’heure de la vengeance a sonné !

          « Dites donc, l’abbé..., fait la Machine.

    _ Hmmm, répond vaguement l’abbé Convention, tout à son gâteau et son thé.

    _ Rank a un secret sur moi… et je ne voudrais pas qu’il le divulgue ! Cela pourrait profiter à nos ennemis !

    _ Humph ! Quel secret ? Humph…

    _ Eh bien, c’est assez gênant, mais Rank pourrait éventuellement dire que je ne suis pas ce que je prétends être…, que je suis une méchante, ou pire encore ! Vous savez combien Rank est dérangé !

    _ Moi, j’ me chargerais bien d’ Rank, s’écrie Bona, présente elle aussi à cette petite réunion informelle. J’ vous le ramène pieds et poings liés et là j’ lui fais rentrer dans l’ crâne combien vous êtes une femme formidable, fantastique, exceptionnelle !

    _ Merci Bona, mais pour l’instant, c’est à l’abbé que je parle…

    _ Oh ! Mais de toute façon, répond l’abbé, Rank vous doit obéissance ! C’est l’une des règles les plus sacrées de la religion !

    _ Comme j’aime à vous l’entendre dire, l’abbé ! En effet, Rank me doit tout, il est ma chose ! Et pourtant, s’il venait à raconter certains faits, sous un certain angle disons, il s’rait sans doute à même de me mettre dans l’embarras ! La révolution féminine elle-même serait touchée ! Nous ne serions plus des victimes innocentes, mais également des bourreaux !

    _ Comment ? Comment Rank oserait-il vous salir ? s’insurge Bona. Vous êtes divine, magnifique, sans pareille ! Rank est un mufle, un ingrat, un sournois, un… rat ! que j’écraserai volontiers ! Couic !

    _ Merci encore Bona, mais maintenant je voudrais que tu la fermes ! J’ai besoin de la caution de l’abbé, pour parer les attaques de Rank ! On ne l’arrêtera pas avec des mots doux, c’est un fanatique !

    _ Vous voulez ma caution ? Mais vous l’avez, ma chère madame ! Qu’est-ce le poids d’un fils, par rapport à celui de sa mère, sur la balance de Dieu ! Vous êtes devoirs, responsabilités et sacrifices ! Un amour infini coule dans vos veines ! Tandis que Rank, cet amoureux des Majorettes ! ce chef de chantier de chez Lego…

    _ Encore un peu de gâteau, monsieur l’abbé ?

    _ Volontiers, merci ! Quant à vos péchés, car je vois une ombre de culpabilité sur votre visage, je pourrais vous rassurer dans un confessionnal ! Dès demain, si vous voulez !

    _ Cela me fait chaud au cœur d’être soutenue ! Cette époque est pleine d’avenir pour la femme et je tiens à y participer pleinement !

    _ Bien sûr ! rajoute Bona. Gloire à notre nouvelle héroïne ! »

                                                                                                                     63

          Paschic est au milieu de la caserne et il essuie la colère de la Machine ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça, soldat Paschic ? des traces d’œufs sur votre uniforme ? Montre-moi tes mains ! Elle ne sont pas propres ! C’est comme tes cheveux, ils n’ont pas la coupe réglementaire ! Ton baraquement également est sale ! Le lit est mal fait, l’armoire en désordre ! Ici, ce n’est même pas balayé ! Tu as laissé une serviette humide dans la salles de bains… Quand c’est comme ça, il faut en mettre une sèche pour celui qui arrive ! Les toilettes, tu ne les aères pas suffisamment après ton passage, ce qui fait que les autres doivent supporter tes mauvaises odeurs ! Par ailleurs, j’ai rencontré ton prof d’anglais, il m’a dit que tu n’en faisais pas assez, que tu t’ la coulais douce ! Tous tes profs sont unanimes : tu te laisses aller, tu fais ce que tu veux, comme ici ! Tout le monde doit être au service de monsieur, car seul monsieur compte ! Tu prends vraiment les autres pour des cons !

    _ Je t’assure que non !

    _ Silence soldat Paschic ! Nous avons les preuves de votre trahison ! Tu es allé raconter à tes p’tits copains combien on était dur avec toi, que nous étions sans cœur !

    _ C’est pas vrai !

    _ C’est pas vrai ? Alors, en plus d’être fainéant comme un pou, tu serais un menteur ! Je te l’ai dit que nous avons des preuves ! Tes plaintes sont remontées jusqu’à nous par d’autres parents ! Tu dis partout que tu as une vie de martyr, que nous sommes injustes ! Par là, tu donnes du grain à moudre aux ennemis de Tautonus, tu menaces sa carrière, tu ouvres la porte à l’étranger, tu favorises notre ruine, alors que c’est grâce à nous que tu as un calot, un uniforme, un toit et à manger !

    _ Mais je n’ai pas dit du mal de….

    _ Silence soldat Paschic ! Vous êtes coupable de haute trahison ! Vos dénégations n’y changeront rien ! Par conséquent, soldat Paschic vous êtes dégradé ! mis au banc de l’armée, jusqu’à ce qu’elle juge que votre attitude a changé ! Il est impensable que vous ne soyez pas rempli de gratitude ! »

           Il y a un roulement de tambours et la Machine arrache violemment les maigres galons de Paschic ! Puis, elle lui prend son sabre de bois et le brise en deux ! Paschic se tient dignement sous l’oeil des quelques spectateurs… Cependant, il tient à déclarer : «  Si j’ai pu me plaindre auprès d’autres, c’est par désespoir… Je… je penses que tu es injuste…

    _ Qu’est-ce qu’un minable comme toi peut savoir de ce qui est juste ou injuste ?

    _ Voilà, c’est ton mépris qui est injuste !

    _ Mais j’arrêterai de te mépriser, quand tu seras à la hauteur ! Tu auras droit au statut d’adulte, quand tu seras moins égoïste ! Car à quoi penses-tu sinon à tes plaisirs !

    _ Mais toi aussi, tu penses à tes plaisirs ! Prendre plaisir, c’est bien laisser aller sa colère, son mépris ou sa haine ! C’est satisfaire son ego ! Autrement plus difficile est de se réfréner, de prendre sur soi ! Et c’est ce que j’apprends chaque jour, moi !

    _ Comment ? Mais comment tu m’ parles ! Ce n’est pas possible ! Mais tu répliques ? C’est… c’est… TAUTONUS ! »

           La Machine vient de hurler et Tautonus accourt ! En une seconde, il a compris la situation et il renverse Paschic, puis le bourre de coups par terre ! Paschic n’est plus que douleur et il ne bouge plus ! La Machine alors s’adresse à la cantonade et son message vaut bien sûr en premier lieu pour Paschic : « Nous venons tous d’être les témoins d’événements extrêmement graves ! A la haute trahison, Paschic a rajouté la rébellion ! Vous êtes chauffés, nourris, blanchis et la moindre des choses que l’on attend de vous, c’est de la reconnaissance ! Comme vous le savez, la carrière de Tautonus est difficile ! Tout peut s’écrouler demain ! Il nous faut donc nous serrer les coudes, nous montrer solidaires ! C’est ce que ne comprend pas apparemment le soldat Paschic… et il en subit les conséquences ! Ne m’obligez pas à vous soumettre le même traitement ! Au contraire, que l’exemple de Paschic vous soit odieux ! Ce s’ra tout… Rompez ! »

           Il se met à pleuvoir et le soldat Paschic reste seul et couché sur le sol… Ce sont des gouttes ou des larmes qui coulent de ses yeux ? Où est-il ? Qu’est-ce que c’est que ce monde ? Il va falloir qu’il se remette debout ! qu’il ne crève pas de toute l’amertume qui est en lui ! qu’il rentre toute sa haine, toute sa colère ! Certains le voient déjà vieux, comment pourrait-il en être autrement ? Dans son logement, la Machine se croit insultée, être la victime d’un monde d’hommes ! Tautonus lui répond qu’elle a tout à fait raison, car il pense à la stratégie du lendemain !

                                                                                                                     64

          La Machine descend dans sa salle de tortures… Elle est préoccupée… Tout la déçoit, l’exaspère… D’abord, on ne peut compter sur personne ! Tautonus est un homme et donc bête ! Mon Dieu, il faut tout lui expliquer ! et quelle naïveté ! Il croit que ses amis ne vont pas le trahir, lui planter un couteau dans le dos ! Comme s’ils ne voulaient pas eux-mêmes le pouvoir et qu’ils n’attendaient pas dans l’ombre leur tour ! "La politique, c’est un tas d’ fumier, avec des rats d’dans ! Tautonus est comme un enfant et je dois lui apprendre à trancher les gorges, avant qu’on découpe la sienne !"

           Ainsi vont les pensées de la Machine, sur les marches boueuses et glissantes de sa prison ! « Bon qu’est-ce qu’on a ici ? fait-elle intérieurement. Alors, bourreau, du nouveau ? Fait un peu froid chez vous, mais j’imagine qu’un peu d’exercice permet de s’ réchauffer , hein ?

    _ Bien le bonjour, madame ! répond le bourreau, un homme bedonnant. Effectivement, c’est fort humide par ici, mais j’ai mon brasero et je profite de sa chaleur, avant d’aller marquer au fer ! Non, c’est le peu d’éclairage qui est mon principal souci : ma vue baisse, hélas !

    _ Ah çà, bourreau, on n’ rajeunit pas ! C’est pas dans l’ programme et il faut faire avec ! Mais on n’est pas des chiffes molles, que diable ! Alors, comment va notre... patient ?

    _ Difficile à dire ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi têtu ! Il refuse toujours d’admettre que vous êtes merveilleuse, extraordinaire ! la mère éternelle et incomparable !

    _ Comment ? Il ne plie pas ? Il résiste encore à mon autorité ? Pourtant, il n’est qu’une ombre dans mon univers ! un ciron ! Je ne comprends pas !

    _ Moi non plus ! J’ai travaillé le bonhomme avec tout mon art ! C’est bien simple, il n’a plus d’ongles ! J’ai entendu craquer chacun d’ ses os ! Il a bu tellement d’eau que c’est moi qui ai fini par être fatigué ! Eh bien, il refuse toujours de signer le papier !

    _ Vous lui avez bien dit ce qu’il allait gagner, en l’ signant ?

    _ Bien sûr ! Je lui ai répété mot pour mot votre raisonnement ! Entre deux frottements au sel, sur ses chairs vives, j’étais là : « Pourquoi s’obstiner monsieur Rank ? La Machine, je veux dire vot’ mère, a raison ! La Révolution féminine est en marche et il faut bien entendu surfer d’ssus pour réussir ! La femme est une victime ! Voilà, monsieur Rank, c’est pas plus compliqué qu’ ça ! Elle est une victime de ses devoirs, des diktats masculins et elle veut naturellement être libre, s’échapper de la triste prison que constitue souvent sa famille » ! « Vive la femme ! » ai je crié d’enthousiasme !

    _ Mais c’est parfait tout ça ! Et vous n’avez pas obtenu de résultats !

    _ Un vrai cœur de pierre, madame ! En cinquante ans d’ carrière, j’en ai pourtant vu, mais là rien ! pas une once de sensibilité ! un monstre ! J’avais sa langue dans la tenaille, prêt à la lâcher au moindre mieux et j’ai rajouté : « Mais nom de Dieu, la vie facile, l’aisance, voire la célébrité te tendent les mains, pauvre couillon ! Suffit d’ signer le papier, d’ surfer sur la Révolution fé… minine ! La femme est une victime ! Et j’ai serré, serré !

    _ Pas trop quand même… ?

    _ Ah, j’étais hors de moi !

    _ C’est aussi l’effet qu’il me fait ! Mais comment est-il maintenant ?

    _ J’ crois qu’il boude !

    _ C’est vrai ? Il boude ?

    _ En tout cas, il bouge plus !

    _ Quel gamin !

    _ Vous savez, cette obstination à ne pas vouloir vous admirer, alors que vous vous sacrifiez pour le bonheur de votre famille, elle n’est pas normale ! C’est l’œuvre du diable !

    _ Allons, bourreau, tu perds la tête ! Te voilà superstitieux ! Il est inconscient ? On ne peut pas le réveiller ?

    _ Voyez vous-même ! »

    Rank est inanimé sur une planche... Ses bras tombent et il est d’une maigreur extrême… « Je suis déçue, dit la Machine, j’ai besoin de compliments, de sentir mon pouvoir ! J’ suis accro !

    _ La vie n’est pas toujours rose ! 

    _ Non, mais il y a des moments où j’ai envie de tout laisser tomber, d’aller voir ailleurs !

    _ C’est bien compréhensible, quand on donne autant qu’ vous ! 

    _ Bon, faut que j’ me sauve ! Les magasins à faire ! C’est Noël, ne l’oubliez pas !

    _ Encore une corvée ! »

                                                                                                                      65

          La Machine est à l’agonie, dolente et elle se plaint à l’abbé Convention, qui l’assiste en ces derniers instants ! « Aaaaatcha ! Aaaatchi ! fait la Machine. Snif ! Voilà la triste fin d’une vie d’ labeur !

    _ Certes ! Certes ! Mais pensez à la félicité qui vous attend ! La récompense est là derrière ! N’en doutez pas ! Tenez, je vous envie ! Car pour vous, ce s’ra direct ! Vous allez vous présenter devant le Créateur, avec sur le front la violence faite aux femmes ! Quel meilleur viatique ? « Heureux celles qui ont souffert en mon nom ! »

    _ Ouais, ouais… J’ai quand même quelques regrets ! Rank, par exemple, il m’a échappé, pfffuit ! Le seul qui a réussi à s’enfuir ! Ça me rend malade !

    _ Allons, allons ! Vous vous faites du mal !

    _ Aaatacha ! Aaaatchi !

    _ Vous voyez ! Détendez-vous ! Je puis vous assurer que les snipers du Ciel, ils ne vont pas l’ louper, vot’ Rank ! Bang ! Bang ! Je vois d’ici sa tête sauter comme une pastèque trop mûre ! J’ai une totale confiance en la colère divine !

    _ Oui, oui, évidemment, mais ça reste un échec, une épine dans l’ talon ! Pourtant, mon plan était parfait ! Mon personnage devait resplendir ! Imaginez l’abbé tous ces petits enfants, tous ces parents qui viennent me rendre hommage, à moi la doyenne ! On vient baiser mon anneau et je bénis tout ce beau monde ! Je suis un modèle pour tous et particulièrement pour les femmes !

    _ Attention au péché d’orgueil ! Ah ! Ah !

    _ Aaaaachouf, aaatcha ! Snif ! Je n’ai jamais perdu d’ vue mon rang, l’abbé ! Mais, au milieu des fleurs et des cadeaux, je vois des sourires malfaisants, qui ont l’air de dire : « Mais où est Rank ? Pourquoi n’est-il pas là ? La Machine ne l’a pas possédé ! Il détient quelque lourd secret ! Demandons à la Machine pourquoi n’est-elle pas toute puissante ! Voyons son embarras, sa honte ! »

    _ Allez, allez, les gens ne sont pas comme ça, surtout dans votre famille, où chacun sûrement veut votre bien !

    _ Quel naïf, vous faites l’abbé ! On voit bien que vous êtes un homme d’église, que vous avez un message à transmettre, mais que vous ne connaissez pas le monde ! Au vrai, mes proches s’enchantent de me voir diminuée et ils souhaitent ma fin, car sans le dire ils me haïssent ! Pensez, depuis leur naissance, je les tiens par la peur ! Ils ont chacun des blessures enfouies, qu’ils n’osent pas me faire payer, mais ils savent que l’exemple de Rank me fragilise et ils en profitent ! Aaaachatc, chtti, chtac ! Oh ! Mon dos ! Aaaah

    _ Tout ce que vous me dites est bien troublant… Voulez-vous que je redresse votre oreiller ? Voilà, vous s’rez mieux… « Aimez ceux qui vous haïssent ! », vous vous rappelez ?

    _ L’heure n’est plus au mensonge, l’abbé ! Comment voulez-vous que je puisse aimer cette petite ordure de Rank ? Il m’a défié et ridiculisé ! Tenez, passez-moi le coffret qui est là derrière vous… Merci !

    _ Qu’est-ce que c’est ?

    _ Un P 38 spécial police ! avec des balles de 9 mm, ça fait des trous gros comme le poing ! Le type ajouré s’arrête net ! Je l’avais acheté pour me protéger des malotrus, dans le sillage de MeToo ! Je ne supporte pas qu’on m’emmerde en réalité ! J’ai des vapeurs, des palpitations dès qu’on m’ contrarie ! C’est plus fort que moi, c’est médical ! Bref, Rank voulait du respect, j’étais prête à lui offrir du plomb !

    _ Mais qu’est-ce que vous voulez faire avec cette arme ?

    _ Je voudrais que terminiez mon œuvre ! que vous apportiez la dernière touche au tableau ! Je pourrais m’en aller soulagée !

    _ Je… je ne comprends toujours pas…

    _ C’est simple, je vous demande de descendre Rank, de l’effacer définitivement, de sorte que même il me devance dans la paix éternelle !

    _ Mais… mais je ne pourrais pas ! Ce s’rait une abomination aux yeux de Dieu !

    _ En êtes-vous vraiment sûr ? Rank est de la pire espèce ! Comment peut-on considérer un enfant qui manque de respect à sa mère ? N’est-ce pas une créature du diable ? Ne rendriez-vous pas service à l’humanité, en nous débarrassant du mal ? Je vois d’ici Dieu se frottant les mains, dans le sang, ravi de voir anéanti un mécréant ! Vous savez combien il a fort à faire !

    _ C’est que…

    _ C’est un service personnel que je vous demande l’abbé… Je crois que vous avez une sœur, que vous aimez beaucoup… Il serait évidemment dommage qu’il lui arrive malheur ! Aaaatcha ! Tchi ! »

                                                                                                                 66

          La Machine prépare un spectacle, dont elle sera la vedette bien entendu ! « Non, non, je veux plus de rideau ! Plus de rouge ! Et les lumières là-haut, c’est quoi ? Des pets de lucioles ! Il faut que ça gicle, qu’on en prenne plein la poire ! Les anges, là, y en a combien ?

    _ Deux cents ! répond Tautonus qui est aux petits soins avec la Machine : il vient en effet de gagner une élection et il tient à montrer sa gratitude.

    _ C’est pas mal, mais leurs ailes sont trop petites ! Il faut revoir ça !

    _ On n’ vas tout de même pas refaire deux cents costumes ! s’exclame un participant.

    _ Et pourquoi pas ? réplique la Machine. On ne réussira pas, si on lésine !

    _ Mais…

    _ Mais quoi ? demande Tautonus, en montrant ses muscles.

    _ Bon on va répéter les enfants ! crie la Machine tout le monde en place ! Où est mon texte ? Ah ! Voilà ! »

         Tout autour on se précipite pour son rôle, tandis que la Machine commence à chanter d’une voix forte : « O moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! Je me tourne vers le dieu vengeur ! Je lui demande la justice et la paix sur Terre ! Qu’une auréole nouvelle descende sur la femme ! Qu’un joyau de lumière ceigne son front ! Que son épée, d’acier froid, coupe la tête du mâle cochon ! »

          Le chœur des anges, alors que des flocons tombent et que des cloches carillonnent : « Que viennent nous délivrer la douce femme ! Que son sourire nous emmaillote ! Allons porter la bonne nouvelle ! La domination masculine est terminée, vive la féminine ! Enfant mal aimé, chante ton allégresse ! En fuite est l’ogre masculin ! Agenouillons-nous devant la sainte, la pure ! La joie déborde de nos cœurs, car la Machine s’avance sous l’œil de Dieu ! Elle est l’élue ! »

          La Machine reprend : « Ô moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! J’apporte l’espoir à la victime ! Je ne suis qu’amour ! Je n’ai pas d’ambitions et mon égoïsme n’a jamais existé ! La modestie est ma parure ! Nul ne peut me faire de reproches ! Je suis l’agnelle sous le couteau de l’homme ! Je m’offre en sacrifices ! »

           Elle s’interrompt brusquement : « Mais qu’est-ce c’est que ce bazar ! » Deux hommes, tenant une planche, la regardent interloqués ! « C’est quoi c’est deux débiles, qui osent nous interrompre !

    _ Excusez-nous, m’dame, fait l’un d’eux, mais on doit monter le décor et…

    _ Et vous n’avez aucun respect pour l’artiste ! C’est vot’ gueule qui doit passer en premier !

    _ Ben, nous, on peut pas laisser les planches comme ça… Elles pourraient s’abîmer, ou pire causer un accident…

    _ Et bien entendu je dois en pâtir ! Comme si vous ne le faisiez pas exprès ! Je suis sûr que ça vous amuse au fond ! Vous vous croyez des caïds, pas vrai !

    _ Ben, nous, on est payé au Smic…, alors on peut pas être vraiment des caïds, m’dame !

    _ Et vous êtes encore là ? Et comme ils traînent ! Et comme il faut les supporter ! On s’ra jamais prêt ! Ah ! C’est mon manteau d’impératrice ? Vous avez rajouté de la fourrure, comme je l’avais demandé ? »

            A cet instant, Tautonus s’approche de la Machine, pour lui dire : « C’est Rank, il s’est coupé le doigt et il demande si on peut acheter de nouveaux pansements, car ceux qui sont là sont trop grands d’après lui…

    _ Bon sang, mais on va pas quand même pas obéir aux quatre volontés d’ chacun ! Rank est en train d’ nous bouffer, j’ t’assure ! Y en a qu’ pour lui ! Il faut qu’il apprenne qu’il n’est pas le centre du monde !

    _ Très bien, je vais lui dire…

    _ Qu’il se débrouille avec les anciens pansements ! Voilà une attitude viril ! Te laisse pas avoir, Tautonus ! Rank est un sournois ! Derrière son petit sourire, il cherche à nous diviser !

    _ Bon, bon…

    _ Ouh ! On va p’ t-être reprendre la répète ! si les uns et les autres daignent calmer leur égoïsme ! Une chose est sûre : je ne peux pas être au four et au moulin ! Bon, les anges vous m’entourez… La lumière là-haut, vous braquez sur moi ! La musique gronde ! J’entonne le deuxième couplet : « Ô moi, la femme ! Ô moi, l’opprimée ! » 

    Le chœur : « Souriez victimes, la Machine arrive ! Annoncez la bonne nouvelle ! L’agnelle pourfend l’homme méchant ! Les temps généreux commencent ! »

    La Machine : « Un, deux, trois, tous avec moi, c’est la joie ! »

                                                                                                                      67

          Le convoi s’annonce au bruit de ses sabots ! Des dizaines d’hommes apparaissent, avec la même tenue passée et grossière ! Les regards sont las et tristes, d’autant qu’on défile entre des maisons boueuses et les injures des passants ! « Halte ! » crie l’officier à cheval et le bruit des sabots s’arrêtent, ainsi que le cliquetis des chaînes, car chaque prisonnier a un collier au cou ! Que se passe-t-il ? On doit prendre du courrier et des gardiens en uniforme bleu, le fusil en bandoulière, se pressent sous le ciel gris !

          Puis, on repart : direction le port et le bagne ! Qui sont-ils ces forçats ? Des assassins, des violeurs, des voleurs, des comploteurs, des traîtres ? Non, ce sont tous des Paschic ! Ils n’ont pas été chics à l’égard des machines, de leur Machine ! Ils ont dénoncé l’hypocrisie, le mensonge, crié qu’on n’était pas ce que l’on croit, dérangé, scandalisé, de sorte qu’on les a méprisés, rejetés, condamnés à l’exil !

          Inclassables, ils ne conviennent à personne, même pas à ceux qui gueulent tout le temps et qui sont des révoltés de théâtre ! Les Paschics se sont d’abord examinés, combattus eux-mêmes, à la recherche de la vérité, car comment savoir ce qui est juste, si on reste le jouet haineux de son propre égoïsme ! Battus comme l’épée sur l’enclume, leur amour resplendissant est devenu assez ferme, pour résister aux colères affreuses de la Machine !

          Mais, hélas, le système est lâche, les machines trop nombreuses ! L’hypocrisie se défend, elle a trop à perdre et elle est de toute façon à moitié folle ! Les juges n’ont pas hésité et ont prononcé les plus lourdes peines ! Mais soudain une voix lance les premières paroles de la chanson des Paschic et tous les malheureux la reprennent en chœur, se donnant du courage, transformant la marche en un élan sublime !

     

    « Je sais que j’ai raison

    Et qu’ la Machine a tort !

    Du bien nous faisons,

    Quand le reste est retors !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    J’ai subi mille avanies

    Et j’ porte des béquilles !

    J’ai été viré du nid

    Et jamais eu d’ coquille !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    Nous voilà condamnés

    Entre de tristes murs,

    Mais c’est nous qui sommes nés

    Pour être libres et mûrs !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine ! »

  • Rank (47-51)

    R10

     

                                     "J'ai peur Bob!

                                      _ Mais faut pas mon p'tit! Je suis là!

                                      _Mais c'est de vous dont j'ai peur, Bob!"

                                                                        Le Magnifique

     

                                                               47

          Qu’il y a-t-il de nouveau en ce bas monde ? Les Nez muriques, peut-être ! Qu’est-ce que c’est ? Mais ce sont tous ces gens qui ont le nez dans leur smartphone, comme d’autres (les malheureux !) ont le nez dans la « poudre », comme on dit ! Les Nez muriques ne regardent pas le monde, ils l’ignorent au point qu’ils en deviennent étrangers et que certains commettent les pires extravagances !

          Par exemple, des surfeurs, ainsi que leurs familles, sont surpris par une marée d’un coefficient de 112 (ce qui est exceptionnel) et les sauveteurs sont obligés de les récupérer dans les rochers ! Une honte absolue, car cela montre qu’on ne connaît nullement la mer, alors qu’on se dit en harmonie avec elle ! La moindre des choses, c’est de consulter l’annuaire des marées et la météo, avant une sortie !

          Autre exemple, de jeunes randonneurs, en tennis et shorts, partent en expédition dans la montagne, seulement munis d’une tente à dix euros et d’une couverture pour trois ! Résultat, après une nuit glacée et la perte de leur tente, ils réussissent au matin à appeler les secours, alors qu’ils sont menacés d’hypothermie ! Là encore il faut aller les récupérer…

          On a aussi le jogger qui court sous la pluie froide et des grains de plus en plus violents, l’air de dire : « Ben quoi ! Rien ne peut m’arrêter ! » C’est l’orgueil qui parle et qui fait qu’on ne rentre pas chez soi se réchauffer ! Tout se passe comme si la nature n’existait pas et la liste de ces imprudences est sans fin ! Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque les Nez muriques ne vivent que pour eux-mêmes !

           Seule la conscience de leur personne les intéresse, à travers leurs proches, leurs relations, leur cote sur les réseaux sociaux ! Il faut toujours qu’ils se mesurent, qu’il soit question d’eux, mais qu’en est-il du monde qui les entoure, des lois qui nous régissent, de la splendeur et du mystère de la nature ? A chaque fois, c’est leur monde clos qui se déplace, leur bulle et il n’est donc pas étonnant que des accidents arrivent ou que les agressions d’animaux se multiplient ! D’une certaine manière ceux-ci réclament le droit de vivre, du respect !

            Ceux qui les aiment s’enchantent de leur existence, les autres la subissent ! A quelle monstruosité nous arrivons, comme si les villes et nous-mêmes étions les maîtres et que le reste devait nous obéir ! Nous ne savons ni admirer ni aimer ! Ce que nous appelons amour est un lien plein de ténèbres et de haine, où la domination est synonyme de passion ! Pourtant, la nature nous cogne dessus, se rebelle pourrait-on dire, et nous ne faisons pas le poids ! Que de larmes maintenant et à venir ! Que d’effrois soudain ! Le toit s’envole, l’eau rentre ! On panique, mais on ne change pas !

           Les catastrophes nous contraignent à la solidarité, à nous ouvrir, à parler aux autres, c’est déjà ça, mais qu’est-ce qui pourrait nous faire « universels », sans fermetures, ni jugements ! Pourquoi méprisons-nous, si ce n’est parce que nous sommes égoïstes ? De quoi avons-nous peur, si ce n’est de perdre ? Notre société est si confortable que nous pouvons à loisir développer notre personnalité et c’est a priori un progrès, car nous voilà libres de réfléchir à nous-mêmes et au sens que nous pouvons donner à nos vies ! Dans certains pays encore les habitants doivent d’abord cultiver la terre, pour se nourrir : il n’y a pas de supermarchés, ni de magasins de vrac à côté !

           Mais on comprend bien que s’attacher à soi-même comporte un risque et c’est bien entendu se croire le centre du monde ! « Je ne veux pas avoir d’enfants, je veux juste penser à moi ! » s’écrie une jeune fille sur le Web ! Elle lutte pour sa liberté, se dégager des diktats culturels, mais son but n’est pas élevé, ne concerne que son nombril et ne la rendra pas heureuse !

           De même, la théorie du genre peut aider à faire respecter les différences, mais inévitablement elle conduit par sa fausseté aux excès ! Un tel dira qu’il n’a pas choisi son sexe, mais c’est encore une manière de se donner trop d’importance, d’amplifier son égoïsme ! On refoule la nature au profit de son ego et cela donne notamment des jeunes filles déjà botoxées, déjà refaites par la chirurgie, qui ressemblent à des poupées, justement pour se fondre dans un moule, pour ne pas se voir telles qu’elles sont, et ce sont ces mêmes jeunes filles qui à trente ans vont pleurer toutes les larmes de leur corps, car on ne pourra pas retendre leur peau, alors qu’elles auront l’air de petites vieilles parcheminées !

           En fait, elle est là la véritable catastrophe : au moment même où la nature nous donne des coups de boutoirs, pour nous réveiller, nos sociétés sont comme en lévitation, sans racines, sans attaches, seulement accroché au moi, entre le numérique et le quotidien ! Inutile de dire que les égoïstes ne survivront pas, car ce sont les moins à même de supporter le manque !

           Le réveil va être dur, implacable, comme à bord du Titanic ! On est préparé à tout, sauf à souffrir ! Les Nez muriques vont être forcés de lever la tête et il faut qu’on soit menacé de mort pour en arriver là !

                                                                                                           48

          La Machine est morte et elle se retrouve assise dans un bureau encombré et qui sent le moisi… Il y a des piles de dossiers partout et la vétusté de la pièce ne fait aucun doute ! Un homme, vêtu d’une écharpe, écrit laborieusement en face de la Machine et soudain il éternue bruyamment : « Aaaachaaa ! Aaaacha ! Excusez-moi, fait-il avant de prendre son mouchoir et de se moucher. Ah ! Hum ! C’est bien humide ici…

    _ Vous en avez encore pour longtemps ?

    _ Juste une minute…

    _ Bon sang ! Vous ne savez sans doute pas qui je suis ! »

          L’homme lève la tête et regarde la Machine à travers ses grosses lunettes… « Sur Terre, reprend la Machine, j’étais hautement considérée ! Mon mari, c’est Tautonus, un personnage éminent ! Mon notaire était plein d’égards en me recevant, car il connaissait la valeur de mon patrimoine ! 

    _ Mais je n’en doute pas une seconde, madame, mais ici c’est différent… Enfin, si vous désirez vraiment qu’on en vienne à… votre cas, votre dossier doit être dans cette pile… Ah ! Le voici ! Voyons voir combien vous nous devez…

    _ Comment ça ? Je vous dois quelque chose ?

    _ Eh bien, laissez-moi vous expliquer notre fonctionnement… Dieu est amour, mais à chaque fois que vous laissez aller votre haine ou votre mépris, il faut bien que quelqu’un en fasse les frais ! A ce moment-là, vous « prenez », me comprenez-vous ? D’abord, parce que vous donnez satisfaction à votre égoïsme, et ensuite, bien sûr, votre victime souffre : elle est en manque d’amour ! Vous ne travaillez donc pas pour nos intérêts… Au contraire, vous nous ruinez ! Disons que vous utilisez un capital qui n’est pas à vous !

    _ Et si ma victime, comme vous dites, mérite mon mépris !

    _ Vous allez là, madame, sur un terrain extrêmement dangereux ! « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé ! » Cependant, ce qui fait fructifier nos affaires, c’est que justement on s’efforce d’aimer malgré les circonstances ! Ainsi se propage l’amour…

    _ Mais c’est bien le but que je me suis fixé ! Je ne vois pas ce qu’on…

    _ Vous permettez ? Tout est là, au jour le jour, toutes vos colères, votre mépris, votre haine… Je prends ma petite machine et je vais faire le total ! »

           On n’entend plus que le bruit de l’impression du ticket, à mesure que le « comptable » entre les chiffres et ça n’en finit pas : le papier se déroule, se déroule ! « Mais enfin que comptez-vous ? s’écrie la Machine, il doit y avoir une erreur !

    _ Hélas, non ! répond le comptable. Mais je m’arrête là, bien qu’on n’en soit qu’au premier tiers ! Mais les chiffres sont déjà effarants ! Nous ne sommes plus dans le rouge, mais dans le violet sombre ! De toute façon, c’est hors norme ! Je lis 150 000 tonnes de haine ! 800 000 tonnes de mépris !

    _ Mais… mais je n’ai jamais pris de plaisir dans ma vie ! J’ai élevé quatre enfants ! J’ai soutenu Tautonus ! Je suis à l’origine de sa brillante carrière ! Où est ma place à moi ? Je me suis sacrifiée, là voilà l’histoire !

    _ Je veux bien vous croire, madame, mais il n’en demeure pas moins que les chiffres ne mentent pas ! Ce que vous ne comprenez pas apparemment, c’est qu’on ne se contraint nullement quand on donne libre cours à sa haine et à son mépris ! On n’aime pas dans ce cas ! On conserve son orgueil ! On ne se diminue pas et… on ne connaît pas Dieu ! Ce qui fait qu’aujourd’hui Dieu ne vous connaît pas non plus ! »

            Le comptable fait un geste pour montrer un écriteau sur le mur, qui dit : « Travailler, c’est aimer Dieu ! »

    «  Mais qu’est-ce qu’ j’ vais devenir ? reprend la Machine.

    _ Ben, vous allez vous retrouver avec des gens qui sont pareils à vous et qui vous mépriseront et qui vous haïront, comme vous avez traité les autres ! Autrement dit, c’est la solitude et le désespoir !

    _ Mais… il n’y a pas un moyen pour échapper à ça ?

    _ Si, vous pouvez faire un prêt…, mais il vous faut une caution évidemment !

    _ Mais qui pourrait se porter caution pour moi ?

    _ Quelqu’un de la famille de Dieu !

    _ Je ne vois pas…

    _ Quelqu’un qui pourrait vous pardonner ! Votre créancier principal, par exemple…

    _ Mon créancier principal ?

    _ Votre principale victime, si vous préférez…

    _ Elle a un nom ?

    _ Rank !

    _ Rank ? Vous rigolez ! C’est moi qui l’ai fait ! Il me doit tout !

    _ Comme vous devez tout à Dieu aussi ! »

          A cet instant, la Machine se tait, peut-être pour la première fois de sa vie !

                                                                                                            49

          « Nous sommes ici au camp du Ciel, dit l’instructeur, pour que vous appreniez à respecter l’autre ! Vous n’en avez fait qu’à votre tête sur Terre et donc vous avez tout à apprendre ! Bien, la Machine sort du rang, s’il te plaît ! »

           Personne ne bouge… « La Machine, t’entends ce que je dis ? Viens par ici…

    _ C’est à moi que vous parlez ? demande la Machine d’une voix si douce qu’elle stupéfie tout le monde : comment une femme qui paraît la gentillesse même peut-elle se retrouver ici, dans ce camp de redressement ?

    _ Oui, c’est de toi qu’il s’agit…, explique l’instructeur.

    _ Sachez que j’ai un nom… Je suis madame…

    _ Oui, mais ici, t’es la Machine ! Allez, approche-toi, on va commencer le premier exercice !

    _ Si vous voulez... »

           La Machine exprime une telle modestie, une telle soumission que tout le groupe commence à murmurer : et si Dieu lui-même pouvait être injuste, commettre des erreurs ? « Bon, dit l’instructeur, le mot respect vient du latin spectare, qui veut dire voir ! Respecter, c’est donc voir l’autre, de sorte qu’il ait droit aux mêmes égards que ceux que nous réclamons pour nous-mêmes… Mais… mais pourquoi caches-tu tes mains, la Machine ? »

          Celle-ci fait non, non de la tête : elle ne montrera pas ses mains, elle ne le veut pas par humilité, elle a un secret ! « J’insiste, dit l’instructeur, montre-moi tes mains ! » Cet échange captive soudain le groupe, qui tend la tête… « Allez, ouvre les mains ! fait l’instructeur, qui semble maintenant prêt à forcer la Machine, si bien qu’elle s’avoue vaincue et qu’elle expose ses paumes comme à contrecœur !

    « Oh ! » fait le groupe, tandis que que certains se jettent à genoux, en louant Dieu ! En effet, la Machine présente les stigmates ! « Ah ! Hum ! tousse l’instructeur. Tu as les marques de notre Seigneur ! Es-tu sûre la Machine que tu ne les as pas peintes, pour nous abuser ?

    _ Comment aurais-je pu commettre une telle ignominie ! Ne suis-je pas la servante fidèle du Seigneur ! Ma joie n’est-elle pas de plaire à Dieu ? »

    _ Ouuui ! gémissent ceux qui sont à genoux, dans une extase prolongée par la voix enfantine et pure de la Machine.

    _ Très bien ! reprend l’instructeur. Alors, tu n’auras aucune difficulté à effectuer le premier exercice ! »

    L’instructeur enlève le voile qui couvrait un personnage en carton-pâte ! « Le reconnais-tu ? demande l’instructeur à la Machine, qui ne dit rien. C’est Rank, le soldat Paschic ! Tu le remets !

    _ Bien sûr que je le remets… Est-ce que je peux utiliser ce balai…

    _ Tu veux utiliser un balai pour respecter ?

    _ Cela me paraît indispensable ! »

          La Machine s’approche de Rank et soudain elle le frappe avec toute sa violence ! Le balai s’abat sur la tête de Rank, qui plie, puis les coups pleuvent et le mannequin peu à peu s’affaisse, part en morceaux ! En même temps, la Machine hurle : « Espèce de salopard ! T’as foutu ma vie en l’air ! C’est encore d’ ta faute si j’ dois faire le guignol ici ! Mais quand est-ce que tu vas crever, hein, dis ? Quand est-ce que tu vas enfin m’ foutre la paix ? »

          Le groupe est glacé par tant de haine, de violence ! « Bon, je crois que l’expérience a été concluante… dit l’instructeur.

    _ La… la Machine… glapit quelqu’un. »

          Tous les yeux se portent sur la Machine, qui effectivement subit un changement étrange ! Sa tête s’est ouverte et une grosse fumée noire en sort ! La colonne s’élève dans le ciel et forme une sorte de géant aux yeux étincelants ! « Où est Dieu lui-même ? grince la Machine. J’aimerais lui dire deux mots ! Ah ! Ah ! Où est cette fiotte, cette raclure ? Elle se cache ? Hi ! Hi ! »

    « Elle n’a plus la même voix ! », « Qu’est-ce qui s’est passé ? » entend-on dans le groupe, avant qu’il ne s’éparpille.

    « Allo, la sécurité ? fait l’instructeur dans son portable. On a un problème secteur B ! De quel genre ? Orgueil, force 12, ça vous dit quelque chose ? Vous arrivez ? J’en étais sûr ! »

    « Eh ! L’instructeur ! fait la Machine. T’as vu comment j’ l’ai arrangé, le Rank ? Mais c’est le vrai qu’ je veux ! Le petit protégé de Dieu ! Son lèche-cul ! Tu sais c’ que j’ rêve de lui faire ? Le transformer en chair à saucisses, lentement ! Tout commence et finit par moi ! C’est moi le but ! Personne, t’entends, personne n’est à mon niveau ! »

          Au loin retentissent des sirènes…

                                                                                                           50

          Quant Tautonus, avec son armée, eut conquis les régions du Nord, qui avaient été si promptes à se rebeller, et qu’il eut vaincu la flotte des cruels peuples de l’Ouest, il décida de se reposer ! Il sentait qu’il avait atteint le sommet de sa carrière et qu’il ne pourrait s’élever davantage ! Il était fier de lui et jouissait de sa célébrité ! Il ne chassait pas le quémandeur, il essayait de comprendre la différence, car il ne se sentait plus pressé de faire ses preuves et d’assurer sa sécurité !

           Il regardait l’ensemble de son œuvre et y prenait plaisir ! C’est que Tautonus avait pris conscience entre-temps que nous sommes seuls et que la mort vient tôt ou tard nous chercher, avec son inconnu ou son mystère ! Tautonus voyait donc ses propres limites et savait s’apaiser, au contraire de la Machine, qui n’en avait jamais assez !

          Elle continuait à pousser Tautonus… Elle disait : « Et à l’Est ! On n’y a jamais été ! Ils ne connaissent pas ton nom là-bas ! Quand ils verront ta force, ils plieront le genou devant toi ! »

          Tautonus ne répondait rien, car il savait combien les distances étaient longues vers l’intérieur du continent ! Il mesurait la logistique nécessaire et en frémissait ! De plus, c’était lui qui aurait à combattre, nullement la Machine, et cela seulement le désolait, car il devinait que son corps était déjà fatigué des nombreuses campagnes précédentes et qu’une nouvelle expédition ruinerait sa santé !

           Mais la Machine avait un argument de poids, toujours le même : c’était Tautonus qui avait tiré les marrons du feu ! C’était lui qui était en pleine lumière, qu’on saluait, alors que la Machine avait dû se contenter de l’ombre, que son rôle restait méconnu et que c’était maintenant à son tour de ressentir du plaisir !

          Tautonus culpabilisait et céda ! On s’attela aux préparatifs et il y avait là des centaines d’éléphants, venus de l’Afrique secrète, des chars de toutes sortes, des mercenaires sombres, aux armes étranges, des troupes hérissées de piques, des souffleurs de cors, des enfants, des vivandières, des poules et tout cela s’étendait jusqu’à l’horizon, en un immense nuage de poussière !

          Mais très vite, comme l’avait prévu Tautonus, la route devint interminable, morne, désespérante ! Un grand nombre déserta, quand d’autres refusaient d’aller plus loin, s’installaient dans quelque auberge et attendaient là le retour de l’armée ! La Machine, pour sa part, serrait les dents : elle avait un but, celui de faire reconnaître sa gloire, sa puissance, auprès de tribus qu’elle imaginait sauvages, sans instruction !

           On atteignit les montagnes d’une contrée inquiétante, grise, où les gens semblaient toujours dans la nuit ! Ce fut pourtant en ce lieu que la Machine se fit valoir en pleine lumière ! Elle expliqua qui elle était et comment elle avait bâti un empire et on l’écoutait surtout par curiosité ! Tautonus, lui, ne cessait de rester sur ses gardes… Il redoutait une attaque surprise, qui aurait exigé des forces qu’il ne possédait plus !

           Angoissé, il eut des décisions malheureuses et bien que la Machine eût posé des jalons et parût satisfaite, quand il fallut faire demi-tour, l’armée se perdit, dut revenir sur ses pas, puis aller de nouveau vers l’avant ! On s’embourba dans des marais, où beaucoup périrent, et les fièvres pesèrent sur les survivants ! Le mal que Tautonus percevait déjà en lui s’aggrava ! De retour chez lui, épuisé, il consulta et on lui diagnostiqua une maladie incurable ! Cette dernière conquête l’avait achevé !

          La Machine, elle, restait pimpante ! D’ailleurs, elle attendait une délégation de l’Est, qu’elle pourrait épater par sa richesse et l’étendue de son royaume ! Elle n’avait pas perdu son temps et voyait ses journées toujours pleines ! Puis, Tautonus subitement tomba et mourut ! Ce fut un choc pour la Machine, d’autant qu’elle perdait son « étendard » dans un monde d’hommes !

          Allait-elle décliner, vieillir ? Non, à peine Tautonus était-il enterré que la Machine se rappela Rank et qu’il avait trouvé refuge dans une ville voisine ! Il ne pouvait échapper à la Machine, qui ne supporte pas l’échec et qui ne veut prêter en aucun cas le flanc à ses ennemis, avec un cas tel que celui de Rank !

           Quelques fidèles de Tautonus apportèrent des cadeaux à Rank, pour l’appâter ! Le but était de renouer les liens, afin de mieux les resserrer ! Rank resta sourd, ne « marcha » pas et on décida de changer de tactique ! On harcela la ville de Rank ! On en fit le siège, pendant que des « commandos » furent chargés de kidnapper le soldat Paschic !

            Il demeura introuvable, insaisissable, mais ce qui importe, c’est que la Machine projette, commande, contrôle, règne, quitte à blesser, à tuer, car seule elle compte ! C’est le monde de la Machine ! Le cheval Tautonus est mort, il faut en trouver un autre !

                                                                                                                 51

           Rank ouvre les yeux et les ferme aussitôt, tant il est aveuglé par la lampe qui lui fait face ! Dans l’ombre, des hommes en uniforme attendent… Depuis combien de temps Rank est-il là ? Il ne le sait plus, car les interrogatoires se sont succédés jusqu’à complètement l’abrutir ! On l’abreuve de questions, on le maltraite, puis on le ramène à sa cellule, où soit on l’empêche de dormir, soit on l’humilie, en lui faisant miroiter une nourriture, qu’on retire aussitôt !

            Pourtant, Rank tient bon ! Il refuse de signer une confession, qui le ferait un ennemi de la Machine, complotant sa perte ! Il est accusé de sournoiseries, de mensonges, de manipulations ! Il est un agent étranger, venu saper la famille ! La Machine est entouré par un monde hostile et décadent, dont Rank s’avère le poison destructeur !

            Derrière la lampe, on fume, on murmure, on soupire, puis un des « policiers » jette son mégot et apparaît en pleine lumière ! C’est un type massif, avec une tête comme une brique, et de sa voix caverneuse, il demande : « Encore une fois, qui es-tu ? Qui t’envoie ? Pour qui travailles-tu ?

    _ Je ne sais pas de quoi vous parlez ! Je n’ai rien à voir avec un quelconque complot ! Je suis innocent et je veux un avocat !

    _ Les preuves de ta... duplicité sont accablantes ! répond l’homme qui s’énerve.

    _ Quelles preuves ?

    _ On a trouvé dans le placard de ta chambre des notes, des noms, des dates !

    _ Montrez-les moi ! Tout cela est ridicule ! »

           Le policier lève la main, mais il est arrêté par un nom, le sien, aboyé par un nouvel arrivant : « Lipovtich ! Veuillez laisser cet individu tranquille ! Nous ne sommes plus au Moyen Age, que diable ! Aujourd’hui, nous obtenons beaucoup plus de choses, en se montrant civilisé ! Rank est intelligent et il nous en sera gré d’en tenir compte ! »

            Celui qui vient de parler enlève son manteau et vient s’asseoir sur le bord du bureau… Il détourne la lampe, ce qui soulage Rank, et il lui propose une cigarette ! Rank refuse, mais l’homme allume la sienne et dit : « Je suis le docteur Kimov, psychiatre… Pourquoi ne voulez-vous pas signer votre confession ? Votre hostilité à l’égard de la Machine est évidente ! Vos frères et Tautonus ne s’en plaignent pas ! Vous êtes le seul obstacle à l’harmonie générale… et vous ne pouvez pas tenir ce rôle, sans prendre vos ordres d’une puissance étrangère…

    _ Vous vous trompez ! Je ne suis en aucun cas menteur, sournois ou manipulateur ! Je suis uniquement attaché à la vérité… et c’est pourquoi je refuse d’avouer une culpabilité qui n’existe pas !

    _ La vérité ! fait songeur Kimov, en soufflant de la fumée vers le plafond. Écoutez, la Machine ne peut plus supporter cette situation ! Elle est scandalisé par votre opposition ! Pour le bien de tous, vous reconnaissez que vous agissez à dessein… et que vous le regrettez ! Je vous promets le traitement dû à ceux qui s’amendent !

    _ Et moi, je vous propose une autre version, à condition que vous vouliez bien l’entendre !

    _ Mais je suis là pour ça, pour essayer de comprendre !

    _ Imaginez la Machine paranoïaque ! Se donnant une importance exagérée, elle soupçonne logiquement son entourage de s’occuper d’elle et de lui vouloir du mal ! Cela expliquerait aussi ses colères subites, comme une sorte d’ivresse, de sorte qu’elle ne s’en rappelle même plus une minute plus tard ! Elle m’accuse d’être un manipulateur, car dans son monde elle calcule, ment pour se défendre d’une menace imaginaire ! La sournoise, c’est elle !

    _ Évidemment, vous avez reçu le meilleur entraînement ! répond kimov, qui a terminé sa cigarette et qui l’écrase dans un cendrier. Vous avez réponse à tout ! On pourrait vous interroger pendant des heures et vous n’en démordriez pas ! C’est la Machine qui est malade et pas vous ! Mais nous avons tout de même un point de repère… Tous les autres membres de la famille s’entendent avec la Machine, sauf vous ! Alors qui est le déséquilibré ?

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes en train de me dire que l’intégration sociale est un critère de normalité ! Hi ! Hi ! Comme si la société n’était pas la classe qui continue, avec tout le monde sagement assis, redoutant une mauvaise note ! Que faisons-nous là ? Quelle place avons-nous dans l’univers ? Pourquoi le matérialisme occidental est une impasse, puisque nous vivons dans le chaos, malgré notre confort, et que la planète nous tue ? Qu’est-ce qui manque à la raison, pour nous rendre heureux ?

    _ Je n’aime pas vos manières ! Je ne vous aime pas du tout d’ailleurs !

    _ Mince ! »

          Kimov gifle Rank, puis dit aux autres : « Ramenez cette enflure dans sa cellule ! Ne lui donnez pas à manger ! Il finira par craquer et nous donner le nom de ses employeurs ! N’oubliez pas que la Machine veut des résultats ! »

  • Rank (37-42)

    Rank8

     

                         "Mais je ne peux pas vous confesser comme ça, sans séparation!

                           _ Et avec ce gril, ça ira?"

                                                                                   L'Auberge rouge

     

                                                             37

          Comment vont les machines ? Mais bien ! Rappelons-le, les machines ont toujours besoin d’avoir le sentiment de leur importance ; c’est leur carburant et acheter est un bon moyen de se donner de la présence, du pouvoir ! Celui qui n’a pas le sou regarde a priori les jours comme un prisonnier ! Donc, les machines se pressent dans les magasins, qui eux préparent déjà Noël, comme si hors de la consommation il n’y avait point de salut ! Qu’est-ce que ça produit au final ? Mais des troupeaux suant, soupirant, s’énervant, écrasant les caisses, haineux, alors que tout ce beau monde est là pour son plaisir ! Aucune évolution ! Dans le même temps, là-bas, dans d’autres pays, on sourit parce qu’on a de l’eau !

          Mais, grâce à l’IA, la Machine peut acheter un robot, qui a tout l’air d’un être humain ! C’est tout nouveau et ça fait fureur ! La Machine choisit une jeune femme, qu’elle nomme Bona, comme « bonne à » tout faire ! Cela ne veut pas dire que la jeune femme soit destinée aux travaux ménagers (quoiqu'à l’occasion elle pourra aider…), mais Bona est conduite vers un destin plus grand : elle va devenir la confidente et donc l’admiratrice de la Machine ! C’est un des miracles de l’IA : ses robots ou droïdes comprennent ce que veulent leurs propriétaires et s’adaptent ! Ils prennent le rôle qu’on souhaite et ils sont aussi dociles que les chiens, mais avec bien plus de possibilités !

          Voilà donc la Machine, avec Bona, parcourant l’immense propriété de la famille ! Enfin, après des kilomètres, la voiture s’arrête devant la mer : « La limite ! dit la Machine. On ne peut pas aller plus loin…, malheureusement ! » Devant les rouleaux, frangés d’écume, Bona s’écrie : « Comme c’est beau !

    _ Ouais ! J’avoue que j’aime les colères de l’océan ! C’est un peu le miroir de ma force ! »

          Les deux femmes sortent de la voiture et sont accueillies par la puissante haleine du large ! « Ouh ! Ça souffle ! dit encore Bona.

    _ Quand j’ suis arrivée ici, y avait rien ! J’ai dû tout faire moi-même ! Viens, je vais te montrer ma troisième résidence secondaire ! »

          On reprend la voiture et on entre dans le jardin d’une vaste maison, située juste derrière la dune ! « A l’époque, explique la Machine, qui ouvre sa porte, il a fallu qu’on bataille dur, pour obtenir le permis de construire ! On avait déjà des problèmes avec les écolos… Enfin, Tautonus a eu gain de cause… Quand je dis Tautonus, c’est moi derrière évidemment ! Comme tu dois le savoir, Bona, on ne peut pas compter sur les hommes !

    _ C’est magnifique ! dit Bona, qui visite la maison. Et si près de la plage ! Oh ! Vous devez en faire des envieux l’été !

    _ C’est pas le but évidemment ! Mais il est vrai que l’on n’a que ce qu’on mérite ! Le meuble là est en bois massif ! Qu’est-ce que je disais ? Oui, on n’a pas voulu la terrasse trop longue, car on n’est pas des richards non plus !

    _ C’est admirable !

    _ Oui, on essaie de bien faire les choses ! Le travail, ça on connaît ! Et puis, c’est qu’une partie de mon emp…, euh, c’était nécessaire pour que la famille vienne se détendre !

    _ Bien sûr ! Combien avez-vous eu d’enfants ?

    _ Vingt-cinq !

    _ Oh !

    _ Oui, j’estime avoir largement fait mon devoir ! Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour mes plaisirs !

    _ J’ m’en doute !

    _ L’éducation des enfants, la carrière de Tautonus… Qu’est-ce que j’ai eu, moi ? Rien !

    _ Vous vous êtes sacrifiée ! Vous êtes une femme admirable !

    _ Oh ! J’aime bien les gosses ! Même s’ils posent beaucoup de problèmes ! Enfin, certains sont bien égoïstes !

    _ Vous semblez avoir une blessure secrète…

    _ Oui, y en a un qui m’a toujours échappé, qui m’échappe toujours ! J’ comprends pas… il a pourtant eu le même traitement que les autres ! On essaie de tout leur donner et on ne reçoit qu’ingratitude !

    _ Je vois et il s’appelle comment ce garçon ?

    _ Rank ! Rank le maudit ! Il m’a toujours résisté, c’ fumier ! Il a jamais rien fait de bon et il se permet de me juger ! Pour lui, j’ suis d’ la crotte !

    _ Oh ! Comment peut-il être aussi méchant ? Vous êtes une femme magnifique ! Une mère exemplaire ! Et voilà que ce méchant garnement vous fait pleurer !

    _ Oui, il a brisé mon cœur de maman, mais j’ l’aurai ! Snif ! J’ l’écraserai ! Et il me suppliera, c’ microbe ! Ah ! Mais baste, allons voir mes peintures !

    _ Ah ! Parce que vous peignez en plus !

    _ Dame, je n’ suis pas seulement au service des autres ! J’ai encore une sensibilité d’artiste !

    _ Que d’ talents ! »

                                                                                                            38

          « Par ici, je vous prie... » Lucifer en personne montre à la Machine le chemin qu’elle doit suivre ! Le ciel est gris et plus on marche et plus il devient sombre ! Un rumeur monte, qui fait frissonner ! On dirait une mer de plaintes, qui vient battre un rivage ! « Qu’est-ce que c’est ? demande la Machine soudain inquiète.

    _ C’est l’enfer, mon domaine quoi ! Tous ceux qui ont méprisé, écrasé, menti, profité des autres échouent ici ! Ils ont été jugés, pesés et hop ! ils éprouvent les souffrances de leurs victimes ! Évidemment, c’est pas très réjouissant, vous vous en doutez ! Il y a des moments où moi-même je voudrais être ailleurs, je ne vous le cache pas ! Mais la sécurité de l’emploi…, la retraite…

    _ Je croyais qu’il était question de la vie éternelle… Alors pourquoi parler de retraite ?

    _ Parce que j’aime bien me plaindre ! C’est toujours ça de pris, pas vrai ! Qui sait ? Vous pourriez marcher dans la combine et commencer à vous intéresser à moi ! Vous diriez : « Pauvre diable, le boss est bien injuste envers vous ! D’ailleurs qui l’a fait boss, si ce n’est lui-même ? Les privilèges ont assez duré ! Allons lui régler son compte, au tyran ! » Hein ? Douce chanson !

    _ En tout cas, moi, je suis innocente ! Je ne vois pas du tout ce qu’on me reproche !

    _ Bien sûr ! Tous sont là par erreur ! Vous vous êtes battue comme une lionne pour le bien ! Vous avez trimé toute votre vie ! Pas vrai ? Vos bulletins de salaire en témoignent ! Aucun plaisir ! Nul égoïsme ! Des soucis, toujours des soucis ! Jamais heureuse ! Les gosses, le mari, pour quel résultat ? L’ingratitude !

    _ Exactement !

    _ Et le boss, en prononçant le jugement, n’avait pas ses lunettes, ce qui fait qu’il vous a confondue avec quelque souillon !

    _ J’ignore ce qui s’est passé, mais effectivement on a dû se tromper ! Car je ne me sens nullement coupable !

    _ C’est peut-être ça le problème…

    _ Quoi ?

    _ Ben, que vous soyez toujours attachée à votre personne ! Autrement dit qu’il soit impossible de vous satisfaire, car le monde ne peut pas tourner seulement autour de vous ! Vous voilà donc malheureuse, avec le sentiment que vous ne prenez pas de plaisir et que vous êtes maintenant une victime !

    _ Mais vous êtes qui pour me parler comme ça ? Je n’ai aucun compte à vous rendre !

    _ Je vois, je vois… Me permettez-vous tout de même un conseil ? Ici, votre discours sur votre innocence, ça ne prend pas ! Tout le monde s’en moque ! Par contre, il y a toujours moyens d’arranger certaines choses… Par exemple, si vous avez trop chaud, on peut trouver une clim ! Je me suis laissé dire que vous étiez ce qu’on appelle une dame… J’ me trompe ?

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

    _ Ben, vous avez vécu dans l’aisance… et tout se monnaye ici !

    _ Dame, je n’ai pas mon sac ! C’est bête, j’ai dû le laisser quelque part…

    _ Oh ! Ce n’est pas l’argent qui nous intéresse ! C’est un peu d’amour qui fait le troc ! Rien qu’une petite goutte et c’est un peu de fraîcheur, pour nous autres damnés !

    _ Mais… que faut-il faire ?

    _ Hum ! J’ai là en mains votre histoire… et vous n’avez pas vraiment ménagé un certain Rank ! Vous pourriez essayer de vous excuser…, du moins aller dans ce sens…

    _ Moi, m’excuser auprès de cette ordure ? de ce minus ! En voilà un qui n’a jamais rien fait d’ sa vie ! Il n’ pas même pas été foutu d’obtenir une situation ! Un morveux ! Je voudrais l’écraser comme une punaise !

    _ Je vois, je vois… Il est pourtant dans l’amour du boss, à présent !

    _ Si le boss est miro, qu’est-ce que j’y peux ? Qu’il le garde, son Rank ! Ici, on est chez les durs, les battants, pas vrai ? Les mous, comme Rank, on n’en veut pas !

    _ Ah ! Ah ! J’étais sûr que vous seriez une recrue de premier choix ! Eh ! Eh ! Effectivement, vous allez voir qu’on est ici chez les durs ! chez tous ceux qui se sont servis des autres, pour avoir cette illusion !

    _ Euh… Je ne vous comprends pas…

    _ Vous continuez le chemin… et la « lumière sera » !

    _ Vous ne venez pas avec moi ?

    _ Mais non, les « battants » n’ont pas besoin d’être accompagnés ! Ne me dites pas que vous êtes une fausse costaude !

    _ Bien sûr que non ! J’ai travaillé toute ma vie !

    _ Bien, au bout du chemin… » 

    La Machine avance et il fait de plus en plus sombre, de sorte que c’est bientôt comme une nuit… Autour, il y a des pleurs, des gémissements, des regrets… et pour la première fois, la Machine est seule et n’a plus personne à commander, à mépriser, ce qui lui donnait une existence ! L’effroi de la solitude la frappe de plein fouet et elle se met à crier, crier !

    « Des durs, hein ? » fait le diable un peu plus loin. Pfff ! »

                                                                                                              39

            Depuis quelque temps, Rank a des problèmes de nez… Celui-ci se bouche anormalement et ce serait peut-être génétique, puisque Tautonus a apparemment le même mal, de sorte qu’on est contraint de brûler son bouchon nasal avec une sorte de fer ! Pour éviter une telle extrémité à Rank, on le fait consulter un spécialiste, qui recommande une opération !

           Le jour J, Rank est assis un peu en hauteur, pendant que le chirurgien, équipé d’une large lampe frontale, s’avance ! Derrière se tient une infirmière, au cas sans doute où Rank voudrait soudain s’enfuir ! C’est une opération effectuée sous une anesthésie locale, ce qui fait que Rank peut suivre tout ce qui se passe !

           Le chirurgien introduit dans la narine une pince et il sectionne les deux extrémités d’un petit os (apparemment une pièce qui n’est pas absolument nécessaire…) ! Rank perçoit très distinctement les cassures, qui résonnent dans son cerveau, et il faut aussi un peu tirer l’os, en tournant la pince, car des « ligaments » doivent résister !

            Puis, c’est le tour de l’autre narine et comme Rank sait ce qui l’attend, il verse une larme qu’il sent couler, sans pour autant bouger ! L’opération donc continue et se termine… et Rank est invité à se reposer un certain temps, sur un petit lit… Enfin, le médecin vient le chercher pour le conduire à son bureau… et là, il lui dit quelque chose de très surprenant !

            D’abord, il s’adresse à Rank comme si celui-ci était un véritable être humain, ce qui est éminemment nouveau pour l’intéressé ! Mais voilà son propos : « Je t’avoue Rank que j’ai été surpris par ton calme ! J’ai rarement vu quelqu’un qui a autant confiance dans les autres et dans la vie ! La plupart s’agitent ici ! Mais je me demande même si tu ne fais pas trop confiance ! Peut-être devrais-tu te méfier un peu plus... »

           Rank boit ces paroles, puisque qu’on le respecte, mais en même en temps il ne les comprend pas ! Cela reste du chinois pour lui ! En effet, Rank a toujours eu le sentiment qu’il était chez lui sur Terre ! Cela ne s’explique pas ! Pour Rank, la vie a forcément un sens et donc lui-même est protégé, guidé ! Malgré l’aversion de la Machine, sa souffrance, Rank ne s’est jamais senti abandonné dans l’Univers, où la conscience ne saurait être un accident !

           Mais, pour l’instant, Rank garde les paroles du médecin comme un trésor, dont on ignore la valeur et il est bientôt repris par la Machine, qui est venue le chercher et qui a déjà conversé avec le praticien ! Ainsi, Rank s’attend à des compliments venant de la Machine, car c’est certain il s’est bien comporté ! Mieux, il a fait preuve d’un courage rare, ce qui veut dire qu’il a porté haut les couleurs de la famille !

           Rank imagine très bien la Machine comblée d’aise, devant le discours élogieux du médecin, qui a dû là encore exprimer son étonnement, quant au « stoïcisme », à la maturité du rejeton ! Mais Rank attend en vain un signe de contentement chez la Machine ! Au contraire, elle paraît comme injuriée ! Comment est-ce possible ?

           Mais la Machine ne se voit pas du tout s’abaisser à reconnaître à Rank une quelconque qualité ! Quoi ? Elle prendrait en compte cet avorton, ce minable ? Elle ne le distingue même pas dans son champ de vision ! Complimenter Rank ne rapporterait rien à la Machine, d’autant qu’elle a déjà eu son plaisir, dans le cabinet du médecin ! Soudain elle aboie : « Tiens, voilà de quoi t’acheter un jouet ! Et rentre pas trop tard à la maison ! »

            Elle a planté Rank sur le trottoir et le cadeau, c’est la tradition, les convenances ! Nul amour n’est transmis et si Rank file tout de même au magasin de jouets, il se sent vaguement coupable… Lui aussi achète quelque chose, parce que c’est l’usage… et ainsi il sera plus tard dans ses plaisirs, ses joies, gêné, s’en trouvant indigne !

                                                                                                           40

            Tautonus est né dans un milieu rural, où il s’ennuyait ! La perspective de demeurer là toute sa vie l’épouvantait et il suivit bientôt une formation technique, qui lui permettait d’enseigner ! Pendant tout ce temps, il était pion et portait des chaussures troués l’hiver, ce qui lui faisait honte ! Au fond, il avait pas mal d’ambitions, beaucoup d’orgueil et voulait devenir quelqu’un ! Quand il se maria à la Machine, sa vie changea !

          D’abord, la Machine venait d’une famille plus bourgeoise, plus cultivée, et elle apporta son soutien à Tautonus, parce qu’elle connaissait mieux le monde et la façon de s’exprimer ! D’ailleurs, Tautonus gardera toujours un complexe, à cause de ses connaissances essentiellement techniques ! Mais ensuite la vanité de la Machine est sans limites, car elle se voit encore filleule d’un homme célèbre, ami de son père agrégé de lettres, comme si les dieux s’étaient particulièrement penchés sur son berceau !

            Nul doute que, grâce à la Machine, Tautonus passa la vitesse supérieure ! En fait, Tautonus s’engagea dans le combat politique : il avait une vision, celles d’hommes qui avaient déjà commandé le pays et dont il partageait les valeurs ! Évidemment, on tait les ambitions personnelles, on les nie même : on sert seulement une cause ! On se dévoue pour le bien commun ! On n’existe pas égoïstement, on n’a pas d’envies propres, ainsi qu’on serait impalpable, diaphane, juste animé par le devoir !

           C’est le premier point sur lequel s’accrochent Rank et Tautonus ! Quand le premier fait prendre conscience au second qu’il n’est pas un ange, mais bien constitué de matière, qu’il a lui aussi un amour-propre à satisfaire, celui-ci est outré, suffoque et devient violent ! Pourquoi ? N’est-ce pas là une évidence pour tous ? Mais il s’agit encore de conserver une illusion, car c’est elle qui protège !

           Cependant, le combat pour le pouvoir, l’ascension sociale est âpre, difficile et à chaque échelon, on rencontre des gens qui sont plus riches, plus cultivés et encore plus imbus d’eux-mêmes ! Même la Machine doit souvent se montrer prudente et attendre son heure ! Il faut apprendre à dépasser ses mentors, résister à leur haine et à leurs coups bas ! Patiemment, Tautonus surmonte sa timidité, améliore ses discours, voit plus grand et après quelques succès électoraux, il rejoint l’une des chambres parlementaires !

            Voilà Tautonus dans la capitale et réalisant son rêve ! Il est l’un des acteurs de l’État, il connaît les salons dorés, qui témoignent bien entendu de l’Histoire ! Ils passent de grandes portes, foulent des tapis silencieux, travaillent avec des gens qui murmurent, ironiques, à qui « on ne la fait pas » ! C’est l’élite pour celui qui vient de la campagne ! Tautonus s’invente un personnage, il est arrivé et partout où il va, il aime par-dessus tout briller ! Il s’impose comme centre d’intérêt dans les repas de famille ou les mariages !

           Il subjugue son entourage par sa science du pouvoir, ce domaine qui reste inaccessible au commun des mortels ! Son esprit acéré fait merveille, ses bons mots provoquent l’admiration et il se nourrit de cette gloire, de cet encens distribué par l’étonnement, les yeux ronds, la soumission d’un public naïf ! Bien sûr, la Machine n’est jamais loin et elle aussi profite de la situation ! Tautonus est son œuvre, sa réussite dans un monde d’hommes !

            La Machine peut alors juger toutes les autres femmes, les condamner si elles ne pas sont conquises et ne chantent pas ses louanges ! Le couple la Machine Tautonus rayonne au firmament, boit chaque jour des hommages et pourtant il reproche à Rank sa prétention, sa suffisance, comme si on pouvait sermonner un pauvre hère, ramasseur de patelles pour survivre, au sujet de son arrogance ! Mais c’est ainsi : la domination n’en a jamais assez, car elle ne guérit pas de ses peurs, et ceux qui lui résistent ont forcément droit à sa haine !

           Pour bien montrer à Rank combien il manque d’humilité, Tautonus le coince dans la cuisine et lui lit des citations d’auteurs illustres et moralistes ! L’orgueil y est fustigé de la plus belle manière, jusqu’à ce que Rank s’écrie : « Eh ! Mais c’est un livre que je t’ai offert ! Car je savais combien tu aimes les bons mots ! » Tautonus se trouble et répond bêtement : « Hein ? Non, je ne pense pas… Je ne crois pas... »

             La leçon s’arrête là, puisque Rank, à l’origine du cadeau, apparaît comme le maître… Mais quelque fois l’injustice exagère tellement qu’elle finit par se prendre les pieds dans le tapis ! Elle montre alors son ridicule et pour l’opprimé, c’est une petite victoire, tel un soleil brumeux qui donne tout de même un peu de chaleur ! Même le mal a des limites, qui font qu’il se perd lui-même !

                                                                                                                41

            Rappelons-le, nous ne savons pas vivre ! Tôt ou tard, menés par la domination, nous repartons en guerre, nous générons de nouveaux conflits, nous créons un chaos social, alors que nous sommes tous pareils, tous embarqués sur cette planète qui est menacée de destruction ! Nous voilà de nouveau avec des enfants qui pleurent ou qui sont morts, des populations hagardes, déplacées, des bombes, des bombes et toujours cette haine que nous déversons chaque jour ! Notre modernité devrait nous faire voir cela comme parfaitement insensé, mais nous restons persuadés que nous tuons ou crions pour la juste cause !

             C’est que nous vivons toujours dans une illusion et il n’est pas question que nous changions nous-mêmes ! C’est à nos adversaires de céder, surtout s’ils nous tendent un miroir qui nous montre d’une façon déplaisante ! La domination, c’est l’orgueil et c’est une forteresse, que seul l’amour, la foi peut briser ! C’est pour plaire à Dieu que les êtres humains acceptent d’avoir confiance et de laisser au bord de la route leur amour-propre ! Alors ils deviennent doux et patients ! Ils n’ont plus de hargne, parce que le monde ne les considère pas, ne les écoute pas ! En échange, ils sont en paix et la diffuse !

            Mais ce n’est pas facile, car très peu évoluent ! Et le soldat Paschic est toujours dans la nuit de son quotidien ! C’est toujours la vie de la tranchée ! le froid, la boue, l’ennemi qui attaque par surprise, les ordres qui aboient et qui commandent l’assaut ! Les plaisirs sont rares sur le front ! De plus, Paschic est seul : il voit les autres s’entendre, s’amuser, à l’unisson de l’état-major et il se demande ce qui lui manque ! Il ne reçoit pas de courrier, ce qui fait que personne n’a l’air de s’intéresser à lui ou de partager ses affres ! La routine… Le tabac mouillé… Les tours de garde… Les alertes vraies ou fausses ! Les sanctions… Paschic est déjà passé en conseil de guerre !

            Ce jour-là, Tautonus était en grand uniforme, très digne ! Il déclare : « Soldat Paschic, nous sommes réunis pour juger votre conduite inqualifiable à l’égard de la Machine (elle aussi a trois étoiles au képi!) !

    _ Mais…

    _ Silence soldat Paschic ! L’affaire est d’une gravité extrême ! Encore un mot et j’ cogne ! »

            Paschic est condamné à rester muet et il est déjà jugé ! Il est forcément coupable dès qu’il s’agit de la Machine, car ce que ne supporte pas du tout Tautonus, c’est d’être dérangé dans son confort, ses plans ! Comment pourrait-il rêver de conquérir le monde, avec une Machine qui se plaint à côté et qui risque de démissionner ou de brûler un steak !

           Paschic ne fait pas le poids et pourtant qu’est-ce qu’il en aurait à dire sur les sournoiseries de la Machine ! Tiens, il se laisserait aller, il dirait à Tautonus : « C’est une vraie salope ! Elle vous détruit, vous explose à la figure ! Et la minute d’après elle demande ce que vous avez, pourquoi vous faites cette tête ! J’ai jamais rencontré un tel monstre d’égoïsme ! Elle rendrait fou Dieu lui-même ! »

           Évidemment, il n’est pas question de parler comme ça ! Le personnage de la mère est sacrée : ne lui doit-on pas la vie ? Paschic est donc obligé de tout garder en lui, de subir toutes les avanies sans broncher et il est un peu l’homme à tout faire du régiment ! Aujourd’hui, par exemple, il doit servir à la table de l’état-major, car Tautonus y reçoit sa mère, eh oui, même lui a une maman !

           Et quelle maman ! Une petite femme sombre, qui a toujours l’air en deuil, comme s’il était impossible de la satisfaire et qu’on était forcément coupable ! La Machine et Tautonus la craignent et font tout pour lui arracher un sourire ! « Vous reprendrez bien un peu de gâteau, mamie ! dit la machine d’un ton enjoué.

    _ Non merci, j’en ai déjà eu assez ! répond la maman d’un ton pincé, heureuse encore de rabrouer sa bru. J’ai les pieds un peu froid par contre…, mais vous devez faire des économies de chauffage… »

           Puis, le « jugement dernier » s’en va ! L’« arbre mort » reprend sa route et laisse la Machine et Tautonus humiliés, en colère ! « Quelle horrible bonne femme ! fait la Machine.

    _ Une vraie calamité ! Brrrr !

    _ Une rien du tout ! »

              Hein ? Paschic n’en croit pas ses oreilles ! Comment ? Il est possible de dire du mal des autres, de la mère ? Le fils peut lui manquer complètement de respect ? Mais oui et le soldat Paschic ne peut pas le crier, en profiter pour se défouler ! « Seigneur, ôte nous notre illusion, celle qui nous fait croire que nous sommes bons ! Guéris-nous de notre hypocrisie, afin que nous puissions grandir ! Merci ! »

                                                                                                             42

           Bona, le droïde de la Machine, propose de conduire Rank à son cours de judo… En effet, la Machine, inquiète de l’apathie de Rank, lui a imposé le tatamis ! Elle aurait pu se soupçonner d’avoir la main trop lourde, mais ce n’est pas tous les jours qu’un astéroïde signe la fin des dinosaures ! Rank aimerait assez le judo, car il peut se montrer très combatif, mais le froid du dimanche matin, avec des brutes lui qui tordent le coup, le font reculer ! On ne peut pas ressembler à une enclume et en même temps être doué pour l’estampe ! Or, Rank a encore une sensibilité très délicate !

            Dans la voiture, Bona ne perd pas de temps et sans préambules, elle lance : « Oh ! Comme tu as de la chance, Rank, d’avoir une maman comme la tienne ! » « Mon Dieu, se dit Rank, encore une qui a été endoctrinée par la Machine ! Attention la leçon ! » « Mais oui, Rank, s’extasie Bona, ta mère est une femme extraordinaire ! Elle a tout réussi ! Le succès de Tautonus ! Sa famille ! Elle t’a fait, mon cher Rank, et t’as pas l’air trop raté !

    _ Merci !

    _ Mais oui, t’es en bonne santé ! Tu as tout ce qu’il te faut ! Tu vas pouvoir choisir tes études, le métier qui te convient ! Ah ! Ta mère s’est battue ! Et comme ça dû être dur ! Une femme s’élève, tu penses quels obstacles elle doit rencontrer sur sa route ! Tous ces hommes jaloux qui la méprisent, qui ne rêvent que de la voir tomber ! Eh bien, elle a résisté, Rank ! Et Tautonus peut lui dire merci ! Et toi aussi Rank, car il y a aussi votre aisance, le ranch avec ses dix mille têtes ! Et dire qu’ici il n’y avait que des chardons, avant que ta mère investisse ! »

           Rank étouffe un bâillement… « Je t’ennuie Rank ? s’étonne Bona. Je vois, tu es jeune et tu ne comprends pas ! Tu es encore égoïste et tu ne vois pas les sacrifices de ta mère ! Ça viendra Rank et ce jour-là, tu te rendras compte combien tu as été injuste ! Je n’ai jamais vu une femme aussi extraordinaire que ta mère !

    _ Tu sais ce qui me ferait plaisir… ? C’est que tu me montres tes seins, qui eux sont vraiment superbes !

    _ Non mais, qu’est-ce que j’entends, Rank ! Espèce de sale petit vicieux ! Et voilà le mâle de nouveau dans toute sa splendeur égocentrique ! Ah ! On n’en a pas fini avec vous, les porcs, les messieurs queues !

    _ Excuse-moi, je me suis montré maladroit et même impoli ! Mais tu m’ennuies et je suis un peu perdu ! Figure-toi que la semaine dernière une jeune fille m’a ri au nez, parce que je n’étais pas assez entreprenant ! Elle s’est moqué de ma timidité, de ma gaucherie ! Elle m’a dit qu’elle en avait soupé des chevaliers blancs ! qu’elle ne rêvait que d’une chose, qu’on la dépucelle !

    _ Ah bon ? En tout cas, tu ne crois quand même pas qu’une femme accomplie, comme moi, puisse s’intéresser à des morveux comme toi ! Et puis je te parlais de choses sérieuses, de l’excellence de ta mère !

    _ Arrête la voiture, s’il te plaît ! Je voudrais sortir, j’étouffe ! »

             Bona se range effectivement sur le côté, mais c’est pour mieux interpeler Rank : « Mais enfin qu’est-ce que reproches tant qu’ ça à ta mère ! Elle fait tout pour toi ! » Rank essaye d’ouvrir la portière, mais celle-ci reste fermée ! « Non ,mon petit Rank, fait Bona, personne ne sort de ma voiture sans ma permission ! Or, je suis loin d’en avoir fini avec toi ! » A cet instant, Rank force en vain sur la poignée, puis il appuie sur des boutons du tableau de bord, pour déclencher l’ouverture ! Une alarme se met en route, assourdissante ! Bona se met à étrangler Rank : « Ta mère est formidable, t’entends, petite ordure ! »

            Sentant sa vie en danger, Rank tâtonne, ouvre la boîte à gants et sent un racloir pour le gel ! Il s’en saisit et frappe à coups répétés le cou de Mona ! Elle cède enfin, montrant une large ouverture dans son corps de silicone ! Rank est envahi par l’horreur, car il ignorait tout de cette histoire de droïdes ! L’alarme continue, au milieu de voyants qui clignotent et Bona a maintenant la tête inclinée à quatre-vingt-dix degrés, ce qui laisse apparaître deux fils débranchés ! Malgré son épouvante, Rank répare le circuit et demande : « Qui es-tu, Bona ?

    _ Agent 2830, dernière génération ! Mission : convaincre Rank, par tous les moyens ! Sa maman, une femme magnifique ! »

            Rank se débarrasse de Bona et réussit à sortir du véhicule, puis il court vers le bois le plus proche, voir des feuilles dorées et trempées ! Il aura peut-être la chance d’y entendre un merle ! Il doit bien en rester !