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Les Doms (58-61)
- Le 08/06/2024
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"Au commencement était le cube!"
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Le général Tautonus frappe du poing sur la table : « Nous le savons, Paschic est une menace pour nous ! Le GVI (grand vide intérieur), qui nous nourrit tous et qui légitime la présidence de la Machine, est formel : Paschic représente l’anti-domination par excellence, notamment grâce à son pouvoir de dislocation des atomes !
_ Il peut disloquer les atomes ? s’inquiète le professeur Ratamor.
_ Beaucoup de témoignages en attestent ! réplique le général. Il peut créer de la nature, où bon lui semble, ce qui enlève aux Doms leur domination et les fait paniquer !
_ Je ne puis vous croire… La matière…
_ Je ne suis évidemment pas un spécialiste ! Il vous appartiendra, professeur, de comprendre, sur un plan strictement scientifique, comment agit Paschic ! Pour l’instant, il nous faut prendre conscience du danger qu’il représente ! Nous l’avons vu donner de l’espoir aux plus pauvres ! Il a de l’influence sur la population ! Il fait courir en elle un vent de liberté, qui pourrait la conduire à la démocratie, ce qui bien entendu signerait la fin la Machine !
_ Ce qui ne se peut ! confirme Bona. La Machine est une bienfaitrice pour Domopolis ! C’est elle qui en assure l’unité ! Elle a redonné aux Doms leur fierté, leur grandeur ! Sans elle, le pays retournerait inévitablement au chaos !
_ Et du côté de la propagande, reprend Tautonus, vous avez trouvé un angle, pour discréditer Paschic ?
_ Eh bien, nous voulons le faire passer pour un agent de l’étranger, qui cherche à nous miner, à nous détruire, répond Lapsie.
_ Ce n’est pas mal, mais est-ce que ça va être suffisant ?
_ Avec Ganymir, nous rénovons aussi la foi, l’ancienne église ! Vous savez qu’il a un véritable don pour ça ! Ce que nous essayons de rétablir, c’est une morale, des valeurs que Dieu lui-même aurait mises en place ! De cette manière, nous pouvons faire passer Paschic pour un mécréant, un libre-penseur, aux mœurs douteuses, à la perversion avérée !
_ Bien, il finira par être haï, au nom de la morale ! Professeur, que se passerait-il si Paschic était jeté dans le GVI ?
_ Hein ? Euh… Eh bien, il est difficile de l’imaginer… J’ai moi-même contribué à la construction du GVI, qui a d’abord été créé au nom de la liberté, je vous le rappelle ! Son principe est le suivant : l’inconnu mène à l’angoisse, qui elle-même produit de la domination, pour être soulagée ! Or, vous me dites que Paschic est de l’anti-domination… et qu’il a même le pouvoir de disloquer les atomes ! Si nous jetons dans le GVI, il peut certainement y causer une catastrophe !
_ De quel genre ?
_ Mais dans le flux, il est possible qu’il se défende grâce à une bulle de nature, bien que je comprenne pas encore très bien comment cela fonctionne… Mais cette bulle pourrait faire exploser le GVI ! D’un seul coup, le dôme qui nous protège disparaîtrait ! La domination serait en péril et le GVI serait visible pour tous les Doms ! Vous avez parlé de panique, tout à l’heure…
_ Évidemment, nous ne pouvons pas prendre ce risque ! L’ordre nous est indispensable !
_ J’ai l’impression que ce Paschic, reprend Ratamor, veuille nous conduire à une nouvelle conscience… Mais est-elle scientifique ? Peut-on l’analyser avec la raison, ou bien relève-telle seulement du phantasme ? Il faudrait l’étudier, demander ce qu’il en est à Paschic…
_ Peuh ! coupe Lapsie. Sait-il lui-même ce qu’il fait !
_ On pourrait le défier ! s’écrie Bona.
_ Que voulez-vous dire ? demande le général.
_ Tout le monde connaît la légende de la porte qui mènerait les Doms au bonheur…
_ La porte de la Vérité ?
_ Exactement ! Demandons à Paschic de former une expédition, afin de la trouver ! Comme il échouera, il perdra tout crédit !
_ Hum… Comme vous le dites, c’est une légende… Paschic refusera sans doute de marcher…
_ Mais c’est lui-même qui en parle… Alors…
_ Très bien, j’en parlerai à la Machine !
_ Et s’il trouve effectivement cette porte ? intervient Lapsie. De quoi aurons-nous l’air ?
_ Eh bien, tout simplement, ce sera la fin du GVI, coupe Ratamor. Et au fond cela ne se peut ! La science est la seule vérité et elle contribue au GVI ! Elle ne dit pas aux gens comment penser, mais au contraire elle leur donne la liberté de le faire !
_ Suffit pour la philosophie, professeur ! Mais, dites-moi, ne serait-il pas possible de renforcer les pouvoirs de le Machine, en la plaçant elle-même dans le GVI ?
_ A l’intérieur même du GVI, la Machine se retrouverait sans domination… et elle serait donc détruite ! Le pouvoir de la Machine est une conséquence du GVI, mais il n’en est pas l’essence !
_ Tout cela me dépasse, professeur ! Je suis avant tout un soldat, aux ordres de la Machine… Bien, je crois que nous avons fait le tour de la question… et il ne reste plus à chacun que de donner le meilleur ! »
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Ce soir-là, Paschic et le docteur Cool essaient de profiter de la petite hausse des températures et ils se promènent sur un boulevard de la ville… Mais soudain des dizaines de personnes s’enfuient devant leurs yeux ! « Qu’est-ce qui se passe ? demande Cool.
_ Les morts ! Les morts sortent de leur tombe ! crie quelqu’un à la cantonade.
_ Les morts ? »
Cool et Paschic regardent le boulevard, maintenant désert ! Il y a d’abord un brouillard, puis le premier cadavre en sort ! Il est en putréfaction, pourri ! On voit une partie de ses os, sous des haillons ! Il a pourtant les yeux qui brillent, rouges, avec un air de colère et de haine ! Un second apparaît, puis un troisième et peu à peu, c’est comme une foule muette, cauchemardesque qui avance !
« Comment est-ce possible ? s’écrie Cool d’une voix glacée.
_ Regardez derrière ! répond Paschic. Le GVI ! »
En effet, au centre de Domopolis, le GVI, sous la forme d’une colonne bleuâtre, se dresse au-dessus de son bâtiment, et son flux s’éparpille, tels des tentacules innombrables, jusqu’à toucher les morts !
« C’est le GVI qui les ranime ! fait Cool.
_ Il crée de la peur et donc de la sur-domination ! C’est elle qui les fait tenir debout !
_ Mais alors, cela veut dire qu’ils veulent notre peau !
_ J’en ai bien peur! Venez, ne restons pas là ! »
Ils se mettent à courir ! « Mais comment arrêter des morts ? demande Cool, alors qu’ils font halte.
_ Il faut arrêter le GVI !
_ Arr… êtez le GVI ? Vous n’êtes pas sérieux !
_ Vous préférez rejoindre les morts ?
_ Non, bien sûr, mais nous sommes si petits ! Le GVI nous détruira à coup sûr !
_ Je vais entrer dedans, pour vous montrer le contraire !
_ Il n’est pas question que vous vous sacrifiez pour rien ! J’ai besoin…, on a besoin de vous ici, pour le futur !
_ Mais je ne vais pas être détruit par le GVI ! Ma vie n’est pas un mensonge… et le GVI ne peut rien contre la vérité !
_ Sur le papier, oui ! Mais qu’en est-il en réalité ?
_ On va le savoir ! »
Cool et Paschic se dirigent vers le flux bleuâtre du GVI, qui brille dans la nuit ! « Attendez-moi là ! dit Paschic. Si au bout d’une heure, vous ne voyez aucune variation dans le flux, rentrez chez vous…
_ Mais c’est insensé, Paschic ! Le GVI est bien plus fort que vous ! »
Mais Paschic n’écoute déjà plus et il se glisse dans le bâtiment, dont il doit rejoindre le sous-sol ! Là, il fait face au flux du GVI et fermement il pénètre à l’intérieur ! C’est un monde froid, plein de turbulences, d’où une voix sépulcrale se fait entendre : « Qui es-tu ? demande-t-elle à Paschic.
_ Je suis la vérité !
_ Ah ! Ah ! C’est moi, la vérité !
_ Pas du tout ! Tu es justement l’apparence, le mensonge, la folie !
_ Aaargh ! Je vais te détruire !
_ Cela ne se peut ! C’est moi, le réel et toi l’illusion ! Tu n’es que du vent et moi, je suis éternel ! »
Le flux redouble d’assaut contre Paschic, comme l’eau sur le rocher et à la fin il s’épuise et diminue ! Paschic en ressort et rejoint Cool ! « Paschic, vous avez réussi ! s’exclame-t-elle.
_ Je n’en suis pas si sûr ! Regardez ces hommes et ces femmes… Sont-ils vraiment vivants ? »
Cool regarde et voit des Doms rigides et pleins de haine ! « N’était leur chair intact, ils auraient en effet l’air d’être…
_ Comme les morts, n’est-ce pas ? Je crains que le GVI n’ait semé son poison…
_ Vous voulez dire que le GVI continuerait d’agir invisiblement… et nous serions entourés de morts ?
_ Nous n’imaginons pas cette haine, pas vrai ? Ils nous ont vus, Cool ! Il nous faut partir !
_ Mais c’est terrible !
_ Bof, voyez ça comme au théâtre ! »
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Le général Tautonus va visiter les laboratoires ultra-secrets de l’armée dom ! Le professeur Ratamor l’accueille avec déférence, car la science, pour continuer d’être financée, n’a pas eu d’autres choix que de se mettre au service du pouvoir ! De toute façon, la vie quotidienne n’a pas cessé de se concentrer sur la Machine, puisque c’est son monde qui doit s’imposer ! Pourtant, cela ne s’est pas fait simplement… L’autocratie de la Machine s’est installée grâce à de bons sentiments ! La Machine a promis à son peuple qu’il retrouverait sa grandeur, son aura, sa puissance, ce qui va de pair bien entendu avec la prospérité et le confort de chacun !
Il a donc fallu faire confiance à la Machine, bien qu’il n’y eût plus qu’une pensée unique, sans opposition ! Lentement, Domopolis a été entraînée vers le fond, tel un sous-marin en panne ! Le seul son de cloche que reçoivent désormais les Doms, c’est ce que leur dit la Machine et elle leur représente un monde qui leur est hostile, menaçant ! Pendant ce temps-là, la Machine a le pouvoir absolu et s’enrichit grâce à la corruption : châteaux, fêtes, vie dorée des proches… ! L’hypocrisie de la Machine est sans bornes et pour que les Doms ne la voit pas, ne se révolte pas, alors que leur vie à eux est misérable, la Machine les entraîne dans une guerre… contre la nature, une grande guerre patriotique contre les arbres et les oiseaux, dont les attaques semblent se répéter !
Est-ce vraiment absurde ? Sans doute, mais une sorte de fièvre, celle de la Machine elle-même, s’est peu à peu emparé des Doms, leur enlevant tout jugement ! C’est que maintenant leur cerveau et celui de la Machine ne font plus qu’un, comme si tous ils habitaient ce dernier et les crises de la Machine, ses torpeurs, ses oublis, ses haines sont aussi les leurs ! En tout cas, il est un budget qui ne se dégonfle pas et c’est celui de la Défense ! Ainsi Ratamor a-t-il carte blanche pour inventer toutes sortes d’armes, toutes sortes d’engins, capables de détruire de toutes les manières ! C’est pourquoi il a invité le général Tautonus, afin de lui présenter sa toute nouvelle invention !
« Général, je vous présente Discor ! dit Ratamor, en montrant un robot plus grand qu’un Dom et dont l’airain brille comme un soleil couchant !
_ Ah ! Ah ! Et que peut-il faire ? J’imagine que ses yeux lancent des rayons laser ! que dans ses bras sont cachées des fusées !
_ Pas du tout, mon général ! Discor est le combattant du futur, celui de l’ère de la communication ! Sa seule arme, c’est la discorde ! Généré par l’IA, il nie tous les faits, balance les choses les plus grosses, tout et son contraire ! Il excite les moindres faiblesses de ses adversaires, les pousse à la haine, se réjouit de leur indignation, de leurs cris ! Il reste insensible aux arguments, à la simple raison, au bon sens, mais au contraire il s’acharne dans l’absurde, s’obstine dans la cruauté ! Il amplifie toutes les failles, brûle toutes les blessures !
_ Je suis déçu… J’espérais une véritable machine de guerre…
_ C’est parce que vous ne voyez pas encore les enjeux de demain ! C’est un serviteur du Relativisme ! Grâce à lui bientôt, il n’y aura plus de vérités universelles, de cohérence, d’harmonie entre les Doms ! Tout ne sera plus que complot, menaces, hontes ! Le ciel sera noir d’égoïsme ! Une chape de plomb s’abattra sur toute bonne volonté ! Tout bon cœur sera raillé, humilié ! Imaginez une curée permanente sur l’intelligence, des Discors rendant folles de haine des populations entières, qu’on pourrait manipuler à loisir ! un océan de boue !
_ Vous m’intriguez...
_ Essayez… Parlez à Discor…
_ Très bien… Bonjour Discor…
_ Bonjour général… On dit que vous avez été nommé à ce grade, à cause de votre père, un vieil ami de la Machine !
_ J’ose espérer que mes qualités ont quand même compté dans cette promotion…
_ Bien sûr général, mais si Domopolis n’avait pas provoqué la nature, on n’aurait pas eu besoin de vous nommer général !
_ Oh ! Mais vous n’y êtes pas du tout ! C’est la nature qui a attaqué Domopolis et non l’inverse !
_ Bah, tout cet argent contre des arbres ! Il serait certainement plus utile pour faire fonctionner les hôpitaux !
_ Mais nous devons nous défendre !
_ Que vous dites ! Et moi, je crois que si chacun s’occupait de ses affaires, le monde irait beaucoup mieux !
_ Mais c’est vous qui à l’instant parliez du fonctionnement des hôpitaux ? Ce n’est pourtant pas votre affaire !
_ Je ne peux pas me taire devant l’injustice !
_ Vous êtes surtout un bel hypocrite ! Soyez au moins logique !
_ Logique devant un pistonné ?
_ Espèce de… Vous avez raison, Ratamor, voilà une arme affreuse ! Mais elle fera notre malheur à tous ! »
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« OK, docteur Cool, je vais maintenant vous apprendre à combattre les Doms !
_ Ah ! Chic ! Eh, mais attendez ! Pourquoi combattrais-je mes semblables ?
_ Vous avez raison, le terme de combattre est impropre… Disons que c’est pour les rendre meilleurs, car il n’est pas question de détruire ! C’est mieux comme ça ?
_ Affirmatif ! Je suis toute oreille !
_ Très bien ! Rappelons d’abord quelques principes… Voyons, nous savons que ce qui fait vivre le Dom est d’abord sa domination ! Plus la domination est grande et plus elle engendre de frustrations et donc de haine ! La haine étant le pire… Ne perdons pas de vue ce principe de base : domination, frustration, haine !
_ D’accord !
_ Il faut donc lutter contre sa propre domination, pour éviter la chaîne fatale… et pour cela il n’y a qu’un seul moyen, le renoncement !
_ Le renoncement ?
_ Oui, le renoncement, qui lui-même n’est possible que grâce à la confiance, autrement dit la foi, qui n’est rien d’autre que de l’amour, c’est pourquoi le renoncement ne saurait être amer !
_ Ouh là ! Ouh là ! C’est que j’ suis un peu perdu là !
_ Ah ! Ah ! Je l’ai fait exprès ! Mais un renoncement, qui ne se ferait pas par amour, amènerait forcément de la tristesse et de la haine ! Imaginez que je dépose sur la table un gros gâteau… et que vous ayez faim ! Vous devez renoncer à manger du gâteau, à cause d’une règle, qui dit par exemple que le docteur Cool n’a pas droit au gâteau avant demain ! Que va-t-il se passer ? Vous allez penser que c’est une règle dure, mais que c’est la règle, hein ?
_ C’est vrai, ça va être dur !
_ Mais encore vous allez surveiller tout le monde, afin de voir si les autres obéissent aussi à la règle, car il n’y a pas de raisons que vous soyez la seule ! Et si jamais quelqu’un s’approche du gâteau…
_ Je lui saute dessus !
_ Voilà ! Pour que le renoncement conduise à la paix, il doit avoir pour guide l’amour ! Autrement, s’il ne vous conduit pas au bonheur, vous faites fausse route ! A chaque fois que vous renoncez, la fibre de l’amour doit vibrer en vous ! C’est un pas vers la confiance, vers la vérité, que vous devez sentir comme telle ! Si j’emploie le verbe devoir, ce n’est pas pour signifier une obligation ; c’est seulement une suite logique… Bon, prenons la patience… On simule la situation : tout le monde est énervé autour de vous… Vous sentez la pression... Vous y êtes ?
_ Hon, hon…
_ Efforcez-vous de vous détacher de l’impatience qui monte en vous… Devenez la maîtresse de votre égoïsme… Sentez le champ de l’infini s’ouvrir en vous… La spiritualité est comme une fleur, qui ne demande qu’à se développer, à condition qu’on lui laisse de la place... Attention, soyez prête au don, à la douceur, à l’amour ! Votre patience en témoigne ! »
A cet instant, le docteur Cool s’illumine ! « Bon sang ! Mais qu’est-ce qui se passe ? s’écrie-t-elle.
_ C’est la lumière ! Vous commencez à rayonner !
_ Waoouh ! C’est extraordinaire !
_ Faites jouer cette lumière, apprivoisez-là ! Elle s’empare de tout votre corps !
_ Je me sens plus puissante !
_ Et vous l’êtes ! Votre individualité grandit, à mesure que vous vous détachez de votre égoïsme !
_ J’ai l’impression que… le monde change ! que je ne le verrai plus de la même manière !
_ C’est le cas !
_ J’ai… j’ai peur !
_ C’est normal ! Vous changez et ça vous inquiète ! Mais la lumière va venir se concentrer dans vos yeux ! C’est votre regard qui va exprimer au maximum votre nouveau rayonnement !
_ Je ne peux pas vraiment m’en rendre compte…
_ Non, c’est en présence des autres Doms que vous sentirez toute la différence ! Et ils vous haïront pour cela !
_ Comment ça ?
_ Tous ceux qui veulent le pouvoir verront que c’est vous qui l’avez vraiment, par votre force spirituelle ! Mais, au lieu de se demander comment vous y êtes parvenue, ils voudront vous détruire, car vous serez pour eux un obstacle !
_ Mais ils pourraient faire comme moi !
_ C’est le drame des Doms ! Plus vous renoncerez, plus vous ferez place à la lumière et plus votre regard gênera les Doms ! Vous verrez, vous pourrez lire en eux !
_ Comme c’est excitant !
_ Ne vous emballez pas tout de même ! La route est longue ! »
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Les Doms (53-57)
- Le 01/06/2024
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"Je suis sûr qu'on peut se télétransporter dans la distorsion!"
Star Trek
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Un échange est organisé avec Ganymir, en présence de la Machine et du gouvernement, mais Paschic et Cool sont aussi invités ! C’est assez informel, car on boit et on mange, quoique Ganymir soit le centre d’intérêt et attire toute l’attention ! Il est aidé en cela par Lapsie, qui protège son « champion » et dont elle loue le génie ! Cool et Paschic s’approchent, flûtes en main, pour mieux écouter le prophète, qui dit : « Il n’y a pas de vérités universelles ! J’appelle cela le Relativisme ! On dit que le régime de la Machine n’est pas démocratique, mais qu’est-ce que la démocratie, qu’est-ce que la liberté ? Ne faut-il pas de l’ordre, des valeurs pour être heureux ? Et moi, je vous dis que la Machine est notre mère à tous et qu’elle veille à notre bien-être ! Les Doms ont une mission civilisatrice ! Ils doivent apporter la lumière dans le monde ! »
On applaudit ces propos, on se réjouit de se sentir les plus forts ! Paschic prend la parole : « Je crois comprendre que vous prônez la puissance, le pouvoir, qui s’opposent naturellement à la liberté individuelle, à la tolérance et même à l’amour ! Et c’est pourquoi, sans doute, vous inventez le Relativisme, vous niez les valeurs universelles, car elles gênent vos ambitions !
_ Vous êtes Paschic, n’est-ce pas ? L’homme qui parle aux arbres, celui que certains appellent le Réparateur, hi ! hi ! Mais, cher monsieur, on ne fait pas de la politique avec de la poésie ! Il faut être réaliste ! Maintenir toute une population demande de la poigne !
_ Vous voulez dire que conserver le pouvoir est ennemi de la démocratie !
_ Mais les gens n’ont pas besoin de penser ! Du moment qu’ils sont chauffés et nourris, que peuvent-ils souhaiter de plus ? C’est à nous, l’élite, que revient la lourde tâche de prendre des décisions !
_ Ah bon ? La pitié, la compassion ne vous touchent pas ?
_ Pour qui me prenez-vous ? pour un monstre ? Moi aussi, je suis sensible ! Mais il n’y a pas de véritables libertés sans ordre, sans valeur morales ! Qu’est-ce que vous voulez ? Le chaos, le grand n’importe quoi ?
_ Je peux déjà vous énoncer une vérité universelle, puisqu’elle vient du règne animal ! Plus nous avons peur et plus nous avons le réflexe de dominer ! Autrement dit, plus nous avons peur et plus nous voulons diriger et supprimer toute opposition, toute différence ! Plus nous avons peur et plus la démocratie nous dégoûte !
_ Ah ! Ah ! Mais, cher monsieur, je n’ai pas peur !
_ Oh ! Mais si, vous avez peur, car nous avons tous peur et nous sommes tous très petits ! C’est le pouvoir qui nous donne l’illusion du contraire ! C’est lui qui nous aveugle et qui nous rend haineux, quand il est menacé ! Car alors la peur refait son apparition...
_ Bien, je vois que vous voulez à tout prix avoir raison ! Il nous faut donc vous laisser parler ! Et donc quelles seraient les solutions pour l’avenir selon vous ?
_ Eh bien, il nous faut déjà trouver un autre remède à la peur que celui de la domination ! Sinon, nous entrerons dans une ultime guerre, qui anéantira la planète ! Mais, comment guérir de sa peur sans le pouvoir ? Voilà la question !
_ Mon Dieu, comme vous êtes sérieux ! coupe Lapsie. Ne pouvez-vous pas faire comme nous… et vous réjouir du moment ?
_ C’est vrai, je ne suis pas chic…
_ Vous nous avez posé une question, reprend Ganymir, mais vous-même n’y avez pas répondu !
_ Je ne peux pas tout vous mâcher… Je vous demande seulement de réfléchir au rapport domination et peur… et voir combien il est préjudiciable…
_ Monsieur est trop bon ! se gausse Ganymir. Et moi, je vous dis que la force est la solution ! Nous, les Doms, devons êtres fiers de ce que nous sommes ! Le Dom, un jour, dirigera le monde ! Nous serons un exemple pour tous ! Et la nature, dehors, n’aura qu’à bien se tenir !
_ Et moi, je vous dis qu’on ne guérira pas de la peur, par une surenchère de force ! Il est d’abord nécessaire de se débarrasser de sa propre peur… et il est vain de croire y arriver sans spiritualité !
_ Et allez donc ! Revoilà les bondieuseries ! coupe de nouveau Lapsie.
_ Seriez-vous un intégriste ? demande Ganymir à Paschic.
_ Comme je vous l’ai dit, je suis un ennemi de la domination ! Je n’impose donc rien ! Mais c’est pouvoir s’offrir qui sauvera le monde ! C’est en aimant l’autre malgré sa différence qu’on le rassure et qu’on le fait grandir ! Mais, encore une fois, cela n’est possible que si soi-même on n’a plus besoin de dominer !
_ Pff ! Les mystiques n’ont rien à faire en politique !
_ Le réchauffement climatique ne sera pas réglé par une lutte entre les pouvoirs ! Le destin de l’humanité est le développement de la conscience individuelle ! Notre avenir, c’est la fin de l’égoïsme ! »
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« Qu’est-ce qu’il est barbant, ce Paschic ! dit Lapsie à Ganymir, une fois que tous les deux se retrouvent dans l’appartement de la première.
_ Bah ! C’est un perdant ! Et il le sait !
_ C’est pire que ça ! C’est un d’ ces narcissiques, qui jugent le monde et ne savent pas s’adapter !
_ Ses frustrations sont en effet évidentes ! Un dernier verre ?
_ Oui, volontiers… Tu trouveras tout ce qu’il faut dans le bar là-bas… Tu sais, c’est le genre de gars qui, quand ils sont jeunes, se tiennent sur la touche, en regardant les autres s’amuser ! On dirait qu’ils boudent et ils se jurent alors qu’il se vengeront un jour, du peu d’intérêt qu’ils suscitent !
_ Ils veulent mettre les autres aux pas, pour se faire aimer !
_ Exactement ! Ils donnent des dictateurs, des fanatiques !
_ Alors qu’il leur suffirait de s’ouvrir aux joies du sexe !
_ Ah ! Ah ! Je te vois venir !
_ Et ?
_ Eh bien, viens m’embrasser ! »
Plus tard, quand les corps sont apaisés et couchés, Ganymir a un étrange rêve ! Il sent qu’il y a une vive lumière à ses pieds et que celle-ci monte en lui ! Comme il en a peur, il essaie de la fuir, en fermant des portes, mais à chaque fois la lumière les fait exploser et les traverse ! Finalement, au moment même où il sent qu’il va être rejoint et envahi, il se réveille brusquement, en sueur, ce qui provoque le réveil de Lapsie !
« Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-elle. Tu es tout en nage !
_ Un cauchemar ! J’ai fait un affreux cauchemar !
_ Mon pauvre chéri ! Viens par ici… Là, ce n’est rien, rendors-toi…
_ Tu sais, ça a à voir avec ce… Paschic ! Je ne sais pas pourquoi, mais je le sens ! Il est dangereux, ce type !
_ Je sais… Il pose un problème… Mais il est connu… On l’aime et on ne peut pas le supprimer comme ça !
_ Bien sûr, mais on pourrait le discréditer ! Tes services sont là pour ça, non ? Est-ce qu’il paye bien ses impôts ? On pourrait lui reprocher de frauder le fisc, augmenter toujours les arriérés, de sorte qu’il aille en prison ?
_ Ça ne convient pas pour le personnage… Il serait chef d’entreprise, ce serait en en effet la solution, mais là… On attaque pas un idéaliste, avec des histoires d’argent…
_ Bon, si tu le dis... Alors, accusons ses mœurs ! Trempons-le dans une affaire de pédophilie ! Hein ? Rien de tel pour choquer les gens !
_ Évidemment, sa réputation en prendrait un coup ! Mais je voudrais que son cas puisse faire avancer notre politique !
_ Je ne te suis pas très bien…
_ Je ne sais pas si tu as remarqué…, mais il a l’air de venir de l’étranger ! Il y a quelque chose chez lui qui fait penser qu’il n’est pas de Domopolis !
_ Oui, tu as raison… Il n’a pas le type même du Dom !
_ C’est cela ! Imagine maintenant que l’on dénonce à travers lui une influence étrangère néfaste pour notre mode de vie, pour la sécurité de Domopolis ! Non seulement nous nous débarrassons de lui, mais en plus nous affirmons la menace d’une puissance étrangère et nous demandons plus de pouvoir, pour lutter contre elle !
_ Bon sang ! Tu es machiavélique ! Je ne vous vois déjà tous les deux au firmament ! Nous serons intouchables et je pourrai commencer à entrer en guerre contre la nature !
_ Quand je te disais que tu pouvais me faire confiance !
_ Oui, j’ai misé sur le bon cheval !
_ Comment ? Tu me prends pour une jument ?
_ C’est affectif ! C’est même purement sensuel !
_ Je comprends… Alors montre-moi que tu es un vrai pur-sang ! »
Dans un coin de la pièce, malgré les ébats à laquelle elle assiste, se tient une vieille dame, bien silencieuse, qui ne dit jamais rien ! Personne n’a jamais vu son visage, mais tout le monde connaît sa faux, dont l’acier brille dans la nuit ! C’est elle qui donne à la vie sa réalité !
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Peu de jours après, Ganymir et Lapsie font un grand discours du haut de la tour du Pouvoir, avec l’approbation de la Machine et devant une foule dense ! « Nous sommes entourés d’ennemis, qui veulent détruire notre mode de vie, nos valeurs et nos libertés ! Allons-nous supporter cela ? N’allons-nous pas réagir, par mollesse ? Ne sommes-nous pas forts ? Ne sommes-nous pas fiers de notre pays ? Nous, les Doms, allons-nous dire à l’ennemi : « Mais voyons, entre dans ma maison ! Pille-la ! Prends ma femme et insulte mes enfants ! » Allons-nous dire cela, alors que la menace est à nos portes ? Ou bien…, ou bien allons-nous prendre les armes, suivre l’exemple de nos pères, ces héros ? »
« Les armes ! Les armes ! », « Au combat ! », « A bas l’ennemi ! » entend-on ici et là parmi la foule, qui lève des bras, montre sa colère, sa rage, qui fait jouer ses muscles ! Mais derrière il y a un mouvement, qui oblige les gens à se retourner, à s’écarter ! Un nouveau flux de Doms pénètre le précédent, mais ne s’y rajoute pas ! Ce sont des Doms bien différents ! Ils ont l’air plus vieux, moins vigoureux, plus courbés ! C’est le peuple de l’ombre, de l’anonymat, celui qui toujours subit, qui jamais ne s’enchante dans la lumière, qui vit chichement, qui est habitué aux coups des puissants et du sort, qui est malade à force d’avoir peur ! C’est le peuple des sans-grades, des sans voix, voûté, sombre, traînant, sur cette planète perdue dans le cosmos !
On le laisse passer, presque par dégoût, à cause de son allure de limace ! Puis, sous la tour, son porte-parole s’adresse à Ganymir : « Donne-nous de l’eau, toi, le prophète ! Donne-nous l’eau de la vie ! Donne-nous de l’espoir ! Nous sommes les assoiffés, les désespérés ! Nous voulons boire, nous rafraîchir ! Donne-nous de l’espoir, nous t’en prions !
_ Je te donnerai ce que tu désires, grand-père ! Je te donnerai la victoire sur le champ de bataille ! Tu entendras parler de nos exploits et tu te réjouiras dans la chaumière ! Tu seras fier de notre gloire ! Tu parleras aux enfants de tel ou tel soldat, qui aura tué l’ennemi ! Tu chanteras l’obus qui aura percé le char ! Tu raconteras comment tel missile est tombé juste sur le camp adverse ! Le feu du combat réveillera tes veines, te tiendra chaud ! Tu rêveras les yeux fermés de notre grandeur, de la grandeur des Doms !
_ Excuse-moi, mais je n’ai plus l’âge des illusions ! Comment pourrais-je me réjouir du cri de douleur de la femme et de l’enfant ? Je suis déjà une ruine et je voudrais en voir partout ? Crois-tu que les morts se comptent comme des buts de football ? Je t’ai demandé à boire, car nos cœurs ont soif ! Nos âmes sont asséchées et tu nous donnes du sang ! de la poussière, des larmes et les fracas des bombes ? Où est l’espoir là-dedans ?
_ Mais nous n’avons pas le choix ! L’ennemi est à nos portes et a juré notre perte ! Il nous faut nous défendre !
_ Je ne vois pas d’ennemis envahir le pays… Tout est comme avant… Tu sembles t’exciter toi-même ! N’est-ce pas toi l’ambitieux ? N’est-ce pas toi qui veut la guerre, pour te rendre important ? Nous, on ne croit plus aux ambitions ! La lumière des médias nous fatigue ! Les querelles du pouvoir aussi ! L’argent même nous dégoûte ! Donne-nous à boire, de l’espoir ! Donne-nous le cœur à vivre !
_ Très bien ! Qu’on leur apporte les jarres de l’amitié ! Qu’ils étanchent leur soif ! »
Des jarres sont sorties par les portes de la tour et sont placées devant la foule des malheureux ! On y puise et on verse une eau noire dans les bols ! « C’est l’eau de la corruption ! s’écrie le vieux. N’en buvez pas mes enfants ! C’est l’eau du pouvoir qui s’enrichit par le crime et la malversation !
_ A la fin, tu nous ennuies, le vieux ! réplique Ganymir. Gardes, chassez ces gueux, ces loqueteux ! Ces ratés ! Allez, la racaille ! On fout le camp ! Le cirque a assez duré ! »
La police intervient, on bouscule le vieux, on le piétine et on chasse le reste à coups de matraque ! C’est la panique, des cris, des pleurs, des chocs ! Puis, dans la mêlée se dressent subitement des tiges vertes, couvertes de perles de rosée étincelantes ! Leur éclat et leur fraîcheur sont tels que le peuple des gueux n’y résiste pas ! Ils boivent les gouttes avec avidité, ils se régalent et leur visage s’éclaire ! « Qu’est-ce que cela ? disent-ils. D’où cela vient-il ? Eh, Mais c’est ce Paschic qui crée ce miracle ! Il est là ! Gloire à Paschic, qui nous donne de l’espoir !
_ Buvez mes amis ! fait Paschic. Soyez consolés ! Je vous donne un peu de la vérité !
_ Vive Paschic ! »
Au balcon du pouvoir, les visages se ferment ! La haine se lit sur tous et on n’y jure plus que la perte du perturbateur, du Réparateur !
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Qu’est-ce qui a fait de Domopolis une dictature ? Ce n’est pas seulement la personnalité de la Machine, mais ce sont aussi les ressources du sous-sol ! En effet, Domopolis et ses environs s’étendent sur d’immense réserves de gaz et de pétrole, ce qui donne aux Doms une économie « rentière », qui n’a pas besoin d’être libérale, en favorisant la création d’entreprises ! Tant que Domopolis vend son pétrole ou son gaz, le pays fonctionne et il a suffi à la Machine de prendre le contrôle de cette exploitation, pour assurer la pérennité de son règne ! Pourquoi se soucier de la liberté, quand elle n’apparaît pas nécessaire ?
Ici, on doit prendre en compte la psychologie de la Machine…, car elle aurait pu profiter des richesses de Domopolis, afin de viser le bonheur des Doms, mais la Machine est issue d’un milieu très pauvre et elle a été marquée par le manque et un profond sentiment d’insécurité ! Elle a donc cherché, en même temps qu’elle accédait au pouvoir, à s’enrichir personnellement, ce qui lui évitait de se retrouver sans le sou, après une défaite électorale ! En puisant dans les caisses de l’État, la Machine a été la première à montrer aux Doms qu’on ne pouvait réussir sans la corruption et dès lors le libéralisme n’a plus été possible !
Il y a une troisième chose qui a conduit Domopolis à la dictature et c’est l’histoire même des Doms ! Pendant longtemps ils ont été sous l’emprise d’une idéologie mortifère, qui soupçonnait tout le monde et qui se débarrassait de ses adversaires, par les moyens les plus lâches et les plus cruels ! La Machine a été éduqué par ce système et elle ne connaît pas le dialogue, l’affrontement démocratique, par des arguments ! Au contraire, dès qu’elle se sent menacée, elle a recours à de fausses accusations (fraude, drogue, pédophilie…) et même au meurtre, pour détruire ses adversaires ! La paranoïa de l’ancienne idéologie ne l’a pas quittée et dans ces conditions, elle interdit également que la lumière soit faite sur la véritable histoire des Doms, puisque ce serait lui tendre un miroir !
Mais, aujourd’hui, on organise une partie de chasse hors de la ville, dans une étendue quasi désertique, pour le plaisir de l’élite de Domopolis ! Chacune a son arme : la Machine, Bona, Lapsie, Tautonus, Ganymir, monsieur Nuit, le duc de l’Emploi et quelques autres ! On est placé sur des véhicules motorisés, pour suivre l’événement et tirer sur le gibier, mais en l’occurrence il est très spécial, car c’est une femme, très belle, très vigoureuse, mais qui dans sa cage regarde avec inquiétude ce qui est en train de se passer !
On la libère cependant et on lui donne une certaine avance, pour le sport ! La femme se met à courir et sa foulée est une merveille à voir ! On sent qu’elle a de l’endurance, qu’elle est habituée à l’effort et cela excite d’autant plus les chasseurs, qui font vrombir leurs véhicules, qui se lancent à l’assaut des collines, qui scrutent l’horizon, avant de crier : « Là voilà » et c’est la ruée ! On commence à tirer, de loin… On en a l’eau à la bouche, on est totalement sous l’effet de l’adrénaline ! Mais la femme est exceptionnelle : elle échappe à toutes les balles et semble inatteignable ! On se rapproche, on jure, on manque de se percuter, on est gagné par la colère et on vise moins bien ! Pire, un chauffeur est tué et un équipage se retourne ! Il faut porter secours aux blessés et l’exaspération est à son maximum ! Il ne reste plus qu’un moyen pour détruire la proie : les hyènes de la propagande !
Elles ont été transformées génétiquement, ce sont des monstres ! Elles n’ont qu’un but, déchirer et tuer ! Elles poussent leurs cris lugubres, qui rendent fou, qui font croire n’importe quoi, qui imitent les chants de la sirène aussi bien que les rugissements du lion ! On est terrorisé avant même leur attaque, car leur côté veule ajoute à leur férocité ! Elles enlèvent tout jugement et on leur est soumis ! Mais voilà les fauves sont lâchés ! C’est une vraie meute, aux méthodes tentaculaires ! Elle se disperse pour mieux frapper !
Elle aussi vient de l’ancienne idéologie dictatoriale ! La propagande a toujours servi le pouvoir et a maintenu Domopolis dans l’isolement, racontant déjà à ses habitants qu’ils étaient entourés d’ennemis, d’un monde hostile et que parmi eux vivaient des espions et des traîtres ! Déjà elle manipulait les faits et l’histoire, écrasant sans pitié la contradiction !
Mais la nuit vient et joue en faveur de la femme ! De là où ils sont, les chasseurs ne savent plus quoi penser… Ils ont beau observer les lointains, ils n’ont aucune réponse ! Là-bas, on n’entend plus la meute, aucun signe de la curée ! La femme a-t-elle réussi à se sauver, grâce à l’obscurité ? On s’énerve, le plaisir est gâché ! Quelqu’un demande qui est cette femme, pourquoi l’a-t-on choisie, quel est son nom ? On lui répond qu’elle s’appelle Vérité !
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Paschic remarque que bon nombre de Doms portent un collier qui signale leur état d’esclave ! Cela avait d’abord échappé à Paschic, car ce collier n’est pas évidemment visible et pourtant ceux qui en sont ceints ont souvent une vie qui leur pèse, occupée à des tâches pénibles, avec une attitude misérable ! Ils se révoltent par ailleurs régulièrement… Exaspérés par leur condition d’esclaves, ils manifestent, parfois très violemment, contre le gouvernement de la Machine, qu’ils accusent d’être à l’origine de leur triste sort !
C’est lors d’un de ces soulèvements que Paschic se met à s’intéresser à ce collier… Il est fait d’un acier spécial, ce qui rend son ouverture tout aussi particulière ! Mais Paschic reconnaît l’acier de Tortoren, une planète où il a vécu autrefois et qu’il a longtemps observée… Sur Tortoren, l’acier est liquide et il coule entre des pierres noires, en produisant de petites gerbes argentées ! Si on les contemple, on finit par comprendre leur langage… Elles ont un effet hypnotique et deviennent le miroir de la conscience ! Le « chant » de Tortoren est bien connu pour ses vertus apaisantes, mais, ce que l’on sait moins, c’est qu’il développe le cheminement intérieur, éclaire la connaissance et révèle des secrets !
En voyant ces colliers, en acier de Tortoren, Paschic ne peut s’empêcher de crier aux manifestants : « Moi, je sais comment vous libérer ! Je connais le système d’ouverture de vos colliers ! Laissez-moi vous les enlever ! » C’est d’abord la surprise dans les yeux de ceux à qui ils s’adressent, puis l’incompréhension laisse place à de l’irritation, de la colère : « Qu’est-ce que tu veux, toi ? demande-t-on à Paschic. Tu es avec eux, avec le gouvernement ?
_ Pas du tout ! Je sais seulement comment on ouvre ces colliers ! C’est l’acier de Tortoren ! Je peux vous rendre libres !
_ Comment pourrais-tu nous aider, si t’es pas du gouvernement ! Ces colliers, ils viennent du gouvernement ! C’est lui qui nous a fait esclaves !
_ Vous vous trompez ! Je peux vous le montrer sur le champ !
_ Voyez-vous ça ! Eh, les gars, y a une mouche de la police parmi nous ! Elle veut nous diviser ! »
Plusieurs manifestants s’en prennent maintenant à Paschic… On commence à le pousser, puis un coup part, suivi d’un second ! Paschic va succomber, quand il est tiré en arrière par le docteur Cool, qui se met à crier sur Paschic : « Mais t’es encore saoul, ma parole ! T’es là à jouer les caïds, alors que le ménage t’attend toujours ! Et les gosses, qui va s’occuper des gosses ? Sale fainéant ! » Face à ce qui ressemble à une scène de couple, on laisse Paschic et on ricane : une grande gueule qui est sous la domination de sa femme !
Paschic et Cool peuvent s’éloigner… « Eh ben, dis donc, fait Cool, j’ai bien cru qu’ils allaient vous massacrer ! Non mais qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?
_ Je vous remercie… Ouille… Je voulais juste les libérer…
_ Les libérer ?
_ Oui, leur collier est de Tortoren… J’en connais l’ouverture, mais ils croient que c’est le gouvernement qui en détient la clé !
_ Même pas ! La lutte contre le gouvernement n’est qu’un prétexte ! Ils le savent bien au fond, allez…
_ Qu’est-ce que vous voulez dire…
_ Il existe une vieille légende dom, au sujet de ces colliers… Elle raconte que si on les enlève, le Dom s’envole ! Il n’a plus de pesanteur ! C’est d’ailleurs pour ça que ces colliers sont appelés colliers gravitationnels !
_ Mais c’est insensé !
_ Insensé ou pas ! Le Dom y est très sensible, à cette légende, ou cette superstition, si vous voulez !
_ Même vous ?
_ Même moi ! C’est bête, hein, hi, hi ! Mais, en tout cas, imaginez le sentiment de ces gens, quand vous leur avez proposé d’ôter le collier ! C’est la peur essentiellement qui les a fait réagir ! la peur de s’envoler, d’être en proie à tous les vents !
_ Je comprends… Ouch, j’ai mal au cou maintenant !
_ Dites, vous êtes sûr pour l’acier de Tortoren ? Non parce que moi, je voudrais être complètement libre !
_ Oui, je vous apprendrai ce secret… »
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Les Doms (49-52)
- Le 25/05/2024
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"Et tous ces morts parce que mon père a aimé votre mère!"
Blue Ruin
49
Au pied du GVI (Grand Vide Intérieur), que d’aucuns appellent encore le GPI (Grande Peur Intérieure), il existe un service dit des Bocaux ! Des Doms, en grand nombre, vêtus de blouses, saisissent les cerveaux de ceux qui viennent de mourir et qui ont compté dans la société ! Ces cerveaux sont finement analysés, nettoyés, vidés, avant d’être placés dans un bocal étiqueté, pour rejoindre l’immense Cerveauthèque des Doms !
Cet incessant et minutieux travail est effectué au nom de l’objectivité, qui permet aux Doms de se situer et de ne pas s’égarer ! Ils y voient là la garantie de leur liberté et même de leurs doutes ! En répertoriant chaque pensée, ils neutralisent, croient-ils, toutes les passions et leurs pièges : fausses croyances, intégrisme, sublimations néfastes, partis pris, rêveries creuses, etc. ! Ainsi, grâce à leur Cerveauthèque, les Doms se félicitent de leur lucidité et même de leur courage, car devant la mort ne gardent-ils pas les yeux ouverts, ne sont-ils pas dépourvus d’illusions ?
Ils ont d’ailleurs d’étranges formules, par exemple : « Celui qui craint la mort craint d’abord la vie ! », «Triomphe de la mort par la reproduction (ce qui n’est plus vraiment valable, avec le réchauffement climatique… et les Doms d’ailleurs ne se reproduisent plus, à l’instar des animaux, quand ils jugent les conditions de vie défavorables!) ! On peut encore entendre : « Sois spirituel sans Dieu ! », ce qui est assez énigmatique, mais le Dom, on le voit, a à cœur de trouver un sens à sa vie, voudrait combler le GVI, comme si la Cerveauthèque ne constituait justement pas l’énergie du GVI, avec tous ses bocaux étiquetés servant de piles !
Toujours est-il que l’une des personnes responsables de la Cerveauthèque est l’incomparable Lapsie, véritable cerbère du soi-disant libre-arbitre ! Dans son bureau et visibles sur les murs, on trouve des slogans du genre : « Morts aux PN (Pervers Narcissiques) ! », « Je suis objective, vous ne l’êtes pas ! », « Tout est projection, sauf moi ! », « Le sexe est mon credo ! », « Votre ombre vous trahit ! », etc. ! On sent tout de suite qu’on est en face d’une femme forte, à qui on ne la fait pas ! C’est un mur inaccessible pour le naïf, le rêveur, le faible qui se plaint tout le temps ! Nous sommes ici en guerre, pour la raison contre les bavardages inutiles !
En face de Lapsie se tiennent deux agents du GVI, Tom et Pom, deux serviteurs zélés de l’impartialité ! « Je vous ai fait venir, dit Lapsie, car ce Paschic m’inquiète ! Vous savez comment déjà on l’appelle ? Le Réparateur ! Car il il serait celui qui répare le lien entre les Doms et la nature ! Rien que cela ! Je voudrais que vous me calibriez ce type, que vous lui fassiez un peu peur, afin qu’il rentre dans le rang ! »
A cet instant, une alarme se déclenche, pour indiquer que le taux de passion dans le bureau a dépassé la norme, signe que les esprits s’échauffent outre mesure ! Cette alarme fonctionne comme un détecteur de fumée, mais en s’appuyant sur le niveau sonore et la température des corps ! Car le GVI présente au moins un paradoxe : s’il est là pour garantir la liberté, au service de l’objectivité, il crée aussi de la peur et de l’angoisse, ce qui mène inéluctablement à la haine, l’agressivité et la violence ! Même une femme aussi avertie que Lapsie ne peut échapper à ce phénomène et bien que scientifique, elle cède à son envie de pouvoir, pour reprendre le contrôle et retrouver sa sécurité ! Heureusement, les dirigeants, dans leur infinie sagesse, ont donc installé des alertes dès que la passion devient aveuglante !
« Vous allez chahuter ce fumier ! chuchote maintenant Lapsie. Vous lui donnerez un bon avertissement, pour qu’il sache qui est le maître ! » Lapsie prononce ces dernières paroles d’un air dégagé, comme si elle avait repris tout son sang-froid et Tom et Pom partent en chasse ! Cependant, les agents du GVI ne sont pas réputés pour leur vitesse, parce qu’il faut qu’à chaque pas ils vérifient la loi de la gravitation et ils ont l’air ainsi de cosmonautes lourdement harnachés !
On peut les voir venir de loin et s’enfuir, mais s’ils vous saisissent, alors vous êtes perdu ! Le poison noir du GVI vous atteint ! Vous voilà en train de soupçonner tout le monde et toute chose ! Vous demandez à présent des comptes, vous n’achetez plus chat en poche, votre liberté est à ce prix ! Les idéologies tremblent devant votre regard pénétrant ! L’obscurantisme honteux rentre sous terre ! Même le maquignon le plus roué échoue à vous tromper et mange son chapeau ! Mais ce ne sont là que les avantages, car en même temps le malheur le plus profond, le désespoir le plus sidéral viennent vous ronger, au nom de votre lucidité, telle la rouille attaque le fer ! Il n’est donc pas étonnant que vous aussi vous vous mettiez à répéter les formules étonnantes du GVI et à en inventer d’autres ! Il vous faut espérer, car la situation est intenable ! Les théories les plus folles vous effleurent ou les messages les plus optimistes sortent de votre bouche ! Par exemple : « C’est la science qui m’a mis dans c’ merdier ! C’est la science qui m’en sortira ! » Évidemment, un telle bravoure, un tel stoïcisme provoquent les applaudissements !
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Comment s’en sortir quand on est touché par un agent du GVI ? Il existe un remède inventé par le GVI lui-même ! Pourquoi ? Mais, comme on l’a dit, le GVI produit aussi de l’angoisse, dont il veut aussi se soulager lui-même, pour diminuer notamment le peuple des Enfants perdus ! Le GVI est donc contraint de lutter contre ses conséquences ! Encore faut-il qu’il les découvre !
Mais le GVI n’est pas bête et il s’est aperçu que l’angoisse n’est pas seulement psychologique, mais encore biologique ! Il a ainsi créé une pilule dite la Bleue, à cause de sa couleur ! La Bleue agit d’une manière plus ou moins directe sur les hormones du cerveau et elle fait que l’individu quitte sa geôle misérable et son pain rassis, pour l’univers coloré et rieur des gagnants ! C’est une sorte de dopage en quelque sorte ! On rigole sur son vélo, en attaquant le sommet, alors que les autres tirent la langue en bas du col ! L’idée, c’est de désinhiber le malade, pour lui montrer qu’un autre monde est possible !
Évidemment, arrêter la Bleue brusquement peut avoir des conséquences dramatiques, car l’univers des gagnants, des extravertis, des gens qui semblent parfaitement équilibrés, est artificiel et faux ! La Bleue maintient dans une illusion et ne guérit pas réellement de l’angoisse, puisque le GVI, son inventeur, ne se voit pas déjà lui-même ! L’arrêt de la Bleue fait tomber le Dom de son palais enchanté dans un abîme sans fin ! La nuit reprend ses droits, car jamais on ne l’a vraiment regardée en face !
Le GVI est bien conscient des inconvénients et des limites de la Bleue, et il préconise au malade de suivre encore une thérapie ! Le Dom angoissé doit donc prendre en compte que c’est lui le problème, nullement le GVI ! C’est lui qui est appelé à changer, mais pas le GVI ! Or, c’est le GVI qui produit de l’angoisse ! Pour garantir son équilibre, le GVI écrase les plus faibles ! Il se sert d’eux, pour ne pas sentir sa propre angoisse ! Ce sont les victimes du GVI qui souffrent et on leur dit plus ou moins que c’est de leur faute ! Le GVI s’essuie les pieds sur les angoissés, pour rayonner et faire croire qu’il est sain ! Donc, malheur à ceux qui ne connaissent pas l’angoisse ! Car ils exploitent les autres ! Ceux qui sont rongés par l’anxiété sont plutôt des doux, bien plus près de la vérité que le GVI !
Il est nécessaire de connaître le fonctionnement du GVI, pour non seulement le stopper, mais encore guérir vraiment soi-même de son angoisse ! Le GVI se nourrit de la domination, c’est l’aliment qui le fait tenir debout ! C’est simple à vérifier : dès que le GVI est menacé, autrement dit dès que sa domination est contrainte, il a une réaction hostile, agressive, voire destructrice ! Son angoisse apparaît et sa haine suit ! Cela prouve qu’il est bâti sur un mensonge, car il n’y a pas de force sans vérité et la force n’a pas besoin de se montrer violente ! Au contraire, l’opposition dont elle est l’objet, la conduit soit au rire, soit à la compassion ! L’un des indicateurs de la présence du GVI, c’est bien l’énervement, l’irritation, la sournoiserie, le désir de vengeance, etc. !
Mais celui qui essaie de guérir de son angoisse doit comprendre qu’il est d’abord une victime, même si sa sensibilité peut s’avérer excessive ! Car, dans la plupart des cas, on a eu intérêt à le piétiner, afin d’assurer sa propre domination ! Par exemple, quand l’enfant est trop lent, avec de faibles résultats scolaires et qu’il pourrait faire honte à la famille ! On s’attendra encore à être le but d’attaques, plus on s’épanouira et on sera libre, car alors on résiste à la domination, on lui échappe, ce qui provoque sa colère et son déséquilibre ! Cela vaut de nouveau si on s’efforce de briser la vitrine du GVI, pour le révéler tel qu’il est ! Cela non plus ne sera pas pardonné ! Tout ce qui touche à la domination du GVI est comme enlever son écuelle à un chien affamé ! On peut y laisser les mains ! En résumé, nul espoir d’éradiquer l’angoisse sans connaître le GVI !
Mais, pour l’heure, les agents du GVI, Tom et Pom, décident de s’occuper de Paschic par la bande, afin que ce soit moins voyant ! Tom et Pom vont voir des extrémistes, des gens donc qui ont le cerveau de la taille d’un petit pois et qui sont toujours prompts à crier à et à se mettre en colère, à cause de leur paresse ! « Les gars, dit Tom, il y a en ce moment un gars à Domopolis qui nous pose des problèmes...
_ Ouais, approuve Pom, un nommé Paschic…
_ Celui qui parle aux arbres ? fait le chef des extrémistes.
_ Tout juste…
_ Le Réparateur ! Hi ! Hi !
_ Et vous savez ce qu’il fait, c’ gars-là ? reprend Tom. Il menace l’ordre !
_ Ouais, ce qu’il veut, c’est le bordel ! renchérit Pom.
_ C’est pas vrai ?
_ Si ! Et quand il n’y a plus d’ordre, il n’y a plus de sécurité !
_ L’enfoiré !
_ On aimerait que vous lui donniez une leçon, question de lui rappeler qui commande !
_ Ben, c’est nous !
_ Voilà !
_ T’as l’ fric ? »
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Paschic et Cool sont pris à partie par les extrémistes, dans la rue ! « Dis donc, t’es bien l’ gars qui parle aux arbres, non ? demande le chef des extrémistes à Paschic.
_ Moi ? Vous rigolez ! Pour parler aux arbres, faut avoir une case en moins, non ? Or, moi, ça va, j’ suis normal, paisible, lucide, avisé, neutre, équilibré… Voyez…
_ Ta, ta, ta ! Te moques pas d’ nous ! On sait très bien qui tu es ! On a ta photo !
_ Donc, peu importe ce que je vous dis, vous êtes venu me chercher des noises ! J’ me trompe ?
_ Tout juste ! Car nous, on aime pas ton comportement !
_ Qu’est-ce que vous me reprochez ? Je ne vous connais même pas !
_ Ben, moi et mes potes, on s’est laissé dire que t’étais un facteur de désordre ! Pas vrai les gars ?
_ Ouais ! Ouais ! Il respecte rien !
_ Même pas la famille ! Et nous on aime bien la famille ! On veut que les mamans qui poussent leur bébé, elles soient tranquilles !
_ Je ne vous pas en quoi je menace l’ordre ou la famille ! réplique Paschic.
_ Ben, t’as une conduite étrange ! Je vais même t’impressionner, j’ dirais que t’es décadent !
_ Comment ça ?
_ Ben, tu parles aux arbres, tu fais croire que c’est normal et c’est contraire à nos valeurs ! C’est pas sain ! Pas vrai, les gars ?
_ Ouais ! Ouais ! Ça, c’est pas sain ! Les enfants après, ils vont croire n’importe quoi !
_ Ce que vous voyez comme de la décadence, répond Paschic, moi, je vois ça comme de la vitalité ! C’est la preuve que la différence existe et que nous sommes de plus en plus nombreux à nous développer, à nous épanouir ! Même si bien entendu on ne peut pas faire n’importe quoi !
_ T’es tombé dans le piège, Paschic ! Car ce que je voulais montrer, c’est qu’ t’es un intellectuel ! quelqu’un qui pense ! Ce qui est dangereux pour l’ordre ! T’as voulu m’en mettre plein la vue… et nous, on va t’en mettre plein la gueule ! Pas vrai les gars ?
_ Oh oui ! On va s’en donner à cœur joie ! Et quand il aura l’air d’une tomate bien mûre, on s’occupera d’ la fille, d’ la pécheresse ! »
A cet instant, Paschic siffle de toutes ses forces et une hirondelle géante descend du ciel et glisse vers le groupe ! « Vite doc ! fait Paschic. On grimpe dessus au passage, car elle s’arrêtera pas !
_ Mais enfin, c’est un rêve ! Je ne peux pas... » gémit Cool, mais Paschic l’empoigne et la couche sur l’hirondelle, dont ils saisissent les plumes ! L’action n’a duré qu’une seconde et a laissé inertes les extrémistes, qui déjà étaient médusés par la taille de l’hirondelle ! Sur le dos de l’oiseau, Cool se met à crier, tant l’ascension est rapide, alors que Domopolis devient toute petite en dessous !
« Calmez-vous ! fait Paschic à Cool. On est sauvé, non ?
_ Que je me calme ? Mais c’est une illusion tout ça ! Ça n’existe pas ! Et j’ai le vertige !
_ Vous n’aimez pas le grand frisson ?
_ Pas sur une chimère !
_ Où en voyez-vous ? Cet oiseau est bien réel, c’est votre confiance qui ne l’est pas ! Tenez, nous allons faire une pause sur ce nuage !
_ Il n’est pas question que je marche sur un nuage ! On le traverserait à coup sûr et ce serait la chute fatale !
_ Faites-moi confiance, on va s’asseoir un peu sur ce chou-fleur… et on regardera un peu le paysage, question de passer le temps ! Allez, hop ! »
De la même façon qu’il avait fait monter Cool sur l’hirondelle, Paschic l’emporte sur des boursouflures blanches et l’y installe ! « Alors ? demande-t-il.
_ C’est bien…, confortable même !
_ Bien sûr ! Vous voyez, j’aimerais que vous compreniez que le savoir ne mène pas à la lourdeur ou au désespoir, mais à la légèreté et à l’innocence ! Il y a une autre voie que celle du GVI !
_ Je ne comprends pas…
_ Ce qui vous fait peur, c’est évidemment votre raison ! C’est la victoire du matérialisme ! qui dit que ce qui n’est pas lui n’est que rêverie ! Et moi, je vais au-delà, parce que je vous parle d’enchantement, de fête, de réconciliation ! C’est la connaissance de l’enfant !
_ Et comment on fait pour descendre maintenant ?
_ Mince ! »
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Depuis quelques jours maintenant des oiseaux noirs recouvrent l’immense dôme de Domopolis ! Ils forment une nuée qui assombrit la ville ! D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? Les Doms inquiets s’interrogent, en levant les yeux ! On essaie de chasser les oiseaux notamment grâce à des jets de vapeur, mais toujours ils reviennent ! Une angoisse, tel un poison insidieux, se glisse dans l’esprit de la population, si bien que la Machine convoque son gouvernement et on retrouve là bien sûr, Bona, Lapsie, Tautonus, le professeur Ratamor et quelques autres...
« La situation est préoccupante, dit la Machine, ces oiseaux nous font comme un ciel noir ! Tous les indicatifs économiques sont en baisse… Le moral des ménages est au plus bas… Il faut trouver une solution !
_ On pourrait faire appel à Paschic, suggère Bona. S’il sait parler aux arbres, il devrait réussir avec les oiseaux… et leur demander de dégager !
_ Pour qu’il nous dise que c’est nous le problème, coupe Lapsie, que c’est nous qui devons d’abord changer ! Non merci ! Je n’ai aucune confiance en Paschic ! Par contre, j’ai quelqu’un d’autre qui pourrait nous aider… Un penseur ou plutôt un prophète ! Je l’ai écouté et je suis sûre qu’il vous plaira la Machine ! Il a une explication convaincante pour les oiseaux et qui sera à notre avantage ! Il s’appelle Ganymir !
_ Eh bien, répond la Machine, écoutons votre champion, si je puis dire !
_ J’ai déjà organisé une conférence, où toute l’élite de Domopolis sera présente ! »
On se presse bientôt dans une grande salle pour écouter le prophète Ganymir ! Le lieu est ouvert sous le dôme, où on peut voir les oiseaux noirs et Ganymir lui-même leur ressemble un peu : habillé sombrement, maigre, grand, avec une barbe, il a l’air d’un oiseau de proie, tandis que la foule autour fait enfin silence ! Parmi les spectateurs, Cool et Paschic sont légèrement tendus, s’attendant à des propos catastrophiques, mais soudain la voix sépulcrale de Ganymir retentit !
« Que nous disent ces oiseaux ? demande-t-il. Sinon que nous sommes noirs comme eux ! Ils nous condamnent, mesdames et messieurs ! Pourquoi ? Mais parce que nous avons failli ! Que voyons-nous autour de nous ? Mais nous voyons des enfants se demandant de quel sexe ils sont ! Nous voyons des homosexuels rirent de nous et affirmer qu’ils sont parfaitement normaux ! Nous voyons des trans réclamer le droit de procréer ! Nous voyons le chaos, nos valeurs traîner dans la boue ! Nous voyons la fin de la famille !
_ Il est fou ! murmure Cool.
_ Il a peur ! répond Paschic.
_ Et pourquoi est-ce ainsi ? continue le prophète. Mais parce que nous sommes mous, décadents ! Nous sommes vicieux, impurs ! Notre sang, notre code génétique sont altérés, empoisonnés ! Nous sommes faibles et il nous faut nous reprendre, au nom du Seigneur tout puissant !
_ Il est fou !
_ Il a peur !
_ Reprenons-nous ! Retrouvons le chemin de la force ! Et vous savez pourquoi ? Mais parce que nous sommes le peuple élu ! Notre mission est de sauver le monde ! C’est notre nation qui doit servir de phare aux autres ! C’est notre spécificité à nous, les Doms ! C’est ce qui fait notre grandeur, à nous, les Doms !
_ Il est fou !
_ Il a peur !
_ Beaucoup ont juré notre perte ! Des ennemis jaloux veulent nous détruire ! Attaquons-les, avant qu’ils ne nous attaquent ! Ils ne seront heureux que si nous n’existons plus ! Comment pourrions-nous accepter cela ! Frappons avant qu’ils ne nous frappent ! Grâce à la Machine, nous vaincrons, car notre armée est la meilleure de la planète ! Il en va de notre survie !
_ Il est fou !
_ Il a peur !
_ De l’ordre ! Il nous faut de l’ordre ! C’est le Seigneur qui le veut ! Sauvons nos valeurs ! Sauvons la famille ! Abattons nos ennemis ! Rien n’égale le fabuleux destin des Doms ! Retrouvons notre grandeur ! Non à la décadence ! Oui à l’ordre ! Gloire au Seigneur ! C’est à lui que nous devrons rendre des comptes !
_ Non à la décadence ! Oui à l’ordre ! reprend la foule, menée par quelques leaders. Gloire au Seigneur ! Dom ! Dom ! Dom !
_ Ils sont fous !
_ Ils ont peur ! »
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Les Doms (44-48)
- Le 18/05/2024
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"Il y avait un homme dans le noir et qui cherchait la lumière!"
A dark, dark man
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Récit du capitaine Azur, qui commandait le convoi 18 : « En traversant les gorges de Maraman, nous avons été surpris par un violent orage ! Il était impossible d’y voir à quelques mètres et nous avons dû nous arrêter ! Quelle ironie ! Nous étions partis, avec trois camions citernes, pour chercher de l’eau, au profit de Domopolis, et voilà que celle-ci, tombant en trombe, nous empêchait soudain d’atteindre le lac de Tanaha ! Cela a duré trois jours ! Nous sommes restés confinés dans nos cabines, nous efforçant de passer le temps ! Certains jouaient aux cartes, réglaient quelques affaires, mais la plupart somnolaient, car il était devenu impossible d’envoyer des messages ! Le bruit de la pluie, sa chute incessante sur les vitres a fini par avoir sur nous un effet hypnotique !
Ce matin, enfin, la pluie a cessé ! Les hommes sourient sous le soleil matinal, mais notre joie est de courte durée, car l’oued a charrié de la boue et nous sommes profondément enlisés ! Nous avons pris nos pelles pour nous dégager, mais nos efforts paraissent minuscules, au regard de la taille des pneus ! Mais le moral resterait bon, s’il ne s’était pas passé une étrange chose ! Des fleurs, comme de gros tournesols, ont poussé subitement tout autour nous ! Et elles ont un je-ne-sais-quoi d’étrange ! Elles ont l’air de nous regarder ! C’est une impression qui ne laisse pas d’être désagréable, même si je l’attribue à la fatigue et que je la cache aux hommes !
Cinquième jour ! J’ai des problèmes avec Brax, mon lieutenant ! Il dit qu’il faut rentrer à Domopolis, par nos propres moyens, car on n’arrivera pas à dégager les camions ! Il n’a pas tout à fait tort… Nos essais n’ont pas donné grand-chose ! La masse des camions semble inébranlable, mais c’est surtout l’esprit de révolte de Brax qui me choque et qui me donne envie de m’opposer à lui ! Qu’est-ce qui lui arrive ? Il a une conduite indigne d’un officier ! En fait, la situation nous porte à tous sur les nerfs, d’autant que les fleurs se sont rapprochées, rendant leur présence encore plus oppressante ! Une chose que j’ai remarquée : elles sont toutes tournées vers nous, alors que normalement elles devraient tendre vers le soleil ! Mais je garde encore le silence là-dessus… Il ne manquerait plus que j’apparaisse nerveux ou fragile, quand il faut donner l’exemple de la rigueur et de la force !
Septième jour : j’ai dû abattre Brax et deux de ses hommes ! Il était devenu fou ! Il voulait retourner à tout prix à Domopolis et il avait entraîné deux soldats dans sa mutinerie ! Ils nous ont menacés avec des armes, mais, comme je m’attendais à un tour de ce genre, j’avais caché la mienne et j’ai fait feu, dès que j’ai senti qu’ils allaient le faire ! Brax était effrayant à voir : son visage était livide, ses lèvres tremblaient ! C’était un autre lui-même et j’ai tiré sur un inconnu ! Nous ne sommes plus que trois et nous avons enterré nos camarades, non loin de là ! Tâche ô combien déprimante ! Cependant, quand nous sommes revenus aux camions, une légère brise s’était levée et les fleurs se balançaient, comme si elles nous disaient oui, nous approuvaient ! Ai-je été le seul le voir, à le comprendre de cette manière ? En tout cas, aucun de nous n’en a parlé et nous avons regagné nos couchettes en silence, le cœur lourd !
Huitième jour : je suis seul ! Les autres visiblement m’ont faussé compagnie ! Ma surprise a été totale et ma colère est complète ! Les salauds ! Ils m’ont abandonné tout simplement ! Comment ont-ils pu me faire ça ? Évidemment, je ne peux plus rester ici ! Il n’y a plus aucun espoir de dégager les camions ! Il faut rentrer à Domopolis ! Je me moque de ce qu’ils diront à mon arrivée, car le retour est risqué ! Ce n’est certes pas une partie plaisir ! 300 kilomètres à pied dans une région hostile ! Seul ! avec les attaques d’un ennemi imprévisible ! Il est impossible de savoir qui va me frapper ! Un végétal, un animal ? Ce monde est devenu fou ! J’ai fait le tour des camions, pour récupérer toute l’eau, toute la nourriture et me fournir en armes ! Puis, j’ai eu une surprise, une mauvaise surprise ! En faisant mes besoins, j’ai découvert mes deux déserteurs ! morts au milieu des fleurs ! Que leur est-il arrivé ? Ils n’ont pas de blessures apparentes ! Je regarde les fleurs… et elles me regardent aussi ! Mon angoisse est telle que je retarde mon départ… J’ai besoin de réfléchir !
Imaginons que mes hommes ont pensé comme moi, que les fleurs avaient quelque chose d’étrange ! Sans m’en informer, ils essaient de tirer ça au clair… et ils vont voir les fleurs ! Ils sont tués ! Ils meurent, mais comment ? Je crois que je suis en train de perdre la tête ! Les camions, comme moi-même, sont recouverts de poussière et j’écris ces lignes au cas où je ne m’en sortirais pas vivant ! Le temps semble arrêté… Il ne reste plus que le silence et je voudrais dormir, oh dormir ! Les fleurs sont de plus en plus près ! Elles montent à l’assaut de ma cabine ! Ah ! Ah ! Je suis pris d’un fou rire ! Des fleurs ! Qu’est-ce qu’il y a de plus fragile ? Je pourrais les briser d’une chiquenaude ! Mais elles sont si nombreuses… et surtout elles me fixent… et j’en éprouve un curieux et désagréable sentiment de culpabilité ! Ne réclament-elles pas justice, pour toutes leurs sœurs que nous avons piétinées, ensevelies sous le béton ? On rirait de moi à Domopolis ! Je vais me lever, franchir les fleurs… et elles vont me tuer comme les autres ! »
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Monsieur Nuit et le duc de l’Emploi, les deux inséparables, sortent de leur belle voiture : il y a un problème sur un des chantiers et ils sont venus voir ce qui se passe ! Ils sont accueillis par le directeur des travaux, un nommé Funff ! « Alors Funnf, fait monsieur Nuit, qu’est-ce qui va pas ?
_ Suivez-moi, patron, je vais vous montrer ! C’est au niveau des fondations ! »
Le petit groupe se dirige vers le bâtiment et il ne tarde pas à rejoindre le sous-sol par un escalier ! « C’est un de mes gars qui a repéré ceci… et depuis on ne peut que constater l’ampleur des dégâts ! dit Funff, en montrant une énorme faille dans le béton, avec sa lampe.
_ Mazette ! fait monsieur Nuit. Et il y en a d’autres comme ça ?
_ Partout dans le sous-sol ! En fait, on ne peut plus continuer à s’élever, car tout risque de s’écrouler !
_ Mais bon sang, ça vient d’où ? C’est quand même pas dû au béton ?
_ Négatif ! De ce côté-là, on a toujours la même qualité !
_ Il y a eu une secousse sismique ?
_ Non plus ! Mais on a peut-être mal analysé le sol ! Si on descend un peu plus bas, on voit combien c’est humide ! Il est possible qu’on ait construit sur un marécage !
_ Allons donc ! On commence pas avant une étude sérieuse… et quand bien même, on aurait bétonné jusqu’à assurer la fermeté du sol !
_ Mais je ne vous ai pas tout dit… On est allé voir en dessous des fondations, pour essayer de comprendre… et là on a découvert des choses étranges !
_ Des choses étranges ?
_ On a perdu un homme ! Il accompagnait l’un de nos ingénieur, qui lui est remonté en état de choc, en racontant n’importe quoi !
_ Ah bon ? Qu’est-ce qu’il disait ?
_ Il a dit que l’esprit de l’eau avait tué son aide et l’avait torturé lui-même ! que c’était un miracle s’il avait pu en réchapper !
_ L’esprit de l’eau ? Et puis quoi encore ? Faut arrêter la bouteille, les mecs ! Et t’es pas allé vérifier par toi-même ?
_ A ce stade, j’ai préféré vous appeler… J’ai pas envie de perdre quelqu’un d’autre !
_ Bon, ouais… On va y aller… Tu prends deux gars avec toi, des lampes et on règle cette affaire !
_ Entendu ! »
Ils sont cinq en tout à s’enfoncer dans les profondeurs, pour aboutir à une vieille porte ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? demande Nuit. C’est pas la norme ! Tout ici devrait être comblé par le béton !
_ Notre ingénieur est allé un peu plus loin, d’après ce que j’ai pu comprendre…
_ Donc, c’est derrière cette porte que les ennuis commencent ! Allez, on l’ouvre ! »
Il faut s’y mettre à trois, mais enfin un air froid et humide leur signale l’ouverture et c’est un grossier couloir, creusé dans la roche, qui continue ! « Vous entendez ? fait Funff.
_ Quoi ? demande monsieur Nuit.
_ On dirait des plaintes, des gémissements ! Y a quelqu’un qui pleure !
_ Sans doute un courant d’air ! réplique Nuit, plus inquiet qu’il en a l’air… Allons ! »
Le petit groupe descend encore, guidé par les lampes, tandis que que les parois deviennent dégoulinantes ! « En tout cas, ici, il y a de l’eau ! dit Funnf. On pourrait peut-être la récupérer !
_ Mais… mais c’est quoi ça ? » s’écrie Nuit.
Le spectacle est déconcertant : on est dans une immense salle, au centre de laquelle on trouve un vieux lavoir, constitué de pierres, et dont l’eau glougloute doucement ! « J’y crois pas ! fait Nuit. Qu’est-ce que ça fout, sous mon bâtiment ? » Les hommes font le tour du lavoir, tout en inspectant les hauteurs de la salle… Ils sont stupéfiés ! « C’est une plaisanterie ! » rajoute Nuit, puis son pied fait tomber un peu de gravier dans l’eau cristalline, qui se trouble ! A cet instant, des cercles de lumière se forment sur la pierre et remontent le long des jambes ! « Mais bon sans ! C’est quoi c’ bordel ? « entend-on.
_ Attention… Ça a l’air vivant !
_ C’est chaud… C’est bizarre ! Ah ! Ah ! »
Funff et un autre homme sont soulevés du sol par les anneaux de lumière ! « Ah ! Ah ! s’exclament-ils, tandis que leur visage et leur corps s’allongent, se déforment et les voilà transformés en roseaux ! Leur teint devient cireux, mais leurs yeux restent vifs, ainsi qu’ils seraient des papillons posés sur le végétal ! « Ah ! Ah ! continuent-ils, avec un sourire de fou et bien qu’ils aient perdu toute apparence humaine !
_ Mais quel est cette diablerie ? jette Nuit.
_ Foutons le camp ! » lui répond le duc de l’Emploi.
Le troisième homme, quant à lui, se dilue sous forme de mousse ! Il se caresse, trouve cela tout doux, n’en finit plus de respirer l’humus ! « Hi ! Hi ! » fait-il de contentement, tout en disparaissant ! Nuit et le duc de l’Emploi foncent vers le couloir et la porte, qu’ils referment en poussant de toutes leurs forces ! « On oublie tout ça ! dit Nuit. OK ?
_ Ok !
_ On oublie tout ça ! On n’a rien vu ! Et le chantier reste au statu quo ! »
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Un brouillard épais envahit la ville… On dirait des cheveux blancs qui s’étirent, comme si la sagesse pénétrait dans les rues, d’autant que toute activité s’arrête, car on n’y voit plus à deux mètres ! Les gens sont inquiets, murmurent, attendent, vu qu’un grand silence s’installe ! Le dôme gigantesque de Domopolis paraît enfumé et cela n’est pas normal : l’air intérieur n’est-il pas contrôlé ? Des bébés pleurent, des gens s’amassent, s’interrogent, essaient de se rassurer, puis quelqu’un crie : « Ecoutez ! »
Sur la plus grande place de Domopolis, on tend l’oreille vers le rideau blanc ! Un bruit sourd se fait entendre derrière la nuée, ce qui fait qu’on retient son souffle ! Quelque chose arrive, va sortir du brouillard, mais quoi ? Les yeux tentent de discerner des formes, alors que le bruit se rapproche ! Les cœurs commencent à battre fort, on serre la main de l’enfant, on se blottit contre l’autre, on ne pense plus à ses tracas, à ses querelles, tant un souffle puissant, étrange captive l’attention !
Puis, les voilà, avançant péniblement, quasiment au ras du sol, tentaculaires, repoussantes, tristes aussi, comme blessées, amputées, invalides, progressant maladroitement avec leurs racines telles des mains griffues, ce sont des souches, grises, orangées, mornes, désespérées ! Et un chant s’élève à mesure que ce fantastique défilé s’étire, apparaît au grand jour, sous le regard fasciné de la foule ! « Nous sommes les souches ! entend-on. Les souches abandonnées ! Passant, regarde nos cimetières sous le ciel ! Regarde nos champs de morts ! Vois notre âge ! Cinquante ans ! Cent ans ! Anéantis en cinq minutes, sous la tronçonneuse ! Nous sommes les morts pleurant la sève ! Nous sommes les morts noirâtres, pourris, pleins de champignons ! Où est notre gloire passée ? Où sont nos troncs, ô Doms ? Vois nos cimetières ! Vois nos cœurs ouverts sous le ciel ! Où sont nos troncs ? »
La foule est stupéfiée, hypnotisée, glacée, pendant que les souches agrippent l’asphalte avec leurs racines, pareils à des soldats touchés et qui rampent ! On ne bouge pas devant un tel spectacle, mais un changement s’effectue : des cours d’eau debout remplacent les souches et le chant change, devient plus féminin, plus clair, plus aigu ! Ce sont effectivement des voix de femmes, qui ensorcellent, pénètrent encore plus profondément, caressant la harpe de l’intimité, gonflant l’émotion ! Que disent-elles ? « Nous sommes les ruisseaux ! limpides et chantants ! frais et moussus ! Chez nous habitent la truite, la libellule, le triton, pour ravir l’oiseau ! Nos cheveux d’argent scintillent parmi les pierres ! Mais ce que tu vois, Dom, ce sont nos fantômes ! Nous n’existons plus ! Nous sommes ensevelis sous tes routes, Dom ! sous tes tonnes de gravats ! Car jamais tu n’en as assez, Dom ! Jamais tu n’admires ! Jamais tu ne respectes, ni te t’enchantes ! Tu dévores sans cesse ! Tu as perdu la simplicité de l’enfant ! Tu es perdu et tu cries ! Tu as peur et tu t’obstines ! Nous sommes morts et tu as soif ! Nous sommes la magie et tu es pauvre ! Nous sommes la fantaisie et tu es cruel, borné ! Nous sommes sous les gravats et tu nous cherches ! »
A peine a-t-on vu les ruisseaux que les talus apparaissent ! Le chant redevient plus grave, mais reste tout aussi déchirant ! « Voilà les martyrs, nous sommes les talus ! broyés, détruits, anéantis, saignés, pelés ! Lapinot, où est ta maison, ta cachette ! Fraîcheur, où est ta maison, ta cachette ? Vent, où es ton rempart, ton adversaire ? Arbre, où es ton soutien, ton défenseur ? Herbe folle, fleur où est ta maison, ton château ? Insecte, où est ta fête, ton palais ? Ici ne règne que le désert ! Ici ne règne que le bulldozer ! Vois-tu un talus à perte de vue ? C’est un mirage, un futur mourant ! Quel acharnement ! Quelle guerre contre le talus ! Quelle faim de détruire ! Quelle avidité ! Quelle folie ! Ici ne règne que le désert ! Ici ne règne que le bulldozer ! Fraîcheur, où est ta maison, ta cachette ? Etc. »
Puis viennent des choses plus bigarrées ! Des arbres rabougris, trop élagués, des haies taillées au cordeau, des pelouses carrées, étroites, scrupuleusement tondues, de petites mares toutes sales, des fleurs aux couleurs criardes et de nouveau une voix immense s’élève : « Nous sommes la fausse nature ! celle domestiquée par le Dom ! celle qui fait semblant ! l’esclave, l’artifice, le décor ! celle qui fait croire au citadin qu’il n’est pas qu’entouré de béton ! Regarde-nous le Dom ! Nous sommes pleins de poussière ! Le chien nous pisse dessus ! L’ivrogne aussi ! Vois les déchets qui nous jonchent ! Nous sommes victimes de ta petitesse ! de ta passivité, de ton uniformité ! Tu nous aimes en laisse, sans le grand souffle qui nous traverse ! Voilà l’artifice, ton mensonge, le Dom, ton triste décor ! »
La foule est comme ahurie, car d’où sortent toutes ces étranges créatures ? Comment ont-elles pu entrer sous le dôme ? Est-ce là un cauchemar ? Les peurs reviennent à la surface et avec elles la haine ! Des Doms jettent des pierres, insultent le défilé, prennent à parti un arbuste, un ruisseau… Il y a bientôt des échauffourées entre les Doms eux-mêmes ! Les vieilles querelles se réveillent, entre ceux qui soutiennent le système et les autres ! Puis, lentement, le défilé s’évanouit, ainsi que le brouillard, laissant une ville tendue, sous le choc, en colère !
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Paschic et Cool marchent sur le trottoir, quand un homme et une femme descendent du ciel devant eux ! « Monsieur Paschic ? fait la femme. Quelqu’un voudrait vous voir pour une chose importante ! » Paschic et Cool lèvent la tête et découvrent un vaisseau à voile, suspendu au-dessus de leur tête. « Il suffit de vous attacher à ces câbles et on vous hissera sans peine là-haut ! explique l’homme.
_ Eh bien, allons-y ! répond Paschic. Vous n’avez pas envie de commencer la journée, par une surprise, docteur Cool ? »
Le quatuor est soulevé dans les airs et émerge bientôt sur le pont du vaisseau ! « Bienvenue ! fait un personnage en treillis. Mais ne moisissons pas ici, nous finirions par attirer l’attention des forces gouvernementales ! Cap au 230 ! »
L’ordre est répété et le navire s’anime sous ses voiles gonflées ! « Nous allons quitter le dôme et la ville polluante ! reprend le personnage. Nous avons toutes les autorisations nécessaires, pour aller respirer de l’air frais ! Mais je ne me suis pas présenté… je suis le Capitaine et…
_ Et vous êtes le chef des Guerriers verts ! coupe Cool.
_ C’est exact…
_ Les Guerriers verts ? fait Paschic.
_ Tiens, vous ne nous connaissez pas ? C’est pourtant nous qui menons des actions pour défendre la nature, contre le développement démesuré et absurde de Domopolis ! C’est pourquoi j’ai tenu à vous rencontrer, Paschic ! N’est-ce pas vous qui parlez aux arbres ? Vous devez certainement comprendre et apprécier notre cause ?
_ Oui, maintenant, je vois mieux qui vous êtes… Vous menez des contestations très vives, jusqu’à l’affrontement, en faveur de l’environnement ! Vous voulez changer nos pratiques et même notre façon de penser !
_ Certainement, notre modèle n’est plus viable, comme le démontrent le réchauffement ou les attaques de la nature ! Tenez, nous franchissons le dôme et nous allons pouvoir voir la ville à l’œuvre, comment elle continue à dévorer l’espace ! »
Effectivement, en dessous, Domopolis a l’air d’une vache géante et mécanique, qui broute le vert, avant de s’étendre… « Bétonner, il n’y a que ça qu’ils savent faire ! reprend le Capitaine. Si vous pouviez vous joindre à nous, Paschic, notre combat prendrait une force nouvelle ! Nous pourrions utiliser merveilleusement votre image... »
Paschic regarde Cool, qui semble totalement fascinée par le Capitaine et il en éprouve un léger pincement au cœur, mais il la comprend : l’action du Capitaine paraît beaucoup plus claire que la sienne, et même plus virile, plus engagée ! « Je regrette Capitaine, dit Paschic, mais je ne crois pas que l’affrontement, l’opposition radicale soit la la solution la plus efficace !
_ Comment ? Mais, si nous ne faisons rien, nous courons à notre perte ! Il y a urgence !
_ Je défends bien sûr la nature…, mais la haine entraîne la haine ! Plus vous vous montrerez violent et plus vos adversaires le seront aussi ! Le seul moyen de les amener à vous est de leur donner de l’espoir, de montrer que vous-même êtes heureux ! Ainsi, ils voient que votre chemin n’est pas faux, que vos idées ont de la valeur !
_ Mais j’obéis à la nécessité ! Il n’y a pas d’autres choix !
_ Autrefois, j’étais comme vous ! Je voulais détruire tous ceux qui massacraient la nature ! Je rêvais de les pulvériser, alors que je n’étais qu’un adolescent ! Mais, avec le temps, j’ai compris que je devais d’abord faire la paix avec moi-même ! Ce qui me rendait haineux, c’était que je ne m’acceptais pas tel que j’étais ! Hors de moi, me blessant, tourmenté, impuissant, je ne pouvais que me haïr, moi et les autres ! Seule la paix donne la force, qui rend disponible !
_ Mais la plupart sont insensibles à la raison !
_ C’est vrai, mais c’est la peur qui les aveugle ! C’est elle qui les pousse à dominer sans cesse ! Pour les arrêter, il est nécessaire de vaincre sa propre angoisse, sinon on n’est pas crédible !
_ Mais je n’ai pas peur ! De quoi parlez-vous ? »
A cet instant, Paschic crée de la nature et en compagnie de Cool et du Capitaine, il se retrouve sous un feuillage doré par le soleil ! C’est comme un toit fait de cristaux verts et jaunes ! « Bon sang ! s’écrie le Capitaine. Qu’est-ce que c’est que ce tour de passe-passe ?
_ Peu importe ! réplique Paschic. Que vous inspirent ces feuilles ?
_ C’est beau, mais ça ne répond pas à mes questions !
_ Vraiment ? Vous ne voyez pas le message, tellement vous êtes agité ! Il y a un orage dans votre esprit ! Notamment, vous vous demandez si vous en faites assez et même la perspective de ne pas être occupé vous effraie !
_ Parce que, pendant que vous discutez, il y a des arbres qui meurent ! Il faut agir !
_ Apaiser, c’est agir ! Aimer, c’est transformer l’autre ! Mais ce n’est pas possible avec de la haine ! »
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Paschic et Cool sont de retour dans Domopolis, où survient un très étrange phénomène : soudain il n’y a plus un bruit ! Tous les moteurs, tous les appareils s’arrêtent ! C’est le grand silence et tout le monde se regarde ! Tout le monde est pétrifié ! Que se passe-t-il ? On entend quelques bébés pleurer, car l’inquiétude des adultes se transmet ! Puis, quelqu’un crie : « Regardez ! », en montrant le dôme ! On lève le nez et on est frappé par la stupeur, voire l’horreur ! Des milliers de cages sont suspendues au dôme ! Elles étaient invisibles à cause de l’agitation, mais maintenant nul ne peut les ignorer !
Spectacle saisissant ! incroyable ! douloureux aussi, car dans chaque cage, il y a un jeune, fille ou garçon ! la tête basse, plongé dans ses pensées, sa tristesse ! Certains de ces enfants se lèvent, s’accrochent à leurs barreaux et poussent un cri ! que personne n’entend ! C’est une plainte muette ! D’autres se cognent contre leur cage, jusqu’au sang ! Mais c’est l’abattement qu’on voit le plus ! l’atonie, le désespoir ! Quel mal les ronge ? N’habitent-ils pas Domopolis, l’une des plus riches cités du monde ? Qu’est-ce qui leur manque ?
Quelle est la source de leur angoisse ? Les adultes ne peuvent-ils pas les aider ? N’ont-ils pas de réponses, de remèdes ? Ces jeunes se mutilent ou font des tentatives de suicide, car ils se haïssent à cause de leur impuissance, et en même temps ils détestent ce monde, qu’ils jugent injuste et cruel, dépourvu de sens, d’amour ou de lumière ! Car on leur en demande trop ! Car on est soi-même aveugle ou hypocrite ! Car on ne s’avoue pas ses plaisirs, ni son égoïsme ! parce qu’on est faux !
En douce, on gave son ego et pourtant on dit au jeune : « Ne sois pas égoïste ! Fais ceci, cela ! Travaille ! Ne relâche pas ton effort ! Vois, je me crève à la tâche pour toi ! Le monde est dur ! Et toi, tu voudrais t’amuser ! t’aimer ! être joyeux, alors qu’il y a tant de souffrances ! Etc. ! » Le mensonge nous fait traiter nos enfants en robot, en forçat ! Ils ne peuvent que se sentir faibles, nullement à la hauteur de la tâche ! Ils se trouvent odieux à eux-mêmes et veulent se détruire, sous le joug de l’angoisse, se croyant enfermés, sans avenir ! Irrités et terrifiés, ils désespèrent !
Le remède ? Mais il est simple ! Il suffit de reconnaître ses plaisirs, son égoïsme ! Il suffirait d’avouer qu’on travaille pour satisfaire son ego ! que notre béquille est notre amour-propre ! que le sens que nous donnons à nos vies est le pouvoir, la domination, rien d’autre ! que c’est notre égocentrisme notre ami ! que nos plaisirs sont innombrables, que nous ne cessons jamais de vouloir être le centre d’intérêt ! que les faiblesses, les défauts des enfants sont les nôtres, en bien plus grand !
Ainsi, on les tranquilliserait ! Ils seraient rassurés sur ce qu’ils sont ! Ils s’amuseraient sans honte ! C’est notre hypocrisie qui les tue ! qui les rend esclaves, qui les angoisse ! Comment pourraient-ils être ce dont les adultes sont déjà incapables ? C’est notre mensonge qui les détruit ! Mais nous n’avouerons pas nos plaisirs, notre égoïsme ! notre soif de pouvoir ! Nous refusons tous les miroirs ! Notre orgueil en souffrirait, notre image est sacrée ! Ce qui importe, c’est notre théâtre ! Nous voulons la puissance et la gloire, sans le dire ! Nous préférons de loin nous accuser les uns les autres de nos défauts ! C’est tellement plus simple ! Et nous créons le peuple des enfants perdus !
Il est là au-dessus de nos têtes, muet, angoissé, désirant la mort ! Il est invisible tellement nous nous agitons, nous faisons du bruit, pour échapper à nos peurs et nous livrer au mensonge ! Quel adulte ne prend pas de plaisir ? Nous sommes des menteurs et des assassins ! Nous sommes le mur, contre lequel s’épuise l’entant !
Le remède est en nous ! Nous pouvons êtes la source rafraîchissante, apaisante ! Il suffit de se reconnaître tel qu’on est ! d’avouer ses propres peurs… et ses joies ! Nous donnons à l’enfant un fardeau qu’il ne peut pas porter ! Regardons-nous en face ! Ayons ce courage ! Dur travail, mais c’est le seul qui compte ! Arrêtons de nous mentir sur nos haines, nos ambitions, notre égoïsme ! Aidons le peuple des enfants perdus ! Il meurt terrifié !
C’est si simple au bout du compte ! Il faut avouer son ignorance, descendre de son piédestal ! Il y a là nulle philosophie compliquée ! nulle géostratégie ! nul traité d’économie, ni fautes politiques ! Ouvrons la porte de la vérité aux enfants ! Libérons-les ! Rendons leur le soleil ! Notre égoïsme nous tue et les tue ! Ils sont plus importants que notre gloire ! Arrêtons de mentir, pour les aimer !
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Les Doms (39-43)
- Le 11/05/2024
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"Regardez mon bras! Regardez où mène la haine!"
Princesse Mononoké
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« Mais enfin qu’avons-nous vu au juste ? Ce n’est pas possible ! Non, j’ai eu une enfance comme les autres ! Je ne suis pas née de… cette machine ! s’écrie le docteur Cool, dans l’appartement de Paschic.
_ Je ne dis pas le contraire… Vous avez été élevée par vos parents, mais il n’en demeure pas moins que tous les Doms sont produits de cette façon ! Je comprends que vous soyez choquée, mais ouvrir les yeux est toujours difficile, non ? J’ai même envie d’ajouter que c’est nécessaire, si vous ne voulez pas continuer à faire le mal !
_ Le mal ? Quel mal ? Je ne fais de mal à personne !
_ Savez-vous comment s’appelle cette immense cuve, avec son liquide bleuâtre ? C’est le GVI, le Grand Vide Intérieur !
_ Le Grand… Vide Intérieur ?
_ Oui… Voyez-vous, nous sommes issus du règne animal et ce que nous voulons en premier, c’est de nous développer, de sentir notre valeur, autrement dit nous voulons imposer notre individualité, satisfaire notre égoïsme… C’est ce que nous appelons réussir !
_ Mais je ne vois pas où est le mal...
_ Nous sommes donc d’abord animés par la domination animale qui est en nous, que nous soyons fille ou garçon, peu importe ! Mais cela nous conduit à vouloir conquérir notre liberté, en nous débarrassant de tous les obstacles, de toutes les règles que nous trouvons injustes ou encore de toutes les idéologies qui nous disent comment penser ! Nous nous sommes confiés à la raison, qui nous a permis le doute, mais à présent, à force, nous voilà nus face à l’inconnu !
_ C’est le GVI ?
_ C’est cela ! Nous voilà sans repères, mais nous pouvons encore nous masquer cette réalité en augmentant notre domination, car tant que nous contrôlons le monde, il est nôtre et n’y entre pas la différence ! Pour échapper à notre angoisse, nous renforçons notre égoïsme ! Nous détruisons la nature, de sorte qu’elle soit notre miroir ! Et nous donnons naissance à des monstres, à des gens malades, qui ne voient les autres que comme des esclaves ! Nous sommes tellement incapables de vivre sans dominer, que nous pouvons rêver de la guerre ! Chacun tire la couverture à soi et s’imagine ce qu’il veut ! La raison devient inefficace ! Seul compte son monde clos, car c’est le seul qui protège !
_ Le GVI est constitué de peur et donne naissance aux Doms, les champions de la domination ! C’est ça ?
_ Exactement !
_ Et Domopolis, par son excès de domination, écrase la nature, qui répond ! J’ai toujours bon ?
_ Vous suivez parfaitement !
_ Et il y a une solution, un remède ?
_ Oui, il suffit d’enlever la peur et le réflexe de dominer s’arrête !
_ Et comment on enlève la peur ?
_ A votre avis ? Ici, ce n’est pas facile, car déjà l’orgueil, qui émane de la domination, nie sa peur ! Il se sentirait diminué, s’il devait la reconnaître ! Quand l’individu est enfermé dans une forteresse, où il ne connaît que son ego, il peut très bien se persuader qu’il n’a pas peur ! C’est quand la différence frappe à sa porte que l’épouvante le surprend ! Et alors la réaction est presque toujours hostile ! Mais la domination n’a jamais guéri de la peur ! Pour l’instant, les Doms n’effectuent qu’une fuite en avant !
_ Une fuite qui va vers la catastrophe !
_ Hélas ! Mais l’argent non plus ne peut pas résoudre le problème ! D’ailleurs, la solution n’est ni économique, ni politique, ni scientifique…
_ Alors à quoi pensez-vous ?
_ Je ne peux pas encore vous en parler… On ne comprend pas certaines chose seulement par les arguments ! Il faut les vivre entièrement dans sa chair ! Il existe des transformations qui ne s’expliquent pas, même si je vous donne un point de départ logique : la domination est une impasse !
_ C’est étrange… Vous parlez comme si vous veniez d’une autre planète !
_ J’ai parfois moi-même cette impression… Mais avez-vous déjà entendu parler de cette légende des Doms, à savoir qu’il existerait une porte, quelque part, et qui permettrait d’atteindre la vérité ?
_ Quand j’étais enfant, oui, on m’a raconté cette histoire...
_ Vous pensez qu’elle n’a aucun fondement ?
_ Mais, vous-même, vous dites que c’est une légende…
_ Le GVI, vous l’avez bien vu, non ?
_ Oui, mais je n’arrive toujours pas à y croire !
_ Vous voilà une étrangère parmi les Doms ! L’aventure commence, si je puis dire ! »
40
Le lendemain, Paschic et Cool sont dans un salon de thé, où ils font la queue avant de s’installer… Soudain derrière eux se dresse une femme géante, vêtue comme un samouraï ! Son masque est effrayant et elle dégaine son sabre ! « Aaaaaah ! » crie-t-elle en abattant son arme sur Paschic et Cool, qui s’écartent de justesse ! Une table est brisée, des chaises sont renversées et des clients paniqués se ruent vers la sortie ! La femme donne de nouveaux coups de sabre et Paschic et Cool se protègent comme ils peuvent, mais la situation devient critique…
Paschic crée alors dans le salon de thé un vaste champ de fleurs jaunes ! Elles ondoient au gré du vent et s’étalent jusqu’à l’horizon ! « Mais qu’est-ce… ? fait le docteur Cool.
_ Chut ! répond Paschic. Couchez-vous parmi les fleurs ! »
Le duo se retrouve à même la terre du champ et il peut contempler les fleurs par-dessous… Un puissant parfum leur emplit bientôt les narines, tandis que de paresseux petits nuages glissent dans le ciel bleu ! « Mais elle va nous trouver ! dit en tremblant Cool. La voilà qui vient !
_ Chut ! Restez tranquille ! »
La femme samouraï s’énerve : « Où êtes-vous les deux raclures ? Soyez chic, montrez-vous ! J’ m’en vais vous découper en rondelles ! J’ supporte pas qu’on m’ fasse attendre, quand il s’agit d’ manger des gâteaux ! Pour qui vous prenez-vous ? Les arrogants, moi, j’ les taille ! J’ les diminue ! J’ les rapetisse ! J’ leur rappelle qui est le maître ! Allez, ayez du courage, sortez de vot’ trou, mes doux rats ! »
Paschic et Cool sentent le sol trembler, à mesure que la femme se rapproche et l’envie est forte de se lever et de se mettre à courir, mais la poigne de Paschic maintient Cool couchée ! Puis, soudain, la situation change ! Le ton de la samouraï devient plaintif, avec une pointe de peur ! « Où êtes-vous mes mignons ? dit-elle. Vous n’allez pas laisser maman gâteau toute seule ? J’ vous promets de ne rien vous faire, si vous sortez de vot’ cachette ! C’est que je n’ suis pas tranquille, moi ! Toute cette étendue de… plantes, ça m’oppresse ! Et ce vent, ce silence ! Oh ! Mes agneaux, j’ vous pardonne ! J’ ai besoin d’ vous, j’ vous jure ! Je vous en prie, ne me laissez pas toute seule ! On est de bons camarades, vous et moi ! Face à la nature, on doit se serrer les coudes ! J’ suis pas méchante dans l’ fond ! J’ai seulement l’ sang un peu chaud ! Hein ? Où êtes-vous, j’ vous en prie ! »
La femme commence à crier, la panique s’empare d’elle et c’est si fort que même Cool voudrait jeter un œil, mais Paschic l’en empêche ! La femme n’en finit plus de hurler et c’est maintenant une plainte horrible, puis il y a une sorte d’explosion et les membres de la samouraï voltigent ! « Il n’y a plus de danger ! dit Paschic et le duo se relève, pour voir en un endroit le champ ensanglanté ! Mais rapidement encore les oiseaux reviennent chanter et les fleurs semblent des soleils bercés ! « Mais qu’est-ce qui s’est passé ? demande Cool. Qu’est-ce que c’était que ça ?
_ C’était une Dom à forte domination ! de degré 4, j’ dirais, sur une échelle qui va de 1 à 5 !
_ Une Dom de degré 4 ? Mais c’est la première fois que je vois ça !
_ N’oubliez pas que votre regard a changé, depuis que vous avez vu le GVI ! Ses conséquences sont maintenant pour vous visibles !
_ Vous voulez dire qu’ils sont…, que nous sommes vraiment comme ça !
_ Exactement ! Mais tant qu’on est soi-même dominateur, on ne peut s’en rendre compte !
_ Et le champ de fleurs, c’est vous ?
_ Oui, comprenez-moi, il ne s’agit pas de lutter contre les Doms avec leurs armes ! de faire preuve soi-même de haine ou de colère ! Il n’est pas question de devenir un Dom à son tour ! Alors, je crée de la nature autour du Dom, ce qui le tue !
_ Mais… comment ?
_ Plus la domination du Dom est élevée et plus elle lui est bien entendu indispensable ! Dans ce cas, il est impossible au Dom de se retrouver seul, sans esclaves, sans victimes ! En face de la seule nature, il est renvoyé à son mensonge et à son angoisse ! Son monde est perforé par la différence et l’inconnu… et il explose ! Fin de l’histoire ! C’est pour ça que je vous dis que l’agitation des Doms est moins réelle qu’un nuage ! La vérité, c’est déjà se tenir debout seul et paisiblement devant la nature !
_ Mais où sommes-nous à présent ?
_ Mais toujours dans le salon de thé... »
Le docteur Cool retrouve effectivement le salon et le champ de fleurs a disparu ! De l’ordre a été remis et Paschic et Cool peuvent à présent s’installer à une table… « Je n’en reviens pas ! dit Cool. Tout cela est si extraordinaire ! Vous m’apprendrez à créer… de la nature ?
_ Ça dépend…
_ Ça dépend de quoi ?
_ Eh bien, d’abord, nous allons manger quelque chose, nous remettre de nos émotions… Je vais regarder votre beauté, aimer le monde et…
_ Et…
_ Et alors je considérerai la situation... »
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Le lendemain, Paschic et Cool se promènent dans Domopolis, mais Cool est vite choquée par ce qui se passe ! En effet, la plupart des gens qu’elle croise disent : « Dom ! Dom ! » incessamment ! Ce n’est pas fort, mais tout de même distinct ! « Comme c’est étrange ! s’écrie Cool.
_ Quoi ?
_ Ils disent tous : « Dom ! Dom ! »
_ Vous le remarquez ? Très bien, cela prouve que vous évoluez ! Plus vous renoncerez à votre propre domination et plus celle des autres vous sera apparente !
_ Là, chacun exprime sa domination ?
_ Exactement ! Mais comment expliquez-vous que nous trouvions la vie parfaitement normale ? Nous sommes sur une planète perdue dans l’espace… Nos vies se terminent par la mort et il faudrait s’astreindre pendant tout ce temps à un travail, qu’on n’aime généralement pas ! Pourquoi n’avons-nous pas le vertige ? Pourquoi acceptons-nous si bien notre quotidien ? Il n’y a qu’une réponse ! C’est parce que notre domination nous protège, en nous préoccupant entièrement !
_ Mais il y a la nécessité de gagner sa vie !
_ Bien sûr, mais ce n’est nullement suffisant ! Nous sommes tellement chevillés à notre ego et à sa réussite, que nous restons aveugles et insensibles au gouffre d’étrangetés qui nous borde ! Regardez ce qui se passe autour de vous…Les gens sautent d’une petite domination à une autre ! C’est pourquoi ils disent : « Dom ! Dom ! » Ils garantissent ainsi leur équilibre, en adoptant un comportement qui leur est instinctif ! En effet, les animaux n’ont pas de questions existentielles, puisqu’ils assurent tout le temps leur domination !
_ Je ne comprends pas vraiment...
_ Observez cette femme par exemple… Elle fait impression sur cet homme, elle en devient le centre d’intérêt ! A cet instant, elle a le sentiment de sa valeur et nulle angoisse ne peut l’atteindre ! Le fait que nous soyons si fragiles sous le ciel bleu, avec nos questions, ne lui vient même pas l’esprit ! Elle compte ! Puis, elle passe au suivant, comme si d’homme en homme elle tissait un invisible fil d’Ariane !
_ Mais elle ne veut pas les séduire !
_ Bien sûr que non ! Elle cherche seulement à se rassurer ! Mais cet homme là-bas est pareil ! Seulement, ce n’est pas plaire qu’il veut ! Ce qui l’intéresse, c’est de se sentir supérieur aux autres hommes ! Il est plus grand, ou plus fort, ou plus riche ! Lui aussi se nourrit de l’intérêt et même de la soumission qu’il suscite ! Il ne faut surtout pas croire que nous vivons dans un monde figé par les conventions ! Au contraire, tous nos comportements trahissent nos doutes et nos troubles, comme une pierre crée une onde, quand elle tombe dans l’eau !
_ Vous parlez de troubles et de doutes, mais il y aussi nos joies, nos succès !
_ Les joies que vous percevez dans la rue, les discussions ou les rires bruyants sont souvent trompeurs ! Ils sont encore là pour attirer l’attention, ce qui masque la peur ! C’est toujours un moyen de dominer, d’occuper les premières places dans un espace, comme si on était les personnes importantes de l’endroit, les élites qui se sentent particulièrement à l’aise ! Il y a des moyens plus brutaux pour le même résultat… Certains notamment passent avec une musique à tue-tête ! Pourquoi croyez-vous que les jeunes sont toujours en train de consulter leur Smartphone, que j’appelle un Narcisse ? Mais ainsi ils ont le sentiment de contrôler le monde, qu’il est le prolongement d’eux-mêmes, que celui-ci leur appartient ! Qu’ils doivent regarder autour et bientôt c’est la panique !
_ A vous entendre, on ne peut plus rien faire dans la rue ! N’est-ce pas normal que de se faire valoir ? L’autre ne sert-il pas de repère ?
_ Certainement, mais pas au prix d’être soumis, utilisé ! Car là est le problème : dominer, ce n’est pas respecter ! D’ailleurs, très vite, quand vous vous opposez aux Doms, ils deviennent méprisants, haineux et veulent vous détruire ! Toute résistance est pour eux synonyme de peur ! Et comme je vous l’ai déjà dit, la domination peut atteindre des degrés destructeurs, qui anéantissent ! J’ai été mis dans des situations dont vous n’avez aucune idée ! Je me suis débattu à 3 000 mètres de profondeur, sous la mer, coincé par des plaques de fonte ! J’ai résisté à des types qui ressemblaient à des rabots électriques ! J’ai grimacé pendant des erreurs, rejetant la domination de quelque monstre, comme dans un interminable match de tennis ! Voilà pourquoi nous ne savons pas vivre ! Voilà pourquoi nous sommes toujours en crise, alors que nous avons tout ! Voilà pourquoi aujourd’hui la planète est condamnée ! »
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Cool et Paschic sont un peu plus loin, quand un incroyable spectacle s’offre à eux ! Des chars innombrables sillonnent un terrain boueux ! Des avions passent dans le ciel, avec un fracas assourdissant ! Des soldats courent, fusil en main, entre des gerbes de bombes ! « Mais qu’est-ce qui s’ passe ? Où sommes-nous ?
_ C’est le monde de la Machine ! la domination à outrance ! sans respect pour personne !
_ Vous parlez de la Machine, qui commande Domopolis ?
_ Oui, elle présente un degré de domination, assez caractéristique… C’est une sorte de forteresse, bâtie sur une peur viscérale, mais celle-ci est occultée grâce à une tyrannie constante ! Tout doit tourner autour de la Machine et tous sont ses esclaves ! Ce que vous voyez, c’est son quotidien, rien ne doit lui résister !
_ Mais c’est horrible ! C’est plein de morts et de sang ! On entend des enfants qui pleurent et des cris de souffrance ! »
A cet instant, un véhicule de la Police militaire arrive au niveau de Cool et Paschic ! « Qu’est-ce que vous faites là ? crie l’un des policiers.
_ On s’en va ! répond Paschic. On a été surpris de découvrir cette guerre !
_ Ouais, je crois plutôt que vous êtes des espions !
_ Mais pas du tout ! s’indigne Cool. On ne savait même pas ce qui se passait ici !
_ Eh ben, maintenant, vous savez ! Et vous allez nous suivre au poste !
_ Ça, il n’en est pas question !
_ Ah ! Ah ! La femelle qui moufte ! Allez, tout le monde en voiture, sinon on vous abat tout de suite ! »
Cool et Paschic sont conduits dans un bunker, où on commence à les interroger ! « Bon, fait le policier, vous vouliez faire du mal à la Machine ! C’est bien ça ?
_ Qu’est-ce que vous allez chercher là ? Et puis de quel droit vous nous retenez ici ? » s’insurge Cool.
Le policier garde le silence, se met debout et gifle violemment Cool ! « Mais pour qui tu t’ prends, connasse ? fait le policer. Tu crois que tu peux parler aux soldats de la Machine, avec cette insolence ! T’as qu’un seul droit ici, c’est de la fermer ! Prends exemple sur ton compagnon : lui, il connaît la musique ! Et il se croit même très malin ! Mais on va vous briser tous les deux, comme du bois sec ! »
Cool gémit un peu et se caresse les joues, tandis que le policier se rassoit : « Bon, dit-il, on a remis les pendules à l’heure ! Donc, vous êtes des espions… et vous vouliez faire du mal à la Machine ! Cela ne peut pas être autrement…
_ Car tout vient de la Machine et tout retourne à la Machine ! lâche Paschic.
_ Ah ! Ah ! Je savais que tôt ou tard tu l’ouvrirais ! J’adore les redresseurs de torts ! les idéalistes ! C’est de la chair tendre, sous mes poings ! »
Le policier se lève de nouveau et commence à cogner Paschic méthodiquement ! Le visage de Paschic devient méconnaissable, ce qui fait hurler Cool ! « Mais enfin arrêtez ! crie-t-elle. Vous allez le tuer !
_ Et alors ? Je ne fais qu’obéir aux ordres de la Machine ! »
Un autre policier ouvre la porte et fait signe à son chef de sortir… Cool en profite pour s’occuper de Paschic, qui est couché sur le sol ! « Mon Dieu ! Mon Dieu ! fait-elle. Dans quel état il vous a mis !
_ Oui, j’imagine que je ressemble à une tomate écrasée…
_ Mais vous ne pouvez pas de nouveau créer de la nature, pour tuer la Machine ?
_ Si je peux, mais la Machine est trop puissante, pour être tuée… Elle va entrer dans une colère folle et frappera tout azimut ! Vous êtes prête à courir coûte que coûte ?
_ Oui, on ne peut pas rester là !
_ Très bien, on y va... »
La pièce se remplit d’eau de mer et des vagues se forment sur des rochers ! « Voilà, maintenant, escaladons cette falaise et à son sommet, on foncera par les champs ! Surtout, ne vous retournez pas ! » crie Paschic. Le duo gravit à tout allure une pente rocailleuse, qui n’est pas trop raide, mais derrière il sent que la mer entre dans une furie monstrueuse ! Paschic et Cool cependant s’efforcent de ne pas y faire attention et ils atteignent les hauteurs… Là, ils ne peuvent pas ne pas jeter un coup d’œil en arrière et ce qu’il voit dépasse l’imagination ! Un serpent hideux est dressé jusqu’au ciel ! Il siffle et dans ses yeux ne brûle que la haine !
« Le vrai visage de la Machine ! lâche Paschic. Venez ! » Et ils disparaissent dans les buissons d’une vallée !
43
Il y a de nouveau une réunion de crise, dans le gouvernement de Domopolis ! La Machine commande la table et autour on trouve Bona, Lapsie, Tautonus, monsieur Nuit, le duc de l’Emploi et le professeur Ratamor ! « Bien, dit la Machine, vous connaissez le problème : nous manquons d’eau ! Professeur Ratamor, je crois que vous avez une solution…
_ Effectivement, nous avons réussi à fabriquer de l’eau de synthèse… et nous sommes déjà prêts à assurer à chaque Dom sa ration quotidienne, si je puis dire, car il ne s’agit pas d’eau pour la toilette ! Elle est seulement destinée à être bue… et elle se présente sous forme de pilules… J’en ai apporté quelques unes ici…
_ C’est formidable ! s’écrie Bona. Au moins, on ne mourra pas de soif !
_ Formidable, formidable, c’est vite dit ! coupe monsieur Nuit. Il faut bien de l’eau encore pour la cuisson des aliments et on ne peut pas non plus rester sales… D’autre part, vous savez bien qu’il est impossible de bétonner sans eau !
_ Il nous faut donc constituer des réserves d’eau, en allant la chercher à l’extérieur de la ville, dit la Machine.
_ Cela veut aussi dire des sorties sous la menace des attaques de la nature ! enchaîne monsieur Nuit.
_ Je me charge de former ces convois protégés ! fait Tautonus. C’est du ressort de l’armée !
_ Vous pensez vraiment trouver des réserves d’eau importantes, à l’extérieur ? demande le duc de l’Emploi.
_ Nos services de recherches ont déjà repéré quelques lacs, malheureusement trop éloignés, pour songer à l’installation de conduites, reliant la ville…
_ Il peut aussi de nouveau pleuvoir, coupe la Machine, le tout est de tenir jusqu’à l’hiver !
_ Où nous serons la proie des tempêtes, qui feront trembler le dôme ! rajoute le duc de l’Emploi.
_ Pour la sécurité des convois, fait Bona à Tautonus, vous pourriez employer ce Paschic ! Il serait peut-être capable de repousser les attaques de la nature, en parlant aux arbres ou aux animaux !
_ Vous n’êtes pas sérieuse ! coupe le duc de l’Emploi.
_ A ce sujet, intervient Lapsie, je voudrais vous mettre en garde… Paschic est aimé du peuple ! Il est devenu une sorte de sauveur ! N’oubliez pas que nous sommes tous des « vendus », si je puis dire, dans l’esprit de l’opinion ! Paschic apparaît comme un pur et c’est même de là que viendrait son don ! Si nous lui accordons du pouvoir, il risque de prendre nos places, et en tout cas, il sera très difficile par la suite de nous en débarrasser !
_ Lapsie a raison ! renchérit le duc de l’Emploi. Nous ne pouvons pas prendre au sérieux n’importe quel charlatan ! Nous perdrions tout crédit !
_ Professeur Ratamor, qu’en pensez-vous ? demande la Machine.
_ Eh bien, je ne suis qu’un scientifique, évidemment ! Je n’ai pas votre vision de politiques… Ce qui m’intéresse, ce sont les faits, la vérité ! La magie, ou ce qu’on peut appeler le paranormal, n’a a priori aucune valeur scientifique !
_ Vous ne pouviez nier, cependant, que Paschic a bien sauvé le docteur Cool ! s’écrie Bona.
_ Que s’est-il passé exactement ? L’arbre a-t-il une conscience ? Non ! On ne peut pas lui parler, en faisant appel à sa pitié ! Disons qu’un concours de circonstances a été profitable à… ce Paschic !
_ Et au docteur Cool ! réplique Bona.
_ Professeur Ratamor, coupe le duc de l’Emploi, si vous êtes capable de fabriquer de l’eau, pourquoi ne pas en faire aussi pour la toilette ou pour bétonner ?
_ Hum… Pour obtenir de l’eau de synthèse, une certaine dose d’eau naturelle est nécessaire…
_ Formidable ! fait le duc ironiquement. »
Une vitre soudain explose et une pierre roule sur le sol ! « Bon sang ! Mais qu’est-ce… ? fait quelqu’un, quand les autres sont frappés par la stupeur ! Mais Tautonus se précipite déjà vers la fenêtre et dit : « Des manifestants ! Ils sont venus en nombre ! » Tous se lèvent et vont voir… Au pied du bâtiment, il y a effectivement une foule et elle est en colère. Elle montre des slogans et crie : « Paschic président ! », « Votez Paschic ! », « Nous voulons Paschic ! » , « De l’eau avec Paschic ! »
« Eh bien, ça n’a pas traîné ! » fait Lapsie.
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Les Doms (34-38)
- Le 04/05/2024
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" Ne fais pas les mêmes erreurs que moi!"
Sans pitié
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Les sirènes de Domopolis retentissent ! Des gens courent paniqués, tandis qu’une nuée noire les poursuit ! Ce sont des mouches, des millions de mouches qui envahissent la ville, après avoir trouvé une faille dans le dôme protecteur ! Des voitures se percutent, des personnes s’écroulent, on entend des cris, des larmes ! Certains avancent hagards, désespérés, le regard vide ! D’autres essaient de lutter, ils se débattent, horrifiés ! Ils écrasent les mouches, qui forment une sorte de pâte poisseuse, sous leurs mains, ce qui cause leur dégoût ! Il y a de grosses mouches brunes, qui semblent aveugles, insensibles et qui vrombissent d’une manière assourdissante ! D’autres ont des couleurs étincelantes, mais ce sont les plus opiniâtres, celles qui ont l’air de persécuter ! Enfin, les plus redoutables piquent douloureusement, provoquant la fuite, le délire !
Les mouches entrent partout ! Il est impossible de les chasser ! Elles couvrent les murs, les aliments, elles rentrent par la bouche, le nez ! Les sirènes retentissent et chacun s’enferme chez soi, se calfeutre et tue inlassablement, pour se sentir tranquille ! Bientôt, les services sanitaires entrent en action, diffusant dans l’air des produits chimiques, et les mouches meurent par milliers ! D’autres équipes sont chargés de repérer le ou les défauts du dôme, qui ont permis cette invasion ! Les rues sont souillées, la population choquée, ce qui fait qu’en haut lieu on organise une réunion de crise !
Il y a là la Machine, bien entendu, Bona, Lapsie, Tautonus, le professeur Ratamor, mais on y trouve aussi de nouveaux venus, à savoir monsieur Nuit, le duc de l’Emploi et même Paschic, car la gravité de la situation commande d’avoir recours à « celui qui parle aux arbres », bien que son excentricité pour le pouvoir ne fasse aucun doute ! Monsieur Nuit est le principal promoteur de Domopolis et il possède sa propre société de construction : Bouffage ! Il travaille en étroite collaboration avec le duc de l’Emploi ! Celui-ci est un personnage hautain, péremptoire et craint par tout le monde ! Pour ces deux hommes, il n’est pas question d’être soi-même ambitieux, avide, orgueilleux, méprisant ou haineux ! Ces sentiments n’existent pas pour eux, ou alors dans les romans, mais leur logique est simple, efficace, implacable ! Ils n’obéissent qu’à la stricte nécessité, à savoir qu’il faut de quoi se nourrir, donc un travail, donc des entreprises, donc du béton ! Ainsi, Domopolis ne cesse de s’étendre, comme si c’était la fatalité !
Pourtant, les attaques de la nature deviennent de plus en plus nombreuses et sont toujours davantage destructrices ! Les intérêts se heurtent à la réalité et la réunion est des plus houleuses ! « Je ne vous cache pas ma colère ! dit la Machine. Car le dôme a semble-t-il une nouvelle défaillance !
_ Nos équipes sont d’ssus ! assure monsieur Nuit. Nous allons trouve le défaut et le réparer !
_ En deux jours deux attaques ! réplique Bona. La société Bouffage ne mérite pas sa réputation !
_ La ville est grande, le dôme énorme ! C’est une œuvre délicate, mais nous faisons tout pour que ce qui s’est passé aujourd’hui ne se reproduise pas !
_ Espérons-le ! reprend la Machine. Car le peuple gronde ! Notre position est menacée, fragilisée ! Nous risquons des troubles encore plus importants !
_ J’aimerais intervenir…, fait le professeur Ratamor. Il serait bon, pour bien résoudre le problème, de nous mettre d’accord sur les mots ! Nous parlons d’attaques, mais le terme est impropre ! C’est prêter à la nature une conscience, une volonté qu’elle n’a pas ! Prenez les mouches… Le réchauffement climatique favorise leur multiplication et il suffit alors d’une brèche dans le dôme…
_ Malgré tout le respect que je vous dois, professeur, rétorque Lapsie. Pour la population, il s’agit d’attaques… et vous ne pourrez rien là-dessus !
_ Quelqu’un aurait des solutions à proposer ? coupe la Machine. Monsieur Paschic ?
_ Notre chaman de service ! Ah ! Ah ! fait le duc de l’Emploi.
_ J’ai bien quelques pistes, répond Paschic, mais il me faudrait étudier plus attentivement le fonctionnement de la ville…
_ Et pourquoi donc ? coupe monsieur Nuit. Cette ville fonctionne parfaitement bien !
_ Et donc, il n’y a pas de problèmes !
_ En tout cas, ce n’est pas un rêveur comme vous, qui va y trouver à redire !
_ C’est ce que vous croyez ! Mais qu’est-ce qui est vraiment réel ? La ville ou la nature ?
_ Ben, v’là autre chose ! fait le duc de l’Emploi. »
A cet instant, Paschic fait un large mouvement de la main et des nuages apparaissent dans la salle !
« Mais qu’est-ce que.. ?
_ De la sorcellerie !
_ Comment est-ce possible ?
_ C’est un complot contre la Machine !
_ Ne bougez pas ! Tautonus ! »
Chaque participant est environné par une sorte d’ouate, qui s’étire paresseusement, en prenant les formes les plus étranges, les plus extraordinaires ! Ici, un chevalier sur son destrier dressé ! Là, une vieille grand-mère toute boutonneuse, avec son chaudron ! Là-bas, un énorme bébé ou un crapaud géant ! « Vous voulez qu’ j’intervienne ? » demande Tautonus, d’une voix légèrement désemparée !
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Paschic tient un carnet secret, où il note ses remarques sur les Doms ! Il ne perd pas de vue que ses observations pourront être utiles, à son retour sur Terre ! D’autre part, il a besoin d’écrire, de rassembler ses idées, car il y a de quoi perdre la tête sur cette planète ! Plus Paschic observe les Doms et plus leur étrangeté lui paraît angoissante ! Celle-ci pourrait bien expliquer pourquoi le destin des Doms, face aux attaques de la nature, est en péril ! Mais voici quelques extraits de ce carnet…
« 25 juin, heure Dom plus 2, rapport de Paschic, officier de vaisseau, troisième mois après son atterrissage forcé… Le Dom est résolument agressif, qu’il soit de sexe masculin ou féminin ! Là est sans doute son problème essentiel ! Chaque Dom possède une domination psychique, qu’il exerce incessamment ! Il demande soumission et comment imaginer alors qu’il puisse vivre en paix ? Cependant, cette domination psychique est sans doute nécessaire à la constitution de la personnalité… Elle sert notamment de moyen de défense, à s’évaluer, mais encore une fois, cela ne peut être qu’une étape, car personne ne veut se sentir inférieur à un autre !
Le résultat est incompréhensible : violence, saleté, Domopolis est toujours en crise, alors qu’elle a tout le confort, la plus haute technologie ! Les gens crient au chaos, mais ils en sont à l’origine ! La civilisation des Doms est somme toute neuve, balbutiante et ne sait pas vivre, quoique son sort soit déjà suspendu !
Dans la rue, il faut toujours lutter contre la domination psychique des Doms ! C’est une constante épuisante ! J’ai pu créer une échelle de mesure, qui va de 1 à 5… Au degré 1, le Dom est quasiment inoffensif ! Il est soit trop vieux, soit trop soumis ! A force d’être écrasé, il ne se révolte plus ! Il ou elle avancent péniblement, juste occupés par leur survie, couleur muraille ! Au degré 2, la quête de la domination commence et devient agaçante ! Cela peut se traduire par un regard de biais, légèrement méprisant ! On ressent une gêne, comme un souffle froid ! Pourtant, on arrive à s’en débarrasser assez facilement, ainsi qu’on chasse un insecte !
On monte sur l’échelle et plus le Dom bien entendu se montre oppressant, voire violent ! J’ai subi des combats titanesques, mais je me suis aussi découvert un don sur cette planète : je peux à tout moment faire apparaître la nature, devant mes interlocuteurs, d’une manière suggestive ! Ce n’est pas vraiment de la matière (je ne suis pas une jardinière ambulante!), mais ma création est si forte qu’on y croit ! Ce nouveau pouvoir vient peut-être de la gravitation qui est plus légère ici ! Quoi qu’il en soit, c’est bien cette arme qui me permet de me libérer des Doms les plus dangereux !
Hier, j’ai rencontré un Dom 4 et voici ce qui s’est passé… Le Dom m’a d’abord entraîné dans son univers, dont il est le roi ou la reine, ou plus précisément le trou noir ! A ce stade, je suis prisonnier du Dom ! Et sa force d’attraction peut être phénoménale ! Comment s’en libérer ? Imiter le Dom et créer sa propre force de répulsion, qui se traduirait par de la haine, du mépris ? Ce serait faire le jeu du Dom, alimenter son trou noir, puisque le Dom serait devenu le centre d’intérêt ! D’autre part, il y aurait le risque de se transformer soi-même en Dom : ne voudrait-on pas alors vaincre son adversaire, le dominer, le soumettre ?
Non, pour échapper au Dom, sans affrontement, il faut neutraliser la situation ! C’est ici que mon don entre en action ! Je crée de la nature autour du Dom ! Il se retrouve en face d’une fleur, d’une eau qui scintille, d’un morceau de ciel bleu ! Il ne sait plus quoi faire, il ne peut pas se mettre en colère, il est renvoyé à sa solitude et donc à son angoisse ! Car le Dom domine pour exister ! Mais, grâce à ma création, je lui glisse entre les doigts, pour ainsi dire ! Je lui pose une énigme ! Comment fais-je, pour ne pas me soucier de lui ? Peut-il s’emporter contre la paix de la nature ? A quoi cela servirait-il ?
Inutile de dire que dans ces conditions le Dom ne s’intéresse nullement à ce qui est au-delà du dôme (sans vouloir faire de jeu de mots) ! Rivé à sa domination, le Dom ne se soucie guère de son environnement ! Il ne l’aime pas, ne l’admire pas et ne le considère pas comme sérieux ! La nature est pour le Dom secondaire et elle doit seulement subvenir à ses besoins ! C’est peut-être pour cette raison que Domopolis est menacée et qu’elle subit des attaques ! Dans ce cas, la domination des Doms serait nocive pour l’environnement, d’où une réaction hostile !
Je n’ai pas encore rencontré de Dom 5, mais il ne peut qu’être un tueur ! Si les autres ne lui sont pas soumis, il veut les détruire ! Le Dom 5 est dans un monde encore plus fermé que celui de Domopolis et sa peur et donc sa haine sont immenses ! »
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Temps 3 sur Dom, carnet de Paschic : Évidemment, les Doms ignorent tout de leur domination, car elle est leur est parfaitement naturelle ! Ils en usent depuis l’enfance et ils ne peuvent même pas imaginer qu’il puisse en être autrement ! Ils sont d’ailleurs confortés dans leur quotidien par leur haine et ils croient naïvement que leurs problèmes sont dus à des groupes particuliers, comme les capitalistes ou les étrangers ! Ils accusent ces groupes de défauts, de mauvais desseins, dont ils pensent être eux-mêmes dépourvus ! Quelle illusion, car ils sont tous égoïstes et dominateurs ! Il y a chez eux l’impossibilité de faire le constat suivant : tout leur monde part à vau-l’eau, Domopolis est condamnée et c’est parce que le Dom ne sait pas vivre !
Comment montrer au Dom que c’est sa propre domination qui le tue ? Pour ma part, donc, je transporte le Dom dans une nature « psychique » ! Il s’y retrouve mentalement ! Sa domination ne peut plus s’y exercer, car le Dom a besoin des autres pour se sentir supérieur, il a besoin de leur soumission ! C’est là sa raison d’être ! Sa boussole, c’est son ego ! Au milieu des fleurs, dans un champ, il peut certes écraser quelques fourmis ou faire peur aux oiseaux, mais cela ne saurait le satisfaire ! Autrement dit, ma paix met le Dom dans une autre dimension et sa réaction est parfois surprenante ! Il laisse tomber un objet ou se cogne contre quelque chose… Une fêlure apparaît et c’est bien normal ! C’est l’activité, la domination psychique du Dom qui ne l’est pas, qui est quasiment maladive ! Le Dom « surdomine », pour ainsi dire, pour échapper à une angoisse et celle-ci lui enlève sa force, sa lucidité dès qu’il ne domine plus ! Il est d’ailleurs possible de conduire le Dom à la panique, qui se révèle par une haine sauvage !
On peut donc parler du mensonge du Dom, puisqu’il se cache sa peur par la domination ! Bien entendu, on ne peut pas progresser tant que l’individu ne veut pas reconnaître sa peur ! « L’enfer appartient aux orgueilleux ! » Tout cela est bien triste au fond, car le Dom recommence toujours les mêmes erreurs et le voilà maintenant la « proie » de la nature ! La vie des Doms au fond n’est pas réelle, à cause de leur mensonge, et c’est pourquoi j’ai demandé au Conseil qu’est-ce qui a le plus de réalité : Domopolis ou la nature ? J’ai évidemment essuyé un tollé et pourtant, c’est bien le nuage qui existe ! La « surdomination » des Doms, leur agitation effrénée, leur cris et leur violence incessants ne sont qu’un courant d’air, une fuite en avant ! La haine des Doms ne s’explique pas autrement : elle est une sorte de rage du vide ! Elle témoigne d’une impuissance ! Le monde des Doms est constamment tendu et il signe la fin de sa planète !
Nul Dom ne peut se dispenser de chercher ! Il peut vouloir vaincre sa peur, grâce à la vérité, à condition déjà bien entendu qu’il ouvre les yeux ! Le Dom a soif et je peux lui donner à boire, mais il préfère me haïr ! Le Dom ne veut pas que les choses bougent et la nature dehors vient le tuer ! Le Dom se croit tout puissant et la sagesse naît de celui qui est brisé ! Le mélange des saisons est destructeur ! Qu’elles se diluent, qu’elles ne soient plus reconnaissable, en se prolongeant indéfiniment ou bien en se résumant à des phénomènes, comme la canicule ou les tempêtes, enlèvent aux Doms tout repère, les minent au plus profond, sans même qu’ils s’en rendent compte vraiment !
Mais nos idées, nos pensées sont comme les feuilles des arbres ! En hiver, il ne nous reste plus que le tronc et les branches, d’où notre manque de force, nos doutes et notre fragilité ! C’est le retour du printemps qui fait monter la sève et redonne à ce que nous sommes toute sa force ! C’est là que nous pouvons voir le résultat de tout notre travail intérieur, dû à l’hiver ! Ici, les beaux jours, les températures douces ne sont pas forcément au rendez-vous et nos « feuilles » tardent à s’épanouir ! Les Doms n’en finissent plus de douter, de gémir, d’avoir peur et de céder à la colère ! Contre qui, contre quoi ? Le soleil doit revenir certes, mais il est craint ! Il n’est plus l’ami de naguère !
Mais le Dom continue à être fier et à croire que sa domination est la solution ! Tant pis pour lui ! Moi, je m’enchante du ciel bleu et des nuages ! Jamais les jeunes feuillages ne m’ont paru aussi beaux ! Ils ont une lumière dorée inégalable ! Le Dom, centré sur lui-même, garde sa tête grise, maudit la joie qui n’est pas la sienne ! Le dôme va-t-il s’effondrer et conduire les Doms à crier à l’aide et à l’humilité ? Le Dom a soif et j’ai de l’eau ! Mais en voudra-t-il, la supportera-t-il ? J’ai les peurs du Dom et leur remède !
Tant que le Dom voudra dominer, il sera condamné ! Il y a une porte ! C’est une légende de Domopolis ! Elle est située au-delà du dôme et du Dom ! Quelle est-elle ? De quoi est-elle constituée ? Comment la passe-t-on ! Il va falloir la trouver et répondre à ces questions ! »
37
Aujourd’hui, Paschic est dans le bureau de monsieur Nuit, où est encore présent le duc de l’Emploi, l’ami inséparable du promoteur… Paschic veut mieux comprendre le fonctionnement de Domopolis, mais, s’il a été reçu, il se trouve devant l’hostilité de ses deux interlocuteurs ! Ils ne cachent même pas leur mépris pour Paschic, qui lui-même les voit comme des Doms de degré 4 ! « Ils foncent comme des trains dans la nuit ! se dit Paschic. Depuis toujours ils sont habitués à commander ! Ils ne savent ni où ils vont, ni ce qu’ils font, et pourtant on leur fait perdre leur temps ! »
« Franchement, monsieur Paschic, dit monsieur Nuit, je comprends mal l’objet de votre visite… N’était votre soudaine célébrité auprès de la Machine…
_ Charlatanisme ! coupe le duc.
_ Eh bien je voudrais me faire une meilleure idée de la ville… Comment notamment se développe-t-elle ? Car c’est bien son développement qui pose problème à la nature !
_ Comme vous y allez ! s’écrie monsieur Nuit. Rien ne prouve qu’il y ait une relation de cause à effet, entre notre extension et… les « attaques » de la nature !
_ Ce sont tout de même les Doms qui sont visés, non ? Vous conviendrez que nous déréglons le climat et donc la nature…
_ Je vous vois venir, Paschic, coupe de nouveau le duc, vous êtes un de ces rêveurs, qui voudraient revenir à l’âge de pierre ! Mais, ici, nous sommes chez les gens sérieux et qui sont tout le temps confrontés à la réalité ! Notre logique est imparable, Paschic ! Nous sommes de plus en plus nombreux, il faut donc de plus en plus d’emplois, de logements et d’entreprises ! Il faut bien que tout le monde croûte, non ? Et donc la ville s’étend !
_ Et donc nous savons pourquoi nous vivons et souffrons ! On dirait, à vous entendre, que vous parlez de robots !
_ Je n’aime pas votre ton, Paschic, sachez-le !
_ Bon sang, ça me fait de la peine ! comme ça frappera aussi sans doute le prochain arbre qui attaquera !
_ Allons, allons, messieurs, intervient monsieur Nuit, ne nous emportons pas ! Pour ce qui concerne les attaques, le dôme a été réparé ! Voyez-vous, monsieur Paschic, pour ma part, j’aime plus que tout le neuf ! Les logements vétustes, avec leurs façades pleines de moisissures, me rendent malades ! J’ai l’impression qu’elles représentent la mort ! Pas seulement parce qu’elles sont laides, mais aussi parce qu’elles ont l’air d’arrêter le temps ! Elles symbolisent l’immobilisme, la renonciation, la médiocrité ! Tandis que des bâtiments étincelants semblent immaculés, tels des soleils qui triompheraient de la mort ! C’est la jeunesse éternelle !
_ Je vois…, mais vous avouerez que vous êtes bien loin là de la stricte nécessité, déjà mise en avant par le duc ! Au contraire, vous nous exposez des sentiments empreints de névrose… Si je vous dis ceci, c’est pour vous montrer que les choses sont bien plus complexes que vous ne voulez l’admettre !
_ Peu importe ! coupe le duc. De toute façon, vous ne nous arrêterez pas !
_ Je sais, c’est maintenant la nature qui s’en charge… Ce sont les projets d’extension de la ville qui sont ici accrochés au mur ?
_ Exactement ! répond monsieur Nuit. Domopolis fonctionne comme un tissu cellulaire, si je puis dire… Chaque extension est une cellule qui se rajoute à une autre !
_ On pourrait comparer cela à un cancer…
_ Oh ! Ça suffit ! s’emporte le duc. Nuit, nous avons assez supporté la présence de cet imbécile !
_ Et qu’est-ce que c’est que cet N, que nous avons sous nos pieds ? demande Paschic, qui fait celui qui n’a rien entendu.
_ C’est le Noyau ! au propre comme au figuré ! Car c’est ici qu’est fabriqué l’ADN de la ville ! Nos structures sont plus que du béton, c’est de la matière organique ! Le Noyau transmet son message d’ici et conduit à la formation des différents éléments de la ville ! Domopolis est vivante Paschic ! Elle est le prolongement des Doms ! »
A cet instant, de violentes sirènes retentissent ! Un écran s’allume, qui se met à diffuser des informations… « Il n’y a plus d’eau ! dit un journaliste. Nos réserves sont épuisées ! Le gouvernement tâche de régler la situation ! Mais déjà nous sommes appelés à réduire strictement notre consommation ! La toilette doit être réduite au maximum ! La priorité est d’étancher la soif ! Par ailleurs, le professeur Ratamor, un de nos plus éminents scientifiques, parle de pilules d’eau ! »
38
On a prêté un petit logement à Paschic, qui s’y repose ce soir-là, quand la sonnette se fait entendre ! Paschic ouvre la porte et dit : « Docteur Cool ! Quelle surprise !
_ Je ne vous dérange pas au moins ?
_ Pas du tout ! Entrez, je vous en prie ! Vous allez mieux, on dirait !
_ En effet, je suis sortie de la clinique il y a quelques jours...
_ Mais asseyez-vous… Un verre ?
_ Volontiers… En fait, je suis venue vous remercier ! Sans vous, j’aurais fini pendue à un arbre !
_ Bah, vous êtes là et c’est l’essentiel !
_ Écoutez… Euh, je reste persuadée que vous ne nous dites pas tout, que votre passé reste trouble… Mais peu importe ! J’ai changé depuis que vous avez sauvé ma vie ! Je me moque de votre situation ! Je cherche même à mieux comprendre ce qui s’est passé ! Comment notamment pouvez-vous parler aux arbres, vous entendre avec eux ? Vous avez chamboulé toutes mes croyances ! C’est… à la fois merveilleux et incroyablement inquiétant !
_ Et encore vous n’en êtes qu’au début ! Vous commencez à peine à ouvrir les yeux !
_ Vous m’intriguez… Que suis-je censée découvrir ?
_ Je ne puis vous le dire… La connaissance qui s’est éveillée correspond aussi à une transformation de votre chair ! Vain serait de vous décrire ce qui vous attend, car ce n’est pas une affaire de théories ! La seule raison ne peut pas vous l’expliquer !
_ Je vois…, mais je suis toute excitée ! C’est comme si vous aviez ouvert une fenêtre dans mon existence !
_ Voulez-vous m’aider ?
_ Bien sûr, ce serait une joie !
_ Je voudrais pénétrer le Noyau de Domopolis, pour voir à quoi il ressemble !
_ Le Noyau…
_ Oui, le sous-sol du bâtiment de l’Extension de la ville, celui de monsieur Nuit !
_ Ah oui ! Ce serait possible…
_ Vraiment ?
_ Oui, en tant que fonctionnaire du gouvernement, je possède un laisser-passer, jusqu’à un certain niveau toutefois…
_ Parfait ! Et nous pouvons y aller tout de suite ?
_ Mais oui, pourquoi pas ? Mais vous êtes sûr que ce soit nécessaire ?
_ Absolument ! En route ! »
Paschic et Cool arrivent à destination et effectivement, ils franchissent sans difficultés plusieurs portes, avant tout de même de buter contre un secteur particulièrement contrôlé… « Hélas, dit le docteur Cool, je crains que nous ne puissions aller plus loin… Mais, attendez, il doit y avoir un escalier de secours et il sera peut-être possible de passer par là ! » Paschic et Cool ouvrent bientôt une porte métallique rouillée et s’engagent dans un escalier qui semble abandonné ! Il faut allumer une lampe et se protéger contre la poussière, soulevée par les pas ! Deux étages plus bas cependant, le duo rencontre une nouvelle porte, mais qui elle refuse de s’ouvrir ! « Coincés ! fait Cool. Nous avons fait tout ce chemin pour rien !
_ Pas tout à fait ! Vous sentez ce courant d’air ? Il y a un passage quelque part ! »
En suivant un couloir, Cool et Paschic se retrouvent face à une grille d’aération et bien entendu, ils essaient de voir au travers ! Ce qu’ils découvrent les stupéfie ! Ils sont devant une immense cuve, qui fait plusieurs étages et dont le liquide bleu bouillonne ! De gros tubes en partent, dans lesquels flottent des embryons ! « Mais qu’est-ce c’est ? s’écrie Cool.
_ Mais c’est la machine à fabriquer les Doms, si je puis dire !
_ Quoi ?
_ C’est de là que vous venez, doc !
_ Qu’est-ce que vous racontez ? J’ai eu une maman et un papa !
_ Oui, en apparence !
_ Comment ça en apparence ? Vous débloquez complètement !
_ Et pourtant, vous voyez la même chose que moi ! Venez, je vous expliquerai ce que je sais, quand on sera de retour chez moi !
_ Oui, un autre verre me fera du bien ! »
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Les Doms (Paschic) 29-33
- Le 27/04/2024
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"On va pas en faire tout un plat!"
Jack Reacher
29
Paschic est dans sa tranchée et comme d’habitude, il n’a pas bien dormi ! Il a comme une gueule de bois et le cerveau vide… Il est assis sur un tonneau et fume sa pipe d’un air maussade ! Un camarade passe et lui dit : « Ben ça, Paschic, t’as ta tête des mauvais jours ?
_ Bof…
_ Comment ça ? La vie est belle ! J’ vais bientôt être nommé caporal !
_ J’ suis content pour toi…
_ Tu sais, c’est quoi ton problème, Paschic ? T’as pas d’ rêves !
_ C’est vrai, j’ai oublié ce que c’est…
_ Bon sang, Paschic, qu’est-ce qui s’est passé ?
_ J’ai découvert l’existence des Doms, alors que je n’étais qu’un enfant, dans ma propre famille !
_ Ouais, c’est un coup dur !
_ Tu peux le dire ! Les autres croient que les Doms sont coupables, aux yeux de la loi, ou que c’est un groupe en particulier, qu’il faut chasser, détruire ! Mais le Dom est en chacun de nous ! Nous faisons le mal sans nous en rendre compte ! Rien de plus con que le slogan qui dit : « Nous pouvons tout changer ! » Comme si nous étions d’abord d’accord de nous changer nous-mêmes !
_ Je te sens bien amer, Paschic !
_ Non, non, rassure-toi ! Je vais me remettre en train, j’ suis du genre diesel, c’est tout ! Moi, quand j’ vais pas bien, j’attends, j’ m’énerve pas, j’ désigne pas de coupables ! J’ sais qu’ ma nourriture spirituelle va arriver ! C’est une question d’ patience, c’est tout ! Ainsi, j’ blesse personne !
_ Tout de même, Paschic, rêver, c’est espérer, le moteur de l’action !
_ Qu’est-ce que tu veux ? être admiré des Doms ? être célèbre parmi eux ? Excuse-moi, mais j’habite plus l’arc-en-ciel !
_ T’as toujours été vieux, Paschic !
_ C’est vrai, j’aurais voulu être jeune, mais on ne m’en a pas laissé le temps ! J’aurais voulu garder mes illusions, me sentir protégé, en sécurité, mais il y a même des loups dans l’ giron familial ! Après, on s’aperçoit qu’ils sont partout, que nous ne savons même pas vivre, que nous ne sommes pas heureux ! Le Dom a peut-être de l’ivresse…, mais tôt ou tard il rencontre le monde et sa différence et il fait le mal ! Le Dom se sert des autres pour rêver ! La belle affaire !
_ Alors quoi ? On désespère ?
_ Non, non… Tu sais c’ qui m’ donne la pêche ? C’est la création, le sentiment qu’on peut tout inventer ! Là, je sens toute ma liberté, toute ma force ! Mon âme m’amuse, si je puis dire, elle m’enchante à ce moment-là ! Mais nous n’avons pas tous le pouvoir de créer, évidemment, quoique chacun puisse trouver sa nourriture, son intérêt…
_ Tu ne rêves pas d’une vie future ?
_ Pas la force, trop de doutes… C’ qui m’aiderait tout de même, c’est qu’on reconnaisse l’existence des Doms ! On s’rait moins seul, pas vrai ? Et puis, il nous faut des munitions, des armes ! A quelle heure ils sont supposés donner l’assaut ?
_ C’est imminent ! Un dernier verre ?
_ Volontiers ! Il t’en reste ?
_ J’en ai demandé au cuisinier, qui m’a à la bonne ! Tiens, de la gnôle de maïs !
_ Quoi ?
_ C’est un peu fort, mais ça ravigote quand même !
_ Dis, ça s’rait pas eux qu’on entend ?
_ Boum ! Boum ! Tac ! Tac ! C’est bien leur musique !
_ Tout le monde à son poste ! gueule Paschic. Les Doms arrivent !
_ Dom ! Dom ! entend-on en une immense clameur !
_ Vise un peu leur gueule, Paschic !
_ Ouais, f’raient peur à Lucifer en personne ! Ça va secouer les enfants !
_ Dom ! Dom !
_ On attend mon commandement avant d’ tirer ! Attention…
_ Dom, dom !
_ Bon Dieu, Paschic, ils foncent !
_ C’est ça qu’ j’aime : faucher du Dom ! Feu les gars ! Feu ! »
30
« Allo la Terre ? Répondez ! Ici, le vaisseau éclaireur MX 32, nous sommes pris dans une tempête stellaire ! Nous perdons le contrôle ! La Terre ? Répondez ! » Depuis longtemps, les Terriens maîtrisent les voyages intersidéraux, par la distorsion de l’espace-temps, et Paschic, aux commandes de son vaisseau, serre les dents, tout comme son compagnon Abjar, assis à côté de lui. Ils constituent tout l’équipage du MX 32, qui maintenant n’est plus qu’un jouet des forces cosmiques ! A la limite de l’univers connu, MX 32 est irrésistiblement attiré vers une planète non répertoriée, mais les deux pilotes ont sombré dans l’inconscience, quand une procédure d’alarme prend en charge le vaisseau !
Celui-ci crève la nouvelle atmosphère et bientôt il éjecte ses occupants, avant de s’écraser ! Paschic rouvre les yeux bien plus tard, toujours attaché à son siège, un parachute se balançant mollement derrière… Où est-il ? Il est encore vivant, mais il ne voit pas Abjar… Lentement, il se met debout et respire sans problèmes l’air qui l’entoure… Il est sur un terrain sec et craquelé et apparemment la nature ici est pareille que sur Terre ! Il fait quelques pas… Où est Abjar ? Son parachute est invisible… C’est étrange, mais Paschic a l’impression d’être observé ! Il scrute des parois rocheuses, mais il n’y a personne…
Soudain, une pierre tombe et roule vers Paschic… Puis vient une deuxième et une troisième… On dirait que la roche veut attaquer Paschic, qu’elle est consciente ! Malgré sa surprise, Paschic recule, mais maintenant il a en plus l’impression que le sol retient ses pas, que lui aussi est hostile ! C’est invraisemblable évidemment et Paschic se dit qu’il est encore sous le choc, ce qui fait qu’il s’efforce de soulever les pieds et de marcher !
La chaleur est accablante et il avance péniblement… Il lève les yeux et distingue une masse grouillante et verdâtre qui se dirige vers lui ! Qu’est-ce que c’est ? Des lézards ! Des milliers de lézards qui foncent dans sa direction ! Son sang se glace et il veut fuir, mais c’est comme courir dans un pot de mélasse ! Les lézards sont là et montent sur Paschic ! Il en est couvert ! Certains essaient de pénétrer ses oreilles, sa bouche ! Ils mordillent, se glissent sous sa combinaison ! Le dégoût ! Il en chasse quelques uns, mais la nuée le fait disparaître ! Il crie et son corps s’élève dans l’air : il est pris dans le rayon transporteur d’une navette !
Une fois à l’intérieur, il entend : « Mais bon sang, qu’est-ce que vous foutiez dans l’ secteur 5 ! Vous savez bien que c’est interdit ! » Celui qui vient de parler est un être qui lui ressemble parfaitement ! On dirait un humain ! De plus, Paschic le comprend, quoique la voix soit accompagnée d’une certaine résonance, comme si elle était traduite aussitôt ! « Ils ont évolué comme nous, se dit Paschic, mais ils ont l’air plus avancés... »
« Asseyez-vous ! reprend l’individu, en écrasant les derniers lézards, qui avaient accompagné Paschic. Nous serons à Domopolis dans cinq minutes ! » Paschic s’exécute docilement et remarque un atlas, posé à côté de lui… Il l’ouvre et se rend compte que la planète s’appelle Dom et que ses habitants eux aussi portent le nom de Doms ! Que faire ? Dire aux Doms qu’il est un Terrien ? Ce serait effectivement la choses la plus naturelle à faire, en expliquant l’accident du vaisseau, et cela permettrait encore de rechercher Abjar…
Mais quelle serait la réaction des Doms ? Ne prendraient-ils pas Paschic pour un fou ? Paschic s’imagine la même situation sur Terre, avec un Dom ressemblant trait pour trait à un humain et disant aux forces locales qu’il vient d’une autre planète ! On lui répondrait : « Oui, oui, bien sûr mon vieux... » et on le conduirait gentiment à l’asile !
Et puis quel est l’état de cette planète ? Est-elle en guerre ? Si oui, Paschic risquerait d’être pris pour un espion... Et il y a encore cet environnement si particulier, manifestement hostile aux Doms et dangereux ! Non, pour l’instant, il vaut mieux cacher son identité… et attendre, afin de comprendre vraiment ce qui se passe… Soudain, devant la navette apparaît Domopolis ! Une ville incroyable, éblouissante sous un vaste dôme ! La navette pénètre à l’intérieur et avant l’atterrissage, le pilote se retourner vers Pashcic : « Faudra quand même que vous expliquiez aux autorités pourquoi on vous a retrouvé dans l’ secteur 5 ! Dame, ce s’ra dans not’ rapport ! Pas moyens d’y couper ! Sinon, nos patrons vont tousser, ah ! ah !
_ Si j’ dis que j’ lézardais, ça passera ? »
31
Paschic est un suspect et il a été conduit dans une vaste salle nue et blanche ! On peut voir l’extérieur, grâce à de grandes baies vitrées, faisant partie du dôme ! Mais en face de Paschic se tient une femme à l’allure sévère, quoique belle ! Elle pose des questions à Paschic, dont les réponses sont enregistrées par une sorte de greffier ! L’ambiance est comme aseptisée, ce qui renforce le caractère grave de l’entretien, d’autant que deux gardes, munis d’armes, encadrent la porte d’entrée !
« Vous vous appelez Paschic, c’est bien ça ? demande la femme.
_ Oui, je vous l’ai déjà dit…
_ L’ennui, monsieur… Paschic, c’est que vous n’êtes répertorié nulle part ! Nos dossiers sont à jour pourtant !
_ Il doit y avoir une erreur…
_ Je veux bien vous croire, mais vous êtes incapable de nous donner votre numéro…
_ Mon numéro ?
_ Oui, tous les Doms en ont un ! C’est un numéro qui commence par un D, suivi d’une série de chiffres…
_ Ah oui ! J’ai dû l’oublier, suite au choc que j’ai subi…
_ Quel choc ?
_ Eh bien, j’imagine qu’il a eu lieu dans le secteur 5, avant qu’on ne me retrouve…
_ Que faisiez-vous dans le secteur 5 ?
_ Eh bien, c’est là que ça se corse, car je ne m’en rappelle plus !
_ Vous vous moquez de nous, monsieur Paschic n’est-ce pas ?
_ Voilà une chose que je ne me permettrais pas !
_ Remarquez que c’est d’abord pour votre bien que nous vous demandons des informations ! Sans votre numéro, nous serons incapables de savoir quels sont vos droits, ni quel sera le montant de votre retraite !
_ Je comprends…
_ Vous avez grandi ici, à Domopolis ?
_ Oui, oui, bien entendu…
_ Que faisaient vos parents ?
_ C’est assez compliqué…
_ Vous connaissez aussi la plupart des quartiers de la ville, j’imagine… Où se trouve la statut de Dom premier ?
_ Oh ! Pas très loin d’ici !
_ Bien ! Je vois que vous continuez à nous cacher bien des choses, comme votre réelle identité ! Vous allez être placé en détention, jusqu’à ce qu’on clarifie votre cas... »
A cet instant, une baie vitrée explose et un arbre étend ses branches à l’intérieur de la salle ! Elles ont l’air de chercher une proie et c’est la panique ! Une alarme retentit, le greffier se jette sous la table, quand la femme qui interrogeait Paschic est prise à la gorge ! Elle est soulevée, comme pendue à une branche, et ramenée vers le tronc ! Les deux gardes tirent sur l’arbre, mais une autre branche vient les frapper et ils sont envoyés contre un mur !
Paschic se lève et sans hésiter, il se dirige vers l’arbre, dont il étreint le tronc, en lui murmurant des mots d’amour ! Il caresse l’écorce, en un geste qui semble parfaitement naturel ! L’arbre finit par relâcher la femme, qui reste allongée sur le sol, et il s’en va, glissant, marchant maladroitement, spectacle stupéfiant ! Les gardes se remettent debout, font signe à Paschic de se rasseoir, et ils s’occupent de la femme !
Elle est emmenée dans une clinique et Paschic dans une cellule ! Mais l’événement fait le tour de la ville : un Dom aurait parlé, apaisé un arbre ! C’est un magicien, un sauveur, qu’il faudrait relâcher, honorer ! Les gens s’enchantent, retrouvent de l’espoir et ils crient le nom de Paschic devant le gouvernement, pour voir le héros et qu’il soit libéré ! On n’a en effet jamais vu ça ! Pourtant, dans sa cellule, Paschic ignore tout de cela et il doit prendre patience… « Tout de même, se dit-il, quelle drôle de planète, où la nature attaque les habitants ! Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive là ? Et cette femme va-t-elle s’en remettre ? Elle est vraiment belle, mais quelle dureté ! Y a du boulot ! Et Abjar ? S’en est-il sorti ? Je l’espère… Il est peut-être devenu roi des grenouilles et se la coule douce ! « Quoi ? Quoi ? » fait-il quand on lui demande quelque chose ! »
32
Domopolis est dirigée par la Machine, une femme déjà âgée et réputée pour ses terribles colères ! Personne, après les avoir vus, n’oublie ses yeux d’un bleu d’acier ! C’est la reine des Doms, car ce qui est présenté comme une démocratie est plutôt une tyrannie ! En fait, la Machine entre souvent dans des fureurs, qui lui enlèvent tout jugement et dont elle ne se souvient plus quelques instants plus tard ! Dans ces conditions, on peut être persuadé de faire le bien, tout en écrasant son prochain !
La Machine est secondée par deux autres femmes, qui lui tiennent lieu de ministres ! Il s’agit de Bona et de Lapsie ! Bona (de « Bonne à » tout faire!) est une droïde entièrement dévouée à la Machine ! Elle est chargée d’encenser la Machine, pour la rassurer ; elle lui chante tous les jours combien elle est magnifique, et elle veille aussi à écarter tous les gêneurs, tous ceux qui osent critiquer ou s’en prendre à la Machine !
Lapsie est psychologue de formation, d’où son nom, et elle joue le rôle de conseillère ! Elle est censée comprendre le monde et surtout les adversaires de la Machine, afin de mieux les détruire ! Elle est plutôt malingre, sans véritable beauté, ce qui explique en partie un caractère aigri, acrimonieux, qui rêve de noyer tout mâle sous un traitement médicamenteux destructeur ! Et pourtant Lapsie se croit affranchie de tout égoïsme, grâce à sa propre analyse, et seulement guidée par l’objectivité ! A l’instar de la Machine, elle ne voit pas la haine qui la ronge et la dévore !
Tautonus est le mari de la Machine et son muscle ! Il a des avant-bras poilus et il peut frapper comme un sourd, quand la Machine est à bout, acculée et qu’elle le supplie d’intervenir ! La Machine n’hésite pas à utiliser ses larmes, pour mieux apitoyer Tautonus, qui entre en action, mais le résultat n’est pas seulement la destruction de celui qui menace la Machine, il est encore que celle-ci évite de voir totalement ses contradictions, ce qu’elle est en réalité ! Ainsi protégée, elle ne change pas, mais au contraire elle s’endurcit et persévère ! Cependant, ce qui motive Tautonus, c’est bien plus préserver son confort que de défendre la Machine, car sa vie ne peut continuer si cette dernière est aux abois ! C’est pourquoi il frappe si fort, inquiet dans son égoïsme, sa chair même !
Le professeur Ratamor, un scientifique de renom, est aussi présent pour l’occasion, car la Machine a réuni tout son petit monde, suite à « l’exploit » de Paschic et à son retentissement parmi le peuple ! « Que sait-on vraiment de cette affaire ? demande la Machine.
_ Eh bien, ce que tout le monde en rapporte… répond Lapsie. Le dénommé Paschic aurait bien parlé à l’arbre qui a attaqué… et il aurait sauvé une de nos fonctionnaires, le docteur Cool !
_ Et comment se fait-il qu’un arbre a passé nos barrières de protection ?
_ L’enquête est en cours ! répond Bona. Mais la situation elle-même de ce Paschic n’est pas très claire !
_ Comment ça ?
_ On n’a aucune info sur sa situation sociale ! D’où vient-il ? Qui sont ces parents ? Que fait-il dans la vie ? Mystère et boule de gomme !
_ Il faut voir ça de près ! On ne peut pas laisser n’importe qui devenir un héros !
_ D’autant qu’il peut vous faire de l’ombre ! réplique Lapsie. Le peuple l’acclame, crie son nom ! Ce Paschic redonne de l’espoir ! Il peut apparemment nous sauver des attaques de la nature ! De là à penser que nous sommes des incapables…
_ Professeur Ratamor, vous qui êtes le scientifique ici, qu’est-ce que vous en pensez ?
_ Pas grand-chose… Les gens qui parlent aux arbres et qui les caressent, c’est pas vraiment mon rayon ! Ce serait plutôt celui de votre collaboratrice Lapsie !
_ Vous pensez que c’est un fou, un original ?
_ Je ne me prononcerai pas là-dessus… En revanche, nous essayons, nous les scientifiques, de lutter contre les attaques de la nature, enfin ce que nous appelons des attaques, par les moyens de la science et donc ceux de la raison ! Le chamanisme, ou appelez-le comme vous voulez, nous laisse froids !
_ Cependant, vous ne pouvez nier que la nature s’est retournée contre nous et n’était ce dôme qui nous protège, Domopolis ne serait plus !
_ Certes, mais nous travaillons d’arrache-pied sur la question ! Nous avons accéléré la transition énergétique, afin d’être moins polluants ! Des solutions chimiques, moléculaires sont mises en œuvre ! Nous allons trouver des antidotes, des remèdes… Nous avons encore des solutions génétiques !
_ Je ne doute pas des capacités de la science, professeur Ratamor, mais il faut avouer que le chamanisme, comme vous dites, l’amateurisme, la magie ont frappé une grand coup !
_ Il faudrait analyser vraiment les événements ! Il est possible que l’arbre ait relâché sa proie, à cause d’autres choses que ce Paschic !
_ Tout cela est bien troublant…
_ Vous voulez que je m’en occupe ? questionne Tautonus.
_ Non, non, c’est trop tôt ! Attendons la fin de l’enquête... »
33
Paschic a de nouveau été placé dans une salle d’interrogatoire, mais sans fenêtres cette fois-ci ! Deux femmes entrent et s’assoient en face de Paschic… « Sororité, monsieur Paschic ! dit l’une. Je suis l’agent Bona et voici l’agent Lapsie. Nous avons tenu à vous voir, car nous avons encore quelques questions à vous poser ! Bien, d’abord, nous voudrions vous remercier d’avoir sauvé la vie de notre collègue, le docteur Cool !
_ Elle va bien ?
_ Oui, à part les marques rouges sur son cou, son état est des plus satisfaisants… Je ne doute pas qu’elle tienne bientôt à vous voir, pour vous exprimer sa gratitude !
_ J’en suis très heureux...
_ Vous êtes devenu un héros pour la population, monsieur Paschic ! C’est la première fois que nous voyons quelqu’un qui parle aux arbres ! Vous vous doutez bien que dans la situation actuelle, alors que les attaques de la nature se multiplient, un pouvoir tel que le vôtre peut se révéler éminemment précieux ! Que dis-je ? Il pourrait être enseigné, transmis et Domopolis serait à même de se défendre ! Nos vies changeraient du tout au tout ! A l’inverse, s’il s’avèrait que vous êtes un charlatan, que vous avez pratiqué je ne sais quel tour de passe-passe, pour délivrer le docteur Cool, vous conduiriez inéluctablement le peuple à bien des désillusions et il s’ensuivrait un chaos social peut-être sans précédent !
_ Je comprends…
_ C’est pourquoi, monsieur Paschic, nous voulons tout savoir sur vous ! Et là, il y a un problème ! Nous tombons sur un os, comme on dit ! Nous avons beau consulté nos fichiers, vous n’apparaissez nulle part ! Vous êtes monsieur Fantôme, monsieur Paschic ! Pas d’acte de naissance, pas d’emplois, pas de domicile, etc. ! Comment expliquez vous cela ?
_ Je…
_ Nous allons enregistrer cet entretien, si ça ne vous dérange pas…, rajoute Lapsie.
_ Non, non… Écoutez, en ce qui concerne mon parcours, il est assez chaotique… et il n’est donc pas étonnant que vous n’en retrouviez pas de traces… Je n’ai jamais eu d’emplois fixes… Beaucoup de choses me préoccupaient, mais pas ma retraite, si vous voyez ce que je veux dire ! Je cherchais ma voie et me posais beaucoup de questions ! J’étais donc toujours pas monts et par vaux ! Je gagnais de quoi vivre pendant un temps, des boulots saisonniers essentiellement, et puis je devais aller voir ailleurs, et ainsi de suite ! J’ai même beaucoup travaillé à l’étranger, ce qui explique le manque de déclarations à mon sujet…
_ Admettons… Mais vous êtes bien né à Domopolis ?
_ Oui, oui…
_ Dans quel quartier ?
_ Je ne voudrais pas paraître désobligeant, mais je peux dire que je suis vraiment né dans la nature…
_ Mais vous avez bien eu des parents !
_ Oui, oui, mais je me suis toujours senti un étranger dans ma famille… C’est vraiment la nature qui a été mon berceau !
_ Mais enfin vous avez bien eu une adresse !
_ Oui, oui, mais tout ça a disparu maintenant, sous les nouvelles constructions...
_ Vous vous moquez de nous ! Vous allez avoir des problèmes !
_ Ne pensez-vous pas que c’est vous qui avez des problèmes ? La nature menace Domopolis et apparemment, vous n’avez aucune vraie solution !
_ Tandis que vous, vous avez le remède ! Et on devrait vous faire honneur, vous donner l’absolution, quant à votre passé trouble, et pourquoi pas vous remettre les clés de la cité, pendant que vous y êtes !
_ Vous dites que la nature a été votre vrai berceau… coupe Lapsie. Est-ce de là que viendrait votre don ?
_ Certainement…
_ Mais en quoi consiste-t-il au juste ? C’est la magie, du chamanisme…
_ Non, il n’y a rien d’irrationnel dans ce que je fais…
_ Alors expliquez-nous !
_ Je ne pense pas que vous soyez prêtes à m’entendre...
_ Pour qui vous prenez-vous ? Je suis psychologue et je vois en vous de la suffisance, un ego surdimensionné et sans doute un cas de perversion narcissique !
_ Et moi, je pense que vous devriez garder votre sang-froid ! L’une des raisons, qui fait que je ne peux pas m’expliquer devant vous, est justement que vous êtes immédiatement sur vos ergots, devant l’obstacle, dès que vous êtes contrariée et que vous ne commandez plus !
_ Espèce de…
_ Suffit, Lapsie ! coupe Bona. Cet entretien est maintenant terminé, monsieur Paschic, mais nous nous reverrons ! Je reste persuadée que vous nous cachez bien des choses… »
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Paschic (24-28)
- Le 20/04/2024
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"Vous, les Japonais, vous n'êtes pas dignes d'apprendre les arts martiaux!"
Ip Man
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Le docteur Cool et Paschic se promènent dans un parc… « Parlez-moi encore des Doms, demande Cool.
_ Volontiers, répond Paschic. Ils sont les plus nombreux, car suivre le réflexe animal est ce qui est le plus facile ! Notamment, plus nous avons peur et plus nous souhaitons de l’ordre ! C’est la domination qui essaie de reprendre le contrôle ! Ainsi s’explique la tendance des extrêmes, quand la situation est inquiétante… La peur semble diminuer à mesure que nous dominons les choses et les gens ! Et pourtant, plus l’humanité se développe et plus nous sommes nombreux et plus chaque individualité compte ! Donc, plus la civilisation avance et plus nous sommes confrontés à la différence !
_ C’est la mondialisation, l’ère de la communication, la reconnaissance pour les femmes, l’homosexualité, les étrangers…
_ Exactement… Par conséquent, le repli sur soi, le rejet des autres, souhaiter une domination plus forte, plus d’ordre est à contre-courant et ne peut pas constituer une solution ! Nous devons lutter contre le réflexe animal qui est en nous ! Cela est d’autant plus vrai que le réchauffement climatique, qui a priori nous condamne, vient encore de notre domination !
_ Comment ça ?
_ Mais nous détruisons la nature, pour nous en sentir les maîtres, ce qui nous masque notre angoisse ! Nous l’exploitons plus que nécessaire, pour calmer notre peur et il est donc devenu capital de vaincre celle-ci autrement que par la domination ! Mais le Dom ne se laisse pas faire… Dès que vous le conduisez à affronter sa peur, sa réaction est agressive… et il n’en est que plus dangereux, surtout s’il a du pouvoir ! Prenez l’exemple de Poutine…
_ Oh là ! Vous parlez d’une exception !
_ Pas du tout, la logique de Poutine est la même que celle des tous les Doms, mais elle est juste portée à un plus haut degré ! Analyser le comportement d’un dictateur est très instructif pour nous comprendre ! Poutine ressemble beaucoup à Staline.. Tous deux sont issus d’un milieu pauvre et ils en ont gardé un sentiment de profonde insécurité ! A la mort de Lénine, Staline s’empresse de se désigner comme son successeur, pour garder une place indéboulonnable au sein du Parti ! Il doit être prudent, car il lui est impossible de montrer ses vraies ambitions, car ce serait contraire à la doctrine communiste..
_ Qui ne veut pas de chef, mais seulement des camarades !
_ Voilà ! Ainsi Staline va se débarrasser progressivement de tous ses adversaires, car il sait que s’il est évincé du Parti, il se retrouvera à la rue, sans moyens de subsistance ! Staline a travaillé une seule fois dans sa vie, dans l’usine à chaussures qui employait son père, et il a détesté cela !
_ Ah ! Ah ! Ce n’est pas vrai ?
_ Si ! Si ! Et pour assurer sa sécurité et d’abord elle, Staline va devenir le maître absolu, envoyer tous ceux qui menacent le Parti au goulag et même signer le pacte avec Hitler ! Derrière chaque dictature, il y a une peur viscérale du monde extérieur ! Poutine a suivi le même chemin… Pour éviter d’être battu aux élections et d’être soumis au hasards de la vie, Poutine a changé la constitution, enfermé ou tué tous ses opposants et il règne depuis plus de trente ans ! Le Dom vit selon ses règles et voit la différence telle une menace et même comme une injure ! Il est toujours sur ses gardes et croit qu’on lui veut du mal ! Sa paranoïa est évidente, même si elle peut être plus ou moins intense ! Son orgueil aussi est exacerbé et il se nourrit de l’adoration des autres !
_ Quel joli portrait !
_ Ce n’est pas pour rien que le mot narcissique revient le plus souvent sous la plume des psys ! Mais encore une fois, c’est l’animal qui est en nous qui n’arrive pas à devenir humain, face à la situation ! La grande question est : comment vaincre notre peur ? Si nous n’avons plus peur, nous ne haïssons plus ! Nous ne méprisons plus et nous ne voulons plus détruire !
_ Et vous avez la réponse à cette question…
_ Bien entendu ! Il est nécessaire de rassurer le Dom ! Et on ne peut le rassurer qu’en n’ayant plus peur soi-même, cela va de soi ! Il faut donc d’abord affronter sa propre peur, ce qui exclut toute domination ! Voyons voir… Comment lutter contre sa haine dans l’anonymat ? Poum, poum… Comment vaincre sa peur du lendemain, sans réussir ? En qui faire confiance, pour ne plus avoir besoin de l’asservissement de l’autre ? Où puiser de l’amour, quand les autres nous détestent, à cause de leur peur ? Poum, poum… »
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Paschic rencontre des Doms, accompagnés par une drôle de femme ! Celle-ci est tout simplement en flammes ! Oui, elle est une torche vivante et au lieu d’en souffrir, elle en paraît plutôt ravie ! Elle sourit à la vue de Paschic et elle lui dit : « Sois le bienvenu ! Je ne te connais pas, mais tu me sembles sympathique ! Comment t’appelles-tu ?
_ Paschic !
_ Quel drôle de nom ! Tu es de la région ?
_ Oui, oui…
_ Et tu veux te joindre à nous ? On est une chouette bande de copains... et de copines !
_ Moi, tu sais, les groupes… J’aime pas trop… Ça m’a toujours fait un peu peur !
_ C’est vrai ? Tu es un timide ? Moi, j’adore les timides ! Si on les décoince un peu, ils deviennent les amants les plus ardents !
_ Ah ! Ah ! Possible… Il est vrai que toi, tu dégages beaucoup d’ chaleur !
_ T’as remarqué ? Tiens, touche-moi un peu… Tu vas voir combien c’est agréable ! »
Paschic fait comme on lui a dit et il sent effectivement le feu se communiquer à lui ! Au début, cela l’excite, l’anime, le vivifie même, mais très vite la flamme devient dévorante, affreuse ! Elle fait hurler Paschic, dont le visage se décompose ! Il rugit, serre les dents, car il comprend qu’il n’est plus lui-même, mais une sorte de bête, laide, sortie des enfers !
Il doit faire un effort suprême pour redevenir de glace, refouler le feu, de nouveau s’apaiser ! Il souffle, respire et ses dents, qui avaient poussé, maintenant se rétractent ! « Alors ? demande la femme. C’était bon ?
_ Je sais qui tu es… et comme ton pouvoir est puissant !
_ J’avoue que tu me surprends, car habituellement nul ne me résiste !
_ Ça ne m’étonne pas, mais je lutte contre toi depuis toujours, car tu ne résous rien ! Au contraire, tu rends malheureux !
_ Je pourrais t’avoir, tu sais ? Ce n’est qu’une question de moyens !
_ Je n’en doute pas… et c’est pourquoi je me méfie de toi, comme de la peste ! Je ne fais pas l’erreur de t’ignorer… L’humilité est la première arme contre toi !
_ Mais tu dois comprendre aussi que ta résistance ne m’arrange pas ! Ce que j’adore, c’est me propager ! Donc, je vais demander à ceux qui m’accompagnent de te malmener, jusqu’à ce que tu me cèdes ! Je veux te voir brûler, Paschic, d’autant que tu es un sage ! Ta combustion doit être fantastique ! »
La Flamme fait un signe aux Doms et la bave aux lèvres, ils se ruent sur Paschic, qui se met à courir ! Il faut leur échapper, car Paschic ne fait pas le poids ! C’est une course poursuite dans des ruelles et Paschic semble avoir gagné la partie : il se retrouve tout essoufflé, mais seul dans un endroit désert... Soudain, pourtant, un Dom lui tombe dessus, mais, au lieu de se défendre, Paschic étreint le Dom et une curieuse danse commence, à travers l’espace et le temps !
Le Dom se cabre, veut reprendre le combat, mais Paschic se serre contre lui, se fait de plus en plus lourd et le couple, ainsi formé, est parcouru de frissons, de cris, de douleurs ! Paschic tient bon, tandis que le Dom grimace, hurle même et a l’air de se briser ! C’est un défi dans une dimension inconnue, où les éclairs succèdent à la nuit et les calmes aux fureurs ! Paschic est comme un boa d’amour et de patience et enfin le voyage se termine : le Dom, avec Paschic derrière, est redevenu un enfant, dans un champ de blé, où il regarde des papillons et des coquelicots !
Le Dom a retrouvé sa confiance d’enfant, son amour aussi, ce qu’il était avant ses blessures et que la haine s’empare de lui ! Il pleure sans retenue, c’est un soulagement ! L’espoir est de nouveau là et le Dom se réveille d’un long cauchemar ! Ce n’est pas toujours possible : certains Doms ne reviennent jamais à ce stade et préfèrent rester esclaves de la Flamme, alias la Haine ! Ils gardent leur peur et maudissent le monde ! A leur mort, ils sont comme du bois sec, lâché dans le cosmos !
A côté de Paschic, le Dom sanglote toujours ! Il est de nouveau vivant et s’en rend compte ! Il arrive à dire merci, pour sa joie mêlée de peine… Paschic lui caresse la tête et s’en va… D’habitude, il ne parle pas aux Doms, c’est inutile… Ils sont agressifs d’emblée, à cause de leur angoisse, comme si on leur devait quelque chose et qu’on n’était pas tous dans la même galère, pour ainsi dire… Mais de temps en temps, Paschic, le magicien utilise sa lumière ! C’est un don en lui et qu’il a travaillé ! Si le Dom savait, il pleurerait tous les jours de gratitude ! Il dirait : « Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! », tant l’espoir lui serait infini et simple ! » Mais le Dom a peur et se durcit !
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Paschic fait ses courses et regarde la fin d’une Dom… Il la connaît, elle et son parcours ! Ce qui lui arrive ne surprend pas Paschic : c’est la suite logique d’une vie « consacrée » à la domination ! La Dom rentre d’abord éperdue dans le magasin, en proie à une vive angoisse ! Elle interrompt la file à la caisse, pour demander à la vendeuse si le stationnement est payant dans la rue ! Pourtant, elle vient ici depuis plus de dix ans et elle a déjà la réponse à sa question ! Mais la peur la dévore et elle devient incapable de réfléchir, de se raisonner !
Par ailleurs, de s’adresser à la caissière lui donne une existence, la rassure, arrête sa solitude, dans laquelle elle se dilue sans force ! Elle est à la recherche d’échanges, même s’ils sont superficiels ou mal à propos, car ils constituent comme des bornes, qui lui permettent de souffler, de respirer, de retrouver un peu de sa domination passée, de son aura quand elle allait bien ! Paschic la voit acheter ses légumes, avec des mains qui tremblent comme des feuilles ! Le mal n’a pas cessé de s’étendre et il est maintenant avéré ! On est passé d’une tension passagère à un trouble chronique des nerfs ! Ce n’est plus du repos qu’il faut, mais un traitement spécifique est devenu nécessaire ! On ne doit pas être loin de la maladie de Parkinson…
Pourtant, tout cela aurait pu être évité ! Mais la Dom n’a rien voulu entendre ! Elle a eu des milliers d’avertissements, dont elle n’a pas tenu compte ! Elle s’est acharnée dans son erreur et a même tué son mari ! pour les mêmes raisons qui provoquent les féminicides ! bien qu’aux yeux de la loi il serait impossible de la rendre responsable ! Mais elle a usé, épuisé, vidé absolument son mari, à force de le dominer, le commander, le mépriser ! Il n’était plus qu’une poupée de chiffon entre ses mains, qu’elle jetait et tourmentait à sa guise ! Avant de disparaître, le bonhomme n’était plus qu’un spectre hagard, une ombre !
Cette Dom rappelle à Paschic la Machine… Toutes deux ont le même comportement ! Toutes deux ne voient qu’elles et le monde tourne autour de leur personne ! Toute différence, toute existence étrangère est perçue comme une menace, une attaque et crée une crise, une défense, une riposte ! Inlassablement, toutes deux ramènent les choses à leur cas, de sorte qu’il ne soit question que d’elles et les autres sont limités aux rôles d’admirateurs ou d’esclaves ! La vie entière de ces deux femmes reposent alors sur la seule domination ! C’est elle qui flatte, qui rassure, donne le sentiment de la supériorité, de la réussite, qui chasse toutes les peurs, toutes les interrogations, toutes les nuances ! Ainsi la souffrance des autres, leur hésitation, leurs doutes paraissent ridicules, faiblesse, médiocrité ! Et la Dom et la Machine leur en remontrent, se moquent d’eux, jouent du muscle, en profitent encore pour se faire valoir !
Mais que se passe-t-il quand les esclaves ou les admirateurs ne sont plus là, quand le mari meurt et que les enfants sont désormais loin, avec une vie à eux ? Que se passe-t-il quand autour il n’y a plus personne et que la scène est vide ? On a beau appeler, mais seul le silence répond ! On n’a qu’un réflexe, c’est dominer, mais les « jouets » ont disparu ! On essaie encore de faire illusion auprès de quelques étrangers, mais ils sont eux aussi capables de coups de dents : on ne les a pas dressés ! C’est le vaste monde qui montre sa dureté ! Les peurs, qu’on avait niées, par un surplus de domination, en renforçant sa dictature, n’ont plus d’obstacles ! Elles envahissent, submergent, détruisent ! La panique devient le quotidien et on regrette le mari ou l’enfant que l’on a toutefois méprisés de toute son âme ! On comprend enfin combien on a été injuste, mais c’est trop tard : la victime n’est plus là ! L’habitude de dominer est telle qu’on ne demande même pas d’aide ! On ne veut pas être en position d’infériorité ! On ne veut pas avouer son désarroi, alors que naguère on roulait des mécaniques ! On n’a aucune humilité et on préfère ramasser des miettes ! On cherche encore à épater, quitte à passer pour une demi-folle !
Cette histoire n’est pas mystérieuse ; son enseignement est clair et pourtant, tous les régimes du monde, face à l’inconnu et à la peur, sont tentés par la voie de la domination, qui se traduit par un nationalisme et un conservatisme exacerbés, par la xénophobie, l’homophobie et une répression de plus en plus violente ! On se ferme, on s’arme, on écrase tout adversaire ! On croit être à l’abri par la force, l’autorité, la morale ! On prend la religion à témoin ! On cite ses dogmes, jusqu’à entrer en guerre ! On s’invente un ennemi, ce qui légitime tous les excès et on tue au nom du bien, de Dieu ! Et tout ça parce qu’on n’a pas voulu s’ouvrir, se montrer humble, faire face à sa peur, alors qu’elle est naturelle ! On ne veut pas déchoir et on se construit une forteresse artificielle, comme celle de la Machine ou de la Dom que Paschic observe ! Et la fin est toujours la même : l’anxiété refoulée par la domination, l’étrangeté de nos vies, qui ne demande au fond que patience et amour, emportent le mensonge, après l’avoir désagrégé ! Les sociétés se réveillent de leur cauchemar !
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Paschic est le « problème », dans la famille de la Machine ! Ce n’est pas sa faute : il est né comme ça ! Sa sensibilité lui donne des « yeux », un regard différent ! Il voit l’injustice, l’égoïsme, la cruauté où les autres l’ignorent ou font comme si elle n’existait pas ! N’en déplaise à la psychologie, il n’a pas un comportement construit, pour exister, se faire une place ! Il ne déforme pas la réalité, ne l’invente pas, parce qu’il se sent mal aimé ou méprisé ! N’en déplaise à la psychanalyse, l’art n’est pas une compensation, une consolation, mais c’est d’abord une sensibilité naturelle et particulière ! Les premières peintures pariétales montrent que dès le début certains hommes ont trouvé le monde beau ! C’est aussi inexplicable que la soif de connaître, qui a mené à la science !
Mais on peut encore dire ceci… Si la Machine ne voit pas son égoïsme, si elle n’en a pas conscience, c’est parce que le monde tourne autour d’elle, qu’elle en est le centre et que les autres n’existent que par rapport à elle : ils n’ont pas une personnalité, une identité propres ! Ils doivent obéir à la Machine, sinon ce sont des étrangers ! On le voit, le régime russe actuel fonctionne absolument de cette manière ! Mais on comprend aussi que dans ces conditions la Machine n’arrive pas à distinguer son égoïsme, puisque l’autre est soit un esclave ou un ennemi ! Pour reconnaître qu’elle fait le mal, la Machine devrait donner à l’autre la même valeur que la sienne, ce qui est a priori impossible, tant sa peur du réel la conduit à dominer ! Mais ainsi s’expliquent les paroles de Jésus : « Pardonnez-leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
Paschic est le fléau, la calamité, la croix à porter pour la famille de la Machine ! D’après celle-ci, c’est un rôle dans lequel il se complaît, choisi par lui, contre lequel il ne fait aucun effort ! Il est la personne sournoise, qui distille son venin, qui aime à diviser ! Le plus grand nombre, le groupe apparemment uni se soude et rejette Paschic ! Il n’est pas question pour la famille de se remettre en question, de se séparer, car d’abord ses liens garantissent sa sécurité et ensuite tous ses membres sont sous la domination de la Machine et en ont peur ! Là encore, le parallèle avec le régime de Poutine est facile à faire… Mais c’est donc à Paschic de changer ! C’est lui qui doit être redressé, corrigé, comme si lui-même faisait preuve de mauvaise volonté et qu’il n’était pas catastrophé de se retrouver à l’écart ! Car Paschic n’est qu’un enfant, qui ne peut pas se nier lui-même et qui cherche désespérément à comprendre la situation ! Normalement, Paschic devrait être brisé et avouer sa méchanceté, car il ne fait pas le poids face à la famille et effectivement il restera fragile, d’une anxiété chronique, mais c’est la domination de la Machine qui est un mensonge, une construction artificielle qui ne résiste pas à la peur ! La haine, la soif de détruire sont des aveux d’impuissance ! Il existe une vérité, qui est visible par la paix ! Celle-ci est la seule vraie force !
Cependant, la Machine s’acharne contre Paschic ! de même que Poutine tue ou emprisonne tous ses opposants (Politkovskaïa, Nemtsov, Magnitski, Navalny, Litvinenko, Khodorkosky, le groupe Mémorial et combien d’autres !) ! La Machine ne laisse aucun répit à Paschic, car il est la faille dans son discours ! Il est donc le symbole même de la peur de la Machine ! Il ne fait que provoquer une domination encore plus accrue chez la Machine ! On peut dire que celle-ci est en guerre contre lui ! Sa répression est incessante ! Chaque fait, chaque mot de Paschic est repris ! Il ne sait à quel saint se vouer ! Il doute de lui-même, jusqu’à se trouver haïssable ! Il se voit comme une personne repoussante, éteinte, inadaptée ! Il tait ce qu’il sait, il se mure dans le silence : on dit qu’il boude, qu’il est égoïste et qu’il ne pense qu’à lui ! La dépression, bien entendu, s’empare de lui et il déçoit ceux qui espèrent, qui ont un rêve facile ! Plus tard, il s’imagine qu’il est le Misanthrope de Molière, ou il pense que les psychologues qui prônent une certaine hypocrisie, pour que la société garde son homogénéité, ont raison !
Il en vient encore à se demander si l’Évangile n’est pas un bâton de dynamite, menaçant la vie en commun, puisque Jésus dit entre autres : « Celui qui préfère son père ou sa mère à moi n’est pas digne de moi ! » Ceux qui pensent que la foi relève du privé et qu’on peut s’en passer ne se trompent peut-être pas ! Mais alors Dieu n’existe pas ! Si on peut faire sans lui, alors il n’est pas Dieu ! Nous ne parlons pas ici de la religion, avec ses dogmes, mais de la foi et il n’est donc pas question de remettre en cause la laïcité (d’ailleurs, Jésus ne s’attaque jamais au pouvoir, mais à la conscience de chacun!) ! Mais Paschic ne peut pas ne pas voir le mensonge de la domination, son aveuglement et le fait que nous ne savons toujours pas vivre ! Nos sociétés ont tout et pourtant sont toujours en crise ! Pire, elles retournent à la voie de la guerre ! Paschic cherche donc des lois universelles, qui nous touchent tous et toutes ! La peur mène à la domination, qui tient le groupe ! Mais la domination n’est qu’une fuite en avant et ne guérit pas de la peur ! Le régime de Poutine a beau se renforcer et s’étendre, il est condamné à disparaître !
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Paschic le minable ! Paschic le fourbe ! Ainsi apparaît Paschic, aux yeux de la Machine ! Mais pourquoi un tel mépris ? Il est vrai que Paschic semble lent, maladroit, attardé… Il a des problèmes à l’école, c’est un élève moyen, capable du pire comme du meilleur, ce qui prouve, d’après ses professeurs, sa paresse, son laxisme ! Il est encore exact que la Machine a une telle haute idée d’elle-même qu’on ne peut la décevoir, que ses enfants doivent être le reflet de son excellence ! Elle ne pourrait avoir mis au monde des imbéciles !
Paschic est à la traîne et s’attire donc les foudres de la Machine ! Mais est-ce là tout ? Il y a quelque chose dans Paschic qui est insaisissable ! D’abord, il aime la solitude, comme s’il s’en amusait ! Il a un monde intérieur, qui est une énigme pour la Machine, qui échappe à son contrôle ! Ce n’est pas la faute de Paschic, ce n’est pas voulu et ce n’est pas non plus une maladie mentale ! Paschic se nourrit de son observation et surtout, il admire la beauté de la nature ! Elle le ravit absolument, jusqu’au plus profond de son être ! A travers cette beauté, Paschic a trouvé son maître, non un censeur, quelqu’un qui le commande, mais un créateur illimité, infini, d’une grâce sans pareille ! Pour Paschic, c’est un message d’amour et ce qu’en dit la science, comme expliquer des couleurs par l’utilité, par exemple la fleur par son éclat attire les insectes, ne tient pas, est extrêmement pauvre, voire ridicule !
Paschic, dans la nature, est dans un monde merveilleux, enchanteur, où tout est fête quand le soleil brille, où tout est retenue et attente en hiver ! Mais jamais la magie est absente ! Elle est toujours là pour qui sait la regarder ! Dans ces conditions, la Machine n’impressionne pas Paschic, ne suscite pas son admiration, d’autant qu’elle se montre agressive, hostile à son égard ! Il y a non loin de la maison une beauté infinie et à côté l’égoïsme de la Machine, sa duplicité, sa méchanceté font le dégoût de Paschic ! Or, la Machine veut être le centre d’intérêt, un monde soumis à ses lois et qu’on l’adore, ce qui fait que la fracture entre elle et Paschic ne cesse de s’agrandir ! Plus la Machine essaie de détruire Paschic et plus elle paraît odieuse, par rapport à la beauté infinie de la nature, qui est signe de bonté, même si les animaux s’entre-tuent !
Le parallèle avec la guerre en Ukraine est encore aisé à effectuer, car le comportement des Doms est partout le même ! La jeunesse ukrainienne a voulu se donner un avenir, en se tournant vers l’Europe, c’est-à-dire en se dégageant de l’influence corrompue, délétère et laide de Poutine ! Cela se passe à un moment où le maître du Kremlin invente une Russie, débarrassée de son passé trouble et cruel (le pacte germano-soviétique ou les purges staliniennes sont entre autres effacés!), une Russie rayonnante et triomphante, dont l’Armée rouge victorieuse en 45 est le symbole ! Il s’agit pour Poutine de bénéficier de cette aura, d’être admiré grâce à elle, d’apparaître comme l’homme fort par excellence… et voilà qu’un petit pays lui dit non, comme Paschic à la Machine ! « On ne marche pas ! » dit en substance la résistance ukrainienne et ce n’est pas pour rien que la guerre entre les deux pays est aussi mémorielle et que la nouvelle Ukraine, elle, fait du Holodomor le centre de son souvenir !
Cependant, les ennuis de Paschic ne s’arrêtent pas à sa famille : son entrée dans la vie active est aussi compliquée ! Comment peut-il gagner sa vie ? Paschic se rend compte qu’obtenir un emploi, le garder, ce n’est pas seulement accomplir la tâche assignée, il faut encore que l’employeur, la hiérarchie et même les collègues lisent dans les yeux de Paschic de l’admiration, le fait qu’ils sont supérieurs et qu’ils ont réussi ! Ainsi est conforté le Dom, comme nous le savons, mais ce qui était déjà impossible auprès de la Machine l’est encore tout autant dans le monde du travail ! Ce n’est pas que Paschic méprise le Dom, mais il ne peut pas non plus prendre au sérieux sa demande de réduire la vie à sa personne ! L’égoïsme du Dom laisse Paschic indifférent et il en paye les conséquences ! Soit il n’est pas pris pour l’emploi, soit on lui signifie bientôt qu’il ne fait pas l’affaire !
Le même mur va s’étendre aux éditeurs, quand Paschic voudra expliquer ce qu’il ressent et qu’il se sentira assez doué pour cela ! Les manuscrits de Paschic ne rencontreront qu’indifférence, incompréhension ou mépris, car ils demandent de changer, ne rassurent pas, ne flattent pas un univers de Doms lui aussi bien installé ! Pourtant, il n’est pas possible que les écrits de Paschic ne puissent pas correspondre à une certaine soif ! Cependant, on comprend bien que cette impuissance à gagner sa vie, cet « échec » social n’a fait que conforter la Machine dans son dégoût ! C’est bien Paschic le problème et elle n’a pas à modifier son comportement, puisque le plus grand nombre pense comme elle !
Comment Paschic va-t-il tout de même survivre et mener à bien sa propre réflexion ? C’est une autre histoire...