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  • Le 03/02/2024
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R20

 

                    "Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine!"

                                                                    Danton

 

 

                                                100

Paschic entre dans l’hôpital, en serrant son chapeau ! Il n’a jamais aimé cet endroit, dont la propreté et les odeurs le mettent mal à l’aise ! Mais il y a là un homme qui veut le voir et qui vient bientôt à sa rencontre… « Détective Paschic ? fait l’homme. Inspecteur Blaise ! » Une brève poignée de mains est échangée et le policier reprend : « On a amené une femme ici, il y a une heure… Elle est dans un sale état, mais, avant de plonger dans le coma, elle a prononcé votre nom… et c’est pourquoi je vous ai prévenu !

_ Je vous en remercie… Je peux la voir ? »

Les deux hommes prennent l’ascenseur et un couloir, jusqu’à une chambre, dans laquelle on voit une forme couchée parmi des appareils compliqués ! Ici, la vie est maintenue au prix de gros efforts et la gorge serrée, Paschic s’approche du lit de la femme… « Vous la connaissez ? demande l’inspecteur.

_ Oui, c’est la reine Beauté, ma meilleure amie… Qu’est-ce qui s’est passé ?

_ Vous êtes prêt à entendre des horreurs ?

_ Oui, j’en ai l’habitude… Allez-y…

_ Manifestement, ils étaient toute une bande… Ils l’ont d’abord violée tour à tour, puis torturée, avant de la laisser pour morte ! »

Paschic ne peut s’empêcher d’essuyer une larme et de caresser légèrement le visage inconscient de la reine Beauté… « Vous avez une idée de qui aurait pu faire le coup ? demande encore l’inspecteur.

_ Bien sûr que je sais qui a fait le coup !

_ Quoi ?

_ Eh bien, il y a d’abord le maire, puis le promoteur, l’industriel, l’agriculteur… Même l’État a sa part de responsabilités !

_ Mais… Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Vous parlez du gratin du pays ! Il faudrait des preuves irréfutables !

_ Inutile ! Tous ces gens ont un alibi en béton, si je puis dire ! Ils sont inattaquables !

_ Qu’est-ce que c’est, cet alibi ?

_ Mais la nécessité, inspecteur ! Prenez le maire… Il vous dira qu’il a violé la reine Beauté, parce que c’était absolument nécessaire ! La ville, selon lui, a toujours besoin de plus de logements et elle doit donc continuer à se développer, sans fin, tout en saccageant la nature !

_ Évidemment…

_ Le maire n’est pas ambitieux ! Il n’aime pas le pouvoir ! S’il est en représentation, tout le temps, c’est quasiment malgré lui, juste pour le bien-être de ses habitants ! Il n’est pas fier de rendre sa ville plus attractive et il ne comprend pas que c’est lui qui crée le cercle vicieux conduisant sa ville à s’étendre toujours davantage ! L’homme est absolument dépourvu d’égoïsme, d’orgueil et aurait tout aussi facilement accepté une vie anonyme, obscure, qui aurait fait oublier son nom…

_ Hum, je commence à saisir votre point de vue… Effectivement, il sera très difficile de condamner ces gens-là !

_ Et le promoteur, l’agriculteur ou le ministre vous répondront de la même manière ! Ils n’obéissent qu’à la stricte nécessité ! Nous sommes dans une impasse !

_ Mais votre calme… ou votre résignation m’inquiètent ! Vous ne songez tout de même pas à vous faire justice vous-même ?

_ Ce ne sera pas nécessaire…

_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

_ La reine Beauté nous sert d’abord à nous reposer des autres… Quand il n’y aura plus d’espaces, pour que nous nous retrouvions nous-mêmes, en contemplant la beauté de la nature et que nous ne pourrons plus sentir qu’il y a plus grand que nous et donc une source d’espoir, eh bien, nous nous entre-tuerons, c’est aussi simple que ça ! La reine Beauté se vengera à sa manière !

_ Je ne sais pas si je vais vous suivre là-dessus…

_ Nos sociétés ne sont-elles pas déjà de plus en plus violentes ? Et le réchauffement climatique va nous mettre à genoux avec ses coups de boutoir ! Croyez-moi, inspecteur, si la reine Beauté ne sort pas vivante de cet hôpital, nous ne survivrons pas non plus ! »

A cet instant, la chambre s’éclaire et les deux hommes prennent conscience que le soir tombe… A travers le bruit des machines, ils éprouvent combien la reine Beauté doit souffrir !

                                                                                                          101

La psychologue Lapsie enlève de la plaque sa bouilloire qui siffle et verse l’eau chaude sur son thé… Puis, elle prend place à la table de sa cuisine, sur un rouge éclatant, qui se retrouve sur les chaises, comme pour égayer l’uniformité générale ! D’ailleurs, les rideaux montrent encore un orange vif et les luminaires leur métal brillant, mais, malgré ces notes qui semblent personnelles, l’agencement ici est le même à tous les étages, puisqu’on s’est contenté d’assembler des modules !

Lapsie boit son thé à petites gorgées et ne voit rien par la fenêtre du salon : il fait trop froid et la vitre est embuée, tandis que les lointains se perdent dans la brume et les fumées des usines ! Quand elle a fini, Lapsie laisse sa tasse dans l’évier et se vêt chaudement, avec bien sûr sa chapka ! Elle doit sortir pour acheter quelques provisions et elle descend un escalier gris, mais propre : chaque locataire, à tour de rôle, est contraint de nettoyer le palier et même le trottoir, pour en dégager la neige !

L’air est toujours grisâtre, comme s’il y avait de la suie en suspension, et de lourds autocars passent en polluant… Les avenues ici sont interminables et toutes droites et seuls les coudes des gazoducs, qui par endroits les surplombent, offrent à l’œil quelque distraction ! Les supermarchés ne sont pas plus attractifs, avec leurs bâtiments ras, leurs lettres démodées et leurs portes pesantes ! Mais, aujourd’hui, Lapsie n’aura pas à se désoler de ne point y trouver ce qu’elle cherche, car une grosse voiture noire fait gicler de la neige sale devant elle !

Deux femmes en sortent, en uniforme de policières, et elles regardent durement Lapsie ! Il n’y a pas besoin de mots et Lapsie monte dans la voiture, qui rejoint le trafic… Un peu plus tard, accompagnée de ses gardes, elle emprunte un ascenseur et est laissée dans une salle de réunion, où se trouvent déjà la Machine, Bona et quelques autres femmes, que Lapsie ne connaît pas… Le décor est là encore, comme il se doit, austère : une longue table, rien au mur et personne ne perd son temps à saluer la nouvelle arrivante !

La Machine porte une sorte de tailleur souris, surtout destiné à éteindre ses formes ! Elle s’adresse brutalement à Lapsie : « Camarade Lapsie, tu as déclaré dans la revue Psychologie que la femme avait sa propre arme, à savoir la séduction, donnée par la nature, pour compenser l’absence de force physique ! Tu dis même que de ce fait la femme manie la ruse comme personne !

_ Mais c’est la vérité, non ? La femme a de quoi se défendre face à l’homme !

_ Et depuis quand la vérité est-elle importante ici ? Nous n’avons qu’un but : la victoire du parti ! Tu t’en souviens plus ?

_ C’est vrai, excuse-moi !

_ En plus, tu as dis que tu n’avais pas de problèmes avec les hommes…, que le féminisme ne te parlait pas !

_ C’est très grave ! coupe Bona. Songe, camarade Lapsie, à l’investissement de la Machine dans la cause !

_ Trahison ! Trahison ! s’écrie la Machine. 

_ Tu as fait injure aux victimes, tu sais ? explique Bona. Tu sembles leur dire qu’elles ont été faibles, qu’elles auraient dû savoir résister ! Tu ouvres la porte à la satisfaction du mâle !

_ En substance, reprend la Machine, tu soutiens que la femme est déjà l’égale de l’homme…

_ Ce n’était pas mon intention…

_ Non, parce que tu ne réfléchis pas ! Tu as voulu te faire mousser ! Tu es une petite bourgeoise décadente et égoïste ! Encore une fois, une seule chose compte : que la femme triomphe ! C’est le but final, avec le mâle domestiqué !

_ Je ne sais pas quoi dire… Je suis confuse…

_ Mais tu vas réparer ! Je veux des excuses publiques ! martèle la Machine. Tu vas reconnaître dans Psychologie et ailleurs que tu t’es trompée, que tu as été maladroite, que tu n’as pas respecté les victimes !

_ Tu as raison, comme tu voudras !

_ Et on réglera nos comptes, quand on aura oublié ton nom ! Pas avant ! Mais tu peux déjà te voir en Sibérie, à un poste subalterne !

_ Sois heureuse, intervient Bona, tu échappes au camp de travail !

_ Tiens Bona, enlève-la de ma vue, elle me dégoûte ! Et veille bien à ce qu’elle s’excuse publiquement ! Trahison ! Encore et toujours des trahisons ! »

                                                                                                           102

Paschic s’est déguisé en un vieux vendeur d’estampes et tirant sa petite charrette, il a pris place dans la longue file qui va vers la ville… En effet, il y a un contrôle très sévère, avant d’être autorisé à passer ! C’est Bona qui fait la police et voilà le tour de Paschic de s’arrêter devant elle ! Bona flaire du louche, trouve le marchand d’estampes suspect ! « Qui es-tu ? demande Bona à Paschic.

_ Je ne suis qu’un pauvre vieux qui vend des estampes, pour pouvoir manger ! Ayez pitié de ma triste condition, madame l’officier !

_ Tu cherches maintenant à me flatter ! Et je te crois plus malin que tu en as l’air ! Mais je t’ai demandé ton nom !

_ Mes parents ont eu l’immense bonté de me nommer Kasaï, moi, qui étais déjà laid depuis la naissance !

_ Le problème, Kasaï, c’est que n’entre pas dans la ville qui veut ! Il s’agit de savoir dans quel camp tu es !

_ Dans quel camp ?

_ Eh oui, Kasaï, le pouvoir appartient maintenant aux femmes ! Or, tu es un homme ! Mais es-tu un homme du côté des femmes ou du côté des hommes ?

_ Mais je suis dans la camp des femmes, bien entendu ! Et ce depuis ma plus tendre enfance ! J’ai toujours donné la plus grande satisfaction à ma mère ! Elle ne pourrait que se louer de moi, si elle était encore vivante, la pauvre !

_ C’est bien Kasaï, mais ça ne suffit pas !

_ Non ?

_ Non ! Tiens, mets-toi sur le côté, pour laisser le passage aux autres !

_ Mais…

_ Mais quoi, Kasaï ? Tu n’ voudrais pas mettre une femme en colère, hein, Kasaï ? Et moi, je ne suis pas convaincue par ta sympathie pour nous !

_ Je vous assure que je suis tout acquis à votre cause ! Tous les hommes sont des goujats ! Que dis-je ? Des porcs, d’ignobles porcs ! Il faut les chasser, les tuer, les brûler !

_ Et toi, Kasaï, tu n’ serais pas un de ces porcs ?

_ Ah ! Ah ! Madame l’officier se moque de moi ! Avec mon grand âge maintenant, je n’ai plus l’esprit à la bagatelle ! Ce sont jeux d’autrefois ! Tout ce qui intéresse Kasaï, c’est de ne pas mourir de faim !

_ Et pourtant, ta tête me dit quelque chose… Tu me rappelles quelqu’un que je hais profondément et qui n’aime pas les femmes ! Viens avec moi, nous allons voir ma supérieure… Elle saura lire en toi et gare, si tu mens ! »

Paschic, surveillé par Bona, tire sa petite charrette, jusqu’à une tente où est assise Lapsie. Bona parle à celle-ci dans l’oreille quelques minutes et enfin Lapsie se lève, en disant à Paschic : « Ainsi, tu t’appelles Kasaï et tu es marchand d’estampes…

_ C’est exact, votre altesse !

_ Ne me parle pas comme ça ! Seule la Machine, notre reine, mérite ce titre !

_ Bien entendu, l’humilité des femmes est bien connu ! Ce n’est qu’à force d’être harcelées et blessées par l’homme qu’elles se sont mis en quête du pouvoir, par souci d’égalité ! Combien il a fallu de victimes, pour que la femme enfin se décide à montrer autant d’égoïsme que les hommes !

_ Tu trouves que nous sommes égoïstes ?

_ Mais par force, poussées par les hommes, pour faire jeu égal avec eux ! Mais ce n’est pas dans votre nature ! L’homme vous a simplement polluées ! Tout le monde sait que la première femme est née dans un fleuve de lait ! Jamais elle n’a été souillée par le règne animal, comme l’homme, ce porc !

_ J’avoue que tu m’embrouilles, Kasaï ! Il y a chez toi de la raison et de la tromperie… et on ne sait pas, en définitive, si tu te ne moques pas de nous !

_ Qui oserait vous faire un tel affront ? Qui serait assez hardi, pour provoquer votre colère ? Les collines sont remplies de cadavres !

_ Qu’est-ce qui se passe, ici ? demande d’une voix forte la Machine, en faisant son apparition, ce qui jette toutes les femmes par terre, avec des signes d’adoration. Toi, qui es-tu ?

_ Kasaï, ma reine, un vieux marchand d’estampes…

_ C’est curieux, j’ai l’impression de te connaître… et de te détester !

_ Vous faites erreur, ma reine, je suis entièrement dans votre camp, celui des femmes ! Que dis-je ? Celui des gentilles, des victimes et de la justice ! Chaque jour que Dieu fait, je loue la générosité de la femme et son héroïsme !

_ Et c’est dans ton intérêt, Kasaï ! Mais à présent laisse-nous, sale pouilleux ! La Machine doit s’occuper de la Machine ! Elle n’écoute pas les rats ! »

                                                                                                     103

Paschic parle aux Aigriculteurs… « Si je comprends bien, vous êtes en colère contre la grande distribution, parce qu’elle vend des produits étrangers, qui ne sont pas les vôtres !

_ Mais t’as tout compris, mon gars ! On dirait que tu travailles du chapeau !

_ Mais la grande distribution, elle, fait jouer la concurrence, celle du marché européen ! Donc, vous êtes en colère contre vos collègues étrangers… et ils sont en colère contre vous ! Vous fulminez parce qu’il existe des Aigriculteurs, allemands, tchèques, ou polonais et eux ne supportent pas les Aigriculteurs français ! En définitive, vous pestez parce qu’ailleurs on travaille comme vous ! Vous trouvez que ça a du sens ?

_ Ben, t’as une solution ?

_ Bien sûr ! Je vous dis même d’avoir de la compassion pour les margoulins de la grande distribution !

_ Quoi ? Qu’est-ce tu dis ? T’es complètement givré !

_ Ils sont encore plus perdus que vous ! Vous devriez avoir de la peine pour eux !

_ Plutôt crever !

_ Je viens de vous démontrer que le système est absurde ! Vous représentez en ce moment tout le vide de nos sociétés ! J’ai soixante ans et ça fait soixante ans que je vous vois en colère, en train de bloquer les routes ! Ne croyez-vous pas que ce serait à vous de changer ?

_ Mais on gagne à peine de quoi vivre ! Et on sait même pas de quoi s’ra fait demain !

_ Pourquoi t’inquiètes-tu du lendemain ? A chaque jour suffit sa peine ! A quoi bon se soucier du futur, si déjà vous ne savez pas apprécier le présent ?

_ Mais d’où tu sors, toi ? T’es total à la masse !

_ Des milliers de migrants viennent ici, parce que nous avons tout ! Et vous levez les bras au ciel, comme si vous n’aviez rien !

_ Mais on nous exploite ! On travaille jour et nuit et on est harassé et tout ça pour pas un rond ! Tout ça, pour que des salopards, qui sont bien au chaud, se sucrent !

_ Je comprends bien, mais c’est votre ego qui souffre ! Vous avez l’impression de vous faire baiser ! Et moi, je vous dis que je peux vous libérer, vous rendre heureux ! Mais cela passera par vous débarrasser de votre ego !

_ J’ comprends rien à ce que tu racontes !

_ Non, parce que tu es agité ! Tu ne sais plus distinguer la paix de l’inquiétude ! Vous n’avez plus conscience de votre richesse et du miracle que constitue la terre ! Pour moi, c’en est toujours un ! Vous plantez et quelques mois après, vous avez du blé ou du maïs, de belles plantes bien dorées ou de deux mètres de haut ! La générosité de la terre, vous ne la percevez plus du haut de vos engins, qui pourraient labourer Mars en une après-midi ! Retrouvez la simplicité et la sagesse ! Et que certains se moquent de vous, qu’est-ce que ça peut faire ? Vous serez riches intérieurement !

_ C’est pas vrai ! Tu parles de la foi, de la croyance en Dieu ? Je rêve ! Qui va payer les traites, qui va bosser ?

_ Demandez-vous pourquoi vous travaillez ! Si c’est pour montrer que vous pouvez être modernes, avoir un salaire, vous sentir puissants, alors vous serez toujours malheureux ! C’est votre ego votre fardeau et seule la confiance en Dieu vous permettra d’en rire ! Que voulez-vous ? Un chèque ? Que les Aigriculteurs étrangers soient pénalisés, c’est-à-dire que vous-mêmes, en définitive, vous subissiez encore des pressions ? Ah ! Mais vous voulez démontrer qu’on ne vous l’a fait pas, que vous êtes forts ! Votre problème est donc un problème d’ego !

_ Ego ou pas, tu nous casses les oreilles et maintenant barre-toi !

_ Bien sûr et vous me voyez naïf ! Et pourtant c’est vous qui êtes naïfs, car jamais vous ne vous rendez compte de votre situation absurde ! A ceux qui ont des oreilles, je dis : « Marche vers l’amour et la foi ! Sois heureux d’avoir à manger ! Dépose le fardeau de ton ego ! Réjouis-toi de l’œuvre de la nature ! Abandonne le rendement ! Ne cherche pas la puissance ! »

_ C’est pas vrai ! Comment on peut fermer ton clapet ?

_ En ce moment, c’est l’hiver les animaux ont du mal à trouver de la nourriture ! Nous sommes comme eux, nos satisfactions sont rares et nous en souffrons ! Alors, tout le monde se dit en colère et se révolte ! La foi, elle nourrit comme une barre d’or dans l’esprit ! Ainsi, vous resteriez en paix avec vous-mêmes ! Il y a-t-il un bien plus précieux ?

_ T’es encore là ! Versons-lui du fumier sur la tête !

_ N’êtes-vous pas fatigués d’avoir soif ? Votre tourment est sans fin ! Vous demandez quelque chose que le gouvernement est incapable de vous donner, à savoir un sens à votre vie !

_ Eh bien, te voilà avec une couronne de fumier ! Sois heureux de ressembler à ton maître ! »

                                                                                                             104

Paschic se réveille en sueur : le téléphone vibre et on est au milieu de la nuit ! « Allo ! » fait Paschic, mais personne ne lui répond : c’est un appel anonyme ! Au lieu de s’énerver, Paschic au contraire devient tout à fait silencieux… Ce qu’il veut, c’est entendre respirer « l’autre », de sorte que celui-ci en soit gêné, pris à son propre piège, comme si c’était Paschic le « malade » ! Et, effectivement, l’autre finit par raccrocher, sans doute déçu, car il aurait voulu les plaintes de Paschic, aurait joui de son trouble !

Cependant, ça fait des mois que ça dure, plusieurs fois par semaine, à toute heure, si bien que Paschic hésite maintenant à répondre au téléphone, qu’il attend qu’on parle, ce qui provoque l’embarras de son interlocuteur, et qu’au final il s’isole de plus en plus ! D’où cela peut-il venir ? Qui s’amuse à lui faire peur ? Paschic en a une petite idée, mais il n’ose pas y croire, tant elle lui paraît scandaleuse et lui donne à lui-même trop d’importance ! Ne serait-il pas paranoïaque ? Mais, à la vérité, il pense que c’est la Machine, sa propre mère, qui est à l’origine de ces appels anonymes !

Au matin Paschic va chercher son courrier, dans la boite qui est au bout de son jardin, et il remarque une grosse voiture grise, garée de l’autre côté de la rue ! Bizarre ! Généralement, personne ne se met là, à cause des déjections des pigeons posés plus haut… Est-ce la fatigue de la nuit, mais Paschic a l’impression que la voiture lui dit : « Tu vois, je suis là et je te surveille ! » Paschic veut en avoir le cœur net et va traverser, quand la voiture démarre et lui passe sous le nez ! Il est impossible de voir qui est à l’intérieur, tant les vitres sont sales et Paschic doit rester dans le doute…

Qu’à cela ne tienne ! Dans ce cas-là, quand il est ennuyé, il part à la pêche, dans le bayou qui commence juste derrière ! Paschic a un canot et il va chercher son matériel de pêche, car la luxuriance de la nature l’apaise à coup sûr ! Mais, en arrivant au petit ponton, il constate que son canot a été coulé ! Cette fois-ci, c’en est trop ! Il sort sa vieille Dodge et file vers la maison de la Machine, pour lui dire ses quatre vérités !

La maison de la Machine est une vaste demeure au sommet d’une colline et évidemment, on y accède par un parc très bien entretenu ! Le gravier crisse sous les pneus usés de la Dodge et Paschic entre en coup de vent dasn le salon ! Une domestique essaie de l’arrêter, mais il n’y fait pas attention, allant directement vers la Machine, assise dans un fauteuil cossu ! « J’aimerais que tu me laisses tranquille, s’écrie Paschic, que tu cesses de me harceler ! Bien sûr, cela ne veut rien dire pour toi, car tu méprises trop les gens ! Mais je ne t’appartiens pas ! Chacun a une vie propre, figure-toi, et a droit au respect !

_ Je ne comprends pas ce que tu veux dire… répond la Machine très digne.

_ Ah bon ? Les coups de téléphone anonymes, le canot percé, ce n’est pas toi sans doute ! Je pourrais te reprocher mille avanies de ta part, mille sournoiseries, mille coups tordus ! La liste est impressionnante, sans fin et tu sais pourquoi tu agis comme ça ? Mais parce que tu vis de ton contrôle, du sentiment de ton pouvoir ! Seule toi t’intéresses ! A part ton monde, rien n’existe ! Et c’est pourquoi on te doit une totale soumission ! Et dire que tu as passé mon enfance à me reprocher mon égoïsme ! Je t’entends encore me dire : « Mais voyons Paschic, tu n’es pas le centre de l’Univers ! » Mon Dieu, si seulement tu avais pu profiter de tes leçons !

_ Je ne vois toujours pas ce que j’ai fait d’ mal…

_ Tu m’ dégoûtes ! »

Paschic retourne chez lui, peut-être un peu soulagé, mais, vers le soir, la voiture du shériff est bien en vue devant la maison, avec ses feux multicolores ! Paschic va au devant du shériff, qui est accompagné par son adjoint, un type de deux mètres et qui sue tout le temps… « J’ai de mauvaises nouvelles, fiston, fait le shériff. J’ai reçu une plainte de la Machine pour harcèlement…

_ Mais c’est pas vrai ! C’est justement elle qui… Elle a même crevé mon canot ! »

Le shériff caresse son chapeau, pendant que son adjoint crache… « Hum, je sais que les histoires de famille, c’est compliqué, reprend le shériff, mais là, fiston, ce que j’ai eu au bout du fil, c’est une vieille dame qui pleurait, qui n’en pouvait plus, à cause semble-t-il de ton égoïsme ! »

Soudain, Paschic comprend qu’il ne pourra jamais expliquer qui est la Machine ! parce qu’elle est une vieille dame et qu’elles sont vues comme fragiles et vénérables ! En fait, il faudrait que le shériff change entièrement son monde et qu’il se voit lui-même différemment ! Un abîme s’ouvrirait sous ses pieds et encore plus sous ceux de son adjoint !

Paschic prend la décision de se taire, car c’est toujours ce qu’il a fait, à chaque fois qu’il a été question de se sortir des griffes de la Machine… Il est nécessaire de tout gober et d’acquiescer à tout, pour que les choses se tassent… « D’accord shériff, je vous suis… », dit Paschic, en décevant l’adjoint, qui aurait été ravi de mettre une rouste à un harceleur de vieilles dames !

 
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