La Nuit des Doms (57-60)

  • Le 20/12/2025

R114

 

 

          "Viens en Californie! On fêtera Noël tranquillement!

                                             Piège de cristal

 

 

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     Le trio formé par Paschic, Web et l’ancien Elfe se retrouve à errer parmi les dunes, évitant des zones d’eau saumâtre, jusqu’à ce qu’une usine soit en vue ! Le bâtiment se dresse d’abord par un gigantesque mur de béton, mais bientôt il devient plus complexe, avec des conduits brillants, des silos vertigineux et des jets de fumée ! Un homme accourt vers le trio et lui demande : « C’est vous pour la visite ?

_ Oui, c’est bien nous ! répond avec aplomb Web.

_ Bon, alors suivez-moi... » 

On croise nombre d’ouvriers en plein travail, dans un bruit quasi infernal, ce qui fait que le guide est obligé d’élever la voix, mais la poussière et la chaleur sont aussi omniprésentes ! « Bon, ici, c’est le secteur 1 ! crie le guide. C’est là que les Doms sont préparés ! A priori, ils devraient être tous pareils, car c’est le même mélange de base, mais le remplissage des moules ne peut pas être rigoureusement exact ! On en a donc des petits, des grands, etc. ! Enfin, vous savez tout ça ! »

On poursuit la visite au pas de charge, car le guide semble pressé, mais soudain il annonce : « Pour la première fois, les deux conduits Doms et béton sont visibles… et ils ne vont plus se quitter maintenant ! Le Dom qui va apparaître en bout de chaîne aura sa dose de béton, celle qui va l’accompagner toute sa vie ! On y va ! »

On traverse à présent des salles davantage propres et silencieuses et le personnel n’a plus sa tenue de chantier, mais une blouse blanche, synonyme de travail de finition et de précision ! Des rideaux souples permettent d’accéder au sein des seins et on se retrouve devant une machine rouge, à côté de laquelle tournoient des lumières !

Il y a de grands « Ouf » à l’intérieur et soudain un Dom arrive sur un tapis roulant ! Il est accompagné par un paquet grisâtre, qui l’air d’une valise, sa dose de béton ! « Normalement, explique le guide, le Dom est entièrement libre de disposer de sa dose de béton ! Il peut par exemple l’utiliser plus tard, pour construire une maison ! Mais généralement, comme il est jeune et entre dans la vie, il place sa dose dans une banque, où son béton est géré au mieux de ses intérêts ! »

Soudain, les lumières tournent à toute vitesse ! Une sirène retentit, des aiguilles s’affolent et du personnel accourt ! « Ah çà ! fait le guide. C’est exceptionnel !

_ Qu’est-ce qui s’ passe ? demande Web.

_ Une alerte anti-Dom !

_ Ça veut dire quoi ?

_ Parfois, un Dom pas comme les autres est produit ! Il est différent, car il ne veut pas de sa dose de béton ! Y en a qui disent que c’est génétique, mais le code est le même pour tous !

_ Qu’est-ce que vous faites dans ces cas-là ?

_ Ben, on jette l’anti-Dom aux cochons !

_ Hein ?

_ Ah ! Ah ! Avouez que je vous ai eu ! Ah ! Ah ! Non, on essaie de rectifier l’anti-Dom avec un appareil, appelé le Chevalet de la Machine, parce que c’est la Machine qui l’a inventé et qu’elle avait un fils anti-Dom ! Vous allez voir, c’est un instrument assez retors ! »

L’anti-Dom, qui a provoqué l’alerte et qui paraît curieusement chétif, est déjà entre les mains de « blouses blanches », qui lui installent dans le dos ce qui doit être le Chevalet de la Machine ! Précédé par son guide, le trio s’approche, la gorge serrée ! « Bon, le Chevalet a deux principes, précise le guide. Il plie le dos pour la soumission, mais en même temps il le tire en arrière, afin que l’anti-Dom ait quand même l’air digne, tout en étant obéissant !

_ Excusez-moi, fait Web, mais apparemment ces deux actions sont contraires… On ne peut pas demander à la fois à quelqu’un de courber le dos et de l’avoir droit !

_ C’est vrai et c’est pourquoi nombre d’anti-Doms deviennent fous ! Mais vous comprenez que l’anti-Dom est dangereux pour la famille et qu’il ne la rend pas fière ! On tente de résoudre le dilemme ! Mais qu’est-ce qu’il y a là-bas ? »

Le trio regarde dans cette direction et il voit un petit groupe en grande discussion, avec des visages mécontents. Pendant que le guide s’en va chercher une explication, Web dit : « Mes amis, je crois que ce sont les visiteurs officiels et qu’il est temps pour nous de prendre la clé des champs ! » Chacun opine et on se presse vers la sortie, quand Paschic jette un dernier coup d’œil à l’anti-Dom, qui se débat fragile sous la pression du chevalet !

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     Le trio est de nouveau dans les dunes… « Ça ne remonte pas le moral tout ça ! fait l’elfe.

_ Ouais », approuve maussade Web.

On regarde au loin et on se perd dans le vent qui secoue les oyats et porte quelques oiseaux marins… Une drôle de forme arrive… Elle est toute en hauteur et paraît toujours sur le point de tomber ! Mais enfin elle est maintenant parfaitement visible et on reconnaît une pendule, avec des bras, des jambes et dont le balancier contient un visage d’homme ! « Salut ! fait celui-ci. Je suis le Temps !

_ On n’en a pas beaucoup, réplique Web, alors soyez bref !

_ J’ m’ en balance ! Ah ! Ah ! jette la tête, qui passe de droite à gauche.

_ Un p’tit malin, hein ?

_ Vous voulez voir une seconde ? »

Le trio ne répond rien, mais le Temps lentement ouvre la main, pour montrer une goutte qui brille comme un diamant ! « Une larme de fraîcheur ! rajoute le Temps. Je vous la coupe, pas vrai ? Regardez cet éclat ! C’est la lumière du soleil qui fait ça, sur de la rosée, après des milliards de kilomètres ! Attention, voilà une minute ! »

Le temps soulève le couvercle d’un petit coffre rempli de perles ! « Il y en a des jaunes, des vertes, des bleues, des rouges ! L’eau reflète les couleurs et la lumière vient les illuminer ! Tranquille, j’ tiens mon public ! »

On entend pourtant un gros crac ! La pendule est en miettes ! Un pied géant vient de l’écraser ! « J’ suis la militante ! J’ suis la militante ! chante une femme haute comme trois immeubles ! J’ suis la militante !

_ Bon sang ! s’insurge Web. Vous avez tué le Temps ! Et on commençait juste à rêver !

_ On peut pas rêver tant que l’injustice règne ! réplique la géante. J’ suis la militante ! Action ! Action !

_ Et quel est votre combat ? demande l’elfe, alors que Paschic essaie de réparer le Temps.

_ L’oppresseur ! Il est partout ! Faut rester vigilant ! Merci, bonsoir ! Vous voulez la recette du riz au curcuma ? Action, merci, bonne journée !

_ Mais elle se moque de nous ! tempête Web. Elle nous méprise !

_ Attention à ta cervelle ! » crie l’elfe à Web.

Mais déjà la géante a saisi la tête de Web entre ses deux doigts et la presse, comme une coquille de noix ! « Aaaaargh ! » se lamente Web, tandis que l’elfe donne des coups de pieds dans les chevilles du mastodonte ! Paschic intervient, en tirant la valve qui fait gonfler la militante et d’un coup celle-ci diminue, devient à la taille des autres et se met à pleurer !

« Personne ne m’aime ! lâche-t-elle.

_ Disons plutôt que vous ne vous supportez pas et c’est pourquoi vous méprisez tout le monde ! explique Paschic.

_ Mais je méprise personne ! Snif !

_ Si, mais vous ne vous en rendez même pas compte !

_ Comment voulez-vous que je m’aime ! Regardez comme j’ suis grosse !

_ J’ comprends, mais la solution, c’est pas de se sentir supérieur ! Tant que vous mépriserez, vous vous masquerez le problème, car ce n’est pas les oppresseurs, mais vous-même qui ne vous aimez pas !

_ Qu’est-ce que je dois faire ?

_ Mais d’abord aimer le temps ! Vous l’avez piétiné sans même le voir ! Plus vous aimerez le temps et moins vous serez égoïste et centré sur vous-même !

_ C’est pas ça qui va m’ faire maigrir !

_ Mais si ! Pour manger moins, il faut faire la paix avec soi-même, sinon on continue d’avaler pour combler un vide, une angoisse ! La paix ne peut que vous aider !

_ Attention, elle regonfle ! »

En effet, la femme reprend sa taille de géante et de nouveau elle martèle : « J’ suis la militante ! Attention, action ! Bonsoir, bonne journée ! C’est tout ? La recette au curcuma ? Ouais, j’ connais par cœur ! Au revoir !

_ Une rechute ! lâche Paschic. C’est sûr, c’est pas facile ! »

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      Le trio reprend sa marche et il arrive devant des épineux, seuls arbustes ici qui ont réussi à pousser malgré le vent ! A côté cependant, il y a deux ou trois pins penchés en arrière, témoignant des coups de boutoirs tempétueux ! Ils ont aussi des formes tourmentées, comme s’ils criaient sous l’effort ! « Drôle d’endroit ! » lâche l’elfe, mais une détonation retentit et une branche est coupée net au-dessus des têtes ! Le trio immédiatement se jette à terre et entend : « C’est pas passé loin ! Hein, les gars ?

_ Mais vous êtes dingue ! répond Web, en direction de la voix.

_ Non juste en colère ! Attention, maintenant je vise juste ! »

Le trio se resserre à l’abri, mais Web crie de nouveau : « Mais qu’est-ce que vous voulez ?

_ C’ que je veux ? Mais d’abord qu’on m’écoute !

_ D’accord ! Allez-y, parlez !

_ J’ai bossé toute ma vie, moi ! Et pour quoi ? Pour une retraite de misère, qui me permet à peine de joindre les deux bouts !

_ Et c’est pour ça que vous nous tirez dessus ?

_ Faut bien que ma colère s’exprime ! Chaque jour, c’est la même chose ! J’ai rien à espérer ! J’ finis mon mois et ça r’commence ! Ah non ! Maintenant, j’ai des ennuis de santé et j’ peux pas payer tous les soins ! Marre !

_ Mais nous n’avez pas bossé ! réplique Paschic.

_ Hein ? J’ peux vous montrer mes fiches de paye et mes cotisations ! J’ai plus d’ trente ans d’ boîte ! Alors oui, j’ai bossé !

_ Ben non ! Vous avez perdu vot’ temps ! Vous voyez les nuages au-dessus d’ vous ?

_ Les nuages ?

_ Oui, ils ont des couleurs violettes plus ou moins sombres… et ils sont d’une délicatesse extrême, si on les regarde bien ! Si vous aviez vraiment bossé, ce spectacle vous nourrirait, vous enchanterait ! Vous y seriez sensible et il ferait votre richesse ! Alors les jours seraient tous différents et la colère ou la haine vous seraient étrangères !

_ Mais qu’est-ce tu racontes, mon gars ? Y en a qui s’ goinfrent et moi, j’ tire la langue ! La voilà la vérité ! J’ suis une victime de l’injustice !

_ Vous êtes surtout vot’ propre victime ! Car vous avez consacré vot’ vie à votre égoïsme et là, on n’en a jamais assez ! On finit toujours par être malheureux ! Le véritable travail, c’est d’aimer la vie, le monde qui nous entoure !

_ Tatatata ! T’es en train d’essayer d’ m’endormir, mon garçon ! Lève la tête et j’ la fais exploser !

_ Paschic, l’opium du peuple ! ricane Web. C’est pas tout ça, mais il est complètement barjot !

_ La vérité, reprend Paschic vers le tireur, c’est que vous êtes incapable de vous émerveiller, tellement vous vous êtes consacré à vot’ nombril !

_ Bang ! Bang ! Bang ! »

Les balles pleuvent autour du trio ! « Bon sang, Paschic ! s’écrie Web. Faudrait voir à changer d’ tactique ! Il va finir pas nous toucher !

_ Je refuse de céder à ces imbéciles ! Ils ont eu toute la vie, pour se tourner vers la beauté, ce qui leur demandait bien entendu de lutter contre leur peur, d’essayer de dépasser leur petite haine, de regarder plus grand qu’eux-mêmes ! Et maintenant ils veulent faire payer le prix de leur paresse à d’autres ! Vous connaissez le taux d’ chômage spirituel ? 90 %!

_ Vous êtes sûr de vos chiffres ? fait ironique Web. Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

_ J’ai peut-être la solution, répond l’elfe. Nous les elfes, nous avons la possibilité de nous fondre dans le paysage, en prenant n’importe quelle forme ! Je peux neutraliser le tireur ! »

Paschic et Web regardent l’elfe s’en aller, mais après quelques minutes ils l’entendent crier : « Ohé ! Y a plus d’ danger ! » Paschic et Web rejoignent l’elfe et Web demande : ‘Alors, comment ça s’est passé ?

_ Le plus simplement du monde ! Je me suis déguisé en cloporte géant et le retraité a eu la frousse de sa vie !

_ Bravo ! »

                                                                                                                        60

     Le trio rejoint une route, où des flaques reflètent le rouge sang du ciel ! « Signe de pluie ! » fait l’elfe. On avance entre des champs, sous le regard apparemment indifférent des vaches, qui broutent ! « Eh bien, tout ça me paraît parfaitement calme ! reprend l’elfe. Il ne reste plus qu’à trouver un café, où on pourra se réjouir d’un solide petit-déjeuner ! »

Mais au loin une forme orange et rouge arrive à toute vitesse et le plus curieux, c’est qu’elle vole ! On voit asse vite qu’il s’agit d’une personne, une femme, habillée comme un bonze et qui, oui, est en plein lévitation !

Elle vient tournoyer autour du trio, tel un insecte affairé, d’autant qu’elle porte de grosses lunettes, qui lui donnent l’air d’une mouche ! « Hi ! Hi ! Zou ! Ah ! Ah ! fait-elle en riant. Mais n’ai-je pas trouvé le célèbre Paschic ! Ah ! Ah !

_ J’ savais pas que vous étiez célèbre, Paschic, lâche en grognant Web.

_ Moi non plus…

_ Ah ! Ah ! Où en étais-je ? reprend la femme volante. Ah oui ! Je buvais un peu d’ rosée ! Slurp ! Ouh ! Ça fait du bien !

_ Mais qu’est-ce que c’est cet oiseau-là ? s’écrie agacé l’elfe.

_ C’est une admiratrice de Paschic… répond maussade Web.

_ Ah ! Ah ! Hi ! Hi ! Maintenant à nous, messieurs…

_ Mais nous n’avons rien demandé, réplique Paschic.

_ Ah ! Ah ! Hi ! Hi ! Qu’importe ! J’ai plus d’un tour dans mon sac ! Put ! Put ! Où en étais-je ?

_ C’est une Dom, murmure Paschic à ses compagnons. Elle croit que le monde tourne autour d’elle et qu’elle nous intéresse…

_ Qu’avez-vous dit, Paschic ? demande la femme, qui ne cesse de tournoyer. Ah ! Le célèbre Paschic ! Vous savez que vous êtes très inspirant pour moi !

_ Eh ! Eh ! Paschic, dit Web, t’as la côte, on dirait !

_ Oui ! Ah ! Ah ! poursuit la femme. Il y a certaines de vos phrases que je connais par cœur ! Et je me demande si vous ne pratiquez pas la méditation ?

_ La méditation ? Le fait de penser ?

_ Hélas ! Mille fois hélas ! C’est justement le contraire ! C’est se séparer de ses pensées !

_ Ah ?

_ Oui, ah ! Hi ! Hi ! Je pourrais vous offrir le terme technique, pour ça ! Mais il faut être initié !

_ Bien sûr ! réplique Paschic. Mais, dites-moi, vous pratiquez la méditation, pour vous reposer, vous détendre, non ?

_ Euh ! Oui et non ! En fait, il s’agit d’atteindre le grand Tout, de s’élever spirituellement !

_ C’est bien ce que je pensais, mais, dans ce cas, laissez-moi vous dire que vous êtes mal barrée ! »

La femme insecte est une seconde désorientée, mais très vite elle reprend son vol autour du trio ! « Hi ! Hi ! Ah ! Ah ! Pourquoi dites-vous ça ?

_ Puis-je me permettre de vous parler sans ambages ?

_ Faites mon ami, faites ! Hi ! Hi ! Ah ! Ah !

_ Ben, vous êtes une Dom… Vous dominez les autres, pour apaiser votre nervosité, comme si vous étiez leur centre d’intérêt ! Autrement dit, vous n’avez pas une réelle conscience d’eux ! La moindre des choses, pour atteindre la paix, est de se séparer de son égoïsme, ce qui demande de quitter sa position dominante ! Or, votre orgueil est sans pareil ! Il n’a jamais été éprouvé !

_ Bzzz ! Bzzz ! C’est votre avis et pas le mien ! Je sens que je vous ai surestimé !

_ Bien sûr, je suis pas chic ! Vous voulez un conseil ? Pour se séparer de ses pensées, si tant est qu’on ait besoin de le faire, rien ne vaut d’admirer la nature ! Plus vous serez simple et plus vous pourrez vous émerveiller ! En plein dans le grand Tout ! Car, pour le moment, vot’ méditation est encore un moyen pour vous flatter !

_ Goujat !

_ Vous m’offrez un terme technique ?

_ Cette fois, la coupe est pleine ! »

La femme insecte ouvre grand ses ailes et dévoile une série de roquettes ! « Planquez-vous les gars ! crie Paschic. Ça va péter ! » Les fusées partent et explosent près du trio, qui s’est jeté derrière un talus ! « C’est le quotidien avec Paschic ! lâche Web, couvert de terre.

_ Adieu café, croissants, nuage de lait ! » jette l’elfe.

 
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