Les yeux de Dieu

  • Le 31/08/2019
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    Nous venons de terminer le livre "Pourquoi les crises reviennent toujours", Editions Points, de Paul Krugman, prix Nobel d'économie 2008. Il est en effet intéressant et même nécessaire de connaître l'avis de la science sur la situation actuelle, car c'est comme coller son cerveau surchauffé à un pain de glace: cela redonne aux idées toute leur clarté!

    La science, par définition, s'appuie sur la preuve et regarde sévèrement la passion, en faisant: "Tss! Tss!" D'ailleurs, Krugman donne rapidement le ton... Il dit page 11: "Toute vue "fondamentaliste" de la crise économique, qui voudrait que les économies n'aient que la punition qu'elles méritent, doit s'efforcer de dire pourquoi des économies très différentes furent précipiter dans la crise en l'espace de quelques mois." Bien joué, Krugman! C'est une réplique qui "sent son scientifique" à des kilomètres! C'est de la bonne vieille école du raisonnement! C'est de la méthodologie cru Château Lafite!

    D'ailleurs, Krugman, comme tout chercheur qui se respecte, a un petit compte à régler avec tous ceux qui clouent encore des hiboux contre leur porte et qui se dressent fièrement dans l'album de l'obscurantisme religieux! C'est normal... Quand on a une caisse à outils et une formation, on est facilement irrité par le Quasimodo d'à côté, qui répare les fuites avec du chewing-gum!

    Ainsi, notre auteur nous fait voir les crises économiques, comme un médecin légèrement méprisant son dispensaire, car avant lui l'hygiène la plus élémentaire n'était pas respectée! Les piques de l'économiste, si elles restent mesurées, n'en fleurissent pas moins çà et là et elles sont en bouquet à la fin! Nous lisons page 245: "La vraie rareté dans notre monde, n'est donc pas celle de la ressource, ni même de la vertu, mais celle de l'entendement!" Médaille d'or, la science! Médaille d'argent, la religion (ou ce qui en émane); médaille de bronze, la planète!

    Puis, plus loin, nous trouvons encore: "Je pense pour ma part que les seuls obstacles structurels importants à la prospérité du monde sont les doctrines obsolètes qui encombrent l'esprit des hommes." Des noms! Nous voulons des noms!

    On trouve tout de même chez Krugman, quelques perles, comme celle-ci, au sujet de la crise des Subprimes, page 213: "Dès lors, une autre vérité atroce se fit jour: la saisie n'est pas seulement une tragédie pour les propriétaires des maisons, c'est une très mauvaise affaire pour le prêteur." C'est même le pire, serait-on tenté de dire! Le prêteur risque de se retrouver sur la route, en compagnie de ceux qu'il a spoliés! C'est comme le Droit des sols qui s'empresse d'appeler le propriétaire d'un chantier, parce qu'un SDF y couche sur le froid du ciment! On voit qui est du côté de qui! Pauvre Madoff, on lui crachera encore dessus en enfer!

    Mais que peut-on au juste retenir de ce livre? Que l'économie est une vraie science, que son objet a des réactions qui lui sont propres et qu'on ne peut donc pas le traiter au gré de ses humeurs? Sans doute, mais surtout Krugman nous rappelle combien notre niveau de vie est tributaire de l'économie et quelle catastrophe pourrait entraîner une crise financière! Ceci devrait être présent à l'esprit des gilets jaunes les plus radicaux et qui rêvent de bûchers grandioses, car on oublie trop souvent dans nos sociétés à quel point nous disposons de confort et de services! Il est facile de détruire ce qu'on n'a pas construit!

    Cependant, le travail de Krugman nous montre encore une fois les limites de la science; comment elle passe en fin de compte à côté de l'élément essentiel, à savoir l'homme! Le scientifique reste un géomètre; c'est sa distance qui garantit son objectivité... et malheureusement aussi sa bêtise! Mais voici ce que dit encore Keynes, l'un des phares de l'économie moderne, page 54 dans ses Lettres à nos petits enfants, aux Editions Les liens qui libèrent: "Quatre facteurs détermineront le rythme de notre avancée jusqu'au bonheur économique qui est notre destination: notre aptitude à réguler la croissance démographique; notre détermination à éviter les guerres et les conflits intérieurs; notre volonté de confier à la science ce qui relève de la science; et le taux d'accumulation, fixé par la marge séparant notre production de notre consommation..."

    Est-ce quelqu'un peut nous expliquer ce qu'est le bonheur économique? Est-ce à dire qu'avec un jus d'orange et une pelouse tondue, avant d'aller au travail, nous serons sages comme des images et que nous ne voudrons pas mépriser notre voisin? Mais c'est beau, hein? On dirait la station spatiale de 2001 Odyssée de l'espace, qui tourne sur une valse de Strauss! C'est le triomphe de la science, jusqu'à ce qu'un ordinateur devienne comme nous! "Ouvre la porte, Karl, s'il te plaît!

    _ Je suis désolé, Dave, mais j'ai cru déceler chez vous une hostilité à l'égard de cette mission. Or, un super ordinateur de la génération Karl ne saurait échouer!

    _ Ouvre la porte, Karl, je te prie!

    _ Vous n'arriverez pas à ouvrir manuellement, Dave!"

    Puis, plus loin, Dave commence à démonter l'ordinateur, qui sait qu'il va "mourir": "J'ai peur Dave! Le super ordinateur Karl voudrait vous chanter une petite chanson!

    _ C'est ça, Karl, chante-nous une chanson!

    _ Au clair de la lune..."

    C'est retors comme un Hitchcock, mais avec la puissance de Kubrick! Cependant, Krugman et Keynes nous révèlent qu'ils ignorent au fond ce qui nous meut essentiellement et donc ce qui nous fait consommer au-delà de nos besoins les plus élémentaires! C'est la domination qui nous pousse à dépenser pour notre représentation sociale! C'est notre argent et nos biens qui montrent notre supériorité (qui nous protègent aussi!) et c'est sans fin! Il n'y a pas d'équilibre dans cette voie, comme nous le savons; ce qui fait que nous épuisons la planète!

    Si nous commencions à prendre conscience de la domination et à vouloir la contrôler, il faudrait sans doute inventer une nouvelle science économique, car c'est le concept même de croissance qu'il serait nécessaire de reconsidérer... En tout cas, le sage, qui maîtrise sa domination, est bien plus apte à résister à une crise financière que le tyran, qui apaise son angoisse grâce à ses nombreux besoins et qui donc panique à l'idée même de moins consommer!

    Cependant, nous retiendrons combien est importante l'économie pour assurer notre niveau de vie, car cela explique la formule américaine: "Too big to fail!", autrement dit: "Trop gros pour faire faillite!" C'est avec cette pensée que le gouvernement Bush a regardé en 2008 AIG et Goldman Sachs... L'écroulement de Lehman Brothers était somme toute limité, comme un immeuble dans un quartier; mais que se passerait-il si les bâtiments s'entraînaient les uns les autres dans leur chute? C'est pourquoi on a décidé de sauver les mastodontes et les gilets jaunes ont en partie raison: il existe deux traitements entre les riches et les pauvres, entre les puissants et les petits!

    Au fond, les choses sont aussi simples qu'au premier jour, comme dans la nature où les animaux, normalement, ne s'attaquent pas à un plus gros qu'eux! On est intransigeant et dur avec le faible, car il n'a pas les moyens de se défendre; et on préserve le fort et même on se met sous son aile, pour pouvoir avancer et être protégé! Celui qui a le pouvoir est souvent impuni et s'il est condamné, parce que les faits sont avérés, il niera encore, il se drapera dans sa dignité ou parlera de complot! Il suffit de voir comment réagit la classe politique, quand l'un de ses membres est attaqué: on voit soudain une solidarité au-dessus des partis, une réaction extrêmement violente et une justice malmenée ou qui malheureusement cède elle-même à la corruption! La séparation des pouvoirs n'est pas aussi franche qu'on voudrait bien le croire et si nous ne nous trompons pas, c'est toujours le président de la République qui est encore le président du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui est chargé de la nomination des juges et de leur promotion... On voit sans peine où le bât blesse!

    Ce qui est plus surprenant, c'est l'apparente résignation du peuple américain devant les injustices dont il est victime! Trump continue à louer les vertus du libéralisme, alors que les puissants y prospèrent avec "un filet de sécurité"; tandis que le citoyen qui ne peut plus payer ses factures est voué à l'enfer! Le discours du pouvoir est comme une disque rayé, mais peut-être faut-il voir l'excitation, l'indignation française comme une spécificité et non seulement tel un défaut!

    En effet, à notre connaissance, notre pays est le seul dans l'hémisphère nord à avoir absolument désacralisé le pouvoir; il l'a complètement détruit, pour mettre à sa place, tant que c'est possible, l'égalité! L'autorité n'a donc qu'une prise relative sur nous, ce qui explique peut-être notre indiscipline, mais aussi notre faiblesse, notre renoncement, comme en 40! Bien d'autres peuples sont plus persévérants et par là plus courageux que le nôtre, grâce à leur respect de l'ordre! On sait que les Allemands en la matière sont les maîtres, jusqu'au pire! Les Anglais situent leur reine au-dessus des turpitudes de la politique et elle est donc telle une référence céleste, qui permet le sacrifice! Les Belges et les Espagnols ont encore leur famille royale et les Italiens s'agitent autour du Vatican... Quant aux Américains, c'est à leur drapeau, à la patrie qu'ils ont dressé un autel! 

    Les Allemands nous ont déjà maintes fois traités de cochons, parce que nous ne respectons rien et il en ainsi parce que nous savons que le pouvoir amène forcément le vice; c'est un enseignement de notre histoire, ou peut-être est-ce une lucidité inhérente à notre caractère! Il est difficile d'y répondre, mais le fait est que nous ne sommes pas dupes, que notre indiscipline nous tient les yeux ouverts! Le néolibéralisme, comme on l'appelle, est mort en 2008 et nous sentons que les obsèques n'ont pas eu lieu, que la famille n'a pas été prévenue et que nous en supportons les conséquences! Nous souffrons du mépris d'un monde qui ne devrait plus être là et que l'on maintient en vie grâce à nos deniers: d'où la révolte!

    Les peuples voisins gardent toujours un œil sur nous, à cause de notre réputation... et peut-être vont-ils eux aussi comprendre qu'on les "roule dans la farine"! Cependant, est-il possible, comme le font les gilets jaunes ou les altermondialistes, de vraiment définir un ennemi, un camp qui serait responsable de notre insatisfaction, de notre souffrance? Car que se passe-t-il au quotidien? Chacun n'essaye-t-il pas a priori de supplanter l'autre? La femme, même si elle attire à elle, ne fait pas autre chose, puisqu'elle s'impose par sa séduction!

    Et si nous n'arrivons  pas à dominer celui ou celle qui nous dérangent, nous avons recours à une arme parfaitement adaptée à la civilisation, c'est le mépris! Ce n'est pas un procédé violent, que pourrait condamner la loi, et pourtant il est plus destructeur qu'un coup de poing! Le dégoût que nous affichons doit rapetisser l'autre, lui faire croire qu'il est lui-même insignifiant, gênant, indésirable! C'est comme une morsure de serpent: le poison fait son œuvre, tue lentement, après bien des douleurs!

    Et encore le dégoût est une réaction, que l'on peut voir comme un aveu d'impuissance, de la part de celui qui veut dominer; mais le silence, la plus complète indifférence! Elle est le mépris absolu, pourrait-on dire, car c'est comme si l'autre n'existait même pas, comme s'il n'avait aucun sentiment et donc sa peine cherche en vain sa source, sa raison! Celui qui tourne en rond, sans explications, se désagrège!     

    Le mépris est un mur; il se dresse vers l'espace et n'offre nulle prise! C'est un obstacle muet et infranchissable! Sa seule présence nous place dans une prison! Nous sommes en apparence libres, mais la blessure ne guérit pas! Ce qu'il faudrait, c'est effectivement la révolte! C'est de s'attaquer à l'auteur du mépris! C'est de l'anéantir; c'est de lui rendre la monnaie de sa pièce! C'est de lui faire mal comme il nous a fait mal! Douce vengeance! Mais cela servirait-il au fond à quelque chose? Que trouverait-on en définitive sous le mépris, si ce n'est la peur?

    Quand on regarde les gens sur une place, que voyons-nous? Que la plupart sont habillés plus chaudement qu'il ne faudrait; pour se protéger des coups! Nous avons effectivement tous peur et cela devrait faire naître notre compassion... Pourtant, il y en a encore, dans cet ensemble, qui cherchent absolument à dominer, qui ne font pas un pas sans vouloir être le centre du monde! Mais celui qui "promène partout sa chambre" n'est-il pas le plus peureux de tous? N'est-ce pas la frayeur qui pousse à tout prévoir, à tout contrôler, à ne voir que soi? 

    Comprendre ainsi les hommes, c'est avoir les yeux de Dieu; ce qui n'est pas une raison non plus pour se laisser dévorer! De toute façon, l'égoïsme va à la facilité... Son hypocrisie et son impatience le font plein de fureur... L'affrontement est inévitable! Le mépris crée son propre anéantissement, car il ne faut pas qu'il compte sur la sagesse de son adversaire!  

    On ne peut pas prendre, sans jamais donner et nos sociétés à sens unique sont sans doute destinées à être balayées! La violence est injuste, mais elle est logique! Le sage peut s'attendre à compter les coups!

 
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