Les enfants Doms (T2, 186-190)

  • Le 10/06/2023
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Doms64

 

 

  "Allez, on mouille le maillot!"

                        Coup de tête

 

                       186

     Baluchon est un tribun connu dans RAM, en prenant la défense des opprimés, mais surtout en s’opposant au pouvoir, qu’il associe forcément à l’argent et aux profiteurs ! De gauche donc, Baluchon a créé un parti qui se veut insoumis aux diktats et à l’influence des capitalistes ! Il s’imagine être un phare résistant aux vagues d’un monde empoisonné et avide ! Il se sacralise même, s’écoute parler et ne prend pas conscience qu’il est resté cet enfant coléreux, parce qu’on a déplacé ses affaires !

Cet égocentrisme est devenu invisible sous la bannière de la justice sociale et sa rage emprunte celle du pauvre qui réclame l’équité ! Pourtant, le message de Baluchon reste clair : il est avant tout celui qui refuse de plier et c’est donc bien l’ego qui est le problème, bien plus que la pauvreté ! Ce qui fait souffrir Baluchon, c’est l’indifférence, le mépris que semblent lui marquer les puissants et on retrouve ici la peur du petit garçon, face aux adultes qui l’ignorent !

C’est un mélange d’effroi et de hauteur, qui fait que Baluchon veut changer les règles, pour échapper à celles qu’il ne comprend pas ! En prenant la place du maître, il n’encourra plus le risque d’être rejeté, ni abandonné ! Cependant, il n’est pas impossible, pour Cariou, que la môme Espoir ait été séduite par Baluchon, tant son discours a l’écho d’une croisade au service du bien, et notre détective a pris rendez-vous avec le leader politique !

Comme toujours, Baluchon a ce visage dédaigneux, comme si on lui devait quelque chose, et il ne jette qu’un coup d’œil à la photo présentée par Cariou : « Jamais vu cette fille ! s’écrie-t-il. Comment s’appelle-t-elle ?

_ Belle Espoir…

_ Mais… mais l’espoir, c’est la fin des profiteurs et des exploiteurs !

_ Et si on asphyxie l’économie, qui va payer la dette ?

_ Mais c’est vous, c’est nous qui allons payer la dette ! Pas les patrons du CAC 40, qui sont tous des copains du gouvernement ! Moi, j’ai des propositions, mais on ne m’écoute pas ! Il faut redistribuer l’argent, car ce que nous voulons, c’est juste vivre ! Il faut arrêter d’agresser les gens ! »

Baluchon vient de s’exprimer avec une extrême véhémence et Cariou a failli être emporté à l’autre bout de la pièce, par la violence des mots ! Mais une chose essentielle ne lui a pas échappé et il est resté coi ! Il répond : « Vous savez, je pense que votre virulence, qui est destinée à écraser, n’est là que pour masquer le vide de votre pensée, l’absence de vos solutions !

_ Mais qu’est-ce que vous racontez ? La richesse de quelques uns est démentielle ! Et c’est elle qui doit être partagée !

_ Pour que l’argent soit là, il faut d’abord qu’on ait la possibilité et l’envie de le gagner ! Prendre l’argent aux riches pour le donner aux pauvres, vous ne le faites qu’une fois, pas deux ! D’autre part, vous appelez le gouvernement à la sagesse, au respect, mais vous-même êtes plein de haine et vous parlez de simplement vivre, alors que déjà vous ne savez pas respirer ! Si vous aviez une once de vérité en vous, mais vous seriez tranquille, persuadé que le gouvernement finirait pas se rendre à vos arguments, puisqu’ils seraient justes ! En réalité, vous êtes gouverné par l’inquiétude, ce qui fait que vous êtes d’abord en colère contre votre impuissance !

_ Mais je me fous de votre psychologie de comptoir !

_ Vous devriez écouter quelqu’un d’autre pour une fois, car c’est vous qui faites votre propre malheur ! C’est parce que votre ego est avide que vous ne pouvez le satisfaire ! Au fond, vous ragez n’étant pas le maître ! Je vous rappelle la logique : la paix permet la force ; la force le don ; le don la paix !

_ Et c’est cet évangile qui va réduire la fracture sociale !

_ Exactement, puisque votre haine ne peut que l’amplifier ! Aujourd’hui, la gauche est devant un nouveau défi, car nous sommes déjà dans une république et il ne s’agit plus de renverser le régime ! Essayer de faire revivre l’esprit révolutionnaire est un intégrisme social !

_ Et moi, j’ t’ai assez entendu ! Je sais pas pourquoi j’ perds mon temps avec des cloportes dans ton genre ! »

A cet instant, deux gros bras entrent dans la pièce et Baluchon leur dit : « Virez-moi ce malpropre ! C’est un apôtre fielleux à la solde des riches ! Ne le ménagez pas, il a besoin d’un bon coup de pied au cul ! »

Les gros bras opinent et soulèvent Cariou, ainsi qu’il aurait été sans jambes ! Puis, après la sortie, le détective est projeté contre les poubelles, au nom de l’égalité sans doute ou pour vérifier le dicton Qui se ressemble s’assemble !

                                                                                                           187

      Madame Pipikova est touchée par la grâce ! Le dieu des travailleurs est venue la voir et lui a dit, dans un nuage d’or et alors qu’elle avait encore les yeux ensommeillés : « Va sur les routes porter mon message d’amour ! Va éclairer le patronat ! Fais lui comprendre que lui aussi peut entrer dans le royaume des travailleurs ! Je t’ai choisie pour cette mission, à cause de la simplicité de ton cœur ! »

Madame Pipikova prépare humblement ses affaires et au matin, elle quitte le camp de redressement matérialiste ! Elle part sans regrets, car la vie y était somme toute trop facile et la nouvelle madame Pipikova espère secrètement que les cailloux du chemin lui feront un peu mal et l’affermiront ! Et puis, elle n’est pas fâchée de ne plus devoir affronter des impies, des moqueurs comme Piccolo ! N’est-elle pas au fond dépourvue de toute malice et quelle peine quand il fallait discuter, débattre, trouver des arguments retors !

C’était contre nature pour madame Pipikova, qui maintenant, dans les couleurs de l’aurore, revoit en plein la vérité du dieu des travailleurs, ce qui fait que son visage est tout empreint de lumière ! Mais le premier village surgit et madame Pipikova, légèrement lasse, s’assoit à la terrasse d’une auberge et elle est le témoin d’une scène pénible ! L’aubergiste, un homme corpulent et grossier, un patron par conséquent abusif et égaré, crie à son employé, un jeune, que c’est un fainéant et qu’il doit se presser pour aller chercher de la volaille au marché !

Madame Pipikova est triste d’être déjà devant l’injustice sociale et quand le patron s’approche d’elle, pour savoir ce qu’elle veut, elle le regarde avec gravité et compassion ! L’aubergiste est frappé par la beauté de ce visage, qui allie le reproche à la bonté, qui ne condamne pas, mais qui invite à la raison, à l’amendement, si bien que l’homme s’assoit lui aussi et se met à pleurer !

« Comment peux-tu être comme ça, avec le travailleur ? demande madame Pipikova d’une voix douce.

_ Si je suis dur, c’est parce que j’ai peur ! répond entre deux sanglots l’aubergiste. Je ne suis pas méchant dans le fond, vous savez !

_ Je le sais… Mais à l’avenir reste bon avec le travailleur, n’est-ce pas ton frère, ton camarade ?

_ Oui, m’dame !

_ Va, ta foi t’a sauvé ! »

Madame Pipikova prend son petit déjeuner… Oh ! Pas grand-chose ! Juste un petit morceau de pain, dont elle donne la moitié aux oiseaux, qui semblent la remercier par leurs chants mélodieux ! Puis, elle se lève, reprend sa besace, demande la paix sur cette maison et se dirige vers le centre du village, où malheureusement se déroule une autre scène violente ! Madame Pipikova reconnaît des agents du gouvernement, qui sont en train de malmener une famille, sans doute pour récupérer quelque impôt !

Elle s’immobilise devant les agents, qui soudain remarquent son aura ! Ils arrêtent leurs menaces, leur maltraitance et demandent : « Qui es-tu ? » et c’est l’employé de l’auberge qui répond, car la nouvelle se répand vite : « C’est sainte Dicaliste ! 

_ Tu es vraiment une sainte ? demande l’un des agents.

_ C’est toi qui le dis, fait madame Pipikova. N’avez-vous pas honte d’opprimer le travailleur ?

_ Mais c’est qu’il doit de l’argent !

_ Et moi, je vous dis que tout ce que vous laisserez au travailleur vous sera rendu au centuple ! »

Les agents sont saisis par ces paroles, mais c’est cette bonté opiniâtre de sainte Dicaliste qui les décide à s’en aller ! La famille tombe à genoux devant un tel miracle ! Elle veut baiser les doigts de madame Pipikova, qui se dérobe, remplie d’humilité, mais comment empêcher tous ces gens, qui la fêtent et qui de nouveau espèrent ?

La sainte sourit, bénit, montre le dieu des travailleurs et ses bienfaits ! Puis, c’est le soir et elle explique qu’elle doit continuer sa route, que bien d’autres villages attendent son message et la voilà qui disparaît dans la nuit, au grand dam de ceux qui voulaient lui offrir l’hospitalité ! Mais madame Pipikova a encore besoin du secret des ténèbres, de se retrouver seule parmi les arbres, car il faut qu’elle se défoule, que sa vraie personnalité puisse se libérer !

Finies cette patience dégoûtante, cette commisération révoltante, cette componction ruisselante ! Enfin de l’air, du souffle ! La sainte s’approche d’un rocher et d’un atémi le coupe en deux, en criant « Salauds, fumiers de capitalistes » Les oiseaux son terrifiés et plus tard on dira que le diable est passé par là, au regard de tous ces troncs coupés !

                                                                                                  188

     Pour être juste, Cariou s’en va aussi chercher Belle Espoir chez l’extrême droite et il a rendez-vous avec son leader, madame Peine ! Bien sûr, Cariou connaît le passé sanglant du nazisme, qui veut la supériorité de la race, la loi du plus fort, et il n’espère pas vraiment faire avancer son enquête de ce côté-là, mais le communisme lui-même n’est-il pas une forme de fascisme, puisqu’il veut écraser ses adversaires et rejette la différence ? C’est fou le nombre de gens haineux au nom du bien !

Cariou fait atterrir sa vieille autociel devant le portail d’un château, en pleine campagne ! Il y a là deux gardes, taillés tels des troncs et à la mine maussade ! L’un a le visage couturé et il s’approche du détective : « C’est privé ici ! fait-il.

_ J’ai rendez-vous avec madame Peine ! »

Le garde considère méprisant la pauvreté du véhicule, quand son collègue se renseigne au téléphone, avant de faire signe que c’est OK ! En ouvrant le portail, le balafré jette à Cariou : « Tâchez d’ pas salir les tapis !

_ Si j’ trouve de la viande en cuisine, je vous la ramène, d’accord ? »

Pour toute réponse, le garde frappe l’autociel au passage, de sorte qu’on a l’impression de franchir le mur du son et Cariou n’insiste pas : la violence, juste quand on ne peut pas faire autrement ! « J’ dois quand même avoir une bosse ! » songe notre détective.

Le château apparaît imposant et un majordome hautain accueille Cariou sur le perron : « Madame Peine vous attend au salon », dit-il et il faut le suivre… La maîtresse des lieux est une femme forte, au regard dur et d’un ton sec, elle demande : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous, monsieur Cariou ? Il s’agit d’une enquête, à ce que j’ai cru comprendre ! C’est pourquoi j’ai accepté de vous rencontrer, mais mon temps est précieux… Notre parti a beaucoup à faire, s’il veut empêcher le pays de courir à sa perte !

_ Mais… je n’en doute pas ! répond Cariou, qui sans attendre fait glisser sous les yeux de madame Peine la photo de Belle Espoir !

_ Vous recherchez cette fille ? Mais je ne l’ai jamais vue !

_ A vrai dire cela ne m’étonne pas…

_ Alors qu’est-ce qui vous fait croire que j’aurais pu la connaître ?

_ Eh bien, elle apprécie l’ordre ! Cela fait partie de sa nature… et comme vous non plus n’aimez le chaos…

_ Je vois…, mais pour rejoindre nos rangs, il faut encore avoir un idéal ! Laissez-moi vous montrer quelque chose, monsieur Cariou... »

Madame Peine conduit notre détective dans la bibliothèque, devant le portrait géant d’un homme ! « Mon père ! explique madame Peine. Il continue de m’inspirer ! » A cet instant, un violent orage éclate et le portrait est soudain illuminé d’une lueur sinistre ! On y voit une tête massive, qui semble demander instamment qu’on règle la facture !

« L’ordre n’est pour nous qu’un élément de base, enchaîne madame Peine, ce que nous voulons, c’est qu’on nous rende notre fierté, notre identité ! Ce pays était un grand pays, avant qu’il ne soit galvaudé par les braillards de la gauche et envahi par les étrangers !

_ En sommes, vous êtes comme tout le monde, vous demandez du respect, de la reconnaissance !

_ Effectivement, car nous voyons chaque jour nos valeurs piétinées ! L’impiété ou les dérives sexuelles nous font beaucoup de mal !

_ Je comprends bien, madame Peine, mais il est inutile de demander du respect avec de la haine ou du mépris ! On ne fait que récolter ce qu’on a semé et c’est en aimant les autres, quoiqu’ils soient différents, qu’on réveille chez eux le respect dont nous avons besoin !

_ Mais certainement… et c’est pourquoi nous attendons du changement, de la part de nos adversaires !

_ Tss, tss, madame Peine, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne ! C’est d’abord à vous de respecter, pour voir ce changement !

_ Il n’en est pas question, car les bornes ont été dépassées !

_ Vous avez ce sentiment, comme si vous étiez un comptable ! Mais l’amour est l’amour, parce qu’il fait plaisir ! Ce n’est pas une corvée ! Vous êtes toujours perdue, madame Peine !

_ Je vous ai déjà accordé trop d’attention ! Bruce va vous raccompagner ! »

 

                                                                                                 189

     Andrea Fiala est invitée par une amie, qui est infirmière, à visiter le lieu de travail de celle-ci, un hôpital psychiatrique ! « Bonjour ma belle ! fait l’amie à Andrea en l’embrassant. Je suis contente que tu sois venue, car ça vaut le coup d’œil ! » Andrea suit docilement son amie, mais, à mesure qu’elle pénètre dans le bâtiment, elle sent son appréhension croître ! Son amie, s’apercevant sans doute de ce trouble, se retourne vers elle pour lui dire : « N’aie pas peur, Andrea ! Il est tout de même rare que nos malades soient dangereux, même s’ils ont tendance à s’emporter ! Nous arrivons à la grande salle, où ils sont tous à cette heure-ci… Tu auras comme ça une belle vision de l’ensemble ! »

Andrea voit un « monde fou », enfin qu’il y a des gens un peu partout et qu’apparemment chacun a une occupation, ce qui donne une impression de calme, tout en rassurant ! Ici, on joue ou on lit ; là-bas, on répare ou nettoie ! Andrea ne détecte aucun signe de folie, mais au contraire la dignité, la responsabilité ont l’air à l’honneur, quand soudain, à une table, l’un se lève et se met à crier : « On veut nous faire travailler deux ans de plus ? Négatif ! Niet ! Vous voulez m’entuber ? Eh bien, venez, venez ! J’ vais tous vous casser ! J’ vais m’ faire un plaisir de piétiner vos sales gueules ! »

Le malade bave et sa haine est effrayante ! Andrea voudrait se remettre de son émotion, mais une femme cette fois, à côté, jette brusquement : « Il y a des hommes ici qui disent qu’ils sont des femmes et ils en profitent pour saloper nos toilettes ! C’est inadmissible ! Nous sommes en train d’ foutre en l’air not’ société ! Si vous avez des problèmes, appelez les médecins ! Mais laissez notre jeunesse tranquille ! Ne touchez pas à nos enfants, avec vos vices ! J’ s’rai sans pitié ! »

Le visage de la malade est blême et déformé par la rage, au point qu’Andrea ne peut en déchiffrer les traits ! Puis, on entend : « Certains renversent l’eau des brocs, alors qu’il y a déjà pénurie ! La ligne rouge est franchie ! Alerte ! Alerte ! » Il y a comme un bruit de sirène, mais une voix plus forte l’interrompt : « On est en train de tuer la petite distribution ! Comment je peux donner un crayon, si l’État m’en prend un sur deux ! C’est pas possible ! On peut pas continuer comme ça ! » 

« Et moi ? Mon voisin me touche du coude ! Je lui ai déjà dit qu’on doit se tenir droit à table et ne pas s’étaler ! Rien à faire, il recommence ! La police affirme qu’elle a d’autres préoccupations, mais moi, j’ préviens que tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse ! »

« La bibliothèque n’est pas ouverte le lundi ! Qui bosse, qui bosse ? De mon temps on bossait ! », « L’hôpital veut accueillir plus de malades ! Or, on est déjà trop ! Les malades étrangers dehors ! Et plus vite que ça ! », « Une araignée sur deux ici est en danger ! Alors vos problèmes, hein ! Oh ! Hein ! » « Pour ma part, je dors cinq heures par nuit ! On me dit que c’est pas assez ! Moi, j’ réplique : « Vous voulez que j’ dorme plus ? Changez d’abord mon matelas ! » », « T’as raison, on s’ fout de not’ gueule ! », « Ben voyons, comme si vous respectiez les autres ! Vous faites même pas vos prières ! », « Ça y est ! On menace la laïcité ! L’obscurantisme n’est pas mort ! Mais qu’on rase les cathédrales ! Qu’est-ce qu’on attend ? Un miracle ? »

Andrea est contrainte de se boucher les oreilles ! C’est une cacophonie agressive, délirante et elle demande à son amie de sortir. Les deux femmes se retrouvent à l’air libre et soufflent ! « Comment tu peux supporter ça ? demande Andrea.

_ J’ chais pas ! répond l’infirmière en haussant les épaules. J’imagine qu’on s’habitue, qu’on n’y fait plus attention !

_ Tu sais ce qui m’ fait le plus mal ? C’est que personne, personne n’a l’air de vouloir comprendre l’autre, en se mettant à sa place !

_ Exactement, chacun est dans son monde !

_ Ils demandent qu’on s’intéresse à leurs problèmes, avec une totale indifférence pour le reste ! Ça peut pas marcher !

_ Je pense qu’ils sont incapables de donner de l’attention...

_ Tu as raison ! La haine rend avare ! Tu connais l’histoire du sage qui ne voulait rien et qui rigolait ? »

                                                                                                    190

 

     Un ange gardien parle à son bébé : « Écoute, on y est… Tu vas bientôt sortir par l’utérus, mais j’ t’ai pas tout dit !

_ Hein ? Mais, j’ suis prêt, moi ! Regarde : les baskets, mon Narcisse et deux billets pour Disneyland, pour ma copine et moi !

_ Super ! Mais j’ t’ai caché certaines choses, pour que tu t’ fasses pas de bile ici… J’ voulais pas que tu naisses déjà inquiet, mal développé à cause des tourments ou du chagrin !

_ Mais bon sang, boss, vous êtes en train de me foutre la trouille, alors que c’est le jour J et que ça fait des mois qu’on s’y prépare !

_ Je sais, je sais ! Disons que j’ai des remords, des craintes, des doutes ! Quand j’ te vois là si innocent, si enthousiaste, si fragile aussi et qu’en même temps je songe à ce qui t’attend…

_ J’ suis prêt, oui ou non ?

_ T’es prêt, t’es prêt ! On a respecté le programme ! Mais j’ t’ai pas assez parlé d’ la société !

_ Ça y est, boss, c’est vot’ cauchemar qui revient, c’est ça ?

_ Mon cauchemar ?

_ Boss, j’ vous l’ai pas dit, mais, quand on faisait la sieste ensemble, il vous arrivait de crier brusquement des choses !

_ Ah ouais ? Et quelles choses ?

_ Eh bien, il était question d’un monde où de gigantesques marteaux frappaient les hommes ! Et quand ils échappaient aux marteaux, ils étaient pris dans une monstrueuse machine à hacher ! C’est à ce moment-là que vous vous réveilliez en sueur ! M’est avis que vous avez fait la guerre, boss, à une autre époque et sans doute sur une autre planète !

_ Mais non, petit cré… J’ai jamais fait la guerre ! Mais la société est comme ça…

_ Vous voulez dire que c’est un désert, où les hommes courent dans tous les sens, pour ne pas se faire écraser !

_ Oh non ! Tu vas voir, la nature est merveilleuse ! Elle est pleine de vie et de couleurs ! C’est un spectacle merveilleux, on ne peut pas s’imaginer ! Mais pourquoi, j’ pleure quand j’ te dis ça ? Merde ! C’est sans doute que personne n’y fait attention ! Tu vois p’tit, le problème, c’est que tous, ils ont l’ nez sur leur nombril ! Y savent pas r’garder !

_ Attention, boss, j’ sens qu’ ça bouge dehors ! Va falloir y aller !

_ T’as encore quelques minutes ! Écoute, si jamais là-bas t’es paumé, t’as plus goût à rien, si t’as des pensées suicidaires, appelle-moi dans les nuages, dans les fleurs, dans la mer, dans tout ce qui fait la beauté de la nature ! Je viendrai, j’ te consolerai, j’ te chantr’ai la vieille chanson, celle de l’espoir, du sens, de la sagesse !

_ Vous voulez parlez d’ ma berceuse ! Bien sûr, boss, que j’ vous la red’mand’rai si ça va mal ! Mais pourquoi ça tournerait pas rond ? Y a ma maman et mon papa qui m’attendent dehors… et ils vont m’ aimer !

_ Bien sûr, bien sûr ! Mais chaque individu est unique et donc complexe… Et puis, il y a les influences, les peurs, les ambitions, les…

_ Oh là ! Oh là, boss ! Le compte à rebours a commencé !

_ C’est le moment des derniers conseils ! S’il te plaît, ne deviens pas un abruti ! Évite les extrêmes ! Elles sont commandées par l’égoïsme ! On distingue deux tribus : les Y a qu’à et les Chez nous !

_ Hi ! Hi ! Qu’est-ce que c’est qu’ ça, boss ? C’est la première fois que vous m’en parlez !

_ Les Y a qu’à disent : « Y a qu’à prendre l’argent des riches pour le donner aux pauvres ! » et les Chez nous disent : « Pas d’étrangers chez nous et tout ira bien ! »

_ Ils n’ont pas l’air très forts, boss !

_ Non, en effet ! Garde la nuance, n’oublie jamais que nous sommes tous pareils ! Respecte les autres, même s’ils sont différents ! N’aboie pas avec les chiens ! Méfie-toi de tes passions !

_ Plus que cinq secondes, boss !

_ Protège-toi du soleil !

_ J’oublie pas ma crème, boss ! Bon sang, j’ai le trac !

_ J’ t’ai même pas parlé du réchauffement…

_ On s’embrasse ?

_ Bien sûr qu’on s’embrasse ! T’es un brave petit ! J’ suis fier de toi !

_ Ça s’ouvre, Boss ! Ça s’ouvre !

_ Vas-y fonce ! Y a pas mieux ! »

 
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