Les enfants Doms (T2, 105-109)

  • Le 18/02/2023
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       "On va reconstituer le Band!"            

                               The blues brothers

                                                                                              105


Une machine à réussir, voilà le monde!

Depuis qu'il n'a plus de profondeur!

Depuis qu'il n'est plus que mercantile!

Bel échec de la raison!

Il faut à tout prix réussir,

Car il n'y a rien!

Pire, le monde est condamné!

Les chiffres le disent!

Voilà la raison vide!

Impuissante!

Il faut à tout prix réussir,

Car qui peut accepter le vide?

Il ne faut rien perdre,

Car qui peut accepter le vide?

Il faut être inquiet,

Car qui a confiance?

Il faut haïr,

Car qui peut être gentil?

Il faut réussir!

Je te ferai parfaite!

J'étirerai ta peau!

Je gonflerai tes lèvres!

Tu seras pareille au babouin!

Je ferai tes seins comme des ballons

Prêts à crever!

Tu domineras le monde!

Tu soumettras le mâle!

Tu auras une taille de guêpe!

Comme étranglée!

Tu ne pourras pas te déplacer sans tout faire craquer!

Tu n'auras plus la légèreté de l'enfant!

Son rayonnement!

Sa malice!

Tu seras une poupée,

Une poupée défigurée!

Tu auras figé ton âme!

Que dira ton Narcisse?

Que tu es la plus belle,

La perfection?

Tu as voulu réussir!

Ne pas être rejetée!

Tu es devenue numérique!

Un phantasme de jeu vidéo!

Où est la petite fille fragile,

Peureuse ou timide,

Salie par le chocolat?

Que regardes-tu,

Sinon une créature?

Ce n'est plus toi!

Mais il faut réussir,

Ne pas être rejetée

Et donc tu n'es plus toi!

Tu as résolu le problème!

Tu as inventé un code!

Une élite, un canon!

Quelque chose qui n'existait pas!

Et l'enfant s'est perdu!

Il crie de toutes ses forces dans l'espace!

Il crie sa souffrance et comment tu le maltraites!

Il pleure car il est la clé de ton bonheur!

Vois comme il danse dans son innocence!

Bel échec de la raison!

Qui a voulu sa liberté

Et qui s'est enchaînée à son angoisse!

Bel échec du monde vide!

Du monde mercantile!

Où l'on ne peut perdre!

Où l'on ne peut donner!

Où l'on ne peut être heureux!

Je t'apprendrai la confiance et l'espoir!

Je t'apprendrai la patience, la douceur!

L'attente interminable et si brève!

Je te donnerai la joie de l'oiseau!

Je te remplirai et tu déborderas!

Tu seras mon ange infini!

Jamais tu connaîtras l'ennui!

Je te ferai amoureux!

Tu auras l'énergie de l'amour!

Bel échec de la raison

Et du monde vide!

Du monde sinistre!

Où l'on ne doit rien perdre!

Où on est pauvre,

Sans courage!

Où l'on est aveugle, sans lumière!

Où l'on craint tout le temps!

Où est l'enfant?

Il est déjà adulte

Ou à moitié fou!

C'est l'enfant Dom!

Qui doit dominer!

Car il faut réussir!

C'est la raison vide,

Sans amour!

Tu comprends?

Je t'apprendrai à lâcher l'os!

L'os du pouvoir!

C'est lui qui t'enchaînes!

C'est lui qui perd l'enfant!

Mais il faut réussir!

C'est la raison seule!

Grogne près de ton os!

Montre les dents!

Je t'apprendrai à lâcher l'os!

Je t'apprendrai à grandir dans la lumière!

A danser en elle!
 

                                                                                                 106

 

Piccolo est toujours dans le centre de rééducation matérialiste et ce matin un petit homme dégarni, nommé Martinez, s'adresse aux détenus! "Je vais vous apprendre ce qu'est le travail, dit-il, car visiblement vous ne savez pas ce que c'est! Il faut bien comprendre une chose: un travail, un salaire, de quoi manger et une retraite! Si on ne travaille pas, on ne mange pas!"

On racontait de drôles de choses sur ce Martinez! Il avait été shérif à l'ouest du Pecos et c'est lui qui avait arrêté le bandit Société! Celui-ci maltraitait tout le monde: il volait des retraites, imposait des taxes et bref, il faisait partie de la célèbre bande des Exploiteurs! Avec l'aide de ses adjoints, Martinez avait déclaré la guerre au bandit et les échauffourées n'avaient pas manqué!

Pourtant, le shérif était seul quand il marcha vers le saloon, où s'était réfugié Société! "Tu vas sortir sans armes! avait crié martinez. Sinon je viendrai te tuer!", et Société, peut-être las de la chasse dont il était le gibier, avait fait son apparition et avait effectivement jeté son arme, aux pieds de Martinez, avant d'être conduit en prison! Ce soir-là, toute la ville avait fait la fête et depuis, Martinez était d'une autorité incontestée!

"Toi, l'intello! cria-t-il à Piccolo. Suis-moi, je vais te présenter à ton équipe de travail!" Piccolo prit le pas de Martinez, en se demandant comment on l'avait percé à jour, car effectivement depuis tout petit il réfléchissait! Mais enfin on passa un hangar et on s'arrêta devant un autre, ouvert et devant lequel deux hommes discutaient avec vivacité! L'un disait: "Y avait pas péno! Où l'arbitre a vu péno?" et l'autre répondait: "Et le coup-franc sur Maldy? Y a pas faute! Où elle est la faute?"

"Eh! les gars! fait Martinez. je vous amène un intello, pour que vous lui appreniez ce qu'est le travail!

_ Eh! Martinez! répond l'un. Ils m'ont mis en vacances le quinze et j'avais demandé le onze!

_ T'as demandé au gars du calendrier?

_ Ouais, y m'a dit que c'était comme ça!

_ Bon, viens avec moi!"

Les deux hommes partirent et Piccolo resta avec celui qui pensait qu'il n'y avait pas coup-franc et qui finalement dit: "De toute façon faut qu'on attende: les bâches sont pas là!" Piccolo acquiesce, n'a pas la force de demander ce qu'est cette histoire de bâches et il se contente de regarder les hirondelles jouer dans les arbalétriers du hangar!

Le temps passe et un camionciel vient s'arrêter devant l'entrée... Un gars lourd en descend et à l'abri de son camion, il propose un gorgeon au collègue anti-coup-franc. Les deux individus sifflent leur verre, discutent de la dureté des conditions de vie, de l'injustice dont ils sont les victimes, puis le camionciel s'en va! "Eh! fait le travailleur à Piccolo, qui s'approche. Il est bientôt midi! Tu peux t'en aller! Tu vas doucement vers le vestiaire (tout le monde est en bleu!) et tu sors à midi pile! Tu vas manger et tu reviens à 13h30! Fais pas le con, tu dois être de retour à l'heure! C'est le plus important!"

Piccolo est heureux, car il va manger et il a faim, et il peut s'échapper du camp pour cela! Mais aussi sa joie est renforcée par le sentiment que enfin il travaille, qu'il est en règle et ça c'est ineffable! On ne peut plus rien lui reprocher! Il gagne sa vie et sa retraite! Il chante sous le soleil!

 

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Piccolo rêve dans le dortoir du camp matérialiste… C’est la nuit et tout le monde dort à côté! Piccolo se voit à une terrasse, entouré de deux collègues, et il est parfaitement bien! En effet, si on lui demande ce qu’il fait dans la vie, il répond du tac au tac qu’il est chez «Machin», dont l’entreprise est bien connue! On sait donc immédiatement quel est son métier et il n’a plus à éluder la question!

Auparavant, il était bien embêté, car il ne répondait pas franchement! Il ne disait pas: «Voilà, je recherche un sens à la vie! Je me demande d’où vient le mal! J’essaie de comprendre!», sinon on lui répliquait immédiatement: «Et ça gagne beaucoup?» ou «Et vous en vivez?» Il était soudain perdu, suspect, nullement crédible et il devait se taire légèrement honteux!

A présent, il est détendu, en règle! Il est intégré et fait partie du sérail, de la famille! Il jongle comme les autres avec le salaire net ou brut! Les cotisations n’ont plus de secrets pour lui et il emploie le mot Ursaff avec délectation! Bien sûr, il en vient avec ses collègues à critiquer le système! Lui aussi est outré de ce qu’on lui prend! Sûr, il y en a qui s’en mettent plein les poches, les profiteurs, et Piccolo semble même plus indigné que les autres! C’est parce qu’il se sent en vacances! Pour la première fois peut-être, depuis le début de sa vie, il laisse de côté ses inquiétudes existentielles, il ne contemple plus l’abîme, il n’a plus le vertige, il n’a plus l’impression de creuser dans la pierre et il fustige le patronat, comme s’il chantait!

Mais d’un coup Piccolo sent une main sur sa bouche et il ouvre les yeux paniqué! Il voit un visage noirâtre, qui lui dit: «Chut, Piccolo! C’est Ratamor!

_ Rata… mor?

_ Oui, je fais partie du commando Science et je viens vous chercher!

_Me chercher? Mais pourquoi faire?

_ La planète brûle, Piccolo! Vous vous souvenez de ce que vous m’avez si bien parlé de la beauté? Eh bien, on a besoin de vous, Piccolo, de votre pensée, de votre discours, car nos chiffres, notre logique, à nous les scientifiques, s’avèrent impuissants à changer les comportements! Donc, en route, mon ami, il y a urgence!

_ Mais je suis bien ici, Ratamor! C’est comme si j’avais trouvé une seconde famille! Je travaille, Ratamor, et vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureux! Je fais mes huit heures dans la journée, comme tous mes camarades, et après je vais boire un verre, ou je regarde la télé! Je n’ai plus de soucis, Ratamor! Ma conscience est en paix, car je cotise, et cerise sur le gâteau, j’engrange des points de retraite!

_ Mais bon sang, vous êtes devenu une larve ou quoi? Vous allez voir votre retraite, quand il faudra trouver de l’eau! Vous allez cesser ces enfantillages… et me suivre! Nous sommes en train de cuire, j’ vous dis!

_ Je vous prierai d’abord de parler moins fort! En tant que travailleurs, nous avons droit à un juste repos! Ensuite, qu’est-ce que la beauté pour la science? Une production névrotique, n’est-ce pas ce qu’ont affirmé vos maîtres à penser! Laissez donc maintenant les fous agir leur guise! Ne venez pas encore en plus les tourmenter!

_ Vous m’énervez, Piccolo! On a besoin de vous et vous faites votre coquette! Voilà la vérité!

_ Ah bon? Je ne suis plus névrosé quand ça vous arrange! Quel manque de rigueur scientifique! Au reste, la gravité, le salut du monde ou le pourquoi du comment ne me concernent plus! Je n’ai jamais goûté un tel confort, Ratamor! un confort moral, bien entendu! Que peut-on me reprocher, si je pointe à l’heure? Hi! Hi! La douceur de mes draps me chatouille!

_ Et la mort, Piccolo, elle viendra tôt ou tard!

_ Bien sûr, mais c’est loin tout ça! Le problème, Ratamor, c’est les profiteurs, les gros pollueurs! Je vous assure qu’on lutte contre eux, car déjà ils nous exploitent! Ah! Il ne sera pas dit qu’on les a laissés tranquilles!

_ Je croyais que vous étiez heureux!

_ C’est vrai, mais il est bon d’avoir des ennemis! Sinon de quoi on parlerait?

_ Vous ne me laissez pas le choix, Piccolo!

_ Non, marchez sur la pointe des pieds en sortant!»

Pan! Ratamor assomme Piccolo, comme on le lui a appris, et il le charge sur son dos! Dehors, les autres du commando, qui faisaient le guet, sont surpris de voir qu’on enlève carrément quelqu’un, alors qu’on devait le libérer et qu’il allait suivre avec enthousiasme!

«Je vous expliquerai!» dit Ratamor et tous disparurent dans la nuit !

 

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Piccolo se réveille dans un lit qu’il ne connaît pas! Soudain, une femme blonde et magnifique entre dans la pièce en souriant! Piccolo ne peut que lui rendre son sourire, car elle est comme un soleil, avec deux yeux bleus! Elle dit: «Le général veut vous voir… Je vous ai mis un uniforme sur la chaise… et au-dessus du lavabo, vous trouverez de quoi vous débarbouiller!» La femme sourit toujours et Piccolo aussi! Elle aurait dit, une laisse à la main: «C’est l’heure de la promenade!» et Piccolo aurait fait: «Ouah! Ouah!» Mais cette femme était bonne, Piccolo en était persuadé! Elle était incapable de crasses et elle sortit, laissant derrière elle une fraîcheur d’une suavité merveilleuse!

Vite, Piccolo s’habille pour revoir le soleil aux yeux bleus et il s’impatiente vu que son pantalon refuse de se laisser enfiler! Pour la toilette, une giclée d’eau sur le visage, car le soleil n’attend pas! Puis, Piccolo fonce dans les couloirs, comme s’il connaissait les lieux! Le soleil est passé par là, il le sent! Il débouche dans une salle de réunion, malheureusement enfumé par un gros cigare, qu’un grand type sec fait rougeoyer dans sa bouche! Ratamor est également présent, mais ô merveille, le soleil est là et Piccolo s’assoit docilement, comme pour montrer combien il est à ses ordres!

Le soleil ne se méprend pas sur une telle bonne volonté et aimablement, il apporte un café à Piccolo! Celui-ci est touché par la grâce et il ne remercie même pas: l’admiration le rendant muet! Le soleil, toujours souriant, reprend sa place et rien d’autre n’existe pour Piccolo, ni le général, ni Ratamor, ni les quelques autres qui ont l’air de cumulus lointains dans l’azur! Le général, agacé par ce manège, lance: «Mais seriez-vous ici, pour faire le joli cœur, monsieur, monsieur Pi…?

_ Piccolo! Je m’appelle Piccolo (il a toujours les yeux sur le soleil, qui continue de sourire et n’est-ce pas le fruit de l’évidence?) Je tiens, mon général, (enfin il regarde le grand type sec), à porter plainte, car on m’a proprement arraché, enlevé à mon… bonheur! Je ne dirai pas paradis, puisque je viens de le découvrir! (Il se soumet de nouveau au soleil, qui rayonne à plein!)

_ Hein? Mais qu’est-ce que c’est cette histoire d’enlèvement?

_ Hum! fait Ratamor. Je crains que notre ami Piccolo ne fasse une sorte de crise! Il dit que, depuis qu’il est salarié, il vit dans une totale sécurité et qu’il ne veut même plus des ses anciennes idées, celles-là même qui pourraient nous aider!

_ Voyez-vous ça! enchaîne le général. Et a-t-on rappelé à Moossieur Piccolo que l’heure est grave et que nous sommes en train de cuire et donc avides de toutes les bonnes volontés!

_ Certes, je l’ai replacé devant…

_ Général, intervient Piccolo, vous n’êtes pas prêt à m’écouter! Vous êtes énervé et vous avez de ce fait les oreilles sales!

_ Co… Comment? Mais… Mais, si je suis énervé, c’est parce qu’il y a urgence! Il ne s’agit pas de se consacrer, comme vous, au badinage!

_ Et ne pensez-vous pas que c’est justement parce que nous sommes incapables de paix, que nous brûlons la planète! C’est bien notre impatience, notre fuite devant l’angoisse qui nous conduit à tout détruire, afin de nous sentir les maîtres! Avec le grade de général et en commandant les autres, on échappe au vide, que semble nous imposer la nature!»

Le soleil a un petit rire… «Mais… mais c’est que vous me donnez des leçons, ma parole! s’écrie le général. A moi de vous suggérer quelque chose… Concluez donc avec mon assistante et on pourra alors parler entre adultes! Pour l’instant, vous êtes trop excité!»

Le soleil se déplace d’un pas ferme et souple, se plante devant le général et le gifle violemment! Puis, il s’en va impérial, au grand dam de Piccolo, qui a subitement froid! Quant au général, il en est tombé sur sa chaise, le visage rouge et reste hébété! Ratamor est au désespoir, mais Piccolo lui lance: «Vous avez vu, ça revient! Je retrouve quelques trucs! Ceci étant, je regrette encore le camp maté…»

Piccolo, à ces mots se fige: que va-t-on penser de lui là-bas? Il est huit heures et il ne va pas pouvoir pointer! Que va faire Martinez? charger son arme? se mettre sur la piste de l’outlaw? Mais c’est ici qu’habite le soleil et Piccolo bâille, en s’étirant! La joie de vivre, quoi!

 

                                                                                                          109

 

Piccolo alla parler au soleil et il se rendit bientôt compte que celui-ci était une femme comme les autres, mais comment aurait-il pu en être autrement ? Ce n’était pas une déception pour Piccolo, mais un retour sur Terre, qui n’était même pas douloureux, car Piccolo n’avait jamais vraiment imaginé que l’assistante du général ou une autre personne pussent jouer pour lui le rôle de soleil ! En effet, il avait ouvert les yeux sur une réalité qui échappait au plus grand nombre, ce qui faisait qu’il n’était même pas intégré dans la société !

Or, l’assistante du général exprimait naturellement ses rêves, ses ambitions, ses espoirs et on voyait combien elle ne remettait aucunement en cause le fonctionnement de ce qui l’entourait ; autrement dit elle était toujours elle-même sous l’emprise de sa domination ! La vision de Piccolo était due à un long cheminement intérieur et même à une sorte de grâce, car bien des choses demeuraient inexpliquées, comme le génie, que la science par impuissance associait à la maladie ! Toujours est-il que Piccolo ne pouvait plus considérer le monde comme l’assistante du général et réveillé quant à son don, à son message pouvait-il dire encore, il s’en alla auprès du général, pour expliquer pourquoi Ratamor avait jugé bon de l’enlever du camp de redressement matérialiste !

Piccolo trouva le général, qui était un physicien d’origine, encore un peu remué, en compagnie de Ratamor et de quelques autres… « Général, dit Piccolo, je me suis décidé à vous raconter ce que je sais..., même si je ne me fais guère d’illusions sur l’accueil que vous ferez à mes propos ! Mais vous êtes dans une impasse, ou plus exactement nous sommes dans une impasse, car nous détruisons notre planète et vous avez beau tirer la sonnette d’alarme, chiffres à l’appui, et personne ne bouge ! C’est bien ça ?

_ Oui, à peu près…

_ Bien, mais d’abord il faut comprendre comment nous fonctionnons…

_ Mais…

_ Ne m’interrompez pas à tout bout de champ, car vous avez beaucoup à apprendre tout scientifique que vous êtes ! Ouvrez plutôt vos pavillons !

_ Hein ?

_ Imaginons une famille modeste qui arrive au bord de la mer… Que fait-elle ? Elle va jusqu’à la pointe rocheuse, où les plus jeunes se hasardent au plus près de l’eau ! Puis, la famille revient en poussant des Ouh ! des Ah !, sous l’effet de l’excitation !

_ Mais je ne vois pas du tout où…

_ Général, cette famille imite exactement les animaux ! Elle explore son territoire, n’accepte pas d’être arrêtée, sauf par des éléments indépassables et elle a finalement besoin de crier, comme l’oiseau qui affirme sa suprématie ! En fait, le sentiment du moi s’est regonflé de la grandeur de la nature !

_ Euh…

_ Général, cet exemple nous montre deux choses… La première, c’est que la beauté n’est pas une invention culturelle, mais au contraire elle plonge ses racines dans le plus profond du vivant ! La seconde, c’est que la domination animale nous anime d’abord fondamentalement ! Nous voulons triompher des autres et c’est même cela qui nous évite le vertige de notre situation et nous fait trouver notre quotidien normal !

_ Je ne vois pas bien…

_ Pour résumer, nous avons deux partis dans RAM, la droite et la gauche… La gauche est formée par le peuple, héritier des Sans-culottes et de la Commune ! Pour parler encore plus succinctement, ce sont les pauvres qui ont remplacé Dieu par la lutte des classes ! C’est leur domination animale qui les tient et voilà pourquoi ils sont essentiellement hostiles à la réforme des retraites ! Pas question pour eux d’être d’accord avec le gouvernement, car leur vie n’aurait plus aucun sens ! Ils faut qu’ils se battent contre le pouvoir, d’autant qu’ils sont inquiets ! »

Le général renifla, mais Piccolo poursuivit : « Inutile de vous dire que le véritable travail est au contraire de renoncer à sa domination animale, car autrement à quoi bon la conscience ? Mais de l’autre côté, à droite, on n’est pas plus évolué ! On continue là encore la domination, l’égoïsme ! On assure sa supériorité par le profit ! On en veut toujours plus pour écraser le pauvre et parader ! On est toujours dans une impasse, car c’est s’enrichir ou angoisser ! Et vous, vous venez avec vos chiffres, votre raison, votre logique, en disant : « Il faut changer ! Il y a péril en la demeure ! » Mais, pour qu’on abandonne la domination, qui est instinctive, viscérale, il faudrait d’abord bien entendu rassurer ! montrer soi-même qu’il est possible d’être libéré, heureux sans dominer ! Vos chiffres et toute votre raison ne font qu’alourdir chacun d’entre nous, ce qui a pour effet au final de nous inquiéter davantage, de nous crisper encore plus dans notre égoïsme !

_ Mais les chiffres sont la réalité !

_ Et vous êtes face à un mur ! Vous essayez timidement d’attirer l’attention sur la beauté, afin qu’on respecte plus la nature, mais il s’agit d’en révéler le mystère, la source d’émerveillement ! Pour être rassuré, l’homme doit retrouver la confiance de l’enfant, qui sait que ses parents s’occupent de lui ! Et c’est ce que révèle la nature, à condition de savoir la regarder ! Vous vous rappelez la phrase :  « Vous voyez ce lys ? Et moi, je vous dis que jamais Salomon dans toute sa gloire n’a eu un tel éclat ! » Une fleur, qui pousse au gré du vent, comme il y en a des milliers d’autres, et qui a plus d’éclat que toutes les pompes imaginables ! Dans ce cas, comment l’homme pourrait-il être seul dans l’Univers et abandonné ? C’est cela le secret de la beauté de la nature ! Elle nous dit que nous pouvons avoir la foi et donc la légèreté de l’enfant ! Elle nous dit que notre domination, notre soif de vaincre peut être inutile ! que nous pouvons nous enchanter du monde sans crainte, ce qui fait que nous arrêterons de le détruire, de le dévorer, qu’on soit riche ou pauvre !

_ La belle affaire ! Restaurer la foi, pour diminuer le C02 !

_ Il ne s’agit pas de revenir à la religion, car elle-même a emprunté la voie de la domination ! Ce qui a été gagné pour la liberté ne sera pas repris ! Mais je suis d’accord avec votre scepticisme, car les hommes en général n’apprennent pas par choix, mais au prix d’une expérience très coûteuse et on ira donc vers bien des catastrophes, avant de changer !

_ Hum…

_ Non, général, ne dites rien, merci ! Il faut d’abord que la science comprenne qu’elle est impuissante toute seule ! que la seule raison échouera toujours auprès des hommes ! C’est l’émerveillement de l’enfant, sa confiance qui est l’avenir ! J’ai d’ailleurs sérieusement besoin de retrouver la nature et sa beauté ! Mesdames, messieurs au plaisir ! Ne vous dérangez pas, je trouverai le chemin ! »

 
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