Les Doms (44-48)

  • Le 18/05/2024
  • 0 commentaire

R38

 

 

 

     "Il y avait un homme dans le noir et qui cherchait la lumière!"

                                      A dark, dark man

 

 

                                       44

Récit du capitaine Azur, qui commandait le convoi 18 : « En traversant les gorges de Maraman, nous avons été surpris par un violent orage ! Il était impossible d’y voir à quelques mètres et nous avons dû nous arrêter ! Quelle ironie ! Nous étions partis, avec trois camions citernes, pour chercher de l’eau, au profit de Domopolis, et voilà que celle-ci, tombant en trombe, nous empêchait soudain d’atteindre le lac de Tanaha ! Cela a duré trois jours ! Nous sommes restés confinés dans nos cabines, nous efforçant de passer le temps ! Certains jouaient aux cartes, réglaient quelques affaires, mais la plupart somnolaient, car il était devenu impossible d’envoyer des messages ! Le bruit de la pluie, sa chute incessante sur les vitres a fini par avoir sur nous un effet hypnotique !

Ce matin, enfin, la pluie a cessé ! Les hommes sourient sous le soleil matinal, mais notre joie est de courte durée, car l’oued a charrié de la boue et nous sommes profondément enlisés ! Nous avons pris nos pelles pour nous dégager, mais nos efforts paraissent minuscules, au regard de la taille des pneus ! Mais le moral resterait bon, s’il ne s’était pas passé une étrange chose ! Des fleurs, comme de gros tournesols, ont poussé subitement tout autour nous ! Et elles ont un je-ne-sais-quoi d’étrange ! Elles ont l’air de nous regarder ! C’est une impression qui ne laisse pas d’être désagréable, même si je l’attribue à la fatigue et que je la cache aux hommes !

Cinquième jour ! J’ai des problèmes avec Brax, mon lieutenant ! Il dit qu’il faut rentrer à Domopolis, par nos propres moyens, car on n’arrivera pas à dégager les camions ! Il n’a pas tout à fait tort… Nos essais n’ont pas donné grand-chose ! La masse des camions semble inébranlable, mais c’est surtout l’esprit de révolte de Brax qui me choque et qui me donne envie de m’opposer à lui ! Qu’est-ce qui lui arrive ? Il a une conduite indigne d’un officier ! En fait, la situation nous porte à tous sur les nerfs, d’autant que les fleurs se sont rapprochées, rendant leur présence encore plus oppressante ! Une chose que j’ai remarquée : elles sont toutes tournées vers nous, alors que normalement elles devraient tendre vers le soleil ! Mais je garde encore le silence là-dessus… Il ne manquerait plus que j’apparaisse nerveux ou fragile, quand il faut donner l’exemple de la rigueur et de la force !

Septième jour : j’ai dû abattre Brax et deux de ses hommes ! Il était devenu fou ! Il voulait retourner à tout prix à Domopolis et il avait entraîné deux soldats dans sa mutinerie ! Ils nous ont menacés avec des armes, mais, comme je m’attendais à un tour de ce genre, j’avais caché la mienne et j’ai fait feu, dès que j’ai senti qu’ils allaient le faire ! Brax était effrayant à voir : son visage était livide, ses lèvres tremblaient ! C’était un autre lui-même et j’ai tiré sur un inconnu ! Nous ne sommes plus que trois et nous avons enterré nos camarades, non loin de là ! Tâche ô combien déprimante ! Cependant, quand nous sommes revenus aux camions, une légère brise s’était levée et les fleurs se balançaient, comme si elles nous disaient oui, nous approuvaient ! Ai-je été le seul le voir, à le comprendre de cette manière ? En tout cas, aucun de nous n’en a parlé et nous avons regagné nos couchettes en silence, le cœur lourd !

Huitième jour : je suis seul ! Les autres visiblement m’ont faussé compagnie ! Ma surprise a été totale et ma colère est complète ! Les salauds ! Ils m’ont abandonné tout simplement ! Comment ont-ils pu me faire ça ? Évidemment, je ne peux plus rester ici ! Il n’y a plus aucun espoir de dégager les camions ! Il faut rentrer à Domopolis ! Je me moque de ce qu’ils diront à mon arrivée, car le retour est risqué ! Ce n’est certes pas une partie plaisir ! 300 kilomètres à pied dans une région hostile ! Seul ! avec les attaques d’un ennemi imprévisible ! Il est impossible de savoir qui va me frapper ! Un végétal, un animal ? Ce monde est devenu fou ! J’ai fait le tour des camions, pour récupérer toute l’eau, toute la nourriture et me fournir en armes ! Puis, j’ai eu une surprise, une mauvaise surprise ! En faisant mes besoins, j’ai découvert mes deux déserteurs ! morts au milieu des fleurs ! Que leur est-il arrivé ? Ils n’ont pas de blessures apparentes ! Je regarde les fleurs… et elles me regardent aussi ! Mon angoisse est telle que je retarde mon départ… J’ai besoin de réfléchir !

Imaginons que mes hommes ont pensé comme moi, que les fleurs avaient quelque chose d’étrange ! Sans m’en informer, ils essaient de tirer ça au clair… et ils vont voir les fleurs ! Ils sont tués ! Ils meurent, mais comment ? Je crois que je suis en train de perdre la tête ! Les camions, comme moi-même, sont recouverts de poussière et j’écris ces lignes au cas où je ne m’en sortirais pas vivant ! Le temps semble arrêté… Il ne reste plus que le silence et je voudrais dormir, oh dormir ! Les fleurs sont de plus en plus près ! Elles montent à l’assaut de ma cabine ! Ah ! Ah ! Je suis pris d’un fou rire ! Des fleurs ! Qu’est-ce qu’il y a de plus fragile ? Je pourrais les briser d’une chiquenaude ! Mais elles sont si nombreuses… et surtout elles me fixent… et j’en éprouve un curieux et désagréable sentiment de culpabilité ! Ne réclament-elles pas justice, pour toutes leurs sœurs que nous avons piétinées, ensevelies sous le béton ? On rirait de moi à Domopolis ! Je vais me lever, franchir les fleurs… et elles vont me tuer comme les autres ! »

                                                                                               45

Monsieur Nuit et le duc de l’Emploi, les deux inséparables, sortent de leur belle voiture : il y a un problème sur un des chantiers et ils sont venus voir ce qui se passe ! Ils sont accueillis par le directeur des travaux, un nommé Funff ! « Alors Funnf, fait monsieur Nuit, qu’est-ce qui va pas ?

_ Suivez-moi, patron, je vais vous montrer ! C’est au niveau des fondations ! »

Le petit groupe se dirige vers le bâtiment et il ne tarde pas à rejoindre le sous-sol par un escalier ! « C’est un de mes gars qui a repéré ceci… et depuis on ne peut que constater l’ampleur des dégâts !  dit Funff, en montrant une énorme faille dans le béton, avec sa lampe.

_ Mazette ! fait monsieur Nuit. Et il y en a d’autres comme ça ?

_ Partout dans le sous-sol ! En fait, on ne peut plus continuer à s’élever, car tout risque de s’écrouler !

_ Mais bon sang, ça vient d’où ? C’est quand même pas dû au béton ?

_ Négatif ! De ce côté-là, on a toujours la même qualité !

_ Il y a eu une secousse sismique ?

_ Non plus ! Mais on a peut-être mal analysé le sol ! Si on descend un peu plus bas, on voit combien c’est humide ! Il est possible qu’on ait construit sur un marécage !

_ Allons donc ! On commence pas avant une étude sérieuse… et quand bien même, on aurait bétonné jusqu’à assurer la fermeté du sol !

_ Mais je ne vous ai pas tout dit… On est allé voir en dessous des fondations, pour essayer de comprendre… et là on a découvert des choses étranges !

_ Des choses étranges ?

_ On a perdu un homme ! Il accompagnait l’un de nos ingénieur, qui lui est remonté en état de choc, en racontant n’importe quoi !

_ Ah bon ? Qu’est-ce qu’il disait ?

_ Il a dit que l’esprit de l’eau avait tué son aide et l’avait torturé lui-même ! que c’était un miracle s’il avait pu en réchapper !

_ L’esprit de l’eau ? Et puis quoi encore ? Faut arrêter la bouteille, les mecs ! Et t’es pas allé vérifier par toi-même ?

_ A ce stade, j’ai préféré vous appeler… J’ai pas envie de perdre quelqu’un d’autre !

_ Bon, ouais… On va y aller… Tu prends deux gars avec toi, des lampes et on règle cette affaire !

_ Entendu ! »

Ils sont cinq en tout à s’enfoncer dans les profondeurs, pour aboutir à une vieille porte ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? demande Nuit. C’est pas la norme ! Tout ici devrait être comblé par le béton !

_ Notre ingénieur est allé un peu plus loin, d’après ce que j’ai pu comprendre…

_ Donc, c’est derrière cette porte que les ennuis commencent ! Allez, on l’ouvre ! »

Il faut s’y mettre à trois, mais enfin un air froid et humide leur signale l’ouverture et c’est un grossier couloir, creusé dans la roche, qui continue ! « Vous entendez ? fait Funff.

_ Quoi ? demande monsieur Nuit.

_ On dirait des plaintes, des gémissements ! Y a quelqu’un qui pleure ! 

_ Sans doute un courant d’air ! réplique Nuit, plus inquiet qu’il en a l’air… Allons ! »

Le petit groupe descend encore, guidé par les lampes, tandis que que les parois deviennent dégoulinantes ! « En tout cas, ici, il y a de l’eau ! dit Funnf. On pourrait peut-être la récupérer !

_ Mais… mais c’est quoi ça ? » s’écrie Nuit.

Le spectacle est déconcertant : on est dans une immense salle, au centre de laquelle on trouve un vieux lavoir, constitué de pierres, et dont l’eau glougloute doucement ! « J’y crois pas ! fait Nuit. Qu’est-ce que ça fout, sous mon bâtiment ? » Les hommes font le tour du lavoir, tout en inspectant les hauteurs de la salle… Ils sont stupéfiés ! « C’est une plaisanterie ! » rajoute Nuit, puis son pied fait tomber un peu de gravier dans l’eau cristalline, qui se trouble ! A cet instant, des cercles de lumière se forment sur la pierre et remontent le long des jambes ! « Mais bon sans ! C’est quoi c’ bordel ? «  entend-on.

_ Attention… Ça a l’air vivant !

_ C’est chaud… C’est bizarre ! Ah ! Ah ! »

Funff et un autre homme sont soulevés du sol par les anneaux de lumière ! « Ah ! Ah ! s’exclament-ils, tandis que leur visage et leur corps s’allongent, se déforment et les voilà transformés en roseaux ! Leur teint devient cireux, mais leurs yeux restent vifs, ainsi qu’ils seraient des papillons posés sur le végétal ! « Ah ! Ah ! continuent-ils, avec un sourire de fou et bien qu’ils aient perdu toute apparence humaine !

_ Mais quel est cette diablerie ? jette Nuit.

_ Foutons le camp ! » lui répond le duc de l’Emploi.

Le troisième homme, quant à lui, se dilue sous forme de mousse ! Il se caresse, trouve cela tout doux, n’en finit plus de respirer l’humus ! « Hi ! Hi ! » fait-il de contentement, tout en disparaissant ! Nuit et le duc de l’Emploi foncent vers le couloir et la porte, qu’ils referment en poussant de toutes leurs forces ! « On oublie tout ça ! dit Nuit. OK ?

_ Ok !

_ On oublie tout ça ! On n’a rien vu ! Et le chantier reste au statu quo ! »

                                                                                               46

Un brouillard épais envahit la ville… On dirait des cheveux blancs qui s’étirent, comme si la sagesse pénétrait dans les rues, d’autant que toute activité s’arrête, car on n’y voit plus à deux mètres ! Les gens sont inquiets, murmurent, attendent, vu qu’un grand silence s’installe ! Le dôme gigantesque de Domopolis paraît enfumé et cela n’est pas normal : l’air intérieur n’est-il pas contrôlé ? Des bébés pleurent, des gens s’amassent, s’interrogent, essaient de se rassurer, puis quelqu’un crie : « Ecoutez ! »

Sur la plus grande place de Domopolis, on tend l’oreille vers le rideau blanc ! Un bruit sourd se fait entendre derrière la nuée, ce qui fait qu’on retient son souffle ! Quelque chose arrive, va sortir du brouillard, mais quoi ? Les yeux tentent de discerner des formes, alors que le bruit se rapproche ! Les cœurs commencent à battre fort, on serre la main de l’enfant, on se blottit contre l’autre, on ne pense plus à ses tracas, à ses querelles, tant un souffle puissant, étrange captive l’attention !

Puis, les voilà, avançant péniblement, quasiment au ras du sol, tentaculaires, repoussantes, tristes aussi, comme blessées, amputées, invalides, progressant maladroitement avec leurs racines telles des mains griffues, ce sont des souches, grises, orangées, mornes, désespérées ! Et un chant s’élève à mesure que ce fantastique défilé s’étire, apparaît au grand jour, sous le regard fasciné de la foule ! « Nous sommes les souches ! entend-on. Les souches abandonnées ! Passant, regarde nos cimetières sous le ciel ! Regarde nos champs de morts ! Vois notre âge ! Cinquante ans ! Cent ans ! Anéantis en cinq minutes, sous la tronçonneuse ! Nous sommes les morts pleurant la sève ! Nous sommes les morts noirâtres, pourris, pleins de champignons ! Où est notre gloire passée ? Où sont nos troncs, ô Doms ? Vois nos cimetières ! Vois nos cœurs ouverts sous le ciel ! Où sont nos troncs ? »

La foule est stupéfiée, hypnotisée, glacée, pendant que les souches agrippent l’asphalte avec leurs racines, pareils à des soldats touchés et qui rampent ! On ne bouge pas devant un tel spectacle, mais un changement s’effectue : des cours d’eau debout remplacent les souches et le chant change, devient plus féminin, plus clair, plus aigu ! Ce sont effectivement des voix de femmes, qui ensorcellent, pénètrent encore plus profondément, caressant la harpe de l’intimité, gonflant l’émotion ! Que disent-elles ? « Nous sommes les ruisseaux ! limpides et chantants ! frais et moussus ! Chez nous habitent la truite, la libellule, le triton, pour ravir l’oiseau ! Nos cheveux d’argent scintillent parmi les pierres ! Mais ce que tu vois, Dom, ce sont nos fantômes ! Nous n’existons plus ! Nous sommes ensevelis sous tes routes, Dom ! sous tes tonnes de gravats ! Car jamais tu n’en as assez, Dom ! Jamais tu n’admires ! Jamais tu ne respectes, ni te t’enchantes ! Tu dévores sans cesse ! Tu as perdu la simplicité de l’enfant ! Tu es perdu et tu cries ! Tu as peur et tu t’obstines ! Nous sommes morts et tu as soif ! Nous sommes la magie et tu es pauvre ! Nous sommes la fantaisie et tu es cruel, borné ! Nous sommes sous les gravats et tu nous cherches ! »

A peine a-t-on vu les ruisseaux que les talus apparaissent ! Le chant redevient plus grave, mais reste tout aussi déchirant ! « Voilà les martyrs, nous sommes les talus ! broyés, détruits, anéantis, saignés, pelés ! Lapinot, où est ta maison, ta cachette ! Fraîcheur, où est ta maison, ta cachette ? Vent, où es ton rempart, ton adversaire ? Arbre, où es ton soutien, ton défenseur ? Herbe folle, fleur où est ta maison, ton château ? Insecte, où est ta fête, ton palais ? Ici ne règne que le désert ! Ici ne règne que le bulldozer ! Vois-tu un talus à perte de vue ? C’est un mirage, un futur mourant ! Quel acharnement ! Quelle guerre contre le talus ! Quelle faim de détruire ! Quelle avidité ! Quelle folie ! Ici ne règne que le désert ! Ici ne règne que le bulldozer ! Fraîcheur, où est ta maison, ta cachette ? Etc. »

Puis viennent des choses plus bigarrées ! Des arbres rabougris, trop élagués, des haies taillées au cordeau, des pelouses carrées, étroites, scrupuleusement tondues, de petites mares toutes sales, des fleurs aux couleurs criardes et de nouveau une voix immense s’élève : « Nous sommes la fausse nature ! celle domestiquée par le Dom ! celle qui fait semblant ! l’esclave, l’artifice, le décor ! celle qui fait croire au citadin qu’il n’est pas qu’entouré de béton ! Regarde-nous le Dom ! Nous sommes pleins de poussière ! Le chien nous pisse dessus ! L’ivrogne aussi ! Vois les déchets qui nous jonchent ! Nous sommes victimes de ta petitesse ! de ta passivité, de ton uniformité ! Tu nous aimes en laisse, sans le grand souffle qui nous traverse ! Voilà l’artifice, ton mensonge, le Dom, ton triste décor ! »

La foule est comme ahurie, car d’où sortent toutes ces étranges créatures ? Comment ont-elles pu entrer sous le dôme ? Est-ce là un cauchemar ? Les peurs reviennent à la surface et avec elles la haine ! Des Doms jettent des pierres, insultent le défilé, prennent à parti un arbuste, un ruisseau… Il y a bientôt des échauffourées entre les Doms eux-mêmes ! Les vieilles querelles se réveillent, entre ceux qui soutiennent le système et les autres ! Puis, lentement, le défilé s’évanouit, ainsi que le brouillard, laissant une ville tendue, sous le choc, en colère !

                                                                                                 47

Paschic et Cool marchent sur le trottoir, quand un homme et une femme descendent du ciel devant eux ! « Monsieur Paschic ? fait la femme. Quelqu’un voudrait vous voir pour une chose importante ! » Paschic et Cool lèvent la tête et découvrent un vaisseau à voile, suspendu au-dessus de leur tête. « Il suffit de vous attacher à ces câbles et on vous hissera sans peine là-haut ! explique l’homme.

_ Eh bien, allons-y ! répond Paschic. Vous n’avez pas envie de commencer la journée, par une surprise, docteur Cool ? »

Le quatuor est soulevé dans les airs et émerge bientôt sur le pont du vaisseau ! « Bienvenue ! fait un personnage en treillis. Mais ne moisissons pas ici, nous finirions par attirer l’attention des forces gouvernementales ! Cap au 230 ! »

L’ordre est répété et le navire s’anime sous ses voiles gonflées ! « Nous allons quitter le dôme et la ville polluante ! reprend le personnage. Nous avons toutes les autorisations nécessaires, pour aller respirer de l’air frais ! Mais je ne me suis pas présenté… je suis le Capitaine et…

_ Et vous êtes le chef des Guerriers verts ! coupe Cool.

_ C’est exact…

_ Les Guerriers verts ? fait Paschic.

_ Tiens, vous ne nous connaissez pas ? C’est pourtant nous qui menons des actions pour défendre la nature, contre le développement démesuré et absurde de Domopolis ! C’est pourquoi j’ai tenu à vous rencontrer, Paschic ! N’est-ce pas vous qui parlez aux arbres ? Vous devez certainement comprendre et apprécier notre cause ?

_ Oui, maintenant, je vois mieux qui vous êtes… Vous menez des contestations très vives, jusqu’à l’affrontement, en faveur de l’environnement ! Vous voulez changer nos pratiques et même notre façon de penser !

_ Certainement, notre modèle n’est plus viable, comme le démontrent le réchauffement ou les attaques de la nature ! Tenez, nous franchissons le dôme et nous allons pouvoir voir la ville à l’œuvre, comment elle continue à dévorer l’espace ! »

Effectivement, en dessous, Domopolis a l’air d’une vache géante et mécanique, qui broute le vert, avant de s’étendre… « Bétonner, il n’y a que ça qu’ils savent faire ! reprend le Capitaine. Si vous pouviez vous joindre à nous, Paschic, notre combat prendrait une force nouvelle ! Nous pourrions utiliser merveilleusement votre image... »

Paschic regarde Cool, qui semble totalement fascinée par le Capitaine et il en éprouve un léger pincement au cœur, mais il la comprend : l’action du Capitaine paraît beaucoup plus claire que la sienne, et même plus virile, plus engagée ! « Je regrette Capitaine, dit Paschic, mais je ne crois pas que l’affrontement, l’opposition radicale soit la la solution la plus efficace !

_ Comment ? Mais, si nous ne faisons rien, nous courons à notre perte ! Il y a urgence !

_ Je défends bien sûr la nature…, mais la haine entraîne la haine ! Plus vous vous montrerez violent et plus vos adversaires le seront aussi ! Le seul moyen de les amener à vous est de leur donner de l’espoir, de montrer que vous-même êtes heureux ! Ainsi, ils voient que votre chemin n’est pas faux, que vos idées ont de la valeur !

_ Mais j’obéis à la nécessité ! Il n’y a pas d’autres choix !

_ Autrefois, j’étais comme vous ! Je voulais détruire tous ceux qui massacraient la nature ! Je rêvais de les pulvériser, alors que je n’étais qu’un adolescent ! Mais, avec le temps, j’ai compris que je devais d’abord faire la paix avec moi-même ! Ce qui me rendait haineux, c’était que je ne m’acceptais pas tel que j’étais ! Hors de moi, me blessant, tourmenté, impuissant, je ne pouvais que me haïr, moi et les autres ! Seule la paix donne la force, qui rend disponible !

_ Mais la plupart sont insensibles à la raison !

_ C’est vrai, mais c’est la peur qui les aveugle ! C’est elle qui les pousse à dominer sans cesse ! Pour les arrêter, il est nécessaire de vaincre sa propre angoisse, sinon on n’est pas crédible !

_ Mais je n’ai pas peur ! De quoi parlez-vous ? »

A cet instant, Paschic crée de la nature et en compagnie de Cool et du Capitaine, il se retrouve sous un feuillage doré par le soleil ! C’est comme un toit fait de cristaux verts et jaunes ! « Bon sang ! s’écrie le Capitaine. Qu’est-ce que c’est que ce tour de passe-passe ?

_ Peu importe ! réplique Paschic. Que vous inspirent ces feuilles ?

_ C’est beau, mais ça ne répond pas à mes questions !

_ Vraiment ? Vous ne voyez pas le message, tellement vous êtes agité ! Il y a un orage dans votre esprit ! Notamment, vous vous demandez si vous en faites assez et même la perspective de ne pas être occupé vous effraie !

_ Parce que, pendant que vous discutez, il y a des arbres qui meurent ! Il faut agir !

_ Apaiser, c’est agir ! Aimer, c’est transformer l’autre ! Mais ce n’est pas possible avec de la haine ! »

                                                                                                48

Paschic et Cool sont de retour dans Domopolis, où survient un très étrange phénomène : soudain il n’y a plus un bruit ! Tous les moteurs, tous les appareils s’arrêtent ! C’est le grand silence et tout le monde se regarde ! Tout le monde est pétrifié ! Que se passe-t-il ? On entend quelques bébés pleurer, car l’inquiétude des adultes se transmet ! Puis, quelqu’un crie : « Regardez ! », en montrant le dôme ! On lève le nez et on est frappé par la stupeur, voire l’horreur ! Des milliers de cages sont suspendues au dôme ! Elles étaient invisibles à cause de l’agitation, mais maintenant nul ne peut les ignorer !

Spectacle saisissant ! incroyable ! douloureux aussi, car dans chaque cage, il y a un jeune, fille ou garçon ! la tête basse, plongé dans ses pensées, sa tristesse ! Certains de ces enfants se lèvent, s’accrochent à leurs barreaux et poussent un cri ! que personne n’entend ! C’est une plainte muette ! D’autres se cognent contre leur cage, jusqu’au sang ! Mais c’est l’abattement qu’on voit le plus ! l’atonie, le désespoir ! Quel mal les ronge ? N’habitent-ils pas Domopolis, l’une des plus riches cités du monde ? Qu’est-ce qui leur manque ?

Quelle est la source de leur angoisse ? Les adultes ne peuvent-ils pas les aider ? N’ont-ils pas de réponses, de remèdes ? Ces jeunes se mutilent ou font des tentatives de suicide, car ils se haïssent à cause de leur impuissance, et en même temps ils détestent ce monde, qu’ils jugent injuste et cruel, dépourvu de sens, d’amour ou de lumière ! Car on leur en demande trop ! Car on est soi-même aveugle ou hypocrite ! Car on ne s’avoue pas ses plaisirs, ni son égoïsme ! parce qu’on est faux !

En douce, on gave son ego et pourtant on dit au jeune : « Ne sois pas égoïste ! Fais ceci, cela ! Travaille ! Ne relâche pas ton effort ! Vois, je me crève à la tâche pour toi ! Le monde est dur ! Et toi, tu voudrais t’amuser ! t’aimer ! être joyeux, alors qu’il y a tant de souffrances ! Etc. ! » Le mensonge nous fait traiter nos enfants en robot, en forçat ! Ils ne peuvent que se sentir faibles, nullement à la hauteur de la tâche ! Ils se trouvent odieux à eux-mêmes et veulent se détruire, sous le joug de l’angoisse, se croyant enfermés, sans avenir ! Irrités et terrifiés, ils désespèrent !

Le remède ? Mais il est simple ! Il suffit de reconnaître ses plaisirs, son égoïsme ! Il suffirait d’avouer qu’on travaille pour satisfaire son ego ! que notre béquille est notre amour-propre ! que le sens que nous donnons à nos vies est le pouvoir, la domination, rien d’autre ! que c’est notre égocentrisme notre ami ! que nos plaisirs sont innombrables, que nous ne cessons jamais de vouloir être le centre d’intérêt ! que les faiblesses, les défauts des enfants sont les nôtres, en bien plus grand !

Ainsi, on les tranquilliserait ! Ils seraient rassurés sur ce qu’ils sont ! Ils s’amuseraient sans honte ! C’est notre hypocrisie qui les tue ! qui les rend esclaves, qui les angoisse ! Comment pourraient-ils être ce dont les adultes sont déjà incapables ? C’est notre mensonge qui les détruit ! Mais nous n’avouerons pas nos plaisirs, notre égoïsme ! notre soif de pouvoir ! Nous refusons tous les miroirs ! Notre orgueil en souffrirait, notre image est sacrée ! Ce qui importe, c’est notre théâtre ! Nous voulons la puissance et la gloire, sans le dire ! Nous préférons de loin nous accuser les uns les autres de nos défauts ! C’est tellement plus simple ! Et nous créons le peuple des enfants perdus !

Il est là au-dessus de nos têtes, muet, angoissé, désirant la mort ! Il est invisible tellement nous nous agitons, nous faisons du bruit, pour échapper à nos peurs et nous livrer au mensonge ! Quel adulte ne prend pas de plaisir ? Nous sommes des menteurs et des assassins ! Nous sommes le mur, contre lequel s’épuise l’entant !

Le remède est en nous ! Nous pouvons êtes la source rafraîchissante, apaisante ! Il suffit de se reconnaître tel qu’on est ! d’avouer ses propres peurs… et ses joies ! Nous donnons à l’enfant un fardeau qu’il ne peut pas porter ! Regardons-nous en face ! Ayons ce courage ! Dur travail, mais c’est le seul qui compte ! Arrêtons de nous mentir sur nos haines, nos ambitions, notre égoïsme ! Aidons le peuple des enfants perdus ! Il meurt terrifié !

C’est si simple au bout du compte ! Il faut avouer son ignorance, descendre de son piédestal ! Il y a là nulle philosophie compliquée ! nulle géostratégie ! nul traité d’économie, ni fautes politiques ! Ouvrons la porte de la vérité aux enfants ! Libérons-les ! Rendons leur le soleil ! Notre égoïsme nous tue et les tue ! Ils sont plus importants que notre gloire ! Arrêtons de mentir, pour les aimer !

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire