La Révolte... (28-32)

  • Le 19/07/2025

R91

 

 

                  "Bloooondin!"

                  Le Bon, la brute et le truand

 

 

                                  28

     On continue dans le cube et on voit arriver, dans une zone d’ombre, deux Doms qui ont l’air de souffrir beaucoup ! Vient d’abord une femme, qui tire avec effort un gros sac ! Derrière un jeune garçon en fait autant, avec un deuxième sac et c’est sans doute le fils de la Dom !

« Ah ! C’est pas facile ! fait celle-ci à la troupe. C’est que j’ suis plus toute jeune ! Vous vous demandez peut-être ce que je traîne comme ça, hein ?

_ Euh… répond Paschic.

_ Eh bien, je vais vous le dire, puisque vous me le demandez aussi gentiment ! Tout ça là, les deux sacs, ce sont mes courses !

_ Ah !

_ Oui… et lui, c’est mon fils qui m’aide, moi, sa pauvre mère ! Maintenant, vous vous dites peut-être pourquoi tant d’ courses ? Eh bien, je vais vous répondre, puisque vous me le demandez si gentiment ! C’est que j’ai peur ! Eh oui, la compagnie, j’ai toujours peur d’oublier quelque chose ! Hi ! Hi ! C’est bête, hein ?

_ Oui ! jette Côlon, qui reçoit le coude de Propre dans les côtes !

_ De sorte que vous prenez tout ce que vous pouvez ! fait Marié conciliant.

_ C’est cela ! C’est cela ! Imaginez que j’arrive à la maison… et que je m’aperçoive que j’ai oublié le sel, ou le café ! L’angoisse ! La terrible angoisse ! Mais, oh ! Eh ! Fils ! Les saucisses, elles sont bien là au moins ?

_ Euh…

_ Stop ! Stop ! On déballe tout ! »

La mère et le fils étalent sur le sol leurs courses et se mettent à les fouiller, à la recherche des saucisses ! La mère est de plus en plus fébrile : « C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! J’ai oublié les saucisses ! gémit-elle.

_ J’ les ai, man ! crie soudain le fils. J’ les ai !

_ Ouf ! Brave petit ! Bon, va falloir remballer tout ça ! »

Propre veut aider, mais la Dom intervient : « Tu touches à mes courses, t’es morte ! » Propre ne se le fait pas dire deux fois et recule ! La Dom et le fils sont de nouveau en sueur ! « Dites-donc, y en a des emballages plastiques dans vos courses ! jette Côlon. Pas bon pour la planète, ça !

_ Ah ! Je vois ! réponds la Dom. On vient me faire la leçon, alors que je peine et que je ne suis qu’une pauvre femme !

_ Une pauvre femme, qui peut se payer une petite fortune de courses ! réplique Côlon. Mon Dieu, combien ça peut coûter tout ça ?

_ Mais je n’ai de comptes à rendre à personne ! Je fais ce que je veux de mon argent ! Quant à la planète, après moi le déluge ! Viens, mon fils, ne restons pas avec ces gens-là ! Ils sont haineux et sales ! » 

La troupe regarde s’éloigner la paire, qui courbe le dos, esclave de sa peur ! « Bon, ben, on va pas rester là ! » lâche Marié et la troupe repart de son côté ! Elle ne va pas très loin, car elle est abordée par un personnage souriant, bien en chair, bien habillé ! « Savez-vous, dit-il, que le trafic ferroviaire de la région a augmenté de 60 %, grâce à nos soins ?

_ Non, je l’ignorais…, répond Marié, qui tente de passer outre.

_ Et on peut noter la création de 50 nouvelles crèches ! continue le personnage, qui toujours affable se met devant Marié. Évidemment, c’est un effort de notre budget…

_ Évidemment… fait Marié, qui maintenant essaie d’esquiver par le côté.

_ L’activité portuaire n’est pas en reste, puisqu’elle aussi a augmenté de 30 %!

_ Je croyais que c’était 20 %!

_ Vous plaisantez évidemment ! Dix mille logements ont été trouvés et assainis ! Finies les passoires thermiques !

_ Je préfère la nature... coupe Côlon.

_ Mais nous avons encore un vaste programme de reforestation, nommé Arbo ! 150 hectares ont déjà été replantés… et on en prévoit 250 pour l’année prochaine !

_ Excusez-moi, monsieur, intervient Mécano, mais à vous entendre, je suis pris d’une fatigue subite, d’une sorte de désespoir et je ne sais même pas pourquoi !

_ Besoin de vacances ? Je vais vous donner un conseil : profitez à 100 % de nos infrastructures ! de notre eau saine, régulièrement contrôlée par l’Imfra ! Tous nos professionnels du tourisme sont à votre disposition ! Partout, nous avons veillé à ce que nos agences reçoivent le label du Sourire ! Ce sont encore plus de 150 bénévoles qui forment la chaîne d’accueil ! On ne peut pas être déçu !

_ Si ! Moi, je suis déçu ! dit Paschic. Je voudrais de l’espoir et de la vérité ! A vrai dire, je crève de soif !

_ Vous ne réussirez pas à m’ébranler ! Car vous êtes là sur mon terrain de prédilection : la culture ! Cela fait des années que je clame à chaque conseil : « La culture est vivante, aidons-la ! » et c’est ce que nous avons fait ! Vingt troupes de théâtre bénéficient de nos subventions...

_ C’est vrai ? fait Propre, soudain intéressée.

_ Bien sûr ! Que serait la région sans la culture ? Nous soutenons chaque festival ! Nous aussi, nous pensons que la liberté est dans la création, que le débat est nécessaire à la démocratie ! Dès le début de l’été, la saison est lancée ! On peut passer d’un spectacle à un autre sans temps mort ! C’est une explosion d’art ! Là encore, la région s’est montrée à la hauteur des enjeux !

_ Je voudrais dormir, dit Paschic, me reposer !

_ Un stage de yoga ? d’aromathérapie, avec une réduction pour les vélos ? Un pass été pour personne à handicap ? Une consultation psy remboursée ? Il va falloir attendre la rentrée pour ça ! Mais, après avoir fait le plein d’énergie sur la côte, ou en visitant les nombreux musées de la Route verte, nous serons prêts quand nos enfants retrouveront le chemin de l’école !

_ La troupe, moi, j’avance ! annonce Paschic.

_ Vous n’avez rien sur la mort ? demande Marié. Non, parce que vous me la rendez sympathique !

_ Ah ! Ah ! Vous plaisantez encore !

_ Mais pourquoi vous nous racontez tout ça ? interroge Côlon.

_ Mais parce que je vous dois des comptes ! Vous m’avez élu… et il est normal que vous sachiez quel travail j’accomplis ! Pas seul évidemment ! Y a toute une équipe derrière moi !

_ Sûr ! fait Mécano. Y a sûrement beaucoup de monde ! Grosse machine ! Beaucoup d’argent !

_ Mais on ne se développe pas sans investissements ! Le cube avance, le cube fonctionne !

_ Le cube avance, le cube fonctionne ! répète Mécano.

_ Le cube avance, le cube fonctionne ! » dit maintenant toute la troupe, qui s’éloigne, laissant l’élu se demander à qui il a eu affaire !

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     « Je n’arrive pas à comprendre ce monde ! fait Mécano. Depuis que nous sommes dans le cube…

_ Alors les lopettes, on s’ balade ! crie quelqu’un, à bord d’un des cubes roulants.

_ Oui, c’est plein de haine ! approuve Côlon, qui regarde s’éloigner le cube roulant.

_ Eh ! Mais c’est Santé là-bas ! » lâche Propre.

La troupe se fige et observe dans la direction indiquée par Propre. « C’est bien Santé, effectivement ! » fait Marié. Santé est devant une boulangerie, tout en blanc et il discute apparemment avec un collègue ! « Eh ! Santé ! » appelle Propre, suivie par toute la troupe, mais Santé ne semble pas heureux de les voir…

_ Eh bien, Santé, comment tu vas ? continue Propre. On était inquiet pour toi !

_ Ça va, ça va ! répond Santé, avec un ton embarrassé.

_ Qu’est-ce qu’on est content de te voir, vieux ! enchaîne Marié. Mais qu’est-ce tu fais ? Tu bosses ici ?

_ Oui, oui, je bosse ici…

_ Dans cette boulangerie minable ? demande Côlon. Le pain n’y est même pas bon !

_ Et puis, cette odeur écœurante, pouah ! renchérit Propre.

_ Cette odeur… écœurante, comme tu dis, moi, je l’aime bien ! répond Santé, maintenant hors de lui-même.

_ Qu’est-ce qui t’arrive, Santé ? Tu vas pas bien ? »

Toute la troupe est stupéfaite par l’accueil que lui fait Santé, par sa froideur ! « Pardon Santé, dit Mécano, on voulait pas te blesser ! Mais tu ne veux pas revenir avec nous ? On cherche toujours à quitter le cube !

_ Non, je veux rester ici !

_ C’est pas vrai ! jette Côlon.

_ Vous ne comprenez pas, hein ? fait méprisant Santé. Ici, je suis en sécurité ! En sécurité, vous entendez ?

_ T’étais pas bien avec nous ? demande Propre.

_ Oui et non ! J’avais toujours peur du lendemain ! Et puis, changer le monde, le porter chaque jour sur ses épaules, se mettre les gens à dos, ça va un moment ! Ici, on me demande juste de faire mon travail et je le fais ! J’ai des collègues, on discute, je suis apprécié...

_ Mais nous aussi on t’aime !

_ Vous êtes des perturbateurs, vous inquiétez ! Il faut que je vous dise : j’ai commencé à cotiser… J’ai pleuré en voyant mon premier bulletin de paye ! Je suis rentré dans le rang et j’en suis fier ! Me voilà enfin utile ! Cette odeur, mais je l’aime, je l’adore, je la sniffe ! Elle est pour moi comme un miel de sécurité ! Je ne la quitterai plus !

_ Allons, Santé, tu n’es pas sérieux ! coupe Côlon, qui veut prendre par le bras son ami.

_ Lâche-moi, ou j’appelle la police et mes collègues ! Lâche-moi ! 

_ Laissez-le, ils lui ont fait peur ! explique Paschic. Vous ne le voyez pas ! Il a perdu son amour et sa foi ! Il ne veut plus penser ! »

La troupe s’écarte lentement de Santé, qui reste menaçant et qu’elle ne reconnaît plus ! C’est l’incompréhension totale et des questions apparaissent : « Comment peut-on changer à ce point et est-ce que chacun peut être brisé de cette manière ? »

Mais la troupe n’a pas le temps de trop cogiter : elle est prise dans un mouvement de foule ! Les Doms convergent en un large flux, vers des immeubles ! Ce sont des tours avec plein de petites fenêtres ! Les Doms y sont progressivement répartis et devant la troupe, il y en a un très agité, qui s’essuie le front de son mouchoir !

On arrive devant les responsables qui attribuent chaque immeuble et le Dom anxieux demande : « Je ne peux pas entrer dans celui-là ?

_ Quel nom ? fait le responsable.

_ Dupuis…, avec un s !

_ Dupuis, Dupuis, avec un s, continue le responsable, en consultant une liste. Non, vous c’est le bâtiment 95 B, alors qu’ici on est au 92 F !

_ Mais… mais il est où le 95 B ?

_ De l’autre côté de la rue !

_ Vous êtes sûr que je ne peux pas entrer dans celui-ci ? L’autre me paraît loin !

_ Non, faut d’ l’ordre, sinon on ne s’y retrouve pas !

_ Bien sûr ! Mais ni vu, ni connu, j’entre dans celui-ci et…

_ Ne m’obligez pas à appeler la Sécurité…

_ De l’autre côté de la rue ? demande encore le Dom. Il faut que je traverse la rue, alors ?

_ C’est ça !

_ C’est ce que je ne peux pas beaucoup m’éloigner des murs ! C’est médical !

_ Quelqu’un peut vous accompagner, si vous voulez…

_ Je veux bien…, car tant que je suis de ce côté, je vois bien comment longer les murs…, mais après ?

_ Suivant ! crie le responsable.

_ Ben nous, on n’est pas là pour ça ! dit Marié.

_ Ah oui ? Vous voulez pas de logement ?

_ Pas ici, en tout cas !

_ Pourquoi pas ici ? Ça vous plaît pas ? C’est moi, l’architecte !

_ Bravo, bravo ! Mais on a été pris dans la foule… et on va continuer not’ chemin !

_ C’est comment vot ‘nom ?

_ Euh… Marié ! Mais je ne vois pas…

_ Marié, Marié… Tiens, j’ai justement un Marié au 92 F !

_ C’est impossible ! C’est une blague ?

_ Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? »

A cet instant, un étrange Dom à la tête cubique s’approche et dit : « Je suis le délégué du bâtiment ! J’habite ici et je suis chargé de la bonne entente entre habitants… Y a un souci ?

_ Il ne veut pas de son logement ! explique l’ingénieur.

_ Et pourquoi ça ? demande le délégué.

_ Vot’ tête là ? dit Marié.

_ Ben quoi, ma tête là ? Oh ! Elle est cubique… et c’est ça qui vous gêne ? Sachez au contraire que j’en suis fier ! Elle signale que j’habite ces immeubles modernes et sains ! On me regarde avec respect… et c’est une transformation dont vous bénéficierez, dès que vous aurez rejoint votre appartement !

_ Mais nous, on n’en veut pas !

_ Votre nom est sur la liste ! Vous allez entrer de gré ou de force !

_ Non, je ne crois pas…

_ Vous déshonorez la ville ! Des milliers de gens voudraient être à votre place !

_ Justement ! Y en a qui attendent ! crie-t-on derrière la troupe. Virez ces guignols ! »

Un bébé commence à pleurer et les regards deviennent de plus en plus lourds ! « On se reverra ! » fait le délégué, approuvé par d’autres Doms à la tête cubique, qui sont maintenant tout près ! La troupe se dégage lentement, puis elle atteint un square, où elle se détend : « On a eu chaud ! fait Côlon. Regarder dans les coins chaque jour ! »

                                                                                                               30

     « Achève-moi ! fait un buisson du square, à Paschic. Je sais que tu es un magicien et que tu peux me comprendre !

_ Mais je ne peux pas faire ça ! répond Paschic.

_ Achève-moi, je t’en prie ! Aie pitié ! Regarde-moi comme je suis ! »

Paschic examine l’arbuste et en effet, il est dans piteux état : il est couvert de poussière et son pied encombré de déchets ! « Mais je ne peux pas te tuer ! implore Paschic.

_ Si ! Il te suffit de me couper… et ma souffrance cessera !

_ Eh ! C’est vrai qu’il existe un monde, où on profite de la fraîcheur de l’eau ! où on est parmi les fleurs, avec de jolis insectes dessus ! demande un buisson plus jeune.

_ C’est vrai, mais… répond Paschic.

_ Lui, c’est un jeune ! coupe le vieil arbuste. Il croit encore à ses illusions ! Mais, moi, j’en ai fait le tour ! Je sais que je bougerais pas d’ici… et que ce sera de pis en pis ! Alors, fais ce que je te dis, achève-moi !

_ La seule chose en mon pouvoir, grâce à la magie, réplique Paschic, c’est de te faire entendre la chanson du ruisseau ! Cela te soulagera, pour un temps du moins…

_ Chic ! jette le jeune arbuste.

_ Oui, fais ça… » dit le vieux.

Paschic se concentre et on se retrouve au bord d’un ruisseau d’eau fraîche ! Au milieu, une herbe y est posée, comme le bras d’un tourne-disque et lentement le ruisseau entonne sa chanson : « Je suis le ruisseau de cristal !

Aux mille couleurs !

Aux mille enchantements !

Aux mille remous qui murmurent !

Je suis la chanson douce et fraîche !

La chanson de la vie !

Vois comme j’abreuve,

Comme je plais et nourris !

Comme je serpente

Parmi les plantes !

Écoute comme je rigole !

Comme je suis sage !

C’est mon secret !

A la fois fort et faible !

A la fois limpide ou fou ! »

« C’est fini ! fait Marié à Paschic, en montrant le vieux buisson. Il est mort, ses feuilles ont subitement noircis !

_ Au moins, il sera parti en paix…

_ Emmène-nous avec toi ! crie le jeune buisson. Nous laisse pas ici, le magicien !

_ Je ne peux pas… Je n’en ai pas les moyens, mais je lutte pour sortir d’ici et défendre votre cause !

_ Nous laisse pas, je t’en prie ! »

Paschic et Marié font signe au reste de la troupe de quitter le square, mais les appels déchirants du buisson ne laissent pas insensibles Propre et Mécano, qui versent une larme. « C’est vrai qu’on ne peut rien faire pour eux ? demande Mécano à Paschic.

_ Bien sûr ! Comment veux-tu les porter ? Et pour les mettre où ? répond Marié.

_ Vous savez comme moi, renchérit Paschic, que le cube est en train de tout absorber dehors ! Vous vouliez lui dire ça, au buisson ? »

Personne ne dit rien pendant un moment et le soir tombe, car même dans le cube il y a des jours et des nuits ! Soudain, on entend quelqu’un courir et un visage sort de l’obscurité ! « Au secours ! Au secours ! crie-t-il.

_ Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui s’ passe ? demande Marié, qui s’empresse auprès du Dom inconnu.

_ Il est là derrière moi ! répond le Dom essoufflé. Il me poursuit pour me tuer !

_ Mais qui ? Qui veut vous tuer ? fait Marié, qui scrute l’obscurité, ainsi que le reste de la troupe, sans rien voir !

_ Mais… mais le Bonjour dans le dos !

_ Le Bonjour dans le dos ?

_ Mais oui ! Mais je ne peux pas vous en parler ! Il va surgir !

_ Allons, allons, vous divaguez…, lâche Côlon.

_ Mais non, si je parle, il va me frapper !

_ Bonjour ! entend-on dans le dos du Dom.

_ Bonjour ! répond machinalement Marié.

_ Aaaargh ! fait plaintivement le Dom inconnu, avant de s’écrouler.

_ Il… il est mort ! s’étonne Paschic, penché sur le corps et qui le retourne, pour voir qu’une flèche y est planté, qui dit par sa forme : « Le Bonjour dans le dos ! »

_ Bon sang ! Il ne mentait pas ! fait Marié.

_ C’est de ta faute ! dit Côlon à Marié. Tu as répondu au bonjour !

_ Mais, mais j’ai répondu au bonjour par politesse ! D’ailleurs il est où celui qui a dit bonjour ? »

Les yeux fouillent de nouveau l’obscurité, mais il n’y a personne ! « Il a un message dans sa poche…, indique Paschic, qui commence à lire : « Si vous lisez ceci, c’est que le Bonjour dans le dos m’aura eu ! Depuis toujours, il essaie de me faire croire que je n’existe pas, que je ne suis rien, méprisable ! A chaque fois que je parle à quelqu’un, il surgit et on lui répond, comme si j’étais transparent ! Je lègue mon gramophone à mon cousin, Albert… Il habite, etc., etc. ! »

_ Pauvre type ! lâche Colon.

_ Mais qui est derrière tout ça ? demande Marié. Qui lance le Bonjour dans le dos ?

_ Sans doute des Doms qui veulent écraser, dominer encore davantage ! explique Paschic. Venez, ne restons pas ici…, sinon nous aurons nous-mêmes des ennuis ! »

La troupe repart…

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     « Je ne sais pas si tu as remarqué, dit Marié à Paschic, mais il y a de plus en plus d’écrans dans l’ coin !

_ Oui, on doit approcher du centre... »

Sur les écrans, on voit toujours le même Dom, qui serre des mains, qui pose pour le photographe, lors d’inaugurations ! Le son des images devient soudainement audible pour la troupe, qui presque malgré elle entend l’interview du Dom ! « Je rappelle que vous êtes président de région, dit la journaliste.

_ Ah ! Ah ! Non, je suis président du département !

_ Ah ! Ah ! Mais il est vrai qu’on vous voit souvent au conseil de la région !

_ Oui, parce que j’ai aussi des amis conseillers de région !

_ Et la région travaille avec le département...

_ Bien sûr…, avec les conseillers du département !

_ Et vous étiez vice-président chargé des territoires, il y a peu !

_ Oui, attaché au deuxième canton !

_ On peut dire que votre ascension est fulgurante !

_ Peut-être… Mais pourquoi l’est-elle ? Parce qu’il y a des défis à relever !

_ C’est pourquoi vous êtes encore président du CNJI et du BROG ?

_ Je suis là où il faut que je sois ! pour mieux agir !

_ D’aucuns vous suspectent de vouloir devenir ministre !

_ « D’aucuns » ne sera jamais content, de toute façon ! Nous faisons des promesses et nous les tenons ! Nous aidons tous les projets, destinés au développement du cube !

_ Alors, vous avez une cause qui vous tient particulièrement à cœur…

_ Oui, c’est la santé mentale des jeunes ! Nous voulons investir massivement, pour créer des infrastructures, capables d’accueillir les jeunes en difficultés ! Il faut que chaque commune puisse disposer d’un centre d’aides ! Il est nécessaire que des spécialistes soient à l’écoute, que les études sur le sujet aboutissent, qu’on ait accès au meilleur matériel ! C’est le nouveau cap du département, de sorte qu’il soit un exemple pour l’ensemble du cube !

_ On parle beaucoup de la machine CRT 67, qui donne de l’espoir et du rêve ! Vous en pensez quoi ?

_ Oui, nous en avons déjà commandé deux… et nous verrons les résultats ! Encore une fois, nous voulons être sur tous les fronts ! Il ne sera pas dit que j’aie été un mauvais président !

_ Vous parlez de votre poste au passé ! Vous avez bien des ambitions cachées !

_ Chut ! Pour l’instant, je dois ramener du poulet à la maison, pour obéir à ma femme ! C’est là ma mission !

_ Ah ! Ah ! Merci. » 

« Ben, faudrait pas moisir ici ! dit Marié à la troupe. Car c’est ma santé mentale qui va être en péril ! » Chacun acquiesce, mais subitement un Dom percute Marié, en se parlant à lui-même : « Ah ! Les salauds ! Les fumiers ! fait-il.

_ Eh ! » crie Marié, encore choqué, mais le Dom a déjà disparu !

Puis, c’est au tour de Côlon d’être bousculé, par un autre Dom, qui lui aussi ne fait pas attention, tout en jetant : « De toute façon, on n’y arrivera pas ! »

Côlon regarde ce Dom bizarre, quand Propre et Mécano sont également heurtées et elles entendent : « Toujours les mêmes qui s’empiffrent ! », « Des incapables ! Rien que des incapables ! »  

Maintenant, des centaines de Doms arrivent, avec tous la même attitude : ils sont bourrus, en colère, indifférents à ceux qui sont sur leur chemin ! C’est un concert de plaintes : « Ils prennent dix pour cent ! 10 %! », « On les aura ! », « Injustice, parle-moi de ton nom ! », « Des crevures ! », « Le gouvernement va tomber, Hi ! Hi ! », « Il faut supprimer les taxes ! », etc. !  

Les Doms jurant et grondant sont de plus en plus nombreux, de sorte que la troupe doit trouver refuge sur un bord, où elle avance avec précautions ! « On a failli être emporté ! dit Paschic.

_ Un vrai torrent ! approuve Marié.

_ Je me demande d’où ça vient ! »

La troupe arrive au pied d’un cube gigantesque, qui forme un site extraordinaire ! La chute est là ! Des milliers de Doms jaillissent du haut de la paroi et le débit est tellement fort que la sueur monte iridescente, à travers la lumière ! « Fantastique ! s’écrie Marié.

_ Comme j’aimerais prendre une photo ! dit Propre.

_ Faudrait pas tomber d’ d’ans ! fait Côlon. Ce s’rait la mort assurée !

_ Chute de… l’Ego ! C’est écrit ici ! précise Mécano.

_ Hein ? Tu es sûre ? demande Paschic, qui rejoint Mécano devant une pancarte. J’en avais entendu parler, mais je pensais que c’était une légende.

_ Ben non, tu vois ! répond Mécano.

_ Allons, les enfants ! reprend Paschic. Il y a un sentier qui mène au sommet ! On ne va pas rester ici ! »

La troupe commence son ascension, non sans recevoir de la vapeur et des échos, qui chantent encore : « Faut réduire les aides ! », « Diminuer les gros salaires ! », « Cubxit ! »

                                                                                                                  32

      Plus tard, la troupe dépasse le sommet de la chute et se retrouve devant un cours de mécontents plus calme ! Des bras parfois émergent cependant du flux ou une camionnette en saute rageusement, comme un poisson qui goberait un insecte ! Un Dom sur le bord mange un sandwich et en voyant passer la troupe, il jette : « Alors, les jeunes, on s’ balade ! C’est bien : faut profiter ! »

La troupe est un peu interloquée, vu qu’elle n’est plus aussi jeune que ça ! Mais c’est dans l’esprit des Doms : si on est calme et souriant, on est forcément un rêveur, un idéaliste, quelqu’un qui n’est pas encore aux prises avec les vraies réalités de la vie, qui sont bien entendu les factures et le travail !

Paschic ne se laisse pas démonter, tant il sait combien l’attitude des Doms peut avoir d’absurde ! « Excusez-moi, dit-il au Dom, mais nous cherchons à quitter le cube ! Peut-être pouvez-vous nous donner une indication ?

_ Oh la ! Mais je n’ai pas le temps pour ce genre d’histoires !

_ Vous avez le temps pour quoi ?

_ Pour une chose que tu connais pas : le travail ! C’est bien gentil de buller, mais y a les traites à payer !

_ Le but de la vie n’est-il pas d’être heureux ? demande encore Marié. On pourrait vous aider de ce côté-là…

_ Sûrement, mon garçon, mais je n’ai pas le temps ! »

Et le Dom, qui a fini son sandwich, fait rugir son moteur, avant de se précipiter dans le fleuve qui mène à la chute ! « Il y va tout droit ! dit Côlon.

_ Oui, le monsieur est pressé ! 

_ A propos de sandwich, moi, j’ai faim ! dit Propre.

_ Il y a justement une boulangerie là ! », précise Mécano et chacun s’y dirige !

A l’intérieur quel ravissement ! Il y a des dizaines de petits gâteaux, tous plus appétissants les uns que les autres ! « Miam ! dit Propre.

_ Tu parles ! » renchérit Mécano.

Toute la troupe a des yeux d’enfants ! Pourtant, l’ambiance est très différente chez les Doms qui font la queue ! On y sent une tension extraordinaire ! Que se passe-t-il donc ? Est-ce une distribution pour les seuls premiers ? Ne vend-on en définitive qu’un unique gâteau ? Le pain vaut-il cent mille euros ?

Personne n’est content ! Nul ne se réjouit dans ce temple des merveilles, mais au contraire chacun y semble exaspéré, se demande combien de temps il va attendre, si on ne va pas abuser de lui, le faire patienter plus que de raison, ou pire prendre son tour !

L’incident peut éclater à tout moment ! La crispation est palpable, puis le drame arrive : Côlon marche imprudemment sur le pied d’un Dom ! Celui-ci tire de son pantalon un fusil à canon scié ! Le voyant, le boulanger se tourne vers Côlon et lui jette : « T’as de quoi payer ? » Il sort en même temps un P 38 ! On entend une Dom dire : « Penses-tu des étrangers ! »

Quelqu’un ouvre le feu et on riposte ! La vitrine éclate en morceaux ! Les gâteaux sautent sous les balles ! La troupe se couche, rampe et au-dessus ça canarde sec, comme si on avait des siècles de frustrations ! D’autres Doms entrent, à cran eux aussi et la fusillade reprend de plus belle !

Paschic a réussi à se saisir d’un chou à la crème et il s’en régale, en atteignant la sortie ! Côlon bénit un cake, Propre une tartelette à la fraise ! Mécano protège un chausson aux pommes ! La troupe réussit enfin à se retrouver dehors et respire l’air frais ! A l’intérieur, l’odeur de la poudre a tout envahi et des cadavres jonchent le sol !

« Complètement tarés ! fait Marié, les joues pleines d’un éclair.

_ Hum ! Parfait ! s’exclame Propre, gourmande.

_ Qu’est-ce qui s’est passé dans la boulangerie ? demande Mécano, qui fait tomber de la compote.

_ Aucune idée ! répond Paschic. Venez, par ici il y a de l’ombrage ! »

On se met au frais et on finit de manger. « On a beaucoup de chances ! dit Marié, c’était super bon !

_ Oui, y en a qui souffrent de la faim ! approuve Propre.

_ C’est pas le cas des Doms, malheureusement ! rajoute Côlon.

_ Non, leur problème est ailleurs ! renchérit Paschic. Je me demande si ça pas à voir avec la spiritualité…

_ Probab ! jette Marié, avant de se désaltérer.

_ Hypothèse : moins on a de spiritualité et plus on a de besoins et plus on est inquiet et envieux !

_ T’as encore de la crème, Paschic ! » fait en souriant Mécano.

 
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