L'ego et la lumière

  • Le 09/09/2023
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Le phare

 

       "T'as un endroit pour le faire parler?

         _ Bien sûr! La cave!"

                                   Touche pas au grisby

 

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     Comment avoir confiance, quand on a été blessé, qu’on est comme perclu de traumatismes, qu’on a le cerveau embouti ? N’est-on pas rempli de craintes, d’inquiétudes ? Ne se tient-on pas sur ses gardes ? Ne sommes-nous pas prêts à nous défendre, à nous expliquer, en vain d’ailleurs, car qu’ont valu nos arguments, notre bonne volonté, notre sincérité, nos plaintes face à ceux qui nous ont brisés, écrasés, démolis, piétinés ? La dépression qui nous ronge vient de nos échecs, de notre insignifiance, de notre sentiment d’abandon... Qui a eu pitié de nous ? Personne ! Qui nous a protégés ? Personne ! Qui nous a aimés ? Personne ! Nous nous sommes noyés dans l’indifférence générale ! On nous a coupé les mains sans sourciller ! Le monde autour continuait à s’amuser… A quel degré de solitude peut-on aller ? Le désespoir n’a pas de fond… On meurt, c’est tout !

     Pourtant, il reste une petite flamme, inatteignable semble-t-il, quels que soient les efforts des « bourreaux » (« Pardonnez-leur Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! ») Ce qui subsiste, malgré les attaques, c’est nous-mêmes, ce que nous sommes, notre personnalité unique ! Elle subit et s’interroge… Elle veut comprendre, elle attend son heure ! Elle doit avoir sa place, car la vie a sûrement un sens, c’est-à-dire que chacun a une raison d’être ! C’est la survie même qui impose cette logique ! Si on veut nous détruire et que naturellement on ne convient pas, le problème, ce n’est pas nous, c’est l’autre ! Autant le dire tout de suite, la société est a priori régie par la domination et bien entendu elle profite des plus faibles, des plus gentils, de ceux qui ne peuvent répliquer, ni s’opposer ! N’est-ce pas ce qui se passe aujourd’hui, quand on s’en prend aux chômeurs ou aux bénéficiaires du RSA, pour faire des économies ?

     Le plus curieux, c’est de se sentir malheureux, de se voir harcelé, tandis que le frère ou la sœur, loin de subir le même traitement, vous regardent avec mépris, comme si vous étiez mauvais, que vous refusiez de changer, de vous améliorer et que c’était vous le responsable de votre peine ! L’incompréhension est alors totale ! Pourtant, c’est ce que vous êtes qui résiste et qui cause la colère de vos parents ! Vous ne marchez pas comme les autres ! Comment pourriez-vous vous trouver bon ? Vous avez beau débattre en vous-même sur l’injustice dont vous êtes la victime, il n’en demeure pas moins qu’en profondeur les coups que vous prenez gravent votre esprit, avec l’idée que vous êtes repoussant, infâme, nul, délétère ! Vous combattez toujours l’épée à la main, mais le mal est fait ! Le poison est entré et vous êtes vaincu d’une certaine manière ! La maladie va faire son œuvre et la liberté ne vous sauvera pas ! Au contraire, vous aurez tendance à continuer de vous détruire, comme on suit un mode d’emploi ! Effrayé par votre différence, vous vous sanctionnerez vous-même ! Car la famille est une petite société et si vous en avez été exclu, pourquoi la grande vous accueillerait-elle ? Leur fonctionnement n’est pas différent, leurs peurs non plus !

     Dans ces conditions, hagard, perdu, marginalisé, craintif, fragile, vous pourriez avoir la foi ? Spectre sanguinolent, vous marcheriez tel Jésus, plein de fermeté ? Ne vaudrait-il pas mieux vous conduire à l’hôpital et vous oublier ? Au moins vous vous reposeriez, n’avez-vous pas des siècles de sommeil à rattraper ? Dame, vous avez pris de plein fouet l’hypocrisie et les terreurs du monde moderne ! D’autres n’y ont pas résisté et ont été pulvérisés ! Car c’est bien une folie qui vous a passé sur le corps, vous allez vous en rendre compte ! Les hommes sont aveugles… Mais vous êtes tout cabossé, vous léchez vos plaies et que se passe-t-il si la foi vous frôle ? Mais elle produit votre épouvante ! Elle vous fait hurler, puisqu’elle semble vous demander encore des efforts, comme on frotterait votre chair meurtrie avec du sel ! Toutes vos défenses se hérissent, tout votre dégoût dégouline, toute votre amertume vous noie ! Quoi ? Vous avez donné le meilleur de vous même et on vous a jeté des pierres ! Vous avez tendu la sébile et on a craché dedans ! Rien n’est bon en vous, c’est prouvé ! Vous êtes plein de scrofules, inutile et on vous parle d’amour ? Mais vous riez comme un fou !

     Vous voulez encore donner ! Vous vous relevez en titubant, vous combattrez encore ! Vous aimez toujours ! C’est plus fort que vous ! Hélas, votre fragilité vous rend vulnérable, sans respect pour vous-même ! Il faut apprendre à se protéger, à s’aimer enfin ! C’est un long travail de la conscience et la foi, ce n’est pas la religion, avec ses rites ! Ce n’est pas une carte de parti ! C’est une conscience qui s’adresse à une autre conscience et si vous commencez à voir clair en vous, comment cette autre conscience, que l’on appelle Dieu, pourrait-elle moins vous comprendre ! Ainsi la confiance commence, s’installe, à mesure que votre individualité se dégage ! Votre dimension devient toujours plus grande et plus singulière, alors que les autres restent esclaves de leur domination, formant un tout indistinct !

     La confiance, c’est la paix et à votre tour de rigoler !

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      C’est lundi et bien sûr la vie repart sur des chapeaux de roue, à cause essentiellement des inquiétudes, d’autant qu’il y a un retour de la canicule (il fut un temps où le soleil était fêté comme un dieu, aujourd’hui il fait peur!) ! Mais ce qui nous tue, bien plus que le réchauffement climatique ou l’inflation, c’est notre égoïsme, avec le réflexe que plus on est anxieux et plus on devient dur ! C’est un comportement de défense et de survie animal ! Il est vrai que le dimanche nous ne nous sommes nullement reposés, car nous ne savons que faire de l’inaction, du vide apparent, sinon nous tourmenter encore plus !

     Ainsi, en ce lundi matin, nous voilà à nous pousser aux fesses, sans respect pour les autres, nous créant un monde hostile, irrespirable et destructeur ! Les premières sirènes d’ambulance se font déjà entendre ! Mais il faut alors comprendre que notre mal-être ne dépend que de nous, que son remède est entre nos mains ! Le gouvernement, les gros pollueurs, l’argent n’y sont pas pour grand-chose et crier après eux ne fait que révéler un profond aveuglement ! Répétons-le, c’est notre égoïsme à tous au quotidien qui cause notre malheur ! La vie nous serait absolument différente, si nous nous montrions solidaires, soucieux des uns et des autres !

      Mais le problème, c’est justement notre cécité ! Nous n’avons pas conscience ordinairement de faire le mal ! Au contraire, nous nous croyons plutôt volontiers des victimes ! Cela a à voir avec la sensibilité…, qui est comme une antenne d’insecte, informant sur le monde environnant ! La plupart ne distingue aucunement leur domination et font marcher les autres à la baguette, mais de même ils ne trouvent pas anormal qu’on les traite d’une manière similaire, car ils ont le comportement du troupeau, où les individualités se fondent dans la masse ! Si une sensibilité particulière apparaît, la poussière, le piétinement des sabots, la folie du plus grand nombre sont bientôt dénoncés ! La sensibilité ouvre les yeux, permet de comprendre, fait que soi-même on devient plus complexe et donc plus distinct, plus construit, ce qui à terme peut entraîner l’évolution de l’ensemble !

      Mais, une fois n’est pas coutume, je vais prendre un exemple personnel, pour mieux expliquer les choses… Je peux dire que ma vie a véritablement commencé quand j’avais à peine quinze ans, âge où dans les familles les premiers verres de vin sont autorisés ! Mais imaginez un grand déjeuner du dimanche, qui rassemble les cousins, les tantes, les oncles, etc. ! Autour de la table, dans une salle à manger commune, il y a près de trente personnes et bien entendu chacun est serré contre son voisin ! Mais peu importe, tout le monde est joyeux, avec la bonne chère et les discussions ! Moi-même, qui suis plutôt silencieux et du genre rêveur, je me sens bien, baignant dans une douce euphorie ! le plaisir des autres devenant le mien ! Soudain, ma maman me demande de tendre mon assiette… Elle vient d’apporter un nouveau plat, apparemment dans l’indifférence générale, et c’est pourquoi je m’empresse de la satisfaire, afin qu’elle-même ne souffre pas de cette situation… Mais, alors que je tends mon assiette, elle ne me sert pas ! Elle tape sur son plat, interpelle ceux qui discutent le plus vivement et commence à remplir leur assiette ! Il ne me reste plus qu’à ranger la mienne, la mort dans l’âme ! Car pourquoi ne m’a-t-on pas servi ? Il ne s’agit pas d’une erreur, au contraire, j’ai voulu rendre service ! La tristesse m’envahit, comme l’incompréhension, alors qu’autour la joie bat son plein ! Personne n’a rien vu ! Et il m’est impossible d’arrêter le repas, pour faire part de mon désarroi !

      A partir de cet instant, je me sens exclu et ne pouvant expliquer la cause de mon chagrin, je vais peu à peu m’enfoncer dans la dépression ! Mon regard a changé ! Je vais m’interroger sur l’origine du mal, tout en prenant conscience de ma différence, de mon abandon ! Aujourd’hui, je peux parfaitement expliquer le geste de ma mère, car sa cause n’a rien d’exceptionnel, au contraire, mais il va me falloir toute une vie pour dégager la domination animale ! pour comprendre les rouages de l’égoïsme ! Ma mère, en s’attaquant au plus faible, à l’« introverti », se sert de lui pour ressentir son pourvoir et reprendre confiance en elle, ce qui lui permet de « déranger » les leaders, les plus volubiles, afin qu’elle présente son plat et qu’elle le fasse reconnaître ! Sa fierté de cuisinière en dépend ! Or, c’est que ce que nous faisons au quotidien dans notre grande majorité : nous marchons sur l’autre pour nous rassurer et repartir du bon pied !

      Nous faisons valoir chaque jour notre territoire ! Et, comme je l’ai dit, c’est une impasse car c’est bien cela qui nous empoisonne et nous détruit ! Il faut donc lutter contre notre propre égoïsme ! De quelle manière ? Je ne vois qu’un levier valable ! C’est l’amour pour Dieu, c’est la foi ! Non pour s’amputer soi-même et s’anéantir, mais pour enfin se libérer de sa domination et être bon ! Celui qui rit de son orgueil est un bienfaiteur ! Il y a ceux qui continueront à chercher des coupables, c’est notamment la litanie haineuse de la politique ou de l’intégrisme ! Il y a ceux qui ne feront confiance qu’à la seule raison, qu’aux faits et qui couleront stoïquement, impuissants ! Et puis il y a ceux qui connaîtront la joie d’aimer et qui ressentiront le grand frisson de l’aventure de la foi !

     Que la vérité soit placée dans l’amour est un mystère génial ! Pas besoin de faire HEC et plus le temps passe et plus je m’aperçois combien les paroles de Jésus sont justes et comment il a vu clairement le monde !

                                                                                                      57

      La foi, l’amour que l’on peut avoir pour Dieu, est forcément quelque chose de mystérieux et d’étrange ! En effet, à qui parlons-nous ? D’un point de vue physique, à personne ! Car où est Dieu dans l’Univers ? Et comment pourrait-il communiquer dans nos esprits, suivant les lois de la science ? Il serait facile d’imaginer le « croyant » fou, inventant un ami imaginaire et c’est certainement l’avis d’une grande partie de la psychologie ! Il y a donc beaucoup de penseurs qui ont dénoncé cette illusion, cette « mascarade », comme Nietzsche ou Lou Andreas-Salomé, avec notamment L’Invention de Dieu !

     Il n’en demeure pas moins que ce qui nous fait tenir debout sur Terre, c’est la domination animale ! C’est elle qui constitue la « gaine protectrice » de Pascal, qui voyait celle-ci comme un miracle, protégeant l’homme de l’anéantissement causé par le vertige de sa situation ! Sur cette minuscule planète perdue dans l’espace, avec une vie se terminant par la mort et même vouée à un oubli total, puisque le soleil finira par disparaître, l’homme pourtant trouve son quotidien normal, ne le remet pas en question, ne s’interroge pas en profondeur et arrive à supporter son année de travail, jusqu’aux vacances ! Puis, ça recommence !

      Cela n’est possible que par la domination animale qui continue en nous ! Autrement dit, nous faisons comme les animaux et nous affirmer nous occupe tellement que le vide sidéral n’a plus de prises sur nous ! Mais cela signifie encore que tout athée n’aura de cesse de s’imposer et d’assurer sa sécurité, car s’arrêter ouvrirait la porte de l’angoisse, puisque nous ne sommes pas non plus tout à fait des animaux (« Nous n’avons pas cette chance ! » ont dit certains) ! Il n’y a pas d’autres explications à la rage et à la haine de la Nupes, par exemple ! Il faut le pouvoir, pour ne pas s’inquiéter ! Il faut réussir pour s’apaiser ! Notre besoin de dominer est encore à l’origine du réchauffement climatique, car nous ne pouvons considérer la planète sans qu’elle nous soit asservie ! Nous la détruisons donc, pour nous sentir les maîtres ! Inutile de dire que la domination animale, qui prend chez nous d’autres noms, comme l’égoïsme ou l’orgueil, est une impasse ! Mais elle est toutefois si forte, ou plutôt l’angoisse qu’elle endigue est si pressante, que nous sommes prêts à nier toutes les évidences : il n’y a pas de réchauffement climatique, Poutine n’est pas coupable, Trump est un gentil garçon, etc. ! Rien ne doit contrarier notre propre domination, menacer notre soif de reconnaissance et de pouvoir ! Voir les failles de notre nombrilisme nous est insupportable !

      Bien sûr, on est libre de croire ou pas ! Qu’est-ce qu’un amour obligatoire ? C’est une absurdité, car on n’aime que si on est libre ! « Il n’y a pas de contraintes en religion ! » disait Mahomet, mais son propos est oublié par les intégristes ! En effet, si la religion mène au pouvoir, elle conduit forcément à la terreur, puisque tous ceux qui ne rentrent pas dans le rang devront être éliminés ! C’est une histoire bien connue et qui concerne toute lutte politique, comme le communisme… Mais la vraie foi, le véritable amour se rit du sacré ! Qu’est-ce qu’il en a à faire ? Le sacré sert le pouvoir, nullement l’amour ! Le sacré est un garde-fou et donc s’oppose à la confiance, à la foi ! Celui qui aime Dieu ne peut être qu’un enfant… Dieu est son père, son protecteur et le sacré, c’est pour les adultes !

     Si chacun est libre dans ses convictions, il faut tout de même reconnaître son propre fonctionnement et donc sa domination ou son égoïsme ! C’est maintenant devenu une question de vie ou de mort pour tous ! Soit nous continuons comme avant, en comptant toutefois sur la transition écologique, mais en cherchant toujours à exploiter la planète, pour nous sentir les maîtres ; soit nous changeons complètement, nous prenons conscience de la domination, de son effet néfaste et pour y échapper, nous nous dirigeons vers l’amour de la foi ! Celui qui se voit aimé par Dieu n’a plus besoin de dominer ! Il laisse là la « gaine protectrice » de la domination, pour devenir imago et il n’a plus peur, grâce à sa confiance ! Il ne cherche plus à s’imposer et ne ressent plus la haine de ceux qui n’y arrivent pas ! De même, il ne « massacre » plus la planète, car ses besoins correspondent au juste nécessaire… Sa raison d’être n’est plus la puissance, le rang social, la victoire politique, etc. !

      Tout le problème est de voir sa domination, son égoïsme ! Car tant qu’on en est esclave, on reste aveugle ! Combien de psychologues, par exemple, se croient objectifs et prêts à aider, pour se transformer en monstres dès que leur amour-propre n’est qu’effleuré ! Pour se sortir de sa cécité, il faut toute la volonté d’aimer ! Sinon on reste à brailler et à haïr ! Rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est que le bateau coule !

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      Cet ego est un écrivain célèbre, parisien et qui règne sur la littérature de son pays ! C’est un phare, un ponte, mais il le mérite ! Pour réussir, il a dû échapper à une éducation religieuse très stricte, sévère, obscurantiste, inhibitrice, castratrice, méchante, teigneuse, noire, béotienne, barbare ! Enfin, il est remonté du fond de l’abîme pour trouver la lumière et chanter les plaisirs de la vie, qui sont surtout les siens ! En cela, il a libéré par ses livres, son histoire des tas d’autres, qui soupiraient, tout comme lui, après la liberté dans des geôles gardées par la croix ! Quel mal y-a-t-il à cet exemple ? N’est-ce pas là ce que nous voulons tous, à savoir nous découvrir et être nous-mêmes, avec toute la latitude possible ? Comment pourrions-nous faire le bien, si nous n’étions pas libres ? Et un croyant pourrait dire que Dieu aime tout le monde ou utilise tous les « instruments », dans cette formidable aventure qu’est celle de l’humanité !

       Cet écrivain, appelons-le Valgiclette et il a un serviteur, Caramel ! La pièce, où Valgiclette fait la sieste, est plongée dans la pénombre… Dame, que l’on songe quel dégât la lumière du jour brutale serait à même de causer sur cette tête si pleine de prix et si précieuse ! Quel criminel garderait sa Ferrari hors d’un garage ? Mais caramel se présente : « Maître, il y a là…

_ Hein, Caramel ? Que me veux-tu ? Je suis si las…

_ Avant vous étiez Charybde ! Ouf ! Ouf !

_ Caramel, qui représente ici la culture, qui te fait vivre ?

_ Ça va ! Ça va ! J’ose vous déranger, car un émissaire vient vous demander votre soutien, vu que vous êtes célèbre et que vous pouvez servir sa cause !

_ Ah, tous ces quémandeurs ! Et quelle est sa cause ?

_ Ben, c’est la guerre dehors et y a une partie opprimée, évidemment ! une partie plus faible quoi ! Et c’est elle qui voudrait vous voir dénoncer cette guerre injuste, inique ! Votre influence, à travers le monde, pourrait l’aider !

_ En effet, en effet… »

      Valgiclette se lève et se place devant la glace : « O temps qui passe et qui ride, murmure-t-il. Je suis déjà au bout, hélas, du chemin aride ! Hum ! J’ai cru être poète, mais je ne le suis pas ! Qu’importe, car pour moi la belle prose est largement supérieure à la rime !

_ Certainement !

_ Je suis désolé Caramel, mais tu diras à ton émissaire que le temps de mes engagements est clos ! Voilà c’est décidé ! Ah ! Si seulement il était venu plus tôt ! Alors j’aurais été à fond avec lui, j’ l’aurais réjoui ! Il aurait porté fièrement mon nom, redonnant de l’espoir aux enfants ! Mais maintenant… il faut que je me surveille !

_ Bah, quand je vous regarde manger votre steak, je me dis que vous avez encore du nerf !

_ Un d’ ces jours, tu seras à la rue à cause de ton impertinence !

_ Et donc l’émissaire ?

_ Go home ! »

       Après avoir éconduit l’importun, Caramel revient auprès de son maître, avec le journal et un café… « Tout de même, dit-il, j’ pense que vous auriez pu prêter votre nom, donner vot’ caution ! C’était pas beaucoup d’mandé et ça aurait fait du bien aux gars sous les bombes… J’ trouve que vous avez été dur !

_ Dur ? J’ai été dur ? fait en sursautant Valgiclette. Mais je vais t’apprendre, moi, ce qui est dur ! »

Valgiclette se précipite vers la fenêtre, pour en retirer violemment le rideau et le soleil brille dans la pièce ! « Voilà ce qui est la dureté même ! s’exclame Valgiclette.

_ Quoi ? Le soleil ? Mais vous avez les rideaux… et vos lunettes de soleil, pour vous en protéger !

_ Pauvre imbécile ! C’est de ce que représente le soleil dont je me plains ! C’est lui le sournois, le traître, la faute éclatante !

_ Ben, j’ vois pas…

_ Non, ça ne m’étonne pas, hélas ! Mais que nous dit le soleil, sinon d’espérer ? Que nous fait-il croire, en nous montrant les couleurs, les fleurs ou les enfants qui rient ? Mais que nous sommes chez nous et que pouvons être heureux ! Mais en réalité l’Univers entier appartient à la mort, au néant ! Le soleil nous trompe et nous masque le règne terrible, inexorable, aveugle du non-être !

_ Le non-être ? Il a bon dos, car vous, vous existez, pas d’ doute ! J’ai toujours sur moi la liste des choses que vous voulez avoir, pour passer tranquillement de vie à trépas… et c’est pas rien ! Voyons voir… Il vous faut : la sonate en ré majeur de Mozart, enregistrement 75 par le philharmonique de Vienne, disque craquant ! Les biscuits à la menthe, nappés de chocolat et parfumés à la vanille, de chez Dauchon, petite boîte ! Un éphèbe ! Dieu sait ce que vous allez faire avec ! Enfin, j’ai pensé à mon cousin, mais il est cher ! Des galets de Saint-Malo, nettoyés de leurs puces ! Des pervenches du cantal, cueillies sur l’ubac ! Des dattes de Tunis, enrobés dans leur feuille de palmier ! Un peu d’sable du reg, tamis zéro ! Etc, etc. ! On se soigne !

_ J’ai des besoins, que veux-tu ? Et puis, pourquoi, moi, j’entrerais dans le néant comme un va-nu-pieds ? Regarde les pharaons…

_ Ils allaient pas vers le non-être, eux ! Enfin, du moment que vous n’oubliez pas mes gages ! »

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      L’ego est impayable ! Nous suffoquons et il continue de polluer ! Méprisant, il jette son mégot par terre ou bien il ne prend toujours pas la peine de trier ses déchets ! Pourquoi ? Mais parce qu’il se sent lésé, frustré par le système, les autres et donc il ne va pas se gêner ! D’ailleurs, qui sont les gros pollueurs ? Ce sont les riches, les exploiteurs ! Que ceux-là changent d’abord et on verra après ! Car qu’est ma petite pollution à côté de la leur ? L’ego tient ses coupables et ne se voit pas du tout responsable du désastre ! Pourtant, ce qui arrive, c’est notre ego qui l’a voulu ! Ce n’est pas fatal, dû à la nécessité de nos besoins ! C’est le résultat de notre aveuglement, quant à ce que nous sommes ! C’est le fruit de notre hypocrisie et de nos peurs ! Mais le voile qui nous cache est toujours là et semble impossible à déchirer !

      Depuis toujours, j’ai vu la reine Beauté massacrée ! La nature était pourtant mon seul refuge ! Je me suis heurté aux egos dès mon plus jeune âge, j’ai été laminé par l’injustice et j’allais panser mes blessures dans des sous-bois, où la beauté était reine ! Avant d’arriver dans ces lieux, je n’étais qu’une plaie vivante ! Je hurlais presque tellement on m’avait fait mal, mais peu à peu je m’apaisais à la vue de toutes les merveilles que j’avais sous les yeux ! Mon sanglot prenait fin, le silence descendait en moi, comme si telle goutte de lumière, tel animal avaient constitué un baume ! C’est la nature qui a été ma vraie mère et sa splendeur m’est devenue synonyme de paix !

      Inutile de dire alors que toute destruction, tout chantier pour l’avancée de la civilisation m’ont toujours été odieux, d’autant que cela venait d’un mensonge, d’une raison fausse ! En effet, l’ego dit : « Je travaille, je ne prends pas de plaisir, je n’ai pas d’orgueil, je ne suis pas égoïste et je n’obéis qu’à la nécessité ! Il faut des routes, des logements, des entreprises pour les emplois ! Il faut s’étendre, etc. ! » Je savais que ce n’était pas vrai, que la réalité est tout autre, j’avais déjà l’exemple de mes parents en plein ! Mais encore enfant, je ne pouvais que souffrir devant les ravages que je voyais ! Je cherchais en vain des endroits exempts de voitures, de routes, du tumulte artificiel des hommes ! Je n’étais pas capable à l’époque, évidemment, de tenir tête aux adultes, de leur montrer leur duplicité et ce n’est pas très différent aujourd’hui !

     Mais dans les faits, nous travaillons essentiellement pour notre orgueil, nous voulons paraître et la force de notre ego détermine notre soi-disant équilibre, d’où notre haine si nous sommes menacés ! C’est pour satisfaire notre ego que nous détruisons la nature ! C’est pour nous sentir les maîtres que nous la piétinons ! Voilà la vérité, au-delà de nos besoins matériels ! Donc, tant que nous ne changerons pas en profondeur, en abandonnant notre ego, nous continuerons à nous mener vers notre fin ou notre cauchemar ! Il n’est pas question des gros pollueurs, c’est chacun qui est concerné et la transition écologique n’y pourra pas grand-chose ! Notre transformation doit être radicale et tournée vers l’amour ! C’est de notre ego dont il faut se libérer, grâce à la foi ! Je ne vois pas d’autres solutions et comme il est question d’amour, toute la liberté est préservée ! On n’y perd rien !

     Mais allez expliquer ça ! C’est la rage, le mur ! On fonce, on multiplie les chantiers, comme si on avait peur de les arrêter ! Effectivement, on se retrouverait devant le calme, l’inaction, apparemment le vide et quelle horreur ! L’ego monterait au poteau tel un chat effrayé ! Plus l’ego est inquiet et plus il s’agite ! Et pourtant la nature est en train de nous casser en deux, et c’est nous, les « boomers », qui avons provoqué cela ! Nous avons profité de notre hypocrisie et de nos mensonges jusqu’à plus soif ! ce qui donne notre désert actuel ! Mais nous gardons nos positions ! Nous ne craquons toujours pas, d’autant que les « boches » sont les exploiteurs… ou les étrangers ! Gueuler, ça nous savons faire ! Notre pays est champion du monde ! Qu’est-ce qu’il faudra pour nous mettre à genoux ? pour que nous disions : « Nous ne savons pas ! », pour que nous devenions enfin un peu humbles, avec l’oreille à l’écoute ! Qu’est-ce qui fera tomber notre masque ?

       Apparemment rien ! Durs nous sommes, durs nous resterons ! Nous continuons à nous voir justes ! à nous admirer, à parader ! à nous plaindre ! Les plus égoïstes lâchent tout de même que le temps est détraqué ! Ils s’en rendent compte, il y a un progrès ! Mais c’est tout ! On avance d’un millimètre… Alléluia ! Quand je disais qu’on était impayable ! Je connais un poissonnier qui nettoie son magasin avec du liquide vaisselle, ce n’est même pas un produit bio ! Chaque jour, il en envoie des litres et des litres dans la mer ! Il pollue son poisson ! Il dit encore que les gens de la mairie ne font strictement rien, que ce sont des fainéants, il méprise tout le monde, même ses clients ! Cet exemple montre que nous sommes indécrottables, combien notre ego est enkysté ! Tout au plus, quand je vois cet homme, je subis sa rengaine sans montrer d’impatience… Il est comme une machine et malheureux au fond comme une pierre ! Mais il ne change pas, il a ses coupables : les gens de la mairie, etc. !

      Notre théâtre est en flammes et nous continuons de jouer ! Faire reconnaître à l’ego son égoïsme ? Mais il serait plus facile de lui arracher une dent avec une tenaille ! Tendre un miroir à l’ego ? Il vaut mieux affronter un ours, c’est plus sûr !

 
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