Fort Dom!
- Le 26/02/2021
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"Dis donc Emile, tu sais qui vient de sortir d'ici! Borniche, le superflic!
_ Ben quoi! J' l'aurais buté ton superflic!"
Flic Story
Lundi 22 février: le soleil fait son apparition, après tant de jours de tempête! Il crible le versant de la montagne là-bas et vient pénétrer ma chambre! Son rond de lumière me réchauffe et montre même la poussière des meubles!
Ce changement est un spectacle bienfaisant et pourtant, par le hublot, j'aperçois des chercheurs qui s'empressent nerveusement, pour effectuer leurs relevés! Ils ont le visage crispé, le corps raide à cause de l'inquiétude! Ils se bousculent même et l'un chute, en se prenant les jambes dans l'antenne qu'il porte!
Ils ne sont pas sensibles au retour de la lumière et ils ne parviennent pas à se nourrir de la beauté! Ils n'admirent pas et c'est lié à leur égoïsme! Bien sûr, ils se voient comme des gens sérieux, responsables, soumis à des devoirs, des contraintes, mais ce n'est pas leur travail qui les empêche de prendre du temps, d'être disponibles!
Notre domination nous maintient tendus, chevillés à nous-mêmes, ne serait-ce que par peur! Nous voilà face à l'Univers, en équilibre sur le sentiment de notre supériorité! C'est bien mince et cela ne nous permet pas de nous relâcher, pour contempler! Il nous faut toujours sentir notre pouvoir, en "vampirisant" les autres!
Il est impossible de donner à la beauté tout son sens, si on ne veut que triompher, s'imposer!
Mercredi 24 février: il paraît que près de 60 % des Français se déclarent athées! Voilà bien du courage et... de la lucidité! Moi, je veux bien, à condition qu'on prenne en compte la domination! C'est bien joli de faire le philosophe..., quand on écrase les autres! On trouve le quotidien normal, puisqu'il "tourne" autour de nous... et on n'a par ailleurs aucune gêne à haïr, ni à mépriser ceux qui nous résistent et nous inquiètent par leur différence, leur indépendance!
Des tyrans athées, qui ne voient que leur ascension, leur réussite, leur personne, la belle affaire! Quand on est au chaud dans une boîte à chaussures, on rit de l'immensité de l'Univers et même de la mort, qui paraît toujours lointaine! Des remords, des scrupules, parce qu'on diffuse chaque jour le poison de sa haine, point! On est aveugle comme une taupe et on dit très raisonnablement: "Dieu n'est pas!" Ben voyons, quel sérieux!
Comment montrer aux gens leur laideur, leur tyrannie, leur équilibre faux, leur décor de théâtre? Voilà une question qui me taraude depuis des années... et à laquelle je n'ai toujours pas trouvé de réponses! Qui pourra se dire athée, s'il ne se sent pas dominant, supérieur aux autres? Qui pourra se dire athée, s'il est perdu, anéanti?
Le malheur fait aussi perdre la foi, mais c'est parce qu'on a toujours cru dans du "coton", en étant protégé, en se sentant "élu" en quelque sorte! Et c'était encore la domination, puisqu'on était le "point de mire"! Mais qui pourrait supporter la vie, en prenant de plein fouet son insignifiance sidérale?
Les sociétés se contemplent instamment! Elles se dévorent même elles-mêmes, tant le "froid" du dehors peut paraître vertigineux, incompréhensible! Il suffit de regarder la télévision, pour voir combien nous nous abrutissons de nous-mêmes! Celui qui prend garde à respecter, à ne plus haïr, qui apprend, qui réfléchit, celui-là ouvre la porte du train! Il a peur forcément..., mais il saute tout de même, tant à l'intérieur c'est empoisonné, vide, stérile! Il atterrit dans un choc, il a mal et il se retrouve abandonné, dans un lieu désert! Il s'époussette, se nettoie le front et se met en marche... Une nouvelle existence commence!
Là-bas, le train continue de foncer... et il se déclare athée, alors qu'il ne voit même pas le paysage! Quelle blague! Que l'on fasse son choix, sans la domination! en étant distinct des autres, sans les piétiner! Est-ce possible cela, si on continue à voir le monde comme un chef mafieux! Bon sang! Combien ne se déplacent pas dans leur bulle de haine... et ils auraient une idée sérieuse de Dieu? Autant demander son avis à un bébé!
Il y a pourtant quelque chose qui nous rappelle à l'ordre! qui met à bas notre domination... et c'est la force des éléments! Les premiers hommes ont développé naturellement une spiritualité, car ils ne "commandaient" rien autour! Ils se sentaient vulnérables, dans un milieu hostile! Ils avaient l'idée de "quelque chose" de plus grand qu'eux, puisque déjà la nature les dépassait largement! Ils n'étaient pas les maîtres!
Aujourd'hui, c'est tout le contraire! C'est l'homme omnipotent! Il sonde les étoiles, révèle le passé, guérit, analyse et imagine un avenir grâce au patient travail de la raison! Rien ne lui semble impossible, il s'adaptera!
A y voir de plus près, la catastrophe est partout! Plus l'homme étend sa domination et plus il se heurte à la nature, c'est inévitable! Il ne peut que constater le réchauffement climatique et la disparition des espèces! Il ne comprend pas non plus que son angoisse le pousse à détruire son prochain! Ben dame si, pour se soulager, il faut supplanter l'autre! C'est ce qui explique pourquoi, malgré que nous ayons tout, nos vies sont impossibles: les crises succèdent aux crises! Mais même une telle absurdité ne nous paraît pas évidente! Elle serait le fait d'un mauvais gouvernement, d'un système corrompu, de méchants capitalistes! Comme si le lanceur de pavés n'était pas lui aussi un dominateur!
Ici, le virus anéantit notre suprématie! Et ce n'est pas une vengeance divine, ce n'est que la conséquence de nos actes! De même que nous ne réchauffons pas la planète parce que nous sommes toujours plus nombreux, mais bien parce que le sens de nos vies dépend de notre pouvoir social! Notre voiture doit être plus grosse et plus belle que celle du voisin et tant pis si elle consomme plus!
Voilà encore pourquoi nous avons créé ce monstre que nous appelons Economie et que nous ne comprenons plus, car à quoi est-il destiné, sinon à nous vaincre nous-mêmes! Mais, dans notre pauvre station Charcot, le virus enlève les espoirs, ferme l'avenir, rend malade avant même d'agir! Car, sans la domination, nous voilà hébétés, assommés, hagards! Nous avons perdu nos repères! Nous ne pouvons plus nous sentir triomphants! La dépression nous guette, car elle vient à chaque fois que nous avons le sentiment d'être face à un mur!
Il faudrait trouver une nouvelle manière de grandir, de se développer, de survivre même! Il faudrait se sentir dominant, sans dominer, sans victimes! Et pour cela donner du sens à l'ensemble, pas seulement à notre personnalité! Il faut déjà voir les autres... et non les écraser! Il faut accepter de perdre, bien sûr! Et comment réussir cela sans foi? Se développer, s'épanouir, c'est aussi donner par amour! Or, comment mieux donner qu'en "croyant", quasi "gratuitement", comme si on faisait "rouler" un peu de soi-même dans l'infini! Comment mieux grandir qu'en aimant l'esprit?
L'égoïsme est vaincu, quand il croit, car il n'a plus peur! Mais la plupart se raccrochent à la domination coûte que coûte, tant qu'ils ne sont pas brisés!
Jeudi 25 février: la neige tombe lentement et tout paraît calme, mais c'est trompeur! D'abord, mine de rien, je dois lutter contre mon angoisse... Elle est souvent au chevet de notre réveil, mais encore faut-il la reconnaître! Certains la transmettent directement à leurs enfants, leurs employés, à toute personne qu'ils rencontrent, en montrant de l'impatience, de l'énervement et même du mépris ou de la haine! Cela dépend de l'idée que l'on a de soi-même et plus on se croit important et plus on se donne le droit de ne pas respecter l'autre!
Lutter contre sa domination demande un entraînement quotidien! On apprend chaque jour à se calmer, à dresser son amour-propre, même s'il a raison et qu'il veut le bien! Heureux celui relativise son avidité, car il devient lent à la haine et reste disponible! Heureux celui qui combat sa peur et qui parvient à la dominer, car il ne broie pas les autres et travaille pour la paix!
Mais distinguer sa crainte demande déjà d'être individualisé! On doit être conscient de l'existence de l'autre: il ne nous appartient pas, ni nous est assujetti Or, la domination se nourrit justement de l'infériorité, de la vassalité de l'autre!
Ainsi, la plupart ne distinguent pas le monde de leur propre univers: l'environnement est mené à la baguette! C'est une tyrannie qui se déplace et qui n'admet pas l'obstacle, la résistance! un peu comme si on étendait sa famille en tous lieux!
Comment peut-on, dans ces conditions, remarquer sa peur, essayer de la comprendre et lui demander des comptes! On fait tout subir à son entourage, on ne se remet pas en question et on n'évolue pas! On croit pouvoir utiliser les autres comme des paillassons! Et malheur à celui qui se rebelle, car on cherchera par tous les moyens à le détruire! C'est à pleurer! d'autant qu'on crée une société dure, égoïste et on est tout surpris quand la violence se déchaîne, alors qu'elle n'est au fond qu'un retour de bâton!
Pour pouvoir grandir, il est nécessaire de s'opposer à sa domination... C'est ce travail qui permet de se construire, d'atteindre toute son individualité, en même temps que celle des autres devient de plus en plus distincte! A l'inverse, il existe un degré où la domination constitue une folie, quand les autres ne sont là que pour servir, quand c'est seulement leur esclavage qui permet de faire un pas!
La patience joue un rôle capital dans notre développement!
Le dominateur ressemble au siphon d'un évier... Est-il rempli d'eau noire et il la déverse aussitôt ailleurs!
Mais, comme chaque matin, je dois aller porter son petit déjeuner à Gestin... et je me rends dans la cuisine. A côté, il y a deux gars qui occupent le réfectoire... Soudain, le ton monte et les deux hommes s'empoignent! Ils roulent par terre, en se donnant des coups, mais cela me laisse absolument indifférent!
Cela m'amuse même, car je savais bien que l'ambiance était réellement électrique et je me félicite encore d'avoir vaincu ma peur matinale! Je suis paisible, nullement tourmenté et je suis prêt à faire le bien, mais cela ne passe pas forcément par être entraîné par ces deux imbéciles, qui d'ailleurs sont finalement séparés par Friant!
Par moments, je me dis même que je n'ai pas de cœur, mais autour on fait si peu d'efforts, que j'élude ma réflexion d'un haussement d'épaules! Et puis la laideur de l'égoïsme est sans fin!
En chemin, je me rends compte que nous sommes tous à un degré de domination et que nous l'exprimons d'une manière ou d'une autre! Il ne peut en être autrement et d'ailleurs je repense à celles qui sont les plus reconnaissables dans les villes... On trouve la musique forte, l'appel téléphonique que tout le monde entend, la richesse ostentatoire, la séduction agressive et même la politesse exagérée ou le handicap outré!
Il s'agit d'attirer l'attention sur soi, afin de contrôler le monde, du moment qu'on en est le centre! On se sert de l'autre, sans s'intéresser vraiment à lui! On ne cherche pas son épanouissement, ni le bien en général! On se contente de tirer la couverture à soi, ce qui est très pauvre!
Personne ne répond, quand je frappe à la porte de Gestin... Je pousse un peu le battant et il s'ouvre. Tout dans la pièce est sens dessus dessous! Je marche sur des papiers et dépose le plateau sur le bureau, mais nulle trace du médecin!
Je passe dans la salle de bains et découvre Gestin, la tête sous l'eau, dans la baignoire. C'est une des seules de la base et elle a malheureusement été utile ici, d'autant que ce n'est pas un suicide! Le corps nu de Gestin a de multiples ecchymoses et on lui a retourné tous ses doigts! On l'a donc torturé, avant de le noyer!
Je vomis dans les toilettes, reprends mon souffle et me lave la bouche. Puis, je ressors, en refermant doucement la porte. Un peu plus loin, je croise Sophie Prémel, éclatante de santé! "Mon Dieu, Cariou, qu'avez-vous? Vous êtes tout pâle!
_ Ce n'est rien... Je crois que je fais un peu de constipation...
_ C'est plutôt un problème féminin, ça non? Est-ce que vous ne seriez pas plus délicat que vous en avez l'air?
_ Attendez de voir mon micro pénis!"
Elle éclate de rire et s'en va, et c'est tant mieux, car je suis complètement désemparé! Le seul ami que j'avais ici a été assassiné et je ne sais même pas quoi en faire! La chose qui me hurle à l'esprit, jusqu'à l'obscurcir, c'est que nous sommes en compagnie de quelqu'un de très, très dangereux!
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