Du tyran dans sa bulle!

  • Le 09/03/2019
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Dans sa bulle

 

 

 

    Le monde continue évidemment, mais il est tout de même incroyable! Voyons voir... Les cimetières sont pleins, nous attendent et nous tournons à toute vitesse autour du soleil, dans un univers qui est peut-être infini... Mais qui se soucie de l'infini? Qui veut en avoir ne serait-ce qu'une petite idée?

    Non, nous sommes dans nos bulles, qui sont plus ou moins bêtes, plus ou moins agressives, plus ou moins délirantes! A la boulangerie, ce matin, comme d'habitude, quelqu'un s'est planté derrière nous, une femme, et qui a tout suite fait sentir son impatience, comme si nous devions disparaître dès son arrivée! Cette femme est à cran et au lieu de se calmer, elle fait subir sa haine devant ses pas! Cela montre qu'on ne vit que pour soi, que les autres doivent obéir, qu'on est le centre de tout! C'est la définition du tyran... et malheureusement il crée un monde quasi invivable!

    Plus tôt, dans la nuit de samedi à dimanche, nous nous sommes réveillés à cinq heures du matin: le voisin avait transformé sa propre maison en boîte de nuit! Une musique autiste envahissait toute la rue! C'était une totale indifférence à l'égard du reste! C'était même un ennui profond à l'intérieur! Tout au plus entendait-on quelques rires bêtes dus à l'alcool! C'était le triomphe froid de l'égoïsme, comme si les autres n'étaient qu'une marée noirâtre sans importance!

    Dans ces cas-là, nous appelons personnellement la police, sans états d'âme! Il ne sert à rien de discuter avec des gens ivres... Notez que ceux qui sont dérangés, par les tapages nocturnes, pour la plupart, n'ont jamais le courage d'appeler la police... Ils comptent sur une opération du Saint-Esprit, en ruminant leur haine! C'est la lâcheté contre le mépris!

    Cependant, avec la police, un autre parcours du combattant commence... Exemple: "Police secours, j'écoute!

    _ Bonsoir, j'aimerais me plaindre d'un tapage nocturne!

    _ (Soupir) Oui, qu'est-ce que vous appelez un tapage nocturne?

    _ Euh... Une sonate de Mozart, à deux kilomètres sous terre?

    _ Vous voulez bien parler d'un tapage avec musique, c'est ça?

    _ Oui, c'est ça...

    _ Et c'est à quelle adresse?

    _ Rue X, deuxième étage...

    _ Et il y a un digicode?

    _ Euh... Oui, je pense...

    _ Vous avez le code?

    _ Non...

    _ Ah! mais si vous n'avez pas le code, on ne peut pas entrer!

    _ Les fenêtres sont ouvertes; ils braillent, ils sont sur le balcon, vous pouvez les héler!

    _ Eh, mais ils pourraient refuser d'ouvrir... et on ne pourrait rien faire... C'est la loi, monsieur!

    _ Ben, vous pouvez tout de même essayer, car, ici, c'est insupportable!

    _ (Nouveau soupir) Et vous vous habitez à quel étage?

    _ Mais, moi, j'habite la maison d'à côté!

    _ Ah! vous n'habitez pas le même bâtiment?

    _ Non...

    _ Et vous êtes dérangé?

   _ Oui...

    _ Bon, bon, écoutez, pour l'instant, la patrouille n'est pas disponible... Mais dès qu'elle pourra, elle interviendra...

    _ D'accord...

    _ N'hésitez pas à nous rappelez, si ça s'arrête, hein?

    _ Je crois que je vais aller me suicider..."

    Deux jours plus tard, on sonne à notre porte: ce sont deux employés du gaz, venus voir notre compteur et les canalisations, car ils vont bientôt tout changer! Ils viennent après l'eau et l'électricité! Ils sont là, satisfaits d'eux-mêmes, comme s'ils étaient une évidence, l'image même du progrès; alors qu'ils ne font que nous déranger!

    Ils veulent installer notre compteur dehors et nous leur disons qu'il sera cassé... "Mais pourquoi donc?" s'écrient-ils, ébahis! "Parce que chaque samedi soir, par ici, on boit, on s'abrutit, on vandalise, on agresse!" répondons-nous, en nous demandant si nous ne parlons pas à deux créatures sorties tout droit du monde de Candy! Et effectivement, dans la tête de ces employés, il s'agit d'une mise aux normes; afin que tout soit parfait, que chacun se salue avec harmonie dans la rue, comme dans une publicité pour le gaz; avec un slogan du genre: "Agissons tous ensemble aujourd'hui, pour le monde de demain!"; comme si on ne se piétinait pas, ne se détruisait pas; comme si le désespoir ne hantait pas les hommes ou que la saleté n'existait pas! Ils travaillent pour un décor, un rêve, aux couleurs d'un couchant, loin du béton misérable de nos villes! Ils sont aveugles, pantins de leurs peurs et de leur pauvre amour-propre! 

    La semaine précédente, nous étions pourtant en vadrouille, dans quelque petit port, pour de nouvelles photos, que vous pouvez d'ailleurs découvrir dans les Dernières photos! Nous étions encore une fois dans un gîte d'étape, bien tranquille à cette époque-ci! Nous revenions d'une séance, avec notre appareil, et nous regardions notre travail dans notre chambre, à l'étage, quand nous entendîmes ouvrir la porte en bas! Cela voulait dire que nous allions avoir de la compagnie, pour la soirée et la nuit, et nous fîmes la grimace, car rarement nous rencontrons quelqu'un d'intéressant... Mais, il fallait tout de même se présenter et nous descendîmes... La propriétaire des gîtes était là, pour l'installation du nouveau venu, quand elle s'écria, en nous voyant: "Ah! mais vous êtes là! Tout paraissait si tranquille...et puis nous sommes en plein milieu de l'après-midi!"

    Un moment, nous avons cru entendre notre mère, qui nous reprochait de rester enfermé! Nous n'avons rien répondu... Nous avons passé l'âge de rendre des comptes! Cela veut dire que nous acceptons d'être incompris et d'ailleurs, bien que la pluie tombât dix minutes plus tard, la propriétaire n'aura fait aucun lien entre notre présence et le changement du temps! Elle aussi ne voit qu'elle, ou presque!

    Cependant, on me désigna celle qui devait partager ma soirée... C'était une jeune femme, qui me donna d'emblée son prénom; ainsi que nous aurions été dans une réunion d'alcooliques, ou dans une série américaine, avec des personnages tous positifs! Mais cela voulait aussi dire que cette femme se sentait légèrement supérieure, en montrant qu'elle connaissait des usages modernes et dynamiques; alors qu'elle parlait peut-être à quelque demeuré du coin, à quelque névrosé, qui aurait eu du mal lui-même à épeler son prénom!

    Mais peut-être encore voulait-elle ainsi prendre quelque distance avec le monde extérieur, car une extraversion, un peu excessive, permet paradoxalement de ne pas s'exposer, de rester en retrait... et il est vrai que quelque chose clocha assez vite à mes yeux... Cette jeune femme n'était pas belle et on ne voyait absolument rien de son corps... Or, si l'homme domine par la force physique, la femme, c'est par la séduction! Comme celle-ci était totalement absente, cette femme devait dominer dans un monde entièrement à elle, commandé par elle, car si elle avait rencontré la réalité, elle aurait essayé de pallier ses défauts ou ses complexes! On eût vu son embarras et ses efforts!

    Nous fûmes convaincu à ce sujet un peu plus tard... Nous dûmes en effet expliquer le fonctionnement du gîte et la jeune femme nous regardait avec un visage anxieux, comme si elle avait du mal à nous entendre et que nous avions un problème d'élocution, bien que nous fussions parfaitement clair et patient! Cette manière d'être est courante chez certains et c'est aussi une forme de mépris: d'emblée, on vous fragilise! On suggère que vous n'êtes pas capable de répondre ou alors que vous allez dire une énormité!

    D'autre part, mes explications ne recevaient aucun assentiment... Elles en restaient donc suspectes, toujours tributaires du jugement de l'autre, de la jeune femme, qui par là, loin de remercier, ce qui aurait été normal, pouvait ainsi garder une position de supériorité, de chef... C'est elle qui dominait... et sans être gênée par son manque de beauté! Elle vivait donc bien dans un monde qui n'était réglé que par ses sentiments, que par ses liens affectifs, comme un tissu sous la peau, qui n'a pas de contact avec l'air extérieur!  

    Le résultat fut assez surprenant... Comme le soir tombait, la jeune femme, qui s'était absentée, rentra en coup de vent! "Mais il n'y a pas de wifi, ici? s'exclama-t-elle! J'ai oublié de demander ça tout à l'heure! Y a un numéro où on peut joindre la propriétaire?"

    Il y en avait bien un en effet, mais je ne voulus pas le donner... Il est pour les urgences, pas pour une question de wifi... Au reste, cette femme l'aurait découvert, si elle avait pris un peu le temps de regarder autour d'elle, d'ouvrir les yeux sur le gîte... mais c'était quasiment la panique: il fallait la wifi, la connexion avec les proches, car la réalité, la différence, toute l'étrangeté de la vie frappait à la porte, avec le soir, la solitude, le silence!

    Tant d'énervement nous fit hausser les épaules et nous rejoignîmes notre chambre, mais il nous fut impossible d'y être tranquille, car la jeune femme, à côté, appelait sans doute son fils, avec son portable. Nous entendîmes qu'elle était dans un gîte "pourri", alors que quelques heures plus tôt elle nous avait affirmé avec force, comme si nous avions été faible, que tout ce qui comptait c'était d'avoir un lit pour la nuit! Les illusions qu'elle se faisait sur son comportement ne se comptaient plus!

    Elle était pourtant consciente de la nuisance que produisait sa conversation, puisque soudain elle baissa la voix..., probablement pour dire qu'elle était affublée d'un drôle d'individu, une sorte d'attardé... Cependant, nous nous décidâmes à utiliser nos boules Quies, même ici, dans ce gîte au bord de la mer et que bercent les flots, à l'écart du trafic des rues... Puis vint un grand bruit: quelque chose tombait lourdement dans l'escalier... et on claqua la porte d'entrée, de sorte que les murs en tremblèrent!

    Notre jeune femme était-elle repartie faire un tour? En tout cas, elle avait laissé allumer le couloir... Dans son monde, l'électricité est pour rien..., mais dans le nôtre, elle coûte et nous dûmes nous lever pour éteindre... Ce n'est qu'au matin que nous comprîmes qu'elle avait définitivement quitté le gîte... et que même la lampe de l'entrée avait fonctionné toute la nuit!

    Où était allée cette femme? On l'imagine rejoindre un hôtel F1, retrouvant tout l'équipement moderne de son univers  et racontant à son fils comment elle vient d'échapper à un incroyable cauchemar! Elle aurait pu toutefois évoluer..., se demander si la nouveauté de la situation ne pouvait pas lui servir, si elle n'avait pas intérêt à s'en accommoder!

    Elle aurait pu se montrer curieuse..., écouter le vent, la pluie sur le toit... Elle aurait pu saisir le temps autrement, se laisser imprégner un tant soit peu par un autre rythme... Une autre elle-même serait alors apparue; celle qui a peur, qui est toute petite, qui ne sait pas, qui voudrait savoir, se libérer aussi! 

    Mais c'est l'épouvante qui a gagné! C'est la domination! C'est l'orgueil, l'égoïsme! Que connaît-elle, cette femme, à part ses appétits? Sait-elle que le plumage des pies mêle le noir à l'émeraude? A-t-elle déjà contemplé les pétales des glycines danser dans le vent?

    Il existe un tel abîme entre la plupart des hommes et la beauté, entre eux et ce qui n'est pas leur nombril, que nous ne pouvons pas ne pas trembler et douter! Leur monde est fermé par la haine, car ils rejettent tout ce qui menace leur domination! C'est la nuit et ils ne s'en doutent même pas! 

 
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