Du tyran cardiaque

  • Le 25/11/2018
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Du cardiaque

 

 

 

 

    Poursuivons notre galerie de portraits, non pour clouer tel individu au pilori, mais bien pour aller au-delà des apparences, toucher au tuf, à l'essentiel, à ce qui est le plus vrai en nous, à notre logique fondamentale; car sinon nous entendrons toujours les mêmes faux-semblant, du genre: " Il faut bien vivre!", "C'est la faute des émigrés, de l'Europe, du gouvernement, etc.!"

    Ne nous y trompons pas, même le mouvement des gilets jaunes, que nous ne condamnons pas, est d'abord motivé par l'amour-propre des manifestants! C'est bien le sentiment d'être méprisés, d'être pris pour des vaches à lait, d'être vus comme des moins que rien, qui pousse les gens à sortir de chez eux, pour barricader des routes! Le manque d'argent, la difficulté pour "joindre les deux bouts" reste encore secondaire, mais jette inévitablement de l'huile sur le feu, quand ce n'est pas la goutte qui fait déborder le vase!

    D'ailleurs, le mouvement est comme la boîte de Pandore: tous ceux qui veulent restaurer ou faire émerger leur personnalité, même de la manière la plus violente, profitent de l'occasion, et nous voyons donc du racisme, de l'homophobie ou des casseurs! Tant que notre égoïsme ne sera pas dénoncé, tant que nous ne le verrons pas en plein, tant qu'il ne sera pas constamment dans notre viseur, il n'y aura pas d'évolution, de véritable progrès, mais subsisteront toujours les mêmes situations apparemment inextricables, les mêmes naïvetés qui voient la solution dans un changement politique, le même aveuglement, car bien des gilets jaunes seraient bien incapables de dire ce qu'ils veulent (comme en 68!) Surtout encore, cette violence, cette envie de détruire de certains continuera de paraître avoir un but, comme celui de l'anarchie; alors qu'on pourrait montrer précisément que c'est l'individualité qui veut triompher, en se mesurant à l'autorité, en la défiant et en la combattant! Là où le drapeau noir flotte, c'est seulement le nombril qui crie! Et dès lors il serait possible de mettre en évidence le ridicule et la bassesse des violents (mais on en est loin, bien entendu!)!

    Encore une fois, un autre monde est possible, qui serait voisin du paradis; à condition que nous ayons les yeux ouverts, que nous comprenions ce qui est en jeu! Et ceux qui perdent patience, ou qui se sentent perdus, peuvent aussi se dire qu'ils ont l'"Eternité devant eux"! Ce message, quand il devient clair, est tout de suite apaisant et donne une joie sans bornes! Fi des inquiétudes à l'instant!

    Mais place à B qui est bouquiniste! A priori, c'est un beau métier, même s'il a pris un "sacré coup de vieux" et qu'il ne fait plus rêver, notamment bien sûr à cause des nouvelles technologies, qui entraînent que les gens lisent moins! Il fut un temps où le livre était le principal média! Et l'image vidéo est en culottes courtes à côté!

    Mais B, comme tout bouquiniste qui se respecte, est dans son magasin tel un pied dans une pantoufle, ou telle une souris chez un fromager! Il y a ses habitudes, il y est comme chez lui; c'est son univers, qu'il a créé et qu'il contrôle!

    Entre deux clients, et il peut n'en passer aucun pendant des heures! B lit tranquillement, s'ennuie un peu peut-être, quoiqu'il puisse suivre un match sur son portable, et en tout cas, nul n'est là pour le presser et encore moins pour le menacer! B devrait donc être un modèle de sérénité, une sorte de Bouddha indulgent, habité d'une paix qui serait le résultat d'un long et patient travail intérieur; ainsi que le passeur du Siddhârta d'Herman Hesse!

    Nous parlons au conditionnel, car la réalité est tout à fait différente: B est hypertendu! Oui, vous avez bien entendu: B, au milieu de ses livres, qui semblent pourtant des temples endormis, B est rongé par l'inquiétude, miné par l'anxiété! Il parle, il s'excite, puis brusquement il se tait, à l'écoute... de son cœur! ainsi que celui-ci serait un étranger, une autre personne l'habitant et qui parlerait une langue différente!

    B vit dans la hantise de la crise cardiaque, du foudroiement, qui ferait qu'on n'a plus de prises sur les choses, qu'on est enlevé tel un fétu de paille, qu'on est emporté comme le capitaine au passage de la lame! C'est la terreur de ne plus contrôler, de ne plus être, la terreur de la mort!  B est donc au chevet de son cœur, il le promène dans son magasin, il le surveille et en a les traits creusés et le teint cireux! On a de la peine pour B, qui voit tous ses instants, toutes ses joies, tôt ou tard empoisonnés!

    Son état, cependant, révèle une grande fragilité... Il faut que la dépression soit très profonde pour qu'on se sente obligé d'aider son cœur, qui est normalement un organe qui fonctionne tout seul et dont on ne soucie guère! Il faut que la personnalité soit emboutie, comme la carrosserie d'un véhicule accidenté! Il faut que la conscience de soi soit quasi inexistante et ainsi naissent les phobies, la peur de s'échapper à soi-même, ce qui conduirait à se déshabiller en public, à crier dans une bibliothèque ou à sauter d'un pont sans intention suicidaire, mais parce qu'on est devenu incapable d'affronter le vide et qu'on n'a pas plus de densité qu'une plume! Ainsi naissent l'agoraphobie ou la claustrophobie, pour ne citer qu'elles et qui germent sur les individualités défaillantes! Car un homme qui va de l'avant, qui a des projets, de l'espérance; qui est animé par son plaisir, qui rêve, qui aime la vie; celui-là ne pense plus à son cœur; il ne fait qu'un avec son désir; son amour-propre est sa chaudière; la locomotive est lancée et les peurs psychiques deviennent incompréhensibles, absurdes, si tant est qu'un jour on y a été sensible!

    Comment B en est-il arrivé là? Ici, une fois n'est pas coutume, nous allons faire plaisir aux psychologues, en démontrant que la fragilité de B vient de traumatismes anciens, mais nous enchaînerons très vite avec la véritable solution, qui ne relève pas d'une psychothérapie; car, aussi curieux que cela puisse paraître, deux individus peuvent souffrir du même mal psychique, tandis que l'un est gentil et l'autre méchant; tandis que l'un peut se suicider tristement et sans bruit dans une chambre d'hôtel, tandis que l'autre écrase son avion, tuant tous les passagers! La guérison d'un névrosé ou d'un psychotique ne dépend donc pas de son histoire, mais du fait qu'il est un tyran ou non!

    Cependant, pour l'instant, B a trouvé une origine à son trouble qui le rassure: son père lui-même fait de l'hypertension; le problème serait ainsi génétique! Fort de cette connaissance, B est allé voir son médecin, qui lui a prescrit des médicaments... Le diagnostique a bien identifié une pression artérielle anormale et sans doute que le traitement aura son effet et du moins il tranquillise B; mais on est loin par là de toucher à la racine et même à la tige de ce qui nous préoccupe... Qu'est-ce qui a détérioré l'équilibre de B, qui l'a rendu dépressif, qui a empêché ses bases, ses fondations?

    Récapitulons les faits... Faisons monter de la brasserie Dauphine des sandwichs et de la bière, car la nuit va être longue, d'autant qu'il pleut lourdement sur les toits de Paris! Bourrons notre pipe en songeant à B, à son milieu, à son enfance... Revoyons-le gamin, vibrant, déjà sensible, mais dans un foyer modeste, sans beaucoup d'éducation... et sans doute rustre et même peut-être brutal, à l'égard d'un être qui, par sa finesse, sa délicatesse, s'y sent tel un étranger! C'est l'intelligence qui fleurit parmi les ronces et qui éprouvera la solitude, qui sera contrainte de se renfermer, de dissimuler, qui adoptera un langage, des pratiques, qui fera la rude malgré elle!

    B sera toujours sur ses gardes et l'est encore! Dès qu'un client passe derrière lui, B est mal à l'aise, il doit se retourner, comme si on pouvait lui mettre la main aux fesses, ou plus exactement lui "tomber dessus"; et nul doute qu'on a dû malmener B enfant, qu'on l'a fait marcher à la baguette, sans même s'en rendre compte, parce qu'on avait un rythme, des devoirs et des envies que tout le monde devait respecter! Egalement, la délicatesse de B le faisait sans doute craintif et on s'en est inquiété, on a essayé de lutter contre! Mais le père a d'abord été soldat, puis bouquiniste... et le fils suivra exactement le même chemin! Il devient fourrier dans la Marine, loin de l'action et des armes et il raconte sans gêne combien il avait peur, lors de sa ronde la nuit, quand sur le navire on était quasiment au niveau de l'eau noire, qui menait sa danse endiablée!

    Puis, le père partant à la retraite, B lui a racheté son fonds et s'est retrouvé lui aussi dans cet univers des livres bien tranquille! D'ailleurs, son rayon pornographique y a fait recette... Encore aujourd'hui, des habitués viennent chaque semaine chercher des revues ou des films, pour se masturber chez eux! C'est bien cela, non?

    Mais, entre-temps, B n'a pas soigné ses angoisses, ses peurs et pire elles n'ont fait qu'empirer! Rappelons que le tyran ne trouve son équilibre que par la domination, que parce qu'il impose sa personnalité... et de ce côté-là B a diminué comme une bougie! D'abord, sa femme a un salaire, bien plus important que ses revenus... et avec le temps, B a pris les vraies mesures de sa "boîte à chaussures"; ses ambitions ont fondu comme neige au soleil et il a aussi dû éprouver maintes humiliations de la part des clients; les uns le méprisant à cause de la modestie de son métier; les autres tenant à se montrer supérieurs, pour être revigorés, ce que B a sans doute accepté en se courbant, face au bon acheteur! 

    Bref, B est devenu dépressif et inquiet; il s'est désagrégé au point de douter de son cœur et nous voilà à notre point de départ! Et c'est ici l'aiguillage! Le sage dans le même état a cherché la vérité, la réalité, les lois de la sagesse... et il en ressort gagnant! Le sol sur lequel il pose désormais le pied est solide, ferme; et le sage peut arrêter de "nager"; il ne court plus le risque de se noyer!

    Le tyran au contraire n'a pas compris son erreur! Il mise toujours sur sa domination, comme si elle n'était pas déjà défaillante, comme si elle n'entraînait pas déjà vers le fond! Le tyran ne prend pas conscience de son impasse... Au contraire, il en rajoute! Il estime que si la première couche est inefficace, il en faut une deuxième! que si l'amour-propre n'est pas satisfait, c'est qu'il doit demander plus, prendre plus; alors que la "machine" tourne déjà à vide, qu'elle puise dans le sable! Mais ainsi B est insupportable! Et ses manières pour blesser sont innombrables!

    Par exemple, B coupe la parole; sous-entendu que ce qu'il va dire est plus intéressant! Quand on parle, B regarde au-delà de nous, comme si la conversation l'ennuyait, comme si derrière se passait quelque chose de préoccupant... et on finit même par se taire et se retourner! Tout est bon pour B pour de nouveau être le centre d'intérêt, pour retenir l'attention! Notamment, il garde le silence, si depuis quelque temps on exprime une idée... Un être humain normal répondrait oui, oui, ferait signe qu'au moins il a compris, mais pas B, il laisse planer un doute: a-t-on dit quelque énormité? quelque chose dépourvu de sens? N'est-on pas fou? Ne le voit-on pas?

   B est tellement préoccupé par sa personne qu'il en vient plusieurs fois à raconter sa vie, des anecdotes que l'on connaît par cœur, qu'il répète inlassablement et qui le mettent toujours en valeur! Toute la pauvreté, la fermeture de B apparaît ici au grand jour, sans qu'il s'en doute, car on pourrait lui décrire des situations qu'on a soi-même vécues et qui le plongeraient dans l'ahurissement! Mais à quoi bon frapper une planche pourrie, un être débile?

    Pourtant, B sait se montrer lucide, pertinent et donc attachant! Il n'est pas dupe des uns ni des autres; il n'est jamais trompé (ou presque!) par l'actualité; il voit clairement les enjeux, les vices, les risques, mais tout cela est gâché rapidement par la tyrannie de son égoïsme! Pour expliquer certains événements, B invente bientôt des complots, des manœuvres appartenant à la science-fiction, car l'apparente froideur de la réalité l'écarte de son égotisme!

    De même B hait les personnalités qui réussissent, puisque, d'une manière ou d'un autre, c'est encore de l'intérêt en moins pour sa personne! B refuse encore d'apprendre, car se pencher sur l'histoire d'un tel, c'est avoir l'impression de délaisser la sienne! Ainsi, B, qui est pourtant passionné par la seconde guerre mondiale, n'a jamais lu les Mémoires du général de Gaulle, qui est un ouvrage capital sur cette époque! B se prive ainsi d'un nombre incroyable de connaissances, qui pourraient lui être utiles!

    B, en véritable tyran, fait tourner le monde autour de lui et c'est pourquoi il ne le voit pas vraiment! Il ressemble à un homme escaladant un poteau glissant: sitôt qu'il a gagné quelques centimètres, il retombe plus bas! Il faudrait faire un pas de côté..., que B se sente fier de lui, non parce qu'il se trouve supérieur, unique, mais parce qu'il a compris quelque chose, une loi, un phénomène, une logique qui régit les hommes, les caractères; parce qu'il a pénétré un peu plus avant le domaine de la sagesse!

    Son équilibre serait alors sûr, certain; il ne serait pas dépendant des autres et de la tyrannie qu'on peut exercer sur eux! B serait alors maître de lui-même et oublierait son cœur! Il serait libre et se reposerait, ferait reculer la dépression... et serait même conduit à la vraie joie, celle qui n'est pas momentanée, mais qui peut être renouvelée sans cesse, puisqu'elle appartient à un triomphe infini!

    Mais allez expliquer à B que, pour son sauvetage, il doit d'abord "la mettre en veilleuse", se contenter d'écouter, afin de respecter réellement les autres et de découvrir enfin le monde extérieur; alors qu'il saute sur le moindre morceau qui brille, comme si c'était la lampe d'Aladin et que le génie allait combler tous ses vœux! B sera sans doute victime d'une crise cardiaque, mais alors il mourra d'une ombre!

 
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