Du rocher

  • Le 22/09/2018
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Du rocher

 

 

 

 

    "Que d'agitation! que d'agitation dehors!" pourrait-on dire, pour singer Mac-Mahon! De nouveau rugissent les voitures et s'il existait un paradis qui leur était destiné, elles présenteraient à son entrée toutes sortes de souffrances! Certaines refuseraient absolument d'avancer davantage, leur tristesse étant incommensurable! D'autres sursauteraient au moindre bruit: "Vous avez entendu?

    _ Non...

    _ J'ai eu l'impression qu'on commandait mon ouverture et qu'on allait m'étrangler avec la clé de contact!

    _ Voyons, reprenez-vous..."

    D'autres encore seraient figées dans une éternelle grimace, qui les ferait ressembler grossièrement à un jet! N'oublions pas non plus les grises toussotant, moribondes, victimes du tabagisme passif!

    Mais l'énervement n'est pas seulement limité au trafic, on le retrouve aussi par exemple chez les étudiants, dont c'est la rentrée! Pour beaucoup, c'est l'occasion de boire et de faire la fête, comme on dit... et pourtant cela se passe toujours de la même manière, qui est profondément décevante!

    D'abord, c'est l'euphorie, causée par les premiers verres... On est volubile, tout scintille, tout paraît possible: on a des ailes de géant! On respire enfin! Envolées toute la lourdeur du quotidien, ses restrictions, ses angoisses qu'on ne comprend même pas!

    Mais l'effet de l'alcool se dissipe... Qu'à cela ne tienne! On "remet" ça, on reprend une nouvelle dose! alors qu'on sait déjà qu'on est ivre et qu'on n'a plus le contrôle de soi! Le bonheur disparaît, le froid revient... Au milieu de la nuit, on erre, on braille, on devient agressif, on fait peur! Puis, on se couche inconscient...

    Ce n'est pas grave: la semaine suivante ou même quelques jours après, on sera de nouveau le roi ou la reine du monde! On jacassera encore le verre à la main! Le rêve nous fera des yeux doux! La liberté gonflera nos voiles! C'est Icare au bar, qui malgré tout jette sa gourme!

    Mais c'est encore la rentrée de la télévision et du monde littéraire! qui sont forcément liés, pour des raisons de promotion, parce que des "écrivains" sont aussi chroniqueurs et vice versa; et parce qu'enfin ce sont les idées, la culture et les personnalités qui sont apparemment au pinacle!

   Mais dans cette sphère que de hargne, de férocité, de mesquinerie, de bassesse! On s'y blesse cruellement! L'amour-propre suffoque, gémit, mord à son tour, s'épuise, désespère, puis disparaît! Seuls les morts y survivent! Et pourtant cela fascine et paraît symboliser la vraie réussite: la célébrité ne confirme-t-elle pas notre valeur, n'apaise-t-elle pas notre soif douloureuse d'être, de dominer; ne rend-elle pas l'existence scintillante; ne suscite-elle pas notre jalousie?

    L'anonymat n'est-il pas au contraire la nuit, et même la province? Car au fond tout ne se passe-t-il pas à Paris? Toute l'histoire de notre pays ne s'est-elle pas créée dans la capitale? La cour et son faste; la révolution et sa violence; la Commune et ses fusillés; la République et ses débats parlementaires! Ceux qui y vivent ne sentent-ils pas cette énergie, n'en sont-ils pas fiers?

    Certains règlent le problème en haïssant Paris, mais ce n'est pas la solution... et à mesure que l'automne s'installe et que nos forces, telle la sève, refluent, notre rayonnement lui aussi diminue et nos projets s'échappent! Le doute alors nous pénètre et le trouble nous envahit! Nous tournons en rond... Un rien nous impatiente! Notre colère est là et nous fait bouillir! Notre équilibre est menacé!

    D'abord, en faisons-nous assez? Apparemment non, puisque rien ne bouge! que tout est toujours pareil! les mêmes murs, les mêmes revenus, les mêmes limites, les mêmes voisins, les mêmes nuisances, les mêmes soucis, les mêmes questionnements, sans fin! On est Jérémie sous le ciel gris!

    On sait bien que cela n'est pas vrai... En fait, beaucoup de choses ont eu lieu en nous et autour; on s'est transformé avec la force du printemps et durant la belle saison! On a dit certaines vérités, on a pris du volume, on a grandi, on a vieilli aussi... On a appris et on n'est plus le même, cela ne fait aucun doute, mais qu'importe, notre amour-propre souffre de nouveau!

    On a l'impression d'être laissé-pour-compte! d'autant qu'on le voit, c'est la médiocrité qui est récompensée! C'est elle qu'on entend, qu'on écoute, qui est saluée! Comment prendre au sérieux des émissions comme ONPC, SLT ou TPMP! Comment peut-on donner de l'intelligence à des crocodiles ou à des perruches! On ferait mieux assurément!  

    Mais justement, ne devrait-on pas se battre plus, s'engager plus? Les célébrités, les hommes politiques, les acteurs de leur temps, tous n'ont-ils pas au moins le mérite d'être entrés dans l'arène? Ne luttent-ils pas? Ne se défendent-ils pas? Echanger des coups, n'est-ce pas difficile, courageux? Rester muet, n'est-ce pas la solution de facilité? Prendre part au "débat" de son époque, n'est pas ce qu'il y a de plus riche, de plus utile?

    Si déjà on était présent sur les réseaux sociaux! si on pouvait y être comme un moineau sur sa branche, en train de piailler! On serait ouvert, actif, épanoui, vivant! Mais on est renfermé, hésitant, lourd... On se soupçonne d'être peureux, timoré... On se voit méprisable et ne reçoit-on pas ce qu'on mérite? Si on se sent prisonnier, c'est qu'on n'a pas la force de s'échapper!

    Alors, c'est décidé: on part pour Paris! On a fait sa valise et on va leur montrer! On va voir qui est qui et qui fait quoi! On connaît quelques prises, quelques coups! On a déjà vécu quelques situation chaudes, on n'est pas le premier venu! Le meilleur de nous-mêmes est prêt! On sera à la hauteur! Ceux qui sont restés au pays pourront être fiers de nous!

    Mais on ne se doute pas de la nature de notre adversaire! A la première occasion d'en découdre, on se retrouve mystérieusement au tapis! On est sonné! On se remet péniblement debout et on frappe fort, mais dans le vide! En face, c'est l'art de l'esquive au suprême degré! On ne comprend pas et on s'acharne, mais c'est en vain: "l'autre" nous glisse entre les doigts et de nouveau il nous martèle la tête!

    Il vaut mieux abandonner et ce n'est que bien plus tard, à l'hôpital, que tout s'éclaire! On ne peut pas lutter contre l'hypocrisie! Elle n'est pas dans notre dimension! Elle fonctionne comme un mirage! Elle est inaccessible, car elle nie ses sentiments, sa réalité! Elle les nie même de toutes ses forces, car il en va de tout son équilibre, de toute sa santé mentale! Confondre l'hypocrisie, c'est mettre le vampire orgueil face au soleil! C'est jouer les icebergs pour le Titanic!

    Ce n'est que parce qu'elle se ment à elle-même que l'hypocrisie existe! Elle est dans son monde! Par exemple, l'hypocrisie ne prend pas de plaisir; elle ne veut pas le pouvoir, elle n'est pas orgueilleuse, ni égoïste! (Elle ne sait même pas ce que c'est!) L'hypocrisie est encore désintéressée, au service, que dis-je! est esclave de l'intelligence!

    Elle est modérée, toute petite, laborieuse; elle ne veut rien sinon la justice, pour les plus pauvres, est-ce haïssable, méprisable, condamnable? Si on l'écoutait, elle s'éteindrait comme une bougie... et on aurait honte d'être un souffle!

    L'hypocrisie ne connaît pas la haine, elle ne saurait s'abaisser à ce point! et pourtant elle tue, méprise, piétine, détruit! C'est la modestie qui assassine! Et d'incroyables lutteurs ont renoncé à la vaincre, tel Jésus notamment! Ou si on veut, on ne peut pas lui faire entendre raison, sans l'exterminer et ce n'est pas le but, n'est-ce pas? Il n'est pas possible d 'être absolument gagnant, à moins d'être un radical ou un extrémiste!

    Or, l'un des grands mensonges du monde médiatique, c'est de faire croire, volontairement ou non, qu'il est heureux, enviable! Réussir, c'est a priori dominer et il faut donc des sujets... et des miroirs! Il s'agit de susciter l'admiration et même la jalousie! Mais ne nous y trompons pas, la situation de ces gens est empoisonnée et ô combien mortelle! Car rien ne vaut la paix de l'esprit, même si elle paraît bien isolée et bien morne! Et ici commence la tactique si palpitante du rocher! 

    C'est un essai pour être pauvre, démuni, éteint, quasiment malheureux! On sonde l'abîme, au lieu de chercher le soleil! On attend... on attend les monstres, ils arrivent! Plus la société s'agite, s'irrite, s'emporte, se montre agressive, arrogante, bruyante, bavarde; plus on devient soi-même inerte, immobile, silencieux, dense, tel un rocher au milieu des vagues! Et on voit passer tous les courants!

    Cela n'y paraît pas, mais on s'ancre véritablement dans la tempête! et on devient un lutteur fantastique! Haïr sur un plateau, trouver un ennemi, c'est facile! Rester sourd à ses démons, à ses tentateurs; leur sourire même, c'est bien autre chose! C'est grand, c'est même immense et cela nourrit incomparablement!

    L'effort est juste de la patience! Tout le monde s'énerve, crie, veut partir, veut des mesures, des actions, que le film commence, que la star se déshabille! Et on reste serein, tranquille, amène, et pourtant les inquiétudes, les peurs, les angoisses frappent à la porte! Si on les écoutait, on prendrait ses jambes à son cou... ou bien on se marierait, avec le chien de la mariée sur le bras; on aurait plein d'amis et on jouerait les confidents, tard le soir, devant des liqueurs! Bref, on ne penserait plus!

    Il y a des peurs plus horribles que d'autres, notamment celles qui concernent la sécurité matérielle! Elles sont pleines de scrofules et vraiment repoussantes! Elles mendient une alarme, une grimace et même une ombre! Mais on leur dit qu'on n'a plus rien et on les repousse gentiment vers la sortie! Elles reviendront! Elles sont a priori inlassables et c'est pour cela qu'on se fortifie en se mesurant à elles!

    Les jours passent et toujours aucun bateau en vue! C'est-à-dire que nulle satisfaction ne vient réconforter notre amour-propre! On murmure, on grince, mais on tient bon! On aime la patience, car elle est le seuil de l'inconnu! Elle est un germe et en nous la nature, qui ne sait pas où se poser ailleurs, se repose, et nous aussi! Ce n'est que quand l'esprit est parfaitement détendu que la bonne idée surgit! Elle est aussi simple, aussi économe qu'efficace! La patience met au jour la nécessité!

    Cependant, on est de plus en plus pauvre... et l'amertume, la colère, l'envie affleurent! On est perdu! Cela devait arriver, à force d'être inactif! Pourtant, même à ce stade, on sait qu'on n'a pas perdu son temps! que la fleur va éclore, qu'on n'est nullement abandonné! au contraire! On est plein sans le savoir! On est riche, mais on l'ignore encore! Déjà notre regard a changé! La haine, ou la folie, notamment, nous montrent leur vrai visage; leurs mots sont inutiles; nous les reconnaissons sans masque!

    L'amour-propre est ce qui nous rassure; le sentiment d'avancer est ce qui nous conduit! Plus notre équilibre en dépend et plus nous avons besoin de satisfactions, de victoires; et plus nous sommes tyranniques, coléreux et durs! Nous sommes alors des fauves, qui doivent chaque jour tuer, dominer, exploiter! Et malheur à ceux qui se trouvent sur notre route!

    Plus on est patient et plus on accepte d'être petit, en apparence... Plus on devient maître de ses cauchemars et plus on devient doux avec les autres! On tâte l'épouvante, quand l'amour-propre disparaît! On devient solide comme un rocher! On s'amuse avec l'angoisse; on développe sa confiance! On hume l'éternité!

    Bien sûr, on voudrait un monde plus juste! être écouté, sentir davantage sa valeur, errer moins! Mais est-ce possible? Veut-on être le roi à la place du roi et être aussi bête et cruel que lui? Parler avec son égoïsme, c'est forcément toucher à l'infini! C'est regarder la mort et fréquenter les étoiles! C'est sentir toute son existence, c'est la peser!

    Pendant ce temps-là, le cheval fou de la haine entraîne ses cavaliers! S'ils sont bâtisseurs, c'est malgré eux! S'ils sont destructeurs, ce n'est toujours pas de leur faute! L'humanité a ses lois et grandit avec ses grappes d'aveugles! Et le vin est plus ou moins bon!

    Si le sage n'est pas heureux, c'est qu'il se trompe! Le tyran, lui, finit par dire que tout est vide! Il n'admire plus le ciel bleu et n'écoute plus la pluie, ni le vent! Le sage prévoyait cette amertume et ne la contredit pas; c'est trop tard! Elle est le sédiment de l'égoïsme et de l'hypocrisie!

 
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