De l'emprisonnement II

  • Le 14/11/2018
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De l empri ii

 

 

 

 

    Continuons notre tour d'horizon des tyrans; montrons encore que le monde n'est pas du tout ce qu'il voudrait nous faire croire! Expliquons pourquoi nous avons toujours l'impression que la situation va mal, qu'elle puisse être désespérante, et pourquoi nous pouvons être rongés par l'incompréhension, être fragilisés par elle, et comment s'établit alors entre nous et les autres une querelle profonde et qu'il ne serait possible de résoudre qu'à condition que nous parlons tous le même langage, ce qui demanderait aux tyrans de comprendre ce que nous allons dire ici, ce qui leur demanderait de se regarder totalement, en vue même de leur propre bonheur!

    B est boucher et son histoire est complexe! D'abord, tout lui sourit! C'est un enfant du pays; ses parents sont connus sur la place et son échoppe est très bien achalandée. On s'y presse et on y passe toutes ses commandes, y compris celles des fêtes! B est d'ailleurs travailleur et il ne déçoit pas : sa viande est d'excellente qualité!

    B est aussi un jouisseur et les signes de sa réussite sont visibles... On remarque sa moto, un bel engin, ou sa voiture luxueuse, qui allie la performance à l'élégance! A ceux qui sont jaloux, B rétorque que chacun fait ses choix et que pour sa part il n'habite pas une maison! Bref, B est célibataire et en a les plaisirs!

    Tout va tellement bien pour B qu'il songe à prendre une autre dimension... Il quitte son échoppe pour un magasin plus grand, dans un tout autre secteur de la ville, et il étend son activité à celle du traiteur. Il prend encore un apprenti, mais assez vite, c'est la déception: on ne fait pas le chiffre espéré; la clientèle n'est pas au rendez-vous! Que s'est-il passé?

    Apparemment pour B, il est victime d'une trahison, son apprenti l'aurait trompé, et même peut-être escroqué! C'est une sombre histoire, qu'il est difficile de démêler, mais qui fait dire à B qu'on ne l'y reprendra plus! Pourtant, B semble retenir la mauvaise leçon, car la réalité est souvent bien plus difficile à accepter; mais ne serait-il pas plus exact et plus profitable de penser que B n'a pas su s'adapter à son nouveau milieu, que dans l'ancien il profitait de ses racines, et qu'il n'a pas su séduire une population qui a priori le considérait comme un étranger?

    Ainsi, des animateurs vedettes à la télévision triomphent, changent d'émission comme si le succès allait forcément les accompagner, et ils se retrouvent bientôt sans audience, accumulant les fours, prenant l'étiquette de perdants et ne rêvant plus peut-être que de revenir aux origines, à la situation qui leur allait si bien et qui les glorifiait! Et c'est encore le cas de B, il veut retrouver son ancienne échoppe et la sécurité que celle-ci lui donnait! Et ce sera possible pour B!

    En effet, le boucher, qui a racheté son échoppe, accepte de remplacer B là où lui-même a échoué! C'est un tour de passe-passe inespéré et revoilà B dans ses murs! Mais le charme est rompu! La clientèle s'est sentie trahie et elle se fait rare! D'autre part, B n'est plus le même; il est à bout de souffle, il n'arrive plus à être prêt à l'heure; son étal est encore vide alors que se présentent les premiers acheteurs! B est cachée dans une petite cuisine, dans laquelle il essaye de récupérer... La santé de B est altérée et continue de se dégrader!

    B ne s'est toujours pas remis de son aventure! Ce qui au fond est normal, car celle-ci a dû être fortement éprouvante, et maintenant B sert parfois avec les mains qui tremblent, signalant les ravages du stress! L'avenir de B est clair; la dépression est là, puissante, sourde et déjà destructrice! Si B ne se repose pas, il ne pourra plus assurer son travail; la fatigue et l'angoisse le vaincront! Plus il va se débattre et se faire violence et plus le mal refermera sur lui ses mâchoires! C'est comme au judo: il faut plier pour faire passer son adversaire et en être soulagé!

    On pourrait donc plaindre B et le regarder avec un l'œil d'un journaliste de Capital ou de Forbes, comme un entrepreneur qui a malheureusement perdu, un audacieux qui mérite tout le respect et qu'on espère voir rebondir! On verrait ainsi les choses à la surface, comme si on patinait sur les consciences, avec un joli bonnet et dans l'attente du coup de foudre, car des attitudes infiniment plus sombres apparaissent chez B!

    Quand il remarque près de son échoppe un individu à l'aise, tranquille et qui semble donc dominant, B le regarde de haut en bas, comme s'il l'évaluait, le jaugeait, en ne tardant pas à montrer tout son dégoût, son mépris! C'est évidemment une manière de reprendre le dessus, de se montrer supérieur à l'autre, en lui faisant imaginer par exemple que le détail qui cloche, ce sont les chaussures, ce qui implique qu'on regarde vers le bas, qu'on incline la tête, comme si on abdiquait!

    Cependant, l'autre n'a pas cherché à supplanter B, ce qui aurait été une preuve de faiblesse, dont B aurait sûrement profité... Il a juste ignoré B, parce que le boucher n'était pas sur son chemin, voilà tout! Mais B, comme la plupart des tyrans, ne trouve son équilibre que dans la domination et donc le monde doit tourner autour de lui et même la paix en dehors de sa personne lui semble insupportable! Il la combat pour être de nouveau le centre d'intérêt! On voit par là combien les tyrans, qui sont la majorité, rappelons-le, empoisonnent le monde!

    Tout cela montre à quel point B a soif de dominer, est attaché à son amour-propre, combien il est esclave de son égoïsme et comment il est prêt à faire le mal! Notamment, il n'hésite à pas à dénigrer celui qu'il remplace et qui lui a pourtant en quelque sorte sauvé la mise! Ce dernier, d'après B, prendrait trop de vacances, ferait murmurer les gens, la clientèle et ce serait donc mauvais pour le commerce, comme si B s'inquiétait du sort d'un concurrent! Mais c'est encore là une manière de répandre son venin, en se donnant l'absolution!

    Le mal est inévitable chez les tyrans! La soif de pouvoir, jamais assouvie, se traduit par des coups de dents à droite, à gauche: on rabaisse le monde pour s'élever au-dessus de lui! C'est une façon de se donner de l'air, de se rafraîchir, car les choses ne vont jamais assez vite pour ceux qui brûlent de parader, de triompher! Le mépris est sans doute l'arme favorite des tyrans: il blesse en un éclair et permet de ne pas s'exposer! Il n'engage pas physiquement et peut toujours être nié! La victime n'a-t-elle pas été le jouet d'une illusion, n'est-elle pas un tantinet paranoïaque?

     C'est enfin une arme très efficace: le mépris agit comme un mur psychique; il dévalue dans une dimension quasi invisible et qui empêche une réelle défense; il suscite la haine, mais dilue la révolte! Il mine, il éreinte, il fatigue sans en avoir l'air, surtout quand il s'accumule! Il perturbe, il désoriente et il finit par détruire, comme nous allons le voir plus loin!

    Mais revenons à B... Un autre boucher prend trop de vacances? Mais B devrait s'en inspirer, vu son état! N'est-ce pas inquiétant de trembler des mains, quand on sert un client? Ne sent-on pas dans ces conditions combien on peut être épuisé? Les larmes ne viennent-elles pas souvent aux yeux? N'est-on pas parfois submergé par le chagrin, la solitude? Ne voudrait-on pas que ça cesse? Ne rêve-t-on pas du bonheur, de l'apaisement, de la joie? Ne voit-on pas cela comme un Eldorado oublié, une chose maintenant inaccessible? Qui pourrait nous aider, quand la vie ne paraît qu'un long tunnel noir, dépourvu de sortie?

    Mais B est chevillé à son orgueil, il est prisonnier de ses ambitions, il est conduit par sa vanité; c'est le dominant qui réclame son dû! Ainsi, B est incapable de prendre du recul, d'avoir du détachement et de se voir tel qu'il est! Nul doute qu'il attribue désormais ses souffrances à une cause médicale et on pourrait effectivement le soulager pour une part grâce à des médicaments, mais, comme nous le voyons, son trouble est produit par une logique issue du règne animal, qui nous conduit dans une impasse et que tout un chacun peut comprendre... En fait, le sens de ce que nous disons se trouve déjà dans d'autres messages, dans l'Evangile notamment, mais ici nous utilisons des mots et des connaissances d'aujourd'hui: nous parlons d'Evolution, d'individualisation et non plus de péchés ou du diable!

    Mais de même que B est aveugle sur son cas, il lui est impossible de prendre les mesures à sa guérison! Il lui faudrait pourtant travailler moins, réduire son offre à une plus grande simplicité et non, sous le joug de l'inquiétude et dans le but de reconquérir une clientèle, peiner à rajouter à la tâche du boucher celle du traiteur! Se représente-t-on un homme seul commander et détailler ses quartiers de viande et en même temps se consacrer à la préparation minutieuse de certains plats! Il y a là de quoi achever n'importe qui!

    Cependant, consentir à un allègement pour B serait reconnaître au moins l'échec de son aventure précédente, qu'il attribue, pour sauver son orgueil, à une trahison de son apprenti! Ce serait pour B lire dans les yeux des autres qu'il a échoué, perdu, qu'il s'est trompé, et qu'il en paye encore aujourd'hui le prix! L'amour-propre, la soif de dominer de B, qui va jusqu'à mépriser le moindre quidam qui lui fait ombrage, l'empêche de s'abaisser, d'être simple, modeste, humble, respectueux, doux, curieux!

    De même encore, pour accepter de gagner moins, afin de se préserver, B devrait sans doute rouler dans une voiture plus banale et diminuer les signes extérieurs de sa réussite ou de sa richesse! Mais est-ce possible, quand l'équilibre du tyran repose justement sur le paraître, sur l'impression qu'il fait aux autres, sur le sentiment de leur être supérieur? Agir autrement, n'est-ce pas remettre en question toute sa vie, se trouver devant un abîme? Combien alors ne reculent pas devant la peur? Et puis c'est si facile de haïr, de jalouser et de vouloir détruire quand ça ne va pas! Tout plutôt que de demander la solution!

    Pourtant, B est parfois ironique quant à sa personne, ce qui est un signe d'intelligence et de lucidité... Les effets de la dépression se font aussi sentir... et il est toujours étrange de voir un tyran se déconsidérer complètement: c'est comme la lune qui fait face au soleil! Peut-être qu'entre ces deux contraires, à force, B pourrait-il trouver une sorte d'équilibre, mais nous en doutons, car dès que B va mieux, il en profite pour essayer de supplanter son interlocuteur, quitte à le faire passer pour un demeuré! B est comme un malade qui refuse d'admettre son mal et qui ne veut pas changer ses mauvaises habitudes! Ainsi sa voiture luxueuse trône toujours non loin de l'échoppe, pour prévenir les gueux d'alentour qu'ici il y a quelqu'un d'important; mais, pour celui qui sait, c'est plutôt comme les couleurs d'un navire qui coule!

    Toujours est-il qu'on peut déjà concevoir quel problème pose au sage ce monde! Le tyran vit au quotidien en cherchant à imposer sa personne et il lui faut donc des dominés, qui sont très vite des victimes! Le sage fait forcément partie de celles-ci, surtout quand il est jeune, car son manque d'agressivité, sa douceur, sa bonne volonté ne sont pas des obstacles aux coups du tyran; bien au contraire et il n'est rare d'en faire un pâtiras!

    Ainsi le sage est blessé sans raison! Ce n'est pas une de ses fautes qui lui vaut sa souffrance! Mais s'il cherche des explications, s'il demande justice, il se retrouve devant des gens qui se ferment, qui fuient, qui gardent le silence, comme si le sage n'avait rien dit, comme si son propos était incohérent, comme s'il était fou! Car, comme on l'a vu à travers l'exemple de B, le tyran n'avoue jamais ses sentiments ou ses envies, par peur de se diminuer, de déchoir, parce que son orgueil le lui interdit! Autrement dit, la nuit évite la lumière!

    Mais l'incompréhension peut alors habiter longtemps le sage, qui en vient à se considérer tel le seul perdu, tandis qu'autour s'affairent les tyrans, apparemment le plus tranquillement du monde! Le sage désorienté s'enfonce dans le doute et mange son pain noir! La solitude qu'il éprouve, les traumatismes qu'il a subis l'entraînent dans les régions dangereuses de la dépression; là où des sirènes ou des sentiments de culpabilité poussent à se blesser encore plus, à se détruire! Tout cela parce que le tyran fait le mal, pour ne pas sentir son angoisse!

    Mais le sage malade peut encore croire aux remèdes de la société, qui lui disent que la solution est en lui et qu'une thérapie la fera émerger! Mais le sage aura beau s'allonger sur tous les divans du monde, ou se livrer docilement au moins mauvais des thérapeutes, il ne pourra jamais effacer ce qu'il comprend, ce qu'il voit, et on devrait maintenant se rendre compte que d'essayer d'attribuer sa névrose à une quelconque sexualité refoulée, ou à un complexe particulier, est du plus grand ridicule! Les psychanalystes et autres psys devraient avoir honte, mais combien d'entre eux ne sont pas des tyrans qui s'ignorent? Il faudrait pourtant entrer dans la cour des grands!

    S'il appartient tout de même au sage de se pacifier, afin de prendre sa véritable dimension, ce n'est pas à lui de changer, mais c'est le tyran et donc toute la société qui doit évoluer! On ne peut pas se servir des autres, pour donner un sens à sa vie! On ne peut pas meurtrir impunément, encore faut-il prendre conscience de sa vilenie et qu'on blesse! Et c'est sans doute là le rôle du sage...

    La réaction de sa sensibilité plus fine est un avertisseur, que le tyran peut nier pourtant, jusqu'à la fracture, jusqu'à l'obstination la plus complète, jusqu'à mourir plein de dureté! Le sage, lui, termine avec son pain blanc!

 
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