De l'ambiance

  • Le 08/09/2018
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De l ambiance

 

 

 

 

    Comme chaque année, à la même époque, et je crois que c'était l'objet d'une de mes premières chroniques, on est assailli par des sirènes d'ambulance, au point que cela devient tel un acouphène horrible, une plainte lamentable, le cri de la souffrance d'une ville ou d'une époque!

    Inutile de dire que ce phénomène ne concerne pas uniquement les blessés, les victimes des accidents, c'est toute la société qui en pâtit, car bien entendu les secours, les soins ont un coût et même s'il est normal que les assurances jouent leur rôle, cette "hécatombe" ne laisse pas de grever le budget national!

    Il est donc essentiel de comprendre pourquoi il en est ainsi et la première raison, que j'ai déjà évoquée, c'est le changement de saison et en l'occurrence la baisse des températures! Au plus profond de nous, celle-ci suscite un sentiment d'insécurité, car elle est synonyme de la fin des récoltes et elle annonce la future arrivée de l'hiver, c'est-à-dire la rareté de la nourriture! Même si aujourd'hui nos frigos restent pleins, nous ne pouvons pas empêcher notre inquiétude de ressurgir et de nous rendre nerveux... Que l'on songe à l'apaisement que produit un beau soleil de juillet!

    Mais cela prédispose et non détermine... Il y a d'autres facteurs bien plus importants et citons d'abord notre bonne volonté, car nous ne sommes pas tous mauvais évidemment! Mais beaucoup d'entre nous ont pris de bonnes habitudes cet été, notamment sportives, et on veut les faire durer! Cependant, même en nous, la nature a commencé son "repli" et nous n'avons plus les forces dont nous disposions naguère, si bien que la fatigue insidieusement nous mine déjà!

    Ah! Mais nous ne "lâcherons" pas! Ce n'est pas notre genre! Nous ferons l'effort... et c'est le corps qui cède! La blessure apparaît et quand on est jeune, ce n'est pas bien grave, on se répare vite, mais il en va tout autrement passé un certain âge! Des gens boitent et bientôt on verra des plâtres! C'est réglé comme du papier à musique et seule la patience permet d'éviter cela...

    Mais justement parlons de la patience, car ce qui produit aussi en ce moment notre nervosité, ce sont bien entendu nos plaisirs et il ne faudrait surtout pas les oublier ceux-là, sinon nous serions de fieffés coquins, s'pas!  Nous brûlons de faire telle chose, comme par exemple exhiber notre dernier achat vestimentaire, ce qui doit provoquer l'intérêt, voire la jalousie de tous! Mais même achever une corvée nous apporte un soulagement et donc une satisfaction, mais notre impatience est telle qu'elle tourne à la rage, à la maladresse et qu'elle peut nous envoyer dans le "décor" un peu plus loin! Il n'est donc pas exagéré de dire que nous rejoignons l'hôpital poussés par notre plaisir!

    Cependant, notre impatience a bien sûr à voir avec notre immaturité! Plus notre amour-propre est vif, gourmand et même vorace et plus inévitablement nous sommes sujets à l'irritation, la colère et même à la haine et au mépris! Dans ce cas, nous "écrasons", nous affolons le faible, qui ne tarde pas à rompre, à se briser... Il arrive même qu'il pleure, mais c'est la loi du plus fort, s'pas? Du moment que les brutes passent, c'est le principal! N'en a-t-il pas toujours été ainsi? Le tyran fait peur et on craint plus que tout son emportement, sa furie, sous les étoiles, quelque part dans la Voie lactée, dans l'Univers sans fin! ou bien par là, non loin du cimetière, où dorment tant d'autres coléreux ou peureux, la mâchoire saillante, comme s'ils rigolaient tout leur soûl!

    Frénésie du trafic, qui nous use, nous démolit! Agitation de gens qui ne savent vraiment ni qui ils sont, ni ce qu'ils font! Monde injustifié! Pourquoi ne pas regarder le ciel bleu et se demander si tout cela a un sens, si on peut être heureux? Encore faut-il déjà s'arrêter un peu, faire donc appel à sa patience, ne serait-ce qu'un tantinet! C'est ce que j'appelle un effort! Tout ce qui satisfait notre égoïsme, même soulever cent kilos en grimaçant, n'en est pas un! Mais, baste, celui qui prend le temps de dévider l'écheveau des lois qui nous gouvernent va de surprise en surprise, jusqu'à son triomphe final, sa joie infinie et dansante! Les autres ne quitteront pas leur vallée de misère et resteront commandés par la haine!

    Mais j'entends le pas d'une morte; un pas sec, claudicant, quasi métallique, lugubre en tout cas! C'est un spectre qui vient maintenant à nous... Qui est cette vieille décharnée, dont l'haleine pue à cent mètres? C'est l'hypocrisie! Elle habite l'immeuble d'en face! Chaque matin, elle part travailler! C'est son devoir, dont elle n'est même pas fière! Au contraire! L'hypocrisie sort comme un serpent menaçant! ou plutôt comme une troupe de la Gestapo!

    "Qui ne travaille pas?" demande l'hypocrisie. Son œil en colère sonde les façades, fouille les silhouettes! Elle essaye de dénicher les resquilleurs! les profiteurs! Si elle pouvait, elle installerait des contrôles, ferait des vérifications... Elle découvrirait le parasite, qui prendrait peur et qui s'enfuirait! Qu'à cela ne tienne! Les chiens sont dressés pour ça! On va le débusquer et le ramener le fuyard, à moins qu'il ne résiste trop et qu'on soit forcé de l'abattre! Parmi les fainéants, seuls ceux qui portent le sigle DE (demandeur d'emploi) peuvent aller à leur guise!

    Dans son intérieur, l'hypocrisie se raconte toujours la même histoire; elle est comme une vieille folle autour de son feu... Elle se plaint, elle gémit... Elle dit: "Ah! Si tout le monde pouvait travailler comme moi, j's'rais heureuse! Moi aussi, j'voudrais m'la couler douce! Moi aussi, j'voudrais prendre mon temps, rester buller comme on dit! Pour qui j'cotise? Pour qu'on m' méprise, oui! Chaque matin, par tous les temps, faut qu'j'aille! Personne me respecte! Ni au boulot, ni même ailleurs! Et pourtant y a qu' moi qui vaille la peine! Snif! Ah! Les gredins! Si je pouvais leur marcher d'ssus, sentir leurs viscères sortir et même gicler! Hi! Hi! J'en ai déjà l'eau à la bouche! Allez, faut aller se coucher... C'est pas tout d'rêver! D'main ça r'commence!"

    Un jour, Dieu fut fatigué d'entendre se plaindre l'hypocrisie et il alla frapper à sa porte. Dès qu'elle ouvrit, l'hypocrisie fut aveuglée par une lumière tellement éblouissante qu'elle ne put se tromper sur l'identité de son visiteur! "Seigneur! dit-elle en tremblant, si j'avais su, j'aurais fait les carreaux... et mon plaid affreux que je tiens encore dans la main!

    _ C'est égal, dit Dieu, viens avec moi!

    _ Mais pour aller où? Y a mon pot-au-feu qui mijote...

    _ On va chez le "profiteur" d'en face! Un ange va s'occuper du reste!

    _ Bon, bon..., mais peut-on se fier à un ange?"

    Sans répondre, Dieu prit l'hypocrisie dans sa clarté, en se pinçant tout de même le nez, et ils apparurent au-dessus d'un dormeur, car entre-temps la nuit était venue... Mais le dormeur était agité, il gémissait même!

    _ Oh! Là! là! Il n'a pas l'air bien! fit l'hypocrisie, et c'est...?

    _ C'est celui que tu hais chaque matin, parce qu'il reste "planqué", alors que toi, tu vas au boulot!

    _ Mais pourquoi il semble pleurer comme ça?

    _ Mais parce qu'il a peur! Depuis le départ, il a peur! Il est dans un monde qu'il ne comprend pas!

    _ Ah? Mais qu'est-ce qu'il ne comprend pas?

    _ Mais le mensonge! C'est-à-dire toi! Il est tout seul et il a dû grandir avec un profond sentiment d'insécurité! On dirait un combattant du Vietnam, tu trouves pas?

    _ Vous voulez dire qu'il est traumatisé..., mais c'est quand même pas à cause de moi! J'mens pas, moi! J'suis honnête, j'travaille, j'accomplis mon devoir, tandis que lui, y n'a que c'qu'il mérite!

    _ Ecoute, j'te propose un "deal"! Pendant un mois, j'te fais comme un coq en pâte! T'auras plus besoin d'aller bosser, j'arrange tout avec tes employeurs! T'auras tout l'argent qu'tu veux et t'auras tout ton temps à toi! D'acc?

    _ Vrai?

    _ Tope là!"

    L'hypocrisie commença ainsi une nouvelle existence! Elle chantonnait en revenant des magasins, elle achetait plein de choses, elle avait plein de projets! Elle prit son chien et décida d'aller se promener, d'aller respirer sa liberté! La chance n'avait-elle pas fini par lui sourire? Sur le trottoir, elle croisa un groupe qui s'amusait et le regarda d'un air mauvais... Elle pensa: "Si seulement ceux-là allaient bosser, étaient plus sérieux!" Puis, soudain, elle se figea: "Mais... mais je n'ai plus droit de parler comme ça, se dit-elle, puisque moi-même, désormais, je ne fais rien!"

    Sa haine était pourtant toujours là et elle se demandait pourquoi. "C'est parce que tu veux dominer! lui murmura Dieu dans l'oreille. C'est parce que tu veux être le maître, que tout le monde t'obéisse! Tu es le chef et les autres tes esclaves! Et tu hais ceux-là parce qu'ils t'échappent! Leur bonheur est une preuve de leur liberté! Et tu les veux assujettis, à ta botte! Ton mépris, ta colère, ton dégoût ne sont pas une question de bosser ou de ne pas bosser! C'est ton égoïsme qui souffre, qui détruit tout ce qui n'est lui, tout ce qui ne le valorise pas! qui détruit l'autre, simplement parce qu'il existe!

    C'est toi, ma vieille qui fait le monde dur, sans pitié! C'est toi qui fais hurler les sirènes, au secours des blessés! C'est toi qui remplis les hôpitaux! C'est toi qui uses, qui broies! C'est même toi qui désempares le sage, qui le ronges et qui le brises; le sage que j'aime tant! Car lui, il m'aime de toute son âme, de tout son cœur! Mais, toi, tu lui dis: "Porte ce sac là-bas, même s'il est lourd! car c'est la règle!" Et quand le sac est là-bas, tu lui dis encore: "Il y a d'autres sacs! Eh! eh! C'est ça, la vie! On rigole pas!" Alors que tu te dorlotes, tu te choies, tu t'adores! Toi et moi, on sait que tu n'as jamais porté de sacs!

    _ Chaque matin, je...

    _ Chaque matin, tu fais acte de présence, puis tu t'ennuies... C'est tout juste si tu ne te rendors pas! Et ce qui te rend malheureuse, c'est qu'on ne s'occupe pas de toi! A part ta personne, le reste ne vaut rien! Tu détestes comme tu respires!

    _ Mais vous m'avez inventée!

    _ Oui-da! On doit avoir le choix, même celui de mentir, sinon la conscience ne serait pas la conscience! Au fait, mon ange a raté ton pot-au-feu!

    _ Espèce de saligaud!"

    Ici, l'hypocrisie essaya d'attraper Dieu, mais il était déjà parti! "Et d'abord, tu n'existe pas!" cria-t-elle sous l'effet de la rage, puis elle se mit à pleurer! Elle voulait tellement être heureuse! Mais alors il eût fallu aimer l'autre, le considérer, se diminuer! Horreur! Plutôt mourir! Et l'hypocrisie retourna chez elle, gémissant sur son souper raté, regardant avec mépris les lumières qui brillaient dehors: autant de gens indifférents et paresseux!

    Le sage va sous le ciel bleu, léger, joyeux, car il sait! Il a l'éternité devant lui, pour lui! Elle est même déjà présente, l'éternité, car qu'est-ce qui pourrait troubler le sage? Il n'a pas faim, ni froid... Qu'est-ce qui pourrait le troubler? Il ne veut pas ceci ou cela, il est, c'est tout!

    Il étend les pieds, il bouge les jambes, il chantonne; il est en paix! On peut attaquer sa vie matérielle, essayer de lui empoisonner l'existence, c'est possible! Mais rien, ni personne ne pourra lui enlever ce qu'il sait, ce qu'il a appris; alors il est heureux! et même immortel! car le temps n'a plus de prise sur lui!

    Le sage refuse le monde du mensonge; il ne se laissera pas entraîner par lui! Car le sage connaît le monde et peut même le guérir! Mais l'inverse n'est pas vrai!

    Le sage est indépendant, il possède un véritable trésor, dont il jouit et qui grandit sans cesse! Le sage voit les malheureux et les plaint... Le sage voit les méchants et leur résiste!

    On peut tuer le sage et c'est même la seule manière, au fond, de lui enlever sa joie! "Le monde est fou sous le ciel bleu!" se dit le sage et il hausse les épaules. Là-haut, un nuage passe; là-bas de la lumière dore des feuilles... Le sage sait et s'en étonne, et cela le ravit!

    C'est un bonheur sans fin!

 
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