Les enfants Doms, Tome 2, (6-10)

  • Le 08/10/2022
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Dom27

 

 

 

 

                                                                             "Berthier n'a rien! Berthier n'a rien!"

                                                                                                            Coup de tête

 

                                6    

 

On raconte qu'il existe une citadelle de l'orgueil!

Elle se dresse sombre, dans le paysage, et frappe le voyageur!

Ses hauts murs silencieux paraissent inatteignables!

La citadelle est muette!

Qu'est-ce qui se passe à l'intérieur?

Nul ne le sait!

Apparemment, la citadelle n'est pas hostile...

On ne voit pas ses soldats sortir et faire la guerre!

Et pourtant...

Les alentours sont désolés!

Les arbres sont rabougris, torturés ou morts!

Les ruisseaux sont taris!

Ils disparaissent sous les ronces!

Où sont les fleurs, les papillons?

Le pays semble tenu par une main de fer!

Il devrait y régner l'ordre

Et pourtant...

Des vaches sont volées!

Des récoltes pillées!

Les paysans pleurent!

Mais à qui se plaindre?

La citadelle est muette!

Ses hauts murs semblent inatteignables!

Pourtant...

Il faut bien que le bétail soit quelque part!

Où sont les trésors, les bijoux, l'argent disparus?

On raconte que la nuit on voit d'étranges lueurs

S'échapper de la citadelle!

Que même des chants en sortent,

Pour celui qui écoute le silence et la brume!

On y fait ripaille dans la citadelle!

On s'y admire, sous l'éclat des lustres!

On y mange les meilleurs mets!

On s'y flatte avec le meilleur monde!

On s'y réjouit, on y triomphe!

Pourtant, pourtant...

La citadelle est muette!

Au matin, ses hauts murs paraissent inatteignables!

Quoi de plus austère, de plus sage, de plus digne?

Et pourtant...

Le paysage est désolé

Et les ruisseaux taris!

On dit que c'est la peur le bâtisseur!

D'où les hauts murs!

On voudrait plaindre...

Et pourtant...

 

                                                                                               7

 

    "Le vert, c'est le mien! affirma le petit garçon.

    _ Non, papa a dit que le vert était à tout le monde! répondit la petite fille.

    _ Alors, le rouge est à moi aussi!

    _ Non, le rouge est à moi!

    _ Le rouge est à tout le monde, comme le vert!

    _ Alors, donne-moi le vert!

    _ Donne-moi le rouge!

    _ Non, aïe! Tu m'as fait mal!

    _ Aïe! Tu n'as pas le droit de griffer!

    _ Et toi, de donner des coups!

    _ Ginguer! Toujours ginguer! fit le grand-père dans son coin!

    _ Qu'est-ce que ça veut dire "ginguer", grand-père?

    _ Cela veut dire: s'agiter, ne pas savoir rester tranquille!

    _ Mais il a pris le vert, expliqua la petite fille, et il dit que c'est à lui, alors que c'est à tout le monde!

    _ J'ai pris le vert, car elle a pris le rouge! répliqua le petit garçon.

    _ Vous me rappelez l'histoire de la planète des Agités!

    _ Ah! Voilà une histoire! Et après il me donnera le vert!

    _ Chic! Une histoire! Et après j'aurai le rouge!

    _ Pfff! Les enfants, vous êtes comme les Agités de ma planète! Ils se chamaillaient souvent, mais surtout ils s'inquiétaient tout le temps et ils s'agitaient, d'où leur nom!

    _ Mais qu'est-ce qu'ils faisaient, grand-père?

    _ Eh bien, essentiellement ils changeaient les choses! non parce qu'elles étaient mauvaises, mais parce qu'il en fallait toujours de nouvelles! Les Agités ne pouvaient pas rester tranquilles, car ils avaient peur!

    _ Mais peur de quoi?

    _ Ils ne le savaient pas eux-mêmes! C'était plus fort qu'eux! Ils devaient se mettre en mouvement, avoir plein de projets et ils appelaient ça travailler! Ils n'écoutaient pas le vent, ni la pluie! Ils ne saluaient pas la fleur, ni l'oiseau! Ils n'admiraient pas le nuage et ignoraient la beauté! Ils allaient vite, faisaient du bruit, parlaient encore plus et ils se demandaient pourquoi ils étaient fatigués!

    _ Quelle vie!

    _ Oui! Ah! Ah! Quelle vie! Le problème, les enfants, c'était qu'ils n'arrêtaient pas de construire et les villes n'en finissaient pas de s'étendre! Un jour, il n'y eut plus de place! La nature avait disparu, recouverte par les villes! Alors, la planète alla voir les Agités et leur dit: "Oh! Oh! Vous trouvez pas que ça suffit! Et moi, qu'est-ce que je fais là-dedans? Comment je peux respirer ou m'asseoir?"

    _ Hi! Hi!

    _ Les Agités répliquèrent: "On peut pas faire autrement! C'est nécessaire!" Ils ne dirent pas à la planète qu'ils avaient peur, les enfants, car ils étaient trop fiers! Mais alors la planète s'énerva et elle les mangea tout crus! d'un seul coup!

    _ C'était nécessaire, grand-père!

    _ Hi! Hi! Oui, exactement! Mais après vous auriez vu la joie des d'animaux et des plantes! Tout le monde chantait: "Il n'y a plus d'Agités et on va pouvoir danser et être heureux!"

    _ C'est une très jolie histoire, grand-père, et maintenant, il va me donner le vert!

    _ A condition que tu me donnes le rouge!

    _ Non!

    _ Si!

    _ Seigneur!" fit le grand-père.

 

                                                                                                8

 

    Un roi eut une fille! Elle était belle comme le soleil et ses yeux jetaient des étoiles! Tout le monde voulait la voir, l'admirer et même la posséder! Les prétendants étaient nombreux, mais la fille disait: "Je n'appartiens à personne! Et surtout pas aux riches et aux présomptueux!"

    Ces paroles fâchèrent le roi, car il aimait le pouvoir, le lustre et il voulait, à travers le mariage de sa fille, gagner en puissance et étendre son royaume! Il essaya de raisonner sa fille... Il lui demanda: "Pourquoi ne veux-tu pas faire plaisir à ton vieux père? Crois-tu qu'il ne désire pas ton bien, qu'il ne t'aime pas?"

    "J'ai du respect pour mon père, répliqua la fille, mais essaie-t-il vraiment de me comprendre, de me donner toute liberté? Ou bien veut-il au fond se servir de moi?" Cet échange frappa le père au cœur, car il se sentit deviné! Mais il ne put l'admettre et il se laissa envahir par la haine! "Puisque tu es une enfant méchante, en t'opposant à ton père, tu resteras enfermée dans tes appartements! Tu ne veux pas te marier, soit! Mais alors personne ne te verra!"

    Ainsi, la princesse devint prisonnière, mais sa beauté était telle qu'elle ne pouvait se languir! Il fallait qu'elle rayonnât parmi les hommes et elle se transforma en oiseau et s'échappa! On vint en informer le roi! On lui raconta qu'un oiseau multicolore saisissait les passants au marché et qu'il avait les traits de la princesse! On captura l'oiseau et présenté au roi, il redevint sa fille!

    Le roi était dans une colère noire, devant l'indépendance de sa fille! Elle insultait sa puissance et il conçut un projet des plus sombres! Il fit construire un labyrinthe et y plaça sa fille! Seule une vieille servante connaissait le chemin qui menait à elle et lui apportait ses repas! Mais la princesse vivait entre des murs, éclairée par des torches et sa beauté était comme une source, qui avait besoin de couler!

    Elle prit donc la forme d'un rat, qui suivit la servante et elle retrouva l'air libre et le soleil, là où elle était chez elle! Des nomades rapportèrent qu'ils avaient croisé une jeune fille d'une très grande beauté, qu'ils en avaient été subjugués, d'autant qu'elle se présentait sous les habits d'une pauvre paysanne! Le roi fulmina et sa fureur ne connut plus de bornes! Encore une fois, il se voyait trompé, impuissant!

    On lui ramena pourtant sa fille, mais cette fois-ci il décida de la défigurer! Un bourreau détruisit à jamais le visage de la princesse et elle fut laissée libre, car désormais elle provoquait le dégoût, la répulsion! On la fuyait dès qu'elle arrivait, car sa balafre ou sa grimace était terrifiante! Plus personne ne cherchait les faveurs de la jeune fille et elle ne voyait que mépris pour sa personne!

    Elle chercha donc les solitudes! Elle aimait les pierres, le vent et le silence! Elle n'y éprouvait plus sa laideur et parfois un berger ou une gardienne de vaches lui donnaient du pain! Puis, le temps passa et la Mort vint s'asseoir auprès du roi! "Alors comment vas-tu? lui demanda-t-elle.

    _ Mal évidemment, puisque je te vois!"

    La Mort soupira et reprit: "Tu connais maintenant la vanité des choses! Le monde s'écoule comme du sable dans un sablier... Ton royaume n'est déjà plus! Et la nuit vient..., la peur aussi! Tu te rappelles, ta fille! Tu te rappelles comment elle était belle! C'était un vrai soleil, tu te rappelles! Elle éclairait tes pas de toute sa beauté! Tu te rappelles!

    _ Oui, dit le roi en pleurant!

    _ Ne voudrais-tu pas l'avoir avec toi en ce moment? Mais tu l'as défigurée! Te rappelles-tu au moins son prénom? 

    _ Euh... Elle s'appelait...

    _ Tsss, tsss! Déjà ton cerveau s'obscurcit! Je vais te rafraîchir la mémoire! Ta fille s'appelait Vérité!" 

                   

                                                                                                  9

 

    La reine Sarma s'admirait dans son Narcisse! Elle se filmait, se "scannait" sous toutes les coutures et avec complaisance! Elle faisait quelques grimaces, pour observer le gonflement de sa peau et pour de nouveau se trouver belle, par contraste! Elle était satisfaite des résultats de la chirurgie esthétique et elle acceptait d'être appelée une Numérique, car de ressembler à des créatures, nées de la technologie, lui semblait un gage de perfection et d'immortalité!

    D'ailleurs, dans la Tour du Pouvoir, la reine Sarma avait peu à peu imposé l'idée que les Numériques, les enfants Doms qui avaient eu recours à la chirurgie esthétique, étaient supérieurs aux autres, constituaient une élite! Il fallait avoir été "retouché", transformé, rectifié pour appartenir au meilleur monde, être à la page, moderne! La pauvre fille, timide, avec ses boutons, son nez en trompette, sa poitrine invisible ou ses cheveux sans éclat, avait disparu, n'existait plus!

    La réussite était à ce prix! Si on voulait faire envie, être le point de mire et influencer, avoir la puissance, on se devait d'apparaître telle une icône, une sorte d'étoile figée, artificielle, comme si la nature était honteuse! Le procédé n'était pas nouveau, car de tout temps les femmes avaient eu recours au maquillage et le plus souvent d'une façon exagérée! N'était-ce pas au fond pour cacher un manque de confiance en soi, puisqu'on se présentait telle une autre, comme sous un masque?

    D'ailleurs, certaines femmes plus mûres, défigurées par la chirurgie esthétique, n'en étaient pas si mécontentes que cela, car ainsi jamais elles ne montreraient les effets du temps sur leur personne, ce qui n'a rien d'anodin, car la vieillesse révèle nos sentiments, en les faisant apparaître sur le visage! Tel pli amer, au coin de la bouche, signale notre égoïsme, notre avidité ou notre frustration! On a beau être enveloppé par l'aura de la réussite, on peut laisser voir au contraire qu'on n'est pas heureux et donc qu'on ment, qu'on n'est pas du tout ce qu'on prétend être!

    Le visage saccagé par le bistouri concentre l'attention sur le drame qu'il constitue et fait plaindre son propriétaire, mais surtout il "immortalise" la réussite de la star, quoiqu'elle ait été victime d'un coup dur! On est prêt à tout pour ne pas se voir comme un perdant, un raté, une âme petite! Le mensonge commande le gâchis! Mais, pour l'instant, les Numériques, la reine Sarma en tête, étaient jeunes et ils se croyaient admirables et des modèles! C'était parce que leurs yeux ne quittaient pas le monde du numérique et qu'ils y puisaient toutes leurs références!

    La peur imposait la domination, qui elle-même enfermait l'individu comme derrière les murs d'une citadelle! On se dressait contre tout ce qui n'était pas soi! On rejetait la différence, les vents du dehors, tout ce qui n'obéissait pas aux codes qu'on s'était donnés! Il ne serait pas venue à l'idée de la reine Sarma qu'elle ressemblait à une poupée couturée, ce que pourtant elle était! Toute l'horreur qu'elle pouvait représenter lui était étrangère, car elle ne considérait que ses seuls critères! Elle était ainsi prête à devenir dangereuse, à l'égard de tout regard qui l'aurait inquiétée, dans lequel elle se serait vue différemment, laide et même monstrueuse! La haine et la violence étaient nécessaires à la sécurité des enfants Doms, tant leur univers était spécialisé, limité!

    La reine Sarma ignorait tout de la nature, elle était éminemment citadine et c'est pourquoi la planète "crevait"! Le culte de soi, pour échapper à la peur, la détruisait! 

 

                                                                                                10

 

    Cariou rêvait... Il marchait sur une grève et n'entendait que le vent et la rumeur de la mer! Là-bas, elle était invisible, derrière une barrière de rochers, mais elle n'en continuait pas moins à s'agiter, à heurter le récif, révélant sa force monstrueuse, comme si à marée basse elle ne faisait que ronger son frein!

    Le sol était constitué par des millions de monticules, laissés par les vers marins et de l'eau restait dans les creux! On n'était pas vraiment sur le rivage, mais dans une zone intermédiaire appelé l'estran! Les oiseaux venaient s'y nourrir, avec de petits cris plaintifs et quand ils s'envolaient, éclatait leur plumage, telles des étoiles blanches et noires!

    Le ciel se reflétait ici et là, avec son immensité et sa lumière vive, ce qui rajoutait à la sauvagerie, à la magie du lieu, d'autant que le goémon transformait les rochers en vieilles sorcières! Cariou baignait dans une beauté pure et avait oublié le monde des hommes! Le vent froissait du cristal, les algues dansaient, un échassier râlait ou du sable blond brûlait sous l'orage et l'esprit de Cariou était dans une sorte de torpeur, due au ravissement!

    Mais il fallut bien se réveiller et s'habiller! Cariou contempla son appartement sombre et le compara à un trou à rat! Certes, le fondateur de l'OCED avait un toit et il y avait pire, mais dans quoi il vivait, par rapport à la lumière de son rêve et qui existait peut-être encore quelque part? "Comment pouvons-nous nous traiter ainsi?" songea Cariou. Mais le problème, c'était que la plupart n'y voyait aucun inconvénient! Au contraire, ils étaient inquiets dès qu'il n'y avait plus de murs ou de bruits!

    "RAM, cité du nombril!" se dit encore Cariou. Car c'était bien la domination qui était toujours en cause! Tant que nous voulons nous flatter, que peuvent nous faire la grandeur et la splendeur de la nature? Celle-ci ne nous intéresse pas et même nous gêne! d'où nos trous à rat! Cariou soupira et sortit! Mais dès qu'il fut dehors, il se retrouva agressé!

    Deux grosses guêpes foncèrent sur lui et le harcelèrent! "Si tu donnes pas, nous te piquerons!" disait l'une! "Donne pour le Sauvetage! Donne aux sœurs Com!" criait l'autre!

    _ Mais qu'est-ce que ça veut dire? répliqua Cariou! Vous pouvez pas me foutre la paix?

    _ Collecte des sœurs Com! Pour le Sauvetage! C'est beau! C'est grand et nécessaire!

    _ Si t'es en danger, dans la mer par exemple! Tu s'ras bien content de voir les sauveteurs! Alors tu donnes!

    _ Tu donnes aux sœurs Com!

    _ Aux sœurs Com?

    _ Ouais, c'est nous! On est dans la Com!

    _ Et vous êtes sœurs?

    _ Tout comme! Hi! Hi!

    _ Seulement, je donne pas, quand on me pousse!

    _ Ouh! Le vilain!"

    Les deux jeunes femmes étaient habillées par des cirés jaunes, rayés de noir et elles avaient des ailes mécaniques, qui vrombissaient! Soudain, elles attrapèrent Cariou au collet, ni plus ni moins! Il avait le cou pris dans un noeud et plus il se débattait et plus ça serrait!

    "Mais vous êtes folles! cria Cariou.

    _ Pas molles, tu veux dire! Tu donnes aux sœurs Com, sinon couic!

    _ Tu donnes pour le Sauvetage! C'est grand, c'est noble et nécessaire! sinon la honte!"

    Cariou se demanda s'il n'allait pas utiliser son LAL, mais elles étaient jeunes et encore pleines d'illusions! Il décida de leur imposer un autre monde que le leur, un monde plus paisible et plus vrai, à l'écart de leur égoïsme, plus près de la nature!

    Cariou utilisa son rêve et tout le grand souffle de l'estran transforma la rue! Ce fut comme si un coin d'éternité avait été planté dans le cœur du stress! Les deux sœurs furent balayées par l'éclat de la lumière et laissèrent là leur garrot! Le temps de la domination est ridicule par rapport à celui de la beauté!

    Cariou se libéra et constata encore une fois qu'on allait vers le pire!

 
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