Les enfants Doms, T2, (80-84)

  • Le 14/01/2023
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Doms40

 

 

 

     "Un, deux, trois coups! ça, c'est le Vieux!"

                                    Le Crabe tambour

 

                  TROISIEME PARTIE

               LE BROUILLARD

 

              80 

    Deux nuages parlent autour d'une chope de bière... L'un essuie la mousse qui lui couvre la bouche et dit: "Tu sais c' que j'aime le plus? C'est le grain, le gros grain du temps de traîne!

    _ Je vois ça! fait l'autre. Attends... Il fait froid... En tout cas, c'est bien venteux... Tu te dresses... Tu prends des proportions gigantesques!

    _ Voilà! On est immense! Et les couleurs! On la tête chenue, le ventre noir! Tout ça dans un mélange de bleu dû à la nuit, encore là, et de rose, car le soleil se lève, pour un nouveau jour!

    _ Oui, quelle fête! Et attention: autorisation de lâcher les bombes! La pluie, la grêle! En une minute un vrai déluge! J' t'avoue que je me laisse aller! J' pisse sans vergogne!    

    _ Mais t'aurais tort de t' gêner! La fureur est telle à c' moment-là qu'une chatte n'y reconnaîtrait pas ses p'tits! Hi Hi! Quand j' pense à nos promenades par beau temps! Hein? Quand on avance sagement dans l'aaazzzzuuuuur!

    _ Moi, c'est bien simple, dans ces conditions,  j' dors! J' me trouve un couloir en retrait..., où personne n'ira m' chercher! Par exemple au d'ssus de la mer... et ronron, zzz!

    _ C'est tout de même mieux que la dépression... Monter lentement sur l'air froid, ça m' dégoûte! La position du stratus, c'est pas mon truc! J' trouve ça mou, pas sain! Et puis on s' colle peu à peu les uns aux autres! On devient indistinct... C'est angoissant à la fin!

    _ Tu veux parler du fameux "Mur gris", hein? A l'horizon, y a plus aucune visibilité! C'est vrai qu' c'est un peu lent et qu'on est tous ensemble! Mais, oh! Hein? La puissance, mec, la puissance! "Nul n'en réchappera!", tu connais la chanson!

    _ Bien sûr! On s'abat sur la ville et on la met en apnée! Y a pas! L'union fait la force!

    _ L'oignon fait la force, tu veux dire! Car je pleure, je pleure sur ces pauvres gens, sans discontinuer! Je pleure de rire, bien entendu! Oh! Mes larmes de crocodile!   

    _ Eh! Serveur! La même! Ouais, la mer verte, frangée d'écume! les grosses vagues au bord, les bateaux qui dansent! Et ces misérables oiseaux qui en profitent! Ces salopards de goélands qui glissent comme des virtuoses!

    _ Qu'est-ce que tu veux, c'est leur spécialité! De vraies lames de rasoir, grâce au vent!

    _ A propos de vent, un truc que j'aime bien, toujours avec le grain, c'est prendre un promeneur entre quatre yeux!

    _ Tu veux parler des gugus qui sortent en tee-shirt de leur autociel?

    _ Tout juste! A ceux-là, j' crie: "Tu sais pas qui j' suis! J' suis l' général Vent! J' vais t' pomper l'air, tellement que tu vas m' d'mander pitié! J' vais t' soûler à mort!

    _ Ah! Ah! j' vois ça d'ici! Et j' parie que tu gueules pendant des heures! "Attention à ton bonnet! Voilà c' que j' fais de ton parapluie! de la charpie! Tu mouftes encore?"

    _ J' les abrutis, comme c'est pas permis!

    _ Et les bras avec de la chair de poule, ils regagnent vite fait leur véhicule!  

    _ Tu parles: y sont paumés ces jeunes! Personne ne leur braille d'ssus comme moi!

    _ Y z'ont toujours un faible pour les noces du soleil couchant!

    _ Mon dieu quel cirque, c'est ça! Y faut qu'on soit beau! Quelle prépa! Les broderies d'or, le manteau de pourpre, la tiare orange, etc.!

    _ Un grand classique! auquel tu n'es pas complètement insensible, pas vrai?

    _ Mouais, ça manque pas d' grandeur! Mais j' préfère les taches rouges du matin!

    _ C'est ton côté sanglant!

    _ Bah, y a des incarnats à l'aube, de pures merveilles! Une dernière?

    _ Ben, chais pas! Là, je sens que j'ai déjà envie de pleuvoir!

    _ Pour parler des éclairs? du style cumulo? de notre dernière enclume?

    _ Si tu m' prends par les sentiments..."

                                                                                                                81

    Dépression ouvrit un œil, se pencha dans son lit, pour tendre la main vers sa montre: "Trois heures! C'est pas vrai!" s'écria-t-il, avant de retomber lourdement sur son matelas! C'était un petit homme moustachu et il venait encore de se réveiller en pleine nuit! Parfois, sa montre indiquait deux heures ou quatre, quoiqu'il préférât cinq heures, car alors il n'y avait plus qu'à attendre le lever normal, entre six et sept!

    Mais de toute façon Dépression dormait mal et il se demanda encore pourquoi... Un dîner trop lourd? La banane du soir? Dépression eut un pâle sourire: dans le temps, on disait que ce fruit donnait des cauchemars! C'était à une époque où on croyait que les libellules étaient aveugles et qu'elles crevaient les yeux! Depuis, on avait appris que l'Univers avait quatorze milliards d'années, sans comprendre encore pourquoi la matière avait "triomphé" du vide!    

    Mais des cauchemars, Dépression en avait et il se débattait péniblement avec eux, ce qui le laissait épuisé! Insomniaque et victime de cauchemars: le compte de Dépression était bon et son espérance de vie, selon la science, en diminuait d'autant! Comment lutter contre le stress? Mais en indiquant combien il est inquiétant, néfaste! La médecine n'avait honte de rien! De nouveau, Dépression fut livré à lui-même et il sut qu'il devait se débrouiller seul! De nouveau, il regarda en lui-même, à la recherche d'une solution pour moins souffrir!

    Sans doute avait-il peur, mais de quoi? Il était anxieux, cela était certain! Son estomac lui faisait mal et il lui arrivait d'avoir des crampes, même au lit, où il aurait dû sourire comme un bienheureux, après une rude journée de travail! Mais ce n'était pas le cas... Ah oui, il faisait partie de ces natures nerveuses, qui exagéraient leurs maux et auxquelles il manquait de l'exercice! Après, tout rentrerait dans l'ordre! Car les autres étaient plus équilibrés et ne se tourmentaient pas autant!

    La solution était simple! Un peu d'air frais! Décidément, la médecine n'avait honte de rien! Et si... et si Dépression refoulait sa vraie personnalité sexuelle, autrement dit son homosexualité! Il considéra une énième fois la chose, car il ne fallait rien négliger! Celui qui souffre examine chaque pierre du chemin! Il n'est pas comme ces types qui passent, rayonnants de santé! Il ne croit plus depuis bien longtemps qu'il existe des sommets glorieux, mais qu'on vit plutôt dans le maquis! Mais bon, Dépression se vit changer de préférence sexuelle et poussa un profond soupir: comme si le problème résidait là! Est-ce qu'on vit dans une boîte à chaussures?

    Mais il est vrai que Dépression était seul! Et s'il était marié, avec des enfants et un travail régulier? Il n'aurait pas le choix, il serait plein d'obligations et alors il se troublerait moins, car il n'en aurait pas le temps! Il serait par monts et par vaux! Il affirmerait plein de choses! Appuyé par sa femme, il ferait part de ses haines! Il ferait tourner le monde autour de lui! C'est l'avantage du tourbillon: il rend aveugle!

    Mais pourquoi Dépression était-il seul? Narcissisme? Il manquait de convivialité! Il n'était pas sympa! Il devait se montrer plus ouvert, avenant! Désormais, il aurait le sourire et il saluerait et les uns et les autres! Il ferait de la gym dans un club et rirait aux plaisanteries! Voilà, il faisait encore son procès! S'il était malheureux, c'était de sa faute! Heureusement qu'il n'avait pas de famille, il aurait ennuyé tout le monde!

    Dépression avala sa salive... Il avait peur, mais de quoi? Il considéra rapidement l'actualité... Rimar, dans sa guerre contre la Kuranie, tuait des enfants rien que par orgueil! Il ne voulait pas reconnaître son erreur et les bombes continuaient de pleuvoir! Dépression serra les poings! Une immense colère l'envahit! Mais il y avait aussi mauvais! D'autres ailleurs mettaient à mort des individus parce qu'ils avaient insulté Dieu! On utilisait le Dieu d'amour comme un bourreau! Dépression eut envie de hurler!

    Quoi d'autre dans le pays? Des inquiétudes, des inquiétudes, des manifestations, des colères, des revendications! "Les imbéciles! songea Dépression. Que ne donnent-ils un sens à leur vie? Ce n'est pas au gouvernement de le faire! Si le souci, c'est l'argent ou la sécurité matérielle, c'est impossible de trouver la paix! On ne veut pas voir que c'est de la reconnaissance qu'on demande! Seul le respect prouve qu'on existe et donne confiance!"

    "Bien, j'ai avancé... se dit Dépression! Cinq heures! Je suis sur la bonne voie! J' vois le bout! Mais alors qui me respecte moi? Pourquoi ne suis-pas tranquille? Mais comme le monde moderne est vide! Que disaient les penseurs à l'origine de ce monde? Ah oui, qu'il fallait accepter sa vie telle qu'elle était! sans Dieu, sans qualités extraordinaires, sans soif d'infini, etc.! Mais pourquoi ces hommes nous ont soûlés avec leurs messages? Parce qu'ils ont été incapables de vivre, sans attirer l'attention sur eux! De vraies stars de cinéma! Non, décidément, il va falloir que je me débrouille tout seul!"

    Et l'estomac de Dépression se crispa encore une fois!

                                                                                                    82

    Atermoiement est une belle blonde, mais qui n'a pas confiance en elle, de sorte qu'elle se demande toujours ce qu'elle doit faire! Elle est chez elle, nerveuse, et elle inspecte son intérieur, comme si une menace pesait instamment sur ses épaules! Elle doit sortir, mais il ne s'agirait pas que, durant son absence, un incendie se déclare! Elle s'imagine revenir de ses courses, découvrant les pompiers s'affairant autour des ruines fumantes de son appartement! Elle ne le supporterait pas, elle n'en aurait pas les forces!

    Atermoiement le sait, elle est fragile psychologiquement! Est-ce qu'elle a bien éteint la lumière ici? Bien sûr, mais elle va quand même vérifier! C'est fatigant, mais Atermoiement ne peut pas s'y soustraire: elle obéit à une angoisse! Elle doit s'assurer qu'elle ne commet pas d'erreurs, pour être soulagée! Il y a un nom pour ça... Une obsession! Voilà, Atermoiement est victime d'obsessions! Elle est obsessionnelle et peut-être même compulsive! "Tant qu'à faire! se dit-elle. Au point où j'en suis, autant charger la brouette!" "Voici mon corps livré pour vous...", murmure-t-elle encore, avec un petit sourire triste.    

    Ses amies la morigènent! Elle ne fonce pas assez! Elle réfléchit trop! Elle manque de mordant! Il faut saisir sa chance! La "grosse pomme" est là! "Ouais, ouais, répond Atermoiement. Moi, aussi, je lis les revues féminines! La mode, prendre soin de soi, dresser les mecs, se valoriser, utiliser le sexe... J'en oublie sûrement!

    _ Eh ben alors? font ses amies. Qu'est-ce que t'attends? Nous, on part en vacances! On tire notre épingle du jeu! On profite!"  

    Atermoiement écoute et rêve... Que s'est-il passé pour qu'elle doute d'elle-même à ce point? pour qu'elle ait ses angoisses, ses idées saugrenues et obsessionnelles, cette peur qui ne la quitte jamais vraiment? Il faut bien entendu revenir en arrière, à l'enfance, quand le cerveau était tendre! A cette époque, elle s'était heurtée à son père, avec une telle violence, une telle constance que cela avait stupéfié le reste de la famille! Pourtant, pour les autres, il était le meilleur père du monde ou peu s'en fallait! Alors pourquoi cet affrontement? Qu'est-ce qui l'avait gênée chez son père?

    Evidemment, elle n'avait pas fait le poids face à un adulte, d'autant qu'elle était animée, comme il se doit, par un vrai amour filial! Seule, elle avait tout "encaissé"! les vexations, les injustices les plus criantes, les corrections corporelles! Elle en avait été sapée, détruite! Elle nageait tout le temps, sans avoir pied! Elle n'avait pas de racines! Car jamais, jamais, elle n'avait vu une lueur, un fait, entendu une parole qui lui eût donné raison, de la valeur, en l'apaisant! A force d'être un problème, sans même savoir pourquoi, elle s'en trouvait haïssable et elle n'osait rien entreprendre!

    "Tu n'as qu'à suivre une thérapie! lui avaient dit ses amies. Prends le temps de choisir ton thérapeute et tu viendras à bout de tes traumatismes! Tu te feras justice et tu seras vraiment de retour parmi nous! On n'est plus au Moyen Age, que diable! Y a des solutions!"

    Voire! Par exemple, Atermoiement est dans la rue et elle croise des riches, des notables, bien visibles et qui paradent, qui font les importants, pour qu'on les regarde! Mais ils sont surpris au passage par l'indifférence d'Atermoiement, alors qu'elle est une belle femme, avec de la prestance! Car celle-ci, malgré sa fragilité, ne supporte pas l'orgueil sur une planète perdue dans l'espace, dans une vie qui peut comporter tant de souffrances!

    "Bien vu! lui fait un ami de gauche! Tu as le sens de la justice sociale! Il faut aider le pauvre! et pour ça, s'attaquer aux riches et aux profiteurs!"     

    Mais ce n'est pas aussi simple! Car Atermoiement subit aussi des regards chargés de haine et de mépris, de la part des manifestants vêtus de gilets jaunes ou munis d'un drapeau rouge! Pourquoi? Mais parce qu'elle ne les admire pas, qu'elle ne leur est pas soumise! Eux aussi, comme les riches, paradent, veulent être le centre d'intérêt, jouer les vedettes et cela écœure Atermoiement! 

    Voilà, c'est l'égoïsme et l'hypocrisie de son père qui lui sortaient par les trous de nez! C'est cette "folie" sur Terre! Atermoiement reste une étrangère dans la société, elle doit l'admettre, l'accepter, ne pas en avoir peur!  

    Elle cherche ses clés, passe devant la table de la cuisine et soudain d'un violent atémi, elle casse celle-ci en deux! Puis, elle dit: "Je sais, Seigneur, je ne devrais pas m'énerver!"

                                                                                                             83

    Owen Sullivan est invité à Adofusion pour le lancement, dans le Métavers, du Macamo programme! "Tu vas voir, on a vraiment fait quelque chose de bien!" le rassure Sam Bôme. On n'a fait que finaliser ton travail et celui du regretté Macamo! Les ventes sont déjà bien parties!"

    Sullivan met son casque et se réjouit de retrouver le Magicien! Il se dit que Sam Bôme n'est peut-être pas aussi mauvais qu'il en a l'air, qu'il ne faut jamais désespérer, mais il découvre un décor qui le désarçonne! On est sous un ciel noir et le sol est boueux! Un militaire s'approche de Sullivan et lui crie: "C'est vous Sullivan? On embarque dans la cinq!" et sans plus attendre, il pousse le fondateur d'Adofusion vers un énorme engin, qui ressemble à une moissonneuse géante et armée!

    A l'intérieur, d'autres hommes saluent le nouveau venu, qui est installé à un poste et l'engin démarre! Il est monté sur des chenilles et il écrase les arbres qui semblent lui barrer la route! Sullivan respire mal et ne comprend rien à la situation! Son voisin se présente: "Boux... Boxie pour les intimes! Nouveau hein? J' t'explique! Ici, le voyant Nécessité! Dès qu'il s'allume, t' appuies d'ssus!

    _ Et qu'est-ce qui s' passe?

    _ On crée d' la ville, mec! répond émerveillé Boux! On sème des graines de bâtiments, qui poussent toutes seuls! Eh! C'est qu'il faut des logements pour les gens, des usines pour les nourrir, les vêtir, etc.! d'où le voyant Nécessité! On est la civilisation, le bon côté, OK?"

    A ce moment, l'engin fut secoué et des gerbes de feu zébrèrent les hublots! "Les Fanas!" cria quelqu'un! L'engin vira brusquement, puis il se mit lui-même à tirer et à cracher des flammes! "Les Fanas? demanda Sullivan.

     _ Ouais, les Fanatiques! répondit Boux. Tous ceux qui empêchent le progrès, quoi! Parmi eux, les Ecolos sont les plus féroces! Si tu tombes entre leurs mains, couic! De vrais sauvages! Mais on a un général du tonnerre! Le duc de l'Emploi! C'est lui qui commande notre division! Un héros!"

    A cet instant, de nouveau l'engin fut touché et tout le monde grinça des dents! "Ils ont lâché les étourneaux!" entendit-on. Une masse noirâtre, bruissante, enveloppa l'engin, qui ne fut plus éclairé que par de petites lumières rouges! "S'ils réussissent à pénétrer, ils nous crèveront les yeux!" affirma Boux et les mitraillettes entrèrent en action!

    Ce fut un véritable carnage! Partout des plumes et du sang! "Nécessité s'allume! cria Boux à Sullivan. Vas-y! Sème de la ville! Sème! On va leur en mettre jusqu'au trognon!" Sullivan fit semblant d'appuyer sur le bouton, puis l'engin dévasta un bois, avant de ralentir dans une plaine... "Si tu sens que ça chauffe trop, expliqua Boux, parce que des fois les villes se développent trop vite, tu as le frein Science ici! Tu vois? Tu peux calmer le jeu! Eh, ouais, mec, on fait pas n'importe quoi! On est des gens sérieux!"

    Il se mit à pleuvoir et l'engin s'arrêta, comme si la pluie refroidissait même les combats! "Allez viens, dit Boux, on peut sortir quelques minutes!" Sullivan opina, mais il montra aussi une photo sur un tableau de bord "C'est le Magicien, précisa Boux! C'est lui le chef des Fanas! Une véritable ordure! Mais tout le monde est d'ssus et on aura sa peau!"

    Sullivan s'extirpa de l'engin et retrouva le sol... Il regarda autour de lui: le ciel était vide, sombre et jusqu'à l'horizon, il n'y avait plus que des arbres calcinés ou des cendres! Sullivan baissa la tête, se sentant complètement abandonné, puis il enleva son casque!

    "Hein? Qu'est-ce tu dis d' ça? lui jette Sam Bôme. C'est d'un réalisme! Quelle compétition! Eh! Mais attention, à chacun de suivre son camp! L'esprit de Macamo a été respecté! Que le meilleur gagne!"   

                                                                                                                84   

    Hypocrisie se maquillait devant son miroir et elle se sentait nerveuse! C'était en effet la première d'une pièce de théâtre, dans laquelle elle jouait et son entrée en scène était imminente! Pourtant, elle connaissait par cœur son rôle et elle n'avait donc pas de soucis à se faire! Mais, justement, elle avait tellement répété son texte qu' elle ne savait plus très bien où était la réalité! Elle avait fini par s'identifier complètement à son personnage!

    Ainsi, dans la rue, quand il lui arrivait de donner son avis, elle s'apercevait brusquement qu'elle avait récité sa pièce! Inversement, lors des répétitions, elle laissait soudain échapper sa véritable personnalité et à la grande stupéfaction de ses partenaires, elle exprimait des idées absolument contraires au texte! Qui croire? La comédienne ou le personnage? Celui-ci bien entendu, puisque c'est lui que les spectateurs suivraient, aimeraient ou détesteraient!

    Pour se rassurer, Hypocrisie se résuma encore son rôle... Elle haranguait une foule et elle disait: "Qui voudrait travailler plus? Pendant plus de trente ans, j'ai effectué mon devoir! Je me suis levé tôt, je me suis astreint à ma tâche pénible et on voudrait reculer mon départ à la retraite? N'ai-je pas mérité le repos? Regardez mon corps fatigué et vous voudriez l'user davantage?" 

    A ce moment, la foule montrait son approbation, mais un contradicteur prenait la parole: "N'as-tu pas choisi la sécurité? Ne t'es tu pas empressée, dès le début de la vie, de te mettre des fers aux pieds? As-tu essayé de combattre ta peur? de chercher un idéal?"

    Devant son miroir, Hypocrisie avala sa salive, car elle appréhendait ce passage! En effet, en tant que comédienne, elle était plutôt d'accord avec son contradicteur: elle n'avait certes pas choisi la sécurité et son métier restait des plus précaires! La retraite lui semblait une chose tout à fait abstraite! Elle obéissait elle-même à sa passion et à cet instant de la pièce, elle ne pouvait puiser en elle pour enrichir son personnage, d'autant que son contradicteur enfonçait le clou! Il disait: "Tu fais voir le travail uniquement comme une corvée... Mais n'a-t-il pas donné un sens à ta vie? Ne rejoignais-tu pas des camarades? Ne plaisantais-tu pas avec eux? Commençais-tu directement ta journée par suer? N'étais-tu pas soulagée d'être occupée? N'étais-tu pas fière de remplir ton devoir? de dire que tu faisais ceci ou cela? N'étais-tu pas en règle avec ta conscience?

    _ C'est vrai, répondait Hypocrisie! Mais la routine m'a vaincue! L'ennui m'a fait grise! Le sentiment d'être exploitée aujourd'hui me remplit d'amertume! Je ne peux plus supporter mon travail! Je rêve d'une maison à la campagne, avec mon mari, où nous coulerons des jours heureux! Si la retraire vient trop tard, lequel de nous deux tombera en premier malade, pour que nos vies deviennent un cauchemar!

    _ Tu as raison: quand le cancer arrive, c'est le malheur sur la maison! Mais le travail n'est-il pas le rempart contre l'angoisse? N'est-ce pas elle qu'il faudrait regarder dans les yeux et guérir? N'est-ce pas elle qui ronge et détruit?

    _ Je ne comprends pas ce que tu veux dire... Mais ce que je vois, c'est que tu es un ami des riches et des profiteurs! Honte à toi, car tu es venu semer le trouble et la discorde!"

    Le dialogue se termine là et Hypocrisie fait un signe qui entraîne la foule à lyncher le contradicteur! La comédienne se voit triomphante!

 
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