Dom Drogues!

  • Le 30/01/2021
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Dom drogues

 

 

 

                                  "Tu dois de l'argent? Tiens, voilà déjà deux cents! Mais si, prends!

                                   Demain, je passe à la banque, je retire tout ce que j'ai... et j' fais un emprunt!

                                   J' connais mon banquier! T'inquiète pas, ça va s'arranger!"

                                                                                                       Tchao Pantin

 

 

 

   Journal de Jack Cariou, lundi 25 janvier: "Depuis trois jours, la tempête fait rage autour de la station scientifique Charcot! Nous ne sommes plus en contact avec les autres hommes, tant le vent règne et hurle sur la banquise! Nous avons l'impression que c'est la fin du monde... et pourtant un fait plus grave nous préoccupe encore plus!

    La mort du professeur Mercier, il y a deux semaines, a suspendu notre destin! Il travaillait sur les restes d'un mammouth, quand il s'est brusquement écroulé, apparemment victime d'une crise cardiaque! Le biologiste Gestin, qui a pratiqué l'autopsie, a fini par détecter un virus, qui attaquerait les poumons, après inhalation, et qui viendrait sans doute des vestiges de l'animal!

    Les autorités en ont été informées et nous avons été placés en quarantaine! La liaison, qui nous apportait des vivres fraîches et qui était si importante pour notre moral, a été interrompue! Nous voilà condamnés à vivre repliés sur nous-mêmes, tant que les analyses n'auront pas éclairci le problème et permis une solution!

    Nous nous déplaçons avec des masques et gardons nos distances! Nous avons l'air de parfaits étrangers qui se croisent, tandis que les éléments déchaînés renforcent notre isolement! Les mots sont devenus rares et chacun se demande s'il n'est pas infecté! Nous écoutons nos corps, dans une sorte d'effroi!"

    Mardi 26 janvier: nous avons été réveillés par des cris sinistres! Ils venaient de la chambre du logisticien Péron! Je me précipitai, avec quelques autres, et quand nous entrâmes, nous fûmes cloués sur place! Gisait en travers du lit Péron, la langue noire, une cravate autour de son cou meurtri! Visiblement, il venait d'être étranglé!

    A côté, prostré, était sur une chaise Nizou, le météorologiste de la base! Que s'était-il passé? Il a fallu que Gestin, qui est aussi notre médecin, emmenât Nizou, avant de lui donner des soins, pour que nous ayons quelques explications! Péron se droguait, à la cocaïne! Sa positon de logisticien lui permettait d'assurer son trafic, car il était encore le dealer de Nizou! Mais, avec le confinement, il a aussi consommé les doses destinées à ce dernier!  

    Nizou, en état de manque, a demandé des comptes et a perdu la tête! Il ne nie pas les faits, mais reste surtout préoccupé par sa propre souffrance! Gestin l'a enfermé dans sa chambre et on l'entend par intermittences donner des coups dans le mur! Quant au corps de Péron, il a rejoint la chambre froide!

    Ce drame ne devrait pas excessivement nous étonner, car plus les conditions sont dures et plus certains ont recours à des "paradis artificiels"! C'est la faiblesse humaine et pourtant je ne peux ne pas voir les choses sous l'angle de l'agent OED que je suis! On sait combien la drogue, comme l'alcool d'ailleurs, donne la toute puissance! On devient beaucoup plus sensible et on se sent exister apparemment comme jamais! On croit à une connaissance accrue de la réalité et à une liberté sans bornes! On atteint le rêve et on a l'impression d'être un dieu!

    Cela est assurément séduisant, mais au final il n'y a là qu'une excitation anormale des neurones, qui conduit à la dépendance et à la dépression! Le plus dur, pour l'individu qui veut arrêter, c'est justement d'accepter, outre le sevrage, de diminuer sa domination, de côtoyer un peu plus la banalité, de faire preuve de patience pour remplir les tâches quotidiennes, et si cela peut paraître gris, amer, ce n'est qu'un faux problème!   

    En effet, la lutte contre la domination ouvre le champ de tous les possibles, devient vertigineuse en conduisant à la foi, c'est-à-dire à l'infini de Dieu! On découvre un rêve inimaginable, qui fait trembler et qui fait couler de la joie comme une cataracte! Le quotidien alors prend des proportions colossales et laisse l'ivresse telle une fusée son aire d'envol!

    Mais, là comme ailleurs, il s'agit de grandir, de quitter sa peau de bébé et cela ne se fait jamais sans peine! Combien de fois, quand on réduit son égoïsme, n'a-t-on pas le sentiment d'avoir le ventre arraché? Mais ça passe... et on en rit!

    Evidemment, drogue et violence sont inséparables!

    Nuit du 26 au 27 janvier: nous pensions en avoir fini avec les émotions, pour la journée, mais nous nous trompions! Des cris, des plaintes, des gémissements m'ont de nouveau sorti du lit! Il était près de minuit et habillé en hâte, je me suis retrouvé dans le couloir, avant de me diriger vers le sas d'entrée!

    Plus j'avançais et plus je me sentais mal à l'aise! On eût dit qu'un animal était blessé plus loin! Je rejoignis le groupe, accouru comme moi, et nous regardions stupéfaits la scène suivante... Devant les motos neige, Gestin enserrait Sandrine Covillon, l'assistante du professeur Mercier... Elle criait: "Mais laisse-moi! Laisse-moi, espèce de minable! J'en ai marre, t'entend? Marre! Je veux sortir et tu m'empêcheras pas!

    _ Elle a une crise nerfs! expliqua Gestin, en nous fixant. J' l'ai surprise alors qu'elle allait faire un tour! Le problème, c'est que pour que l'alarme ne fonctionne pas, elle a poussé le chauffage à fond dans le sas, au risque qu'il tombe en panne! Elle nous a mis en danger!    

    _ N'importe quoi! J'ai juste voulu respirer l'air de la nuit! On étouffe ici! Mais lâche-moi, espèce de fumier!

    _ Elle est dangereuse! Excuse-moi, ma grande, mais je dois le faire!"

    A notre grande surprise, Gestin frappa Covillon, d'un coup qu'il devait maîtriser, car la femme perdit immédiatement connaissance!

    "Aidez-moi à la porter dans sa chambre!" jeta Gestin et nous lui prêtâmes main forte. Dans la chambre, le médecin reprit: "Elle a eu une crise de panique! Je vais lui donner un sédatif et demain elle ira mieux!"

    Une crise de nerfs... ou de panique? Sans doute, mais de nouveau mon œil OED fonctionne et derrière le terme vague d'une crise, je comprends autre chose...

    Nous savons que ce qui nous motive d'abord, en garantissant notre équilibre, c'est la domination! Chez les femmes, cela se traduit par un désir de séduire, d'autant que l'angoisse est forte, car c'est ce qui permet de sentir sa valeur, son importance!

    Ici, Covillon a probablement, outre le confinement, perdu un repère essentiel, avec la mort de Mercier, mais qui est-on quand on croit qu'on a le droit de "perdre les pédales", comme si se donner en spectacle était légitime, allait de soi?

    Il faut, semble-t-il, avoir une domination profonde, radicale, outrée, de sorte que le monde autour peut être rendu au rôle de spectateur! Cela veut aussi dire que dans ce cas les autres n'existent pas réellement et qu'ils ne sont là que pour servir! Ou bien ils plient, ou bien ils résistent et sont l'objet de la haine!   

    En fait, les conditions défavorables révèlent le problème, le caractère tyrannique et même maladif, car la crise de nerfs peut être rapprochée de celle du drogué en manque! Certes, celui-ci a un besoin physiologique qui lui échappe, mais son apaisement est aussi dû à une conscience de soi supérieure, dominatrice!

    La femme, dont les nerfs lâchent, souffre également d'un manque et c'est celui de sa séduction qui reste impuissante, à cause du confinement, ce qui cause de l'angoisse et mène à la crise! On peut ainsi dire que la domination, à un certain degré, est pareille à une drogue et c'est pourquoi encore les autres ne comptent pas, ou si peu!

    C'est une preuve d'immaturité, car chacun a droit au respect, possède une individualité propre, unique! Prendre conscience de ce fait, c'est ouvrir les yeux sur le réel, pour le construire au mieux avec sa paix!

    Mercredi 27 janvier: la tempête a cessé et il fait un beau soleil! Je suis parti sur la glace, effectuer certains relevés, car même si je suis ici comme invité, je dois remplir quelques tâches!

    On m'a appris à regarder la banquise et ce que je vois m'épouvante! La fonte est monstrueuse et explique pourquoi l'Europe est incessamment en butte à de violentes tempêtes! De l'air froid s'écoule en masse le long du Groenland et du Labrador et vient repousser l'air chaud montant de l'anticyclone des Açores, ce qui crée de gigantesques dépressions, à l'échelle de tout l'Atlantique! Ce vent, cette pluie, cette brouillasse enfin, dans laquelle nous avons l'impression de vivre constamment, même en plein été, sont comme "le chant du cygne" de la banquise!

    A mon retour à la base, cependant, j'ai eu de nouveau un choc! Des bruits de fête m'ont conduit jusqu'au réfectoire, où j'ai pu contempler la plupart en train de faire bombance! Ils étaient ivres, se tenaient par la main, s'embrassaient et il y en avait même en slip, avec des lunettes de soleil, sur la terrasse!   

    La première accalmie avait chassé des esprit le virus et les gestes barrières! J'étais sidéré, mais je n'ai rien dit, je n'en ai pas eu le courage et j'ai quitté les lieux, sans peut-être qu'ils m'aient vu!

    C'est que je traîne aussi quelques boulets, certains complexes! J'ai toujours été pour les autres le rabat-joie, l'empêcheur de tourner en rond! Je suscite très vite l'hostilité et ce rejet récurrent m'a fragilisé et rendu haïssable à moi-même!

    C'est un effet de la dépression, bien entendu, et avec le temps j'ai compris que ce n'était pas de ma faute! J'ai toujours vu la domination ou le pouvoir destructeur de l'égoïsme et jamais je ne l'ai accepté, ni été son jouet!

    Or, il y a toujours un leader, un "roi", qui asservit les autres et qui veut qu'on l'admire, qu'on accepte son commandement! C'est ma résistance face à lui, mon opposition qui me vaut d'être exclu et honni!

    Au fond, la société reste le prolongement de l'école ou du lycée! Chacun croit qu'il doit en référer à l'Etat ou à son l'employeur! On s'imagine toujours qu'il y a un "proviseur" et que c'est lui qui règle la mort ou notre isolement dans l'espace! Force est de constater que la majorité demeure infantile et qu'on se piétine aveuglément!  

    J'ai cherché à voir Gestin, car il n'était pas au réfectoire et j'ai frappé à sa porte. Sa voix a demandé: "Qui est là?

    _ Cariou!

    _ Ah? Bien! Ecoutez Cariou, vous êtes l'un des seuls en qui je peux avoir confiance! Alors écoutez, je suis contaminé! J'ai le virus! Covillon doit être un cas contact: elle est porteuse sans être malade! Mais cela veut aussi dire que je ne peux plus bouger d'ici!     

    _ Mais...

    _ Ecoutez, il faut que vous enfermiez Covillon dans sa chambre! Cela ne devrait pas être trop difficile, car elle y était encore en train de dormir, avant que je passe mon test! Mais ce n'est pas tout! Il faut vous organiser pour nous apporter des plateaux repas, que vous reprendrez avec précaution et ceci est encore valable pour Nizou! Vous avez compris?

    _ Oui, mais vous? Comment allez-vous...?

    _ J'ai des médicaments, je suis médecin, je sais ce qu'il faut faire! Bien entendu, il faudra encore en informer le groupe..." 

    Ces nouvelles responsabilités m'ont assombri, car je me suis rendu compte que nous nous enfoncions toujours plus dans une espèce de marécage! Pourtant, la solution est simple: il suffit que nous "brisions" notre égoïsme, afin de devenir tous solidaires, ce qui rendra la crise  quasiment comme un amusement!

    Mais, dans le couloir, quelqu'un vomissait à cause de l'ivresse!

 
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