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  • Paschic (121-125)

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                             "Je t'ai eu!"

                              Driver

     

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    Paschic crie : « Je vous en prie, non ! Je vous en supplie ! » On vient le chercher dans sa cellule et il est conduit dans une salle spéciale ! Placé sur un siège, il doit regarder des images étranges, notamment un disque qui tourne ! Une voix fait : « La Machine est bonne ! La Machine est une mère de famille qui ne désire que votre bien !

    _ Non, non, répond Paschic en sueur.

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic !

    _ Non, non…

    _ Mais enfin ne voyez-vous pas que la société est du côté de la Machine ? Comment pouvez-vous croire que vous êtes meilleur que tout le monde ?

    _ Je ne… suis pas meilleur, mais la Machine me fait mal… Je vous en prie… A boire !

    _ Vous boirez plus tard… Vous vous croyez différent, unique ! Comment expliquer cela, sinon par le narcissisme, la paranoïa ?

    _ La Machine... me méprise…, fait mal…

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic ! C’est vous le problème ! Mais nous allons extirper le mal de vous, Paschic !

    _ La Machine est… malade…, à cause de son orgueil…

    _ Très bien, expliquez nous ça !

    _ A boire !

    _ Qu’on lui donne à boire !

    _ Merci…

    _ Alors, vos explications ?

    _ La Machine… ne voit pas les autres… Elle s’en sert ! Pour elle, les autres n’ont pas d’existence propre : ils sont ses esclaves ! La Machine rapporte tout à elle !

    _ Vous êtes le seul à parler comme ça ! Les autres membres de la famille sont en accord avec la Machine ! Ils forment un groupe, Paschic, une équipe ! Ils sont soudés, mais pas vous ! Pourquoi ? Parce que vous vous croyez spécial et qu’on ne vous accorde pas assez d’attention !

    _ Ff...faux ! La Machine me fait mal, elle me méprise !

    _ Elle vous reprend, vous humilie, pour que vous rejoignez le groupe ! la sagesse du plus grand nombre !

    _ La Machine est pleine d’orgueil… et d’égoïsme, c’est la vérité !

    _ La vérité ? Et vous êtes seul à la voir ! Elle échappe au reste de la famille, à la société même ! Mais pour qui vous vous prenez, Paschic ?

    _ J’ sais pas ! Je me défends…, c’est tout ! Vous savez pourquoi la Machine m’écrase ?

    _ Non, Paschic, mais continuez à regarder l’écran !

    _ Parce que je suis le plus faible ! Elle a besoin des autres ! des gagnants !

    _ Et vous ne voulez pas en faire partie, Paschic ? Vous ne voulez pas être plus fort et que la Machine vous respecte ?

    _ C’est la vérité, la force !

    _ Vous êtes narcissique, Paschic ! Vous vous croyez le centre du monde ! Rejoignez la sagesse du plus grand nombre ! Adaptez-vous, avant qu’il ne soit trop tard !

    _ La Machine écrase, blesse, méprise, broie ! C’est la vérité ! La Machine est tyrannique !

    _ La Machine est intégrée, mère de famille, et paie vos études !

    _ La Machine est malade, enfermée dans son orgueil ! Elle n’est pas lucide !

    _ Continuez à vous concentrer, Paschic ! Le mal est en vous ! Le vice vous ronge ! Vous êtes un menteur, un fabulateur, un manipulateur ! Quelqu’un de mauvais, Paschic ! C’est cela la vérité !

    _ La Machine est égoïste… Je voudrais dormir…

    _ Plus tard, Paschic ! Quand vous aurez reconnu vos torts à l’égard de la Machine !

    _ C’est elle qui blesse…, qui tue !

    _ Vous êtes le seul à voir ça ! Pour les autres, vous êtes un ingrat ! d’un égoïsme délirant !

    _ La Machine… est dans une tour… Elle tue... ceux qui s’en échappent !

    _ Bla, bla ! Vous n’évoluez pas ! La Machine est une bonne mère, c’est la société qui le dit !

    _ Dormir…

    _ Vous ne dormez pas dans votre cellule ?

    _ Non..., cauchemars ! Peur ! So… solitude… Froid !

    _ Et vous continuez à accuser la Machine ? Vous êtes malheureux et vous ne changez pas ?

    _ Défends la vérité ! Amoureux d’elle ! Peur ! Dormir ! »

                                                                                                 122

    Paschic s’éveille dans un lit d’hôpital et il se demande ce qu’il fait là, car il ne se souvient de rien ! A cet instant, un médecin, vêtu d’une blouse blanche, entre et dit : « Ah ! Je vois que vous êtes réveillé ! Ça va mieux ?

    _ Eh bien, sans doute, mais je ne sais pas du tout pourquoi je suis ici !

    _ Vous n’avez aucun souvenir de ce qui s’est passé ?

    _ Aucun !

    _ Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on vous a trouvé inconscient sur le bas-côté de la route ! L’hypothèse vraisemblable, c’est que vous avez été victime d’un chauffard !

    _ J’ai des séquelles ?

    _ Rien de très sérieux… Mais vous avez reçu un choc ! »

    Paschic regarde par la fenêtre, grimace et demande : « Et nous sommes dans quel hôpital, ici ?

    _ Celui de Saint-Quentin !

    _ Saint-Quentin ? Je ne connais pas !

    _ C’est pourtant l’hôpital le plus important de la ville !

    _ Alors dans quelle ville sommes-nous ?

    _ Mais vous êtes dans la ville de la Machine !

    _ La Machine ?

    _ Mais oui… et sur vos papiers il est indiqué que vous habitez cette ville !

    _ Je… je ne me souviens de rien… lâche Paschic, maintenant en proie à une vive angoisse !

    _ Écoutez, il est possible que vous souffriez d’une amnésie temporaire, dû au choc ! Mais votre mémoire va revenir et les choses rentreront dans l’ordre ! Maintenant, excusez-moi, j’ai d’autres malades à voir…

    _ Bien sûr… Mais, oh ! docteur, quand pourrais-je quitter l’hôpital ?

    _ Eh bien, si vous vous sentez assez bien, cette après-midi même ! »

    Pashcic retrouve donc la rue quelques heures plus tard, mais il ne peut se débarrasser d’un sentiment étrange ! Il a l’impression que les gens le regardent, le surveillent même et en tout cas, ils ont une drôle d’attitude, comme s’ils étaient plus lents, retenus, avec un comportement emprunté, quelque peu artificiel, ainsi que tout le monde aurait joué un rôle !

    Paschic, malgré sa gêne, se raisonne ! Il doit encore être trop sensible ! Le choc qu’il a subi a dû le fragiliser, le traumatiser ! Il suffit de se remettre dans le bain et ça ira mieux et d’abord Paschic aurait intérêt à rentrer chez lui : il s’y changera et retrouvera sûrement toutes ses marques !

    Paschic hèle un taxi et donne l’adresse indiquée sur sa carte d’identité ! Le taxi passe par le centre, mais Paschic n’y reconnaît aucun monument et son angoisse ne le quitte pas ! Il paye le taxi et entre dans l’immeuble qui est censé être le sien ! Bêtement, il frappe à sa propre porte, puis, se rendant compte de sa méprise, il se saisit des clés qui gonflent sa poche ! La porte s’ouvre et Paschic découvre un logement qui lui semble inconnu ! Nul objet ici ne lui rappelle quelque chose et en tout cas, l’appartement est bien trop propre : s’il l’habitait, on y trouverait au moins beaucoup de livres (ça, Paschic ne l’a pas oublié !) et on y verrait quelques chatons de poussière !

    Le malaise de Paschic ne diminue pas et ne pouvant rester enfermé, il ressort pour se jeter quasiment dans un tram ! Il s’agit pour Paschic de réfléchir et aussi d’atteindre les limites de la ville ! C’est comme ça, c’est plus fort que lui : il faut qu’il voie le panneau de la Machine, sans doute pour mieux la contrôler ! Il va donc jusqu’au bout de la ligne qu’il a prise… et il descend au terminus…

    Le voilà au bord de champs de maïs et Paschic espère qu’il laisse derrière lui un peu de son cauchemar, tant l’agitation du trafic l’empêche elle-même de se faire une idée nette ! A quelques mètres devant se trouve le panneau qu’il recherche et il marche vers lui ! Il s’arrête bientôt et lit : La Machine » ! Ainsi le médecin avait raison, mais pourquoi aurait-il eu tort ? Mais Paschic ne reconnaît rien, rien !

    Il est au bord de la panique, quand la sirène d’une voiture de police retentit brièvement ! Le véhicule se place de sorte qu’il bloque Paschic et un policier en sort, qui s’approche et dit : « Monsieur, nous n’aimons pas beaucoup que les gens quittent la ville…

    _ Comment ? Je ne suis pas libre ?

    _ Bien sûr que si, mais c’est pour votre propre sécurité ! Plus loin, le gouvernement fait un certain nombre d’expériences et on nous a clairement dit qu’elles pourraient être dangereuses et qu’il valait mieux que la population reste dans les limites de la ville !

    _ Je l’ignorais…

    _ J’en suis sûr ! Tenez, je vais vous raccompagner chez vous !

    _ Non, non, je voudrais… marcher…

    _ Soyez raisonnable et profitez plutôt de mon véhicule, pendant que je suis encore bien disposé ! Ah ! Ah ! »

    Paschic monte dans la voiture et ne dit rien… Il sent qu’il émane du policier une forte tension et pourquoi a-t-il lui-même le sentiment d’être prisonnier ?

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    Le lendemain, Paschic visite la ville, mais ses questions demeurent : qui est-il vraiment, quel est son passé, qu’est-ce que la Machine, que veut-elle ? Paschic lit sur un bâtiment : « Musée de la Machine » et il se décide à y entrer ! L’intérieur est imposant et froid et Paschic achète un billet auprès d’une femme qui a l’air de s’ennuyer ferme… Puis, la visite commence par des couloirs très sombres, circulaires et qui montent, comme si on progressait dans un phare géant !

    L’exposition raconte la vie de la Machine : on la voit d’abord bébé sur des photos en noir et blanc ! Ses parents étaient de pauvres goémoniers, qui brûlaient le varech sur la côte, pour faire de la soude ! La Machine ne paraissait pas incommodée par les fumées, mais il était important de montrer de quel modeste milieu elle s’était élevée, rien qu’à la force de son caractère !

    Une scène dans une niche la représente bientôt sauver des plaisanciers, pris dans la tempête ! N’écoutant que son courage, la Machine vient les chercher avec sa barque, ce qui lui vaudra une médaille et une bourse de la part du gouvernement ! Elle pourra ainsi faire des études et devenir la chef d’un empire !

    Les panneaux, les films, les articles à la gloire de la Machine se succèdent et donnent le tournis ! Ici, la Machine est reine de beauté ! Là, elle salue les grands de ce monde ! Là-bas, elle a quatorze enfants ! Ses usines fument, son mari, Tautonus, pose sur une peau de tigre ! Paschic a l’impression d’être saoul, d’autant que l’ambiance est feutrée à l’extrême, comme si on y allait manquer d’oxygène !

    Paschic veut faire demi-tour, mais il se dit qu’il ne doit pas être loin de la sortie et il préfère continuer, plutôt que de revenir sur ses pas ! Il pénètre alors dans une salle brillante, qui contient au centre un cerveau dans un liquide bleu !

    « Le cerveau de la Machine ! explique un gardien dans le dos de Paschic, qui ne l’a pas entendu venir ! Enfin, c’est une réplique, vous vous en doutez bien ! Mais c’est exactement le sien !

    _ Dites, il n’y a pas de fenêtres par ici, car je voudrais respirer un peu !

    _ Bien sûr que si ! Vous êtes au sommet du musée et du balcon vous verrez toute la ville ! »

    Paschic repère effectivement un passage et débouche dehors, mais le panorama est invisible, caché par une épaisse couche de nuages ! Cela est encore déstabilisant et augmente le sentiment d’irréalité qui ronge Paschic ! De nouveau l’angoisse l’étreint et il n’a plus qu’un seul souhait : quitter les lieux !

    Il prend un ascenseur, qui s’arrête un étage plus bas, pour que deux hommes, à la carrure imposante et vêtus de la même manière, s’y engouffrent ! Le silence est pesant, puis l’ascenseur arrivant à destination, Paschic s’élance quand il est retenu par un des hommes ! « Un instant, dit celui-ci, simple contrôle d’identité !

    _ Quoi ?

    _ Montrez-moi votre pièce d’identité, s’il vous plaît... »

    Paschic, de plus en plus nerveux, tend sa carte… « Vous faites quoi dans la vie, monsieur… monsieur Paschic ? » Aïe, c’est la tuile ! Comment Paschic pourrait répondre à cette question ? Il ne se souvient même pas de son passé ! Il est désemparé devant les deux hommes… « Nous allons devoir faire un rapport, reprend l’homme, car, reconnaissez-le, la situation est étrange ! Vous ne savez ce que vous faites et la Machine veut savoir qui est qui et qui fait quoi à tout moment !

    _ Elle est bien bonne celle-là ! Et depuis quand devrais-je rendre des comptes à la Machine ! Ne suis-je pas un être libre, avec une personnalité propre ?

    _ Eh bien, déjà, coupe l’autre homme, on ne parle pas ainsi de la Machine ! On lui doit beaucoup de respect, car c’est elle qui est à l’origine de tout ici ! C’est elle qui vous nourrit, qui vous habille et que sais-je encore ?

    _ Si nous nous interrogeons sur votre identité, reprend le premier homme, c’est aussi pour votre sécurité, ou votre bonheur ! Nous n’aimerions pas que vous soyez malheureux, que vous échouiez !

    _ Mais échouer à quoi ?

    _ Mais dans la vie ! Il vous faut un travail intéressant… Vous ne voulez pas faire l’aumône, n’est-ce pas ?

    _ Donc, vous commencez par m’oppresser, pour faire mon bonheur, c’est ça ?

    _ Il faut corriger vos affreux défauts, monsieur Paschic ! Nous sommes là pour vous enlever toute velléité de paresse !

    _ Voyez-nous comme vos bienfaiteurs ! »

                                                                                                        124

    Paschic est sommé de se rendre à une visite médicale et le lendemain, il se présente dans un centre aux couloirs tout blancs et au personnel exclusivement féminin ! D’ailleurs, on le regarde avec un sourire en coin, gourmand, car il n’est pas laid et on va pouvoir se rincer l’œil, en l’examinant !

    Cependant, une femme, la quarantaine apparemment épanouie, lui dit : « Je suis le docteur Cool, suivez-moi, s’il vous plaît ! » Le docteur Cool a des formes attirantes et Paschic doit faire un effort pour s’en détacher, ce qui lui permet tout de même de voir qu’on pénètre dans une sorte de laboratoire… Une petite sonnerie d’alerte se déclenche dans son cerveau : qu’est-il venu faire ici exactement ?

    Deux autres femmes entourent maintenant le docteur Cool, comme si Paschic pouvait poser problème et il est invité à remonter sa manche… « Nous allons vous faire une injection, dit le docteur, car tous les habitants de cette ville l’ont reçue ! Elle est obligatoire !

    _ Et de quoi est-elle constituée ?

    _ D’un vaccin qui nous protège tous de certaines maladies ! Il est absolument sans danger... »

    Paschic se laisse faire et bientôt une torpeur, teintée d’euphorie s’empare de lui ! Il remarque de plus en la finesse du bras du docteur Cool ! En fait, il en est fasciné : il y a comme une autorité éternelle diffusée par cet avant-bras !

    « Vous aimez cette partie fuselée, n’est-ce pas ? fait la voix sensuelle du docteur.

    _ Oui… oui, répond fiévreusement Paschic.

    _ Mon autorité est renforcée par le bracelet et vous ne voyez pas bien ma peau, mais elle est comme du sable blanc, pailleté d’or ! Vous m’aimez, n’est-ce pas ?

    _ Oui, je vous aime… Je voudrais embrasser votre bras !

    _ Je sais, mais à présent je vais vous montrer ma jambe ! »

    Le docteur se courbe en avant, ainsi qu’elle voudrait lacer sa chaussure et une jambe racée donne comme un coup de fouet à Paschic ! « Je suis ton maître, n’est-ce pas Paschic ? reprend le docteur.

    _ Oui, oui, répond Paschic, brûlant de désir.

    _ Car tu voudrais embrasser ma cheville ! Et tu sais que j’ai bien d’autres trésors pour toi !

    _ Oui, oui…

    _ Et tu es prêt à faire ce que je dis, n’est-ce pas ?

    _ Oui, oui..

    _ Tu veux un sucre ? Je vais le mettre dans ta bouche !

    _ Oui, oui…

    _ Tu es si gentil, Paschic, que je vais te dire ce qu’on fait ici ! On vient de t’injecter un pur concentré de domination féminine ! Hi ! Hi !

    _ Je… je ne comprends pas…

    _ Depuis longtemps, nous nous demandons de quelle manière la femme attire l’homme ! Nous savons qu’elle concentre cette attention sur une partie de son corps, qu’elle maîtrise parfaitement, pour l’aimer particulièrement ! C’est donc un déplacement psychique, tu me suis toujours, Paschic ?

    _ Oui.. oui…

    _ Nous avons analysé ce contrôle psychique et nous en avons tiré ce mélange d’hormones… En fait, l’arme de la femme étant sa séduction, nous avons voulu développer cette arme ! afin que nous, les femmes, nous ayons enfin le pouvoir ! Tu ne m’en veux pas, Paschic ?

    _ Non.. non…

    _ Tu ne m’en veux pas, car je peux te donner du plaisir ! Pas vrai ?

    _ Oui… oui…

    _ Je suis ta maîtresse, Paschic ! fais ouah ! ouah ! »

    Mais à cet instant Paschic a comme un coup de fatigue… Ses yeux papillotent et il est attaqué par un affreux mal de tête ! « Dans le fond, dit-il au docteur, tu n’es qu’une garce ! une sale grue ! la petite égoïste à son papa !

    _ Quoi ? Mais qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Non mais regarde-toi ! Tu me dégoûtes ! »

    Le docteur s’empare du flacon, qui a servi à l’injection, et s’écrie : « Mais… mais il est périmé ! Qui m’a remis un flacon périmé ? (Elle regarde ses aides.) Comment avez-vous pu commettre une telle erreur ? Vous avez oublié qu’une dose trop vieille entraîne une réaction négative ? Vous ne savez pas que la femme qui ne peut plus séduire méprise ! C’est une loi et vous êtes des incapables ! »

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    Après cet incident, Paschic peut repartir chez lui, mais dans la rue le suit une voiture noire, qui vient à sa hauteur et par la vitre baissée, un homme l’interpelle : « Monsieur Paschic, veuillez monter à côté de moi, je vous prie ! » Paschic examine le passager arrière et se demande quelle décision prendre, quand deux hommes surgissent des sièges avant, avec un air menaçant !

    Paschic réplique donc : « Je ne crois pas avoir le choix ! » et il fait le tour de la voiture, pour s’asseoir auprès de l’inconnu ! « Monsieur Paschic, reprend celui-ci et comme la voiture redémarre, j’ai besoin de vous ! Mais laissez-moi faire les présentations… Je suis le Baron et voici mes hommes : Rico et Tony ! Monsieur Paschic, j’ai un métier un peu particulier… Hum ! Disons que je suis un voleur distingué ! Je ne m’occupe que d’affaires importantes, comme celle qui me préoccupe en ce moment… Vous ne me demandez pas quelle est-elle ?

    _ Disons que j’ai d’autres soucis en ce moment !

    _ Bien sûr ! Chacun va cahin-caha sur le chemin de la vie ! Mais, comme j’ai besoin de vous, je ne peux pas vous laisser dans l’ignorance ! Monsieur Paschic, j’ai décidé de faire le coup du siècle : ce soir je vide le coffre de la Machine ! Vous ne dites rien ? Votre réaction est surprenante ! Je m’attendais à ce que vous vous écriiez : « Seigneur, le coffre de la Machine ? Mais c’est pure folie ! Le paradis lui-même est moins gardé ! Etc. ! »

    _ C’est que, en ce moment, j’ai des problèmes d’amnésie… Vous savez ce que c’est : on prend un coup sur le crâne et on se dit que c’est immérité, d’autant qu’on s’appelle… Mais comment on s’appelle déjà ?

    _ Ah ! Ah ! Bien essayé, monsieur Paschic, mais le truc de l’amnésie est assez usé, vous ne trouvez pas ? En tout cas, j’ai appris la relation particulière qui vous lie à la Machine et c’est comme ça que vous pouvez m’être utile…

    _ Mon amnésie n’est pas feinte ! Je découvre cette ville, qui est pour moi inconnue ! Ce que je sais par contre, c’est que mes talents de cambrioleur sont nuls ! J’ai honte dès que je mens !

    _ Et c’est tout à votre honneur ! J’aime qu’on puisse faire confiance ! Mais, en ce qui concerne la partie technique, Tony et Rico sont parfaits ! Non, je crains un piège de la Machine…, un mot de passe en fait qui échapperait à tout analyse et qui me fermerait à jamais les portes de l’Empyrée !

    _ Vous ne me comprenez pas ! Je suis dans le brouillard ! Je fais fonctionner la corne de brume, avec un front en sueur ! Et vous me parlez de mot de passe ! Désolé, mais je vous renvoie aux cuisines ! Un vol dans la réserve, on verra ça plus tard !

    _ Vous êtes insolent, monsieur Paschic ! Rico et Tony vont s’occuper de vous !

    _ Ça va, ça va ! Rien ne vaut une petite devinette, pour retrouver la mémoire ! »

    Le soir venu, Paschic est habillé de noir, dans une combinaison moulante et on rejoint des canalisations, qui obligent de ramper ! On transpire beaucoup et c’est bien là l’un des symboles du travail ! Enfin, on arrive devant la porte du coffre et elle est colossale ! Son acier paraît indestructible, mais qu’à cela ne tienne, nos cambrioleurs l’attaque avec des mèches spéciales, qui creusent en faisant fondre !

    Après un temps qui semble un siècle, Tony s’écrie : « Ça y est ! Y a plus qu’à la tirer ! » et effectivement la porte s’ouvre sous les efforts ! « La Vache ! fait Rico. Le Baron avait raison ! On est devant un dernier obstacle !

    _ Rideau laser ! J’ dirais ! rajoute Tony. Et il ne disparaîtra qu’avec un mot de passe ! »

    A côté, sur un écran défile la phrase suivante : « Tout vient de la Machine... » En dessous, un clavier indique qu’il faut sans doute la compléter ! « A toi de jouer, la matière grise ! dit Rico à Paschic.

    _ Je vous ai dit que je suis amnésique ! Alors votre problème !

    _ C’est aussi le tien ! réplique Tony. Il nous reste quinze minutes avant la première ronde !

    _ Je crois qu’il faut le stimuler ! enchaîne Rico, qui applique son pistolet contre la tempe de Paschic !

    _ Bien, bien ! Je vais me concentrer ! »

    Paschic se répète mentalement la phrase de l’écran : « Tout vient de la Machine… «  et soudain il a une réminiscence violente ! Il voit quelqu’un qui cherche à le détruire ! Serait-ce la Machine ? Si c’était le cas, quel serait alors le lien qui les unit ? Le souvenir est de plus en plus pénible ! Paschic en éprouve une souffrance et une angoisse grandissantes ! « Alors, ça vient ? s’emporte Rico.

    _ Hein ? Oui… peut-être... »

    Paschic se dit qu’il a subi de tels dommages que la phrase doit être celle-ci et il la frappe : « Tout vient de la Machine… et retourne en elle ! » « Elle doit se prendre pour Dieu… », explique Paschic, mais ses compagnons n’écoutent pas : le rideau laser vient de s’éteindre ! Rico et Tony se précipitent, le sac ouvert, quand ils doivent brusquement déchanter, car le coffre est vide ! Sur une étagère, il n’y a que deux dossiers, nommés Haine et Mépris !

    « Qu’est-ce que ça veut dire ? » demande Tony, mais seul le déclenchement d’une alarme lui répond ! C’est le sauve-qui-peut !

  • Paschic (ou Rank) 116-120

    R28

     

     

                          ""J'ai faim!" dit Big Jim."

                                             La Ruée vers l'or

     

     

                                               116

    Une fois n’est pas coutume, la Machine, Bona, Lapsie et… Paschic sont au restaurant ! Les trois filles boivent beaucoup, quand Paschic s’ennuie déjà… « Attention ! Ta, ta, ta ! s’écrie Bona. Hier, saut en parachute !

    _ Ouh ! C’est pas vrai ! fait Lapsie.

    _ Si ! J’ai osé !

    _ Ouh ! Santé !

    _ Santé !

    _ Alors, comment c’est ? demande la Machine.

    _ Eh bien, la porte de l’avion s’ouvre… Tu vois des maisons et des champs… et faut y aller ! Go ! Go !

    _ Waouh ! J’ pourrais pas ! coupe Lapsie.

    _ Mais t’as peur et pourtant, t’y vas et quelle sensation de liberté ! Tu sens brûler ton ventre !

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est d’abord la chute ! A toute vitesse ! Il n’y a plus que le vent et tu vois le sol se rapprocher ! Ça va très vite ! Trop vite même !

    _ La vache !

    _ Et hop, le parachute s’ouvre ! T’es tirée en arrière, puis tu descends doucement ! Y a plus qu’à poser les pieds, en douceur !

    _ Ouh ! Ouh ! Elle l’a fait !

    _ Faut oser les filles ! Faut pas laisser passer sa chance ! La vie est trop courte !

    _ T’as raison ! approuve Lapsie. Moi aussi, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Ta, ta, ta ! Je divorce !

    _ Bon sang, Lap ! Enfin ! fait Bona ! J’ t’embrasse ! Comme je suis fière de toi !

    _ Tu peux ! Je me débarrasse de lui ! Je m’en rends pas encore compte ! Depuis combien d’ temps on était ensemble ? Cinq, six ans ?

    _ Waouh ! Elle a osé !

    _ Je me suis dit la même chose que toi ! On n’a qu’une vie et le bonheur est ici et maintenant !

    _ Santé !

    _ Santé ! J’avais peur, bien entendu, à cause des habitudes ! Mais je suis de nouveau libre ! J’ai eu le courage, waoouh !

    _ Et ton mari, comment il l’a pris ?

    _ Il était verdâtre !

    _ Ah ! Ah !

    _ Il m’a dit : « Mais voyons, Lap, je t’aime ! Tu n’a pas l’ droit d’ me faire ça ! » « Je n’ t’aime plus, Karl ! lui ai-je répondu. Où est la flamme entre nous ! Je veux vivre, Karl ! Tu comprends ? Vivre ! »

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est ce que je dis à mes patientes, reprend Lapsie. Osez ! Ayez de l’audace ! Rien de pire que d’avoir des regrets !

    _ Eh ! Oh ! Les filles ! intervient la Machine. Moi, j’ai quand même assuré ! J’ai veillé à ce que ma famille reste unie ! qu’on forme un clan ! Car y a rien d’ mieux ! C’est sacré ! Le bonheur de mes propres filles avant tout ! Et croyez-moi, ça c’est du boulot ! Combien d’ fois j’ai pas été face à l’ingratitude ? J’ai dû tout contrôler, même Tautonus ! Je suis passée par toutes les épreuves !

    _ Bien sûr, la Machine, respect !

    _ Respect !

    _ Et Paschic qui dit rien !

    _ Il boude !

    _ Il peut pas dire grand-chose, il a jamais rien d’ fait d’ sa vie !

    _ Pauvre Paschic ! C’est le méchant garçon à sa maman !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous voulez savoir ce qu’est le vrai courage, les filles ? coupe Paschic, la véritable audace ? Alors « ne vous souciez pas de ce que vous mangerez, ni comment vous vous vêtirez ! Car votre père qui est là-haut sait très bien de quoi vous avez besoin ! Mais rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! » Ça, c’est fort les filles ! Ça, c’est de l’amour, comme vous ne l’imaginez même pas ! Au fond, vous êtes des branleurs ! »

                                                                                                      117

    La Machine commande un galion… Elle se réveille dans sa cabine pleine de dorures et quitte ses draps de soie ! Elle se refait une beauté devant une psyché et s’habille, aidée par Bona ! « Alors comment est le temps ? demande la Machine.

    _ Beau, vraiment beau !

    _ Et l’équipage ?

    _ Bien tenu par Lapsie !

    _ Alors tout est parfait ! On va pouvoir chasser du pirate ! « Nettoyez la mer ! », m’a dit la reine ».

    Les deux femmes montent sur le pont, la Machine dans un grand uniforme ! Au-dessus se gonfle une cathédrale de voiles, que l’équipage, entièrement féminin, contrôle sous les ordres de Lapsie ! « Lieutenant Lapsie, fait la Machine, les femmes sont en forme ?

    _ Elle sont mieux que ça, madame l’amiral, elles sont enthousiastes ! Un hourra pour l’amiral, les filles ! demande en criant Lapsie.

    _ Hourra ! Hourra ! font les filles du haut des vergues.

    _ Longue-vue ! commande la Machine, qui commence à inspecter la mer.

    _ Voile à tribord ! hurle la hune.

    _ Je me demande ce que ça peut être… fait Bona.

    _ C’est un pirate ! un va-nu-pieds ! répond la Machine en souriant. On va n’en faire qu’une bouchée ! Barre à tribord ! Hissez le cacatois ! »

    Les ordres sont répétés et on gagne sur le pirate ! « Branle-bas de combat ! ordonne la Machine.

    _ Tout le monde aux pièces ! » crie Lapsie.

    Le galion présente bientôt ses soixante bouches à feux au pirate, qui n’est qu’un brick à l’air pacifique ! Les canons tonnent et toute la mâture du brick s’envole ! Le « pirate » est condamné à se rendre et leur commandant conduit devant la Machine, qui demande : « Qui est-tu ?

    _ Paschic ! répond l’homme et immédiatement un frisson parcourt le galion !

    _ Ainsi donc, nous venons de capturer le célèbre forban Paschic ! reprend la Machine.

    _ Je me vois plutôt comme un aventurier ! rectifie Paschic.

    _ Peu importe ! La reine sera heureuse de te voir pendu ! Mettez le prisonnier aux fers ! »

    La soirée se passe en réjouissances et la Machine se régale devant un somptueux dîner ! Cependant, Bona lui murmure à l’oreille : « Il y a là un homme de Paschic, disant qu’il a un formidable secret à vous révéler ! » La Machine, d’abord contrariée, suit Bona et s’adresse à l’homme, avec un mouchoir sur le nez : « J’espère que c’est important, sinon tu iras rejoindre les requins !

    _ Ça l’est, madame ! Paschic a un trésor fabuleux, sur une île non loin d’ici ! Il suffit de le faire parler !

    _ Bien, je te récompenserai, si c’est vrai ! Comment t’ appelles-tu ?

    _ Judas, madame ! »

    Le lendemain, on conduit Paschic dans la cabine de l’amiral. « Il paraît que tu as un trésor ? fait la Machine. Amène-nous à lui et je te laisserai la vie sauve !

    _ Je ne sais pas si vous en êtes digne ! »

    Bona frappe Paschic : « Insolent ! crie-t-elle. Ce n’est pas une façon de parler à la Machine !

    _ Pour ce que j’en disais..., répond Paschic qui se masse le cou.

    _ Conduis-nous au trésor ! » répète la machine, dont les yeux brillent de cupidité !

    On mouille devant l’île en question et une barque se détache du galion. A son bord se trouvent la Machine, Bona, Paschic et quelques gardes… On touche la plage, alors que des vagues remontent inlassablement vers les palmiers ! L’île semble déserte et on entre dans la jungle ! « J’ te préviens, Paschic, fait Bona, si tu t’es moqué de nous, tu n’ repartiras pas d’ici !

    _ Attendez que je m’ repère, répond Paschic d’une voix quasi malicieuse. Il y a ce rocher en forme de crâne là-bas… C’est à une cinquante de pas après, dans une clairière !

    _ Allons-y ! » ordonne brûlante la Machine.

    On se remet en route et bientôt Paschic s’arrête, en disant : « C’est là !

    _ Vite, vite, creusez ! » fait la Machine.

    Paschic est mis à contribution et les pelles enlèvent de la terre, sous un soleil ardent ! Enfin, l’une d’elles frappe quelque chose de dur et on extrait avec peine un coffre ! On l’ouvre, mais il est vide ! « Trahison ! s’écrie la Machine, qui pointe un mousquet sur Paschic. Fais ta prière, chien galeux !

    _ Mais je ne t’ai pas trompée, la Machine ! Regarde autour de toi ! Vois cette beauté, cette nature luxuriante ! Elle te donne tout ce dont tu as besoin ! C’est cela mon trésor ! Mais tu restes aveugle ! Ce que tu veux, c’est de l’or pour parader, jouir du pouvoir sur les hommes, mais à quoi bon ? Débarrasse-toi de ton ego et tu resteras ici en sécurité et en paix !

    _ Grrrr ! »

    La Machine tire, mais un cochon effrayé brusquement la bouscule ! Elle manque Paschic qui en profite pour s’enfuir ! « Courez-lui après ! hurle la machine ! J’ veux la peau d’ ce fumier ! »

                                                                                                    118

    Qui ne connaît pas Las Vegas ? ses temples du jeu, ses décors extravagants, son ambiance électrique ? Dans un appartement d’un hôtel luxueux se joue une sérieuse partie de poker ! Sur la table, les jetons représentent des milliers de dollars et on arrive à un instant décisif ! Les visages sont tendus et il y a là l’Angoisse, une femme froide et sèche, sans doute la meilleure joueuse de poker de tous les temps, mais on trouve encore Lapsie, la Machine et Paschic !

    C’est à Lapsie de parler… Elle regarde encore ses cartes, fait une grimace et dit « Je passe ! » Ce n’est pas une surprise pour les autres, car Lapsie n’a pas les reins assez solides, mais elle est encore « lessivée » ! Elle perd sa mise et n’a plus de fonds ! Elle a le destin des joueurs médiocres, qui confondent leur peur avec la prudence !

    La Machine fait : « Eh bien les enfants, je crois que cette fois-ci le pactole est pour moi : brelan de reine ! » La Machine tend les mains, pour prendre les jetons, mais l’Angoisse l’arrête, en disant : « Tss, tss, la Machine ! Tu rêves à pleins poumons ! Regarde : brelan de rois !

    _ Ce… ce n’est pas possible ! s’écrie la Machine.

    _ Mais si… Une autre fois peut-être, la Machine…

    _ Tu… tu as triché ! Espèce de salope !

    _ Tu me déçois, la Machine… Je pensais tes nerfs plus solides !

    _ Tu jouis, hein ? Tu m’as mise à plat et tu t’ régales ! Mais t’as triché ! T’entends, roulure ! »

    La Machine se lève brusquement et saute à la gorge de l’Angoisse, qui fait un signe en direction du personnel de l’hôtel ! Aussitôt deux malabars se saisissent de la Machine, qui crie encore : « Mais lâchez-moi, les eunuques ! Je veux juste étrangler cette tricheuse !

    _ Je crois , messieurs, que la Machine a besoin d’un peu d’air frais !

    _ Mais lâchez-moi ! Je reviendrai l’Angoisse et je t’écraserai ! Je t’ ferai vomir tes tripes ! Et à vous aussi, bande de tarés ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine ! »

    On entend une porte claquer, puis c’est de nouveau le silence : « Ouf ! dit l’Angoisse. Regrettable incident ! Il est dommage de jouer avec des amateurs ! Mais on plumerait qui, s’ils n’étaient pas là ? N’est-ce pas, Paschic ? J’aime ton calme, j’ t’ assure ! Tu sais perdre avec élégance !

    _ Qui t’a dit que j’avais perdu ?

    _ Mais... »

    A cet instant, Paschic montre son jeu et à la grande stupéfaction de l’Angoisse, quatre as apparaissent ! « Mais, mais ce n’est pas possible ! s’écrie l’Angoisse.

    _ C’est ce que vient de dire la Machine !

    _ Tu… tu as triché !

    _ Allons, l’Angoisse, tu sais bien qu’on ne peut pas tricher contre toi… C’est inutile !

    _ Je… je ne comprends pas… Tu as toujours perdu contre moi !

    _ C’est vrai, j’ai longtemps eu peur ! J’ai beaucoup couru, mais on évolue l’Angoisse ! On apprend à ne plus te craindre et on finit par gagner contre toi !

    _ Comment as-tu fait ?

    _ Je me nourris de ma paix… Comme d’habitude, tu as effrayé tout le monde, par tes mises vertigineuses ! Tu parais alors invincible et on perd le sens du jeu ! C’est inévitable ! Lapsie se grattait même partout ! La Machine est plus costaude, mais elle ne pouvait s’empêcher de grimacer… Pour ma part, j’ai appris que ton comportement est essentiellement du bluff ! Il suffit d’attendre, de laisser passer l’orage, en s’accrochant humblement, mais avec confiance !

    _ Tu m’impressionnes, Paschic !

    _ Mais j’espère bien ! C’est des années d’efforts, de recherches solitaires, quand les autres s’amusent et boivent !

    _ Donc, si je comprends bien, tu n’as jamais perdu de vue les cartes ?

    _ Non, malgré la peur que tu produis… Je te le dis, maintenant je ris même de toi !

    _ Très bien ! Mais… Euh… En ce moment, je suis un peu gênée… Tu pourrais me laisser une partie du butin… Je te rembourserai plus tard !

    _ Non l’Angoisse ! N’y vois pas de la dureté de ma part, mais gagner contre toi, c’est aussi s’aimer soi-même ! Il ne faut pas culpabiliser parce que toi, tu prends ton air triste ! Sinon on repart pour un tour de manège ! T’as mille astuces dans ton sac !

    _ Ah ! Ah ! J’aurais essayé !

    _ T’inquiète pas ! Tu vas t’ refaire en un tour de main ! »

                                                                                                     119

    « Aujourd’hui, Paschic, dit la Machine, je vais t’apprendre à diminuer ma charge mentale !

    _ Ah bon ?

    _ Oui, tu vas d’abord éplucher les patates, puis tu passeras la cireuse et tu nettoieras les carreaux ! Il faut que tout soit propre pour ce soir !

    _ Qu’est-ce qu’il y a ce soir ?

    _ Moi et Tautonus, nous recevons le préfet ! C’est bon pour la campagne de ton père et sa carrière ! Je te rappelle que c’est nous qui payons tes études !

    _ Bien sûr !

    _ Tu n’hésiteras pas sur l’huile de coude, hein, pour le ménage ! Et en revenant de l’école, tu passeras chez le boulanger et le poissonnier ! Ils sont au courant, c’est une commande ! Tu m’as bien compris ?

    _ Affirmatif !

    _ Cesse de faire le pitre ! Il faut que tu aides à la maison, sinon on n’y arrivera pas ! Je ne peux pas faire tout toute seule !

    _ Évidemment !

    _ J’ai vu ton professeur de maths et il m’a dit que tes résultats n’étaient pas très bons ! « Pourtant, il a le potentiel ! » a-t-il rajouté. Donc, c’est toi qui as la solution ! C’est à toi de travailler, est-ce que c’est clair ?

    _ Oui…

    _ Bon, mais on parlera de ça plus tard, car j’aurais encore besoin de toi avant le dîner, pour mettre le couvert ! Allez, au boulot ! »

    Paschic fait comme on lui a demandé : il s’empresse de préparer les patates, il balaie, il essuie, il cire, il frotte, il prend son cartable et file à l’école ! Il essaie de ne pas s’endormir pendant les cours, il rit dans la cour de récré, puis il pense au boulanger et au poissonnier !

    Il rejoint sa chambre et commence ses devoirs, en consultant sa montre, car il ne faut pas être en retard sur le programme ! Le couvert doit être mis à la minute près ! La Machine cependant est aux fourneaux et elle ne rigole pas : il ne s’agit pas de rater les plats !

    Enfin, les invités arrivent… On les débarrasse, on leur propose un apéro, on se veut parfaitement détendu ! Dans les coulisses, Paschic range les manteaux, se tient au garde-à-vous, dans le cas où il manquerait des glaçons ou une bouteille de jus, pour quelqu’un qui ne boit pas d’alcool ! Paschic n’a pas la tenue du serveur, mais il a le même rôle !

    On passe à table et les invités font part de leur admiration, pour la qualité du couvert et de l’entrée ! La Machine assure qu’elle a voulu faire simple, que ce n’est rien ! On se récrie ! On insiste sur la finesse du mets ! On loue les talents de cordon bleu de la cuisinière, on secoue devant elle l’encens et elle prend l’air modeste ! Elle s’enchante pourtant ! Elle semble avoir le nez dans la coke !

    A chaque plat, on n’en peut plus de se ravir et Tautonus s’épanouit : les premiers jalons de sa réussite sont posés ! Il est maintenant intime avec le préfet ! Il pourra compter sur son soutien ! Malheureusement, en passant, on cite le cas Paschic, qui ne travaille pas assez à l’école ! Le préfet se veut rassurant, pour un enfant qui n’est pas le sien ! Il dit : « Mais laissez-le donc ! La jeunesse d’aujourd’hui a besoin de temps ! Quand il aura choisi sa voie, eh bien, il ira à fond, j’en suis sûr !

    _ Tout de même, fait la Machine, je le soupçonne d’avoir une queue de vache dans la main !

    _ Certainement ! » renchérit Tautonus.

    On change de sujet ! « Il y a trois jours, vous ne savez pas qui j’ai rencontré ? demande le préfet. Baramut ! l’ancien ministre…

    _ C’est pas vrai !

    _ Si ! Si ! Alors, il m’a reconnu… Il m’a salué très digne…

    _ Après ce qu’il a dit sur… C’est un comble !

    _ Mais c’est un type très arrogant ! dit la Machine. Je le vois même snob !

    _ Il ne pense qu’à sa carrière ! approuve Tautonus.

    _ Bien sûr, il veut toujours aller plus haut !

    _ Encore un peu de dessert, monsieur le préfet ?

    _ Appelez-moi Jacques, je vous en supplie, sinon je vais encore me croire à la préfecture !

    _ Donc, je vous redonne un peu de crème brûlée ?

    _ Oui, elle est tellement bonne !

    _ Ah ! »

    Plus tard, les invités sont partis et il faut faire la vaisselle ! Paschic participe évidemment et il écoute : « Je crois qu’on a marqué des points ! dit la Machine.

    _ Oui, ton crabe était merveilleux ! Bon, je vais me coucher, j’ suis crevé !

    _ Bien sûr, chou ! Paschic, place bien le torchon à sécher ! Il s’agit pas de faire le boulot à moitié !

    _ Tu sais, je connais un moyen de diminuer ta charge mentale…

    _ Ah bon ? Ça ne m’étonne pas, monsieur je-sais-tout !

    _ Il suffit de diminuer tes ambitions !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Non mais pour qui tu t’ prends, espèce de morveux ! »

    Elle se met à frapper Paschic de toutes ses forces !

                                                                                                   120

    « Jeffrey ! crie le maire, dans son bureau qui domine la ville.

    _ Oui, monsieur, fait le premier adjoint en entrant.

    _ Vous entendez ? »

    Le premier adjoint tend l’oreille, puis dit : « Non monsieur, je n’entends rien !

    _ C’est bien ça, Jeffrey, on n’entend rien ! C’est le silence ! Et je n’aime pas ça, Jeffrey, oh non !

    _ C’est curieux en effet…

    _ Mais qu’est-ce que je vais devenir, moi, Jeffrey ? Le silence, il m’angoisse, c’est comme la mort ! Mais, bon sang, où sont les bruits de mes chantiers ? Il y en a partout et on devrait les entendre !

    _ Je n’ai pas eu vent d’une grève pourtant…

    _ Tout me semble si vide soudain ! C’est comme s’il neigeait ! Je me sens subitement inutile… J’ai l’impression d’étouffer !

    _ Vous pourriez rentrer chez vous, vous reposer un peu !

    _ Chez moi ? Et qu’est-ce que je ferais chez moi ?

    _ Vous occuper de votre femme, de vos enfants…

    _ Ma femme et moi, nous sommes de bons amis, Jeffrey… Nous avons chacun notre vie… et les enfants sont grands maintenant !

    _ Un verre alors ?

    _ Mauvais pour ma santé, Jeffrey ! Voilà que je transpire et que je dois m’essuyer ! Il me faut trouver une solution et vite !

    _ Hélas, la cérémonie de la Libération a été reportée à cette après-midi !

    _ Oh, mais je m’y ennuie de toute façon ! Non, ce qu’il me faut c’est du spectaculaire, du grandiose, du démesuré, Jeffrey ! Je veux voir ma ville grandir ! Rien n’est plus beau qu’un bâtiment qui sort de terre ! Du neuf, Jeffrey, je veux du neuf ! Voilà ce qui ragaillardit le sang !

    _ La modernité…

    _ Exactement ! Vous ne le savez peut-être pas, mais je suis issu d’un quartier plus que populaire ! Je peux même dire qu’il était pauvre, médiocre, miséreux ! Nous habitions dans une arrière-cour : pas de lumière et une odeur de chou qui ne quittait plus les narines !

    _ D’où votre engagement à gauche...

    _ Bien entendu ! Je me disais : « Plus jamais ces taudis, ces logements malsains ! » Le confort et la salubrité pour tous, Jeffrey !

    _ Et vous y êtes arrivé ! Vous voilà maire et promoteur de votre ville !

    _ Et on me critique pour ça ! On dit que je suis mégalomane, alors que c’est le bien du peuple, mon seul objectif ! Aaaargh !

    _ Vous n’allez pas bien !

    _ Le cœur ! Si je reste ici, je crains une attaque ! Ce qu’il me faut, ce sont mes chantiers ! le bruit des grues, des marteaux, des perceuses ! L’odeur du béton, je veux la renifler ! Je dois voir des types en jaune, avec un casque, qui crient ou qui étudient des plans ! Les rues bouchées, les façades qui s’élèvent vont me calmer !

    _ Je sors la voiture ?

    _ C’est ça ! Je vous retrouve en bas…, le temps de me rafraîchir un peu… »

    Une Lincoln noire quitte bientôt la mairie et Jeffrey, la conduisant, demande : « Où allons-nous, monsieur le maire ?

    _ Bon sang, j’ai dix mille chantiers ! On devrait en trouver un en activité rapidement, non ?

    _ Voyons… La nouvelle gare routière, le nouveau stade, la deuxième ligne de tram, les logements en face des Impôts… On n’a que l’embarras du choix !

    _ Stop, Jeffrey ! Stop !

    _ Qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Reculez ! Allez-y reculez ! Qu’est-ce que c’est que ça, Jeffrey ?

    _ Un… arbre…

    _ Un arbre, Jeffrey ! Et qu’est ce que j’ai demandé ? Qu’il n’y ait plus d’arbres dans ma ville, notamment à cause des étourneaux ! Étourneaux, que d’ailleurs j’entends ! Ah ! Ils se foutent de nous, Jeffrey ! Ils pavoisent, ils médisent, ils persiflent !

    _ Les gars auront oublié cet arbre…

    _ Où est la sulfateuse ?

    _ Dans le coffre ! Mais les gens…

    _ Ils verront que j’agis pour leur bien ! Et puis à cette heure-ci, y a pas grand monde ! »

    Le maire sort du véhicule et prend un fusil-mitrailleur dans le coffre : « Bien les étourneaux, crie-t-il, la plaisanterie est terminée ! Vous êtes dans ma ville et c’est moi qui commande ici ! »

    Le maire ouvre le feu, étête l’arbre, fait voltiger les branches et des dizaines d’oiseaux tombent sur le sol ! « Ah ! Ah ! jubile le maire. J’ suis dans l’action, Jeffrey ! Je n’ m’ennuie plus ! J’ suis heureux ! »

  • Rank (110-115)

    R27

     

                  "Dites-moi que je la reverrai là-haut!

                    Oui, mon fils, vous la reverrez!"

                                                           Le Facteur sonne toujours deux fois

     

                                                110

    « Alors qu’est-ce que tu veux faire dans la vie, Paschic ? » La question vient d’un conseiller d’orientation, en visite dans l’école de Paschic, qui boude et a les mains dans les poches ! « Ben, répond Paschic, je veux être un agriculteur pour écraser les gens avec mon tracteur ! Ah ! Ah !

    _ Mais enfin les agriculteurs n’écrasent pas les gens !

    _ Non, mais je veux montrer ma colère, comme eux ! Car moi aussi, j’ai beaucoup à dire ! Ou bien alors, j’ s’rais pêcheur ! Je brûlerais des bâtiments, pour me réchauffer l’hiver !

    _ Ah ! Ah ! Tout ça n’est pas très sérieux, Paschic !

    _ Non, non, attendez, je veux être un internaute débile, qui déverse sa haine toute la sainte journée ! La nuance, pas pour moi ! Ou alors j’dirais que le problème, c’est le gouvernement ! J’ me tournerais les pouces !

    _ Voyons, Paschic, nous sommes là pour choisir un travail, un métier !

    _ Ah bon ? Vous voyez quelqu’un travailler dans c’ pays ? Qu’est-ce qui est difficile ? Pointer ou calmer sa haine ? Se changer soi-même ou casser c’ qui nous dérange ?

    _ Ben…

    _ Vous voyez, personne ne bosse ici ! Pourquoi, moi, j’ devrais faire plus ? Laissez-moi haïr, monsieur le conseiller ! Laissez-moi être bête et égoïste ! Vous savez c’ qui m’ fait peur ?

    _ Non…

    _ C’est la solitude de l’intelligence, de la compréhension ! Bon sang, j’ comprends qu’ les autres se débinent ! Se retrouver tout seul, ça donne froid dans le dos ! Je veux être dégueulasse, faire partie du groupe ! Vous savez, s’il y a des opérations pour enlever l’ cerveau ?

    _ Ah ! Ah ! Vous exagérez, Paschic…

    _ Être sans sentiment, la planque ! On s’ respecte, on est aux p’tits soins pour soi, mais pourquoi ne pas traiter les autres de la même manière ? Nous sommes tous humains, pas vrai ?

    _ C’est vrai, Paschic !

    _ Mais allez par là est extrêmement dangereux !

    _ Ah bon ?

    _ Bien sûr, ça conduit à la croix ! Moi, c’ que je veux, c’est être au chaud, dans la porcherie, avec les autres ! « La porte ! » j’ crierais, si jamais on veut m’ déloger !

    _ Écoutez, Paschic, je ne vous suis pas très bien… Moi, mon rôle, c’est de vous trouver une formation qui vous plairait…

    _ Ben, j’ vous l’ai dit ! J’ veux être un voyou, un paresseux, comme tout l’ monde ! Pas question d’ me lever hors de la tranchée ! En c’ moment, j’ suis pour les femmes et les agriculteurs ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ suis du côté du plus fort ! Pas fou le Paschic, il regarde d’où vient l’ vent !

    _ Bon sang, Paschic, vous avez des possibilités ! Il y a bien une profession qui vous permettrait de vous développer et de devenir utile dans la société !

    _ Et mon courage, mon amour, mon dévouement, qu’est-ce que j’en fais ? C’est bien ça qui gêne, non ? Écoutez tant que ça, c’est avec moi, je demeurerais suspect ! Maintenant, si vous me dites qu’il y a une consigne pour l’intelligence, j’y cours, j’y vole ! A moi alors le groupe, l’intégration ! A moi la place dans la meute ! A moi les toasts à la haine ! Enfin au chaud ! les pieds allongés sous la table ! Qu’est-ce que je peux rêver de mieux ?

    _ Vous me désorientez, Paschic…

    _ Vous m’en voyez désolé, monsieur le conseiller ! Pourtant, ma demande est simple ! Aidez-moi à m’intégrer, débarrassez-moi de ma compréhension, de ma compassion ! Rendez-moi mon égoïsme, mon aveuglement ! Si vous y parvenez, je signerai ce que vous voulez !

    _ Euh…

    _ Il n’y a pas une formation qui enlève tout jugement, tout esprit d’aventure ?

    _ Il y a bien les partis politiques et notamment les extrêmes…, mais ce ne sont pas a priori des formations !

    _ Aïe ! En fait, vous et moi, monsieur le conseiller, nous sommes un peu comme au temps du Rideau de fer, quand un Allemand de l’Est voulait passer à l’Ouest ! Et c’est vous le passeur et moi, le transfuge ! Fournissez-moi de faux papiers, construisez-moi une nouvelle identité ! « Paschic : gueulard, haineux, sans discernement ! » Voyez, je passerais inaperçu ! Les autres vont me voir comme l’un des leurs ! Le paresseux type !

    _ J’ vais voir c’ que je peux faire ! Mais j’ vous préviens, ce sera cher !

    _ Qui veut la fin... »

                                                                                                     111

    Paschic est dans la rue et mendie… « A vot’ bon cœur, mesdames messieurs ! Donnez ce que vous pouvez ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Un p’tit mépris, monsieur ? Merci ! Du dédain, madame ? Merci ! N’hésitez pas à me haïr ! C’est votre monnaie !

    _ Désolé, mais j’essaie de comprendre, d’aimer ! Je n’ai rien pour vous !

    _ Pour la prochaine fois alors ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Merci madame ! Merci monsieur ! Non, je n’accepte tout de même pas les coups de pieds ! Juste le mépris ! La violence est hors la loi ! Respectez les clous ! Merci madame, votre haine m’accompagne ! Merci monsieur, votre haussement d’épaules fera ma journée ! Ayez pitié du pauvre Paschic !

    _ Comme on se retrouve, minable !

    _ Lapsie ! Toujours un plaisir de te revoir !

    _ Tu n’as pas honte, Paschic, de mendier ! d’avoir l’air d’un gueux ! Pouah, tu pues, Pashcic !

    _ Ta haine remplit mon escarcelle, Lapsie ! C’est Noël pour moi !

    _ Mais enfin, quand deviendras-tu un homme, un battant ?

    _ J’ai choisi la voie de la sagesse, de la vie intérieure !

    _ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Dis plutôt que t’as peur, que tu n’ sais pas t’imposer !

    _ La haine nous aveugle…

    _ Tu sais ce que j’aime, Paschic, c’est la force ! J’aime quand j’ gagne et quand j’entends les os de mes adversaires craquer ! Alors je suis fière d’être debout ! Tandis que toi, tu as tout de la larve ! Assisté, va !

    A cet instant, Paschic se lève et touche la joue de Lapsie ! Puis, il la prend doucement dans ses bras… Lapsie a d’abord de la répulsion, puis elle s’abandonne et se met à pleurer ! Paschic vient de lui enlever la « barre de fer » qui la faisait souffrir ! Elle est émue… et elle regarde Paschic étrangement ! « Mais…, mais d’où te vient ce pouvoir, Paschic ? s’écrie-t-elle.

    _ Je suis le maître de ma haine, et c’est pourquoi je suis fort ! Je viens de te transmettre un peu de ma paix…

    _ J’ai soudain retrouvé l’espoir… Est-ce possible ?

    _ L’effet ne durera pas…, car il est le résultat d’une longue pratique… C’est un engagement de tous les jours et qui est pourtant possible pour tous… Mais…

    _ Tu as raison, ma haine revient ! Je te vois de nouveau misérable, Paschic, et cela me fait peur ! Tu es anonyme parmi les anonymes !

    _ Et pourtant je rayonne, n’est-il pas vrai ? Mais tu préfères rejoindre le troupeau, crier avec les loups ! Tu préfères ton malheur à ma paix !

    _ J’aime le pouvoir !

    _ Il n’est que du vent ! Les mille démons qui t’effraient, je les fais danser comme je veux ! Je suis le rocher et tu n’es que tourments !

    _ J’ai bien senti ta force étrange, mais je ne suis pas prête… Je dois…

    _ Ton fardeau, c’est ta soif de réussir, de vaincre !

    _ Mais enfin quel est ton secret ?

    _ Je suis le pauvre Paschic, celui qu’on hait et méprise…

    _ Je ne comprends pas…

    _ Tu veux la justice et moi, je te dis : « Fais mille pas avec ton ennemi ! » Tu te souviens ?

    _ Je ne crois pas…

    _ Ma paix est bien réelle cependant…

    _ Il faut qu’ j’y aille !

    _ Bien sûr ! Un peu de haine, un peu de mépris, pour le pauvre Paschic ! Donnez ce que vous pouvez ! Merci madame, merci monsieur !

    _ Au revoir, Paschic !

    _ Au revoir, Lapsie ! Va porter la bonne nouvelle !

    _ Je dirai à la Machine que je t’ai vu !

    _ Dis lui qu’il n’est jamais trop tard pour avoir la paix ! Elle aussi souffre comme toi !

    _ Et si tu te trompais, Paschic ? Regarde, tu n’es rien !

    _ Je te le répète, je fais danser tes monstres ! Je suis la lumière et la paix !

    _ Et la vérité ?

    _ Comment être fort avec le mensonge ? C’est pour cela que je suis le pauvre Paschic ! »

                                                                                                   112

    Au QG du Troisième Reich féminin, c’est l’ébullition ! On attend la visite de la Machine ! Le Führer de ces dames ! Lapsie et Bona, dans leur uniforme noir impeccable, marqué par le sigle FF, pressent leurs subalternes ! « Schnell ! Schnell ! » crient-elles et les bottes astiquées vont et viennent ! Depuis longtemps, les hommes ont été dressés, domestiqués, déstructurés ! Ils ne servent plus qu’à donner leur semence et encore ! A force d’être harcelés, écrasés, broyés, ils ne peuvent plus entrer en érection, ce qui provoque le mépris des femmes !

    Cependant, certains résistent, tel Paschic, qui a rejoint le maquis ! « Heil la Machine ! » font Bona et Lapsie, quand apparaît leur chef, qui les salue négligemment ! La Machine a les traits tirés et semble vieillie ! Elle ne dort plus et on finit par se demander où est son génie de naguère ! En effet au début de la guerre féminine, elle multipliait les coups d’éclat, avait des intuitions merveilleuses ! Les lignes masculines étaient enfoncées ! L’homme courait en déroute ! Les prisonniers se rendaient par milliers !

    Mais, maintenant, on perd des batailles, on ne progresse plus aussi vite qu’avant, on a du mal à tout contrôler ! N’a-t-on pas vu trop gros ? Est-ce une folie que de vouloir éradiquer l’homme ? Le nouvel ordre féminin ne peut-il pas s’imposer ?

    La photo de Paschic est bien en vue sur le mur, car il fait partie des derniers hommes dangereux… En dessous du cliché, les récits glaçants se succèdent ! Ici, il aurait tiré la langue à une fermière ! Là, il aurait refusé d’embrasser une FF, ce qui constitue une injure ! L’esclave doit obéir au maître ! Là-bas, il aurait craché sur un portrait de la Machine !

    La Gestapo le traque sans relâche ! On parle du Monstre des Vosges et on fouille chaque tas de foin ! On interroge, intimide, torture ! On examine chaque piste et la prise de cet ennemi du féminisme ne serait plus qu’une question d’heures ! Mais la Machine n’est pas convaincue et sa colère légendaire éclate : « Je me fous de ce que les Américains puissent aider Paschic ! Je le veux à un croc de boucher ! On ne défie pas la Machine ! Et la solution finale pour les hommes, on en est où ?

    _ On a ouvert un nouveau camp… Les trains ont été multipliés par quatre !

    _ Ce n’est pas suffisant ! Le Grande femme doit régner sur le monde ! Tous les hommes sont là pour la servir !

    _ Ya ! Ya ! Meine Machine !

    _ L’émasculation de masse ! La gloire lesbienne ! Rappelez-vous votre serment : le vagin ou la mort !

    _ Heil meine Machine ! »

    Un messager claque des talons et donne un billet à Lapsie, qui dit : « Les troupes de Paschic se dirigent vers le sud ! Nous les tenons ! » Chacune s’approche d’une carte : « Ils vont tomber sur la troisième division des panzers de von Paula ! exulte Lapsie. Ils seront broyés !

    _ Prévenez von Paula qu’il n’y aura pas d’ quartiers ! renchérit la Machine. Ce chien de Paschic ne doit pas nous échapper !

    _ Et si les Américains… coupe Bona.

    _ Je me fous des Américains ! s’emporte la Machine, qui d’un coup fait sauter toutes les positions de la carte. Je veux la peau du mâle en parchemins ! Nos ennemis sont partout et ils essaient de nous manipuler, de nous diviser !

    _ Heil ma Machine !

    _ Vous savez, ce n’est pas moi qui ai commencé ! Ce sont les hommes qui m’ont déclaré la guerre ! Moi, je ne rêvais que d’une chose, rester tranquille ! Quand tout cela sera fini, je retournerai à ma peinture ! Car j’ai encore une âme d’artiste, figurez-vous ! Je suis pour la paix, mais ce sera impossible tant que l’homme n’aura pas payé le prix ! 

    _ Et les femmes intelligentes, réfractaires ?

    _ Quel sort réserve-t-on aux traîtres ? Le billot et la hache ! Comment peut-on s’opposer aux FF ? »

    Soudain la sirène d’alerte aérienne retentit et il faut se mettre à l’abri ! On entend éclater les bombes et le sol tremble ! De la poussière tombe du plafond ! On tousse et on voit de plus en plus mal ! « Himmel ! Que fait la DCA ? tonne la Machine. » Mais personne ne lui répond : c’est l’enfer sur Terre !

                                                                                                       113

    Paschic, en tenue de prisonnier et avec d’autres, doit étendre des barbelés autour du camp de la Machine… Une gardienne vient cependant le chercher et Paschic inquiet se met à la suivre… On passe des sentinelles et à la grande surprise de Paschic, il est laissé dans le bureau de la Machine ! Il a soudain peur, car les colères de la Machine sont terribles et il se demande quelle faute il a commise !

    Pourtant, la Machine apparaît apaisante : « Ah ! Paschic, je suis heureuse de te voir ! Un verre de schnaps ? » Paschic ne répond rien, tellement il est surpris ! Voyant son embarras, la Machine se montre encore plus prévenante : « Assieds-toi, Paschic ! Détends-toi ! Oublions pour un temps nos différends ! Après tout, je suis ta mère ! » Paschic s’assoit docilement, mais reste sur ses gardes… Ce qu’ignore la Machine, c’est qu’elle a conditionné Paschic jusqu’au tréfonds ! Chaque geste, chaque mot est maintenant pesé par Paschic ! Il ne sera plus jamais naturel, il est marqué à vie ! Il est caché tout au fond de lui, comme un animal craintif dans son terrier !

    Il a dû s’enfouir pour survivre ! « Tiens Paschic, tu ne vas pas me dire que tu vas refuser un bon verre de schnaps ! Ah ! Ça fait du bien ! J’ai voulu te voir, Paschic, pour t’expliquer certaines choses… Je sais que tu m’en veux… et que tu peux me voir comme un monstre, mais tu ne connais pas la vérité ! Vois-tu, nous les femmes, nous ne sommes pas libres ! Je t’avoue que je voulais même pas me marier ! Mais c’était impensable pour l’époque, surtout dans mon milieu !

    On devait se marier, Paschic, et faire des enfants ! Eh oui, c’était comme ça ! Encore un p’tit verre ? Remarque que je suis quand même bien tombée avec ton père… On a formé une belle équipe, lui et moi, et on t’a pas raté non plus ! Pas vrai ? Hi, hi ! Mais, Paschic, la société, avec ses diktats masculins, ne laisse pas de peser sur la femme ! Il faut encore qu’elle soit une bonne épouse, une bonne ménagère, qu’elle soit l’honneur de son mari, toujours là pour ses enfants, etc., etc. !

    Cela nous demande beaucoup, Paschic ! Cela nous ronge même, nous dévore ! Ainsi, sous le joug du devoir, j’ai pu m’irriter, perdre le contrôle et me montrer injuste, trop directive à ton égard ! Tu vois, je reconnais mes fautes, mais je tiens à ce que tu saches que je ne suis pas entièrement responsable ! J’étais moi-même sous emprise ! Je me débattais pour conquérir ma liberté ! J’avais aussi mes chaînes ! »

    Un silence se fait ! Paschic est abasourdi ! Il est encore dans le brouillard, dans cette sorte d’hébétude qui lui est coutumière, car il se demande toujours s’il est bien réel, s’il existe vraiment, tellement il a été enfoncé en lui-même par la Machine ! Les propos qu’il vient d’entendre enfin le pénètre et il se met à rire, à rire !

    Cette réaction imprévue gêne la Machine, qui dit : « Sans doute que le schnaps te fait trop d’effet ! J’aurais dû m’y attendre ! » « Alors comme ça, pense Paschic, je n’ai pas servi de paillasson à la Machine ? Elle ne m’a pas bousillé, au nom de ses plaisirs ? Je ne suis qu’un dommage collatéral, dans sa lutte contre les diktats masculins ? Elle n’est pas d’un orgueil épouvantable ? Ce n’est pas seulement son monde qui doit triompher ? Toute résistance ne doit pas être écrasée ? Elle ne m’a pas massacré, dès que je la dérangeais ? Se sentant opprimée, elle a opprimée davantage ? Se sentant esclave, elle a voulu des esclaves ? »

    Paschic arrête subitement de rire : il est effrayé de s’être laissé aller et de nouveau il se ferme ! Il attend qu’on le laisse partir… La Machine est à des années-lumière de la réalité ! Cependant, elle est de nouveau gênée… Elle ne comprend pas le silence de Paschic, bien qu’il soit son œuvre ! « Écoute Paschic, dit-elle, il faut que tu réfléchisses un peu à cela… C’est nouveau pour toi… Tu peux t’en aller... »

    Paschic se lève et une fois dehors, il respire ! Il regarde le camp, les barbelés, les miradors… Il repense aux sévices, aux humiliations, aux coups, aux mensonges, aux perfidies, à cette incroyable injustice qui l’a détruit, aussi sûrement qu’un char qui lui aurait passé dessus, et tout cela ne serait dû qu’aux diktats masculins, qu’à une situation pénible vécue par la Machine elle-même ?

    Paschic est partagé entre le rire et les larmes, c’est typique du voisinage du désespoir ! Mais, ce soir, il va se faire la belle ! Depuis des mois, il construit un tunnel, patiemment ! Lui, la vérité, il la veut, d’où son acharnement ! Il n’en a pas peur, comme la Machine ! Ou bien elle existe, ou bien tout n’est que vent ! Paschic ne restera pas dans la demi-mesure de la Machine, son hypocrisie, son égoïsme ! Il a trop vu le mal qu’elle fait !

    Et puis, il se rend compte que la Machine a encore parlé d’elle, qu’il a encore été question d’ sa gueule et c’est bien là le problème ! La Machine n’aurait pas été un bourreau, si elle avait dépassé son nombril, si elle avait aimé plus qu’elle, plus grand qu’elle ! Les diktats masculins ? Alors que Paschic n’est plus que du sang mêlé de boue !

                                                                                                    114

    Paschic est DA (District Attorney) et en plein procès, il interroge la Machine, qui est accusée d’avoir tué son mari ! « Madame la Machine, racontez-nous encore une fois ce qui s’est passé cette nuit-là…

    _ Ben, j’étais seule à la maison et j’ai entendu du bruit… J’ai d’abord crû qu’une fenêtre s’était ouverte, puisqu’il y avait du vent et de la pluie dehors… Et puis, j’ai vu cette forme qui se dressait peu à peu le long du mur… C’était horrible ! Elle semblait interminable, avec des bras comme des tentacules !

    _ Votre Honneur, intervient Lapsie, l’avocate de la Machine, ma cliente est visiblement très éprouvée… Serait-il possible de faire une pause ?

    _ Maître, nous avons bien conscience de l’épreuve que traverse la Machine… Néanmoins, elle est l’accusée et elle va donc continuer son récit… Poursuivez madame la Machine…

    _ Oui, votre Honneur… J’étais absolument terrifiée ! Ce n’était même pas humain ce qui me menaçait ! C’est alors que je me suis rappelé l’arme que je place dans ma table de nuit… Je m’en suis saisie et j’ai tiré !

    _ Cinq fois ! fait Paschic.

    _ Je vous l’ai dit : j’étais terrifiée ! Puis je me suis approché, car la « chose » ne bougeait plus ! Et c’est là que j’ai reconnu Edgar ! mon pauvre Edgar !

    _ Vous n’aviez pas reconnu votre mari ?

    _ Comment aurais-je pu le reconnaître ? Il m’avait dit qu’il serait à son club !

    _ Madame la Machine, depuis quand avez-vous cette arme ?

    _ Cinq ans environ !

    _ Pouvez-vous dire au jury pourquoi avez-vous acheté cette arme ?

    _ Ben, la maison est assez isolée et…

    _ N’avez-vous pas déclaré à une amie qu’Edgar vous faisait peur ?

    _ C’est vrai… Il avait changé avec le temps… Il était devenu plus autoritaire… Il me reprochait mes amies, mes sorties, mes joies ! J’ai tout sacrifié pour lui, mais rien ne pouvait le satisfaire ! Il était… il était toxique !

    _ A un tel point que vous avez acheté une arme pour vous défendre ?

    _ Objection votre Honneur ! s’écrie Lapsie. Le DA fait les questions et les réponses !

    _ Objection retenue !

    _ Très bien, reprend Paschic, je vais poser ma question autrement ! Madame la Machine, ne pensez-vous pas que l’achat d’une arme est exagéré, pour régler un problème de couples ?

    _ Edgar me dévorait ! Il me bouffait ! La prochaine étape, je le savais, ce serait des coups ! Et il n’était pas question qu’on en arrive là ! J’étais prête à me défendre !

    _ Votre Honneur, poursuit Paschic, je voudrais montrer une vidéo…

    _ Objection votre honneur ! coupe Lapsie. La défense n’a pas été informée de l’existence de cette vidéo !

    _ Que le ministère public et la défense veuillent bien approcher ! dit le juge. Monsieur le DA, est-ce vrai que vous avez caché à la défense l’existence de cette vidéo ?

    _ Mais pas du tout ! Elle se trouve page 19 dans la liste des pièces remise à la défense !

    _ Noyée dans un tas d’ saloperies ! réplique Lapsie.

    _ Maître, surveillez vos propos ! dit le juge. Monsieur le DA, êtes-vous bien sûr que cette vidéo peut faire évoluer l’affaire ?

    _ Elle l’éclairera d’un jour tout à fait nouveau !

    _ Très bien, j’autorise le visionnement de cette vidéo, mais soyez convaincant, monsieur le DA !

    _ Merci votre honneur…

    _ Très bien, le jury est prévenu qu’il va voir une vidéo, annonce le juge. »

    A l’écran, on découvre une petite épicerie, dans laquelle entre la Machine ! Immédiatement, les autres clients se mettent à genoux, pour montrer leur déférence et l’épicier ne cesse de faire des courbettes ! Il semble même donner de l’argent à la Machine ! « C’est bien vous que l’on voit sur l’image ? demande Paschic à la Machine.

    _ Euh… Oui…

    _ Tout le monde tient à vous marquer du respect, car vous êtes très connue dans ce quartier… et pas seulement celui-là ! En fait, il s’avère que les trois quarts de la ville vous appartiennent et que votre vrai nom est le Mépris ! Est-ce exact ?

    _ Edgar était toxique ! Il me menaçait !

    _ Vous vous appelez le Mépris et vous régnez sur la ville ! Mais Edgar était le problème ?

    _ C’est lui qui avait la force physique !

    _ Nous savons que vos affaires périclitent… Mais Edgar n’avait pas un sou… Cependant, vous faites actuellement la une, en vous présentant comme une femme qui a défendu sa vie, face à un conjoint violent… N’est-ce pas là une manière de vous remettre en selle ?

    _ Et alors ? Le train MeeToo profite à tout le monde et pourquoi pas à moi ? J’ai jamais eu d’ chances dans la vie ! Mais je n’ai pas tué Edgar pour ça !

    _ Non, vous l’avez tué parce que vous le méprisiez !

    _ Espèce de sale mâle prétentieux ! J’ai qu’à claquer des doigts et demain tu m’ supplieras d’ t’épargner !

    _ Je n’ai pas d’autres questions, votre Honneur ! »

                                                                                                         115

    La Machine, Bona et Lapsie fument des cigares, en sirotant leur whisky… « Non mais écoutez-moi ça ! s’écrie Bona, le nez dans le journal. « Paschic, un heureux dans la rue ! Question du journaliste : « Monsieur Paschic, comment faites-vous pour paraître aussi serein, aussi détendu ! On dirait qu’une bonne étoile vous protège ! » Réponse : « Vous voulez mon secret ? Je ne fais que ce qui m’amuse ! ainsi je garde la joie de vivre et je ne fais pas suer mes concitoyens ! » Question : « Que ce qui vous amuse ? Mais faut travailler dans la vie ! » Réponse : « Et qui vous dit que je ne travaille pas en m’amusant ! Vous connaissez la formule : « Heureux les purs, car tout leur est pur ! » 

    _ Nom d’un chien ! s’insurge Lapsie. Qu’est-ce qui faut pas entendre comme conneries ! Lui pur ? Quelqu’un pur ?

    _ C’est surtout mauvais pour les affaires, rétorque la Machine. Quelqu’un qui s’amuse sur mon territoire, c’est très démoralisant pour ceux qui sont sous ma domination ! Ça leur donne des idées…, des idées de grandeur, de rébellion !

    _ C’est encore mauvais pour MeeToo, renchérit Bona. Accorder de l’attention à c’ type, c’est moins de lumière pour les femmes ! Et puis, c’est de nouveau le mâle triomphant !

    _ J’ crois que nous sommes toutes d’accord, ajoute la Machine, il faut lui régler son compte une bonne fois pour toutes ! Je ne vais pas laisser c’ morveux me marcher sur les pieds !

    _ T’as raison, fait Lapsie. J’ai justement acheté du nouveau matériel que je voudrais bien essayer ! On va voir comment le « pur » arrête les balles ! »

    Chacune prend ses armes et on les entend les vérifier ! Pistolets, fusils, couteaux et même grenades sont embarqués et la voiture du trio démarre. Pendant ce temps-là, dans sa petite maison, Paschic se pénètre d’un oud mélancolique, en accord avec l’éclairage tamisé ! Soudain, les vitres éclatent, les tableaux tombent et des balles perforent les murs ! Les tirs paraissent incessants et Paschic, après avoir été blessé à la jambe, s’est traîné derrière le divan !

    Le silence se fait un moment, mais c’est que les filles approchent et entrent dans le salon… Elles marchent sur les débris et entendent les plaintes de Paschic ! La Machine contourne le divan et loge dans Paschic deux balles, dont l’une dans la tête ! Le travail est terminé et les tueuses se pressent vers leur voiture, alors que déjà au loin retentit une sirène ! Un voisin a dû prévenir les secours…

    Le lendemain, les filles regardent la télé et notamment le JT : « Une tuerie s’est produite hier soir, dans le quartier résidentiel de Hampshire, explique la journaliste. La victime, nommée Paschic, a immédiatement été conduite à l’hôpital, où elle combat entre la vie et la mort ! On ignore encore quelles sont les causes de ce crime et quels en sont les auteurs... »

    « C’est pas vrai ! s’écrie Bona. Vous avez entendu ? Ce fumier est encore vivant !

    _ Je lui ai pourtant mis une balle dans la tête ! précise la Machine.

    _ Ça devrait suffire, réplique Lapsie. S’il est encore vivant, c’est à l’état de légume !

    _ Il y a quand même un doute… poursuit la Machine.

    _ Dans c’ cas, y a plus qu’une solution ! fait Bona.

    _ Ah oui ? Et laquelle ? demande la Machine.

    _ Tautonus ! C’est un spécialiste ! Rien ne lui résiste !

    _ OK ! dit la Machine. Je le mets sur le coup ! »

    A l’hôpital, Paschic émerge discrètement du coma et il entend un médecin dire à un de ses collègues : « J’ sais pas comment c’est possible ! La balle dans le cerveau ne l’a pas tué !

    _ Mais il gardera des séquelles !

    _ Sans doute ! Reste à savoir à quel stade il sera diminué ! »

    Les deux médecins s’éloignent et Paschic se rendort ! Quand il se réveille à nouveau, il fait nuit et tout semble calme…, mais Paschic reconnaît soudain une voix dans le couloir : celle de Tautonus ! Celui-ci parle avec une infirmière, comme si lui-même faisait partie du personnel ! Vite, il faut trouver une solution pour Paschic !

    Il fait l’effort de sa vie ! Il avance en boitant et en suant vers son placard ! Il se saisit de son manteau et d’un bonnet, qui vont prendre sa place ! Puis, il détache les fils qui l’encombrent et les glissent sous les couvertures ! L’alerte est sûrement donnée, mais Paschic n’en a cure et il se cache dans le placard, vaste comme une salle de bains ! De là, il voit Tautonus qui entre sans tarder et qui d’une main sûre tire avec un silencieux, sur la forme du lit ! Tautonus n’a pas le temps de vérifier son œuvre et il disparaît ! Enfin, Paschic peut s’écrouler !

    Bien plus tard, quand il sortira de l’hôpital et malgré son handicap, car il ne sera plus lui-même, il sera sans pitié pour le crime !

     

  • Rank (105-109)

    R26

     

                         " Attention à mon Nagra! C'est Suisse, c'est précis!"

                                                                                 Diva

     

     

                                                 105

    Paschic est inspecteur de police et il interroge une suspecte… « Résumons-nous, si vous le voulez bien… Vous avez utilisé votre mari, pour vos plaisirs, jusqu’à ce qu’il en crève ! comme on tue un cheval à la tâche ! C’est bien ça ?

    _ Mais pas du tout ! On formait un couple heureux, complémentaire, uni dans la lutte, une vraie réussite !

    _ Bien sûr ! Mais ça, c’est pour la vitrine ! La vérité, c’est que vous avez transformé le pauvre gars en toutou ! Il faisait vos quatre volontés ! Il ne méritait d’ailleurs pas mieux, tellement vous le méprisiez !

    _ Sans moi, il serait resté un minable !

    _ Sans vous, il serait encore en vie !

    _ Mais pour qui vous prenez-vous ? Sale con prétentieux !

    _ Outrage à magistrat ! On commence à y voir un peu plus clair !

    _ Mais enfin que me reprochez-vous ? Mon mari est parti d’un cancer foudroyant !

    _ Mais je me fais fort de prouver que c’est votre traitement qui l’a mené vers cette issue ! Il était votre esclave, vous l’avez détruit ! J’appelle ça un meurtre par la bande !

    _ Je veux parler à mon avocat !

    _ Vous savez, les femmes tuent, mais à leur manière ! Elles n’ont pas la force physique, alors elles broient ! Ça dure des années, mais c’est efficace !

    _ Vous ne pouvez pas comparer ça à un féminicide ! Je n’ai jamais eu l’intention de donner la mort !

    _ Mais les auteurs de féminicides non plus ! Je vous assure ! Ils voient rouge... Leur haine est incommensurable, leur mépris aussi ! Et ils ne prennent véritablement conscience du drame que bien après ! quand ils ne se sont pas supprimés eux-mêmes !

    _ Tous des mauviettes… ou des assassins !

    _ C’est le mépris qui assassine, qui fait que l’autre n’a aucune valeur ! Et c’est bien votre mépris qui a tué votre mari ! »

    A cet instant, le commissaire ouvre la porte de la salle d’interrogatoire et dit : « Paschic, dans mon bureau ! » Paschic, à regret, doit abandonner sa suspecte et il suit le commissaire… « Mais bon sang, Paschic, qu’est-ce que vous foutez ? s’écrie le commissaire dans son bureau.

    _ J’essaie de coincer une meurtrière !

    _ Ah bon ? Et comment allez vous faire aux yeux de la loi ? Comment allez-vous prouver que cette femme est à l’origine du cancer de son mari ?

    _ Je vais mettre les faits bout à bout ! Il y a des témoignages, qui décrivent le comportement tyrannique de cette femme, son dédain à l’égard de son mari ! Je vais montrer comment l’état de santé de celui-ci s’est dégradé au fil du temps !

    _ Un bon avocat mettra vos éléments en pièces ! Jamais on qualifiera le cancer de meurtre !

    _ Il faut faire avancer la loi ! Elle doit prendre en compte la violence des femmes ! Elles sont aussi des tueuses !

    _ Vous me faites chier, Paschic ! Votre combat est hors de propos, il est anachronique ! Vous savez qui je viens d’avoir au téléphone ? Le préfet, Paschic ! C’est un ami de la dame et il veut sa libération immédiate ! Elle est du gratin, Paschic ! On n’y touche pas, à moins que ce n’ soit vraiment sérieux ! Vu ?

    _ Le pauvre type n’a eu aucune chance ! Elle l’a broyé et jeté comme un peau d’orange ! après en avoir bu tout le jus ! C’est un vampire, cette femme-là… et il y en a bien d’autres !

    _ Écoutez, Paschic, vous êtes un bon flic, mais un emmerdeur ! Pourquoi ne prendriez-vous pas un peu de vacances ! Vous relâchez la dame et vous repartez du bon pied !

    _ J’ai déjà pris mes congés…

    _ Pfff ! Pourquoi n’êtes-vous pas comme tout le monde, Paschic ? Pourquoi cherchez-vous la petite bête ? Vous avez un salaire convenable, vous pourriez fonder une famille…

    _ Vous voulez dire que la vie ressemble à un spot bancaire ? On s’engueule, on se réconcilie, on a des projets, on voit ses enfants grandir… et puis on meurt ! Comme c’est attendrissant ! C’est l’équilibre selon les psys ! Un monde où notre mépris quotidien n’existe pas !

    _ En tout cas, laissez tomber cette affaire !

    _ Vous savez pourquoi le chaos nous entoure, pourquoi nous crevons de soif ? C’est justement parce que nous poursuivons un mirage ! »

                                                                                                        106

    Paschic, toujours flic, apprend qu’on va décorer la Machine pour sa vie de mère exemplaire ! Il ne fait qu’un bond et décide de se rendre à la cérémonie ! Il y a beaucoup de monde, avec des cocardes partout et une fanfare ! Le maire est là, sur une tribune, et on attend la star ! Elle arrive en grosse limousine noire, avant d’emprunter le tapis rouge, et du véhicule sortent d’abord Lapsie et Bona, la main sur leur oreillette ! Elles sont là pour protéger la Machine et s’assurer que la voie est libre ! Puis, la Machine apparaît, rayonnante sous les flashes ! Elle salue son public, venu nombreux pour l’acclamer ! On crie : « La Machine ! La Machine ! » pour attirer son attention ou recevoir un autographe !

    La fanfare entame une marche triomphante et le maire souriant conduit la Machine jusqu’à la tribune ! Là, le maire et la Machine lèvent la main ensemble, comme pour montrer qu’ils sont unis dans la même lutte, celle du bien contre le mal ! La foule approuve et participe à l’engouement ! L’horizon n’est pas totalement noir, puisque la justice a aussi ses moments de gloire ! C’est ce que pensent les uns et les autres et quand le maire commence son discours, le silence se fait naturellement ! Le respect est respecté !

    « Mes chers concitoyens, dit le maire, elle est là ! Elle est venue ! (cris d’enthousiasme!) Elle est venue pour soutenir notre combat ! celui des droits de la femme contre l’oppression, les vexations de l’affreux patriarcat ! Qui mieux que la Machine peut représenter notre soif, notre idéal de vérité et d’égalité ? Car la Machine n’est pas seulement une femme, mais une mère, une mère sacrée comme elles le sont toutes ! En effet, la Machine a élevé des hommes dans un monde d’hommes et cela veut dire qu’elle a dû se battre doublement, à l’extérieur comme à l’intérieur de la famille, pour mettre à bas les préjugés masculins ! Cette femme, mes chers concitoyens, nous ne sommes pas dignes de délier ses souliers ! Elle est une égérie par excellence ! un exemple pour tous ! C’est une pionnière qui nous montre que la famille et le pouvoir ne sont pas incompatibles ! que la reine peut faire aussi bien et mieux encore que le roi ! (Applaudissements, cris d’enthousiasme!) Je suis fier aujourd’hui d’être aux côtés de la Machine, car plus nous serons nombreux et plus nous pourrons faire bouger les choses ! Qu’à jamais le nom de la Machine soit associé à celui de notre ville ! Que notre chère cité symbolise le combat des femmes libres ! Mais ce n’est pas moi que voulez écouter, c’est elle ! La fabuleuse, l’extraordinaire Machine ! (Foule en délire!) »

    La Machine prend le micro : « Salut vous tous ! (Acclamations!) Vous êtes chaud ! Comment ? Je ne vous entend pas ? Ah ! C’est mieux ! Je vous aime tous ! Mon triomphe est aussi le vôtre, car vous et moi, nous ne désirons qu’une seule chose, la vérité pour toutes les femmes ! La justice ! Nous la voulons du fond du cœur ! Car nous sommes toutes des opprimées ! Toutes ici nous avons été blessées par l’égoïsme masculin ! Toutes ici nous avons été confrontées aux abus de l’homme ! Toutes ici avons été un jour ou l’autre des victimes, des incomprises, et toutes ici avons pleuré et gardons des plaies qui ne sont pas guéries ! Ce n’est pas vrai ? (Le silence s’est installé et on entend des larmes ici et là!)

    _ Arrête ton char ! La vérité, c’est qu’ t’es une belle salope ! qui n’a pensé qu’à sa gueule tout le temps ! (C’est Paschic qui se met à crier!)

    _ Évidemment, le combat continue ! reprend la Machine (elle s’efforce d’être indifférente à Paschic!) Certains mâles continuent de nous harceler et à répandre leur venin, mais…

    _ T’es une ordure, moi, je le sais ! Un monstre d’hypocrisie ! Le monde entier doit tourner autour de ton nombril et encore aujourd’hui, t’as la gueule dans la gamelle ! L’égoïsme féminin est égal au masculin ! Pas de problèmes, l’un vaut l’autre ! Et ton mépris, bon Dieu, ton mépris incommensurable ! Mais qu’est-ce que vous avez tous ? Vous êtes débiles ou quoi ? Notre ennemi, ce n’est pas l’homme ! C’est notre propre pourriture ! C’est le mépris commun qu’il faut combattre ! »

    A cet instant Lapsie et Bona, accompagnées par des hommes en noir, s’approchent de Paschic et s’en saisissent ! « Monsieur, fait l’un, veuillez quitter les lieux ! Vous perturbez la cérémonie !

    _ Va te faire foutre ! La machine est une ordure ! Et il faut qu’on le sache ! »

    Il s’ensuit qu’on pousse Paschic vers la sortie et il essaie de se libérer, en criant encore : « La Machine, j’aurai ta peau ! Bande de fumistes ! Tas de ploucs ! Bande de couilles molles ! C’est une abomination et vous êtes ses complices ! Mais la vérité éclatera ! »

    Subitement, Paschic reçoit un choc électrique et s’évanouit ! C’est l’acte de Lapsie, qui dit à ses hommes : « Lâchez-le dans les poubelles, mais veillez à ce qu’il ne revienne pas nous emmerder ! » Les hommes acquiescent et la cérémonie reprend doucement, à mesure que les esprits se calment !

                                                                                                      107

    A la fête foraine, Paschic mâche nonchalamment de la barbe à papa et s’approche d’un forain qui crie : « Entrez dans le château de la mort, mesdames et messieurs ! Affrontez les monstres les plus épouvantables et les plus horribles, créés par la technologie la plus moderne ! Je vous garantis que vous allez trembler de la tête au pied ! A moins que vous n’ayez peur… N’est-ce pas, monsieur ?

    _ C’est à moi que vous parlez ? fait Paschic.

    _ Vous voyez quelqu’un d’autre derrière vous ?

    _ Non, mais…

    _ Mais vous êtes déjà en train de vous défiler ! C’est humain ! (Il hausse les épaules!)

    _ Ah ! Ah ! Vous insinuez que j’ai peur, c’est ça ?

    _ Je n’insinue rien ! Je vois, c’est tout ! Vous êtes verdâtre, vous transpirez ! On dirait la dernière feuille accrochée à son arbre !

    _ Un billet, l’escroc, et plus vite que ça ! Je vais vous montrer, moi, que je suis une sorte de titan imperturbable ! J’en ai vu bien d’autres !

    _ 15 euros ! Mais c’est quasiment à contre-cœur ! Je vais utiliser ma machinerie pour rien, car vous allez vous évanouir dès la première scène ! Enfin,  vous êtes sûr d’être majeur ?

    _ Ah ! Ah ! Je vais ressortir de là les doigts dans le nez ! J’aurais l’air de Surcouf sur le pont du Triton !

    _ Hein ? Mais c’est pas grave : j’ suis assuré, même s’il faut vous ramasser à la petite cuillère ! »

    Paschic à son tour hausse les épaules et pénètre dans le château ! Il entend d’abord un vacarme épouvantable, puis un type avec un casque vient vers lui ! « Il faut que vous dégagiez ! dit le type. C’est un chantier ici !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? (Le vacarme redouble!)

    _ Je dis que c’est un chantier ici ! Faut dégager !

    _ Bon sang, j’entends rien ! C’est un chantier, c’est ça ?

    _ T’es un connard, j’ me trompe ? J’ te dis qu’ c’est un chantier ! Alors tu dégages !

    _ Qu’est-ce que vous faites ici ? (Paschic hurle!)

    _ La Cité du bonheur ! Deux mille logements, aux normes environnementales ? Hein, qu’est-ce que tu dis d’ ça ?

    _ Vous êtes sûr que c’est pour le bonheur des gens ?

    _ Ben, après la peinture, on verra mieux ! Pour l’instant, c’est du travail ! On bosse quoi ! C’est pourquoi tu peux pas rester là !

    _ Ouais, ouais, moi, j’ bosse pas, j’ fais pas d’ bruit, alors j’ dégage !

    _ Mais tu parles not’ langue ! »

    De nouveau Paschic hausse les épaules ! Mais une légère angoisse le prend : si la première épreuve était la plus facile, il ne sait pas désormais s’il pourra résister aux prochaines, tant le bruit l’a déjà abruti ! Mais enfin il poursuit et soudain un fumigène rougeâtre roule à ses pieds ! Il l’esquive, mais un jet de lisier le menace et en voulant s’écarter, il bute contre une gigantesque roue de tracteur ! Des hommes en salopette se jettent sur lui et lui crient : « Nous, on est en colère ! On en a marre !

    _ Mais, les gars, j’ peux pas faire grand-chose pour vous… Le forain, à l’entrée, m’a pris tout ce que j’avais !

    _ On s’en fout d’ ton fric ! Nous, on est en colère, on en a marre !

    _ Attendez, si je comprends bien, vous êtes comme moi ! Vous êtes en colère contre Poutine qui tue impunément et qui a tous les cynismes ! Vous pensez comme moi aux enfants ukrainiens morts !

    _ Non, nous…

    _ Ah, j’y suis ! Vous êtes énervés contre Trump, parce qu’il saccage la vérité ! D’ailleurs, depuis le début vous êtes au service du bien, de la vérité et vous êtes désespérés de prêcher dans le désert ! Ce qui vous attriste le plus, c’est l’hypocrisie ambiante, car c’est elle qui crée l’injustice !

    _ Ah ! Mais tu nous entends pas ! Comment nous, on va faire demain ? On sait pas !

    _ Oh ! C’est votre nombril qui vous préoccupe ! Alors ça va ! Ou plutôt vous s’rez toujours malheureux ! Et moi qui croyais que vous étiez inquiets à cause de la misère, du manque d’amour, car c’est ça la véritable misère ! l’égoïsme et l’indifférence !

    _ Eh les gars ! C’en est un du gouvernement ! un beau parleur ! On va t’en faire baver le pied plat ! »

    Paschic se dégage (après tout, il a affaire à des sortes d’hologrammes!) et il rentre dans un pécheur, qui lui met un couteau sous la gorge : « T’as pas compris que c’est moi qui commande ? fait le pêcheur. Tu percutes toujours pas ?

    _ Si ! Si ! répond Paschic qui transpire abondamment. Tu peux tuer les dauphins et vider la mer !

    _ T’as rien à m’interdire ! T’entends ! Sinon couic ! »

    Pashcic acquiesce et continue… La lumière devient glauque et un homme avec un flingue s’agite bientôt devant Paschic : « Tu sais ce qui arrive quand je ne bétonne plus ? demande l’inconnu.

    _ Vous commencez à aimer les arbres ! Ah ! Ah ! »

    L’homme regarde Paschic sans comprendre ! Il a un voile gris devant les yeux ! Paschic prend conscience qu’il est devant un fou et lentement il s’échappe ! Il croit que le pire est passé, mais plus loin des femmes l’attendent ! La gorge de Paschic se noue et s’il avance encore, c’est comme dans un rêve ! « Non mais visez-moi qui arrive, les filles ! fait l’une des femmes. C’est le patriarcat ! Queue d’âne en personne ! Alors tu veux m’ violer, le gringalet ?

    _ Non, moi, j’ai toujours été poli avec les dames ! C’est d’ailleurs c’ qui m’a perdu !

    _ Hein ? Tu critiques ! Tu chiales même ! J’ parie qu’ t’en as pas !

    _ Mais si, mais si ! Mais c’est beaucoup trop gros pour vous, les midinettes !

    _ Tu vas voir, on va t’arracher le tout et l’ bouffer !

    _ Encore si vous étiez bien roulées !

    _ Grrrr ! »

    Paschic a énervé exprès ces dames, pour filer dans leur fureur et il se retrouve dehors, face au forain ! « Alors ? lui demande celui-ci. Pas trop effrayé par la société ?

    _ Pfff ! fait Paschic. J’ai été élevé par la Machine ! Ton château à côté d’elle, c’est Azay-le-Rideau !

    _ Quoi ? Quoi ? Et qui c’est ça, la Machine ?

    _ La Machine ? Elle te transforme en copeaux et inspecte chacun d’eux, pour voir s’ils sont bien morts ! Il m’est arrivé de vivre à côté de moi, peinard, sans m’ faire repérer !

    _ Tu déconnes ? »

                                                                                                          108

    Paschic est réalisateur et aujourd’hui il tourne un épisode d’une série à succès ! Pendant que les techniciens préparent la scène, Paschic se remémore son entrevue avec le directeur de la chaîne, avant de commencer le tournage… Dans le bureau, à la moquette épaisse, on domine toute la capitale et le directeur, un homme massif, ne pouvant fumer, se vengeait sur des pistaches ! « Paschic ! s’écria-t-il en se plantant devant la fenêtre, j’ai des ordres d’en haut !

    _ Des ordres ?

    _ Enfin des recommandations ! De chaudes recommandations, si vous voyez ce que je veux dire ! Le mot d’ordre est Cohésion, Paschic ! Nous voulons, je veux, vous voulez de la cohésion !

    _ De la cohésion ?

    _ Exactement ! L’unité du pays, Paschic, voilà la clé du futur ! Que chacun, avec sa différence, se sente chez lui ! Pas d’émeutes, Paschic, pas d’ fractures ! De l’harmonie et encore de l’harmonie ! (Il s’éponge le front!)

    _ Ça veut dire quoi exactement ?

    _ Mais que toutes les minorités soient représentées ! Je veux des Noirs, Paschic ! des Arabes ! des Asiatiques ! des homos ! Il faut respecter les quotas ! Personne, vous entendez, personne, ne doit se sentir rejeté !

    _ Bien, bien, je ferai attention !

    _ Notre société est mosaïque, Paschic, il faut que la série reflète cette réalité ! Nous marchons sur des œufs, Paschic ! Le moindre faux pas et mille associations nous tombent dessus ! En ce cas, vous et moi, on saut’ra ! (Il s’essuie encore le front!)

    _ Cohésion, patron ! »

    Les techniciens ont terminé et les comédiens se placent… Paschic se retourne vers le Comité féministe installé dans son dos et qui joue aussi le rôle de censure ! Elles sont trois femmes, comme les Parques, et Paschic leur dit : « Je vous rappelle le sujet… Donc, les deux lesbiennes…

    _ Dites plutôt les deux homosexuelles…, réplique l’une des femmes.

    _ Très bien, donc les deux homosexuelles femmes se querellent quant à leur troisième PMA ! L’une veut un Noir, mais l’autre un Breton ! Elles se demandent alors lequel aurait le plus de chances de réussir !

    _ Le Noir évidemment !

    _ Voilà un beau parti pris ! Et si le Noir est breton !

    _ Mais c’est vous qui posez le problème, comme si breton s’opposait à noir !

    _ En fait, je crée une tension pour apporter un soulagement ! Une série, c’est fait pour jouer sur nos émotions ! A un moment donné, nos deux lesbiennes…

    _ Nos deux homosexuelles…

    _ Elles se rendent compte qu’elles peuvent avoir les deux, grâce à l’intervention du docteur, qui leur dit qu’un breton noir, c’est possible !

    _ Dieu merci !

    _ Vous voyez, tout s’arrange ! Cohésion ! Harmonie, paix !

    _ Dites, faudrait quand même éviter la dérive sectaire... »

    A cet instant, le comédien arabe s’adresse à Paschic : « J’ai un petit problème dans la scène du 5… Au moment même où j’apparais, le cuisinier crie : « A la soupe ! »

    _ Oui, c’est une formule familière, sympathique !

    _ Moi, je ne suis pas croyant, mais d’autres pourraient mal interpréter cette coïncidence !

    _ Quelle coïncidence ?

    _ Eh bien, on me voit et le « A la soupe » ressemble à « Allah soupe ! » Tu piges ?

    _ Euh… (Paschic s’essuie lui aussi le front!)

    _ Ça sent l’injure ! Et tu sais ce qui va suivre, hein ?

    _ Tu as parfaitement raison ! Bon sang, tu nous as évité une belle bourde ! On change la formule ! Bon, les enfants, on y va ! Chacun prend sa place ! »

    A cet instant, Paschic marche distraitement sur la queue d’un chien, celui du couple lesbien, et l’animal pousse un hurlement de douleur ! « Pardon le chien ! Pardon le chien ! s’écrie Paschic.

    _ Les excuses ne suffisent pas ! fait quelqu’un. Je suis le propriétaire de l’animal et cet incident ne serait pas arrivé, si le chien n’avait pas été gardé aussi longtemps en laisse ! J’appelle Nos Amis les animaux !

    _ Posez-moi ce téléphone ! Le chien est augmenté ! Ça vous va ? »

    La scène est tournée et c’est la pause… La comédienne star s’approche de Paschic… « Dis, Paschic, j’aime ta patience, ton calme… Ça t’ dirait qu’on dîne ensemble ce soir ?

    _ La vache, le putain de piège !

    _ Quoi ?

    _ Non, mais attends ! J’accepte et toi, tu cours vers le Comité féministe, pour lui dire que j’ai essayé d’abuser d’ toi ! Pas d’pot, ma vieille ! J’ suis pas né de la dernière pluie !

    _ Mais qu’est-ce que tu racontes ! Je suis sincère !

    _ Vas-y, continue ! Tu ouvres toute grande ma tombe ! Mais Paschic n’y tombera pas !

    _ Connard !

    _ Harmonie ! Cohésion ! »

                                                                                                    109

    Maintenant la Machine est vieille et dolente ! Elle reste le plus souvent alitée et une auxiliaire de vie veille à son bien-être ! « Aaaaatcha ! fait la Machine sur ses oreillers.

    _ Tiens, vous avez pris froid ! dit l’auxiliaire qui arrête de balayer.

    _ Oh ! S’il n’y avait que ça !

    _ Vous m’avez l’air un peu déprimée ce matin !

    _ Peut-être… Aaaatcha !

    _ Mais vous ne pouvez pas rester comme ça ! Je vais vous faire un thé, quelque chose de chaud !

    _ Au point où j’en suis !

    _ Mon Dieu, ça ne va pas du tout ! Où est la femme combattante que vous m’avez habitué à voir ?

    _ Vous avez raison, je me laisse aller…, mais le cœur n’y est plus !

    _ Écoutez, je vais augmenter le chauffage, redresser vos oreillers et…

    _ Passez-moi plutôt mon album ! Vous êtes jeune et vous ne pouvez pas comprendre ! Vous n’avez pas conscience que vous vivez votre meilleure période ! Vous vous en plaignez sûrement et pourtant elle ne durera pas ! La vieillesse vient trop vite et quand enfin vous ouvrez les yeux, il est trop tard !

    _ Vous m’intriguez… Voilà votre album… Qu’est-ce que vous voulez y voir ?

    _ Ah ! Mon époque faste ! que je croyais éternelle ! ou plutôt dont j’ignorais tout le suc, toute la valeur ! Mais j’étais si nerveuse en ce temps-là ! si préoccupée ! La carrière de Tautonus, les enfants, le patrimoine ! J’étais sur tous les fronts, aveuglée par l’action et comme je vous l’ai dit, il faut la vieillesse pour comprendre qu’on a mangé son pain blanc ! Tenez, regardez cette photo...

    _ Je vois un jeune garçon…

    _ Remarquez comme il est falot ! Hi ! Hi ! Il est presque transparent, à force d’être insipide ! C’est Paschic, l’un de mes fils, et il n’a jamais rien fait d’ sa vie !

    _ Il a surtout l’air timide… Mais il ne peut pas être aussi mauvais que ça !

    _ Comme je l’ai méprisé… et je le méprise encore de toute mon âme… et pourtant comme il me manque !

    _ Je ne comprends pas…

    _ Je sais… Moi non plus, à l’époque, je ne comprenais pas la valeur de ce minable ! Mais en réalité il m’était essentiel ! Ah ! S’il pouvait revenir, je… je le reprendrais en main ! On recommencerait comme au bon vieux temps ! Je retrouverais enfin un peu de mon lustre ancien !

    _ J’avoue que je ne comprends toujours pas… Pourquoi regrettez-vous un garçon qui apparemment ne vous a donné aucune satisfaction !

    _ Mais parce que je m’essuyais les pieds sur lui ! Il était ma bête noire ! Je le voyais comme un fléau, mais il me servait à me soulager de toutes mes humeurs ! C’est lui, plus qu’aucun autre, qui me rendait le sentiment de mon importance, de mon pouvoir ! Aaaatcha !

    _ Ne vous excitez pas trop tout de même !

    _ Avec mes autres enfants, je me sentais parfois intimidée…, mais jamais avec lui ! Un vrai doux ! Dès que je manquais de confiance en moi, j’allais l’engueuler, je l’écrasais, je le faisais pleurer, marcher à la baguette et alors le miracle se reproduisait, j’étais toute ragaillardie, de nouveau combattante ! Je reprenais goût à la vie ! J’avais un but : changer ce minable !

    _ Ce n’est pas bien…

    _ Pas bien ? Oh, comme je comprends Poutine ! Pensez, ces méprisables Ukrainiens qui ont osé s’opposer à son contrôle ! L’ivresse du pouvoir, vous ne la connaissez pas !

    _ Et maintenant, où est Paschic ?

    _ Snif ! Il a réussi à m’échapper ! Boooououh ! A présent, je vois combien il m’était indispensable ! Il me manque ! Je voudrais de nouveau l’insulter, vider ma colère sur lui ! J’irais mieux ! Au lieu de ça, mes journées me paraissent mornes ! Je suis dans l’antichambre de la mort !

    _ A la façon dont vous avez traité Paschic, il ne pouvait pas ne pas souhaiter vous quitter !

    _ Mais il m’était si utile qu’il aurait dû penser à moi ! Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?

    _ Lui demander pardon ?

    _ Pauvre sotte ! Allez, rangez-moi cet album ! Vous êtes là en train d’ traîner, alors qu’il y a tant d’choses à faire ! Croyez-moi, ma fille, ça va pas continuer comme ça ! Une paresseuse, voilà ce que vous êtes !

    _ Je ne vous permets pas…

    _ Comment ? Mais pour qui vous vous prenez ? Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine, vous entendez ! La première du nom ! Mon père avait deux cents hectares et trois mille serfs ! Ah ! Ça y allait en ce temps-là ! Tous des vermines ! »

  • Rank and co...

    R21

     

                 "Alors là attention, car c'est la Cour d'assises! On va savoir qui l'aime le mieux: la mère ou l'épouse?"

                                                                                               Maigret tend un piège

     

                                                          1

    Une actrice est dans son salon, avec son agent… « Bon sang, tu ne te rends pas compte ! dit celui-ci . On est en perte de vitesse ! Plus personne ne veut t’embaucher, toi, la star que tout le monde réclamait l’année dernière ! Quelle chute ! On te fuit, comme si t’avais la peste ! Tu es déjà vue comme une has-been !

    _ Tu exagères ! Je suis toujours la même idole ! le même sex-symbol ! Regarde, je n’ai pas pris un gramme ! Je fais autant baver les mec et enrager les femelles !

    _ Avec le temps que tu passes à t’occuper d’ toi, en salle de gym ou ailleurs, manqu’rait plus que ta silhouette repousse ! Mais ton visage, lui, il prend des rides ! C’est inévitable et quand on te voit avec ton p’tit chien, on devine déjà la rombière de quartier !

    _ Espèce de salopard ! Quel beau fumier tu fais !

    _ Mais enfin sois réaliste, ma chérie ! Combien de rôles on t’a proposés cette année ? Je veux parler de rôles importants, pas dans des films de série B ? Deux ! Exactement deux ! Et encore pour la moitié du cachet habituel ! Il fut un temps où je refusais les propositions à tour de bras !

    _ Mais peu importe le nombre, si c’est de la qualité !

    _ De la qualité ? Tu veux dire du genre sérieux ! Mais tu n’ comprends pas que c’est les clous plantés dans ton cercueil ! Si on te respecte, c’est que tu es déjà vieille ! Ce qu’il faut, c’est que tu déchaînes les sens ! qu’on soit ivre de toi ! Tu dois être la lumière qui cache l’angoisse ! le radeau de survie dans la tempête ! Une star, c’est comme une équipe de football !

    _ Mais je n’ai rien contre le respect, moi !

    _ Seigneur ! Alors tu veux qu’on t’applaudisse par pitié ! qu’on te salue parce que tu n’as plus d’ dents ! Tu sais que c’est un moyen de se donner bonne conscience ? On montre qu’on est humains, parce que tu n’es plus une concurrente !

    _ Tu vois le mal partout !

    _ D’accord, d’accord ! On peut te relancer par là, si tu es prête à vieillir ! Voyons, voyons… Il te faut une maladie rare, qui n’en soit pas vraiment une, pour qu’on ne crie pas à la supercherie ! Une maladie rare, car tu es aussi unique, bien entendu ! Il y en a une dont le nom m’échappe… Euh, la maladie de la femme couchée ! Non, c’est pas ça ! celle de la femme laide ! Non plus ! Il y avait le mot raide dedans, j’en suis à peu près sûr !

    _ Hum, tu veux dire qu’on ne me verrait plus dans l’ coup, qu’on me regarderait comme une infirme ? Ce n’est pas la bonne solution !

    _ Ah ! Tu vois !

    _ J’ai encore du talent !

    _ Bien sûr, chérie, mais ça ne suffit plus ! La moindre des choses est d’abord de rallier à toi le féminisme ! Il faut être au mieux avec le futur pouvoir ! que tu sois très bien considérée à la Kommandantur, c’est-à-dire sur les réseaux sociaux ! Ici, je vais faire appel à tes souvenirs… Combien de fois as-tu été violée, agressée sexuellement ?

    _ Tu veux dire quand je n’ai pas aguiché, moi-même ?

    _ Exactement, je veux du Zola, du sordide ! Je te vois en nouvelle Cosette, obligée de donner ton corps pour sauver tes dents !

    _ J’ai bien dû çà et là en calmer certains, mais j’en ai dessalés d’autres ! Si tu savais comme les hommes peuvent être godiches !

    _ Mais tais-toi donc, imbécile ! Les murs ont des oreilles ! Tu veux ma ruine ou quoi ! Le credo du moment, c’est que tous les hommes sont des porcs ! Il ne leur manque que l’occasion ! Franchement, tu m’ donne de ces suées !

    _ Bah, j’ pourrais toujours t’enfoncer, pour m’ sauver !

    _ Mais bien sûr, ma chérie, c’est l’instinct ! Mais tu n’ m’aides pas beaucoup, tu apparais plutôt comme une vamp ! Et la religion ? Ça passe d’attaquer la religion, son hypocrisie exactement ! Un prêtre, une sœur, un peu salaces, t’as pas ça dans tes souvenirs ? 

    _ Non, j’ vois pas ! On faisait le mur quand on était plus jeunes ! C’est nous qui faisions tourner en bourriques les sœurs ! Elle avaient même bien de la patience !

    _ Non, décidément, tu n’ m’aides pas ! On dirait que tu le fais exprès, pour nous couler tous les deux ! J’ai jamais vu une femme aussi insipide ! Évidemment, je pourrais te casser la gueule, et je le ferais avec plaisir, mais ça me mettrait hors-jeu, en même temps que toi, tu f’rais la une ! Aujourd’hui, le truc qui marche, c’est la victime !

    _ Oh ! Je t’en supplie, casse-moi la gueule !

    _ Tu es vraiment sérieuse ?

    _ Mais oui, si ça peut relancer ma carrière !

    _ Non, je ne peux pas : on va m’faire la peau !

    _ Lâche ! »

                                                                                                                  2

    Les mêmes avec un majordome qui rentre… « Hum, fait le majordome, il y a là une femme qui désire rencontrer madame...

    _ Nous sommes occupés ! répond sèchement l’agent.

    _ Mais, mon loup, intervient l’actrice, c’est peut-être une admiratrice, une fan ! Je ne voudrais pas passer pour fière, en rejetant tous ceux qui veulent un autographe ! Je veux rester la star accessible, simple… et même débonnaire ! Comment garder ma popularité, si je me montre hautaine !

    _ Bien sûr, bien sûr ! Il y a beaucoup à gagner, si tu parais idiote ! On te croira sans vices ! Mais des moments sont prévus pour ça… Enfin, faites entrer la dame... »

    Une petite dame, vêtue sans recherche, fait son apparition, en tenant une petite valise… « Bonjour, je vous remercie de m’accueillir, car le voyage a été assez long ! Je viens de la campagne !

    _ Mais asseyez-vous donc ! dit l’actrice. Vous devez être bien lasse ! Alors, comme ça, vous venez de la campagne, rien que pour me voir ! Quelle fidélité, quel amour, quelle dévotion ! Tu vois ça, mon loup, on m’aime dans tout le pays ! Je vous imagine dans votre chaumière, regardant mes films entre la vache et l’âne, soupirant après les lumières de la grande ville ! Puis, subitement, vous frappez sur la table de bois, tellement fort que les petits verres à liqueur tombent, et vous vous dites : « J’irai voir cette femme qui joue si bien et je la remercierai de m’avoir donné du rêve ! » Mais… mais ce n’est pas moi l’héroïne, c’est vous ! Pensez, prendre un d’ ces trains sales !

    Il y a un assez long silence…

    « Chérie, j’avoue que tu m’ surprendras toujours ! Madame habite peut-être près de l’autoroute… et ne se rappelle que vaguement ce qu’est un arbre… La campagne de nos jours est réduite à peau d’ chagrin ! Un bon arbre est un arbre mort ! Mais, chérie, tu es avant tout une actrice et il est normal que tu essaies tous les rôles (il a un geste large dans l’air) ! Mais, madame (il se tourne vers la visiteuse) sera sûrement indulgente, puisqu’elle a fait tout ce chemin pour voir son idole, son modèle !

    _ Eh bien, ce n’est pas tout à fait exact…, répond la dame. Je suis venue réclamer ma part ! Je travaille pour vous depuis le début et pourtant vous me tenez dans l’ombre ! Je pense que cela suffit ! »

    Il y a de nouveau un silence, une surprise...

    « Êtes-vous sérieuse madame, fait l’agent, ou bien devons-nous nous apprêter à appeler la police ? Ne seriez-vous pas une de ces demi-folles, qui finissent par sortir un couteau, afin d’ faire le buzz ?

    _ Bien au contraire, mon cher monsieur, je suis une femme très ennuyeuse, au point d’en être embarrassante ! C’est d’ailleurs pour cela que vous niez mon existence !

    _ Mais enfin je ne vous connais pas ! s’écrie l’actrice.

    _ Ah bon ? Mais votre orgueil, votre ambition, votre mépris, vos colères, c’est moi ! Que vous vouliez passer pour une belle personne, parce que c’est plus vendeur, je le comprends bien, mais je suis vous à 90 %! C’est bien simple, dès que vous avez le ventre plein, vous me demandez de travailler !

    _ Mais votre nom bon sang ! hurle presque l’agent.

    _ Mais je suis madame Sentiment… et vous me connaissez tous ! Et vous me refoulez tous et vous me niez tous et c’est pourquoi les problèmes ne sont jamais réglés, hein ? Regardez la société : nous sommes tous occupés à gagner notre vie et c’est tout ! Comme nous sommes braves et… hypocrites ! Car je suis derrière chacun et n’est reconnue nulle part ! Irai-je jusqu’à dire que nous sommes des fumistes ? Nous ne sommes nullement orgueilleux, nous ne haïssons pas, nous ne voulons pas le pouvoir, nous sommes doux comme des agneaux et nous nous acharnons au bien ! Permettez que j’écrase une larme ! Une société exemplaire et qui est pourtant dans le chaos ! Voilà une belle énigme !

    _ J’ai compris ! s’écrie l’agent. Combien ?

    _ Combien ?

    _ Vous êtres très forte ! Je vous demande combien vaut votre silence ! Combien pour que vous rentriez gentiment dans votre charmante retraite ?

    _ Vous ne m’avez pas bien compris ! Je ne suis pas à vendre ! Je suis lasse de toute cette bêtise, de tous ces mensonges ! Madame n’est nullement ce qu’elle prétend être ! Et c’est bien cette attitude qui fait notre malheur ! Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes songent au suicide, parce qu’ils ne voient rien, mais absolument rien qui ressemble à de la vérité, et donc à de l’espoir ! C’est l’esbroufe continuelle ! Une vraie mascarade !

    _ Vous ne voudriez tout de même pas que je mette un frein à mes plaisirs ! répond l’actrice. D’ailleurs, je n’en ai pas ! Je ne fais que mon devoir d’actrice, j’ai des responsabilités ! Je suis engagée pour de très nobles causes !

    _ Bien sûr ! Nous sommes tous des amis et il faut faire briller la vitrine ! Mais nous continuons à avoir peur et froid ! Nous nous sentons perdus, malgré votre belle lumière !

    _ Mais si ça va mal, c’est à cause du gouvernement ! Sitôt qu’il y en aura un autre, l’arc-en-ciel de la justice brillera sur ce pays !

    _ C’est vous l’acteur ! C’est pas madame ! »

                                                                                                               3

    Le majordome reparaît et annonce : « Monsieur le maire ! » Un homme replet, avec une petite moustache, se précipite vers l’actrice… « Ah ! Madame ! dit-il. Vous ici, dans nos murs ! Je n’ose encore y croire ! Vous, la célébrité internationale, qui jette un regard sur nous, pauvres mortels ! Vous vous plaisez donc chez nous ? Notre modeste ville aurait-elle pour vous quelque charme ? (Il baise la main de l’actrice.)

    _ Ah ! Monsieur le maire, vous êtes bien trop indulgent à mon égard ! Je ne suis qu’une comédienne qui a eu de la chance...

    _ Comme vous y allez, madame ! J’ai vu tous vos films : quelle grâce, quel talent !

    _ Vous connaissez sans doute mon agent, monsieur Hector…

    _ Mais bien sûr que je connais monsieur Hector ! Car c’est avec lui que nous avons traité pour que vous soyez la marraine de notre nouvelle salle de spectacle ! C’est bien simple, je veux que ma ville soit le reflet de votre dynamisme, de votre rayonnement !

    _ Comme c’est gentil à vous !

    _ En effet, renchérit l’agent, votre ville est pleine de chantiers, à un tel point qu’y circuler devient une épreuve de force !

    _ Gêne passagère ! Nuage dans le ciel, monsieur Hector ! Le progrès est en marche… et rien ne l’arrêtera…, comme vous (il se tourne vers l’actrice), quand, dans le film Amazones, vous vous lancez à l’assaut de cette citadelle, où les méchants hommes se sont réfugiés !

    _ Oh ! Vous vous rappelez ça ? Ce n’est pourtant pas mon meilleur rôle !

    _ Certes, mais votre visage exprime… un telle tension, une telle rage, que je me vois moi aussi, dans le même état, face à la misère sociale, au dénuement, au mauvais logement ! (Il presse les mains de l’actrice, qui chaste baisse la tête!)

    _ Vous devez être un homme bon, dit doucement l’actrice.

    _ N’en pensez rien ! Je ne suis que l’humble serviteur de la nécessité ! Ici, un nouveau stade ! Là, une nouvelle gare ! Là-bas, des transports plus modernes ! Dans les airs, une nacelle qui fait voir toute la ville ! Sur mer, des polders et des laboratoires scientifiques ! Et à l’horizon, ma ville qui s’étend, s’étend !

    _ Vous n’avez pas essayé sous terre ? demande Sentiment.

    _ Je vous demande pardon ? fait le maire.

    _ Des logements, des usines sous terre, ce serait pratique ! Cela vous éviterait de détruire encore la nature ! Évidemment, il y aurait un problème de vue, mais les plus pauvres sont faciles à manœuvrer !

    _ Madame, je vous interdis de manquer de respect aux plus pauvres ! Je suis un homme de gauche et…

    _ Et vous ne voulez que le bien de votre prochain ! Et c’est pourquoi vous ne comprenez pas que vous nous tuez ! On ne peut plus bétonner ! La nature ne peut plus le supporter, en témoigne le réchauffement climatique !

    _ Mais, madame, il y a une crise du logement !

    _ Bien entendu ! Comme vous savez regarder un arbre, une fleur ou un ruisseau ! Comme vous êtes sensible à la beauté du monde ! Comme vous savez encore vous tenir tranquille, sans projets ! Comme vous n’êtes pas atteint par l’angoisse, dès qu’il n’est plus question de vous et de développements ! Comme vous savez attendre, regarder, aimer ! Comme si vous aviez donné un véritable sens à la vie ! Comme si toute votre activité frénétique ne servait pas à masquer votre vide, au détriment de la nature !

    _ Je ne sais pas qui vous êtes, mais je ne vous aime pas !

    _ Tiens, quelle surprise ! Vous ne me « kiffez » pas ! Eh ! Mais c’est que je vous arrête une seconde… et ça suffit pour provoquer votre mépris ! Quand comprendrez-vous que c’est à cause de gens comme vous que nous crevons ? Nous détruisons notre planète, parce que nous sommes incapables d’être en paix avec nous-mêmes ! Nous la dévorons, non par nécessité, mais pour calmer notre angoisse ! Que nous attaquons-nous au véritable mal ?

    _ Et il serait… ?

    _ Mais notre hypocrisie ! Qu’allez vous dire à la mort, monsieur le maire ? Que vous avez des projets de piscine pour l’enfer ? »

                                                                                                                 4

    « Vous voyez comment elle parle, monsieur le maire ! enchaîne l’actrice. Elle injurie tout le monde ici ! Elle m’a traitée d’égoïste, d’égocentrique, moi, qui ne suis que dévouée à mon art, qui ai apporté dernièrement mon soutien aux aigriculteurs !

    _ Aux aigriculteurs ? fait le maire.

    _ Mais oui, c’est comme ça qu’on dit, non ? En tout cas, je suis abasourdie par tant d’ingratitudes ! assommée par tant d’injustice ! (Elle se met à pleurnicher.) Je vous en prie, monsieur le maire, défendez-moi ! Faites taire cet intruse ! Clouer lui le bec !

    _ Ben voyons, coupe Sentiment, la ruse féminine en pleine action ! On ne sait plus quoi répondre, on a le nez dedans et on se met à pleurer ! On montre qu’on n’en peut plus, qu’on est à bout et on implore l’aide de l’homme, du muscle, pour réduire au silence l’importun, le gêneur ! Résultat : évolution zéro ! On continue à se nourrir de son mensonge et de son égoïsme, comme une souris au chaud dans son gruyère ! Et on recommence bien entendu les mêmes erreurs ! Et rien ne change jusqu’à la prochaine crise ! C’est le navet interminable !

    _ Mais enfin, monsieur le maire, réplique l’actrice, personne n’aura assez de courage, pour museler cette langue de vipère ?

    _ Mais bien sûr que si, chère madame, répond le maire qui roule des épaules. Et d’abord qui êtes-vous ? (Il s’adresse à Sentiment.)

    _ « Permis de conduire et carte grise, s’il vous plaît ! », fait Sentiment. « Veuillez sortir du véhicule et mettre les mains sur le capot ! » Le vrai maire montre le bout du nez !

    _ Cette femme dit s’appeler Sentiment, dit l’agent. Elle sort d’on ne sait où ! Sans doute une frustrée du bush, comme il y en a tant sur les réseaux sociaux !

    _ Hélas, renchérit le maire, le monde est rempli d’envieux et de ratés !

    _ A terre ! Tout le monde à terre ! (Un jeune homme encagoulé, muni d’une arme, vient de surgir dans la pièce.)

    _ Mais qu’est-ce que.. ? fait l’agent.

    _ Mes bijoux ! Ils viennent voler mes bijoux ! s’écrie l’actrice. C’est un home-jacking !

    _ Plutôt une crise ! dit Sentiment.

    _ Jeune homme, vous…, s’insurge le maire.

    _ Ta gueule, c’est toi qu’ je cherche ! répond l’agresseur. C’est bien toi le maire, non ? J’ suis là pour qu’on règle nos comptes !

    _ Mais j’ai une permanence pour cela !

    _ La ferme ! Tu nous a menés en bateau, tu nous baisés jusqu’au trognon… et avec toi parler, ça ne sert à rien ! T’es un pourri, un vendu !

    _ La violence n’a jamais arrangé les choses…

    _ Facile pour toi de dire ça ! T’as le pouvoir et t’agis en douce ! T’as pas besoin d’ t’énerver !

    _ Mais enfin de quoi s’agit-il ?

    _ T’avais promis de reconstruire notre petite salle de spectacle ! de sauvegarder notre espace culturel ! là où nous nous retrouvions pour échanger nos idées, pour faire vivre notre identité, notre idéal !

    _ C’était pas rentable ! Il eût fallu que la mairie vous finance et ce n’est pas possible ! Nous n’avons plus les moyens !

    _ Bien sûr ! C’est pas dans le cadre de tes projets pharaoniques ! ceux qui doivent faire la gloire de ta ville et donc la tienne également ! Préserver la différence, le petit ne te flatte pas, alors ça doit disparaître ! T’as boboïser tout le quartier ! L’argent et la propreté, voilà ton credo ! Dehors la racaille ! Toi, de gauche ? Mais t’es juste le roi Soleil en plus débraillé !

    _ Monsieur, intervient l’actrice, si vous avez un peu de culture, vous devez me connaître et…

    _ Ecrase la bourgeoise ! Comment ? T’es pas occupée à faire des courses, avec tes escarpins et tes p’tits sacs ? Qu’est-ce que tu connais de la vie et des bas salaires ? Le monde peut s’écrouler, du moment que ton tailleur reste chic !

    _ Mais enfin, jeune homme, coupe l’agent, qu’est-ce que c’est que ces méthodes de fasciste ?

    _ Qu’est-ce que vous avez dit ?

    _ Que vous avez tout l’air d’un fasciste !

    _ Mais… mais je déteste les fascistes ! Je les hais même… et je les combats de toutes les manières possibles ! Je suis un antifa ! (Il se rengorge.)

    _ Je ne comprends pas, dit l’actrice, quelle différence il y a entre un fasciste et un antifa ?

    _ Mais je vais te faire sauter la cervelle, si ça continue ! »

  • Rank (100-104)

    R20

     

                        "Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine!"

                                                                        Danton

     

     

                                                    100

    Paschic entre dans l’hôpital, en serrant son chapeau ! Il n’a jamais aimé cet endroit, dont la propreté et les odeurs le mettent mal à l’aise ! Mais il y a là un homme qui veut le voir et qui vient bientôt à sa rencontre… « Détective Paschic ? fait l’homme. Inspecteur Blaise ! » Une brève poignée de mains est échangée et le policier reprend : « On a amené une femme ici, il y a une heure… Elle est dans un sale état, mais, avant de plonger dans le coma, elle a prononcé votre nom… et c’est pourquoi je vous ai prévenu !

    _ Je vous en remercie… Je peux la voir ? »

    Les deux hommes prennent l’ascenseur et un couloir, jusqu’à une chambre, dans laquelle on voit une forme couchée parmi des appareils compliqués ! Ici, la vie est maintenue au prix de gros efforts et la gorge serrée, Paschic s’approche du lit de la femme… « Vous la connaissez ? demande l’inspecteur.

    _ Oui, c’est la reine Beauté, ma meilleure amie… Qu’est-ce qui s’est passé ?

    _ Vous êtes prêt à entendre des horreurs ?

    _ Oui, j’en ai l’habitude… Allez-y…

    _ Manifestement, ils étaient toute une bande… Ils l’ont d’abord violée tour à tour, puis torturée, avant de la laisser pour morte ! »

    Paschic ne peut s’empêcher d’essuyer une larme et de caresser légèrement le visage inconscient de la reine Beauté… « Vous avez une idée de qui aurait pu faire le coup ? demande encore l’inspecteur.

    _ Bien sûr que je sais qui a fait le coup !

    _ Quoi ?

    _ Eh bien, il y a d’abord le maire, puis le promoteur, l’industriel, l’agriculteur… Même l’État a sa part de responsabilités !

    _ Mais… Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Vous parlez du gratin du pays ! Il faudrait des preuves irréfutables !

    _ Inutile ! Tous ces gens ont un alibi en béton, si je puis dire ! Ils sont inattaquables !

    _ Qu’est-ce que c’est, cet alibi ?

    _ Mais la nécessité, inspecteur ! Prenez le maire… Il vous dira qu’il a violé la reine Beauté, parce que c’était absolument nécessaire ! La ville, selon lui, a toujours besoin de plus de logements et elle doit donc continuer à se développer, sans fin, tout en saccageant la nature !

    _ Évidemment…

    _ Le maire n’est pas ambitieux ! Il n’aime pas le pouvoir ! S’il est en représentation, tout le temps, c’est quasiment malgré lui, juste pour le bien-être de ses habitants ! Il n’est pas fier de rendre sa ville plus attractive et il ne comprend pas que c’est lui qui crée le cercle vicieux conduisant sa ville à s’étendre toujours davantage ! L’homme est absolument dépourvu d’égoïsme, d’orgueil et aurait tout aussi facilement accepté une vie anonyme, obscure, qui aurait fait oublier son nom…

    _ Hum, je commence à saisir votre point de vue… Effectivement, il sera très difficile de condamner ces gens-là !

    _ Et le promoteur, l’agriculteur ou le ministre vous répondront de la même manière ! Ils n’obéissent qu’à la stricte nécessité ! Nous sommes dans une impasse !

    _ Mais votre calme… ou votre résignation m’inquiètent ! Vous ne songez tout de même pas à vous faire justice vous-même ?

    _ Ce ne sera pas nécessaire…

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ La reine Beauté nous sert d’abord à nous reposer des autres… Quand il n’y aura plus d’espaces, pour que nous nous retrouvions nous-mêmes, en contemplant la beauté de la nature et que nous ne pourrons plus sentir qu’il y a plus grand que nous et donc une source d’espoir, eh bien, nous nous entre-tuerons, c’est aussi simple que ça ! La reine Beauté se vengera à sa manière !

    _ Je ne sais pas si je vais vous suivre là-dessus…

    _ Nos sociétés ne sont-elles pas déjà de plus en plus violentes ? Et le réchauffement climatique va nous mettre à genoux avec ses coups de boutoir ! Croyez-moi, inspecteur, si la reine Beauté ne sort pas vivante de cet hôpital, nous ne survivrons pas non plus ! »

    A cet instant, la chambre s’éclaire et les deux hommes prennent conscience que le soir tombe… A travers le bruit des machines, ils éprouvent combien la reine Beauté doit souffrir !

                                                                                                              101

    La psychologue Lapsie enlève de la plaque sa bouilloire qui siffle et verse l’eau chaude sur son thé… Puis, elle prend place à la table de sa cuisine, sur un rouge éclatant, qui se retrouve sur les chaises, comme pour égayer l’uniformité générale ! D’ailleurs, les rideaux montrent encore un orange vif et les luminaires leur métal brillant, mais, malgré ces notes qui semblent personnelles, l’agencement ici est le même à tous les étages, puisqu’on s’est contenté d’assembler des modules !

    Lapsie boit son thé à petites gorgées et ne voit rien par la fenêtre du salon : il fait trop froid et la vitre est embuée, tandis que les lointains se perdent dans la brume et les fumées des usines ! Quand elle a fini, Lapsie laisse sa tasse dans l’évier et se vêt chaudement, avec bien sûr sa chapka ! Elle doit sortir pour acheter quelques provisions et elle descend un escalier gris, mais propre : chaque locataire, à tour de rôle, est contraint de nettoyer le palier et même le trottoir, pour en dégager la neige !

    L’air est toujours grisâtre, comme s’il y avait de la suie en suspension, et de lourds autocars passent en polluant… Les avenues ici sont interminables et toutes droites et seuls les coudes des gazoducs, qui par endroits les surplombent, offrent à l’œil quelque distraction ! Les supermarchés ne sont pas plus attractifs, avec leurs bâtiments ras, leurs lettres démodées et leurs portes pesantes ! Mais, aujourd’hui, Lapsie n’aura pas à se désoler de ne point y trouver ce qu’elle cherche, car une grosse voiture noire fait gicler de la neige sale devant elle !

    Deux femmes en sortent, en uniforme de policières, et elles regardent durement Lapsie ! Il n’y a pas besoin de mots et Lapsie monte dans la voiture, qui rejoint le trafic… Un peu plus tard, accompagnée de ses gardes, elle emprunte un ascenseur et est laissée dans une salle de réunion, où se trouvent déjà la Machine, Bona et quelques autres femmes, que Lapsie ne connaît pas… Le décor est là encore, comme il se doit, austère : une longue table, rien au mur et personne ne perd son temps à saluer la nouvelle arrivante !

    La Machine porte une sorte de tailleur souris, surtout destiné à éteindre ses formes ! Elle s’adresse brutalement à Lapsie : « Camarade Lapsie, tu as déclaré dans la revue Psychologie que la femme avait sa propre arme, à savoir la séduction, donnée par la nature, pour compenser l’absence de force physique ! Tu dis même que de ce fait la femme manie la ruse comme personne !

    _ Mais c’est la vérité, non ? La femme a de quoi se défendre face à l’homme !

    _ Et depuis quand la vérité est-elle importante ici ? Nous n’avons qu’un but : la victoire du parti ! Tu t’en souviens plus ?

    _ C’est vrai, excuse-moi !

    _ En plus, tu as dis que tu n’avais pas de problèmes avec les hommes…, que le féminisme ne te parlait pas !

    _ C’est très grave ! coupe Bona. Songe, camarade Lapsie, à l’investissement de la Machine dans la cause !

    _ Trahison ! Trahison ! s’écrie la Machine. 

    _ Tu as fait injure aux victimes, tu sais ? explique Bona. Tu sembles leur dire qu’elles ont été faibles, qu’elles auraient dû savoir résister ! Tu ouvres la porte à la satisfaction du mâle !

    _ En substance, reprend la Machine, tu soutiens que la femme est déjà l’égale de l’homme…

    _ Ce n’était pas mon intention…

    _ Non, parce que tu ne réfléchis pas ! Tu as voulu te faire mousser ! Tu es une petite bourgeoise décadente et égoïste ! Encore une fois, une seule chose compte : que la femme triomphe ! C’est le but final, avec le mâle domestiqué !

    _ Je ne sais pas quoi dire… Je suis confuse…

    _ Mais tu vas réparer ! Je veux des excuses publiques ! martèle la Machine. Tu vas reconnaître dans Psychologie et ailleurs que tu t’es trompée, que tu as été maladroite, que tu n’as pas respecté les victimes !

    _ Tu as raison, comme tu voudras !

    _ Et on réglera nos comptes, quand on aura oublié ton nom ! Pas avant ! Mais tu peux déjà te voir en Sibérie, à un poste subalterne !

    _ Sois heureuse, intervient Bona, tu échappes au camp de travail !

    _ Tiens Bona, enlève-la de ma vue, elle me dégoûte ! Et veille bien à ce qu’elle s’excuse publiquement ! Trahison ! Encore et toujours des trahisons ! »

                                                                                                               102

    Paschic s’est déguisé en un vieux vendeur d’estampes et tirant sa petite charrette, il a pris place dans la longue file qui va vers la ville… En effet, il y a un contrôle très sévère, avant d’être autorisé à passer ! C’est Bona qui fait la police et voilà le tour de Paschic de s’arrêter devant elle ! Bona flaire du louche, trouve le marchand d’estampes suspect ! « Qui es-tu ? demande Bona à Paschic.

    _ Je ne suis qu’un pauvre vieux qui vend des estampes, pour pouvoir manger ! Ayez pitié de ma triste condition, madame l’officier !

    _ Tu cherches maintenant à me flatter ! Et je te crois plus malin que tu en as l’air ! Mais je t’ai demandé ton nom !

    _ Mes parents ont eu l’immense bonté de me nommer Kasaï, moi, qui étais déjà laid depuis la naissance !

    _ Le problème, Kasaï, c’est que n’entre pas dans la ville qui veut ! Il s’agit de savoir dans quel camp tu es !

    _ Dans quel camp ?

    _ Eh oui, Kasaï, le pouvoir appartient maintenant aux femmes ! Or, tu es un homme ! Mais es-tu un homme du côté des femmes ou du côté des hommes ?

    _ Mais je suis dans la camp des femmes, bien entendu ! Et ce depuis ma plus tendre enfance ! J’ai toujours donné la plus grande satisfaction à ma mère ! Elle ne pourrait que se louer de moi, si elle était encore vivante, la pauvre !

    _ C’est bien Kasaï, mais ça ne suffit pas !

    _ Non ?

    _ Non ! Tiens, mets-toi sur le côté, pour laisser le passage aux autres !

    _ Mais…

    _ Mais quoi, Kasaï ? Tu n’ voudrais pas mettre une femme en colère, hein, Kasaï ? Et moi, je ne suis pas convaincue par ta sympathie pour nous !

    _ Je vous assure que je suis tout acquis à votre cause ! Tous les hommes sont des goujats ! Que dis-je ? Des porcs, d’ignobles porcs ! Il faut les chasser, les tuer, les brûler !

    _ Et toi, Kasaï, tu n’ serais pas un de ces porcs ?

    _ Ah ! Ah ! Madame l’officier se moque de moi ! Avec mon grand âge maintenant, je n’ai plus l’esprit à la bagatelle ! Ce sont jeux d’autrefois ! Tout ce qui intéresse Kasaï, c’est de ne pas mourir de faim !

    _ Et pourtant, ta tête me dit quelque chose… Tu me rappelles quelqu’un que je hais profondément et qui n’aime pas les femmes ! Viens avec moi, nous allons voir ma supérieure… Elle saura lire en toi et gare, si tu mens ! »

    Paschic, surveillé par Bona, tire sa petite charrette, jusqu’à une tente où est assise Lapsie. Bona parle à celle-ci dans l’oreille quelques minutes et enfin Lapsie se lève, en disant à Paschic : « Ainsi, tu t’appelles Kasaï et tu es marchand d’estampes…

    _ C’est exact, votre altesse !

    _ Ne me parle pas comme ça ! Seule la Machine, notre reine, mérite ce titre !

    _ Bien entendu, l’humilité des femmes est bien connu ! Ce n’est qu’à force d’être harcelées et blessées par l’homme qu’elles se sont mis en quête du pouvoir, par souci d’égalité ! Combien il a fallu de victimes, pour que la femme enfin se décide à montrer autant d’égoïsme que les hommes !

    _ Tu trouves que nous sommes égoïstes ?

    _ Mais par force, poussées par les hommes, pour faire jeu égal avec eux ! Mais ce n’est pas dans votre nature ! L’homme vous a simplement polluées ! Tout le monde sait que la première femme est née dans un fleuve de lait ! Jamais elle n’a été souillée par le règne animal, comme l’homme, ce porc !

    _ J’avoue que tu m’embrouilles, Kasaï ! Il y a chez toi de la raison et de la tromperie… et on ne sait pas, en définitive, si tu te ne moques pas de nous !

    _ Qui oserait vous faire un tel affront ? Qui serait assez hardi, pour provoquer votre colère ? Les collines sont remplies de cadavres !

    _ Qu’est-ce qui se passe, ici ? demande d’une voix forte la Machine, en faisant son apparition, ce qui jette toutes les femmes par terre, avec des signes d’adoration. Toi, qui es-tu ?

    _ Kasaï, ma reine, un vieux marchand d’estampes…

    _ C’est curieux, j’ai l’impression de te connaître… et de te détester !

    _ Vous faites erreur, ma reine, je suis entièrement dans votre camp, celui des femmes ! Que dis-je ? Celui des gentilles, des victimes et de la justice ! Chaque jour que Dieu fait, je loue la générosité de la femme et son héroïsme !

    _ Et c’est dans ton intérêt, Kasaï ! Mais à présent laisse-nous, sale pouilleux ! La Machine doit s’occuper de la Machine ! Elle n’écoute pas les rats ! »

                                                                                                         103

    Paschic parle aux Aigriculteurs… « Si je comprends bien, vous êtes en colère contre la grande distribution, parce qu’elle vend des produits étrangers, qui ne sont pas les vôtres !

    _ Mais t’as tout compris, mon gars ! On dirait que tu travailles du chapeau !

    _ Mais la grande distribution, elle, fait jouer la concurrence, celle du marché européen ! Donc, vous êtes en colère contre vos collègues étrangers… et ils sont en colère contre vous ! Vous fulminez parce qu’il existe des Aigriculteurs, allemands, tchèques, ou polonais et eux ne supportent pas les Aigriculteurs français ! En définitive, vous pestez parce qu’ailleurs on travaille comme vous ! Vous trouvez que ça a du sens ?

    _ Ben, t’as une solution ?

    _ Bien sûr ! Je vous dis même d’avoir de la compassion pour les margoulins de la grande distribution !

    _ Quoi ? Qu’est-ce tu dis ? T’es complètement givré !

    _ Ils sont encore plus perdus que vous ! Vous devriez avoir de la peine pour eux !

    _ Plutôt crever !

    _ Je viens de vous démontrer que le système est absurde ! Vous représentez en ce moment tout le vide de nos sociétés ! J’ai soixante ans et ça fait soixante ans que je vous vois en colère, en train de bloquer les routes ! Ne croyez-vous pas que ce serait à vous de changer ?

    _ Mais on gagne à peine de quoi vivre ! Et on sait même pas de quoi s’ra fait demain !

    _ Pourquoi t’inquiètes-tu du lendemain ? A chaque jour suffit sa peine ! A quoi bon se soucier du futur, si déjà vous ne savez pas apprécier le présent ?

    _ Mais d’où tu sors, toi ? T’es total à la masse !

    _ Des milliers de migrants viennent ici, parce que nous avons tout ! Et vous levez les bras au ciel, comme si vous n’aviez rien !

    _ Mais on nous exploite ! On travaille jour et nuit et on est harassé et tout ça pour pas un rond ! Tout ça, pour que des salopards, qui sont bien au chaud, se sucrent !

    _ Je comprends bien, mais c’est votre ego qui souffre ! Vous avez l’impression de vous faire baiser ! Et moi, je vous dis que je peux vous libérer, vous rendre heureux ! Mais cela passera par vous débarrasser de votre ego !

    _ J’ comprends rien à ce que tu racontes !

    _ Non, parce que tu es agité ! Tu ne sais plus distinguer la paix de l’inquiétude ! Vous n’avez plus conscience de votre richesse et du miracle que constitue la terre ! Pour moi, c’en est toujours un ! Vous plantez et quelques mois après, vous avez du blé ou du maïs, de belles plantes bien dorées ou de deux mètres de haut ! La générosité de la terre, vous ne la percevez plus du haut de vos engins, qui pourraient labourer Mars en une après-midi ! Retrouvez la simplicité et la sagesse ! Et que certains se moquent de vous, qu’est-ce que ça peut faire ? Vous serez riches intérieurement !

    _ C’est pas vrai ! Tu parles de la foi, de la croyance en Dieu ? Je rêve ! Qui va payer les traites, qui va bosser ?

    _ Demandez-vous pourquoi vous travaillez ! Si c’est pour montrer que vous pouvez être modernes, avoir un salaire, vous sentir puissants, alors vous serez toujours malheureux ! C’est votre ego votre fardeau et seule la confiance en Dieu vous permettra d’en rire ! Que voulez-vous ? Un chèque ? Que les Aigriculteurs étrangers soient pénalisés, c’est-à-dire que vous-mêmes, en définitive, vous subissiez encore des pressions ? Ah ! Mais vous voulez démontrer qu’on ne vous l’a fait pas, que vous êtes forts ! Votre problème est donc un problème d’ego !

    _ Ego ou pas, tu nous casses les oreilles et maintenant barre-toi !

    _ Bien sûr et vous me voyez naïf ! Et pourtant c’est vous qui êtes naïfs, car jamais vous ne vous rendez compte de votre situation absurde ! A ceux qui ont des oreilles, je dis : « Marche vers l’amour et la foi ! Sois heureux d’avoir à manger ! Dépose le fardeau de ton ego ! Réjouis-toi de l’œuvre de la nature ! Abandonne le rendement ! Ne cherche pas la puissance ! »

    _ C’est pas vrai ! Comment on peut fermer ton clapet ?

    _ En ce moment, c’est l’hiver les animaux ont du mal à trouver de la nourriture ! Nous sommes comme eux, nos satisfactions sont rares et nous en souffrons ! Alors, tout le monde se dit en colère et se révolte ! La foi, elle nourrit comme une barre d’or dans l’esprit ! Ainsi, vous resteriez en paix avec vous-mêmes ! Il y a-t-il un bien plus précieux ?

    _ T’es encore là ! Versons-lui du fumier sur la tête !

    _ N’êtes-vous pas fatigués d’avoir soif ? Votre tourment est sans fin ! Vous demandez quelque chose que le gouvernement est incapable de vous donner, à savoir un sens à votre vie !

    _ Eh bien, te voilà avec une couronne de fumier ! Sois heureux de ressembler à ton maître ! »

                                                                                                                 104

    Paschic se réveille en sueur : le téléphone vibre et on est au milieu de la nuit ! « Allo ! » fait Paschic, mais personne ne lui répond : c’est un appel anonyme ! Au lieu de s’énerver, Paschic au contraire devient tout à fait silencieux… Ce qu’il veut, c’est entendre respirer « l’autre », de sorte que celui-ci en soit gêné, pris à son propre piège, comme si c’était Paschic le « malade » ! Et, effectivement, l’autre finit par raccrocher, sans doute déçu, car il aurait voulu les plaintes de Paschic, aurait joui de son trouble !

    Cependant, ça fait des mois que ça dure, plusieurs fois par semaine, à toute heure, si bien que Paschic hésite maintenant à répondre au téléphone, qu’il attend qu’on parle, ce qui provoque l’embarras de son interlocuteur, et qu’au final il s’isole de plus en plus ! D’où cela peut-il venir ? Qui s’amuse à lui faire peur ? Paschic en a une petite idée, mais il n’ose pas y croire, tant elle lui paraît scandaleuse et lui donne à lui-même trop d’importance ! Ne serait-il pas paranoïaque ? Mais, à la vérité, il pense que c’est la Machine, sa propre mère, qui est à l’origine de ces appels anonymes !

    Au matin Paschic va chercher son courrier, dans la boite qui est au bout de son jardin, et il remarque une grosse voiture grise, garée de l’autre côté de la rue ! Bizarre ! Généralement, personne ne se met là, à cause des déjections des pigeons posés plus haut… Est-ce la fatigue de la nuit, mais Paschic a l’impression que la voiture lui dit : « Tu vois, je suis là et je te surveille ! » Paschic veut en avoir le cœur net et va traverser, quand la voiture démarre et lui passe sous le nez ! Il est impossible de voir qui est à l’intérieur, tant les vitres sont sales et Paschic doit rester dans le doute…

    Qu’à cela ne tienne ! Dans ce cas-là, quand il est ennuyé, il part à la pêche, dans le bayou qui commence juste derrière ! Paschic a un canot et il va chercher son matériel de pêche, car la luxuriance de la nature l’apaise à coup sûr ! Mais, en arrivant au petit ponton, il constate que son canot a été coulé ! Cette fois-ci, c’en est trop ! Il sort sa vieille Dodge et file vers la maison de la Machine, pour lui dire ses quatre vérités !

    La maison de la Machine est une vaste demeure au sommet d’une colline et évidemment, on y accède par un parc très bien entretenu ! Le gravier crisse sous les pneus usés de la Dodge et Paschic entre en coup de vent dasn le salon ! Une domestique essaie de l’arrêter, mais il n’y fait pas attention, allant directement vers la Machine, assise dans un fauteuil cossu ! « J’aimerais que tu me laisses tranquille, s’écrie Paschic, que tu cesses de me harceler ! Bien sûr, cela ne veut rien dire pour toi, car tu méprises trop les gens ! Mais je ne t’appartiens pas ! Chacun a une vie propre, figure-toi, et a droit au respect !

    _ Je ne comprends pas ce que tu veux dire… répond la Machine très digne.

    _ Ah bon ? Les coups de téléphone anonymes, le canot percé, ce n’est pas toi sans doute ! Je pourrais te reprocher mille avanies de ta part, mille sournoiseries, mille coups tordus ! La liste est impressionnante, sans fin et tu sais pourquoi tu agis comme ça ? Mais parce que tu vis de ton contrôle, du sentiment de ton pouvoir ! Seule toi t’intéresses ! A part ton monde, rien n’existe ! Et c’est pourquoi on te doit une totale soumission ! Et dire que tu as passé mon enfance à me reprocher mon égoïsme ! Je t’entends encore me dire : « Mais voyons Paschic, tu n’es pas le centre de l’Univers ! » Mon Dieu, si seulement tu avais pu profiter de tes leçons !

    _ Je ne vois toujours pas ce que j’ai fait d’ mal…

    _ Tu m’ dégoûtes ! »

    Paschic retourne chez lui, peut-être un peu soulagé, mais, vers le soir, la voiture du shériff est bien en vue devant la maison, avec ses feux multicolores ! Paschic va au devant du shériff, qui est accompagné par son adjoint, un type de deux mètres et qui sue tout le temps… « J’ai de mauvaises nouvelles, fiston, fait le shériff. J’ai reçu une plainte de la Machine pour harcèlement…

    _ Mais c’est pas vrai ! C’est justement elle qui… Elle a même crevé mon canot ! »

    Le shériff caresse son chapeau, pendant que son adjoint crache… « Hum, je sais que les histoires de famille, c’est compliqué, reprend le shériff, mais là, fiston, ce que j’ai eu au bout du fil, c’est une vieille dame qui pleurait, qui n’en pouvait plus, à cause semble-t-il de ton égoïsme ! »

    Soudain, Paschic comprend qu’il ne pourra jamais expliquer qui est la Machine ! parce qu’elle est une vieille dame et qu’elles sont vues comme fragiles et vénérables ! En fait, il faudrait que le shériff change entièrement son monde et qu’il se voit lui-même différemment ! Un abîme s’ouvrirait sous ses pieds et encore plus sous ceux de son adjoint !

    Paschic prend la décision de se taire, car c’est toujours ce qu’il a fait, à chaque fois qu’il a été question de se sortir des griffes de la Machine… Il est nécessaire de tout gober et d’acquiescer à tout, pour que les choses se tassent… « D’accord shériff, je vous suis… », dit Paschic, en décevant l’adjoint, qui aurait été ravi de mettre une rouste à un harceleur de vieilles dames !

  • Rank (96-99)

    R19

     

     

                                  "Attention avec lui, c'est un refoulé mystique!"

                                                                 Les Douze salopards

     

     

                                                         96

    La Machine se lance en politique : « Mes amis, mes amis ! Mon grand-père habitait déjà cette région et pendant les moissons, quand il arrêtait enfin à la nuit tombée, je voyais dans ses yeux la fierté d’appartenir à notre beau pays ! En temps-là, le banquier regardait l’agriculteur, pour lui dire : « Tu peux me faire confiance ! Je suis sans mensonges ! » Et les deux hommes allaient boire un coup chez Joey ! Ils étaient des égaux, avant de regagner leur logis, où leurs femmes avaient préparé une délicieuse tarte aux pommes !

    _ Ouais ouais ! C’était ça le pays ! Ouais !

    _ Et le petit garçon, qui n’avait pas froid aux yeux, se saisissait de la vipère pour la montrer à sa jeune sœur, qui mangeait du maïs avec des dents éclatantes ! Et ben moi, je vous dis qu’on va faire pareil avec l’étranger et tous les technocrates de la capitale ! On va maintenir leur tête sifflante et venimeuse, avant de l’écrabouiller !

    _ Ouais ! Ouais ! C’est c’ qu’on va faire ! Hou ! Hou !

    _ Ils vont venir vous prendre votre argent ! Ils violeront vos femmes ! Ils mettront le feu à vos récoltes ! Mais, moi, j’ vous dis qu’on les laissera pas faire ! Ils vont trouver à qui parler ! Car de la monnaie on n’en a pas beaucoup, puisqu’on l’a gagnée à la sueur de notre front ! Mais du plomb, on veut bien leur en donner !

    _ Ouais ! Ouais ! On va les truffer de plomb !

    _ Pas toi, pas toi, la Machine, crie quelqu’un. T’as jamais bossé d’ ta vie ! T’as hérité des millions !

    _ Je veux ramener le pays à son âge d’or ! reprend la Machine, indifférente au perturbateur. A cette époque, la mondialisation n’existait pas et on était purs ensemble ! Ils vous disent que la Terre se réchauffe, mais en réalité ils veulent détruire notre industrie, nos vraies valeurs !Croyez-moi, mes amis, la terre ne ment pas ! Faisons lui confiance ! Vos yeux sont comme des lacs bleus, où le mal ne peut pas apparaître !

    _ Pas toi, la Machine ! Pas toi ! Toi, tu mens, t’es un violeur, un fraudeur, un pollueur !

    _ Il semblerait, mes amis, que nous ayons parmi nous un ennemi, un trouble-fête ! Alors, mon gars qui es-tu ?

    _ J’ suis Rank et j’ te connais bien ! Le mal a toujours existé ! Ton pays est fantasmé ! Et puis, t’es la première à piétiner la morale ! Tu veux le pouvoir, sinon la justice va te dépecer !

    _ La justice inique des technocrates ! Elle veut m’abattre, nous le savons ! Autre chose ?

    _ Tu méprises tous les gens ici ! Tu te sers d’eux ! Tu n’aimes que toi et tes partisans veulent bien se laisser abuser ! Tes mensonges plaisent à leur paresse ! Y a qu’ des bouseux ici !

    _ Qu’est-ce que je disais ? Le ver est dans le fruit ! Le technocrate est dans nos rangs et a juré notre perte ! Le Seigneur a dit : « Je frapperai le pécheur ! Je l’anéantirai et le rendrai fou ! Ainsi resplendira ma justice pour des siècles et des siècles ! Car moi seul suis tout puissant et tu loueras mon nom ! » Gardes, saisissez-vous de cet homme et enlevez-lui par où il a péché ! Car le Seigneur a dit : « Si ta langue est mauvaise, jette-la loin de toi ! »

    _ Mais vous êtes dingues ! On est en démocratie ! Le Moyen Age, c’est terminé !

    _ Très juste ! Montrons-nous magnanimes ! Qu’on le pousse dehors et qu’on lui botte le cul jusqu’aux hémorroïdes !

    _ Ouais, ouais ! Une corde et un arbre, comme au bon vieux temps !

    _ Amen ! Ouais bon, où en étais-je ? reprend la Machine. Vous savez qu’ils ont dépensé des millions d’euros pour changer les écrous de nos fusées ! Et vous savez pourquoi ? Parce que les écrous ne venaient pas d’ici ! Mais d’ailleurs ! Encore un échange et des complications ! Alors qu’il suffisait d’acheter des écrous au quincaillier du coin, pour quinze dollars ! Le système est pourri ! Vous savez ce que j’ai dit au président d’Allemagne ? Si t’avances, pan ! pan ! Et il a reculé ! Trop facile ! Vivement que nos soyons de nouveau entre nous !

    _ Ouais ! Ouais ! Entre nous !

    _ Qu’est-ce que ça peut me faire que des enfants qui ne sont pas du pays, là-bas très loin, pleurent et meurent sous les bombes ! Votez pour moi, car les choses sont simples ! Je vous aiderai ! Nous nous aiderons ! Et nous fêterons, avec nos femmes et nos enfants, la grandeur de ce pays !

    _ Ouais, ouais, bien dit ! A bas les technocrates ! A bas la démocratie ! Vive le village !

    _ Nous terminons comme d’habitude par nous recueillir devant le drapeau ! Nous saluerons bientôt le retour de la pure jeune fille, de la religion, de l’art sain et de la dignité ! »

                                                                                                           97

    La Machine monte dans son tracteur, par un ascenseur tellement l’engin est haut ! « 500 000 euros ! Je l’ai payé un demi-million ! pense la Machine. Va falloir que ça tourne, sinon la banque va m’ tomber d’ssus ! Du calme ! Du calme ! » et la Machine sifflote, tandis que l’ascenseur s’arrête au niveau de la cabine !

    La Machine s’installe au volant : « Ça, c’est du matos ! dit-elle. 2 000 chevaux ! Attention les cultures, la Machine arrive ! » Le moteur est lancé et on ne s’entend plus, à cause des fusées situées à l’arrière ! La charrue luisante tourne, s’abaisse semblant impatiente d’en découdre ! Soudain, la Machine aperçoit Rank et elle ouvre un hublot pour l’appeler ! Elle siffle plus fort que le moteur, ce qui fait que Rank court vers l’engin et lève les yeux, comme s’il regardait les nuages !

    « Ouais, Rank, gueule la Machine, faut qu’ tu t’ magnes de sortir les vaches ! Et puis tu rangeras l’étable ! T’oublieras pas non plus de donner à manger aux cochons ! J’ peux pas tout faire ici ! Hier, t’as encore oublié de réparer la clôture ! Où qu t’étais ?

    _ Ben, près d’la rivière…

    _ Ah ouais ? Et qu’est-ce tu faisais là-bas ?

    _ Rien…

    _ Comment ça rien ?

    _ J’ regardais, c’est tout ! J’aime bien regarder les choses !

    _ Pfff ! T’as vraiment un poil dans la main ! Tu crois peut-être que ça m’amuse d’être dans l’ tracteur toute la journée !

    _ Ben, t’aimes bien l’ tracteur…

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu viens d’ dire ? Non, mais je rêve ! Les autres se cassent le cul et toi, tu bulles !

    _ C’est pas ça…

    _ Ah non ? C’est quoi alors ? Je sue et transpire pour t’ faire vivre ! Et toi, tu m’ dis que j’aime le tracteur ? Ton égoïsme, c’est terminé, Rank ! Le monde ne peut pas tourner autour de ta petite personne, négatif ! Tu vas voir quand Tautonus va rentrer, comment il va t’arranger ! Allez file ! »

    Rank s’empresse de faire ce qu’on lui a demandé, mais il ne peut s’empêcher de réfléchir ! « Sûr que la Machine prend du plaisir avec son nouveau tracteur ! Sûr que la Machine est aussi égoïste que moi ! Sûr que la Machine ne pense qu’à elle ! Sûr que la Machine détruit tout ce que j’aime : les arbres, les talus, les petit oiseaux ! Sûr que la Machine n’admire rien sauf elle ! Sûr que la Machine est injuste ! Sûr qu’elle ne connaît pas la paix ! Sûr que la Machine ne sait pas ce qu’est une fleur, un remous dans l’eau, un bourgeon ! Sûr que la Machine ne sait pas regarder ! Sûr que la Machine n’est préoccupé que par ses ambitions ! Sûr que la machine n’a aucune idée de l’amour divin ! Sûr que la Machine ne réfléchit pas ! Sûr que Jésus est mort pour rien ! Sûr que la Machine est une brute ! Sûr que la vie de la Machine est vide, parce qu’elle est ambitieuse et ne pense qu’au profit, à la rentabilité ! Sûr que la Machine ne comprendra pas la mort et la trouvera ignoble et absurde ! Sûr que la Machine ne sera pas sauvée ! Sûr qu’elle n’a aucune spiritualité et qu’elle sera toujours déçue ! Sûr qu’on ne peut pas satisfaire son ego ! Sûr que les souffrances de la Machine sont celles de l’ego ! Sûr qu’on peut être heureux à condition de se débarrasser de l’ego ! Sûr que seul l’amour peut détruire l’ego ! Sûr que l’amour de Jésus est un mystère ! Sûr que c’est une aventure infinie ! Sûr que la foi est la seule chose qui mérité d’être vécue ! »

    Ainsi va le petit Rank en sortant les vaches, alors que de son côté la Machine fonce, arrive sur son champ et commence à labourer et c’est un déluge de poussière et un vacarme tel qu’on croit le tombereau de l’enfer lancé à toute allure ! « Vite, vite ! se dit la Machine. Y pas d’ temps à perdre ! Pas un arbre en vue, ça c’est de la culture ! », mais un autre nuage de fumée arrive vers la Machine, c’est le voisin sur son tracteur et les deux engins s’arrêtent l’un à côté de l’autre : « Tu sais pas la nouvelle ? crie le voisin. Tu pourras plus utiliser le VS 70 !

    _ Quoi ?

    _ Nouvelles directives européennes !

    _ J’en ai marre ! J’en ai marre !

    _ Sûr, ras-le-bol ! Grande manifestation sur tout le pays, t’en es ?

    _ Bien sûr ! On va pas dire merci ! Marre !

    _ Ouais, ras-le-bol ! »

                                                                                                           98

    La secrétaire est une bombe, mais une bombe glaciale et Paschic se fait plus prudent que le sioux, car le pauvre gars, qui aurait un coup de mou et qui montrerait son admiration à la bombe, serait traîné par elle sur un champ de pierres et laissé pour mort !

    « Oui ? fait la secrétaire hautaine et un peu déçue qu’on n’ait pas mis le pied dans son piège à loups.

    _ Paschic ! J’ai rendez-vous avec monsieur Ego... »

    La bombe parle dans un micro et écoute une seconde son casque, puis elle dit : « Effectivement, monsieur Paschic, monsieur Ego va vous recevoir… » et deux yeux noirs indiquent à Paschic le couloir vitrée qu’il doit suivre… Paschic remercie d’un bref mouvement de tête, se félicitant d’avoir su garder ses sens à l’abri de toutes ces formes qui explosent et il avance sur une moquette plus douce que la peau d’une femme ! Enfin la porte et le bureau d’Ego ! C’est une sorte de cathédrale éclairée, avec une immense table acajou pour autel !

    Ego derrière lance : « Asseyez-vous Paschic ! Cigare ? Un verre ?

    _ Whisky, avec un doigt de soda... »

    Ego se lève et va vers le bar, montrant qu’il est une sorte de colosse nerveux… « Que savez-vous de moi ? demande-t-il, quand il rapporte le verre de Paschic.

    _ Je pense que c’est vous qui dirigez la ville... et même le pays...

    _ Ouais, mais ça, c’est la façade, Paschic ! La vérité, c’est qu’on m’emmerde, qu’on voudrait me voir mordre la poussière ! Tous, là, dehors, ils rêvent de me faire la peau ! Ils cherchent qu’à m’ baiser ! J’en ai ras-le-bol, Paschic ! ras-le-bol ! Tenez, c’ matin, j’ai même pas touché à mes œufs ! »

    Les yeux de Pashcic papillotent, comme s’ils étaient pleins de compassion… « Ouais, vous vous en foutez, mais j’ai besoin de vous, Paschic ! On m’a dit que comme privé vous êtes un bon, discret et efficace !

    _ Je ne sais toujours pas ce que vous voulez…

    _ J’aimerais que vous retrouviez cette femme ! C’est la seule que j’aie vraiment aimée... et je l’aime toujours ! »

    Ego glisse sous les yeux de Paschic une photographie, celle d’une femme heureuse et magnifique ! « Et par où j’ pourrais commencer ? demande Paschic.

    _ Aux dernières nouvelles, elle travaillait pour un mouvement féministe un peu sectaire, sur la montagne de Cargnola... »

    Un peu plus tard, Paschic rejoint son vieux cabriolet, qu’il a acheté en des jours meilleurs et il prend la direction du Mont Cargnola, mais impossible de quitter la ville facilement : toutes les artères principales sont bloquées par des manifestants, qui crient : « Ras-le-bol ! Ras-le-bol ! » Paschic doit faire de nombreux détours et il tombe sur un meeting, où une voix dit : « Vous en avez ras-le-bol ? Rejoignez-moi ! Je vais vous débarrasser de tout ça, de toute cette vermine ! » Paschic se dit que les hommes d’Ego travaillent vraiment bien et qu’il n’est pas étonnant que leur patron tienne la ville dans une main de fer !

    Mais enfin, le paysage change et ce sont les collines douces et désertiques, qui précèdent le Mont Cargnola... Il fait soudain très chaud et Paschic s’arrête pour enlever la capote de la voiture… Il voit plus bas des hommes qui cassent des pierres, sous la surveillance de femmes armées… Les prisonniers ont les lettres PN dans le dos…

    Au bout de la route il y a des bâtiments blancs et ça ressemble à une académie militaire… Paschic est conduit dans le bureau de la directrice, une femme sèche et d’abord désagréable, appelée Lapsie et qui regarde la photo que lui soumet Paschic, comme si elle risquait de se salir les yeux ! « Oui, cette femme a travaillé ici, dit Lapsie, mais nous ne l’avons pas gardée… Elle ne partageait pas nos idées…

    _ Dites, j’ai vu des hommes en bas, avec PN sur le dos… Qu’est-ce que ça veut dire ?

    _ Mais Pervers Narcissique ! Nous les rééduquons et croyez-moi, ils nous remercient à la fin !

    _ Je n’en doute pas... »

    Paschic sort du bâtiment et se dit qu’il est dans une impasse, quand derrière un buisson une voix lui fait : « Pssst ! Pssst ! Je connais la femme que vous cherchez… et j’ai sa nouvelle adresse ! Vous lui direz que Cindy pense à elle ! » Avant même que Paschic ne pose une question, Cindy a déjà disparu, mais elle a laissé dans la main du détective un petit morceau de papier… Paschic l’ouvre dans le cabriolet et l’adresse indiquée est à plus de cent kilomètres de là… Sagement, le cabriolet reprend la route…

    A la fin de la journée, Paschic arrive dans une propriété avec de beaux arbres fruitiers et il monte à pied jusqu’à une véranda… La femme de la photo est là, bien plus belle que sur l’image… Elle rayonne et semble n’avoir peur de rien ! La gorge de Paschic se noue, car il est en train de tomber amoureux ! Cependant, il explique qui il est et le but de sa démarche, ce qui fait rire la femme ! « Venez, monsieur Paschic, dit-elle. Installez-vous, je vais nous chercher une orangeade ! »

    Un fois qu’ils sont rafraîchis, la femme reprend : « Vous direz à Ego qu’il y a entre lui et moi incompatibilité d’humeurs ! C’est bien simple, je me demande aujourd’hui ce que j’ai pu lui trouver !

    _ Je ne suis pas obligé de retourner le voir… Après tout, j’en ai ras-le-bol ! »

    La Foi et Paschic éclatent de rire !

                                                                                                            99

    Paschic est assis devant sa cabane et il regarde la neige s’égoutter, sous le soleil du matin… Les perles d’eau scintillent et des masses blanches glissent des sapins autour ! Cela fait un bruit sourd qui trouble le silence, mais des oiseaux enchantent aussi le lieu… Ils ont de belles couleurs, se chamaillent et laissent dans la neige de délicieuses petites traces !

    Deux cavaliers sont en vue plus bas dans la vallée et Paschic les laisse monter à lui sans bouger… Ce sont en fait deux cavalières et quand elles sont plus près, Paschic reconnaît Bona et Lapsie ! Elles ont l’air très excitées : « Bon sang ! s’écrie Bona. Faut l’ trouver ton repaire, Paschic ! On s’est paumée dans la vallée, figure-toi !

    _ On a tourné pendant des heures, renchérit Lapsie, et on s’rait mortes de froid, si on n’avait pas croisé un vieux débile !

    _ C’est lui qui nous remis dans l’ bon chemin ! Et alors quoi Paschic, tu vas laisser tes amies geler dehors ? »

    Paschic ne répond pas, c’est inutile : ce sont deux univers différents qui se rencontrent ! Celui des deux femmes est agité, parce que dépourvu de sens…, mais Paschic ne peut pas refuser d’accueillir les visiteuses, afin qu’elles se réchauffent… et enfin, elles ne sont pas venues dans ce trou perdu par hasard !

    Il fait donc signe aux deux femmes d’entrer, dans sa modeste demeure, en s’attendant aux réflexions d’usage, en ce qui concerne son intérieur ! « Snif ! Snif ! Ça sent le renfermé ici, Paschic ! (Et dire que les femmes sont promptes à relever l’impolitesse des hommes!)

    _ Ça sent le fauve comme on dit ! rigole Lapsie.

    _ Bon sang, Paschic, comment tu peux vivre dans un pareil trou ! J’ comprends pas !

    _ C’est vrai ça, Paschic, vivre comme un reclus va affecter ta santé mentale ! Il faut sortir, bouger, voir du monde !

    _ Faut s’ battre, oui, fait Bona. Autrement les autres te bouffent ! Pendant qu’ t’es là à rien foutre, ou presque, y s’en mettent plein la lampe ! Y s’ foutent bien d’ ta gueule, allez !

    _ Mon Dieu et tu restes là dans l’ silence ? T’as pas d’amis ? T’arrives à rester tranquille ?

    _ Il va finir par se transformer en toile d’araignée !

    _ Ah ! Ah ! Hi ! Hi !

    _ Y va crever là et personne n’en saura rien !

    _ Largué le pauvre Paschic ! L’aura pas vécu !

    _ Je n’ai que du café à vous offrir... »

    Ce sont les premières paroles de Paschic, depuis l’arrivée des deux filles… et il se lève pour mettre de l’eau à chauffer… « Regarde-moi ça ! fait Bona à Lapsie. Une gazinière !

    _ Ohé Paschic ! On est au temps de l’induction ! Et du portable, et des réseaux sociaux et d’ la com !

    _ Ici, tu parles dans un pot à yaourt, pour passer commande chez l’ laitier ?

    _ Wharf ! Wharf ! Ouf ! Ouf !

    _ Pourquoi vous êtes là, les filles ?

    _ Ben, on vient de la part de la Machine !

    _ Ouais, elle veut enterrer la hache de guerre ! On est une sorte de délégation pour la paix, tu vois ? »

    Paschic apporte le café aux deux femmes assises en face de lui… Il y a un moment de silence, qui surprend et qui bien entendu gêne les visiteuses… « Mais réellement, Paschic, comment tu fais pour vivre… dans un tel dénuement ?

    _ C’est une question de paix intérieure… J’ai à manger et ça me suffit ! Pour le reste, j’attends « l’esprit » qui me nourrit et m’aime ! Mon ego ne souffre pas, car il est confiant ! »

    Ces propos paraissent absolument lunaires aux deux femmes et Bona reprend : « Comme je te le disais, la Machine veut bien faire la paix avec toi, à condition bien entendu que tu reconnaisses ta propre part de responsabilités !

    _ Car tu en as sûrement une, pas vrai Paschic ? approuve Lapsie. Il faut que chacun y mette du sien !

    _ Il est bon le café ? »

    La question étonne les visiteuses, qui semblent ramenées sur terre ! « Bien sûr qu’il est bon ! s’écrie Lapsie. Mais j’ vais quand même lui rajouter un peu de gnôle ! Ah ! Ah ! »

    A cet instant, le colt de Paschic, qui jusque-là avait été caché sous une couverture, aboie et Lapsie est projetée en arrière, ainsi que l’arme qu’elle avait déjà dans la main ! Le poignard de Bona siffle et se fiche dans l’épaule de Paschic, qui n’en continue pas moins son mouvement tournant et qui fait feu une nouvelle fois ! Bona s’écroule avec une grimace sur la bouche ! Puis, c’est de nouveau le silence et le poids du temps…

    « Ils n’apprennent jamais rien ! » se dit Paschic.

  • Rank (92-95)

    R18

     

     

                               "Poems, everybody! Poems!"

                                                        The Wall

     

                                                       92

    Le soldat Paschic marche sous les étoiles, au bord d’une route de campagne… Enfin, il arrive au bourg, qui à cette heure est désert ! Mais Paschic ouvre bientôt la porte du bistrot et après un vague bonsoir, car ici tout le monde se connaît et se supporte, il prend place au comptoir sur un tabouret ! Il y a là quatre joueurs de belote, à une petite table, et le cafetier qui sans un mot sert Paschic ! Il lui verse un rouge-bord, avec des miettes de bouchon, car rien ne vaut un verre de « vinaigre » pour se réchauffer ! Mais Paschic a fini de se faire des illusions !

    Soudain, un autre client entre et c’est un jeune Arabe, d’ailleurs très poli, qui vient acheter des cigarettes ! Chacun devine dehors son Audi puissante et confortable, ce qui fait qu’après son départ quelqu’un demande : «Où trouvent-ils les moyens pour s’acheter ce type de voitures... 

    _ Ils doivent avoir des réseaux, répond un autre.

    _ Si on pouvait tous les faire rentrer chez eux, ajoute un troisième, on n’aurait plus d’ problèmes !

    _ Ça, c’est pas la France ! fait le quatrième. Nous sommes tous égaux ! Non, le problème, c’est la haute finance et les profiteurs ! Ceux-là, faut les mettre au pas ! »

    On assiste à l’éternelle joute entre la droite et la gauche, mais Paschic intervient : « Peuh ! La solution n’est ni politique, ni économique ! Il faut d’abord se changer soi-même ! « Aimez-vous les uns les autres ! » Y a pas d’autres solutions ! »

    Cette sortie égaie les joueurs de belote ! « Ah ! Parce que toi, Paschic, tu crois encore au bon Dieu, au petit Jésus et à la Vierge Marie ! jette l’un.

    _ Bien sûr !

    _ C’est pas vrai !

    _ Ah ! Ah !

    _ Eh Paschic, s’écrie un autre, si moi je te donne un coup, tu m’ pardonneras ? C’est ça ?

    _ Et où tu vas trouver ton pain, Paschic ? Hein ? Moi, j’ai plus d’ quarante ans d’ boîte !

    _ P’têt’ qu’il file pédophile !

    _ Ouh, ouh !

    _ Tiens, René, ressert Paschic ! Il a pas fini d’ nous faire rigoler !

    _ Où tu l’ vois le bon Dieu, Paschic ? En Ukraine, chez les SDF ?

    _ J’ le vois pas dans vos cœurs en tout cas !

    _ Ouaf ! Ouaf !

    _ Pour sûr qu’ tu l’ vois pas, car il n’y est pas ! Pas folle la guêpe !

    _ Moi, j’ vais t’ dire, Paschic ! Çui qui m’emmerde, l’as intérêt d’ savoir courir très vite ! J’ prends l’ fusil et pan ! pan !

    _ Et tu vas encore à la messe… et tout ça ?

    _ En 54, on perdait la Cochinchine !

    _ Non mais t’es pas sérieux, Paschic…

    _ Y en a qui doivent payer, c’est tout !

    _ Avec le départ des étrangers, la France retrouvera la religion... »

    Devant tout ce fatras, Paschic s’envoie son verre d’un trait et sort ! A l’intérieur du bar, on commente le personnage… « Quel drôle d’oiseau ! dit l’un.

    _ Mais de quoi il vit ?

    _ Il a un potager, j’ crois !

    _ Du temps d’ la poste, il paraît qu’il envoyait des manuscrits à Paris, pour s’ faire éditer !

    _ Ah bon, il s’est cru écrivain ?

    _ Ils ont dû bien rigoler avec ses idées, là-bas !

    _ Tiens, René, tu remets la tournée ! Il m’a ravigoté, c’ Paschic !

    _ Un innocent, c’est un innocent !

    _ Chaque bourg en a un !

    _ Ah ! Si quelqu’un me marche sur les pieds, moi, j’ vois rouge !

    _ Surtout si c’est un étranger !

    _ Surtout si c’est un profiteur !

    _ Et le dix de der, il est pour qui ?

    _ C’est toi qui viens d’ jouer, non ? 

    _ Ah ! Ah ! Ce Paschic ! »

                                                                                                          93

    La Machine fait son jogging matinal, en compagnie de quelques admiratrices… « Allez, les filles, on s’bat ! On y va !

    _ Ouh ! Fait froid ! Ça pique !

    _ C’est ça qu’ j’aime ! On s’bat ! Le grand air ! Ouh ! J’ai plein d’ projets, les filles ! J’ crois qu’ j’aime la vie à la folie !

    _ Qu’est-ce que tu veux faire ?

    _ Plein d’ choses ! Vous savez, il faut saisir toutes les occasions ! D’abord je suis blanc, dans ce beau pays ! Pas malade ! Et dès que j’ai eu vingt ans, j’ai hérité de 400 millions de dollars !

    _ C’est pas vrai !

    _ Mais si ! Mon père m’a fait passer ça par plusieurs comptes, pour éviter l’impôt ! Un malin le paternel !

    _ Tel père, telle fille !

    _ Ah ! Ah ! Jalouse ?

    _ Ben oui, tu as eu beaucoup de chances !

    _ La chance n’y est pour rien, les affaires oui ! Je me suis faite toute seule, les filles !

    _ Tout de même, ta sécurité était assurée ! Moi, je…

    _ Mais de toi, on s’en fout ! Je ne connais qu’un seul drame, c’est de respecter les autres ! C’est le début de la fin ! Commencer à prendre l’autre au sérieux, l’écouter, lui donner une réalité ? Les filles, c’est la déprime ! Ah ! Ah ! Faites comme moi, ne pensez qu’à vous… et écrasez le faible ! Il le mérite ! Allez, les filles, on en donne un coup ! Ouf ! Ouf !

    _ Eh ! Attends-nous !

    _ Votre problème, c’est que vous n’êtes pas assez égoïstes ! Vous êtes trop craintives ! Mais de quoi avez-vous peur, bordel ?

    _ Mais on n’a pas tes moyens ! Il nous arrive d’être inquiètes !

    _ Les affaires, les gosses, les affaires ! Faut pas hésiter à frauder ! Ramassez le pactole, baisez l’administration, tous ces technocrates qui bavassent ! Vous minaudez comme eux ! On prend, les filles, et c’est tout ! Ah ! Ah ! Et vous savez quoi ? Je vais redresser ce putain d’ pays et lui redonner toute sa grandeur !

    _ Faudrait qu’ tu commences par payer l’impôt !

    _ Ah ! La salope ! Fous-moi l’ camp, ou j’ t’écrase !

    _ Connasse toi-même !

    _ Va t’ faire mettre la main au panier ! Morue ! Elle se tire ! Bon débarras !

    _ Elle avait trop d’ principes ! Depuis un certain temps déjà, j’ la voyais cogiter ! Elle commençait à considérer les autres, j’en suis sûre… et j’ me suis dit que ça finirait mal !

    _ Ben, t’avais raison ! Elle a pas le sens du drapeau ! Ceux qui savent lire sont communistes ! Ah ! Quelle belle vie ! Est-ce que j’ai fait ma p’tite prière, c’ matin ! J’ai besoin de l’appui de tous les cagots !

    _ Euh… C’ matin ? Je me rappelle seulement ton plantureux petit-déjeuner !

    _ Alors allons-y, ma belle, arrêtons-nous pour prier un peu ! Il est bon que le big boss là-haut me protège ! « Seigneur, fais-moi triompher ! Surtout que je ne termine pas comme toi, en loser sur la croix ! Ne m’humilie pas, je n’aime pas ça du tout ! Aide-moi contre tes ennemis, pour ta justice : que tous les salopards qui veulent me baiser soit durement châtiés ! Ainsi la victoire sera pour toi, pour moi et ma famille ! Éloigne de moi la coupe du vice, mais laisse-moi le droit de violer, de mentir, de frauder ! C’est pour la cause ! Bien sûr que je me tienne loin de la difficulté, de l’effort, de la nuance, de l’anonymat, comme toi tu les as connus, car un seul jobard, ça suffit ! »

    _ Ouh ! Ouh ! Ça, c’est de la prière !

    _ Attends… « Eh ! Oh ! Seigneur, j’ai aucune confiance en toi ! Tu l’ sais bien ! La foi, connais pas ! » Ah ! Ah ! C’est fort, c’est tonique, j’adore ça ! C’est mon monde ! C’est moi ici et là-bas ! Tout le reste me fatigue ! Hop ! Hop ! La vie est belle !

    _ On peut chanter ?

    _ Vas-y !

    _ Ô toi, mon cher égoïsme, voilà ton heure ! Ne tremble pas, arrête de pleurer ! Le jour J est arrivé ! Tu vas sortir de moi, comme l’enfant qui vient d’ naître…

    _ Tout est simple, tout est simple ! quand on ne respecte personne !

    _ Tu vas pouvoir régner sur le monde ! Les étrangers dehors ! Les règles dehors ! Les technocrates dehors ! Les livres dehors ! Les faibles dehors !

    _ Tout est simple, tout est simple ! En Massey Ferguson, j’ ne reconnais plus personne ! Pim, poum ! En Massey Ferguson, j’ ne reconnais plus personne ! Pim, poum ! Ah ! Ah ! Notre hymne !

    _ Préparez les voies de l’égoïsme ! Le Seigneur arrive !

    _ Bon sang ! J’adore ça ! I love it ! »

                                                                                                          94 

    la Machine demande : « Quelles sont les chiffres ? » Ses collaborateurs les lui montre… « C’est pas rentable ! fait la Machine. On efface !

    _ Bon sang, la Machine ! s’écrie l’un. C’est un bureau de poste à El Paso ! Ils n’ont qu’ ça là-bas !

    _ Pas rentable, on efface !

    _ Laisse-moi te dire que t’es une belle sa... ! On a besoin de repères ! Niveau psychologie, t’es zéro !

    _ T’es limite d’être viré toi-même ! Mais bon, d’accord, on leur mettra un distributeur d’enveloppes… et pour les transactions, y aura quelqu’un avec une tablette ! Ça va comme ça ? Et c’est plus écologique !

    _ Comment ça ?

    _ Pas d’emballages, pas d’ chauffages, pas d’ matière ! Le tout numérique ! Le virtuel sans pollution !

    _ Faut quand même refroidir les réseaux…

    _ Tout à l’heure, tu vas m’ dire que les éoliennes gâchent le paysage ! Faut savoir c’ qu’on veut ! Moi, je choisis le moindre mal !

    _ Mais l’humain, le pauvre humain... ! Être efficace, c’est bien, mais nous sommes plus complexes que des chiffres !

    _ Mais, ma parole, tu vas te mettre à pigner, en m’ demandant l’égalité ! Tu vas m’accuser, éberlué, de casse sociale !

    _ Non, mais…

    _ Qu’est-ce qu’il y a de pire ? Voir les riches comme une nébuleuse haïssable et réclamer du respect, ou avancer objectivement, avec la raison ! Je découpe, je remodèle suivant la nécessité ! Je ne suis pas absurde, comme le croyant qui détruit au nom de l’amour !

    _ D’accord, d’accord ! Mais on peut se situer entre les deux ! Le pragmatisme du technocrate oublie les hommes ! Le numérique aussi ! Nous avons besoin d’amour, d’attention, de rêves et de beauté encore !

    _ Et c’est pour ça que tu es là ! Je t’ai engagé parce que tu es socialiste, c’est du moins ce que dit ton dossier ! Je m’attends à ce que tu fasses des phrases, même si tu penses pas beaucoup ! Tu crois encore qu’on peut brider l’économie et avoir des emplois ! T’es pas revenu d’ Moscou !

    _ Mais t’es pas lucide toi-même, non plus ! Regarde, les gens sont paumés et ils ont tellement peur qu’ils se réfugient dans leur égoïsme ! Ils sont comme des fauves en cage ! Ils sont prêts à tuer, si on menace leurs idées !

    _ Et tout ça au nom du bien et de la tolérance !

    _ Exact ! Mais le flot du numérique nous emporte, nous enlève le sol sous nos pieds ! d’où notre malaise, voire notre panique ! Le numérique dilue notre identité ! Tout ce qui nous entoure a l’air virtuel !

    _ Ça, c’est du style ! Mon investissement est payant ! Mais laisse-moi imaginer le monde de demain… Nos besoins gérés par l’IA et les robots…

    _ Plus besoin de travailler !

    _ Les villes ont arrêté de s’étendre, faute de combattants, ai-je envie de dire ! Eh oui, malgré tous nos discours, nous n’avons pas confiance en l’avenir et instinctivement nous ne faisons plus d’enfants ! Nous jugeons au fond que les conditions de vie ne sont point favorables ! Mais, ouf ! la nature peut respirer, puisque nous avons cessé de l’asphyxier !

    _ Il n’y a plus d’raisons d’exploiter son prochain et enfin règne la justice sociale !

    _ C’est là que tu t’ goures, mon pauvre ami ! Car que feras-tu sans ta haine ? Qui rendras-tu responsable de ton malheur, car tu es incapable d’être heureux ! Tu as besoin d’ennemis, comme tout le monde ! comme les racistes, les féministes, les wokes, ou les militants LGBT ! Il s’agit de vaincre, de dominer, sinon on est malade !

    _ Mais toi aussi, tu as besoin de te sentir le chef !

    _ Je ne te le fais pas dire, mais moi, je sais et j’assume ! J’écrase en toute conscience, j’ suis dans ma bauge !

    _ Je peux pas croire ça ! T’es quand même humaine ! T’as ta fragilité !

    _ Tata Fragilité ? Peut-être bien, mais au moins j’ me régale ! Je calcule et j’efface ! J’entends pas crier derrière, j’ goûte le pouvoir à long trait ! J’ suis un sanguin !

    _ T’es surtout une ordure !

    _ Et j’ te vire toujours pas ! J’ te l’ai dit : tu m’amuses ! »

                                                                                                            95

    Rank arrive dans une contrée très étrange… Les gens y son affolés et crient au monstre ! Que se passe-t-il ? Quel sort maléfique a été jeté sur ce pays ? Quel tour lui a joué la nature cruelle ? Rank essaie de se renseigner, mais en vain : les passants ont peur et refusent de parler ! Pire, ils sont étonnés du calme de Rank et le trouvent éminemment suspect ! Puis, Rank est témoin d’un drame : une jeune fille, montée sur une chaise, dit tout haut : « J’ai échoué à mon examen ! Tout est perdu ! Ayez pitié de moi ! » et avant même que Rank puisse réagir, elle se passe une corde autour du cou et se pend !

    Rank intervient, détache la malheureuse et la confie à un médecin : « Mais enfin qu’est-ce qui se passe ici ? demande-t-il à l’homme de l’art.

    _ Comment ça, ce qui se passe ? Mais d’où sortez-vous ? Nous sommes débordés, nous n’en pouvons plus et pour un salaire de misère encore ! La malédiction est sur nous ! C’est bien simple, je n’ai même plus le temps de manger !

    _ Mais vous manque-t-il des médicaments ? Je vois que votre installation est des plus modernes…

    _ Mais tout est mort en dessous ! C’est une catastrophe ! Nous sommes ruinés ! Il n’y a pas de remplaçants ! Mais excusez-moi, on m’ demande aux urgences !

    _ Bien sûr... »

    Rank est stupéfait ! Il se dit qu’il y a sûrement quelque chose qu’il ne comprend pas ! La guerre ne plongerait pas davantage dans une telle affliction ! Cependant, il sent qu’il a faim et il se dirige vers l’auberge, en rêvant déjà de ce qu’il va y manger ! L’intérieur est assez sombre, mais propre… Un grand feu dans la cheminée permet de se réchauffer, et Rank se frotte les mains : bien des plaisirs lui sont promis !

    A une table il commence à satisfaire son appétit, quand la Machine et Tautonus viennent l’entourer ! Rank ne les avait pas vus jusqu’ici, car ils devaient se tenir dans l’ombre et ils ont pris place de chaque côté de Rank, sans lui en demander la permission ! « Je vous en prie, asseyez-vous, ! leur dit Rank.

    _ Merci, répond Tautonus le plus sérieusement du monde.

    _ Alors qu’est-ce tu viens faire dans l’ coin ? demande la Machine, en crachant par terre.

    _ Ben, j’ sais pas ! Je vais, je viens, j’ regarde !

    _ Tu regardes, hein ?

    _ Ben oui… et j’ suis surpris ! On dirait que tout le monde a peur… et je me demande de quoi !

    _ Mais... Mais tout le monde a peur, parce qu’il faut gagner sa vie ! parce que la situation est difficile, périlleuse même ! Y a que toi Rank qui s’ la coule douce, qui est dans sa petite bulle ! Heureusement que les autres travaillent pour toi ! Sinon, tu serais où, tu mangerais quoi ?

    _ Exactement ! renchérit Tautonus ! On est responsable pour toi ! Comme si on n’avait qu’ ça à faire ! Qu’est-ce qui va arriver quand t’auras plus d’ sous !

    _ J’ sais pas !

    _ Ah tu sais pas ! Mais, moi j’ vais t’ le dire ! Le spectre de la faim viendra te voir ! Il te prendra dans sa main gelée et toi, tu crieras au secours ! Et tu sais quoi, Rank ? Toutes les portes seront fermées et tu te retrouveras en enfer ! Foi de Tautonus ! (Il crache à son tour!)

    _ D’accord, faut gagner sa vie, mais ça n’explique pas vos peurs ! On a l’impression que vous êtes tous fous !

    _ Ah ! Parce que t’es pas au courant ! s’écrie la Machine. Il y a la forêt sombre, pleine de coupe-jarrets et de mystères !

    _ Au plus profond d’elle vit le dragon ! explique encore Tautonus. Il est horrible et dévore tous ceux qui s’égarent !

    _ Nul ne lui échappe ! grince la Machine.

    _ Eh bien, je vais y aller voir ! dit Rank qui a fini de manger et qui s’essuie la bouche.

    _ Comment ? s’exclame Tautonus. Mais tu es fou ! Tu n’en reviendras pas !

    _ Laisse chou, coupe la Machine, Rank veut jouer les caïds ! Il faut qu’il fasse lui-même ses expériences et on va le voir revenir en pleurant, la queue entre les pattes ! Ah ! Ah ! »

    Ils sortent tous les trois de l’auberge et Rank monte sur son cheval, pour se diriger vers la forêt… Tautonus, voyant Rank bien décidé, lui crie : « N’y va pas ! Tu vas t’ faire mettre en charpie ! » La Machine, elle, reste silencieuse et finalement Rank explique : « La nature nous a donné la conscience et c’est forcément un bien, un atout ! A quoi bon l’existence si nous sommes plus malheureux que les animaux ? Je vais donc aller dans la forêt voir de quoi il retourne ! Je vais demander des comptes à la vérité et à la peur ! Et vous savez quoi ? Je vais revenir rayonnant et rien ne me fera plus plaisir que d’apporter un peu de paix et d’espoir aux jeunes et aux enfants ! C’est votre hypocrisie le monstre ! »