PSYCHO-RAM!

  • Le 27/03/2021
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Psycho ram

 

 

 

 

 

    Journal de Jacques Cariou, monde de RAM, lundi 22 mars: "Comment ça, vous ne voulez pas dominer! Vous ne voulez pas réussir, briller en société, être un exemple pour vos enfants, faire la fierté de votre femme? Dépression! Dépression!"

    Le Psycho-RAM tourne autour de moi dans la pièce. C'est une bulle comme une petite télé, apparemment réelle, avec une tête chenue et souriante dedans, qui me parle: l'image même du psy épanoui! Pourtant, les cheveux précocement couleur neige, c'est un signe de peur!

    "Comment ne pas vouloir dominer? Quoi de plus naturel? Regardez le sport, la joie de la performance! Vous êtes en vie que diable! Agissez, foncez, osez! Quand vous serez mort, vous aurez tout le temps pour réfléchir, vous apitoyer! Si je vous parle aussi vertement, c'est parce qu'avec les dépressifs faut pas s'amollir, entrer dans leur jeu! Les ranimer, même par la haine, ainsi qu'on les frotterait avec un gant de crin, voilà ce qu'il faut faire!"

   La bulle monte, descend, accélère, ralentit au rythme de ses propos! Je l'ai appelée sur les conseils de Julie, j'ai cédé parce que j'étais sans force, désemparé, mais je m'aperçois que c'est encore pire que ce que je redoutais! Toutefois, le discours que j'entends doit avoir une certaine utilité!

    "La société vous attend, Jack! Elle veut de vous le meilleur et... elle vous le rendra au centuple! Ne soyez pas du camp des perdants, des éternels contestataires, de ceux qui crient comme des bébés! Ne me décevez pas, Jack! Debout! L'avenir vous appartient, car vous faites partie des forts! N'est-ce pas, Jack? Personne, absolument personne ne doit vous marcher sur les pieds!"

    Un air électronique et entraînant envahit la pièce et le Psycho-RAM a pris une couleur rouge: il s'échauffe! "En haut de l'échelle! C'est là que je veux vous voir, Jack! Votre sourire illuminant les couvertures des magazines! Votre parcours, votre témoignage donnant du rêve, affirmant que tout est possible! De la lumière, Jack, apportez-nous de la lumière! Nous en avons tant besoin! Célèbre et bienfaiteur de l'humanité, voilà votre futur portrait!

    Sinon, si vous avez peur, vous savez ce qui va vous arriver? Dépression! Dépression, Jack! Amertume, chagrin, haine et fermentation, Jack! Le microbiote, Jack, nous en avons plus d'un kilo dans le côlon! 100 000 milliards de bactéries pour 10 000 milliards de cellules! A qui faut tendre la main, Jack? Aux petites bêtes, bien sûr! Vous voudriez pas les peiner, hein Jack? Le syndrome du côlon irritable, le SII vous connaissez? C'est des douleurs inexpliquées, sans véritable traitement, et pourtant c'est tellement destructeur!

    Dans la solitude, Jack, on digère des tôles, on a des piqûres d'aiguilles! On charrie des tessons de verre! On a peur et on pète interminablement!

    On sue la nuit, Jack! On se retourne sur sa couche, comme un steak sur le gril! Au matin, on ne désire plus qu'une pelle pour creuser son trou, que les souffrances cessent! Tout ça parce qu'on a laissé entrer l'anxiété, qu'on la prise au sérieux, qu'on a craint de prendre des coups, qu'on a baissé la tête devant les plus forts et les incivilités!

    C'est le sort du gibier, du petit, du foireux, Jack! Vous vous voyez vous tenant le ventre, toujours aux aguets, avant d'aller aux toilettes, pendant que d'autres rient sur le tapis rouge et que leurs noms brillent comme les étoiles!

    Vous ne dites toujours rien Jack, vous vous cachez, mais pas pour longtemps! Grâce à RAM, votre enfance n'a plus de secrets pour nous et elle vient maintenant s'afficher sur les murs de la pièce! Ce n'est pas de la magie, Jack, simplement la science en marche! Mais que voyons-nous?

    Non, mais regardez-moi ça! Le pauvre garçon effacé, éteint, quasiment diaphane! Invisible sur les photos de classe! Comment est-ce possible, Jack? Ah! Mais voilà la mère castratrice! abusive, ivre de son pouvoir! tracassière sans relâche! Pauvre Jack! Vous avez dû morfler, mon pauvre vieux!

    Ne vous offusquez pas de mon ton, toujours le gant de crin, hein! Et à côté de la mère comme un rouleau compresseur, l'aîné, plus fort physiquement et qui vous met des raclées, qui se moque de vous comme il veut! Lui, c'est le modèle pour la famille, l'excellence, la route normale de la réussite! tandis que vous, Jack, vous êtes le besogneux, le gars à problèmes, le souffre-douleur!

    Est-ce que vous n'auriez pas posé des difficultés pour qu'on s'occupe de vous? Est-ce que ça ne continuerait pas encore aujourd'hui? Est-ce que je suis là pour vous rendre intéressant? J'espère que non, Jack! Car je n'aime pas les narcissiques, Jack! J'aime pas les bébés qui prennent mes chaussettes pour leurs couches!

    J' veux du muscle, du caractère, de la révolte! La vie est une lutte, Jack! N'avez-vous pas envie d'inverser la tendance, que votre mère se dise qu'elle s'est trompée, que vous n'êtes pas un minable? Ne voulez-vous pas que votre grand frère devienne votre débiteur, qu'il soit conduit à vous appeler à l'aide, alors que vous faites la sourde oreille?

    Comme ce serait doux, hein, Jack, d'entendre leurs supplications et leurs gémissements! Quelle revanche!"

    Le Psycho-RAM est maintenant bleu-vert, signe d'apaisement, de profondeur... "Vous êtes le meilleur, Jack, et vous ne le savez pas! Vous valez mieux qu'eux! Vous êtes plus humain, plus sensible et ils vous ont broyé! Y s' foutent bien de votre gueule, allez! Au diable, vos scrupules, Jack! Ils rient et vous pleurez! Ils fêtent et vous êtes seul, avec vos blessures! Ils sont les rois et vous êtes dans la boue, la nuit!

    On va pas attendre que vous répariez un à un vos traumatismes, Jack! On va faire mieux, grâce à la science! On va aller plus vite et plus radicalement! C'est sans douleur et ça touche l'épigenèse, Jack! Vous connaissez? Les connections neuronales! Le circuit fonctionne, mais certains fils ont été montés à l'envers ou sont dénudés! à cause de votre enfance malheureuse et troublée!

    On corrige le circuit, Jack, car on sait le faire! On laisse ses névroses dans le bloc et on en sort en titan, en demi-dieu! Les chagrins vont mendier ailleurs, Jack! A nous le soleil... et les crédits bien sûr! A nous le pouvoir et... le bonheur, Jack! On domine et on jouit! Et... et je disparais! Ah! Ah! Vous n'aurez plus besoin de moi! L'affaire est dans le sac, Jack! Hein, qu'en dites-vous?

    _ En somme, vous m'invitez à devenir comme mon frère et ma mère?

    _ Exactem... Mais non, mais non, vous serez bon tout en dominant! Vous avez l'expérience pour vous!

    _ Vous pensez vraiment qu'on peut dominer sans piétiner les autres? Non, ce n'est pas possible! Mais justement, dominer, ce n'est pas voir les autres! Ils ne sont qu'une gêne ou un obstacle, qu'il faut pousser! On domine parce qu'on n'est pas fait soi-même! On croit que le monde n'est qu'une extension de sa propre personne! Mais vous êtes-vous demandé pourquoi il en est ainsi?

    _ Allez-y, Jack, révélez-vous!

    _ Pour ma part, triompher sur un autre, me satisfaire de sa crainte ou de son admiration m'a toujours paru ridicule; à l'échelle de notre planète, de l'Univers et de notre mort! Mais c'est précisément pour échapper à ce vertige, à cet abîme, que les hommes dominent frénétiquement et se détruisent!

    _ Vous y êtes, Jack! Continuez!

    _ Savez-vous qu'il suffirait que chacun prenne un tout petit peu sur lui, chaque jour, pour que nous soyons au paradis! Il suffirait que chaque jour chacun s'efforce d'avoir un peu moins peur, se montre un poil plus patient, pour respecter l'autre, et on pourrait danser dans un gigantesque festival de couleurs! Mais même ce minuscule effort, cet infime exercice est comme arracher les entrailles de la plupart!

    _ Je ne vous aime pas, Jack! Vous savez?

    _ Oui, vous m'avez détesté dès que vous m'avez vu, mais il vous a fallu le cacher!

    _ Vous exagérez!

    _ Mais non, vous avez tout de suite senti que vous ne me dominiez pas, que je n'étais pas impressionné, que je ne vous admirais pas! Non que je vous fusse hostile, ce qui vous aurait rassuré! Mais, malgré ma douleur, je ne vous ai pas naturellement considéré comme un maître, d'où votre haine! Inutile de dire aussi que votre savoir, dans ces conditions, n'est que pacotille, car c'est votre pouvoir et la servilité des autres qui garantissent votre équilibre!

    _ Petit morveux! Espèce de salopard! Je vais t' gratiner, moi, tu vas voir!"

    A ce moment précis, je prends conscience que le décor a changé: le Psycho-RAM est pourpre et deux infirmiers, comme des armoires à glace, viennent d'entrer dans la pièce! J'ai beau savoir qu'ils ne sont que virtuels, je ne peux pas m'empêcher de frémir, mais il faut que je m'échappe et je passe à travers les deux images, qui essaient de m'agripper!

    Dans le couloir, j'ai la mauvaise surprise de voir que l'hologramme du Psycho-RAM s'étend encore jusque-là et d'autres infirmiers et des malades gênent ma fuite! Je bouscule tout le monde, comme si je déchirais un cauchemar, tandis qu'un message sinistre résonne à mes oreilles: "Attention, attention, un schizophrène dangereux, un narcissique de la pire espèce, un SII gluant, un égocentrique à tendances paranoïdes est en train de s'enfuir et représente une menace! Attention, attention, je répète..."

    C'est la poésie de la science fâchée! celle qui oublie tous ses devoirs (et qui d'ailleurs ne les a jamais connus!)! Mais soudain je retrouve des décors de toutes sortes et je me calme, car je suis de nouveau dans la foule! "Tu as eu une bonne idée, Julie!

    _ Excuse-moi, Jack, mais c'était la logique! Tu n'allais pas bien, on appelle un psy!

    _ J'aurais vot' peau, sale fumier!

    _ Hargh! Et ça c'est quoi Julie?

    _ C'est le Psyco-RAM! Il est sur ta messagerie!

    _ Bon sang! Tu peux pas le mettre dans les indésirables!

    _ Hop! C'est fait!

    _ Vois-tu, ici, la domination est folle! Elle ne connaît plus de bornes! Il lui faudrait tomber sur un bec, pour qu'elle se remette en question!"

    A ce moment, une sirène hurlante déchire l'air, pour une urgence absolue, semble-t-il, et une ambulance vient freiner tout près! "Allons voir!" dis-je à Julie.

    Un homme est étendu sur le trottoir et le survole une drôle de petite machine. "C'est un Scan-RAM! m'explique Julie. Il examine au mieux la personne..."

    Soudain, le Scan-RAM se met en alerte et crie: "Attention! Attention! Ecartez-vous! Ecartez-vous! C'est un décès dû à un virus! Je répète: un décès dû à un virus! Les ambulanciers doivent revêtir leur combinaison spéciale! Nul ne doit approcher sans protection!

    A ce moment la foule se retire, plus ou moins brutalement! "Va falloir trouver le patient zéro! fait Julie. Qu'est-ce qu'il y a, Jack? Tu trembles! J'ai encore dit une bêtise?

    _ Non, non...

    _ Tu sais, le patient zéro...

    _ Oui, c'est la logique!

    _ Non, c'est la procédure!

    _ A la bonne heure!"

 
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