Les enfants Doms (T3, 11-15)

  • Le 22/07/2023
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Doms70

 

 

          "L'échelle est haute, mais je grimpe!"

                                   Le distrait

 

                             11

     Aujourd’hui, la lumière est bien ! Oh ! Ce n’est pas qu’elle déborde d’énergie, qu’elle soit pleine d’espoir et qu’elle ait de nouveau confiance ! Non, elle arrive tout juste à être en paix avec elle-même, ce qui lui permet de ne pas perdre sa lucidité et donc de ne pas se fatiguer outre-mesure ! C’est essentiel car, à partir d’un certain stade, on force pour échapper à l’angoisse, ce qui produit les drames ou les accidents qui jalonnent l’actualité ! D’ailleurs, celle-ci est un véritable festival d’horreurs et de bêtises !

     Mais la lumière reste dense et sereine, malgré le désert qui l’entoure, et tout de suite l’ego veut lui trancher la gorge ! Ce n’est pas surprenant : l’ego vit pour lui-même, pour dominer, être le centre des autres et la lumière ne suit pas le programme ! Elle se nourrit de plus grand qu’elle, notamment de la beauté des nuages ; elle réfléchit aux grandes lois qui régissent la vie, elle étudie la sagesse, ce qui dépasse entièrement l’ego, en suscitant sa haine ! L’indépendance, la tranquillité de la lumière est ainsi tout de suite la cible de l’ego, qui montre toute sa colère et qui fait de la vie un enfer, pour lui comme pour les autres !

     Mais il existe aussi des egos qui cherchent, qui doutent et qui apparaissent respectueux de la lumière, car ils voient sa puissance, sa force, alors qu’eux-mêmes souffrent au point de s’avouer leur ignorance ! Ce ne sont pas des egos jusqu’au-boutiste, qui gardent l’illusion qu’on peut triompher sur un tas de morts, et ils révèlent sans le dire que l’angoisse nous éduque, nous « travaille », nous creuse, comme le ciseau sculpte la pièce de bois ! Il y a donc, sous l’effet des inquiétudes, ceux qui deviennent encore plus durs et qui vont vers leur destruction, et ceux qui au contraire cèdent enfin, en se présentant plus malléables, plus à l’écoute, reconnaissant à la lumière sa valeur, puisqu’elle est manifestement plus heureuse et sûre d’elle-même ! On ne copie que ce qui marche !

      L’angoisse n’est donc pas notre ennemie, même si elle est profondément désagréable, car sinon elle ne serait pas l’angoisse ! même si encore elle provoque généralement un regain de l’ego, ce qui ne fait que l’amplifier, car la solution la plus facile pour l’égoïsme, face à l’adversité, c’est bien entendu de se renforcer ! Et plus l’égoïsme est fort et plus nos vies ressemblent à un désert, où nous crevons de soif ! Dans ces conditions, la haine peut perdre toute mesure, exploser et commettre l’irréparable ! Mais c’est juste de l’ego qui a voulu se tromper lui-même et ne pas faire d’efforts ! La lumière, elle, se mesure à l’angoisse, car elle veut la vérité ! Elle attend, ne s’énerve pas et finalement elle ne fait plus qu’une avec l’angoisse ! La paix est à ce prix ! Le mensonge, c’est d’accuser les autres ! C’est la fuite !

     L’angoisse nous transfigure ! Ce que nous avons gagné contre elle nous est acquis à jamais ! Absolument personne ne pourra nous l’enlever ! Nous sommes les vainqueurs d’une guerre silencieuse et non dite ! Heureux celui que l’angoisse éclaire ! Heureux celui qui sort du feu de l’angoisse, avec le visage serein ! Heureux celui qui ne cède pas à la haine ! Heureux celui qui dresse son angoisse comme un chien : il devient le maître d’un tourbillon ! Heureux celui qui sait attendre, car sa récompense est l’eau la plus pure, la plus fraîche ! Qui voudrait ne pas sentir la caresse d’un amour infini ? Mais l’ego mord la flamme ! Il s’enfonce dans sa haine ! Il s’agite, rugit ! On lui doit des comptes, alors qu’il est sans courage ! Il se dit guerrier, bien qu’il nie le dragon ! Il est une marionnette de la peur !

     « Eh ! Attention ! » fait l’ego à la lumière qui s’écarte ! L’ego est très sérieux, plein de mouvements et porte un gilet spécial ! « Qu’est-ce qui se passe ? » demande un autre ego et voilà les egos discutant au milieu de la rue, avec de l’autorité ! L’ego est un acteur impeccable ! Son décor aussi avance, s’installe ! Un gros camion ici s’approche, pour dérouler un câble... C’est le progrès, mais aussi l’ego qui s’honore ! « Vous dégagez la place ! » crie un chef à ses hommes et le monde est maintenant suspendu à une manœuvre ! L’angoisse est partie, chic ! « Qu’est-ce que ça file ! » s’exclame le voisin de la lumière, qui réplique : « Comme Marat ! 

_ Quoi ?

_ Marat Ça file ! 

_ Très drôle ! »

      L’ego n’aime pas lumière : il la trouve dédaigneuse, rabat-joie ! Rien ne compte plus pour l’ego que son théâtre !

                                                                                             12

      L’ego est malade, il vient de l’apprendre : il a un cancer ! Déjà, son visage est légèrement émacié et il se sent fatigué ! La maladie a lentement commencé à le dévorer intérieurement, comme si elle « pompait » tout l’être ! La lumière est désolée et frémit, car elle pourrait être un jour atteinte aussi et alors quelle serait sa réaction ?

     Pourtant, pour l’instant, au-delà de la tristesse causée par la souffrance d’un autre, la lumière ne peut s’empêcher de penser, d’autant qu’elle connaît bien l’ego ! Pour celui-ci, la vérité est relative… Chacun voit le monde à travers ses convictions et il en est très bien ainsi ! Nous serions donc des îles isolées, uniquement reliées par les lois qui permettent à la société de fonctionner ! Il n’y aurait pas de vérité universelle et la foi notamment ne relèverait que de l’intimité de chacun !

      Voilà qui est étonnant ! On peut comprendre ce point de vue, qui garantit la laïcité et donc la liberté de penser, si on ne considère les religions que d’après leurs règles, ainsi qu’elles seraient quasiment des partis politiques ! La foi alors ne serait qu’une affaire d’opinion ! Mais celui qui croit sincèrement détermine des lois et ce sont celles de la sagesse ! Il a le même regard que celui du scientifique, qui vérifie par l’expérience l’exactitude de ses théories ! La foi n’est pas quelque chose d’obscur, mais elle s’affirme au contact de la réalité !

     Et l’une des préoccupations majeures de la lumière, c’est comment guérir son angoisse ! Autrement dit, quel sens peut-on donner à la vie ! Quelle n’est pas alors sa surprise, quand l’ego trouve cette question secondaire, comme si lui-même lui avait donné une réponse ! Il n’en est rien évidemment, mais l’ego est à même de s’illusionner sur son compte, grâce à sa domination ! C’est l’égoïsme qui permet à l’ego de repousser sa peur et il ressemble au trapéziste insensible au vertige, parce qu’il est tout à son numéro ! On comprend par conséquent le trouble, la haine de l’ego, car sa paix n’est que factice ! Si on lui fait obstacle et qu’il n’est plus question de lui, c’est la chute !

     Ceci explique sans doute pourquoi le nombre de malades, malgré notre modernité, ne diminue pas ! Sous le vernis de l’objectivité, la tension produite par l’angoisse continue son œuvre destructrice ! Rien n’apparaît à l’extérieur, mais le corps se tord à l’intérieur, est soumis à des pressions extraordinaires et finit par céder, en se détraquant ! Ce combat est invisible et muselé, puisque l’équilibre de l’ego, c’est sa réussite ! Même de se montrer ignorant est exclu ! L’orgueil sombre, fier près de son drapeau, alors que le naufrage eût pu être évité !

     Mais ainsi vont nos sociétés, comme marchant sur l’eau ! l’hypocrisie nous donnant le sourire, alors que le requin de la maladie nous saisit tour à tour et nous fait disparaître ! La foi, elle, ne peut éluder la vérité, à moins qu’elle ne se résume aux dogmes de la religion et ne devienne haineuse, si on ne les respecte pas ! Dans ce cas, le croyant ne se différencie en rien de l’ego et suit le même chemin ! Comment trouver la paix ? Comment guérir les maladies ? Comment éviter des maux comme la sédentarité, à l’origine de bien d’autres troubles ? La science a bien entendu des réponses, Dieu merci pourrait-on dire, mais sont-elles suffisantes ? Apparemment non… et ce n’est pas une question de temps, puisque le problème ne fait que se déplacer ! On éradique un fléau et un autre apparaît ! Notre confort même nous tue !

     Au fond, la science accentue notre angoisse, plutôt qu’elle ne l’apaise ! Ce n’est pas que nous refusions l’étendue de nos connaissances, mais la science ne nous propose aucune vision cohérente ! Elle nous rapporte le fruit de ses recherches, tel un enfant a trouvé un objet sur la plage ! A nous de nous débrouiller ! Que faisons-nous ici ? Comment partager l’enthousiasme des chercheurs, alors que leur domaine nous dépasse ? Comment ne pas voir que bien des scientifiques sont moins mâtures que des bénéficiaires du RSA, qui eux ont dû affronter la vie jusqu’au tréfonds ? Comment ne pas être surpris de la hauteur d’un médecin ou d’un psychologue, qui bénéficient donc d’un luxe moral ?

     Les médicaments, les opérations réparent sans aller à l’essentiel, c’est-à-dire à la paix factice de l’ego ! Tant que nous nous « paierons de mots », nous serons malades ! Tant que l’ego reste sourd à la lumière, il vit dans le chaos et le stress y fait des ravages ! Tous, nous en pâtissons ! Imaginons chacun, luttant contre son ego et d’abord contre son impatience, par amour ! Imaginons chacun curieux de l’autre ! Imaginons chacun courageux, car aimant ! Imaginons chacun reconnaissant à l’autre sa valeur, bien qu’il ne soit pas d’accord avec lui ! Imaginons chacun calmant sa colère ! La maladie aurait-elle encore prise sur nous ?

     Aujourd’hui, c’est comme si la société toute entière était atteinte d’un cancer, celui de la haine ! C’est là le fruit de l’ego !

                                                                                                          13

     La peur rejoint l’ego : « Tu cliques où sur le Captcha de l’espoir ?

_ Quoi ?

_ Ouais, regarde la société et tu cliques partout où tu vois de l’espoir !

_ Ben… Euh… A vrai dire, j’ suis plutôt mal, triste même ! En tout cas, j’suis inquiet ! Ouh ! Comme je suis inquiet !

_ Si tu vois pas d’espoir, tu cliques sur ignorer !

_ C’est pas un piège ?

_ Mais non, tu m’ connais !

_ Justement ! Tu m’ rends nerveux !

_ Bouh !

_ Ah !

_ Quel peureux tu fais ! J’ai pourtant pour toi plein d’ solutions ! J’ laisse jamais tomber un ami !

_ C’est justement ça le problème, je veux m’ débarrasser d’ toi !

_ Ben, t’as qu’à picoler ! Effet garanti !

_ Non, mais tu m’ vois la canette à la main, dans mon jean crasseux, en train d’insulter le système !

_ Mais tu peux manifester le samedi ! Ça te permettrait d’attaquer l’ dimanche !

_ Pourquoi le dimanche serait un problème ?

_ Mais parce que tu travailles pas et qu’ c’est du vide ! A quoi crois-tu que sert la cuite du samedi soir, si c’ n’est pour rester avachi devant la télévision le lendemain ? Toi, tu pourrais t’ dire que tu as gueulé la veille dans la rue, avec les camarades, et qu’ l’ combat continue ! A ce moment-là, moi, j’ devrais m’ faire tout p’tite ! Le sentiment de ton utilité me regarderait avec des yeux noirs !

_ Ouais, ouais, mais j’ suis quand même pas si bête ! Les extrêmes, c’est jamais fatigué, moi si ! J’aime bien l’intelligence, la nuance ! J’ m’ mets un peu à la place de l’autre et j’ me dis que les choses sont complexes !

_ Ce n’est pas vrai ! Tu… tu te mets à la place de l’autre ? Même s’il est différent, opposé ? Ce n’est pas possible, c’est trop pour moi ! Tu vois, ça sort à gros bouillons !

_ Allons, allons…

_ Je n’en peux plus…., tous ces abrutis !

_ Je sais, not’ pays est damné !

_ Si t’étais une femme, j’ te dirais quoi faire pour me chasser !

_ Eh ben, vas-y…

_ Oh ! Mais j’ diffus’rais mes hormones comme un parfum ! Les mecs baveraient autour ! J’en choisirais un, pas trop décati… En fait, faudrait qu’il soit sûr de lui ! L’idéal s’rait un type comme un rocher ! J’ m’accroch’rais à lui, j’ prendrais ses mesures et bientôt, j’ l dresserais ! pour qu’il gagne plus et qu’il vise plus haut ! Le soir, j’ l’ regarderais rôtir, en surveillant la cuisson ! Mais qu’est-ce que j’ raconte ? J’ suis belle et douce !

_ Ouais, ouais, ton plan manque de netteté ! J’ pensais à un truc… et la lumière ?

_ La lumière, la lumière, c’est très surfait, tu sais !

_ J’ croyais qu’ la foi t’écartait, t’ mettait au rancart !

_ Une légende ! Tu crois vraiment qu’on peut rire de moi ! Tiens, si j’vois la lumière, j’ lui dirai : « Écoute, la lumière, est-ce que tu es assez pure ? Est-ce que tu aimes tes ennemis ? Vraiment ? Est-ce que tu les bénis et les plains ? Hein ? Hum ! Hum ! Là, j’ peux te dire que la lumière n’en mène pas large ! Elle commence à trembloter !

_ C’est vrai ?

_ Mais bien sûr ! Le fuselage fait un drôle de bruit ! On est tous pareils ! C’est bien simple, la lumière est tranquille comme un lac et moi, j’ lui d’mande : « Quelle profondeur le lac ? Y aurait pas un monstre au fond ? Genre nouvelle Nessie ? » et la surface se trouble ! Et faut qu’ j console tout ça ! Dieu qu’ c’est fragile ! Me v’là à raconter une histoire, pendant qu’on mange un carré d’ chocolat ! Puis, y a les bisous et enfin, enfin, on s’endort ! Ouf !

_ Ah ! Ah ! Quand j’ pense à la lumière, avec ses grands airs !

_ La seule différence, c’est qu’elle, elle bosse !

_ Hein ? Mais, moi aussi !

_ Tu restes tout de même timide ! Elle, elle essaie vraiment d’ changer, tandis que toi, tu es comme la barque qui pourrit dans l’port ! Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

_ Espèce de...

_ Comment ? Tu vas m’ dire que tu m’ kiffes pas ? Bouh ! Comme j’ suis malheureuse ! Ah ! Ah ! Comme si tu pouvais m’ quitter ! Une partie de baballe ? J’ te passe la balle, tu m’ la repasses et ainsi d’ suite ! Extra, non ? C’est la saison en plus ! Gi ?

_ Va t’ faire…

_ Chéri, pense aux enfants ! Hi ! Hi ! »

                                                                                                    14

     L’ego rentre chez lui pour déjeuner…, mais à peine entre-t-il dans la cuisine qu’il entend des pleurs ! « Qu’est-ce qui s’ passe ici ? demande l’ego d’une voix grondante.

_ Y veut pas manger son poisson ! répond sa femme.

_ J’ veux pas manger mon poisson ! J’ veux pas ! crie l’enfant.

_ Quel maniaque ! jette le père en s’asseyant.

_ Tiens, chéri, sers-toi ! lui dit l’épouse en montrant les plats, puis elle se tourne de nouveau vers le p’tit garçon. Allez, il en reste encore ! Tu vas m’ faire le plaisir de manger tout ça !

_ Nan ! J’ veux pas mon poisson !

_ Alors, répond la mère, j’ vais être obligé d’appeler les pêcheurs ! Et tu sais ce qu’ils vont faire les pêcheurs ? Ils vont v’nir ici et ils vont brûler la maison ! T’auras plus d’ maison !

_ Non, c’est pas vrai !

_ Si ! Car quand ils sont en colère, les pêcheurs, y brûlent les maisons ! Y sont très méchants !

_ Ouin ! J’ veux pas mon poisson !

_ Bon très bien, j’ vais téléphoner aux pêcheurs ! C’est ça qu’ tu veux ! Être dans la rue sans maison ?

_ Mange au moins tes carottes ! fait le père.

_ J’ veux pas mes carottes ! Elles sont pas bonnes !

_ Oh ! Ben, alors là, faut prévenir les agriculteurs ! J’ vais leur téléphoner ! (Le père se lève, reste une minute dans son bureau, puis revient). Voilà ils arrivent ! Tu sais ce qu’ils vont t’ faire les agriculteurs ?

_ Non….

_ Y sont pires que les pêcheurs ! Ils vont v’nir ici avec leur tracteur… et ils vont t’accrocher derrière !

_ Non, c’est pas vrai !

_ Si ! Y vont t’ traîner derrière leur tracteur ! Dans la rue jusqu’aux champs ! Là, ils rigoleront de t’voir tout plein d’ terre dans l’ maïs ! A moins qu’ils t’ passent dans l’ blé ! à cause des vipères ! Si elles sont dérangées, elles mordent et c’est fini !

_ Non ! Ouin ! J’ veux pas les agricu… teurs !

_ C’est trop tard ! Écoute ! On entend l’ tracteur ! Il arrive !

_ Nan, c’est pas vrai !

_ Allez, y reste plus que deux bouchées ! dit la mère.

_ C’est froid !

_ C’est vrai, c’est froid ! Si tu mangeais convenablement aussi ! Seigneur, j’ sais plus quoi faire ! Bon, tu vas au manger ta pomme, j’espère ! Les fruits, c’est bon pour la santé !

_ J’ veux pas ma pomme, non pus !

_ Pouah ! s’écrie le père. Y a qu’à l’ vendre aux émeutiers ! Tu sais c’ qui vont t’ faire les émeutiers ? Y vont t’accrocher des pétards sous les bras et y vont r’garder danser dans la nuit, car t’ s’ ras plein d’étincelles !

_ La police viendra m’ sauver !

_ Mais elle n’aime pas les p’tits garçons qui mangent pas leur pomme !

_ J’ pense qu’on peut t’ vendre aux émeutiers pour dix euros ! renchérit la mère. Tu vaux pas cher, tu sais !

_ J’ veux pas ma pomme ! J’ veux aller jouer !

_ Laisse donc, chou ! rajoute le père. Il ira avec les Gilets jaunes, pour garder un rond-point ! Il mang’ra des raviolis en boîte !

_ Y brûlera des poubelles pour s’ chauffer !

_ Y f’ra hou ! hou ! d’vant la police !

_ Y s’ra tout sale, avec de la barbe !

_ Y cass’ra tout !

_ Il ira voler des jouets et on l’ mettra en prison !

_ Il m’ttra le feu à l’Elysée !

_ Y dira pas d’ pouvoir, c’est mon pouvoir !

_ Y s’ra fou !

_ Non, c’est pas vrai !

_ Mais alors mange, bon sang ! s’écrie la mère désespérée.

_ Et Poutine ? Y s’en occup’rait, Poutine ! reprend le père. Y viendrait là, tout gentil, mais y mettrait du poison sur ta p’tite voiture, tiens ! Et toi, tu la prendrais et hop ! faudrait t’ conduire à l’hôpital !

_ Oh ! Mais y a encore plus simple ! réplique la mère. On appelle les féministes et elles vont lui couper l’ zizi ! »

                                                                                                    15

     Ratamor a rejoint le camp du commando Science et ce matin-là, il se réveille à peu près bien ! Il sort de son baraquement et bâille, alors qu’il apprécie la rosée sur l’herbe, quelques petites fleurs et le chant d’un pigeon plus loin ! A cet instant, un climatologue passe avec une serviette et une trousse de toilettes, se dirigeant vers les sanitaires ! Ah ! La toilette du matin en mode camping ! Un carrelage peut-être pas très propre, une série de lavabos au-dessous de leurs petits néons et à côté, une chasse d’eau qui est tirée, après le premier caca de la journée ! « C’est assez plaisant, pense Ratamor, d’autant que le silence et la fraîcheur matinale accompagnent ce moment simple ! »

     « Bonjour ! fait Ratamor au climatologue. Une belle journée qui commence, hein ? » Le climatologue ne répond pas, mais brusquement il souffle dans un sifflet, déclenchant une alerte ! Des hommes et des femmes de la sécurité accourent, à la stupéfaction de Ratamor, qui se voit aussitôt couché à terre et menotté, avant d’être emmené ! « Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que vous voulez ? » s’écrie-t-il, tandis qu’on le pousse déjà dans un bureau et qu’on le fait asseoir face à une femme en tenue kaki !

     Ratamor abasourdi voit qu’on informe la femme et qu’on se retire, tandis qu’un lourd silence s’installe et que deux gardes restent autour de la porte ! Le sergent Fink, car tel est son grade et son nom est indiqué sur son uniforme, consulte un écran, prend quelques notes, puis enfin s’adresse d’une voix monotone à Ratamor, ainsi qu’elle aurait été lasse de l’inconséquence du monde ! « Vous vous appelez Ratamor, dit-elle, vos états d’ service sont excellents ! Vous êtes un véritable apôtre de la science ! un héros pour la jeunesse ! Vos supérieurs sont prêts à s’appuyer sur votre capacité à prendre des décisions, mais peut-être vous a-t-on trop souvent confié des missions dangereuses… et vous avez fini par craquer ! Classique, pourrais-je dire, si la situation n’était pas aussi préoccupante !

_ Mais… mais de quoi parlez-vous, bon sang !

_ Ratamor, pourquoi êtes-vous devenu climatosceptique ? Croyez bien que nous le regrettons…

_ Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je n’ai jamais été climatosceptique ! Au contraire, je… je…

_ Ne venez-vous pas de déclarer à un de nos collègues qu’une belle journée commence ?

_ Mais… mais c’est la vérité ! Je me réjouis simplement de ne pas être à la même époque sous la sécheresse de l’année dernière ! Cela… cela ne veut pas dire que je nie le réchauffement climatique !

_ Savez-vous que ce mois-ci a été l’un des mois les plus chauds jamais enregistrés !

_ Très bien, mais il ne faut pas seulement se concentrer sur les chiffres ! Il est humain d’exprimer son bien-être personnel… et la terre elle-même utilise la moindre goutte d’eau… et il a plu quelques jours, ce dont je me suis enchanté !

_ Des départements observent de sévères restrictions ! Par solidarité…

_ Mais, s’il est bon de tirer la sonnette d’alarme, il est néfaste de s’y pendre ! On perd sa crédibilité ! »

      Tout à coup, les fenêtres du bureau éclatent et un bruit de mitrailleuse se fait entendre ! Chacun s’est jeté au sol, y compris Ratamor ! Une voix dehors crie : « Sortez d’ là, bande de sales rats ! Alors les climatos d’ mes deux, on pourrit la vie des gens ! On joue les stars, avec des bulletins alarmistes ! J’ vais vous faire danser, moi ! »

     Une grenade atterrit dans la pièce, sous les yeux épouvantés de Ratamor, mais le sergent Fink est prompt ! Elle a saisi la grenade et la rejette par la fenêtre ! Une explosion secoue les murs, puis Fink rageuse hurle : « Alors les gnomes, on rigole moins ! Le réchauffement est une réalité, connards ! » De nouveau la mitrailleuse entre en action et donne l’impression que des termites veulent en finir avec le baraquement !

     Ratamor cherche à s’échapper de cet asile d’aliénés et il pousse avec sa tête la porte qui s’est entrouverte. Toujours menotté, il rampe dans des buissons, alors que le combat fait rage, et il se retrouve nez à nez avec un énergumène en pyjama, qui lui aussi joue les serpents ! « J’ parie qu’ c’est un complot néolibéral ! dit l’homme. Y respectent rien ! »

 

 
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