Les enfants Doms, T2, (51-59)

  • Le 10/12/2022
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Doms36

 

 

 

 

       "Dites-moi, capitaine, que fait-on quand on rencontre un gascon trop vantard?"

                                                                                                   Cyrano

 

                              51

 

    Dans RAM, Crise s'ennuie! Elle tape dans des boîtes de conserve qui traînent! Que pourrait-elle faire? Il n'y a rien! Nulle perspective! Crise a les mains dans les poches et crache de dépit! Elle soupire, puis soudain elle a une idée: et si elle rassemblait les morts et les mettait en marche contre RAM! Au moins, il se passerait quelque chose! Crise n'est au fond heureuse que dans le chaos, la revendication, le trouble!

    Crise passe dans les maisons et crie: "Venez avec moi, les morts! Je vous promets le bonheur! de l'action, du changement!" Elle se munit d'un haut-parleur et s'adresse aux morts des buildings! "Joignez-vous à moi! clame-t-elle. Ne vous laissez pas faire! Vous aussi, les morts, vous avez des droits! On ne doit pas vous piétiner!" Crise se rend également dans les hôpitaux! "Levez-vous, les malades! dit-elle. Et vous aussi le personnel soignant, suivez-moi! Notre soumission a assez duré! L'arc-en-ciel est à portée de main, grâce à la contestation!"

    Et partout les morts accompagnent Crise, se rangent sous sa bannière, assoiffés qu'ils sont! Ils travaillent, ils travaillent et ne s'en sortent pas! Bien sûr, il y a les migrants qui, au péril de leur vie, s'efforcent de rejoindre RAM, car pour eux la ville a tout et ils n'y souffriront plus de la faim, mais en réalité ces migrants ne connaissent pas la situation de RAM! Celle-ci est devenue insupportable, sans issue, intenable, atroce! A cause de quoi? Mais du manque de sous!

    On veut plus! Cela rendra-t-il heureux, donnera-t-il un sens à la vie? Peu importe! Là n'est pas la question! Et les morts, derrière Crise, marchent vers la Tour du Pouvoir, alors que retentit leur clameur, leur souffle, leur espoir! "Des sous! Des sous!" gronde le cortège, qui s'amplifie à mesure qu'il avance! "Des sous! Des sous!" grondent la raison, l'intelligence, l'amour, la bonne volonté! "Des sous! Des sous!" réclament les affamés! "Des sous! Des sous!" est la chanson des morts!

    Sur leur passage se présente la reine Beauté! Elle interpelle Crise: "Où vas-tu, pauvre folle? lui dit-elle. Alors l'expérience ne te sert de rien! Rappelle-toi: combien de fois n'as-tu pas demandé plus ! Tu es maintenant, comme tu as toujours été! Et tu ne changes pas! Tu n'essaies même pas de trouver une autre solution!

    _ Qui c'est cette mégère? s'écrie un mort.

    _ Moi, je peux vous apporter le bonheur, la joie! répond la reine Beauté. Il suffit de m'aimer, de m'admirer, car c'est vous que vous aimerez et admirerez à travers moi! Votre ego, votre soif seront comblés, car je leur donnerai une force infinie! Grâce à moi, vous serez rassurés, vous n'aurez plus peur et vous vous enchanterez de votre paix!

    _ Mais qu'est-ce qu'elle raconte la vieille?

    _ Qui c'est qui bloque, là?

    _ En avant! En avant!

    _ Des sous! Des sous!

    _ Faites taire la mégère!

    _ Tu vois, dit crise à la reine Beauté, ton discours n'a pas pris!

    _ Non, comme d'habitude! Vous aimez votre enfer! Allez les morts, tournez-vous les pouces!

    _ Mais qu'est-ce qu'elle raconte! On est au contraire dans l'action! On ne se laisse plus faire!

    _ Vous ne croyez quand même pas que l'argent est la solution à vos peurs et à votre soif d'être? Vous ne croyez tout de même pas qu'une nouvelle voiture ou un logement plus grand vont vous apaiser et vous donner une place dans l'Univers! Le vrai courage, les morts, c'est de vivre! Ce n'est pas la sécurité, ni la satisfaction de votre amour-propre! Vous êtes dans une boîte à chaussures et vous ne vous en rendez même pas compte!

    _ Allez, dégage la vieille!"

    Quelqu'un poussa la reine Beauté parmi des poubelles et tout le monde s'esclaffa! "Des sous! Des sous!" Les morts repartirent et devant Crise jubilait!

 

                                                                                             52

 

    Ratamor est devenu médecin généraliste! C'était au fond sa première vocation! Il a donc son cabinet, sa secrétaire et il n'a pas en définitive changé de nom: sur sa plaque on peut lire docteur Ratamor! Bien sûr, il peut toujours craindre que la psychologue Lapie retrouve sa trace et veuille encore "lui faire la peau", mais c'est un risque à courir et d'ailleurs Ratamor a changé! Il semble avoir été touché par la "grâce"!

    Mais que se passe-t-il donc? Ratamor n'est pas comme ses collègues, désespérés de ne pas gagner assez! Il ne trouve pas que 5 000 ou 4 000 euros, c'est trop peu! Il ne souffre pas d'un manque de considération! Il ne s'ennuie pas! Non, il a retrouvé le "feu sacré" et il est tourmenté par la souffrance humaine! Ratamor voit combien de gens n'ont plus les moyens de se faire soigner, ou comme les médecins sont insuffisamment nombreux pour s'en occuper!

    Cette détresse mine notre nouveau praticien! Il en a des cauchemars! Il voit toute cette population abandonnée, laissée à elle-même, rejetée par un corps déjà saturé! Oui, Ratamor s'est transformé et ses déboires précédents y sont sûrement pour quelque chose! Fini le pervers narcissique, voilà le nouveau Schweitzer! le Saint-Martin de la médecine! Ratamor accueillera sans discontinuer le plus de malades possibles et particulièrement toute cette "faune" de la rue, rebelle à l'ordre, marginale et mal aimée!

     On ne peut que se réjouir de ce nouveau chemin suivi par Ratamor, qui devrait faire réfléchir les autres médecins près de leur cassette! Ratamor a désormais un cœur, une sensibilité et sa priorité est de soulager le malheur du monde... et pourtant, on ne peut éviter d'être inquiet pour le personnage! En effet, il ne prend plus le temps de déjeuner! Ratamor est tellement effaré, non seulement par l'indifférence de ses collègues, mais surtout par tous ces malades sans soins, qu'il considère que cette habitude de s'arrêter à midi, pour se sustenter et reprendre des forces, comme inutile, dépassée, stérile! Il réagit en médecin, n'est-ce pas?

    Ainsi donc, Ratamor reçoit des patients toute la journée, ainsi qu'on écope une fuite, et c'est un pur hasard s'il ingurgite un sandwich dans l'après-midi! Pas le temps de manger! Peu importe que Ratamor a les yeux qui roulent à cause de la fatigue! Peu importe qu'il tombe dans l'inconscience brutalement le soir! Peu importe que ses mains tremblent (faute de sucre peut-être?) Il faut soigner, soigner! endiguer ce flot de souffrance!

    Mais, aujourd'hui, notre médecin est particulièrement tendu: en face de lui se tient Piccolo! "Comme on se retrouve! dit d'une voix morne Ratamor. Qu'est-ce que vous êtes venu faire ici? Vous cherchez encore à me tourmenter?

    _ Mais je vous assure, professeur (il utilisait encore l'ancien titre...), que je viens vous voir en toute bonne foi! Je souffre probablement d'une tendinite au talon!"

    Ratamor soupira et laissa voir sa fatigue... "Qu'est-ce que vous avez, professeur, je veux dire docteur? Vous avez l'air épuisé!

    _ L'heure est grave, Piccolo! Les malades sont partout et nul ne s'en occupe! Je leur ouvre mon cabinet sans interruption! J'essaie d'en aider le plus possible!

    _ Quoi? Vous voulez dire que vous n'avez plus de vie à vous? que vous ne faites plus de pauses pour récupérer?

    _ Ecoutez, vous ne pouvez pas comprendre! Vous êtes un rigolo, Piccolo! ou plutôt la médecine n'est pas vos oignons! Je vais vous donner une pommade pour votre pied et pour le reste, reposez-le!

    _ Je suis en effet ignare en médecine, mais, par contre, en surmenage, je connais certaines choses... et je peux vous dire que vous n'irez pas loin comme ça! Et que se passera-t-il quand vous tomberez malade vous-même? Vous ne serez plus utile à personne! Pire, vous serez à charge!

    _ Vous m'énervez, Piccolo! comme d'habitude! Vous avez votre pommade et maintenant, je vous ouvre moi-même la porte, pour que vous disparaissiez!"

    A cet instant, un hurlement! "Bon sang, doc, vous m'avez marché sur le pied, celui qui m' fait déjà mal!

    _ Tout ça ne serait pas arrivé, si vous m'aviez laissé tranquille!

    _ Mais excusez-vous, que diable!

    _ L'urgence n'attend pas Piccolo! Il y a des gens qui souffrent vraiment, vous savez! Au suivant!"

    Ratamor venait de crier en direction de la salle d'attente, mais personne n'y bougeait! Tout le monde avait peur! Une vieille affichette au mur disait: "Quand on dépasse ses forces, toujours quelqu'un paye l'addition!"

 

                                                                                                 53

 

    Dépression cheminait sombre! tête basse! ruminant! Elle ne trouvait aucun intérêt au nouveau jour et elle regardait d'un air morne les champs alentour! Elle avait l'impression que tout était gris, comme dans son cœur! Soudain, elle aperçut une vieille assise sur le talus et celle-ci était dans un état si misérable que Dépression en eut peur! Mais, comme elle était courageuse, elle marcha vers la vieille!

    "Salut! dit celle-ci. J' suis pas belle à voir, hein?

    _ Non, répondit Dépression embêtée.

    _ Que veux-tu! Je suis la Souffrance du monde! C'est comme ça que j' m'appelle!

    _ Ah?

    _ Oui, mais toi, tu n'es pas comme ces riches égoïstes, qui passent en carrosse et qui me crachent dessus! Non, tu es un sensible, une belle âme!

    _ Euh...

    _ Si, si! Fais pas ta modeste! Tu es bonne! Mais, vois-tu, il se trouve que j'ai faim! Tu n'aurais pas quelque chose à manger?

    _ C'est que... j'ai bien un p'tit sandwich! Mais c'est pour la route, tu comprends... J'ai des problèmes de sucre ou de vitamines... Je ne sais pas... Mais il y a des moments où j'ai des vertiges et...

    _ Tsss, tsss! Comme tu me déçois! Il s'agit bien de tes langueurs, quand mon estomac, lui, crie famine! Voilà deux jours que je n'ai rien mangé!

    _ Oh! Dans ce cas, voilà mon sandwich, bien entendu!"

    La Souffrance du monde s'en empara et commença à l'avaler... "Il est bon! fit-elle. On sent que tu y a mis de l'amour!

    _ Oh! Oui, il ne doit pas être mauvais!

    _ Il est parfait, tu veux dire! Il coule dans ma bouche comme du miel!

    _ Bien, bien...

    _ Ouuuah (elle bâilla et s'étira)! Je ne sais pas si t'as remarqué, mais les premières gelées sont arrivées! Il va faire froid cette nuit!

    _ Sans doute...

    _ Tu as déjà dormi sur le sol gelé? Il est impossible d'y trouver un peu de chaleur! C'est bien simple, c'est atroce!

    _ Je veux bien le croire!

    _ Tu ne vas tout de même pas me laisser là, alors que t'iras dormir au chaud!

    _ Ben...

    _ Si? Tu me laisserais là dans le froid?

    _ Non, bien sûr que non! Tu... tu peux venir chez moi, si tu veux...

    _ Vrai de vrai! Formidable! Allons-y!"

    Bientôt, ils arrivèrent à la maison de Dépression. "C'est sympa chez toi! dit la Souffrance.

    _ Oui, c'est pas mal! Enfin, c'est sombre et humide tout de même!

    _ Oui, on voit bien que tu ne gagnes pas des milles et des cents! C'est ton bon cœur qui veut ça!

    _ Tu peux prendre le divan... Il est assez confortable...

    _ Hem!

    _ Y a un problème?

    _ Ben, j'ai des rhumatismes et la dureté du divan va m' faire mal, c'est sûr! Mais toi, tu pourras t'y faire!

    _ Euh...T' es en train de me dire que tu veux mon lit, c'est ça?

    _ Oh! je ne voudrais pas abuser! Mais comment tu vas dormir sur ton bon matelas, quand tu sauras que je souffre sur le divan?

    _ D'acc... d'accord! Prends mon lit! Je prendrai le divan!"

    On éteignit bientôt la lumière et Dépression pleurait silencieusement! Elle n'était pas du tout contente de faire le bien! Au contraire, cela mettait un comble à son amertume, car elle n'était même plus chez elle! Son désespoir lui paraissait un gouffre sans fin, mais soudain Souffrance lui toucha l'épaule et s'assit près d'elle!

    "Dépression, dit Souffrance, ta maladie est telle que tu ne te sens plus utile! d'où ta fragilité, ta vulnérabilité! Or, c'est en étant toi-même que tu m'aideras! Qu'est-ce que tu aimes faire? Qu'est-ce qui te rend vraiment joyeux?

    _ Je peins! J'adore peindre! J'adore la beauté du monde!

    _ Eh bien, peins! Joyeusement! C'est comme ça que tu changeras le monde à ta façon! C'est par ton bonheur que tu rendras les gens meilleurs et que tu me soulageras!"

 

                                                                                                   54

 

    Le roi Rimar, monsieur Nuit et Tanaka discutaient dans la Tour du Pouvoir... "La situation économique devient de plus en plus difficile, dit monsieur Nuit, l'inflation est galopante! Nous allons devoir appeler la population à des sacrifices! Sinon il y aura des émeutes!

    _ Eh bien faites-le! répondit Rimar. Toute cela ne me concerne pas au fond! C'est votre travail de ministre!

    _ Minute! s'écria Tanaka. Vous, monsieur Nuit, qui êtes millionnaire, vous allez demander à la population des sacrifices? Vous n'êtes pas crédible! Qu'est-ce qu'un millionnaire peut connaître aux privations? Au contraire, votre fortune ne peut que jeter de l'huile sur le feu! On va croire que vous vous moquez du monde et on n'évitera pas les troubles!

    _ Mais je vous assure que je fais mon travail au mieux! répliqua Nuit. Les chiffres sont les chiffres! Il est impossible actuellement d'arrêter l'envol des prix! Je n'y peux rien, millionnaire ou pas!

    _ Oui, il est toujours facile de faire preuve de raison, quand on est à l'abri, du bon côté de la barrière!

    _ Oh! je vous en prie, cessez ces querelles! coupa Rimar. J'ai des projets autrement plus importants en tête!

    _ Est-ce qu'on peut les connaître..., sire? enchaîna Nuit, alors que son dernier mot lui donnait le dégoût!

    _ Eh bien, j'ai décidé d'envahir la Kuranie!

    _ Quoi?

    _ Oui, je trouve les Kuraniens méprisants à notre endroit! N'oubliez pas que la Kuranie nous était attachée autrefois... et leur indépendance actuelle me fâche, m'indispose! Il ne manquerait plus qu'on manque de respect à la grandeur de RAM! Où irions-nous si la souris commençait à se moquer du chat? C'est presque une question de principes!

    _ Mais... mais vous ne croyez tout de même pas que les Kuraniens vont vous laisser faire!

    _ Si! Si je le crois! Dès que nous montrerons le bout de nos canons, si je puis dire, le gouvernement fantoche de la Kuranie s'enfuira, en nous laissant les clés du pays! Et je ne serai pas non plus surpris de voir les Kuraniens, eux-mêmes, saluer notre retour! Il y a là-bas des forces obscures et oppressantes!

    _ Alors, selon vous, les Kuraniens auraient demandé leur indépendance sans motivation profonde?

    _ Disons qu'une partie de la Kuranie est pourrie et que nous allons l'enlever au scalpel!

    _ Je vous rappelle que nous avons ici bien d'autres problèmes, qui réclament toute votre attention! Notre propre équilibre est menacé!

    _ Comment osez-vous dicter au roi sa conduite?"

    Monsieur Nuit se tourna vers l'enfant Dom qui venait d'intervenir:  il s'appelait Fumur et était devenu le premier confident de Rimar. "Il est temps de remettre les pendules à l'heure, dans ce monde! poursuivit Fumur. Trop de désordre, trop de décadence y règnent! Il faut reprendre toute cette lie avec une poigne de fer! RAM doit retrouver toute sa puissance et son nom être prononcé avec crainte! C'est aussi la volonté de Dieu!

    _ Co... comment?

    _ Oui, Dieu n'aime pas la licence, le péché, la fornication! Or, la Kuranie abuse de sa liberté et le vice y est sans bornes! Notre guerre sera donc aussi une guerre sainte et elle plaira à Dieu!

    _ Mais que se passera-t-il si la Kuranie résiste, si d'autres puissances viennent à son secours?

    _ Mais, c'est très simple: nous ferons exploser la planète, dans un feu purificateur!"

 

                                                                                                 55

 

    Après cet entretien, Fumur alla dire une messe, mais dans le dessous de la Tour du Pouvoir! Il y avait là une salle sombre, aux voûtes immenses et qui pouvait servir de temple! Fumur y avait établi un nouveau culte, qui remplissait un vide, donnait une morale et qui plaisait à bien des enfants Doms, en mal de mystères!

    En effet, le réchauffement climatique, la crise économique fermaient l'horizon et l'instabilité des mœurs provoquaient les inquiétudes! On voulait rêver, échapper à un quotidien jugé trop strict et angoissant! Aussi le culte de Fumur s'était-il donné une dimension gothique, très voisine de la sorcellerie! On était loin de la formule sèche des anciens textes religieux!

    Le décor était à la hauteur! Le clergé était cagoulé! On parlait d'initiation, de degrés, de pouvoir, de l'ombre, du diable lui-même! La science n'était pas conviée, ce qui n'empêchait pas la technologie d'y fonctionner à plein! Chacun avait son Narcisse et leurs petites lumières bleues se dispersaient entre les piliers! Des Followers assuraient le service de la cérémonie et Fumur, dans sa bulle, dressait hors d'une robe de bure sa tête d'ascète!

    Autour, on priait, psalmodiait, gémissait! On faisait tout pour sentir un parfum spirituel, une présence de l'au-delà, d'autant que de l'eau perlait du plafond invisible, ainsi que se seraient écoulés les siècles! Mais le maître, c'était Fumur et que disait-il aux fidèles, figés par sa voix terrible?

    "Dieu sonde vos cœurs! laissa tomber gravement Fumur. Rien ne lui échappe! Il voit vos péchés et ferme les yeux, de dégoût! Seule une immense pitié le retient de vous frapper! Vous êtes misérables... et vous le savez! Mais nous sommes aussi les enfants de Dieu et c'est pourquoi nous sommes réunis ici! Nous sommes dans le bon camp! Nous ne sommes pas ennemis de Dieu! Ceux-là, Dieu les anéantira quand il voudra, dans un déluge de feu!

    Quand il nous commandera de tuer, nous tuerons! Nous obéirons à sa volonté! Car qu'est-ce qui importe, sinon la pureté de Dieu! la gloire de son nom!  Nous devons être vigilants! Nous sommes les gardiens de la parole de Dieu! Il attend de nous tous les sacrifices, même que nous donnions nos vies! Car comment pourrions-nous mieux Lui montrer que nous l'adorons? Comment mieux lui témoigner notre foi qu'en le débarrassant de ses ennemis?

    Mais même cela reste un privilège! En attendant, nous allons nous frapper sur le visage, en signe de repentance! Nous allons offrir à Dieu notre soif de souffrance! Il verra qui ne tape pas fort! qui se moque de Lui! qui n'est pas des nôtres! qui ne veut pas entrer dans le mystère de son amour sacré! Et il châtiera! Et il humiliera! Il vaincra le démon, qui se repaît de nous, comme la vermine du cadavre!

    Je suis un pécheur et je me frappe! 

    _ Je suis un pécheur et je me frappe! reprirent en chœur les fidèles.

    _ Dieu seul est mon amour et je me frappe!

    _ Dieu seul est mon amour et je me frappe!      

    _ Je suis minuscule devant Lui et je me frappe!

    _ Je suis minuscule...

    _ Dom! Dom!

    _ Dom! Dom! Dom!"

 

                                                                                                   56

 

    Chanson des sœurs Com!

 

"Chaque jour, nous te sapons, te minons!

Chaque jour, nous te faisons croire que le monde est normal!

Qu'il peut vivre comme ça! sous le joug de la domination!

Sans espérance! sans gloire, sans joie!

Qu'il est fermé! sans la beauté!

Chaque jour, nous te minons, te sapons!

Chaque jour, nous te perdons!

Nous te faisons peur!

Nous te rendons étranger à toi-même!

Au vrai, nous sommes malheureuses, troublées, aveugles

Et nous t'entraînons avec nous!

Chaque jour, tu dois te reconstruire

Car nous te sapons, te minons!

Nous n'avons pas de solutions,

Mais nous avançons, nous avançons

Et t'écrasons! te détruisons!

Nous ne voulons pas voir!

Tu nous fais peur!

Tu nous sembles un gouffre!

Nous préférons nos jeux, notre théâtre,

Nos discours maintes fois répétés!

Nos certitudes maintes fois rabâchées!

Tu es seul et nous sommes des millions!

Tu es silencieux et nous crions!

Tu es un étranger

Et chaque jour nous te sapons, te minons!

Pardonne-nous! C'est la peur!

Pardonne-nous! C'est l'orgueil!

Chaque jour, nous piétinons la beauté!

Chaque jour, tu dois te reconstruire!

Tu n'y crois plus?

Tu veux mourir?

Tu pleures?

Tu es seul et nous sommes des millions!

Tu es silencieux et nous crions!

La beauté nous est étrangère!

Nous sommes des goinfres!

Nous dévorons la Terre!

Chaque jour, nous te faisons croire que le monde est normal!

Qu'il peut vivre comme ça!

Chaque jour, nous te sapons, te minons!

Mais nous n'avons pas d'autres solutions!

Tu nous fais peur!

Tu n'y crois plus?

Tu pleures?

Nous sommes bien laides et bien méchantes!

Pardonne-nous!"

 

                                                                                              57

 

    On dit que dans RAM il y a un trésor! Il serait constitué de gemmes fantastiques, de rubis brillants comme de la braise, de diamants tels des soleils ou d'émeraudes pareilles à des feuillages étincelants! L'or le plus fin pourrait s'y prendre à pleines mains! En tout cas, celui qui le trouverait n'aurait plus à s'inquiéter de ses moyens de subsistance!

    Un ancien pirate l'aurait enterré là, bien avant la fondation de RAM! D'autres disent que ce n'est pas du tout cela! Il y a bien quelque chose, mais ce serait une mallette bourrée d'argent! Et elle aurait été laissée par un gangster en fuite! Il y en aurait pour des millions! Les billets seraient protégés et impeccables! Ils se froisseraient, ils craqueraient tellement ils sont neufs!

    Evidemment, beaucoup ont essayé de vérifier cette histoire et de mettre la main soit sur le magot, soit sur les pierreries! Ils ont examiné des manuscrits, des archives, se sont efforcés de les faire parler! Ils ont vu des signes, sondé des murs, creusé le plus profondément possible! Mais ils ont échoué, leur sueur est restée vaine et les plus raisonnables ont abandonné, quand certains ont perdu la raison!

    Cependant, il s'agirait d'un trésor, d'une richesse qui concerne plus la santé que le porte-monnaie! Il se pourrait que ce fût un élixir ou une sorte de fontaine de Jouvence! Qui boirait du précieux liquide retrouverait toutes ses forces, tout son enthousiasme, même s'il était la proie de la maladie! Il serait de nouveau jeune et prêt à tout!

    Evidemment, la majorité de RAM, qui n'est pas dupe, parle à ce sujet de légende et sourit devant la naïveté de ceux qui y croient! Les gens ont bien autres choses à faire que d'accorder crédit à ce genre de sornettes, bien qu'il comprennent bien qu'il est nécessaire de rêver! Cela donne de la couleur à la vie! Mais rien de plus! Et il y a tant à faire, et il y a tellement de problèmes! Et il faut qu'on y aille et bien le bonsoir!

    Pourtant, il y en a bien un qui a trouvé ce trésor et c'est Jack Cariou! Entendons-nous: il n'a rien emporté! Cela n'est pas possible, car le trésor est lié à l'esprit et il reste ainsi à la disposition de tous! Il n'est la propriété de personne et à tout moment, on peut s'en "nourrir"! Mais comment cela fonctionne-t-il? Ecoutons Jack Cariou...   

    "Ben, comme tout le monde, dit-il, je peux être désespéré, avoir du chagrin ou peur! Je peux ressentir de la haine aussi, de l'impatience, du dégoût, du mépris! J' suis un être humain comme un autre! La seule différence, quand on a le trésor, c'est qu'on est tranquille, confiant, au fond! On n'est pas emporté par la colère! Alors que les autres se piétinent, au bord de la panique, on demeure toujours plus sage, plus heureux, plus paisible! Le trésor est comme une pierre chauffante dans le cœur! C'est comme un arbre qui pousse indéfiniment en soi! On rayonne quoi, malgré le mauvais temps!   

    On s'aperçoit que c'est inestimable et qu'on possède le bien le plus précieux! On n'envie pas le prochain, au contraire on le plaint plutôt! Bon sang, dans quelles affres il s' débat! Et il en est dur et malheureux! Moi, j'attrape le soleil, dès qu'il se présente et j' fais sourire les gens! C'est la lumière du trésor que je véhicule! Voilà, c'est invisible, dans la tête, mais y a pas mieux! Tout le reste, c'est des chaînes et d' la misère!

    Bon, si vous trouvez l' trésor, dites-lui bonjour de ma part!"  

 

                                                                                              58

 

    Régulièrement, dans RAM, a lieu la grande parade des Petites vieilles égoïstes! Elles sont en tenue de majorettes, malgré leur âge, et leur canne leur sert de bâton! Elles descendent l'une des plus grandes avenues de RAM, avec devant leurs maris qui jouent du tambour ou de la grosse caisse! C'est entraînant, voire bon enfant, et au milieu du cortège se trouve le char de la chanteuse!

    C'est une petite vielle au corps sec, nerveuse, avec une voix prodigieuse, que tout le monde entend par-dessus la fanfare! Elle chante la chanson des Petites vieilles égoïstes, dont voici les paroles...

    "C'est nous les Petites vieilles égoïstes!

On nous croit faibles sur nos genoux,

Mais attention à nous!

Nous voulons tout!

Avec nos dents, nous tordons des clous!

Attention à nous!"

Le choeur: "Attention à nous! Attention à nous! Nous voulons tout!

De nouveau la chanteuse: "C'est nous qui avons créé les Boomeuses!

Les mamans des enfants Doms!

Nous sommes les grands-mères des enfants Doms!

C'est grâce à nous qu'ils sont aussi égoïstes!

Alors attention à nous! Attention à nous!

Car nous sommes tout!"

Le chœur: "Attention à nous! Attention à nous!

C'est nous les mères des Boomeuses!

Les grands-mères des enfants Doms!"

Roulement de tambours! Trompettes! Ambiance samba, ambiance sympa!

La chanteuse: "Si tu m'énerves, j' te casse en deux!

T'auras l'air piteux!

C'est moi l'intéressante!

C'est moi la seule décente!

J' suis vieille et j'ai des médicaments!

C'est pas drôle tous les jours, mais je mens!

Tiens, donne-moi deux chevreuils et deux cochons! Et un lapin en plus!

J' les mangerai c' midi!

C'est pas drôle, mes yeux pleurent

Un liquide jaune et on voudrait que j' meure!

Mais tiens, donne-moi ce cuissot, cette tête de vache, cette hure et ces trois gésiers!

J'ai une de ces faims et du formica? T'as du formica?

Pour les dents, c'est extra!

Enfin, c'est pas drôle, j' suis bien à plaindre!"

Le chœur: "C'est pas drôle! J'ai des médicaments!

J' suis vieille et j'ai plus d' dents!

Mais donne-moi ce cuissot

Ou plutôt cet éléphanteau!

C'est pour l'apéro!"

Musique: air de samba, air sympa!

    Le pire, c'est quand on demande aux habitants de RAM ce qu'ils pensent du spectacle, ils répondent: "Elles sont formidables, ces vieilles, quelle énergie! Sensationnel!" RAM aura bien mérité son malheur!

 

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    C'était l'hiver sur RAM et il faisait froid! Andrea regardait la pluie et le ciel par sa fenêtre et elle s'efforçait de se réchauffer... Puis, elle prit place devant son ordinateur et commença à écrire: "Hier soir, il y a eu un orage... Les éclairs blancs illuminaient la chambre et c'est le fracas du tonnerre qui m'a réveillée! Je me suis demandé un moment si ce n'était pas la guerre de Rimar qu'on entendait là, tellement c'était effrayant et il est vrai que la Kuranie n'est pas loin!

    Mais non, j'ai dû me raisonner... J'ai tout de même imaginé ce que devait ressentir les Kuraniens, car Rimar a bien lancé sa guerre et il paraît qu'il rencontre une forte résistance! Comment a-t-on pu penser que la Kuranie allait se laisser faire? N'est-ce pas à cause du mépris qu'on lui voue? Les enfants Doms sont ainsi! Ils sont persuadés d'être supérieurs et ils se voient forcément entourés d'ennemis, puisqu'ils se distinguent! Que n'essaient-ils d'aimer ce qui est? Et ils se nourrissent de mensonges! "Le bonheur, disent-ils, ne viendra que si nous triomphons!" C'est-à-dire seulement quand leur domination existera, comme si on pouvait détruire la différence!

    Mais l'hiver, c'est aussi la saison du doute! Les forces diminuent, la sève se retire et reviennent les vieilles angoisses, les vieilles hontes, ravivant les frustrations! Il devient difficile de croire en soi, de voir un sens au combat qu'on mène, à la résistance qui nous amine! Il sont loin l'enthousiasme du printemps, le rayonnement, la puissance de l'été! Tout paraît éculé, appauvri, misérable! La colère, l'irritation, dues à la fatigue et à l'angoisse, ne demandent qu'à éclater et ce sera le chemin suivi par ceux qui ne réfléchissent jamais!   

    Les obstinés, les persévérants seront récompensés, car ils verront ce qui est sûr en eux, ce sur quoi ils peuvent compter toujours! C'est par le dépouillement qu'apparaît le rocher, ce pour quoi on a tant travaillé! Heureux celui qui demeure en paix, malgré le froid et les inquiétudes, il a son trésor!

    Avoir confiance, voilà le secret! Ne pas se sonder en profondeur, car il y a toujours quelque chose qui ne sera pas claire, qui blessera, qu'on regrettera, qui troublera et c'est sans fin! Il n'y a pas de tranquillité et donc de joie ou de disponibilité sans confiance!

    Se moquer de l'agitation générale est le plus sage! Non que l'on ne prenne pas au sérieux la peine des gens, bien au contraire! Mais on ne guérit pas l'autre en étant soi-même malade et les inquiétudes sont vaines! Pourtant, c'est leur saison et elles foisonnent un peu partout, par égoïsme, par faiblesse, par complaisance aussi!

    Garder en soi la chanson du cœur! Le ciel reste pur et la lumière belle! L'enchantement continue pour celui qui sait voir! Les étourneaux sont de retour, car des terres émergent au nord de RAM, dit-on! Ils se saisissent des derniers arbres de la ville, mais la plupart des habitants les ignorent ou ne les aiment pas, à cause du bruit ou des fientes! Mais comment ne pas admirer le nuage qu'ils font et qui semble danser, dans le ciel du matin ou du soir? Quelle vie! Quelle profusion!"

 
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