Les enfants Doms (T2, 134-139)

  • Le 01/04/2023
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Doms50

 

 

 

   "Du blé! Et s'il était empoisonné, ce blé?"

                                    Les Mariés de l'an deux

 

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     Ils l’avaient coincé ! leur ennemi héréditaire ! Il était maintenant à leur merci ! Il tremblait de la tête au pied dans ce coin sombre et ils allaient lui en faire voir ! Ils l’avaient repéré en marge de la manif, parce qu’il montrait tout ce qu’ils détestaient ! Il était riche, avait une belle femme, une belle voiture et surtout il donnait cette impression si caractéristique de toiser le monde, d’être supérieur !

C’était un parvenu de la plus belle eau ! Mais, maintenant, à genoux, les vêtements poussiéreux, il était supérieur à qui ?

Anar, le plus fort de la bande, s’approcha de lui : « Alors, on fait moins le fier, fumier de capitaliste !

_ Je… je comprends pas ! Je vous connais même pas ! Qu’est-ce que vous m’ voulez ?

_ Bien sûr, t’es innocent ! T’écrases pas le pauvre ! Tu cours pas après l’ profit ! T’es pas là en train d’ parader ! Toi et tes banques, vous polluez pas l’ monde ! Vous êtes les chefs, pas vrai ?

_ Mais bon sang, qu’est-ce que vous racontez ? J’ fais des affaires, mais qui n’en fait pas ? Vous voulez pas vous-mêmes gagner plus d’argent, avoir plus de confort, assurer le bien-être de vos familles ? Chacun est libre dans c’ pays !

_ Ouais, t’as la langue bien pendue ! T’es un môssieur ! T’as de l’éducation ! T’es le bourgeois propre sur lui… et ta bourgeoise doit t’ faire grimper au rideau ! Mais nous, on en a marre que les chances soient toujours du même côté ! Oh ! On n’est pas égoïste comme toi ! On veut pas l’ profit ! On a un idéal !

_ Vous savez, l’économie marche grâce à la compétition ! Rien ne vous empêche d’y participer ! Il faut prendre des risques et s’accrocher !

_ Ben voyons, comme si t’avais pas bénéficié dès l’ début de l’argent d’ papa et maman ! Mon père n’avait rien et il a trimé toute sa vie... pour rien ! Donc, moi, j’commence aussi à zéro…, sauf que j’ travaille quand même un peu avec ma caboche… et pas question d’ suivre l’exemple paternel ! Non, m’sieur ! Les gars d’ la haute, on va les faire descendre ! On va pas être leurs esclaves ! On va changer la donne !

_ Donc, c’est toi qui veux ma place et l’ pouvoir, c’est ça ?

_ Non, t’as rien compris ! Y aura pas d’ pouvoir ! Pas d’ chef ! L’égalité ! C’est ça qu’on veut !

_ Peuh ! Tout le monde à un mètre cinquante ! Quelle connerie ! Comme si c’était pas toi, le plus fort, qui commandais ici !

_ C’est temporaire ! Après la victoire, on s’ ra tous égaux et on vivra heureux !

_ J’ai jamais vu des débiles pareils !

_ Tu sais, j’ suis content que tu t’ montres insultant ! J’avais peur que tu t’écroules et que tu me demandes pitié ! Taper dans une larve, c’est répugnant ! Tandis que te voilà dur comme un punching-ball ! Réjouissant !

_ Vous êtes de sales petites ordures ! Des voyous ! De la vermine qu’on effac’ra ! »

Anar se mit à frapper comme un sourd et il disait : « J’vais t’apprendre l’ respect ! Tu vas piger c’ que c’est la justice ! On veut un monde où chacun s’ra l’égal de l’autre ! Où y aura pas d’ chef ! Est-ce que ça commence à rentrer, l’ profiteur, le pollueur ? Non mais, où est-ce que tu t’ crois ? Tu t’ prends pour qui ? un caïd ? T’es rien t’entends ! Rien ! Que dalle ! »

Han, han ! Anar frappait toujours ! « J’crois qu’il a son compte ! dit Anaria, la compagne d’Anar.

_ Ouais, j’ crois bien aussi !

_ Dis donc, fais-lui les poches ! J’ te rappelle c’ que tu m’as promis ! « On va faire les magasins c’t’ après-midi, après la manif ! » tu m’as dit ! J’ai r’péré une jolie robe et si on s’ dépêche pas, elle risque de nous passer sous l’ nez !

_ Ouais, ouais, pour toi, ma toute belle, j’ suis prêt à faire des folies ! On y va ! On y va ! Tiens, il avait 100 sacs sur lui et on va tâcher d’utiliser sa carte !

_ Hourrah ! Attends un peu d’ me voir avec cette robe et tu pourras plus t’ tenir !

_ J’ te crois, t’es du feu de toute façon ! Tu sais, j’ viens d’avoir une vision ! Un monde plein d’amour ! juste ! tendre, respectueux ! Ce s’rait pas beau, dis ? Mais tant qu’ils s’ront là, ce s’ra pas possible !

_ J’ sors avec un poète ! Un homme, un vrai ! Tu m’ donnes des picotements partout ! Allez, viens ! »

                                                                                                        136

     Dans RAM, il y avait toujours du spectacle et un homme avait su réunir autour de lui un petit public ! C’était un prédicateur d’un genre nouveau et il disait : « Le temps est venu ! Celui de la colère et de la révolte ! Ils se croient tout permis ! Ils ont tous les pouvoirs et rien n’arrête leur vanité ! Ils roulent la Terre comme un vieux paillasson ! Ils la souillent, la martyrisent ! Ils l’écrasent avec leurs usines ! Ils n’ont aucun respect pour la nature, ils sont aveugles tellement ils sont assoiffés de puissance ! Eux, les gouvernements, les riches, les profiteurs !

Ils se gorgent et détruisent la planète, mais le temps de la colère et de la révolte est venu ! Car la Terre elle-même est en colère et se révolte ! C’est la tempête, la tornade ou la sécheresse ! C’est le chaos et c’est pourquoi nous voulons le chaos ! C’est le tsunami qui détruit et c’est pourquoi nous voulons la destruction ! C’est le torrent qui se venge et c’est pourquoi nous voulons la vengeance ! C’est le soleil implacable et c’est pourquoi nous serons implacables !

Le temps est venu de punir les coupables ! Les signes ne trompent pas ! Le pécheur doit être abattu, comme l’arbre pourri ! Les gouvernements doivent être renversés, afin qu’un blé nouveau puisse pousser ! La Terre réclame justice et nous lui ferons justice ! La force nous est nécessaire, car le pécheur est sourd ! Le glaive est nécessaire, car nous avons besoin de sa lumière pour écarter l’ombre ! Les chevaliers modernes, c’est vous et la veuve et l’orphelin, c’est la Terre qui nous demande de la protéger !

Nous avons la vérité pour nous ! Nous avons le droit pour nous ! C’est notre mère qui nous appelle au secours ! Hélas, nos ennemis sont nombreux et bien armés ! Ils nous jettent leurs bombes, ils nous matraquent ! La police est l’esclave du pouvoir et nous devons la combattre ! Nous propageons le feu, car il purifie ! Nous avons assez parlé ! Nous avons assez supplié ! Nous ne pouvons plus être patients ! Nous ne pouvons plus contenir la colère ! Qu’elle se débonde ! Qu’elle se déchaîne ! Que les braves déferlent ! Que la Terre soit sauvée ! Que le mal soit vaincu, anéanti ! Que nos légions s’emparent du monde !

On nous dit Démocratie ! On nous dit Parlement ! On nous dit vote ! Mais qui débat ? qui vote ? Ceux-là mêmes qui s’enrichissent et polluent ! Qu’avons-nous à voir là-dedans ? Le divorce est consommé ! Seule la force ouvrira désormais les yeux ! Nous ne voulons plus de la politique et des discours ! Nous communiquons avec les arbres ! Nous sommes à l’écoute de la Terre et du vent ! Nous sommes attentifs aux messages, aux signes ! Nous obéissons aux forces de la nature ! Nous voulons la paix, l’harmonie, mais cela ne se peut sans la lutte, la violence !

Mais je ne me suis pas présenté… Je suis le druide Clache Emmech’ Kerlog, troisième bâton, de la forêt de Cuny ! Je suis spécialisé dans le branlement des rochers et l’ordalie de la flèche ! Celle qui va la moins loin clame l’innocence de son propriétaire ! Grâce à la cervoise, j’ai un accès particulier au royaume des fumées, où le dieu Zug se complaît ! Je sais ouvrir une porte sans sa clé et me rendre invisible aux yeux des policiers, en marmonnant des paroles magiques !

Le temps du clan est revenu ! Je forme, j’accueille, j’initie ! J’enseigne la langue sans mots, pour qu’elle garde ses secrets ! Le temps du clan est revenu ! Les loups du culte sont tout habillés de noir et portent des masques à gaz ! A eux je donne la force, avec mes incantations ! Ils jurent sur le bouclier de Mallac’h ar Ran ! Ils touchent les tresses de la dame du lac, avant le combat ! Nous fêtons nos victoires, sous l’œil bienveillant des dieux ! Ne rétablissons-nous pas leurs droits ? Chaque arbre est un ami ! Et nous dormons sur les ossements des vaincus ! Leurs femmes nous servent d’esclaves ou nous marions les plus belles !

Le temps du clan est revenu !

Repens-toi pécheur !

Je parle au nom du vent et de la vaste mer !

J’apporte la colère et le jugement !

Ma horde est noire comme l’orage !

Ma barbe étincelle,

Car le temps du clan est revenu !

Joignez-vous à nous !

Car nul n’échappera au châtiment !

Que nos gibets soient lourds des profiteurs !

Ainsi la Terre retrouvera sa fécondité !

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     « Il est évident que le domination ne permet pas de voir le monde ! écrivait Andrea Fiala. Tant que nous n’aimons que nous-mêmes, les autres n’existent que dans la mesure où ils nous servent, nous flattent ! Nous en perdons même le souvenir dès que nous n’en avons plus besoin ! Ils brillent un instant, suivant notre désir, puis ils retombent dans la nuit de notre indifférence ! Nous sommes surpris, voire scandalisés, qu’ils puissent en ressortir, pour faire valoir leur sentiment, comme si on nous présentait subitement quelque chose d’immonde, à force d’être incongru !

Ainsi, la domination fait le mal sans même s’en rendre compte, puisque seul son « monde » compte ! Ainsi, Rimar notamment peut passer outre la mort de bien des personnes, car elles « n’existent » pas vraiment ! La réalité de l’autre est abstraite pour Rimar et son apparente aversion à l’égard de la guerre, son soi-disant amour pour la paix sont des choses apprises dans les livres ou en classe, sont des conventions admises afin de vivre en société ! Mais c’est la domination de Rimar qui prime, c’est sa bulle qui s’étend, son égoïsme qui s’impose et on peut dire sa folie !

Il en est de même pour la majorité ! L’autre doit obéir ! Il doit chanter des louanges ou disparaître, selon la situation ! S’il résiste ou se montre indépendant, on le hait aussitôt et on veut le détruire ! S’il est le plus fort et que tous les regards se tournent vers lui, on veut le séduire, en apparaître proche, car on profite de son aura ! On s’enorgueillit de connaître les puissants ! La domination y trouve son compte, mais rien de plus hideux que le quidam qui veut traiter d’égal à égal ! Il nous rabaisse, nous fait perdre du prestige et nous effraie encore, car il « perce » la bulle et c’est le monde du dehors, le vaste monde qui échappe à notre domination, et dont nous ne savons presque rien, qui rappelle sa présence et qui réveille nos frissons !

Le rejet est immédiat, quitte à évoquer un apocalypse nucléaire (rien que cela!), car la domination n’est à l’aise que dans sa bulle ! Ceci explique encore pourquoi certains ne nous reconnaissent pas le lendemain, car nous voilà inutiles pour eux ! Mais, à l’inverse, imaginons maintenant, une domination détruite, en cendres, par les circonstances… Certes, on aurait là un individu fragilisé, en danger peut-être, dépressif, car l’amour qu’il aurait pour lui-même, sa confiance en soi, ses ambitions ne seraient plus qu’une chose vague, douteuse, mais encore ne serait-ce pas la base pour une conscience réelle de l’autre, pour une conscience infinie ? On accueillerait la différence avec le plus profond respect, on ne saurait rien et on serait avide de réponses ! On tiendrait l’autre comme plus responsable que soi, car on se sentirait perdu !

On aurait en tout cas aucun a priori sur lui, la bulle de la domination n’existant pas ! On serait doux, patient, humble, ne sachant pas ! On ne ne se mettrait pas en colère, la peur étant connue et même apprivoisée ! On serait peut-être souffrant, malade, introverti, mais au moins sincère et on avouerait sans gêne son ignorance, l’amour-propre ayant déjà cédé plus d’une fois, en regardant toutes ses certitudes emportées par l’inconnu ! On aurait une idée plus juste de l’immensité du monde, jusqu’à ce qu’elle donne le vertige ! La bulle de la domination protège, mais enferme également, limite évidemment la vue ! Elle lutte même contre toute différence et enrage de ne pas tout contrôler ! Elle ne guérit jamais de la peur, bien au contraire ! Elle la transforme en panique !

Mais existe-il un moyen volontaire pour se séparer de sa propre bulle de domination ? On peut être détruit par une domination supérieure à la sienne, mais ce n’est pas sans séquelles ! Peut-on être investi d’une sagesse, uniquement guidée par la raison, et qui nous ferait moins ambitieux, plus stoïque ? C’est par exemple un conte de la psychanalyse ou une illusion de la science, car la bulle de la domination ne se voit pas tant qu’elle n’est pas menacée ! On peut paraître l’individu le plus équilibré, le plus ouvert tant que la situation nous est favorable ! Or, le scientifique est la plupart du temps vu comme celui qui sait, surtout s’il a affaire à un patient, et son pouvoir n’est donc pas inquiété ! Son ignorance demeure quant à lui-même et son vrai visage est bientôt déformé par la haine, face à l’obstacle !

Pour quitter volontairement la bulle de sa domination, à la recherche de la vérité, pour risquer cette aventure, le levier de l’amour, du plaisir est nécessaire ! On le voit déjà dans le couple, où pour plaire on est prêt à s’améliorer, à se changer, à se montrer moins égoïste ! Mais le couple est encore trop restrictif, il est un petit monde qui exclut les autres… L’amour de Dieu, lui, ouvre largement les portes de l’immensité ! Encore faut-il être amoureux du Créateur, en reconnaître le génie sous toutes ses formes ! Il n’y a pas d’amour sans admiration, n’est-ce pas ? Mais voilà le levier... et le message évangélique est clair, comme sans doute celui des autres religions : il s’agit bien, par amour, d’essayer de « dépasser » sa bulle de domination ! Voilà le moyen volontaire, avec comme moteur, l’amour, le plaisir ! »

                                                                                                   138

     La journaliste Mélopée n’en pouvait plus ! Elle était harcelée par Boa, cette âme obsédée du Net ! Pourtant, il est vrai, Boa lui avait appris tous les trucs ! Elle savait manipuler un titre, le rendre accrocheur, elle s’était dévouée corps et âme au culte du dieu événement ! Mélopée faisait maintenant partie de la planète people et elle était devenue une voix, une figure que tout le monde connaissait, attendait, jugeait ! On suivait ses amours et ses déclarations, elle interrogeait les plus puissants et elle était toujours avide de scoops ! Mais, en contrepartie, Boa la tenait ! D’abord, il avait demandé à ce qu’elle dévoilât toujours davantage de son anatomie et elle avait dû se prêter à des simagrées de jouissance, mais ensuite Boa l’avait prévenue : il détenait des images qui pouvaient la détruire, choquer tous ses fans ! Si elle n’obéissait pas, on verrait ses émois sexuels et elle tomberait dans le ruisseau !

Mélopée avait joué avec le diable et sa vie ressemblait maintenant à un enfer ! Hagarde, désespérée, elle forma un numéro et se retrouva devant deux sœurs, les sœurs Com ! dans le bureau d’une agence appelée Sororité ! Elle raconta vaguement qu’elle connaissait une amie, qui était harcelée par un homme… et on but ses paroles ! On comprenait parfaitement : cet homme possédait des images compromettantes, faisait chanter sa victime, exigeait toujours plus, etc. ! L’engrenage était aussi fatal que classique et n’était la présence de Mélopée, les sœurs Com aurait jubilé !

Au chômage, elles avaient créé cette agence et en la nommant Sororité, elles avaient clairement affiché leurs convictions ! La domination masculine était terminée, vive la féminine ! On traquerait l’oppresseur jusqu’au bout ! Le mâle était la cible et chaque femme pouvait trouver une aide chez Sororité ! La peur changeait de camp ! La révolte était en marche et l’homme un jour ne serait plus qu’un affreux souvenir ! Le mouvement No Men était né ! Les femmes entre elles et rien d’autre ! Plus de souillures, de pleurs, d’humiliations, de haine ! La castration, sinon rien ! Effacé le rire suffisant de la « queue » ! Le cochon serait tenu en laisse ! Le désir de l’homme était l’ennemi, le tyran ! Une ère nouvelle de liberté, de fleurs tombant du ciel s’ouvrait !

Les sœurs Com furent tout de même sidérées par la particularité du cas présenté par Mélopée ! Il ne s’agissait pas d’un individu en chair et en os, mais d’un esprit lubrique hantant le Net ! Voilà qui posait problème, donnait matière à réflexion ! On pouvait bien sûr s’en prendre aux Trois Gros, les opérateurs… N’étaient-ils pas en partie responsables de l’intrusion de Boa ? Leur gestion aveugle et mercantile n’avait-elle pas provoqué cet incident ? Seulement, dans cette direction, on s’attaquait de front à des quasi monopoles, qui ne pouvaient qu’être en cheville avec les plus hautes autorités ! On s’en prenait ouvertement à la forteresse de la masculinité ! Ce n’était pas une mince affaire ! Les sœurs Com avait beau avoir du ressentiment, être animées d’un désir de revanche inextinguible, elles ne se sentaient pas assez fortes pour se jeter seules à l’assaut ! Les temps n’étaient pas mûrs ! Il fallait plus de femmes dans la place !

« Hum ! Hum ! » firent les deux sœurs, qui prenaient aussi en considération toute la complexité de la situation, car Mélopée n’avait-elle pas également profité de Boa ? Un de ces avocats de la cause mâle, un de ces baveux fiers de leur « membre » n’aurait aucun mal, en cas de litige, à montrer le double jeu de la journaliste ! Elle avait usé de sa séduction pour « arriver », comme on dit, et était-ce entièrement la faute de Boa, si aujourd’hui elle était dépassée ? Non, on ne pouvait pas combattre publiquement les Trois Gros, sans se voir traîné dans la boue et balayé en même temps ! L’accusation ne résisterait pas ! La séduction était en effet une question très délicate de dosage...

Ainsi, il est possible d’apparaître un jour sexy en diable, car les hormones sont en feu et rendent la femme triomphante ! Elle attire toute l’attention, tellement elle est belle ! Les hommes en ont le souffle coupé, sont dans leurs petits souliers et la femme en rajoute ! Elle dit, comme elle seule sait le faire, sans un mot, par l’impression qu’elle dégage : « Regarde ma peau mate et bronzée ! Et mon ventre, comme il est plat ! » L’homme est subjugué et c’est plus fort que la femme ! C’est une force sensuelle qui explose en elle ! Mais gare au retour de bâton, car le lendemain l’humeur n’est déjà plus la même… La peur, la timidité, les complexes sont revenus… On est de nouveau craintive, on marche sur des œufs ! On a presque mal aux nerfs, si le désir masculin qu’on a suscité se manifeste ! On a comme une gueule de bois et si on s’emporte, si on crie à l’impudeur, au scandale, si on montre tout son dégoût devant celui qui a été conquis et qui ne voudrait que mieux connaître, en rêvant d’une liaison merveilleuse, on devra se demander qu’est-ce qui peut déclencher une réaction aussi excessive qu’injuste, et de quoi est-on réellement l’esclave, quand on sait que l’orgueil fait trouver le monde laid, hostile et par là totalement effrayant ! La panique crée la colère, le mépris et c’est le piège d’une bulle de la domination bien fermée !

« Hum ! Hum ! » font les sœurs Com, « Mais il y aurait bien une solution, rajoute l’une.

_ Ah bon ? jette l’autre.

_ Oui, le docteur Web !

_ Un homme ? se demande Mélopée.

_ Non pas vraiment, explique celle qui a eu l’idée. C’est un Numérique… et il pourrait traiter avec Boa !

_ Ah ?

_ Oui : « Ah ! » Nous allons voir ça, dès que vous aurez signé le chèque ! »

                                                                                                   139

      Boa, dans le Net, vivait comme dans la rue ! Il ne pouvait s’imaginer pur esprit, entouré d’informations ou de composants électroniques ! Il reconstituait le monde d’avant par son imagination et quand le bulletin météo annonçait de la pluie, il la voyait tomber ! Justement, c’était le cas ce soir-là et Boa frissonnait sous les gouttes, d’autant que les fenêtres de l’appartement de Mélopée ne s’allumaient pas, ou autrement dit elle ne consultait pas son ordi !

« La salope ! se dit Boa. Elle ne vient pas sur le Net, car je la dégoûte ! Elle ne faisait pourtant pas la difficile, quand il s’agissait de s’élever socialement ! Là, j’étais l’homme providentiel ! Mais, maintenant qu’elle a réussi, je suis le rebut, le gêneur ! Oh ! Mais elle va me payer ça ! J’ai les images et ça va ronfler ! »

Boa s’en alla tout mouillé et en colère ! Il vivait bien entendu grâce à sa domination, au sentiment de sa supériorité, qu’il exerçait sur les autres et particulièrement sur les femmes ! Aussi, quand celles-ci se dérobaient, lui échappaient, il était soudain face à un vide existentiel terrifiant, à une angoisse étouffante, qu’il contrait par la violence, la vengeance ! Il devenait ivre de fureur et il fallait que la femme retombât sous sa coupe ou fût détruite !

Il marchait dans la rue, alors que la pluie dansait toujours sous les lampadaires, même si au fond tout cela n’était qu’un décor, masquant un transit binaire, quand soudain une lumière vive fonça vers lui ! Que lui disait son professeur à l’école d’informatique ? Que la fibre optique était de la lumière ! Immédiatement, pour éviter le choc, Boa se divisa lui-même en quanta et ses photons se dispersèrent tout azimut ! Il avait déjà agi ainsi, face à certaines attaques, comme celles de certains systèmes de sécurité ! Et généralement ça suffisait ! Il se retrouvait sain et sauf, dans un autre endroit, où son moi particulaire se reconstituait !

Mais ici il était poursuivi dans toutes les directions ! Chacune de ses particules avait son chasseur et il ne faisait aucun doute que son assaillant était de la même nature que lui ! C’était une créature numérique, un programme anti-virus évolutif peut-être et à la vitesse de la lumière, Boa n’avait pas la sensation du mouvement, mais il n’était qu’une conscience troublée, comme dépassée par mille événements et bientôt submergée par l’angoisse ! Le chaos du monde ne s’explique que par la vie animale qui continue en nous et qui ne trouve cependant pas son équilibre, puisque la conscience est appelée à se libérer de l’instinct, ce qui ouvre la porte de l’inconnu !

C’était ce vertige qui saisissait maintenant Boa ! Il n’était plus dominant et ne sentait donc plus sa valeur ! Certes, il avait un ennemi contre lequel il aurait pu se retourner, comme on accuse un gouvernement de tous les maux, et l’affronter, voire le vaincre, l’aurait soulagé, fortifié, mais le danger restait impalpable, indéfinissable et Boa n’en finissait pas de se dissoudre, rongé par la peur !

Brutalement, il cessa son éparpillement et se retrouva entouré de filles numériques, en tenue de danseuses ! Elles agitaient leur robe dans tous les sens et chantaient : « Docteur Web ! Docteur Web ! » Il y avait là une ambiance de fête délirante, sous le roulement de projecteurs et au bout d’un tapis rouge, un homme aux allures de géant, avec une tête chauve et assez effrayante, souriait comme si son smoking impeccable et ses chaussures de clown eussent dû rassurer Boa ! « Je suis le docteur Web ! » dit-il en mettant une énorme main sur l’épaule de Boa, puis il rajouta d’une voix plus basse : « Alors comme ça, on embête les filles ? »

Boa voulut répondre, mais le tumulte de la fête l’en empêcha, ainsi que le sourire figé de Web ! « On applaudit bien fort notre candidat ! » cria l’inquiétant personnage et les danseuses numériques redoublèrent d’ardeur, en poussant des hourras ! « Vous allez entrer dans la boîte de vérité ! expliqua Web. C’est un sacré privilège que vous avez là, mon garçon !

_ Je… je ne comprends pas…

_ Imaginez que vous soyez sans ennemis ! Disparus les capitalistes ou les étrangers ! Finies l’Europe et la Kuranie ! Plus de gens à asticoter ! Plus d’illusions sur les soi-disant responsables de votre malheur ! Plus d’âmes plus faibles pour vous essuyer les pieds ! Non, rien que vous et l’étrangeté du cosmos ou de la vie ! Enfin grand ! Enfin debout ! Enfin stoïque ! La vérité nue, totalement dépourvue de haine ! Toute la petitesse de l’homme au grand vent ! Quand je vous disais que vous aviez de la chance !

_ Es… espèce de salopard !

_ Tss ! Tss ! Vous voilà de nouveau en train de désigner des coupables ! Quel enfantillage, alors qu’une expérience unique vous est proposée ! Mesdames et messieurs, notre candidat va entrer dans la boîte ! »

Web ouvre une porte et une lumière vive apparaît ! L’orchestre bat son plein ! « Enfin débarrassé du mensonge, ça vaut le coup d’œil ! Croyez-moi ! reprend Web. Pensez à tous ceux qui meurent bêtes ! Ah ! Ah ! Au propre comme au figuré ! »

La poigne de Web poussa Boa dans la boîte et immédiatement, celui-ci fut envahi par une sensation étrange ! Il ne commandait plus personne et encore il était totalement libre ! Aucune contrainte, aucune règle ne venait le rassurer et l’effroi le désintégra d’un coup !

 
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