L'ego et la lumière

  • Le 02/09/2023
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Ego1

 

      "C'est moi le responsable ici!

       _ Vous ne l'êtes plus!"

                              Piège de cristal

 

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      « Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? demande la lumière à l’ego.

_ C’est la machine à avoir raison ! » répond fièrement l’ego.

     La lumière hoche la tête et regarde la machine impressionnante… Elle fume, a de très grandes cuves, avec plein de compteurs, et elle s’étend profondément par un dédale de tuyaux ! « Et ça marche ? questionne la lumière.

_ Un peu qu’ ça marche ! réplique interloqué l’ego. Tu veux une démonstration ?

_ Du moment que tu ne tues personne…

_ La confiance règne, à c’ que j’ vois ! Eh toi, là-bas, viens par ici !

_ Moi ? fait un autre ego, légèrement inquiet.

_ Oui, toi ! Entre dans la machine !

_ Mais…

_ Mais quoi ? Tu crois pas au progrès ? Cette machine peut te donner la gloire, mais tu préfères peut-être l’égout haineux du Web, comme un sale rat ?

_ Non, non, bien entendu…

_ Te voilà sur le seuil de la renommée, tu vas faire partie de ceux qui comptent, de ceux qu’on s’arrache, qu’on écoute et qui nous le rendent bien, puisqu’ils ont la bonté de nous montrer leurs fesses ! Et toi, misérable vermisseau, fantôme de l’anonymat, tu hésites, tu doutes, tu fais le difficile, l’enfant gâté !

_ Ce n’est pas ça… Je ne me crois pas digne d’un tel honneur, voilà !

_ Tu es bien un zéro ?

_ Euh… oui !

_ Alors la machine est exactement pour toi ! Elle prend les zéros et les transforme en étoile !

_ Eh ! Eh ! C’est une brave machine, ça se voit !

_ Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est une machine efficace, pensé jusqu’au dernier boulon ! C’est de la logique pure ! Titane garanti à vie… et que tu vas sans doute salir avec tes chaussures ! Allez, on a assez rigolé ! Tu entres… ou tu passes au service compta ! »

L’ego vaincu hausse les épaules et pénètre dans une ouverture prévue… « On sourit ! On est en marche vers l’avenir, grâce à la science ! lui jette l’ego à l’origine de la machine. Attention, c’est parti ! »

     L’ego abaisse une manette et le « cobaye » disparaît… Un bruit infernal s’installe… « Le type là, crie l’ego à la lumière, pour se faire entendre, il va avoir une bonne idée, donnée par la machine ! Il en aura le sentiment, à cause de la dopamine ! » L’ego mime l’ivresse ou le plaisir, en fermant à demi les yeux et en balançant la tête ! « Puis, c’est le besoin irrépressible de la communiquer ! Au nom de la fierté ! » explique encore l’ego, qui maintenant à l’air d’un chien enthousiaste, tirant la langue. Aucun obstacle ne devrait pouvoir bloquer not’ gars ! Il faut qu’il dise sa pensée, qu’il ait raison ! Ah ! Ah ! »

      La machine semble s’emballer… Les tuyaux vibrent, les aiguilles sont dans le rouge ! Ça siffle, ça hurle ! « Dingue, non ? fait l’ego. Pleine puissance, juste par orgueil ! Au niveau trois, y a des silhouettes d’enfants, qui s’opposent à la progression du sujet ! C’est pour mieux l’exciter ! Elles sont balayées, dis donc ! Elles tombent en poudre derrière la machine, ah ! ah ! »

« Y a pas d’ frein ? crie à son tour la lumière. J’ veux dire, c’est pas dangereux ? Tout de même, on voit bien qu’ y a d’ l’effort ! »

     L’ego ne répond pas tout de suite, mais il serre un boulon ici et là ! Il prépare sa réplique ! « A quoi bon un frein ? fait-il enfin. Le type a une bonne idée ! Il sait qu’elle est vraie, qu’elle prouve son intelligence ! Pourquoi il se tairait, il resterait dans l’ombre ? Qu’est-ce qu’il y a dans le silence et la solitude, sinon le désespoir et la mort ? »

     La lumière hausse les sourcils, impressionnée ! « Peut-on convaincre tout le monde ? objecte-t-elle cependant . Et puis, ça fatigue de vouloir s’imposer ! Il faut sans cesse développer ses arguments !

_ Eh ! Faut bosser, ma grande ! On viendra pas t’ chercher de toute façon ! »

      La machine se calme un peu et finit apparemment son cycle ! Des voyants verts s’allument… Une immense masse ralentit dans un cylindre et l’image d’un dragon reprenant son souffle vient à l’esprit de la lumière… La porte de sortie s’ouvre et un petit vieillard s’en extrait ! Il est tout perclus, avec une peau parcheminée et se révèle amer : « Chienne de vie ! s’exclame-t-il d’une voix grinçante. J’ savais bien qu’y avait une arnaque ! Non, mais regardez ce que j’ suis devenu !

_ Bah ! fait l’autre ego. Après quelques réglages, ce s’ra parfait !

_ Espèce de salopard !

_ Ouh ! J’ai peur d’ l’ancêtre ! Ouh ! Ah ! Ah ! »

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     L’ego monte sur l’estrade, pour faire un discours… Il a beau être âgé, il a l’air jeune… A la vérité, il soigne son image, il est très fier de lui ! Au fond, il adore parler, être le point de mire ! Il a toujours été l’alpha et l’oméga de lui-même ! C’est un monde clos, mais plein de bouillonnements, de fureur ! L’égoïsme y est sous pression et fulmine !

      Il a pour lui tous les déçus du système, les laissés-pour-compte, qui voient en sa personne le coin enfoncé dans l’élite, capable d’ouvrir ce monde qui les méprise, à cause de leur vulgarité ! Il est le symbole de leur revanche : on les prend peut-être pour des cochons, ils n’en dévasteront pas moins les salons dorés !

      Les egos impatients sont prêts à écouter leur maître, qui embrasse d’un regard mauvais la salle, comme si on venait de lui faire injure ! Son dédain n’a d’égal que celui qu’il fustige ! Nous créons nos propres monstres ! Puis, la voix martèle, le bras s’agite, la leçon commence, avec toujours en arrière-fond la menace ! On est suspendu à ses lèvres, ainsi qu’on contemple l’orage !

     « Les capitalistes ! dit-il. Les capitalistes sont partout ! On ne les voit pas… et pourtant ils dirigent ! Ils ont l’argent et… le gouvernement leur obéit ! Ils sont sournois… et à force d’avoir le nez dans les chiffres, ils l’ont proéminent ! Dans l’ombre, ils se frottent les mains, car l’usure leur rapporte ! Ils aiment tellement le profit qu’ils ont l’air de vermines !

     Ce sont eux qui ruinent le pays ! qui l’accapare, qui l’amollissent même par leur veulerie ! Ils nous sucent le sang, pareils à des puces géantes ! Ils fument le cigare, en se moquant du travailleur ! Ils nous manipulent, comme si nous étions des marionnettes ! Ils se gorgent quand nous nous privons ! Ce sont eux qui ont véritablement le pouvoir ! Ce n’est pas la démocratie, ce n’est pas le peuple ! On se joue de nous, on nous exploite, on fait de nous des esclaves ! »

     A cet instant, l’orateur dresse la tête, projetant un éclair bleu venant de ses lunettes ! Son visage devient encore plus terrible ! « Nous n’allons pas nous laisser faire ! reprend-il. Nous détruirons ce poison ! Nous mettrons au pas les coupables ! Nous rendrons au peuple toute sa grandeur ! Seul lui doit être souverain ! Nous frapperons sans pitié ! Nous serons les plus forts ! »

     Le tribun respire, a comme un geste d’apaisement… Son verbe devient plus rond, il évoque, il est maintenant prophète : « Je vois, dit-il, un avenir radieux, un avenir possible ! où le travailleur, débarrassé du profiteur, pourra diminuer le réchauffement climatique ! où l’air sera pur ! où la famille prospérera en sécurité ! où la race exploitante aura disparu, où le capitaliste aura été anéanti ! où la richesse sera partagée ! où la justice sociale régnera !

      Mais pour cela, il faut que les rois de l’économie tombent ! Or, nous avons beaucoup d’ennemis ! Le luxe, la décadence, l’avidité nous assiègent ! La finance internationale veut notre perte ! Il y a des alliances, des collusions, des jalousies qui ne demandent qu’à nous aplatir ! Nous dérangeons l’ordre mondial, nous dérangeons ces messieurs !

     Ils seraient heureux de nous pervertir, de nous diviser ! C’est pourquoi nous ne tolérerons aucune faiblesse ! Ils veulent la jungle… Eh bien, faisons-nous chasseurs ! Ils font preuve de mépris… Ma foi, écrasons-les ! Le droit est à ce prix ! Rendons-leur la monnaie de leur pièce ! Tant qu’ils seront au pouvoir, à nous les larmes et les coups de bâtons !

      La révolte, je la sens en vous ! Elle y bouillonne ! La colère du peuple, c’est la flamme de la justice ! Celle qui purifie ! A nous la victoire, à nous l’avenir ! »

     L’auditoire est transporté, galvanisé ! Son ardeur monte en un gigantesque faisceau, que recueille le chef ! Il en est ivre lui-même, bien qu’il reste fermé ! La machine est en route et cela suffit ! Inutile de dépenser son énergie, par des simagrées ! La bombe est amorcée ! L’ego est dans l’œuf et bientôt son corps hideux sortira ! La fureur embrasera le pays, ignorant la lumière !

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     Comment rester jeune et beau ? Voilà une question qui ronge l’humanité depuis bien longtemps ! La réponse est pourtant simple, car ce n’est pas la vieillesse qui enlaidit, mais elle ne fait que laisser apparaître les secrets du cœur ! Ce qui nous donne des grimaces, des rides, qui nous vide ou nous empâte, qui nous déforme et nous rend repoussants, c’est la haine ! N’allez pas chercher plus loin ! La triste haine, par sa violence, vient imprimer sa marque sur notre visage et son masque est caractéristique ! Tous les serrements intérieurs, toute notre âpreté, notre rage, notre dégoût, notre mépris viennent à la surface, créant un infâme gribouillis et tous nos produits de beauté et nos artifices, comme les lunettes bleutées, et tout le travail du bistouri n’y peuvent rien ! S’il faut lutter contre nos sentiments, ce sera par d’autres sentiments !

     Comment alors éviter la haine ? Mais là encore la réponse est simple, puisqu’il suffit de la repousser dès qu’elle surgit ! Quand apparaît-elle ? Mais à chaque fois que l’ego est dérangé, contrarié ! Donnons un exemple simple… Nous voilà contents de parler à un commerçant… C’est l’occasion pour nous d’échanger, de se soulager, d’exprimer des points de vue et notre ego en est satisfait, car il retrouve sa valeur et peut à l’occasion de nouveau briller ! Mais un autre client arrive et le charme est rompu ! Nous ne sommes plus aussi libres, surtout si le nouvel arrivant fait pression pour qu’on s’occupe de lui ! Nous le regardons alors avec haine et notre laideur apparaît ! Nous voudrions détruire celui ou celle qui a osé nous priver de notre plaisir !

     Évidemment, plus notre ego est habitué à se satisfaire et plus sa réaction est vive, violente ! Il lui faut un entraînement et un entraînement régulier, pour que sa haine meure avant même de naître et même qu’elle soit transformée en un sourire, comme si nous jugions l’épreuve profitable ! Et c’est bien ce qu’elle est, car elle nous permet de mesurer combien nous maîtrisons notre ego et comment nous étions affreux par le passé, en regardant la haine de ceux qui sont contrariés ! « Il faut toujours être prêt à être déçu ! » pourrait-on dire ! Mais ce n’est pas une formule pessimiste ou désabusée, car elle révèle plutôt notre richesse ! Celui qui tient son ego en laisse est un homme heureux ! C’est la haine qui rend triste et donc l’ego ! La colère est causée par la révolte de l’animal qui est en nous ! L’amertume vient de l’appétit frustré ! Ce sont ces sentiments violents qui nous enlaidissent et comment par conséquent ne pas vouloir s’en débarrasser ?

      Une idée fausse : le refoulement, la tempérance, la retenue, voire l’effacement entraînent un vieillissement précoce ! Au contraire, l’extraversion, l’affirmation de soi, la « juste » colère, le coup sur la table, le ton haut et catégorique sont des signes de force et de jeunesse ! L’activité montrerait l’implication, la responsabilité, le pouvoir ! Ce sont là des vérités pour le théâtre et qui ne trompent que ceux qui veulent être trompés ! L’orgueil déploie ses arguments, afin de ne rien perdre ! Mais comment peut-on croire en son pouvoir, quand on est esclave de sa colère ou de son impatience ? Comment être fier de sa liberté, alors que la haine joue avec notre visage ?

     Ah ! Mais il faudrait mettre les mains dans le cambouis, pour changer les choses ! Ah ! Mais il serait nécessaire d’avoir les mains sales, pour être un acteur de son temps ! Et tant pis alors pour les coups de dents, les coups de pieds donnés ici et là ! Tant pis pour les victimes collatérales ! On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, etc. ! Comme si la haine qui déchire et qui veut détruire était à même de réparer, de « rapiécer » le tissu social, de concourir à l’unité, à la compréhension, à la paix et au bien-être ! Au vrai, disons plutôt que l’ego fera tout pour ne pas se remettre en question, tellement il aime dominer !

     Quel est celui qui est vraiment utile ? C’est le combattant de l’ombre, le résistant ! En effet, il faut bien comprendre que la pente, la « marée noire », l’invasion, c’est évidemment l’instinct, le plus facile, c’est la domination animale et donc l’ego ! C’est lui qui trône dans notre pays, comme les Allemands en un autre temps, mais par conséquent ceux qui se décident à lutter contre leur propre égo entrent en résistance, deviennent des maquisards, des partisans ! Ils ne collaborent pas et pourtant ce sont eux qui apportent la libération ! Les Laval, les Pétain, ce sont les Mélenchon ou les Le Pen ! Vichy aujourd’hui, c’est les extrêmes ! La comparaison n’est peut-être pas heureuse, mais il n’en demeure pas moins que tous ceux qui font preuve de haine sont incapables de libérer les autres !

     Le résistant est maître de son ego ! C’est la lumière qui règne en lui et elle est le fruit d’un effort quotidien ! C’est un travail apparemment sans gloire, sans trompettes ! C’est un travail d’amour, qui demande de l’abnégation et qui se plaît à en faire preuve ! Celui ou celle qui aiment ne veulent pas décevoir, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un travail triste et qui attendrait sa récompense dans un au-delà ! C’est un travail qui reçoit chaque jour son salaire ! C’est la joie paisible qui le paye, à mesure que toute la laideur de l’ego lui devient visible !

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« Halte là !

_ Quoi ? Qu’est-ce qui s’ passe ?

_ Y a grève ! répondent les egos en rouge et jaune. On ne passe pas !

_ Ah bon ? Et pourquoi vous faites grève ? demande la lumière.

_ Mais nos salaires sont trop bas ! On nous exploite, on nous méprise ! »

     La lumière contemple les gros bras en rouge et jaune… Ils n’ont pas l’air en effet de plaisanter!Le patronat est bien courageux de s’attaquer à eux ! Une gifle et le chef d’entreprise passerait par la fenêtre ! Ça doit quand même manger beaucoup des gars comme ça ! C’est des besoins ! Mais bon, ils ont l’air de s’ennuyer ! La joie n’est pas peinte sur leur visage ! Évidemment, maintenant, ils trouvent dans leur engagement un intérêt supérieur à leur travail ordinaire, c’est plus grisant que la routine, mais on sent toutefois qu’ils piétinent encore, qu’ils se durcissent, comme si leur carcasse était vide et qu’elle risquait de s’envoler !

« Vous n’en avez pas marre d’être malheureux, les gars ? fait la lumière, créant la stupeur.

_ Quoi ? Qu’est-ce… qu’est-ce que vous dites ?

_ Mais oui, vous êtes là à faire du surplace ! On dirait des éléphants ! Vous n’avez pas envie de vivre, d’être joyeux, enthousiaste, aussi légers que des enfants !

_ Mais qu’est-ce que tu racontes ? Nous, on lutte pour nos droits, c’est sérieux !

_ Mais j’entends bien ! Vous voulez du respect, n’est-ce pas ? Alors pourquoi vous ne partez pas en guerre contre le mépris, où qu’il soit ?

_ Mais c’est bien ce que nous faisons… Nous demandons justice !

_ Tsss, tsss ! Le mépris est partout, même dans vos cœurs ! Pourquoi ne le traquez-vous pas à la boulangerie, à la banque, dès qu’il apparaît sur les lèvres ou qu’il se lit dans les yeux ! Devenez de véritables combattants de la liberté et de la justice ? Ne restez pas à vous dandiner, tels des assoiffés ! Laisser jaillir la vie qui est en vous !

_ Oh là ! Oh là ! Qui es-tu pour parler comme ça ? Une sorte d’Hare krishna ?

_ Que nenni ! J’essaie seulement de vous rendre crédibles et heureux ! Haut les cœurs !

_ Écoute, nous on n’a pas fait HEC ! On est des exécutants, des militants ! Le mieux, c’est que tu parles à la sainte !

_ A la sainte ?

_ Oui, c’est not’ patronne à tous ! Sainte Dicaliste ! »

     La lumière est entraînée vers une tente, à travers des fumées de saucisses et une ambiance bon enfant ! Sous la tente on parle à la sainte, assise devant des plans, des cartes et des chiffres ! Puis, la lumière est invitée à prendre un siège et la sainte la regarde doucement, avec ses grands yeux sombres ! Elle a l’air désolée, marrie, chagrinée, dolente et sans doute veut-elle que la lumière prenne conscience du mal qu’elle fait ! Mais la lumière reste coite et attend… Enfin, après un gros soupir, la sainte demande : « Comment t’appelles-tu ?

_ La lumière !

_ Comme l’ampoule ? »

      La lumière sourit et la sainte reprend : « N’as-tu pas honte, la lumière, de venir saper le moral des camarades ? Notre combat n’est-il pas juste ? Es-tu du côté des riches et des exploiteurs ? Pourquoi te moques-tu des victimes ? »

     La sainte semble encore plus contrite, du moins si c’est possible, et son grand visage triste s’allonge et elle étend les bras, signe de désespoir, ainsi qu’elle voudrait montrer ses stigmates ! « Non, je n’ai pas honte ! réplique la lumière, car ce que je propose est encore plus fort que ce qui se passe ici ! Vous voulez combattre l’injustice et le mépris, venez avec moi et je vous montrerai comment vos deux ennemis sont partout ! Ainsi vous connaîtrez l’épaisseur, la densité de la vie ! L’ennui n’existera plus pour vous ! Vous serez enfin crédibles, ne serait-ce qu’à vous-mêmes ! Je vous invite à devenir de véritables ouvriers de paix ! Vous découvrirez ce qu’est le vrai travail !

_ Oh ! Oh ! Te voilà bien présomptueux !

_ Mais non, je pense à ton bonheur et à celui des camarades ! L’injustice dont vous vous plaignez n’est certes pas le fait des seuls capitalistes ! Elle est aussi en vous et c’est ce qui vous empêche de voir toute son étendue ! C’est bien trop facile de se considérer telles des victimes, avec des coupables tout désignés !

_ Je vois quel poison tu peux être !

_ Bouge la sainte ! Rayonne ! Réjouis-toi de la vie et plains les exploiteurs ! Ris d’eux et de ton ego ! Tu veux un combat digne de toi ? Je te propose de soulever des rochers ! »

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     Aujourd’hui, la lumière veut se détendre en admirant la nature, mais pour cela il faut d’abord sortir de la ville, et c’est tout un poème, d’où pour une part notre sédentarité ! Comme elle ne dispose pas de voitures, la lumière doit prendre le bus et là ce qu’elle craint au plus haut point, ce qui l’épuise jusqu’au tréfonds, ce sont les jeunes malades (les enfants Doms) ! Ceux-là vous vident avant même d’arriver à destination ! Le mot malade n’est nullement exagéré, car on a affaire à des individus qui agissent psychiquement sur les autres, afin de les soumettre ! Ils sont incapables d’être indépendants et ne fonctionnent que grâce à leur domination ! C’est leur canne, leur appui, pire, leur univers ! Leur résister demande beaucoup d’énergie et comme il représente un monde clos, nuisible, quasi « fœtal », dont ils ne peuvent échapper eux-mêmes, on peut classer leur particularité telle une maladie mentale !

     Cependant, cette fois-ci, l’heure est bien creuse et la lumière n’a pas de combat titanesque à mener et elle descend encore enthousiaste à son arrêt ! Elle se réjouit de rejoindre le vert, les parfums, le silence, le chant des oiseaux et les mille tours de magie de la nature ! Elle consulte sa carte d’état-major et en avant ! Il faut quitter la route le plus vite possible, dire adieu au trafic, à la ruche de béton, pour s’enfoncer dans un bois par un sentier, d’où l’intérêt de la carte ! Celle-ci date un peu, mais enfin les choses ne changent pas comme ça et voici la lumière qui prend un chemin…

     Première surprise : il est plein d’eau et la lumière se félicite d’avoir choisi ses chaussures de randonnées ! Pourtant, le chemin est bientôt barré par des ronces et semble abandonné ! Cela ne surprend pas outre-mesure la lumière, qui sait que les egos ont une fâcheuse tendance à supprimer toutes les voies de passage, à proximité de chez eux, afin qu’ils puissent se sentir encore plus seuls et en pleurer ! La lumière décide donc de persévérer, car bien souvent le chemin réapparaît, après le secteur du propriétaire ou de l’agriculteur agressifs et ombrageux ! Mais soudain la lumière est face à d’étranges terrils, qui montent durement vers le ciel et qui sont plantés de jeunes arbres !

     Que faire ? Inutile de dire que ce n’est pas sur la carte… Bien au contraire, on devrait là rejoindre un autre sentier bien plus important, ce qui conduirait à siffloter, le cœur transporté par la sécurité et la beauté! Devant cette perspective logique, la voie plus large étant normalement toute proche, la lumière se met à escalader les terrils et découvre des éclats de marbre, ce qui indique des tas de détritus, et maintenant la marche devient pénible et même dangereuse ! La lumière peut tomber, se concentre sur chacun de ses pas et elle est bientôt en nage ! C’est quasiment de la survie et la virée à la campagne tourne au cauchemar !

     Pourtant, la carte ne ment pas et il y a quelques années la lumière est déjà passée par là : elle suivait alors un incroyable et interminable sentier dans les bois ! Quel changement ! La lumière meurtrie abandonne les terrils et emprunte un champ… Un camion arrive par une route et va déverser son chargement sur les montagnes déjà présentes… La lumière regarde et voit un panneau boueux qui dit que là est mis en valeur tout ce dont ailleurs on ne sait que faire ! Le bourg d’à côté ne cesse de s’étendre et un deuxième camion apparaît ! Il n’y a plus de sentiers et la lumière se décide à rejoindre la départementale, pour revenir à son point de départ !

     Une voiture, qui ressemble à celle d’un shérif du Colorado, la croise lentement, ainsi qu’elle serait suspecte ! Puis, la voilà marchant sur le bord de la route, alors qu’un trafic dense la frôle, situation qu’elle connaît bien ! Un nouveau panneau invite le visiteur à découvrir les trésors naturels du coin, comme s’il n’y avait pas là une contradiction, puisque, pour attirer du monde, on détruit ces mêmes trésors !

     De retour là où elle avait cru échapper à la frénésie ambiante, la lumière continue d’avancer à la recherche d’un sentier plus sûr et effectivement elle en trouve un, bien balisé et parfaitement sec ! De quoi se plaint le peuple ? Mais alors la lumière se voit entourée de serres, pareilles à des cathédrales miniatures ! A l’intérieur, des tomates poussent, avec pour chaque plant un petit sac de terre ! Des tuyaux passent en dessous, rappelant les perfusions !

     Que dire de ces tomates ? Qu’elles se tiennent à carreau ? Ouf ! Ouf ! C’est un peu ça, car elles n’ont pas l’air de rigoler ! Leurs grappes sont impeccables et bien fournies et quand on sait combien il est difficile d’obtenir normalement ces légumes, on se dit qu’il n’y a pas de place ici pour la plaisanterie ! Tout est calculé pour être rentable ! Et on doit s’étonner d’avoir des enfants malades dans le bus ?

      Au cours de cette journée, la lumière trouvera un peu de sauvagerie enchanteresse, bien plus loin, mais à quel prix ? La ville telle une ruche, avec ses voitures pour abeilles, dévore la campagne, non par nécessité, mais pour satisfaire ses ambitions et calmer ses inquiétudes ! Nous voulons vivre, nous sauver et nous nous tuons !

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      Comment la spiritualité pourrait-elle ne pas nous effrayer ? Dès l’enfance, n’avons-nous pas l’impression d’être placés dans un hachoir, avec les peurs, les turpitudes des parents, et si nous avons la chance de bénéficier de leur affection, l’injustice du monde, sa brutalité ne nous rejoignent-elles pas assez tôt ? Nous voilà très vite nous-mêmes comme du gibier qui court, en proie à l’angoisse du lendemain, malgré nos amours et nos idéaux, surtout maintenant où la sécheresse et tant d’autres catastrophes climatiques s’abattent sur nos têtes !

      Comment croire à un amour divin, alors qu’il nous faut abandonner nos rêves, jusqu’à la déchirure ? Qui comptera nos chagrins ? Qui mesurera notre amertume ? Qui comprendra notre nuit ? N’avons-nous pas mendié un peu de tendresse, un peu de justice, en vain ? N’avons-nous pas supplié nos bourreaux, crié pour qu’ils arrêtent ? N’avons-nous pas été seuls à contempler notre désespoir ?

     Où sont passées nos amours, diluées par le temps ? N’avons-nous pas aimé de toutes nos forces ? N’avons-nous pas cru au bonheur, n’avons-nous pas brûlé pour celle-ci, celui-là ? Où sont-ils maintenant ? Alors la caresse était douce, le plaisir foudroyant ! Alors l’autre était notre miroir, la sécurité, l’avenir ! Ce rêve d’union plane encore… Cette vision de l’harmonie reste dans les mémoires, ainsi qu’un voile danse, masquant un sourire…

     Mais la réalité nous rappelle à l’ordre ! L’autre est fait de chair et d’os ! Il a aussi son égoïsme… et c’est la rupture, l’incompréhension… et c’est de nouveau le vide… et que voyons-nous ? Cette société altérée, perdue ! Cette agitation constante ! Ces meurtres, cette violence ! Ces partis politiques qui crient et qui mordent ! Ces terreurs qui nous laminent ! Ces chiffres qui nous font suer ! Ces rages, cette haine telles du vitriol ! Toujours le monstre avance, qui s’appelle triomphe de soi, seule bouée de sauvetage, seul salut !

     L’argent n’est-il par le maître ? N’avons-nous pas épuisé toutes nos larmes ? Assurons-nous de notre confort et dormons ! C’est cela dormons dans notre glu, notre mépris ! Restons figés et haïssons les très rares qui se libèrent ! N’essayons pas de percer leur secret, mais détruisons-les ! Il ne faut pas qu’ils nous rappellent notre petitesse, notre bêtise incommensurable, à la taille de notre orgueil ! Oui, contentons-nous de notre parure, de notre jeu social ! Fréquentons les lieux à la mode, affichons-nous dans nos boîtes à chaussures, où il suffirait d’un pet pour emporter tout le monde ! Méprisons les libérateurs ! Voilà le mot d’ordre !

     Soyons vains ! Gardons nos peurs ! nos sales têtes, nos airs tristes, hagards, sournois ! Révoltons-nous au nom de notre importance tels des coqs et des poules dérangés, offusqués ! Ne réfléchissons pas, n’aimons pas, car seul compte notre ego étroit ! Prenons-nous au sérieux, comme ces écrivains qui doutent et qui se croient courageux ! Regardons-nous agir, contemplons-nous parler, ayons le sens de la formule ! Pauvres de nous ! Combien de misères, d’abîmes nous ignorent ! Rien n’est plus pernicieux que le succès ou la renommée ! Ils font devenir idiots, ridicules mêmes ! Dressons-nous comme des dieux à côté de l’enfant qui pleure ou qui meure ! Ainsi nous serons fêtés par la société, reçus dans tous les salons ! Nous les morts, les cadavres ambulants !

     Je t’apprendrai le feu, l’amour divin surprenant, incomparable ! C’est la chute d’eau inépuisable ! le torrent de lumière ! la force indomptée, la puissance infinie, plus grande même que celle des étoiles ! Je t’apprendrai l’aventure étonnante de l’amour divin ! Ça, c’est du costaud ! Ça c’est spirituel et c’est sans sexe, l’homme et la femme étant enfin réunis ! leurs qualités servant dans la même direction ! Voilà l’avenir ! C’est plus grand que la raison ! C’est l’immensité en nous et nullement contre nous ! C’est une histoire d’amour colossale !

     Pourquoi ne te réjouirais-tu pas d’être l’enfant, l’enfant libéré et rieur ? Pourquoi ne verrais-tu pas le drame des autres, leur mépris comme un cloaque ? Pourquoi n’aurais-tu pas confiance ? Pourquoi n’aimerais-tu pas cette différence si magique, si douce en toi ? Ah ! Mais tu veux une tête grise, méchante ! Tu veux être triste et coincé par ton orgueil ! Tu veux le boulet de l’inquiétude ! OK, message reçu ! Dieu n’est pas avare, il t’aimera quand même ! Peut-être deviendras-tu célèbre ? La consolation !

 
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